Chronique d'Evariste
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Pourquoi devons-nous passer d'une gauche de la gauche à une gauche de gauche ?

par Évariste
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Gauche de gauche : l’expression « gauche de gauche » vient d’une tribune de P. Bourdieu, « Pour une gauche de gauche », publiée dans le Monde du 08/04/1998. Au lendemain d’élections de présidents de région alliés au FN, Bourdieu y fustigeait la gauche de gouvernement (Jospin, Chevènement, Hue, Voynet), menant depuis longtemps « une politique instrumentale et cynique, plus attentive aux intérêts des élus qu’aux problèmes des électeurs » (déjà !), qui déçoit les électeurs de gauche.
Cette expression est reprise encore récemment dans des titres de livres ou d’articles, mais la « gauche de gauche » de Bourdieu n’est pas la nôtre. D’une part, Bourdieu précisera lui-même, dans une interview ultérieure à Télérama (idem), que s’il appelle de ses vœux « une gauche vraiment de gauche », c’est uniquement en tant qu’intellectuel, et que parler de « gauche de la gauche » renvoie à un positionnement politique qui ne le concerne pas. D’autre part, selon lui, une « vraie gauche » doit dépasser « la prétendue fatalité des lois économiques » et s’atteler à « humaniser le monde social », ce qui est bien le projet de ce que nous appelons « gauche de la gauche » ; c’était le nom que s’était donné une liste de l’époque et qui est repris aujourd’hui pour d’autres tentatives de constituer des listes de « gauche pour de vrai », allant de la gauche du PS au NPA en passant par le PG, tentatives qui se heurtent le plus souvent aux stratégies partisanes nationales.
Comme nous l’avons maintes fois expliqué, le projet de cette « gauche de la gauche » se veut plus radical, mais il n’est pas anti-capitaliste, et son volontarisme politique se heurtera aux lois de l’économie, non pas celles, fictives, des libéraux, qui en déduisent qu’il n’y a pas d’alternative, ni celles, circonstancielles, des pseudo-keynésiens, qui veulent restaurer les Trente glorieuses d’un simple coup de baguette magique électorale, mais bien les lois de l’économie qu’a dégagées l’analyse critique de Marx, qui situe la crise non pas dans le « monde enchanté » de la marchandise et de la finance, mais dans le cœur productif du mode de production capitaliste.
Pour nous, l’expression « gauche de gauche » renvoie plutôt à la bande des quatre de la revue Kommunist qui, après la dérive de la Révolution de 17, se revendiquaient « communistes de gauche », et non « à gauche des communistes »1 Une gauche de gauche, aujourd’hui, n’est pas simplement à la gauche de la gauche, elle est une autre gauche, différente, une gauche de gauche, qui ne doit pas simplement proposer une autre gestion, un alter-capitalisme (par exemple, dans le mythe d’une Europe sociale qui surgirait de l’intérieur de la construction européenne actuelle), une alter-mondialisation (qui ne lutterait par exemple que contre la finance et non contre le mode de production qui la génère), mais bien un anti-capitalisme, en renouant avec le vrai socialisme (loin de la caricature des solfériniens) celui d’avant la dérive social-démocrate ou libertaire. Une gauche de gauche doit renouer son lien avec le prolétariat, donc avec les couches populaires (ouvriers et employés). N’oubliez pas que le vote Front de gauche au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 ne fut que le 5e choix des couches populaires !
Et rien n’a changé sur ce point depuis au sein du Front de gauche !
Pour cela, elle doit devenir anti-capitaliste, comme nous venons de le préciser. Une gauche anti-capitaliste s’appuie sur les couches sociales populaires, dont la conscience de classe peut renverser les choses, elle les mobilise dans les domaines qui leur importent au premier chef : école, protection sociale, services publics, chômage, précarité, politique industrielle, Union européenne, zone euro, etc. Une gauche anti-capitaliste a rompu son rapport quasi exclusif avec les couches moyennes, fussent-elles radicalisées, le travail sociétal en leur faveur ne devant plus servir plus à masquer le vide social.
On ne peut pas rallier les couches populaires sur une ligne politique qui défend principalement les couches moyennes (39 % du salariat si on part de la classification PCS de l’Insee), dont une partie défend la politique néolibérale et participe au phénomène de « gentrification », qui voit le développement des couches populaires dans des territoires où ne vivent pas les militants !
Pour cela, elle doit aller au-delà d’un simple anti-capitalisme déclaratif sans contenu réel et rompre avec l’idéalisme gauchiste (au sens de Lénine dans son livre Le gauchisme, maladie infantile du communisme) d’après lequel nous pourrions nous abstraire, par simple volontarisme, des dures lois de l’économie politique !
Pour cela, elle doit construire un discours qui intègre l’espoir concret d’un modèle politique alternatif. Pour nous, cela passe par la reprise actualisée et développée du concept de République sociale, en développant les apports de la révolution de 1848, de la Commune, des amis de Jean Jaurès, des amis d’Antonio Gramsci, du Front populaire, de la Résistance, du programme du Conseil national de la Résistance… Le matin du grand soir n’est pas pour demain, disaient les conservateurs, mais une gauche de gauche peut y conduire, en réutilisant la stratégie de l’évolution révolutionnaire bien décrite en son temps par Jean Jaurès, fondée sur une politique concomitante et cohérente des trois regards : le temps court, le temps moyen, le temps long !
Pour cela, la gauche de gauche doit donner la priorité à une éducation populaire de masse vers les couches populaires (ouvriers et employés) et les couches moyennes intermédiaires (ensemble 77 % de la population, selon la classification PCS de l’Insee), car elle ne ralliera pas les couches populaires uniquement par des prises de parole de leurs leaders à la télévision et dans des meetings certes compacts, mais dont elles sont absentes !
Vu l’importance de ce dossier, nous sommes à votre disposition pour toute participation sur ce thème dans les réunions publiques que vous allez organiser. Haut les cœurs !

