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Piteuses réactions à l'affaire Dieudonné, triste préparation du Front de gauche aux municipales… Engageons une stratégie du double front !

par Évariste
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L’année 2014 commence mal, ou plutôt, disons que ce début d’année 2014 fait ressortir les faiblesses de la gauche en général et de la gauche de la gauche en particulier. Alors que Dieudonné est un raciste et un antisémite patenté (soutien à Faurisson, négationnisme, refus de choisir entre la Résistance et le nazisme, propos envers le journaliste de France Inter P. Cohen, etc.), la gauche en général et la gauche de la gauche en particulier ne sont pas unanimes à le constater. Nous voyons là une fois de plus que la gauche de la gauche n’est pas une gauche de gauche !
Premier motif de tristesse.
Pire, les médias néolibéraux ont organisé le débat en deux camps, celui de Dieudonné et celui de Valls, et somment les citoyens de choisir l’un ou l’autre camp. Et trop d’entre eux tombent dans ce traquenard, y compris dans la gauche de la gauche.
Deuxième motif de tristesse.

Et puis, se développe l’idée que cette affaire n’est pas grave, parce que tous les soutiens de Dieudonné ne sont pas racistes et antisémites. L’histoire des années 30 n’aurait donc servi à rien ? Ceux qui ont soutenu la collaboration française et le nazisme n’étaient certainement pas tous racistes et xénophobes. Et cela n’a pas empêché Pétain et Hitler de faire leur politique. Il faut en réalité poser clairement cette question : « Pourquoi Dieudonné a-t-il autant de soutiens ? » Notre réponse est la suivante : dans les soutiens au raciste et antisémite Dieudonné, il y a ceux qui sont effectivement racistes et antisémites et qui se sentent libérés par le traitement faussement humoristique de Dieudonné, mais il y a  aussi ceux qui rejettent l’ensemble de l’offre politique présente et croient trouver en Dieudonné un porte-parole de l’anti-système. Mais Dieudonné est totalement intégré au système, de même que le fascisme et le nazisme étaient dans les années 30 intégrés au système capitaliste, on oublie trop que la majorité du patronat et ses élus patentés avaient souhaité cette dérive autoritaire.
Qui est responsable de cela, sinon les politiques néolibérales de ces trente dernières années qui n’offrent au plus grand nombre et à sa jeunesse que la montée du chômage, de la précarité, de la pauvreté, de la misère, des injustices et inégalités sociales de toutes natures (de logement, de santé, de retraite, de transport, etc.), du communautarisme, etc ? Qui pratique depuis plus de trente ans ces politiques néolibérales et communautaristes ? Les directions de l’UMP et du PS et leurs alliés. Oui, il faut une stratégie du double front : contre Dieudonné et contre les politiques néolibérales et communautaristes. Nous avons vu peu de réactions de ce type.
Un motif de tristesse de plus.

Les prochaines élections sont les municipales. Elles auraient pu réjouir nos cœurs. Que nenni ! La direction du PCF a décidé de frapper dans le dos le Front de gauche lui-même en autorisant dans la moitié des villes de 20.000 habitants une alliance avec le PS (responsable des politiques néolibérales de 1983 à 1986, de 1988 à 1993, de 1997à 2002 et depuis juin 2012) dès le premier tour, alors que cette élection est une élection en deux tours ! Pourtant, des milliers de communistes sont attachés à la stratégie du Front de gauche, qui est celle des listes autonomes du Front de gauche et de ses alliés au premier tour.
Un motif de tristesse de plus.

Et n’a-t-on pas entendu qu’il pouvait y avoir des politiques locales totalement déconnectées de la politique nationale, alors même que le premier magistrat de la commune ou de l’intercommunalité soutient mordicus toutes les décisions néolibérales, jusque et y compris l’acte III de la décentralisation et tout ce qui touche la politique locale ?
Un motif de tristesse de plus.

N’a-t-on pas entendu des élus communistes, gagnés à l’accord dès le premier tour avec le PS, dire en plein conseil municipal qu’ils étaient contre le décret Peillon sur les rythmes scolaires mais qu’ils voteraient pour car ils faisaient partie de la majorité municipale ?
Un motif de tristesse de plus.

Nos vœux pour 2014

Précisons-les à la lecture de ce qui précède :

- Populariser le fait que le monde n’a jamais été coupé en deux. Mais en trois ou plus. Donc nous avons toujours au moins deux adversaires.
- Populariser que des alliances sont toujours possibles (par exemple au deuxième tour des élections à deux tours, par exemple contre le racisme, contre l’antisémitisme et contre le fascisme), mais sur des bases claires car on ne peut faire de la politique en schizophrène et faire le contraire de ce que l’on dit ou dire le contraire de ce que l’on fait.
- Populariser la stratégie du double front. Contre les communautarismes et intégrismes religieux d’une part et les néolibéraux de l’autre. Contre le racisme et l’antisémitisme d’une part et les néolibéraux d’autre part. Contre l’extrême droite  et contre les néolibéraux de droite et de gauche.
- Développer l’éducation populaire sous toutes ses formes.
- Transformer la gauche de la gauche en gauche de gauche au sens de Bourdieu.
- Participer à la bataille pour l’hégémonie culturelle, selon la conception qu’en a développée Antonio Gramsci.
- Et, en cette année du centenaire de l’assassinat de Jean Jaurès, promouvoir à terme un modèle politique anticapitaliste : la République sociale, qui lui était si chère.

N’hésitez pas à nous soutenir ou à faire appel au Réseau Education populaire dans vos débats !

Laïcité et féminisme
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Loi anti-avortement en Espagne : un projet contre les femmes ou la victoire de la droite réactionnaire

par Juliette Estivill

 

Le projet de loi intitulé « Avant-projet de loi pour la protection de la vie de l’enfant à naître et des droits de la femme enceinte » a été présenté par le ministre de la justice Alberto Ruiz Gallardón, le 20 décembre dernier. Ce texte abolit la loi du 3 mars 2010 qui reconnaissait le droit à l’avortement et il consacre à nouveau le précédent texte qui date de 1985, tout en l’aggravant.
Elu en novembre 2011, Rajoy avec la droite espagnole, le Parti Populaire (le PP), prenait sur le plan économique et social le relais du PSOE, le parti socialiste espagnol qui payait alors deux ans de politique d’austérité. Il y ajoute aujourd’hui sur le plan sociétal, son volet le plus réactionnaire.

Un grand saut en arrière

La nouvelle loi limite l’avortement aux cas suivants, comme celle de 1985 :

- en cas de viol avéré après dépôt de plainte et suivi judiciaire.
- en cas de danger pour la santé physique ou psychique de la mère
- en cas de danger pour la vie du fœtus selon les compétences actuelles de la médecine mais en éliminant celles des anomalies du fœtus en tant que tel.

