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Venezuela, Ukraine, Russie et ailleurs : vers une intensification de la confrontation inter-impérialiste ?

par Évariste
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Vous avez vu les 20h de TF1,de France 2, lu la presse dominante, écouté les grandes radios. Vous savez donc qu’en Ukraine, les gentils démocrates pro-occidentaux ont gagné et que les méchants totalitaires corrompus qui regardent vers l’Est sont défaits. Vous savez aussi qu’au Venezuela, les gentils aspirants à la liberté, manifestent dans le calme et la dignité et que le pouvoir sanguinaire des bolivariens entrave ces promenades « bisounours ». Je vois d’ici certains lecteurs de ReSpublica faire la fine bouche en disant :- « On nous a déjà fait le coup en Libye, la situation actuelle étant aujourd’hui pire que sous Khadafi avec la charia, la régression du droit des femmes, la guerre civile des milices d’extrêmes droites, la régression des droits,le pouvoir d’achat en berne, il n’y a que les multinationales de l’énergie qui sont contentes, etc. »
- « On nous a fait le coup en Syrie où la force militaire dominante anti-Assad est aujourd’hui formé par l’extrême droite islamiste dans ses différentes composantes, largement soutenue par les alliés des néolibéraux, l’Arabie saoudite et la Turquie. »
Et ces lecteurs ont bien raison : au delà de l’idéologie universaliste, qui oppose les bons du camp occidental aux méchants anti-démocrates de l’Est, la réalité du rapport de forces géopolitique renvoie à des rivalités économiques.

Nous sommes dans une intensification de la guerre inter-impérialiste

Une contradiction fondamentale du mode de production capitaliste est, qu’il ne peut se développer que dans un cadre social spécifique, l’État-nation, mais qu’il doit en sortir, poussé par la loi de l’accumulation capitaliste, à la recherche de débouchés et d’argent frais. Le capitalisme a vocation à être impérialiste, d’où les inéluctables rapports de forces entre nations, qui ne sont que des rapports de compétitivité entre capitalismes, c’est-à-dire de capacités d’exploitation. La géopolitique gère ces rapports, selon une idéologie propre à chaque camp.
Ainsi, l’impérialisme occidental (piloté par les EU qui ont fini par enrôler, après la Grande-Bretagne via la finance, l’UE via son impuissance) tente d’endiguer la Russie et la Chine au nom de l’idéologie des droits de l’homme. Il le fait au nom de l’idéologie des droits de l’homme, mais partout où cet impérialisme passe (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, etc.) il fait le lit des forces les plus obscurantistes et intégristes au point de faire s’allier des ennemis de toujours (Iran-Irak par exemple). Cela ne vient-il pas de la contradiction fondamentale du mode de production capitaliste ? Ce dernier ne peut se développer que dans un cadre social spécifique, l’État-nation, mais doit en sortir (pour cause de recherche de débouchés, de baisse tendancielle du taux de profit et le besoin d’argent frais) et devenir impérialiste, d’où la géopolitique pour rendre compte des rapports de forces entre nations, c’est-à-dire des rapports de compétitivité entre capitalismes, c’est-à-dire entre capacités d’exploitation.

La réalité géopolitique est que nous vivons en direct le passage de témoin entre les EU et la Chine, comme les anciens ont vécu celui entre le Royaume-Uni et les EU dans la période fin du XIXe-première-moitié du XXe. La Russie apparaît dans le jeu comme l’équivalent de l’Allemagne d’alors, à la différence que l’Allemagne était une puissance industrielle montante, tandis que la Russie d’aujourd’hui est une puissance rentière, assise sur sa richesse gazière et pétrolière.

Quelques exemples sous nos yeux

• Ainsi, en Europe, dans la guerre civile qui se passe en Bosnie-Herzégovine, la seule chose qui fait consensus est que plus personne ne veut des accords communautaristes pro-intégristes de Dayton imposés par les forces néolibérales occidentales, accords aujourd’hui pointés comme étant l’une des causes majeures de la guerre civile. La Bosnie, c’est un système de type libanais au plein cœur de l’Europe. On ne peut pas faire plus éloigné de la République sociale que ce système usine à gaz antidémocratique. C’est le produit du traitement impérialiste de dépeçage de l’ex-Yougoslavie.