  1. Ont signé les quatre numéros de la revue Kommunist (1918, récemment rééditée par l’intéressant collectif toulousain d’édition Smolny)  Boukharine, Ossinsky, Radek et Smirnov. Ces « communistes de gauche » (il y avait aussi Préobrajenski, Kollontaï, etc.), dont certains rejoindront plus tard la direction léniniste, s’opposaient au sein du PCUS, à Lénine sur ses choix, qu’on peut résumer par la fameuse expression «le communisme, c’est l’électrification plus les soviets », pas fausse en soi, mais qui préfigurait la NEP et couvrit la continuation de l’accumulation capitaliste sous direction centralisée. []
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Laïcité scolaire ou communautarisme : L’obligation de neutralité doit s’imposer aux parents qui participent à des activités ou des sorties scolaires

par Pierre Hayat

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L’exigence de neutralité religieuse et politique concerne-t-elle les parents qui apportent leur concours à des déplacements ou à des activités scolaires ? La question perturbe depuis plusieurs années la vie déjà difficile de nombreux établissements scolaires. La circulaire ministérielle du 27 mars 2012 recommande aux parents collaborateurs du service public de ne pas manifester par leur tenue ou leurs propos leur appartenance religieuse ou politique. Mais cette circulaire a une valeur seulement incitative. Du coup, comme l’a observé le Défenseur des droits, les dispositions prises varient d’un établissement à l’autre pour des situations voisines.

Le Conseil d’État n’a pas résolu le problème qui lui avait été soumis

Dans son étude du 19 décembre 2013, le Conseil d’État estime qu’à l’inverse des agents publics, les parents collaborateurs du service public ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité. Il admet cependant que les exigences liées au bon fonctionnement de l’école peuvent amener l’autorité compétente à « recommander » à ces parents de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse.

En cas de désaccord entre un établissement scolaire et un parent, ce dernier pourra donc saisir sans peine le tribunal administratif ; charge alors à l’administration de prouver que sa demande de restriction de l’expression religieuse n’est pas abusive.

En maintenant la confusion et l’incertitude, la haute juridiction administrative place avec évidence le politique devant ses responsabilités.

Vers quinze années de conflits épuisants ?