Enfin, elle supprime le droit des jeunes femmes de 16 ou 17 ans de procéder à une IVG sans l’accord de leurs parents ou de leur tuteur, en rendant à nouveau obligatoire leur accord (loi de 2010 : les parents ou tuteurs devaient seulement en être informés et ce avec l’accord de la jeune femme qui pouvait refuser si elle craignait une mauvaise réaction de ses parents ou que, ce faisant, elle se verrait contrainte de garder l’enfant. Dans la nouvelle loi c’en est fini, les parents auront l’obligation de l’accompagner et de décider à sa place le cas échéant).
En 2010, la loi votée garantissait l’accès à l’IVG dans des conditions « qui s’interprèteront dans le sens le plus favorable à la protection des droits fondamentaux de la femme » (droit au développement personnel, à la vie, à l’intégrité physique et morale, à l’intimité, à la liberté idéologique et à la non-discrimination…) (titre 2 chapitre 1 Article 12).
Cette loi de 2010, dite « de santé sexuelle et reproductive et de l’interruption volontaire de grossesse », était la première loi en Espagne à reconnaître le droit à l’avortement des femmes dans un délai de 14 semaines, voire de 22 semaines. Dans le préambule du texte prévalaient les droits fondamentaux de la femme, rejoignant ainsi l’esprit des lois prises dans la majorité des pays européens.
La nouvelle loi est un grand retour en arrière : ce qui prévaut est le droit de « l’enfant à naître ». Le texte du ministre consacre ainsi la victoire du lobbying des provida, en donnant la priorité au droit du fœtus sur celui de la mère et en faisant sien le vocabulaire des partisans du « droit à la vie ». Elle dénie le droit des femmes à disposer de leur corps. Ainsi si la loi de 2010 prévoyait de multiplier l’information faite aux femmes sur les moyens de contraception et garantissait le droit à l’IVG dans le respect de leur droit fondamental à disposer de leur corps, deux ans après, celle du gouvernement de la droite populaire annonce la limitation du droit à l’avortement et l’accompagnement de la femme enceinte. C’est le grand retour en arrière… C’en est fini du droit libre à l’IVG, les femmes devront justifier que les intérêts de l’enfant à naître entrent en conflit avec les leurs.

La droite populaire applique son programme et renoue avec son idéologie la plus réactionnaire

En réalité, le gouvernement Rajoy ne fait qu’une chose, appliquer son programme de 2010. Dès son élection la question est revenue sur le devant de la scène, une partie du PP faisant pression sur le gouvernement pour revenir vite sur la loi de 2010. A l’époque les manifestations anti-avortement avaient rassemblé des centaines de milliers d’Espagnols dans les rues en 2009, la droite espagnole la plus réactionnaire et conservatrice était dans la rue et c’est celle qui est maintenant aux affaires, celle qui déjà à l’époque réclamait « la protection de la vie des enfants conçus », la même droite réactionnaire que l’on a vue en France lors des manifestations contre le « mariage pour tous » en mai dernier.1
Rajoy applique donc son programme : « Nous prêterons une protection accrue aux non nés et à l’enfance. Nous prêterons aussi une attention spécifique aux femmes durant leur grossesse et dans le soin de leur enfant mineur. » Puis le PP annonçait les mesures : « La maternité doit être protégée et appuyée. Nous promouvrons une loi pour la protection de la maternité avec des mesures de soutien aux femmes enceintes, et en particulier pour celles qui se trouvent en difficultés. (…) Nous changerons le modèle de l’actuelle législation sur l’avortement pour renforcer la protection du droit à la vie, ainsi que des mineurs. »2
C’est une conception ultra-conservatrice de la société qui se cache derrière ce programme, Tout plutôt qu’une IVG, ainsi la limitation du droit à l’avortement s’inscrit dans la promotion de la natalité. L’Etat se veut le protecteur et le garant de l’enfant à naître. Rajoy flatte son électorat le plus conservateur. La droite populaire espagnole est l’héritière directe du franquisme. Lorsque que le PP se crée, les cadres du parti et futurs ministres l’ont été sous Franco. Si une série de lois a ouvert l’Espagne à la démocratie, ne laissant pas d’autres choix aux couches les plus rétrogrades de la société, celles-ci n’avaient pas disparu, elles étaient aux aguets, les voilà qui entrent à nouveau dans l’arène.
La droite espagnole renoue idéologiquement avec le franquisme dont elle est issue. Les restes de l’idéologie franquiste sont tenaces et le volet famille n’est pas en reste. Et ce notamment concernant le rôle des femmes, ces dernières sont comme sous Franco reléguées à leur rôle de mère. On amorce le repli de la société autour de la famille.3 Rajoy promeut la famille et y consacre le rôle de la femme, car si la femme n’a pas le droit de disposer de son corps, la société lui garantit des solutions d’accompagnement de sa grossesse non-voulue.
Dans un article publié dans le journal La Marea (Scop espagnole), la féministe Nuria Varela explique que cette loi est en fait une loi contre les femmes. « Ce qui est en train d’être discuté en ce moment ce sont les droits citoyens des femmes. Contrôler la population et restreindre les droits et les libertés est une tentation de tous les gouvernements autoritaires et le gouvernement de Rajoy n’est pas en reste. C’est sa feuille de route, il est en train de l’appliquer sans vergogne depuis qu’il est au pouvoir : droit économiques, liberté d’expression et de manifestation. Eliminer le droit à l’avortement est un droit de plus qui se perd, mais pas n’importe lequel parce que considérer les femmes comme incapable de prendre des décisions concernant leur sexualité, leur corps et leur famille suppose de nous placer comme personnes mineure à vie.)
Pour Cayo Lara, le coordinateur générale de Izquierda Unida, cette loi « prétend ramener l’Espagne au temps du National-Catholicisme. Nous sommes obligés de mener la bataille dans la rue et les institutions parce que la société ne peut accepter qu’on nous fasse revenir à l’âge des cavernes. (…) C’est une atteinte contre les droits fondamentaux des femmes qui les condamne à retourner avorter à Londres. C’est une concession faite aux secteurs les plus intégristes de la société et à la hiérarchie religieuse ankylosée et répressive ? C’est un recul de 40 ans. »

L’offensive sur la remise en question de l’avortement est aussi européenne : le 10 décembre dernier c’est le rapport Estrela qui a été refusé au Parlement européen, l’initiative d’une député portugaise prévoyait des préconisations concernant l’éducation sexuelle, la prévention des MST, l’accès à la contraception, à l’avortement dans des services sûrs… (voir une analyse sur le blog de J.L. Mélenchon)

Et maintenant, quelles résistances ?