•  De même, au Venezuela, nous sommes confrontés à une stratégie de la tension en vue d’un coup d’État pro-américain. Lisez cet article de Maurice Lemoine, il le montre très bien.  Mais, cette tentative de déstabilisation s’appuie sur des difficultés économiques sérieuses. Le système bolivarien basé sur la rente énergétique n’a pas réussi à empêcher la croissance de l’écart des taux de change officiel et officieux de la monnaie bolivarienne. Cet écart a progressé fortement de 2010 à aujourd’hui. Aujourd’hui le ratio est de 9 pour 1 ce qui n’est pas rien. Bien évidemment, cela participe à l’enrichissement d’une petite minorité de Vénézuéliens et une part de plus en plus importante de l’économie se développe en fonction de cet écart. Par exemple, la grande compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA doit vendre ses devises issues des recettes au taux officiel mais doit payer ses fournisseurs au taux officieux ! D’où la nécessité de subventionner cette grande entreprise. Le gouvernement souhaite donc entrer dans un processus de taux de change unique mais qui sera au début situé entre les deux anciens taux officiel et officieux. Cela demande un pilotage fin et précis par la Banque centrale, une aide monétaire aux plus défavorisés à cause de la hausse des prix qui s’en suivra.
Mais ce n’est pas suffisant. D’aucuns proposent de passer d’une économie de rente énergétique à une économie basée sur une plus forte redistribution (le Venezuela est un des pays à fiscalité faible), d’aller plus vite dans une politique industrielle plus développée, plus diversifiée, plus haute en gamme et sans doute d’avoir une politique économique et financière visant à transformer les excès de liquidités en une épargne à long terme, sans compter la nécessité d’augmenter encore la qualité de l’enseignement, notamment des filières scientifiques et techniques. Ces propositions, quoique nécessaires, sont au mieux la copie déformée de la thèse des industries industrialisantes de Gérard Destanne de Bernis qui sous-estime la logique effrénée d’un capitalisme qui n’a pas d’autre solution que d’intensifier ses politiques d’austérité et renforcer ses menées impérialistes.Il y a donc loin de la coupe aux lèvres mais le combat continue.

•  En Ukraine, la situation est d’une grande gravité. D’abord la corruption endémique est généralisée tant du côté de l’ex-président Victor Yanoukovitch déchu que de l’ancienne première ministre Youla Timochenko, libérée de prison il y a quelques jours. Dans son indice de perception de la corruption, l’ONG Transparency International classe l’Ukraine au 144e rang sur 175 ce qui était déjà le cas avant l’arrestation de l’ex-première ministre Youla Timochenko qui a été présentée par les médias néolibéraux comme la coqueluche de Maïdan.
Les populations du Sud (la Crimée) majoritairement russophones vivent pour beaucoup dans une économie marquée par la présence massive de la flotte russe. Les populations de l’Est vivent beaucoup du commerce avec la Russie d’autant que ce commerce a bondi depuis 2009, même si la balance commerciale est défavorable aux Ukrainiens. Tandis que les populations du Nord-ouest et de la région de Kiev sont tournés vers les économies de l’UE.
Les besoins financiers à court terme de l’Ukraine (sans compter les investissements nécessaires) se chiffrent à plus de 27 milliards d’euros (35 milliards de dollars) pour les deux ans qui viennent dont plus de la moitié sont exigibles en 2014. Il va sans dire que la poursuite du prêt que la Russie avait consenti à l’Ukraine (reste environ 12 milliards de dollars) devient pour le moins hypothétique. Ce n’est pas le milliard de dollars promis par les EU et les 1,5 milliards promis par l’UE qui sont de nature à couvrir les besoins immédiats. Reste le FMI, bien que sa doctrine reste la contrepartie d’une politique d’austérité en Ukraine. Notons que, officiellement, ce fut par refus de la contrepartie exigée par les Occidentaux (la politique d’austérité) que l’ancien président déchu n’avait pas signé le plan européen.
La dette de l’Ukraine n’est pas exorbitante (43 % du PIB) mais le pays est en récession avec un abaissement du PIB de plus de 2 % en 2013. Faible industrie bas de gamme et secteur agricole développé.
Notons de plus que l’Ukraine est le pays où circule via des oléoducs la grande majorité du gaz et du pétrole russe à destination de l’Europe de l’ouest mais aussi de l’Europe du sud.
Quant aux élites politiques nouvelles présentées par les médias occidentaux, en plus du nouveau pouvoir ukrainien d’Olexandre Tourtchinov et d’Arseni Iatseniouk, proche de l’ex-première ministre, notons l’ancien champion de boxe Vitali Klitschko, chef du parti ultra-libéral Udar et l’ultranationaliste nazi Oleh Tiahnybok de Svoboda.
Que du « beau monde » qui ne résoudra pas par un coup de baguette magique la crise actuelle. D’autant qu’étant « sûrs » du soutien de l’impérialisme occidental, ces hommes ont dès les premières mesures supprimé le russe comme langue officielle, une langue parlée par 60 % de la population. Et décidé dans la même lancée une discrimination contre les langues hongroise et roumaine. Le gouvernement roumain a déjà protesté. Le député Vadim Kolesnitchenko parle de discrimination linguistique. Il est facile de prouver que les habitants russophones d’Ukraine ne sont pas des immigrés, mais des autochtones. Rien de surprenant de voir les russophones d’Ukraine demander au grand frère russe une intervention. Mais même à Lviv, bastion pro-européen en Ukraine, les militants ont, par exemple, déclaré le 26 février « journée russophone » afin de montrer leur solidarité avec les habitants des régions de l’est et du sud de l’Ukraine, à majorité russophone. Le gouvernement vacille d’où la volonté de certains de rencontrer Poutine…

Il y a de la fébrilité dans l’action d’Olexandre Tourtchinov, le nouveau président favorable à l’impérialisme occidental. Quelques jours après la réaction musclée de l’impérialisme russe, il demande au Parlement de revenir sur ce vote et modifier la loi. Sans doute, l’impérialisme occidental a-t-il été surpris de la détermination du président russe qui a planifié son action de façon très professionnelle.