Pour l’heure, le ministre de l’Éducation nationale a indiqué que la circulaire du 27 mars 2012 restait valable et que le gouvernement veillerait à ce que l’école « demeure un espace de neutralité ». Ces belles déclarations ne font, hélas, pas avancer d’un pas dans la résolution du problème. Si la situation devait rester en l’état, on se préparerait à rejouer le conflit sur les manifestations d’appartenance religieuse des élèves. La polémique déclenchée en 1989 laissa élèves, parents et personnels dans l’incompréhension de décisions prises « au cas par cas », jusqu’à ce que la loi du 15 mars 2004 mette un terme à ce désordre injuste, en interdisant aux élèves le port de signes religieux ostensibles.

L’école publique peut-elle aujourd’hui s’octroyer le luxe de quinze nouvelles années de surenchères communautaristes ? On peut en douter, d’autant que les ennemis de la laïcité continuent de prétendre que la loi du 15 mars 2004 discrimine les jeunes filles voilées.

Les élèves ne sont pas de simples usagers de l’école publique

En réalité, la loi de 2004 n’est pas antireligieuse et ne vise pas l’islam ni une tendance de l’islam. Elle préserve l’école de toute manifestation religieuse. Elle responsabilise l’élève qui contribue par sa discrétion sur son appartenance religieuse à « faire vivre la laïcité dans son établissement », selon les termes de la Charte de la laïcité. La loi de 2004 ne considère pas l’élève comme un client ou un usager, mais comme un sujet responsable, à son niveau, d’un climat scolaire serein.

Pourquoi ce qui est attendu de l’élève et a fortiori de l’enseignant, soumis à « un strict devoir de neutralité », ne le serait pas du parent qui participe à une sortie scolaire ?

Les parents collaborateurs de l’école sont investis d’une responsabilité particulière

Assurément, le parent qui se borne à conduire son enfant à l’école et à s’entretenir avec l’enseignant du cas de son enfant n’est pas tenu à une obligation de neutralité. Mais quand il participe à l’encadrement d’une sortie pédagogique, il se met alors au service de l’intérêt général. Investi par l’école d’une responsabilité collectivement assumée, il lui incombe donc, autant qu’à l’enseignant, de garantir la neutralité scolaire, condition du respect de la liberté de conscience de chaque parent et de chaque élève. Cette différence de situation trouve déjà un écho juridique puisqu’un parent qui se blesse à l’occasion d’une sortie scolaire est indemnisé par l’administration. Et tout élève peut saisir cette différence de responsabilité du parent au sein de l’école.

L’affaire Leonarda a d’ailleurs montré que les lycéens et l’opinion considèrent que l’école n’est pas un domaine comme un autre, qu’elle doit bénéficier d’une protection et d’un respect particuliers, y compris lors d’une sortie scolaire.

La régression communautariste contre l’égalité

Mais une propagande calomnieuse prétend que la « mère voilée » serait seule concernée, alors que le devoir de neutralité s’applique également au port de la kippa, de la croix et de tout autre signe d’appartenance religieuse ou politique. Car la laïcité ne discrimine personne, mais considère, à égalité de droits et de devoirs, chaque parent participant à une sortie scolaire, qu’il ait ou non une religion.

Cette propagande diffuse l’idéologie du communautarisme « inclusif » qui veut juxtaposer à l’école et dans la société des particularismes identitaires. Dépourvu d’ambition universaliste, le communautarisme inclusif déprécie les principes républicains de l’intérêt général et du bien public. Il réclame l’octroi de privilèges à des groupements repliés sur eux-mêmes et rétifs à la discussion critique. Il tend à subordonner toute valeur et toute liberté aux droits des religions, au détriment de la vertu civique et de la liberté de conscience dont la liberté religieuse n’est qu’une des formes.

Cette idéologie politique ne remédiera pas aux maux dont elle se nourrit : les fragmentations et les relégations sociales. En revanche, par sa démagogie et ses renoncements, le communautarisme inclusif brouille les repères humanistes et rationalistes essentiels, parmi lesquels l’école laïque comprise comme un lieu d’instruction et de transmission des valeurs de la République. Symétrique de l’idéologie nationaliste de « l’identité nationale », l’idéologie communautariste de « l’identité communautaire » livre, elle aussi, un combat contre l’intégration républicaine et l’école laïque.

Consolider l’école républicaine

C’est pourquoi il convient de s’engager plus avant pour la neutralité des parents collaborateurs et de tous les intervenants extérieurs de l’école publique, par l’explication, mais aussi par la voie réglementaire ou législative.