Le gouvernement Rajoy choisit bien son moment ; le peuple est sous les coups d’une accumulation de contre-réformes antisociales, antiéconomiques. Après deux ans d’élections, la mise en place de son programme économique et social a des conséquences extrêmement violentes sur la société espagnole: destruction du code du droit du travail, ministères et collectivités à sec avec ses conséquences sur l’offre de service public et de sa privatisation, ses attaques contre les droits à la santé, au travail, à l’éducation, à la culture, ses attaques contre les droits civiques (loi sur les libertés). Il considère qu’il a les mains libres pour appliquer son volet le plus réactionnaire idéologiquement par la remise en cause du droit des femmes à disposer de leur corps.

Mais la résistance s’organise, le lendemain de l’annonce de l’avant-projet de loi des manifestations ont eu lieu partout en Espagne devant les sièges du PP (voir un4

En Espagne, les différentes luttes ont leur Marea, celle des femmes s’est organisée depuis plusieurs année :  la Marea violeta disposant de la plateforme  Nosotras decidimos regroupant des centaines d’associations féministes qui appellent à une manifestation le 1er février prochain à Madrid) avec pour slogan « La femme décide, la société respecte, l’Etat garantit et les Eglises n’interviennent pas » et une revendication, le maintien de la loi de 2010 et son approfondissement.

On pensait que ce droit était acquis mais c’était oublier trop tôt la puissance de l’Eglise en Espagne (voir les homélies de 2012 de l’archevêque de Grenade, Francisco Javier Martinez homélie contre l’avortement et qui légitime le viol des femmes - article en espagnol ; ou encore celle de l’évêque de Donostia, Juan Ignacio Munilla qui comparait l’avortement à l’esclavage en Afrique et qui revenait sur l’importance du « droit à la vie », parlant d’ « aberration » de l’avortement  et souhaitant qu’il « soit un cauchemar du passé comme lorsque maintenant nous parlons de l’esclavage des noirs d’Afrique », critiquant de plus le « laïcisme », la « tentative d’expulser la religion de l’école publique »…  Rajoy leur donne raison et satisfait ses soutiens les plus réactionnaires de la société qui lui ont permis son élection.
Désormais nous savons que partout en Europe, le peuple devra lutter contre une offensive d’une droite conservatrice des plus réactionnaires, très organisée, aux valeurs morales d’un autre temps qui est bien décidée à s’assoir sur l’égalité. Seule une réaction populaire sera à même de combattre ce retour à l’obscurantisme, c’est cette résistance qui s’organise en Espagne face à la droite qui allie à l’austérité, la réaction et le retour à l’ordre moral.

  1. Voir deux articles en espagnol : ]
  2. Programme : « Ce que nous voulons pour l’Espagne », chapitre 3 sur la société de bienestar, partie 1 sur la famille ; voir les 12 propositions ]
  3. Voir à ce sujet le chapitre sur les femmes dans Propagande et culture dans l’Espagne franquiste 1936-1945, Marie-Aline Barrachina, Ellug, 1998 []
  4. Voir les liens suivants pour le calendrier des mobilisations  - en français :]
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Le lobby catholique à la manœuvre

par Nicolas Pomiès, Monique Vézinet

 

« Vous avez beau ne pas vous occuper de politique,
la politique s’occupe de vous tout de même 
».
Charles de Montalembert (1810-1870,
représentant du catholicisme dit alors libéral)

On se rappelle qu’en 2013 des organisations qui interviennent dans des champs différents se sont coordonnées pour combattre la loi Taubira sur le « mariage pour tous », marquant un renouveau du cléricalisme en France au travers d’une mobilisation inattendue. (Voir l’article de Zohra Ramdane publié il y a déjà un an.)
Son étendue a bénéficié des moyens de ces participants. « Les différents navires qui composaient la réalité de notre ossature (AFC, Printemps Français, Alliance Vita, PCD, ICHTUS et tant d’autres) se sont pour beaucoup considérablement renforcés, » explique un militant catholique.

Parmi celles-ci les Association familiales catholiques (AFC) qui défendent une conception particulièrement rétrograde et dogmatique de la famille ont mis à la disposition des militants leurs importants moyens logistiques (affrètement de cars, mobilisation sur internet, plate-forme téléphonique). Elles se sont trouvées appuyés par Familles de France, proche de l’UMP.

Grâce à leur 35 000 adhérents, les AFC pèsent dans des structures comme l’UNAF (Union Nationale des Associations Familiales), et le CESE. Comme le précise leur président Antoine Renard qui fut aussi le parte parole de la « manif pour tous », les AFC disposent pour cela d’atouts précieux : leur ancienneté, leur ancrage institutionnel et, de fait, une capacité à faire adhérer et à mobiliser au-delà de leur représentativité réelle dans le pays. D’où un financement privé et public important.Car il faut se souvenir que, comme tous les mouvements familiaux et en vertu du Code de l’action sociale et des familles, les AFC sont financées par la cotisation sociale patronale (branche Famille). Chaque salarié contribue donc (jusqu’à nouvel ordre…) à son insu à financer un mouvement dont l’objectif est d’imposer les dogmes de l’Eglise à la société !

Au niveau européen

C’est ainsi que les AFC se retrouvent à la manœuvre en offrant encore une fois leur appareil pour s’incruster dans les possibilités données par les traités européens de faire le droit en dehors des parlements nationaux.

Les AFC sont la cheville ouvrière de l’organisation « Un de nous » qui a massivement inondé les réseaux sociaux et envoyé plus de 80 000 mails aux députés européens, et qui va recueillir 1,8 millions de signatures de plusieurs États membres de l’Union européenne à une pétition pour tenter de faire reconnaître le statut de personne à l’embryon. Doté d’une identité, l’embryon serait de facto sous la protection de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (voir plus particulièrement l’article 2).

C’est encore les AFC qui étaient présentes lors de l’intense lobbying au Parlement européen pour faire rejeter le rapport Estrela qui prévoyait des avancées pour les droits des femmes en Europe.

C’est donc vers une interdiction généralisée de l’interruption volontaire de grossesse, et même de l’interruption médicalisée de grossesse, que l’on se dirige dans toute l’Europe (voir le cas espagnol, traité dans ce numéro par J. Estivill).

Sommes-nous à la veille d’un triomphe du cléricalisme ?

Hier les forces du cléricalisme catholique pouvaient être divisées entre tendances doctrinales qui les liaient ou les écartaient plus ou moins du Vatican. Le passage de Benoît XVI à la papauté a recréé de l’unité autour de la doctrine sociale de l’Eglise. Cela a favorisé l’appel aux familles à adhérer aux AFC lors de la dernière Conférence des évêques de France.
Pour les laïques, voilà un double sujet de réflexion :

- Comment se porter en soutien des mouvements familiaux institutionnellement reconnus dans notre pays sinon en adhérant à ceux qui sont laïques (tel l’UFAL)  pour tenter de rééquilibrer cette représentation et de ne pas la laisser aux mains des défenseurs de la famille traditionnelle ?