Et si « l’ukrainisation » était une maladie contagieuse ?

Déjà, nous connaissons le cas de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie en Géorgie et du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan. En Moldavie, la Transnistrie, ou République moldave du Dniestr, a voté en 2006 à 97,1 % de voix en faveur du rattachement à la Russie.« Nous sommes prêts à doter la Transnistrie d’une large autonomie, sur le modèle catalan », a proposé le Premier ministre moldave Iurie Leanca. Mais le 2 février 2014, la Gagaouzie a voté d’une même voix (à 98,7 %!) en faveur du rattachement à l’Union douanière (Russie, Biélorussie, Kazakhstan) initiée par la Russie. Un caillou dans le sabot pour des autorités moldaves engagées dans un rapprochement avec l’UE.
Tout cela pour dire que la géopolitique reprend ses droits.
Au moment du déclin de l’hyperpuissance étatsunienne, de notre entrée dans un monde multipolaire et peut-être demain pourquoi pas « apolaire », tout se passe comme si les alliés impérialistes transatlantiques (États-Unis, Canada, Union européenne) avaient engagé une nouvelle politique d’endiguement (containment en anglais) contre la Russie en Europe et contre la Chine en Asie, avec des répercussions au Moyen Orient et en Afrique. Les conflits en Azerbaïdjan, en Ukraine, en Moldavie, en Géorgie, l’entrée rapide de la Bulgarie, de la Roumanie et des pays baltes dans l’Union européenne, ne sont-ils pas un sous-produit de cette nouvelle politique d’endiguement occidentale ?
La tentative du Partenariat transpacifique1 sur un projet de regroupement de 40 % du PIB mondial ne l’est-elle pas également ? Même si le TPP vient de reporter à 2015 la résolution des différends EU-Japon sur la taxation des produits agricoles importés par le Japon, idem pour l’automobile par les EU, voire des différends avec la Malaisie sur la défense par cette dernière des entreprises nationales ou encore sur la questions des brevets pharmaceutiques et des génériques pour l’accès aux médicaments pour les pays plus pauvres.
Tout ne s’explique pas par la géopolitique, mais rien ne peut s’expliquer sans elle. Il faudra sans doute à l’avenir s’intéresser plus à ces gigantesques batailles inter-impérialistes qui sont devant nous. La gauche de la gauche peut-elle devenir une gauche de gauche sans être claire sur ce sujet ? Il faut bien, à un moment, poser les questions qui fâchent…

  1. Le TPP tente de regrouper douze pays: le Japon, l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, les États-Unis et le Vietnam []
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« La gauche radicale et ses tabous. Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national » par A. Bernier