06/01/2014

Combat féministe
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De quoi la "théorie du genre" est-elle le fantasme ?

par Elisabeth Roudinesco
Historienne de la psychanalyse

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Réunis en une grande coalition boursoufflée, voici que les représentants de l’extrême-droite, toutes tendances confondues - anti-mariages gay, appuyés sur un catholicisme intégriste, salafistes habités par la terreur d’un maléfique lesbianisme américain, lepénistes anti-système, baroudeurs de la quenelle, anciens du Groupe union défense (GUD), multiples partisans de Dieudonné, de Robert Faurisson, d’Alain Soral, de Farida Belghoul, de Marc Edouard Nabe et autres écrivains illuminés, habitués des plateaux de télévision -, nous offrent un spectacle tonitruant pour commémorer le quatre-vingtième anniversaire de l’irruption des ligues fascistes hurlant contre la République, sur fond de crise économique majeure. Les images partout diffusées ressemblent à celles du 6 février 1934, même si les protagonistes de ces défilés intitulés “jour de colère” se détestent les uns les autres et affirment ne pas partager les opinions de leurs alliés. La haine de l’autre est toujours enfantée par l’union de ceux qui se haïssent entre eux. Rien à voir avec le magnifique poème biblique sur la colère de Dieu (Dies Irae).
Et c’est pourquoi on retrouve dans leurs rangs une même thématique : slogans conspirationnistes, détestation des élites, des intellectuels, des femmes, des étrangers, des immigrés, de l’Europe cosmopolite, des homosexuels, des communistes, des socialistes et enfin des Juifs, le tout ancré dans la conviction que la famille se meurt, que la nation est bafouée, que l’école est à l’agonie, que l’avortement va se généraliser, empêchant les enfants de naître, et que partout triomphe l’anarchie fondée sur une prétendue abolition généralisée de la différence des sexes.

Le thème n’est pas nouveau, il était déjà présent sous une autre forme dans certains discours apocalyptiques de la fin du XIXe siècle qui affirmaient que si les femmes travaillaient et devenaient des citoyennes à part entière, elles cesseraient de procréer et détruiraient ainsi les bases de la société, laquelle serait alors livrée, d’un côté aux “infertiles” - sodomites, invertis et masturbateurs - agents d’une dévirilisation de l’espèce humaine, et de l’autre aux Juifs, soucieux, d’établir leur domination sur les autres peuples en usant d’une fertilité sans commune mesure avec celle des non-Juifs. Le thème du Juif lubrique, incestueux et pourvu d’un pénis sans cesse érigé, aussi proéminent que ses fosses nasales, est une des constantes du discours antisémite.

Aujourd’hui, les ligues de la colère prétendent dénoncer, après le vote de la loi sur le mariage entre personnes du même sexe, un nouveau complot fomenté à la tête de l’Etat pour détruire davantage la famille et la différence anatomique des sexes. Il aurait pour objectif d’imposer l’enseignement dans les écoles républicaines d’une prétendue “théorie du genre” visant à transformer les garçons en filles, les filles en garçons et les classes en un vaste lupanar où les professeurs apprendraient aux élèves les joies de la masturbation collective. On retrouve ici le thème de l’infertilité érigé en complot contre la reproduction sexuée et l’idée de la généralisation de l’accouplement entre personnes du même sexe. En effet, aucun enfant ne peut naître biologiquement d’un acte sexuel qui unirait une femme devenue homme et un homme devenu femme.

Mais de quoi cette “théorie du genre”, qui n’existe pas, est-elle le fantasme? Pourquoi une telle rumeur a-t-elle pu se propager dans les réseaux sociaux sans que les médias n’aient eu le temps de l’invalider? Comment des parents - heureusement très minoritaires - ont-il pu céder à cette ridicule campagne de panique, baptisée “journée du retrait de l’école”, où se mêlent terreur de l’inversion des sexes, de l’annulation des différences et de la pédophilie?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que le genre, dérivé du latin genus, a toujours été utilisé par le sens commun pour désigner une catégorie quelconque, classe, groupe ou famille, présentant les mêmes signes d’appartenance. Employé comme concept pour la première fois en 1964 par le psychanalyste américain Robert Stoller, il a ensuite servi à distinguer le sexe (au sens anatomique) de l’identité (au sens social ou psychique). Dans cette acception, le gender désigne donc le sentiment de l’identité sexuelle, alors que le sexe définit l’organisation anatomique de la différence entre le mâle et la femelle. A partir de 1975, le terme fut utilisé aux États-Unis et dans les travaux universitaires pour étudier les formes de différenciation que le statut et l’existence de la différence des sexes induisent dans une société donnée. De ce point de vue, le gender est une entité morale, politique et culturelle, c’est-à-dire une construction idéologique, alors que le sexe reste une réalité anatomique incontournable.