- Comment éviter la dispersion groupusculaire des mouvements laïques en France même et au niveau européen pour contrebalancer l’influence triomphante du catholicisme clérical, toujours appuyé par plusieurs Etats et qui regagne de la vigueur ?


 

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« La laïcité, un enjeu d’égalité pour les femmes, à la lumière des révolutions du monde arabe »

par ReSPUBLICA

 

Jeudi 23 janvier 2014, au Sénat
Colloque sous le haut patronage de Jean-Pierre Bel, président du Sénat, organisé avec Françoise Laborde, sénatrice de Haute Garonne.
Salle Monnerville, Palais du Luxembourg
Matinée de 9h30 à 12h30 / Après-midi de 14h30 à 17h 30

Programme et inscription sur http://www.egale.eu/

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Sur la conversion « laïque » du Front national

par Stéphane François
Université de Valenciennes (IDP)/GSRL (CNRS/EPHE)

 

La revue UFAL Info a publié récemment un intéressant dossier sur le racisme. Nous reproduisons ci-dessous un des trois articles de celui-ci, qui contient en outre un entretien de Nicolas Lebourg (“La République de Jaurès contre le racisme et l’extrême droite”) et un article d’Alain Policar (“Combattre le racisme : une quête héroïque et infinie”).ufal_info_55_web
Se procurer le n° 55 d’UFAL Info

Les dernières élections présidentielles françaises ont montré le succès du Front national. Fort de 17,9 % (soit 6,4 millions d’électeurs) et de deux députés, il est devenu un parti important dans la vie politique française, en l’occurrence la troisième force politique du pays. Ce succès découle pour partie de la stratégie de Marine Le Pen. Celle-ci a en effet insisté sur différents points que nous analyserons ici : le populisme ; le refus de l’« islamisation de la France », avec la campagne contre le hallal, qui s’est ponctuellement substitué à la critique de l’immigration et la laïcité, avec une disparition de la référence au christianisme en tant que norme. Nous proposons donc dans ce texte une analyse de ce discours, ainsi qu’une relativisation de la construction faisant du musulman et de l’islam un ennemi, en particulier dans les couches populaires. En effet, si le « choc des civilisations » est un thème porteur chez les militants d’extrême droite, en particulier chez les plus radicaux, il passe au second plan dans les couches populaires, derrière les préoccupations économiques : l’immigré y est avant tout rejeté, selon nous, pour des raisons de concurrence économique, c’est-à-dire au nom de ce que le Front national nomme la « préférence nationale ». Ceci dit, comme nous le verrons, il ne faut pas nier l’existence d’un racisme latent[1].

Le Front national et le peuple

Le Front national conçoit le « peuple français » comme une ethno-nation, d’où est évacuée la référence à une religion normative, mais sans doute ce positionnement est-il aussi lié à la campagne, donc pour partie électoraliste et ponctuel. Le peuple français est conçu comme une réalité culturelle, une communauté de destin, avec une culture particulière qu’il faut défendre. D’ailleurs, Marine Le Pen ne cesse d’insister sur son rôle de défenseuse du peuple contre la mondialisation, les délocalisations et l’« UMPS » qui l’auraient trahi. De fait, le « populisme » est plus un style qu’une idéologie, qui se caractérise par un discours de défense des « petits » contre les « gros », et de dénonciateur démagogique du « capitalisme mondialisé », aux origines et manifestations hétérogènes : certains commentateurs qualifient de « populistes » des partis soit de droite qui se sont radicalisés, soit des partis d’extrême droite qui tentent de se donner une nouvelle image, comme le Front national. Depuis le changement de président, ce parti cherche à se positionner comme le parti du peuple, en s’arrogeant le rôle de porte-parole des classes populaires, qui font aujourd’hui les frais de la crise, et des classes moyennes menacées de déclassement et de paupérisation. Cependant, ce positionnement était déjà présent au milieu des années 1990 : dès 1990 Jean-Marie Le Pen se présentait comme le défenseur/représentant du peuple. Il fut aussi défendu au début des années 1980, en 1982 pour être précis, par Jean-Pierre Stirbois.

Le populisme d’un Jean-Marie Le Pen procède d’une révolte contre le partage des acquis sociaux durement obtenus sur le long terme avec de nouveaux venus – les immigrés –, estimant qu’ils ne les méritent pas. Il s’agit donc d’une manifestation d’un « chauvinisme de l’État-providence », pour reprendre l’expression de Pascal Perrineau. Ce discours « rencontre un grand écho dans les milieux ouvriers déstabilisés par la concurrence des travailleurs étrangers et l’amenuisement des ressources de l’État-providence »[2]. Cette forme de populisme rejette donc la solidarité entre des membres d’une société disparate, éclatée.

Quoi qu’il en soit, le Front national a attiré un électorat particulier. Nous retrouvons dans celui-ci le « monde de la boutique », qui compose son héritage poujadiste, c’est-à-dire ces petits commerçants qui souffrent de la crise et de la concurrence de la grande distribution : 25 % des artisans, commerçants, chefs d’entreprise ont voté pour la présidente du Front national lors des dernières élections présidentielles. Nous trouvons aussi le « monde de l’atelier », c’est-à-dire beaucoup d’ouvriers et d’employés du secteur privé, ainsi que de chômeurs… De fait, le Front national recrute un électorat touché par la précarité, ou qui a peur de la subir, notamment dans les zones en voie de désindustrialisation du Nord et de l’Est de la France. Il recrute enfin, dans le sous-prolétariat du monde rural, composé principalement d’ouvriers souvent chassés des villes ou de la proche périphérie par les prix de l’immobilier, qui subissent de plein fouet une fracture territoriale.

Ce parti a commencé à séduire le monde ouvrier à partir de 1986 (entre 1984 et 1986, la part de vote ouvrier pour le FN est passée de 8 % à 19 %), avant de l’attirer massivement à compter de 1995, donnant naissance à ce que pascal Perrineau a appelé le « gaucho-lepénisme » et Nonna Mayer l’« ouvriéro-lepénisme ». En effet, « ce discours correspond effectivement [aux attentes des classes populaires] selon les sociologues Philippe Guibert et Alain Mercier[3] : quel que soit leur vote (FN, PS, UMP, etc.), les électeurs des classes populaires partageraient deux préoccupations à cette période : le désir d’un retour à un ordre structurant la société, avec des règles et des lois fermement appliquées, et une restriction des flux migratoires »[4]. Selon Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, « Il s’agit de mettre en relation la crise du référent de la lutte des classes, l’adhésion courante dans les milieux populaires aux valeurs hiérarchiques traditionnelles (travail, famille, patrie – selon un triptyque utilisé à l’extrême droite depuis un siècle) et l’ethnicisation des problèmes économiques et sociaux.[5] » En outre, les classes populaires, ne sentant pas leurs revendications sociales prises en compte par les politiques, ont alors investi le champ idéologique identitaire comme une thématique de compensation, voire comme une volonté de réduire l’accès au travail, l’emploi se raréfiant.