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Un livre1 à lire dans la séquence politique actuelle. Pourquoi ? Les conséquences des politiques néolibérales de droite (UMP) ou de gauche (majorité PS et EELV) deviennent de plus en plus scandaleuses. Dans la course de vitesse entre le Front national et la gauche radicale (Front de gauche et les diverses organisations trotskistes) , l’avantage tourne largement au premier. Petit à petit, un débat prend force et vigueur : Quelles sont aujourd’hui les conditions d’une transformation sociale et politique de gauche ?
Le livre d’Aurélien Bernier entre pleinement dans ce débat. Ancien responsable altermondialiste d’Attac, proche alors de Bernard Cassen et de Jacques Nikonoff, il s’est d’abord fait connaître par une analyse écologiste singulière et fort intéressante. Aujourd’hui, il estime que les trois conditions primordiales de la transformation sociale et politique pour la gauche radicale sont la sortie de l’euro, le refus du libre-échange (protectionnisme et contrôle des capitaux) et la désobéissance européenne nécessaire au retour à la souveraineté nationale.
Le premier grand intérêt de ce livre est que, sur ces trois sujets, Aurélien Bernier présente une histoire des mises en place des institutions européennes et de la zone euro, mais aussi du libre-échange en montrant à chaque fois les positionnements (ou changements de positionnement !) des différents partis. Cette description est mise en perspective avec l’histoire électorale de la période. On peut alors suivre les méandres tracés par le Parti communiste, les changements tactiques du FN, les bougés de certains trotskistes, les manques du Parti de gauche. Tout cela entraîne le flou dans le discours du Front de gauche. Avec ses conséquences sur le plan électoral puisque les électeurs ont bien compris ce qui précède.
On trouvera, page 41, une bonne analyse de la « gauche plurielle, mais libérale » du gouvernement Jospin dont le Front de gauche n’a pas encore fait une analyse critique suffisante. On trouvera plus loin une analyse critique des positions nationales d’Attac (p. 51 entre autres), des comités anti-libéraux, du PCF, qui veulent tous transformer l’Union européenne de l’intérieur alors que la majorité des citoyens (et du non de gauche !) « a compris que l’Union européenne est l’un des piliers de l’ordre néolibéral ». Comme quoi le peuple peut être en avance sur ses élites militantes sur certains points ! Mais on trouvera aussi une critique des organisations trotskistes qui rêvent d’une lutte des classes uniquement à l’échelle mondiale.
On pourrait résumer la pensée de l’auteur en disant qu’actuellement, pour les couches populaires, le Front national a trop souvent l’image du seul parti réellement anti-système. Les programmes de la gauche radicale, qui suspendent les transformations sociales en France à une impossible réforme de l’Union européenne et des institutions internationales, ne sont pas suffisamment crédibles (p.15).
A. Bernier fustige les prises de positions du Front de gauche, du NPA, de L.O. qui relèvent de l’incantation ou du rêve. Par exemple (mais l’ouvrage foisonne d’exemples) lorsqu’il est dit que la Banque centrale européenne doit être soumise à un exécutif politique démocratique ou que l’on doit agir pour des protections et des normes sociales et environnementales, lorsque que cela demande l’unanimité des 28 États de l’UE ou que cela est contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’ensemble des politiques commerciales « que les puissances occidentales mènent depuis plus 60 ans ». Bref, quand l’on ne dit pas comment on fait pour appliquer ce que l’on dit…
Il montre bien l’antagonisme de fond qu’il y a entre le nationalisme du Front national, qui ne vise qu’à perpétrer la domination de classe du patronat et de ses alliés, et ce que pourrait être la défense d’une souveraineté nationale de gauche renouant avec l’internationalisme. Il reprend là, l’idée de Bernard Cassen qui, dès la fin du siècle dernier, déclarait qu’il fallait démondialiser pour aller vers plus d’internationalisme.
Il montre très précisément les contradictions et les flous de toute une série de positions émanant des différentes organisations: PCF, PG,NPA, etc.
Il montre qu’« une partie de la gauche, écologistes et trotskistes se félicitent ouvertement du dépassement de l’État-nation, tout en critiquant les conditions libérales de ce dépassement ». Depuis la fin des années 90, les communistes l’acceptent par défaut. Et l’auteur ajoute : « Plutôt que de craindre d’être assimilée à l’extrême droite en défendant la souveraineté nationale, la gauche radicale devrait se poser la question: “comment en est-elle venue à mélanger sa voix avec celle des plus ultralibéraux pour conclure à l’obsolescence de la souveraineté nationale” ? » (p. 117). Suit une très belle énonciation des thèses de l’Italien Aurelio Percei reprises par le Club de Rome et par tous les néolibéraux de droite et de gauche qui stipulait que « les principes de la souveraineté nationale sont un des obstacles majeurs sur la voie du salut collectif de l’humanité ». Phrase que ne renierait pas une partie importante de la gauche de la gauche.
L’auteur développe avec brio l’intérêt d’une relecture de la Charte de La Havane de 1948 et de la déclaration de Cocoyoc d’octobre 1974 pour penser les futures relations internationales.
Deux annexes intéressantes sur la « chronique d’un renoncement » et sur les résultats des élections nationales sur la période 1974-2012 pour la gauche radicale et le Front national.