En 1975, comme le souligna l’historienne Natalie Zemon Davis, la nécessité se fit sentir d’une nouvelle interprétation de l’histoire qui prenne en compte la différence entre hommes et femmes, laquelle avait jusque-là été “occultée” : “Nous ne devrions pas travailler seulement sur le sexe opprimé, pas plus qu’un historien des classes ne peut fixer son regard sur les paysans (…) Notre objectif, c’est de découvrir l’étendue des rôles sexuels et du symbolisme sexuel dans différentes sociétés et périodes.” L’historienne Michelle Perrot s’est également appuyée sur cette conception du genre dans ses travaux sur l’histoire des femmes, ainsi que Pierre Bourdieu dans son étude de la domination masculine. Et d’ailleurs, à bien des égards, cette notion est présente dans tous les ouvrages qui traitent de la construction d’une identité, différente de la réalité anatomique : à commencer ceux de Simone de Beauvoir qui affirmait en 1949, dans Le deuxième sexe, qu’on “ne nait pas femme mais qu’on le devient”.

Dans cette catégorie des gender studies, il faut ranger aussi l’ouvrage exemplaire de Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe, (Gallimard 1992) qui étudie le passage de la bisexualité platonicienne au modèle de l’unisexualité créé par Galien afin de décrire les variations historiques des catégories de genre et de sexe depuis la pensée grecque jusqu’aux hypothèses de Sigmund Freud sur la bisexualité.

Dans le même temps, le livre magistral de la philosophe américaine Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion (La Découverte, 2005), publié à New York en 1990, eut un grand retentissement, non pas dans la société civile, mais dans le monde académique international. S’appuyant sur les travaux de Jacques Lacan, de Michel Foucault et de Jacques Derrida, elle prônait le culte des “états-limites” en affirmant que la différence est toujours floue et que, par exemple, le transsexualisme (conviction d’appartenir à un autre sexe anatomique que le sien) pouvait être une manière, notamment pour la communauté noire, de subvertir l’ordre établi en refusant de se plier à la différence biologique, construite par les Blancs.

Dans cette perspective se développa ce qu’on appelle “la théorie queer” (du mot anglais “étrange”, “peu commun”), tendance ultra-minoritaire au sein des études de genre et qui contribua à cerner des comportements sexuels marginaux et “troublés” : transgenre, travestisme, transsexualisme, etc… Elle permit non seulement de comprendre ces “autres formes” de sexualité mais de donner une dignité à des minorités autrefois envoyées au bûcher, puis dans les chambres à gaz, et aujourd’hui bannies, emprisonnées, torturées par tous les régimes dictatoriaux. Ce fut l’honneur des démocraties de les accepter et à ce titre la “théorie queer” eut le mérite de faire entendre une “différence radicale”. C’est un délire et une sottise d’imaginer que les trans-bi et autres travestis que l’on voit défiler depuis des années dans les Gay Pride puissent être source d’un quelconque danger pour l’ordre familial et la démocratie. Bien au contraire, cette présence témoigne de la tolérance dont est capable un Etat de droit.

Comme on le voit, les études de genre, quelles que soient leurs orientations - des plus modérées aux plus excessives - n’ont rien à voir avec un quelconque programme de propagande judéo-bolchevique à l’usage des écoliers. Faire croire que l’on pourrait enseigner les oeuvres de Freud, de Butler, de Laqueur, de Foucault, de Bourdieu ou de Stoller à des enfants de 11 ans, relève du délire. Et d’ailleurs, on sait que dans plusieurs établissements scolaires, les élèves ont déjà tourné en dérision les fantasmes des ligues en jouant au jeu de la jupe à toto, du pantalon à Bécassine et du zizi à Julot et à Julie. A l’ère des tablettes et de la toile, il ne faut tout de même pas prendre les enfants pour des imbéciles.