Ces deux points ont été cernés tôt et avec acuités par l’extrême droite. Ces thématiques ont été largement encouragées à cette époque par des stratèges d’extrême droite comme Jean-Yves Le Gallou, à l’origine avec Yvan Blot du concept de « préférence nationale », rebaptisé en 2011 en « priorité nationale ». Jean-Yves Le Gallou a joué un rôle théorique, une influence intellectuelle importante, mais discrète à compter des années 1980. Dès le début des années 1970, alors membre à la fois du GRECE, du Club de l’Horloge (dont il est le cofondateur en 1974 avec Yvan Blot) et du Parti républicain, il condamna l’immigration de masse, selon lui destructrice de peuples. La décennie suivante, Le Gallou est l’un des premiers à théoriser cette « préférence nationale »[6]. Dès lors, il va anticiper les positions identitaires et soutenir l’idée d’une immigration zéro, solution selon lui face à l’« invasion » que serait l’immigration.

Cette évolution a donc permis au Front national d’investir le rôle de « porte-parole » des « Français d’en bas », substituant le marqueur identitaire de classe à celui de race : « La conjoncture économique et sociale, caractérisée par un niveau de chômage élevé, une désindustrialisation rapide et une forte dépendance des sociétés privées les plus performantes par rapport aux capitaux étrangers, produit, surtout parmi les classes moyennes et populaires, un mécontentement réel par rapport à la mondialisation libérale et au désengagement de l’État, caractérisé notamment par les coupes dans le service public et les privatisations.[7] » De fait, Marine Le Pen récolte 29 % des votes des ouvriers. Peut-on dire pour autant que les classes populaires ont basculé massivement vers l’extrême droite ? S’il est vrai que le vote frontiste est élevé chez les ouvriers, nous ne pouvons pas dire qu’ils votent tous pour le Front national. En effet, d’un autre côté 27 % d’entre eux ont voté pour le candidat socialiste, François Hollande et 11 % l’ont fait pour le candidat du front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, ce qui fait un total de 38 % pour la gauche prise globalement, et 19 % pour le candidat sortant, Nicolas Sarkozy. Il faut donc relativiser, mais il est indéniable que le vote ouvrier est passé à droite : la droite et l’extrême droite ont attiré tout de même 48 % des votants ouvriers.

L’importance du discours économique

D’un point de vue anthropologique, les milieux analysés développent un discours fortement structuré : ils condamnent la mondialisation, mais cette condamnation se double d’un refus des sociétés ouvertes, c’est-à-dire des démocraties libérales. Il s’agit donc d’une volonté de repli « entre soi », entre « mêmes » et s’articulant avec un rejet de l’« Autre » provoquée par la mondialisation néolibérale. Ce sentiment communautaire/affinitaire, pouvait être contenu, jusqu’au milieu des années 1980, par les partis et syndicats ouvriers et transcendé par un discours politique. Depuis cette époque, ce n’est plus le cas, et le « sens commun » partagé par ces classes populaires en crise d’identité, du fait de l’effacement de ses repères traditionnels, notamment produit par le monde du travail, fait que la qualité de « français » s’est substituée à l’ancienne qualification « d’ouvrier ». De ce fait, certains, au sein de ce parti, prônent un « nationalisme social ».

Pourtant, jusqu’à une date récente, ce parti a brillé par son absence dans toutes les luttes sociales… Le tournant ne s’est fait qu’après, aux alentours de 2010. Son évolution dans ce domaine sera liée à l’évolution sociologique de son électorat qui passera d’une bourgeoisie conservatrice, très « vieille France » à un électorat populaire, favorable à un volontarisme économique. Bien que défendant le système capitaliste, une partie de l’électorat la considère comme plus à gauche que le parti socialiste ou le Front de gauche. Mais surtout, la désindustrialisation de notre pays a permis la mise en place d’un discours de concurrence sociale entre nationaux et étrangers. Celui-ci a été d’autant plus efficace que le phénomène économique s’inscrivait dans une déconstruction globale des sociétés des démocraties de marché.

Cette évolution sur le plan économique a permis le passage d’anciens partisans de partis de gauche aux idées frontistes. Ainsi, dans les régions fortement touchées par la crise et la désindustrialisation, la classe ouvrière a gardé une défiance vis-à-vis du « mondialisme » ou de l’Union européenne et le sentiment que les partis socialiste et communiste les ont abandonnés. Ces constats ont achevé de convaincre nombre d’anciens proches de ces partis que le Front national était désormais leur seul recours, malgré l’évolution récente de ce parti. Il existe en effet chez nombre de Français des peurs qui sont pour une bonne part économiques et sociales.

Le combat contre l’islamisation de la France

Si le Front national a beaucoup insisté sur les réponses économiques et politiques à donner à la mondialisation, il n’en reste pas moins qu’il a aussi intégré, à l’instar des autres partis populistes européens, la thématique identitaire. Celle-ci s’exprime prioritairement par un discours altérophobe à l’égard des populations musulmanes, analysé dès 1993 par l’équipe de Pierre Bourdieu[8] où nombre des témoignages de Français expriment la sensation d’être exilé chez soi. De fait, « le national-populisme concentre ses attaques sur le danger musulman, l’islam étant assimilé à une religion fanatique et expansionnistes. Ce discours présente les flux migratoires en provenance du monde musulman comme une invasion du continent européen par l’Union européenne, partie prenante du projet “mondialiste” de destruction des identités nationales. Généralement, l’islam est perçu comme une menace pour l’identité européenne en raison de son incompatibilité avec les valeurs culturelles et politiques du continent.[9] » Le combat contre l’islam a donc remplacé le rejet des immigrés. Avec Marine Le Pen, nous sommes passés du biologique au culturel : l’immigré est rejeté non plus au nom d’arguments raciaux, mais dorénavant au nom d’arguments civilisationnels (incompatibilité supposée de la culture/civilisation arabo-musulmane à la culture/civilisation européenne/occidentale). Ainsi, elle s’est attaquée aux prières de rue, à ce qu’elle appelle les « mosquées cathédrales » et aux produits halal, expressions selon elle de l’incapacité des arabo-musulmans à s’intégrer. Aux journées d’été de son parti en 2011, la nouvelle présidente frontiste a déclaré que « l’arrivée massive, en un temps très bref, vingt ou trente ans, de femmes et d’hommes ayant pour une très grande majorité une culture très différente de la nôtre rend toute assimilation inopérante, voire impossible ».