Chers lecteurs, chers 43.000 abonnés, comme vous n’avez pas encore vu une recension ou un article de ReSpublica sans « une critique poussée jusqu’au bout », nous n’allons pas déroger à la règle. Nous commencerons par une critique bénigne : la somme des votes abstention, vote blanc et nul,extrême droite et gauche radicale (p.133) n’a pas beaucoup de sens.
Mais nos deux principales critiques ne portent pas sur ce qui est écrit dans ce livre (que nous partageons globalement) mais sur ce qui n’est pas écrit.
D’abord, pour toute proposition, il est nécessaire de présenter la stratégie des trois politiques concomitantes (temps court, temps moyen, temps long) sans laquelle nous ne pouvons pas être crédible. Ainsi le CNR présentait-il son Plan d’action immédiate (temps court) et son Programme (temps moyen) (il manquait alors le temps long).
Par ailleurs, nous ne partageons pas l’idée que ces trois conditions suffisent à ouvrir le champ des possibles. Autant nous trouvons salutaire le développement des trois conditions présentées par l’auteur (avec une mention particulière au protectionnisme qui ne peut pas être une solution de temps long ), autant, nous n’acceptons pas qu’elles soient présentées comme surplombantes par rapport à d’autres, non présentées. Nous pensons qu’il y a une globalité de conditions nécessaires (nettement plus de trois) dont aucune n’est surplombante par rapport aux autres. La “surplombance” de ces trois conditions entraîne par exemple l’auteur à écrire page 81 que « l’échec de cette relance [de 1981-82] provient justement de l’absence de mesures protectionnistes ». Comme si c’était la seule condition manquante !
Ainsi, aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre que l’essor du néolibéralisme est principalement dû à la crise de profitabilité du capitalisme dans les pays développés, dès le début des années 70. D’où la nécessité d’engager des mesures anticapitalistes sans lesquelles rien n’est possible. Alain Badiou a, à sa façon, dit récemment dans un entretien sur Médiapart avec Aurélien Bernier que la prise du pouvoir d’État, c’est autre chose que la simple victoire électorale.
Autre exemple, on ne peut pas lutter contre les amis de Warren Buffet (une des plus grandes fortunes du monde) qui déclare : « bien sûr que la luttes des classes existe, la preuve , c’est que c’est ma classe, celle des riches, qui est en train de la gagner » sans s’appuyer sur les couches populaires et ouvrières qui représentent dans la plupart des pays développés la majorité du peuple. Alors que le vote de la gauche radicale fut le cinquième choix des ouvriers et des employés au premier tour de la présidentielle de 2012.
Autre exemple, la prise en compte du phénomène de gentrification. Autres exemples, la sanctuarisation et le développement nécessaire de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale et services publics) ou encore la nécessaire réindustrialisation du pays, ou encore une vraie égalité hommes-femmes, ou encore une socialisation progressive des entreprises ou encore de nouveaux principes républicains. Soit encore des ruptures démocratique, laïque, sociale, écologique. Et une dynamique en grand de l’éducation populaire avec ses différentes formes. Etc.
Donc, si nous partageons avec l’auteur l’énoncé des trois conditions ci-dessus, nous les jugeons insuffisantes. Car nous pensons que l’ordre du jour des années qui viennent est bien le changement global de modèle culturel, social, économique et politique.
N’empêche que nous souhaitons que vous lisiez ce livre et que nous en débattions ensuite !

  1. Publié au Seuil, janvier 2014, 176 p. Voir aussi son article “]
Santé publique
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Urgences sursaturées à Paris : suite

par ReSPUBLICA

 

Malgré le décès aux urgences de Cochin, la nouvelle direction de l’APHP maintient la ligne néolibérale

Croyez-vous que la nouvelle direction de l’APHP ait pris cet événement, survenu le 15 février à la hauteur des enjeux de santé publique ? Que nenni ! La bienséance aurait été que la commission d’enquête soit composée de médecins hors APHP. Erreur, ce sont bien deux professeurs de l’APHP qui sont nommés. Pire, ils sont en plein conflit d’intérêts, ces deux professeurs ayant un intérêt professionnel à la fermeture des urgences de l’Hôtel Dieu. Donc, bien sûr, leur rapport conclut que ce décès n’a rien à voir avec la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu.
En fait, depuis la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu début novembre, les urgences déjà sursaturées de l’hôpital Cochin sont passées de 120 patients à 160. Mais comme le précise un article du journal professionnel The Lancet de la semaine dernière, à partir d’un certain seuil, il ne suffit plus de rajouter du personnel en faisant une règle de trois comme à l’école.
La nouvelle direction réorganisée autour de M. Hirsch s’enferre et ne répond pas au communiqué de la CGT-Santé qui reste toujours d’actualité (Voir ci-après).
La question reste : est-ce que l’hôpital doit être une entreprise financièrement rentable, ou l’hôpital est-il un maillon d’une politique de santé publique, comme l’ont souhaité les résistants du Conseil national de la Résistance ?

Bernard Teper

Communiqué de presse du 20/02/2014 - Morte dans la salle d’attente de Cochin, pour avoir trop attendu ? Première morte depuis la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu 

Comme révélé par Le Parisien ce 19 février (édition papier du 20), et confirmé par un communiqué de l’APHP, le samedi 15 février 2014 alors que toutes les urgences de la capitale étaient sursaturées avec des délais de prise en charge de plusieurs heures, une patiente est décédée dans la zone d’attente des urgences de l’hôpital Cochin.

Cette patiente a été amenée dans l’après-midi par les pompiers pour une plaie du pied suite à une chute sans signe de gravité et a été examinée par l’infirmière d’accueil et d’orientation qui l’a classée en urgence relative (tri 3). Alors qu’elle patientait - depuis plus de 6 heures - en zone d’attente pour être examinée par un médecin, elle a été retrouvée, morte sur sa chaise, au milieu des autres patients à 23 h 00. Le service d’urgences de Cochin était complétement saturé, comme le sont quotidiennement toutes les urgences parisiennes depuis la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, le 4 novembre 2013.