Mais puisque les études de genre, rebaptisées “théorie du genre” par les ligues fascistes, sont ainsi “descendues dans la rue” pour servir de slogan grotesque à une vision complotiste de l’Etat, cela veut dire qu’une nouvelle conceptualité, aussi sophistiquée soit-elle, peut devenir, à l’insu des auteurs qui s’en réclament, l’enjeu d’un combat politique imprévisible.

Autrement dit, en touchant à une représentation de la sexualité inacceptable pour les tenants de l’ancien ordre familial, les études de genre ont réactivé dans la société contemporaine, minée la misère, le vieux fantasme d’une terreur de l’abolition de toutes les différences, à commencer par celle entre les hommes et les femmes. Comment s’en étonner quand on sait que ces études ont été suscitées par l’observation des transformations de la famille occidentale, par l’entrée des femmes dans un ordre historique autrefois dominé par les hommes et enfin par l’émancipation des homosexuels désireux de sortir, par le mariage, de la catégorie des “infertiles”?

Certes, ces études ont donné naissance à des extravagances et la “théorie queer” suscite des débats contradictoires dans le monde académique. Il faut s’en réjouir. Toute approche nouvelle engendre des dogmes, des excès, des attitudes ridicules, et la valorisation excessive du sexe construit (gender, queer, etc) au détriment du sexe anatomique est aussi critiquable que l’a été pendant des décennies la réduction de l’identité sexuelle à l’anatomie, c’est-à-dire à une donnée immuable induite par la nature. On connaît les dérives de ce “naturalisme” fort bien critiqué en France par Elisabeth Badinter. C’est sans aucun doute par référence à cette “théorie queer” et à ses minuscules dérives qu’a été inventée par des ignares la rumeur selon laquelle des comploteurs - adeptes de Foucault, Derrida, Lacan, Beauvoir, Bourdieu ou Freud - viseraient à pervertir les écoliers.

Pour ma part, il y a belle lurette que j’ai intégré dans mon enseignement d’historienne de la psychanalyse, les études de genre et je ne crois pas avoir fomenté le moindre complot contre l’école républicaine. N’en déplaise aux ligues fascistes. Il ne faut pas s’y tromper : l’ennemi à combattre aujourd’hui c’est la “bête immonde” dont les partisans accrochent pêle-mêle au cou de leurs enfants en bas âge, lors de leurs manifestations, des pancartes où l’on peut lire : “à bas les homos, à bas les Juifs, à bas Taubira, à bas les familiphobes, dehors les étrangers, etc…”. Je me demande ce que penseront ces enfants-là quand, parvenus à l’âge adulte, ils découvriront le spectacle de ces manifestations auxquelles, bien malgré eux, ils avaient été conviés.

03/02/2014

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IVG : une votation suisse dont on a peu parlé

par ReSPUBLICA

 

Les scrutins du dimanche 9 février en Suisse ont été largement commentés sur la question des travailleurs étrangers, mais les résultats obtenus à l’une des trois questions posées ce jour-là mérite d’être signalée, d’autant qu’il s’agit d’une bonne nouvelle dans un contexte européen actuellement préoccupant pour les droits des femmes : à la consultation d’initiative populaire concernant la suppression du remboursement des frais médicaux lors d’un avortement, la réponse des Helvètes a été non pour  69,8 % des votants.

Rappelons que pour lancer une telle consultation populaire, il faut quand même avoir recueilli 100 000 signatures en 18 mois et que cette suppression était proposée au prétexte de « responsabiliser le couple ». Deux partis seulement avaient donné des consignes de vote en faveur du non-remboursement de l’IVG : le ​Parti évangélique suisse (PEV) mais non les autres partis confessionnels et l’Union Démocratique du Centre (UDC)​​​.