Ce discours était déjà présent au sein du Front national, avec les positions défendues par Bruno Mégret. Dès 1989, il lance une revue doctrinale intitulée Identité, considérant que la chute des régimes communistes entérinait un basculement géopolitique. Il affirmait que « l’affrontement politique principal n’est plus celui du socialisme marxiste contre le capitalisme libéral », mais « celui des tenants du cosmopolitisme contre les défenseurs des valeurs identitaires »[10]. Le discours idéologique frontiste se radicalise alors. Bruno Mégret y cloue au pilori la « volonté de déracinement ethnique, volonté de métissage culturel » du « système » qui utiliserait l’immigration pour assurer une « colonisation ». Son discours complète utilement les thèses de Le Gallou et Blot sur la « préférence nationale ». Malgré tout, sa stratégie d’édulcoration/reformulation sera intégrée par plusieurs personnes qui le suivront, mais qui retournèrent plus tard au Front national. Ce sont ces personnes que nous retrouverons dans l’entourage de Marine Le Pen.

Le Front national et la laïcité

Contrairement à plusieurs partis populistes européens, le Front national préfère défendre la laïcité, ou du moins une conception particulière de la laïcité que Jean Baubérot appelle la « laïcité falsifiée »[11], au détriment de la défense du christianisme. Ainsi, Marine Le Pen souhaite inscrire dans la Constitution la non-reconnaissance des communautés. Cela était l’un de ses thèmes de campagne lors des présidentielles de 2012. Cette stratégie lui permet d’échapper en outre à l’accusation de xénophobie. De fait, la présidente du Front national possède beaucoup de traits communs avec les jeunes responsables des partis populistes européens, tels Geert Wilders ou Oskar Freysinger. Comme ces derniers, elle est bien dans son époque ; elle prône l’égalité entre les hommes et les femmes ; elle défend l’avortement bien qu’elle condamne ce qu’elle appelle l’« avortement de confort » ; enfin, elle se montre assez favorable aux homosexuels.

De fait, les nouveaux militants frontistes ont échangé le vieux discours extrémiste de droite par un autre, ouvertement antimusulman. Ces positions correspondent au nouveau discours, soigneusement républicanisé et laïcisé, de la présidente du Front, mais il est évident que cette rhétorique n’est qu’un paravent au rejet de l’islam et des musulmans, même si Marine Le Pen prend soin de toujours distinguer la religion musulmane des dérives fondamentalistes. Toutefois, cette nuance n’est pas comprise par certains militants qui font preuve d’un discours ouvertement islamophobe. Ses propos énoncés dans un entretien paru dans Le Monde du 21 septembre 2012[12] montrent ouvertement que sa laïcité recouvre une xénophobie à peine voilée. Ceux-ci avaient déjà été énoncés en 2010 : « Je réitère qu’un certain nombre de territoires, de plus en plus nombreux, sont soumis à des lois religieuses qui se substituent aux lois de la République. Oui, il y a occupation et il y a occupation illégale. J’entends de plus en plus de témoignages sur le fait que, dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc.[13] » Cette référence à l’islam et à sa supposée dangerosité renvoie également à une vieille constante frontiste : l’ennemi intérieur, cinquième colonne d’un « parti de l’étranger ».

Le glissement vers la défense de la laïcité et de la république est aussi une façon de se donner une nouvelle image. D’ailleurs, le Front national mariniste s’est inspiré des partis populistes du nord de l’Europe pour faire glisser son discours de la stigmatisation des immigrés au rejet de l’islam. Cela permet d’édulcorer un discours tout en continuant à rejeter l’Autre, et de lier in fine rejet de l’islam et dénonciation de l’immigration vue comme une contre-colonisation islamique. En outre, comme l’écrivent Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, « Ce qui est dénoncé derrière “l’islamisation” n’a que peu à voir avec l’islam, mais beaucoup avec l’état de nos sociétés atomisées socialement, culturellement, économiquement, où chacun se fait sa vision solitaire du monde en hybridant des normes et idées éparses[14]. »

Conclusion

Le retour de l’État, la critique du libéralisme économique, la référence à la République, référence de plus en plus importante pour le FN à compter de la fin des années 1990[15], la référence à la Résistance, aux hussards noirs de la République, la laïcité, etc. font du Front national, pour une partie de la population, « le plus laïc » des partis, avec une islamophobie assumée, qui plaît à son électorat. Mais surtout, ce parti, à l’instar des autres tendances de l’extrême droite (et aussi à l’instar des autres partis nationaux-populistes européens), ne voit dans l’islam que les extrémistes. Nous sommes donc d’une certaine façon dans une logique de guerre, à laquelle l’opinion publique n’est pas insensible, malheureusement. Face à la mondialisation, ce type d’attitude peut-il s’étendre ? C’est là un débat politique, mais il ne faut pas oublier que le rejet de l’islam est le point commun, le point de ralliement de toutes les formations extrémistes de droite françaises, ayant intégré à la fois le « choc des civilisations » et la quête identitaire.

 


[1] Abel Mestre, « “Sudistes” et “nordistes”, les deux électorats du FN », Le Monde, http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/08/07/face-nord-et-face-sud-les-deux-electorats-du-fn_3458468_823448.html. Consulté le 07 août 2013

[2] Pascal Perrineau, « De quoi le populisme est le nom », in Marie-Claude Esposito, Alain Laquièze & Christine Manigand (dir.), Populismes. L’envers de la démocratie, Paris, Vendémiaire, p. 82.

[3] Philippe Guibert et Alain Mercier, Le Descenseur social. Enquête sur les milieux populaires, Paris, Plon, 2006, p. 106.

[4] Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen, Paris, Nouveau Monde Editions, p. 234.

[5] Ibid., p. 213.

[6] Jean-Yves Le Gallou, La Préférence nationale. Réponse à l’immigration, Paris, Albin Michel, 1985.

[7] Jean-Yves Camus, « Le Front national : état des forces en perspective », Les Cahiers du CRIF, n°5, novembre 2004, p. 8.

[8] Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993.

[9] Magali Balent, « La rhétorique identitaire », in Marie-Claude Esposito, Alain Laquièze & Christine Manigand (dir.), Populismes. L’envers de la démocratie, op. cit., pp. 89-90.

[10] Bruno Mégret, « Le basculement géopolitique », La Lettre de Jean-Marie Le Pen, 1er décembre 1989.

[11] Jean Baubérot, La Laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2012.

[12] « Marine Le Pen : “Je mets à la porte tous les intégristes étrangers” », .http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/09/21/marine-le-pen-je-mets-a-la-porte-tous-les-integristes-etrangers_1763542_823448.html. Consulté le 21/09/2012.

[13] AFP, 11 décembre 2010.

[14] Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen, op. cit., p. 378.

[15] Lors de la fête « bleu blanc rouge » de 1997, Jean-Marie Le Pen dit vouloir l’avènement une : « République une et indivisible, nationale par nature, sociale par vocation, fraternelle par idéal, populaire par essence ». Cité in Jean-Marie Le Pen, Vous avez ma parole : citations de monsieur Jean-Marie Le Pen, président du Front national, Paris, L’Homme libre, 2000, p. 35.