Nous n’avons cessé de lancer l’alerte sur les risques de cette fermeture, et ses conséquences sur les autres services d’urgences parisiens. Nous n’avons cessé d’avertir que « les patients s’accumuleront dramatiquement dans des urgences bondées ». Le 1er novembre 2013, nous avions symboliquement enterré devant le Panthéon « la première victime, morte d’avoir trop attendu des soins (…), car plus on attend, plus on meurt. »

Sommes-nous face à cette réalité ? Malheureusement, nous n’en doutons pas. Indéniablement, la question se pose et mérite une réponse en toute transparence et impartialité : l’enquête interne ne devra pas se limiter aux dernières semaines. Si l’on veut juger de l’activité et de la sursaturation des urgences, notamment de Cochin, il faudra remonter avant le 4 novembre 2013, pour mettre en lumière les conséquences liées à la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu.

Démanteler l’Hôtel-Dieu, avec son service d’urgences, a privé les Parisiens d’un hôpital opérationnel et aux normes et de lits de médecine d’aval, qui font actuellement cruellement défaut, pour coucher les patients. Les services de l’Hôtel-Dieu ont été refaits à neuf à coup de millions d’euros - notamment les urgences (120.000 par an) -, le plateau technique (scanner, IRM, biologie, pharmacie), et l’hospitalisation de médecine, de psychiatrie, ophtalmologie, etc.

L’AP-HP et les acteurs en responsabilité, dont les politiques au niveau national et municipal, doivent cesser leur plan de restructuration de l’Hôtel-Dieu. Il faut arrêter de vouloir y mettre des bureaux médico-économiques à « vocation médicale » qui ne soignent pas. Il faut arrêter de sacrifier les urgences, et maintenant, les patients au centre de Paris :

• Toutes les urgences parisiennes sont saturées à plus de 200% ; ce samedi 15 février 2014, l’Hôtel-Dieu, lui, était quasiment vide suite à la décision de détourner les pompiers vers d’autres hôpitaux ; la victime aurait pu être prise en charge très rapidement à l’Hôtel-Dieu ;
• Il faut arrêter de culpabiliser les patients en les accusant de venir pour rien aux urgences : 90 % des personnes, qui y viennent, relèvent de l’urgence et non de la bobologie ; il n’y a pas d’urgences graves ou d’urgences pas graves ; la patiente décédée avait été amenée, par les pompiers, pour une plaie au pied;
• La surmortalité liée à l’attente aux urgences, prouvée par toute la littérature scientifique, est une réalité qui ne doit pas être niée ;
• La maltraitance des équipes de soins de terrain, dévouées et débordées, dans tous les hôpitaux sursaturés est inacceptable et dangereuse. Rien ne doit leur être reproché.

Pour mémoire, dans son communiqué du 30 octobre 2013, le Comité de Soutien de l’Hôtel-Dieu posait déjà une question : « Faut-il attendre un mort pour agir ? ». M. Hirsh : il faut immédiatement rouvrir les urgences de l’Hôtel-Dieu ainsi que les lits d’aval sur place, remettre les effectifs nécessaires et y ramener les pompiers et les patients ! Ne pas le faire est inconscient !

Contacts presse : Dr Gérald KIERZEK (urgentiste, 06.10.02.32.91), Dr Christophe PRUDHOMME (urgentiste, CGT Santé, 06.83.25.98.90), Guillaume GANDOIN (infirmier, 06.99.50.66.61). Pour prendre connaissance de notre projet et du suivi de nos actions, consultez notre blog : hopitalpourtous.blogspot.com

 

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Méfaits de la dioxine : un film à voir

par ReSPUBLICA

 

Samedi 22 mars 2014 à 14 h, au cinéma La Clef, 34 rue Daubenton, Paris 5e (Métro : Censier-Daubenton)

Vietnam : Agent Orange, une bombe à retardement, un documentaire de Thuy Tien Ho et Laurent Lindebrings - 2012, 57’, produit par Collectif Orchidées et Orange DiHoxyn.

Quarante ans après les derniers épandages, la dioxine continue de faire des ravages. Comment qualifier cette catastrophe humaine et écologique que vivent le Vietnam et sa population ? Au-delà du cas vietnamien, quelle est la responsabilité des Etats dans le choix des armes et de leur utilisation en cas de conflit armé ? Quelles sont les réparations possibles envers les victimes et les pays dévastés ? Le film aborde ces questions à travers des témoignages et l’analyse donnée par des scientifiques et historiens rencontrés au Vietnam, en France et aux Etats-Unis.

Débat en présence des auteurs du film Thuy Tien Ho, Laurent Lindebrings et Ho Hai Quang, avec la participation d’André Menras et le témoignage de Tran To Nga, ancienne résistante, prisonnière politique et victime de la dioxine, qui s’apprête à introduire la première plainte devant un tribunal français.