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Deux documents en matière de laïcité

par ReSPUBLICA

 

1/ Le guide « Laïcité et collectivités locales » de l’Observatoire de la Laïcité

Guide_Laicite_et_collectivites_locales (.pdf)

Le combat pour la défense et la promotion de la laïcité se mène aujourd’hui à trois niveaux : européen, national et collectivités locales. Et comme c’est au niveau des collectivités locales que les entorses à la laïcité sont les plus fréquentes, du fait des pressions communautaristes et du clientélisme qui rongent notre démocratie, nous avons donc lu ce guide avec beaucoup d’intérêt, d’autant que Jean-Louis Bianco, le président de cette officine gouvernementale rattachée au Premier ministre, prétend que « la France n’a pas de problème avec la laïcité ».

Disons-le tout net, ce guide oublié le 17 décembre 2013 est très bien fait et comporte quantité de références jurisprudentielles et réglementaires. Tellement bien fait qu’au lieu de réaffirmer le principe de laïcité, il offre aux élus locaux une méthode pour contourner l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 en s’appuyant sur le Conseil d’État dont la jurisprudence anti-laïque est constante depuis 1989 (avec le leitmotiv « toute interdiction de principe est illégale mais des limites sont possibles » qui permet tous les accommodements possibles). Ainsi, plus de la moitié des notes de bas de page se rapportent au Conseil d’État. Par 5 décisions rendues simultanément en juillet 2011, celui-ci avait échafaudé une véritable théorie de contournement de l’article 2 de la loi de 1905 concernant le subventionnement. Il s’était vu malheureusement involontairement soutenu il y a un an par le Conseil Constitutionnel qui, à propos d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’Alsace-Moselle, avait refusé de hisser au niveau constitutionnel l’interdiction posée par l’article 2 de la loi de 1905 : « la République ne subventionne aucun culte ».

Jean-Louis Bianco a « obtenu la tête » de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration, et dans ce guide, il snobe le Défenseur des Droits pourtant très concerné et préoccupé par le sujet (il ne faudra donc pas s’étonner de voir la partie concernant la restauration réduite à une portion congrue).
Avec ce guide, c’est « circulez, il n’y a rien à voir » : les élus peuvent continuer leurs petits accommodements communautaristes et la jurisprudence anti-laïque est soigneusement et complaisamment présentée.

C. Gaudray

2/ La situation « concordataire » de l’Alsace-Moselle

La situation concordataire de l’Alsace-Moselle (.pdf)

Ce document dû à Claude Poggi, aujourd’hui décédé, nous a été communiqué par Monique Cabotte-Carillon (CEDEC). Bien qu’il date de 2004 et n’ait pu être actualisé, nous vous le proposons en pensant que vous y retrouverez avec plaisir l’humour de l’auteur - particulièrement dirigé contre les tentatives des églises de maintenir leur influence et leurs “prébendes” dans l’enseignement - mais surtout qu’un certain nombre d’approximations ou d’idées fausses seront dissipées par l’exposé historique.

C”est par une véritable falsification, montre C. Poggi, que la référence au Concordat reste utilisée pour expliquer la situation particulière de trois départements (aux limites différentes de ceux qui existaient en1801) alors que la volonté politique prussienne a été déterminante pour prolonger et amplifier les effets de la loi Falloux dans ces territoires. L’analyse politique de la période postérieure à 1919 dans les territoires “recouvrés” est particulièrement savoureuse, montrant les raisons d’un immobilisme appuyé sur le mensonge pour maintenir (en 1924 et 1944) une loi scolaire disparue ailleurs.

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« La circoncision est-elle une mutilation ? » (ProChoix)

par Monique Vézinet
Présidente UFAL Ile-de-France, Réseau Education Populaire

 