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Afrique du Sud : "L’ANC ne peut pas simplement s’abriter derrière son histoire"

par Adam Habib
Vice-recteur de l’université de Wits à Johannesburg

Source de l'article

 

NDLR : Cette entrevue du journal L’Humanité (17/12/2013), passé le temps de la commémoration unanime de Nelson Mandela par les médias, nous a parue  indispensable à la compréhension des enjeux actuels et pour illustrer comment la lutte des classes continue en Afrique du Sud.

Où en est l’Afrique du Sud alors que Nelson Mandela vient de disparaître ?

Adam Habib. La sphère publique, tout comme la sphère politique, a été déracialisée. Ce qui est une grande avancée. Mais la grande faiblesse de l’Afrique du Sud est qu’elle a, année après année, augmenté les inégalités économiques. Cela crée des problèmes terribles : les gens sont armés, il y a des crimes violents, violence encore contre les femmes et les enfants, gangstérisme, alcoolisme… qui sont des conséquences sociales. Cette violence se retrouve également dans les protestations sociales. L’Afrique du Sud est à un moment clé. Soit elle décide d’affronter ces défis, soit elle prend le risque d’un conflit ouvert dans la société. Rien n’est inévitable, dans un sens comme dans l’autre. Tout dépend du leadership politique.

Il y a une réaction violente de la population contre la corruption. Parce que ces affaires éclatent dans un contexte de grandes inégalités dans la société. Et si la direction de l’ANC apparaît complaisante, cela se retournera contre elle. En 2014, pour la première fois, ceux qui sont nés en 1994 pourront voter. L’ANC ne peut pas simplement s’abriter derrière son histoire. Elle doit enregistrer des victoires dans l’Afrique du Sud d’aujourd’hui.

Après vingt ans, l’ANC n’occupe plus seule la vie politique sud-africaine. On voit se développer une aile droite avec l’Alliance démocratique (DA) et même une extrême gauche qui remet en cause l’alliance entre le PC, 
le syndicat Cosatu et l’ANC. 
Qu’est-ce que cela signifie ?

Adam Habib. Le système politique devient beaucoup plus compétitif. Le DA a remporté environ 16 % des suffrages aux élections nationales de 2009. Il a eu un meilleur résultat encore lors des scrutins locaux. Il va certainement se renforcer encore, mais cela ne constitue pas réellement un danger immédiat pour l’ANC. 
Mais le DA ne s’adresse pas 
aux pauvres. Le mouvement Economic Freedom Fighter (EFF) de Julius Malema (ancien dirigeant de la Ligue des jeunes de l’ANC, expulsé depuis – NDLR) veut le faire mais il n’a pas les structures ni la sophistication politique nécessaire pour ça. D’autant que beaucoup de jeunes ne sont pas inscrits sur les listes électorales. 
Le vrai danger 
pour l’ANC est l’abstention.

De l’autre côté on voit le syndicat des métallurgistes, Numsa,
le plus important au sein 
de la Cosatu, menacer de quitter la confédération. Je ne pense pas que cela se fera rapidement. 
Mais si c’est le cas, alors ce sera 
le début, mais seulement le début, de l’émergence d’un nouveau parti des travailleurs. En tout il est nécessaire d’avoir un parti d’opposition viable parce que cela forcera l’ANC à être responsable devant ses électeurs.

Comment expliquer que la pauvreté et les inégalités progressent ?

Adam Habib. D’abord parce que 
nous essayons, depuis 1996, 
de mettre en place ce qui se fait ailleurs dans le monde et qu’on appelle une politique néolibérale. Or il faut affronter ces inégalités. Il existe maintenant un plan de développement national. Il est très utile. Mais il a une faiblesse : il prétend combattre les inégalités et la pauvreté avec les mêmes méthodes, ce qui est une erreur. Ce plan émet des recommandations pour l’industrialisation, 
pour de nouvelles opportunités entrepreneuriales, pour le développement de la formation… Ce qui est bon pour combattre la pauvreté. Mais en termes d’inégalités, non. Car cela profitera surtout à ceux qui ont déjà 
des moyens. Il faut donc des mesures spécifiques : permettre 
à ceux qui se trouvent dans le secteur de l’économie informelle de se retrouver dans le secteur formel, la redistribution des taxes, contenir l’immigration… Or cela n’apparaît pas dans le plan de développement. Pour construire un partenariat entre le business, le monde du travail et l’État, il faut parvenir à modérer les attentes. Mais vous ne pouvez modérer les attentes des pauvres que si vous modérez celles des riches. Les riches doivent faire des sacrifices en premier avant de demander la même chose aux pauvres. C’est l’héritage 
de Nelson Mandela. Une leçon que n’a pas comprise Jacob Zuma. Cette perte de confiance représente le grand défi pour l’ANC lors 
des élections de 2014.

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Nos lecteurs réagissent et analysent

par ReSPUBLICA

 

1/ Point de vue sur le rapport sur l’intégration

Ce rapport n’est pas au fond d’un tiroir de Jean-Marc Ayrault: il est sur le site de Matignon, c’est loin d’être le cas de tous les rapports qu’il reçoit. Quand un gouvernement commande un rapport, ce n’est pas au hasard, c’est pour entendre un certain type de réponses qui lui permettront d’avancer dans le sens qu’il souhaite; quand il commande un rapport sur la compétitivité des entreprises, ce n’est pas pour s’entendre dire que ça va très bien comme ça, que nos entreprises sont assez compétitives; dans ce cas particulier, il savait bien que les gens qu’il avait choisis pour faire ce rapport feraient ce type de réponses; s’il avait voulu des réponses inverses, il aurait nommé des « experts » chevènementistes et des défenseurs ardents de la laïcité, type la remarquable Jeannette Bougrab. « Choisir le conseiller, c’est choisir le conseil », disait Lénine.
Ce rapport rompt avec l’intégration et propose un tournant majeur axé sur la conflictualité. Il veut bouleverser la société française et part du principe que la France est coupable et raciste et qu’il faut tout remettre en cause. Il prône une société multiculturelle alors que c’est un modèle conflictuel, où il n’y a pas de normes.
Dans le détail, je reproche à ce rapport particulièrement trois points. D’abord, sa volonté de remettre en cause la suprématie de la langue française en voulant reconnaître « la place essentielle » de la langue parlée en famille. Ensuite, ce rapport vise à modifier le contenu des programmes d’histoire en voulant intensifier la transmission de l’histoire colonialiste et esclavagiste. Or, ce sont des thèmes qu’il faut replacer dans leur contexte. Ce rapport veut élever les enfants issus de l’immigration contre la France.
Enfin, la proposition de supprimer la loi sur le voile est une provocation pure et simple. C’est très grave. Cette loi pacifie justement les écoles et fait qu’un enfant est considéré comme un élève, pas comme un religieux.