 Précédé de : André Menras, un Vietnamien, un documentaire de Dao Thanh Tung - 2012, 36’, produit par le Studio du film documentaire et scientifique du Vietnam, v.o. vietnamienne, sous-titrée en français.

A Saigon en 1970, en face du siège de l’Assemblée nationale, il hisse le drapeau du Front national de libération du Sud-Vietnam et lâche des tracts contre la guerre d’agression américaine. En 2012, il descend dans la rue avec la population saïgonaise pour manifester devant le Consulat général de Chine et défendre la souveraineté du Vietnam contre les agressions maritimes chinoises. Entre temps, un décret de 2009 du Chef de l’Etat lui avait accordé la citoyenneté vietnamienne. Portrait d’ André Menras - Ho Cuong Quyet, vietnamien tout autant que français, vietnamien parce que français.

PAF: 5 € (étudiant : 3 €) Contact : cineclub.yda@gmail.com

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"Intimité", création musicale de N. Frize, à l’usine PSA Peugeot Citroën de Saint-Ouen

par Brigitte Rémer
http://www.zerodeconduite.net/

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Homme engagé et d’engagement, observateur et acteur du monde du travail depuis de nombreuses années, travailleur de l’ombre dans les prisons, artiste taraudé par le temps et le rapport au temps, Nicolas Frize, compositeur et anthropologue sonore, comme il aime à se reconnaître, a amarré ses Musiques de la Boulangère, du nom de son laboratoire musical, à l’Usine PSA Peugeot Citroën de Saint-Ouen, devenue son quartier général pendant les deux ans de sa résidence.
Il n’en est pas à son coup d’essai dans la fréquentation des grandes entreprises. Après Renault en 98, dans un tout autre contexte, la Manufacture de Sèvres et une approche de l’hôpital, entre autre, il investit les quarante mille mètres carrés de cette usine aux charpentes de fer et aux plafonds hauts comme les voûtes d’une cathédrale, bâtie en 1847 et rachetée par M. Peugeot, en 1924.

Un anthropologue sonore

Grâce à la complicité du directeur, François Cridlig et de son équipe, Nicolas Frize rencontre bon nombre d’ouvriers, observe leur travail - ils sont ici six-cents, divisés en quatre équipes car l’usine ne s’arrête pas - et fait des entretiens avec quatre-vingts d’entre eux, d’où le titre du concert, Intimité. La personne, sa sensibilité, son intelligence, ce qu’elle fait et ce qu’elle met en jeu dans son travail, forment la trame des paroles collectées et servent le texte qu’il écrit et qui se déploie ensuite musicalement.
Ce projet fou s’inscrit dans le cadre du dialogue engagé par le compositeur avec Plaine-Commune et la Mairie de Saint-Ouen, et cherche à rapprocher l’usine de la ville en parlant non pas de production, mais des hommes et des femmes qui y travaillent, issus de trente communautés venant du Maghreb, d’Asie, d’Europe de l’Est et des Afrique(s). Il est une rencontre entre le monde musical, le monde du travail et la ville, un projet participatif basé sur les rythmiques transnationales, et porte en lui quelque chose de festif.
Des mots énoncés naît un propos musical que Nicolas Frize nourrit, dans sa rencontre avec d’autres artistes, notamment avec l’équipe de tournage qui prépare un film documentaire, et avec le photographe Nabil Boutros qui a suivi pas à pas les étapes du travail et qui expose sa vision de l’usine, depuis l’automne dernier et jusqu’au 16 février à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. (cf. Théâtre du Blog du 8 octobre).
Le concert se déroule dans trois lieux différents : l’église, l’école et l’usine, sans rapport sémantique entre eux. Toutes les pièces fabriquées à l’usine font partie, à l’état brut, des instruments, le traitement de la tôle passant par la découpe, la forme, puis l’objet fini ; elles sont suspendues comme des xylophones, ou à même le sol comme des sculptures, ou encore posées sur des tables, et prennent vie avec les percussionnistes.
L’instrumentarium de Nicolas Frize n’est conçu qu’avec des pièces de voiture - mille environ - fabriquées dans l’usine et choisies parmi celles qui tintentle mieux, et ses partitions singulières se font l’écho de la transformation des bruits de l’usine en sons, graves, médium et aigus : sonnerie de la reprise après la pause, grondements métalliques, balancements d’un capot qui se lève et se rabaisse, ou encore bruit de la presse -.