Voici un sujet qui n’est pas toujours traité avec calme et raison et qu’on doit féliciter la revue ProChoix d’aborder (dans son n°60, décembre 2013). Parce qu’elle relève de prescriptions religieuses, la circoncision tend en France à rester dans la sphère privée, d’autant que nous avons échappé à la vague de puritanisme qui à la fin du XIXe siècle s’est développée dans le monde anglo-saxon sous l’influence du corps médical pour en faire un remède à nombre de maux, et en particulier à la masturbation.
Dans ce dossier présenté par Fiametta Venner1 l’article du responsable des questions éthiques de l’Association française d’Urologie examine les aspects médicaux et fait au passage justice de deux idées reçues : une sexualité moins satisfaisante pour l’homme circoncis ; une protection contre l’infection par VIH (au mieux un risque de contamination moins élevé dans les zones à prévalence élevée). Le Dr Castagnola témoigne aussi de l’importance que l’acte soit réalisé dans un établissement de soins, mais il l’est alors aux frais des familles qui exercent une certaine pression sur les praticiens pour que des « raisons médicales » soient trouvées…
L’actualité du sujet provient en Europe de la décision d’un tribunal allemand, à Cologne en 2010, condamnant un médecin sur plainte des parents mais jugeant de surcroît que la circoncision pour raisons religieuses était condamnable au motif que « le droit fondamental de l’enfant à l’intégrité physique l’emporte sur les droits fondamentaux des parents ». La polémique au sein des institutions représentatives des religions juive et musulmane a été relancée avec la résolution du Conseil de l’Europe du 1er octobre 2013 sur « le droit des enfants à l’intégrité physique », qui range au rang des atteintes à cette intégrité la circoncision des jeunes garçons et invite les Etats-membres à réglementer la pratique, notamment en s’assurant que l’enfant soit en mesure d’exprimer son consentement.
Un texte très éclairant de Serge Hefez élève débat par la prise en compte de la dimension symbolique de la circoncision, signe à la fois de filiation dans la lignée paternelle et de filiation au groupe. Dès lors, une solution se dessine, déjà empruntée par certains juifs : pratiquer un rituel non sanglant d’ « alliance sans coupure » (brit shalom).
Le dossier présente aussi le mouvement dit « intactiviste » qui s’est développé en Amérique et est aujourd’hui représenté en France par le Droit au corps.

Outre les droits des enfants, une raison particulière devrait inciter les laïques et les féministes à soutenir la reconsidération de la pratique rituelle de la circoncision : c’est que celle-ci se base sur l’exaltation de la masculinité et sur la différence irrémédiable des sexes.

  1. Qui, dans le même numéro de la revue, signe un portrait cinglant d’Alain Soral, son itinéraire doriotiste, ses stratégies de communication et son business… []
Courrier des lecteurs
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Sur "Suffit-il de déclarer la guerre à la finance ?"

par ReSPUBLICA

 

Reçu à la suite du dernier édito (Respublica n°739)

Non il ne suffit pas de s’attaquer à la finance; le capitalisme doit être attaqué en son cœur : le monde des entreprises. Les partis politiques qui se disent solidaires des victimes du capitalisme en particulier donc notamment les salariés  ouvriers et employés en premier lieu, ces partis politiques  doivent porter haut et fort l’exigence de droits, nouveaux, majeurs pour ceux-ci et leurs délégués au sein de ces entreprises afin de donner confiance, de permettre  toujours à ceux-ci d’être acteurs de leur libération ; ces droits devront être inscrits dans notre constitution ; la lutte sera longue ce sera un début, il faudra poursuivre le combat ; un peu de courage les politiques ; ne laissez pas les syndicats se battre seuls !

Fred Brûlé

Cher ami, nous apprécions et relayons volontiers votre appel.
Evariste a publié cet été un éditorial esquissant les voies vers la socialisation des entreprises dont les travailleurs eux-mêmes doivent être les acteurs, auquel nous renvoyons :  http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/republique-sociale-vers-la-socialisation-des-entreprises/6911 .

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« Les Roms : la dernière cible d'un racisme autorisé ? »

par ReSPUBLICA

 

Dans le cadre de la semaine anticoloniale et antiraciste (14 février-3 mars 2014), l’association Sortir du Colonialisme et le Collectif grenoblois “La Patate Chaude” organisent une soirée le 24 février 2014 à 18h, à l’Espace Jean Dame (17 Rue Léopold Bellan, 75002 Paris), intitulée : « Les Roms : la dernière cible d’un racisme autorisé ? ».
Déroulement de la soirée :

- projection du film « Le bateau en carton » de J. Viera
- débat, avec la participation de Saïmir Mile (président de La voix des Rroms), Umberto Guerra (président de Romeurope), Etienne Liebig (écrivain, éducateur de rue) et Martin Olivera (anthropologue et coordinateur de l’association Rue et Cités)

Adresse de contact : jika@riseup.net-0685960392