Maurice (17/12/13)

2/ Sur le créationnisme

En 2008, le journal ReSPUBLICA a publié une recension de Monique Vézinet (UFAL) consacrée aux livre Les créationnismes. Une menace pour la société française ? (Syllepse, 2008) que j’ai coécrit avec Cyrille Baudouin.
Nous étions très heureux de cette diffusion car notre travail s’inscrit pleinement dans les luttes que mène ReSPUBLICA, en particulier en ce concerne la laïcité et l’enseignement.
Nous n’avons pas cessé de travailler sur le sujet et je me permets de vous informer que nous avons publié chez Belin un nouveau livre plus conséquent et beaucoup plus complet intitulé
Enquête sur les créationnismes. Réseaux, stratégies et objectifs politiques. Vous trouverez plus d’informations ci-dessous. Toutes les recensions dont l’ouvrage a fait l’objet depuis sa parution ainsi que l’introduction et la table des matières sont disponibles sur la page www.tazius.fr/les-creationnismes/.
Je signale d’ailleurs que Catherine Kintzler dont les articles sont régulièrement mis en avant par Respublica a publié cet été sur son blog Mezetulle une recension de l’ouvrage.

Olivier BROSSEAU (21/11/13)

3/ Contre la charte des langues régionales

NDLR - Deuxième réaction dans ce sens : la position de ReSPUBLICA est claire à cet égard. Nous relayons régulièrement les appels à ce sujet et nous rejoignons l’analyse de Françoise Morvan dans le texte signalé ci-dessous, qui conclut : « Se référant désormais aux directives au Conseil de l’Europe, certains élus de gauche tiennent à l’égard de la France des discours haineux que l’on dirait calqués sur ceux de l’extrême droite ethnorégionaliste. Ils rejoignent par là le puissant lobby patronal breton de Locarn [voir dans le récent édito d’Evariste « Les prémisses des bonnets rouges »] qui appelle de ses vœux une ”Europe des tribus”. La charte est l’un des outils destinés à la faire advenir. »

Je n’ai pas vu évoquée sur votre site la décision de M Ayrault de ratifier la charte des langues régionales et minoritaires.
Il me semblerait pour le moins nécessaire que vous preniez résolument position contre. Je me permets de vous signaler l’excellent article que vous trouverez ici:
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/240413/contre-la-charte-des-langues-regionales. En espérant que vous mobiliserez vos adhérents et sympathisants sur cette question et surtout contre cette charte.
Le
CO.U.R.R.I.E.L http://www.courriel-languefrancaise.org/ (COllectif Unitaire Républicain pour la Résistance, l’Initiative et l’Emancipation Linguistique) (18/12/13)

4/ Sur la prostitution

NDLR – Nous comprenons bien le point de vue d’André mais, comme il l’indique, ce n’est pas ce type de prostitution « traditionnelle » que vise au premier chef la loi désormais votée. Tout pointe, dans les débats qui ont précédé celle-ci, sur l’aggravation du profil de la prostitution en raison des nouvelles formes de traite et d’exploitation. Les remarques de Christian le signalent bien. Nous pouvons partager son scepticisme si, en effet, les moyens nécessaires ne sont pas mis en œuvre

Nous avons au voisinage, un bar de prostituées. […] Nous n’avons jamais constaté la moindre contrainte ni misère chez ces prostituées mais au contraire beaucoup de bonne humeur et de dignité. Nous comprenons que ce ne sont pas elles que vous visez mais d’autres formes de prostitutions. Ce n’est toutefois pas une raison pour empêcher ces personnes qui sont nos voisines de vivre comme elles l’entendent. C’est une question élémentaire de liberté. Il faut craindre que l’enfer soit peuplé de bonnes intentions ; et plus encore d’ignorance. A moins que, pire, ce soit d’un ordre moral… Je précise que j’ai été président de la Ligue des Droits de L’Homme, section de Toulon, plusieurs années et que, à cette occasion, j’ai beaucoup travaillé avec le Mouvement du Nid.
André B. (17/12/13)

La prostitution c’est en plus de facteurs personnels, deux éléments stucturants, qui ne sont en réalité nullement pris en compte :
- la pauvreté, qui encourage le recours à cette pratique, et qui ne va pas disparaître demain, même si on accorde le RSA aux “repenties”,
- le trafic d’êtres humains, qui nécessite des moyens très importants, alors que la Police nationale et la Gendarmerie ont perdu 10 % de leurs effectifs sous Sarko, et la Douane 25 % (Sarko + Hollande); sans parler de la coopération policière internationale, qui doit progresser… Outre le recrutement de moyens conséquents (qui a publié une pétition pour demander le renforcement des moyens policiers ? Personne !), on aurait peut-être pu d’abord de façon pragmatique tenter d’encourager les clients à coopérer avec la force publique pour combattre ce trafic… mais on fait le choix inverse !
Au final on est loin du compte, et la loi votée n’aura guère d’effet à court terme, sinon incantatoire. C’est bien dommage : une occasion manquée.
Christian V. (18/12/13)

5/ Questions…

Posées par Jean C :
- Quelles critiques et quelles luttes menez-vous contre le libre échange et pour un certain protectionnisme national ?
- Quel avenir pour l’Union européenne et l’euro ?

NDLR – Sur la seconde question, nous renvoyons notre (nos) lecteur(s) à un texte récent qui fait le tour des positions en la matière, et indique celle que nous privilégions : http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/leuro-les-six-positions-en-presence/6863
Quant au libre-échange et au protectionnisme, nous avions il y a plusieurs années déjà promu l’idée d’un protectionnisme « écologique et social » (pour lutter contre les inégalités de protection sociale et écologique, avec subventionnement de caisses spécifiques ad hoc des structures du pays exportateur, à distinguer donc du “protectionnisme solidaire” de J. Sapir qui ne vise qu’à réduire les inégalités des salaires directs). La situation de crise actuelle, à commencer par celle d’un ensemble européen de moins en moins homogène, rend l’application d’un tel principe plus complexe encore à mettre en oeuvre : comment y parvenir a fortiori au niveau mondial ? Il ne s’agit pas de cloisonner
pour protéger des rentes de situation. Des « écluses » à vocation temporaire sont-elles susceptibles de permettre de gérer la situation ? ’En ce qui concerne la concurrence entre pays « développés » et « émergents », il ne s’agit pas de protéger ses seuls « pauvres » mais d’obliger de part et d’autre à une nouvelle redistribution de la richesse. Cela est-il possible dans le cadre du capitalisme actuel ? nous ne le pensons pas, mais c’est en effet une question sur laquelle il nous faudra revenir.