Premier mouvement : A travers

Le concert est conçu en trois mouvements et avec déambulation, un groupe de spectateurs partant de l’église du Rosaire et un autre de l’Ecole primaire Emile Zola. A l’église, le mouvement présenté s’intitule, A travers, pièce pour sept percussionnistes, flûte et contrebasse. Dans la nef, un carré délimité par des tables chargées des pièces détachées et leurs percussionnistes qui, après avoir vérifié instruments et jeux de baguettes, sont concentrés sur leur partition avec une extraordinaire qualité d’écoute des uns envers les autres. Le public s’installe à l’intérieur du périmètre, deux groupes se faisant face. Quand les premiers sons débutent tels des carillons ou des cloches venant de lointains alpages, soutenus par la contrebasse en son continu, ou appelés par la flûte, ils dialoguent et se répondent avec des sons cristallins, restant aux aguets, et déclinent différents octaves en rythmes, cadences, variations et soupirs. C’est grave et ludique à la fois.

Second mouvement : Au-dessus

A l’école primaire Emile Zola, le second mouvement, Au-dessus, met en dialogue un octuor vocal, trompette, trombone et tuba qui ont pris place sur un podium, de chaque côté du préau où le public est invité à se tenir debout, au centre. D’un côté,  les huit choristes du groupe Sequenza 9.3 dans des polyphonies intenses et douces, de l’autre, la chef de chœur qui les guide, Catherine Simonpietri. A ses côtés, un hélicon, une trompette et un trombone retiennent leur souffle.

Troisième mouvement : Il y a un chemin

C’est à l’usine PSA Peugeot Citroën où huit cent mille pièces sont fabriquées chaque jour, qu’est programmé le troisième temps de la rencontre. Les deux demi-groupes de spectateurs partis l’un de l’école, l’autre de l’église, et qui se sont croisés en traversant le cœur de ville, passant d’un lieu à l’autre, s’y rassemblent. Nicolas Frize a aménagé un immense espace sur fonds de containers jaunes et rouges, dans la zone de stockage-flux de production, dite ZOF, pour un dernier mouvement, de grande intensité.
Il y a un chemin
est une partition pour flûte, trompette, trombone, tuba, percussions, luth, contrebasse, octuor vocal, voix singulières, grand chœur, objets sonores et sons enregistrés. Professionnels et amateurs l’interprètent avec ardeur, et les salariés de l’usine, récitants de quelques soirs, portant, non plus leur bleu de travail mais une chemise ou un sweat blanc, se frayent un chemin dans la scénographie-labyrinthe, pour atteindre les micros. Face à eux et dos au public, Catherine Simonpietri, chef de chœur et Nicolas Frize, patient artisan de ces moments d’émotion, déploient leurs énergies pour guider les nombreux intervenants de ce haut plateau.
La parole des travailleurs devenue texte, et qu’ils portent eux-mêmes devant tous, collègues, familles et spectateurs, est un chant choral. « Nous avons partagé… la vie… je n’ai pas les mots, non… » disent en canon Mohamed Baoufi et Abdelaziz Blilik ; « S’asseoir, pas s’asseoir… tenir la rampe… combien de temps ? » enchainent Eric Soumpholphakdy et Malu Kabanangi ; « Je sais d’où je viens et je sens où je vais…» murmure Nathalie Santos ;  « Bonjour ! On s’est déjà vus ! » lance Paul Kouakou, et d’autres lui répondent. Il n’y a plus, à cet instant, de cariste, d’opérateur, de maintenancier, de conducteur d’installation, de metteur en caisse, d’opérateurs de qualité, plus d’outilleur ni de sertisseur, il y a un élan où chaque homme et chaque femme donne le meilleur de soi, par sa voix projetée, récitée ou chantée.

Une œuvre commune

Pour cette création musicale collective devenue œuvre commune, l’usine a partiellement stoppé son activité et suspendu son souffle, elle qui ne s’arrête jamais, brisant le rythme des trois-huit et laissant les rituels de sécurité entre parenthèses. Les spectateurs sont invités, après le spectacle, à la découvrir, dans une dernière déambulation : lignes de découpe, ballet des presses et des robots, ponts roulants et lignes de reprise, zone de reconditionnement et zone de maintenance, et au milieu, comme un mur vert, les boutures des plantes apportées par les travailleurs, petits morceaux de vie.
Au carrefour des points de production, sont exposés les dessins, partitions et photos réalisés par Nicolas Frize, comme un journal de la résidence, abstractions qui ressemblent aux estampes et paysages du Japon et que l’on retrouve dans un livret remis aux spectateurs.
Par ces expressions, comme par le journal qu’il publie depuis plusieurs années, Travails (au pluriel), le compositeur confirme sa philosophie et ses recherches sur les sons, leur résonance sociale et politique. Le corps, le langage, le temps, la discute et le collectif, sont autant de thèmes qu’il y a abordés, dans une démarche où la musique et le monde du travail se superposent, et où se fondent l’identité des personnes et l’identité des lieux.
La musique, pour Nicolas Frize « une mathématique et une esthétique de la concentration », a traversé l’usine PSA Peugeot Citroën de Saint-Ouen, comme un vol d’albatros.

Vu le 31 janvier, Usine PSA Peugeot Citroën, 23 rue du Capitaine Glarner, 93400 Saint-Ouen. www.nicolasfrize.com