Chronique d'Evariste
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Que veut dire le mot "culture" ? Que veut dire mener la bataille pour "l'hégémonie culturelle" ?

par Évariste
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Dans le langage philosophique et politique, la culture relève de l’acquis et non de l’inné. La culture est la sédimentation par couches successives d’éléments d’idéologie, dominante ou pas, qui ont fait l’histoire de la société.
Pour un groupe de personnes ou pour une nation, la culture est ce qui est commun à ce groupe de personnes ou cette nation. Il s’agit donc de l’ensemble des valeurs et des idées du groupe ou de la nation. Pour le philosophe marxiste Antonio Gramsci (1891-1937), la culture est organiquement liée au pouvoir dominant.
Pour lui, si le pouvoir bourgeois tient, c’est moins par sa « main de fer «  que par son emprise sur les représentations culturelles analogiques de la masse des travailleurs. Cette hégémonie culturelle bourgeoise sur les travailleurs amène les « dominés » à adopter la vison du monde bourgeoise comme « allant de soi » : ils seront ainsi conduits, par exemple, à accepter l’idée qu’il faut « baisser les cotisations pour augmenter la compétitivité des entreprises », qu’il faut « une concurrence libre pour aller vers le progrès », que « il faut baisser les impôts et les dépenses publiques », que « l’Etat est un mauvais gestionnaire », que « le marché s’autorégule », que « le capitalisme est la fin de l’histoire », que « ce que disent TF1 et France 2 est la vérité », que « la laïcité n’est pas un principe universel puisque le mot n’existe pas en anglais », que « la démocratie c’est uniquement le suffrage universel », que « la liberté c’est la liberté pour tous, y compris du renard dans le poulailler, que « la solidarité c’est la même chose que la charité », que « il n’y a que les patrons qui peuvent diriger », etc.
Voilà pourquoi il faut marcher sur ses deux jambes. Avec la première jambe : mener, autour des couches populaires ouvrières et employés, en travaillant à son alliance avec les couches moyennes intermédiaires, la lutte économique et politique, car c’est l’économique qui est déterminante en dernière instance. Avec la deuxième jambe : se battre pour conquérir l’hégémonie culturelle par l’éducation populaire.

La domination culturelle de la bourgeoisie s’effectue par les valeurs défendues par les églises, les partis, les organisations de travailleurs, de scientifiques, artistiques, les médias, etc. Pour « renverser la vapeur », il faut que, préalablement à la conquête du pouvoir, une nouvelle hégémonie culturelle voie le jour. Cela nécessite donc un travail culturel, idéologique, cela nécessite d’agir pour installer de nouvelles valeurs.Pour cela, une priorité doit être donnée à l’éducation populaire, qui est un travail culturel pour une transformation sociale et politique afin que chaque salarié et donc chaque ouvrier ou employé devienne acteur et auteur de sa propre vie. Cette éducation populaire doit principalement s’effectuer dans la société civile. Elle doit s’effectuer par la distillation des idées progressistes et révolutionnaires, d’abord dans les marges et les interstices, puis dans la société tout entière, par « un travail de taupe et de termites ». Elle appelle à combattre les intellectuels de la classe dominante, y compris ceux qui se cachent dans la gauche. Les intellectuels indépendants, mais liés organiquement aux travailleurs, se doivent d’armer la pensée de la classe populaire ouvrière et employée et de son alliée la classe moyenne intermédiaire, pour que cette alliance puisse elle-même mener la bataille idéologique et culturelle contre la bourgeoisie, son oligarchie et ses alliés.
Donc, tant que les militants et responsables politiques et syndicaux n’auront pas modifié leur façon de militer, en donnant une priorité à l’éducation populaire sous toute ses formes1, aucune transformation sociale et politique ne pourra avoir lieu. Sans quoi, ces militants et responsables politiques et syndicaux continueront à se plaindre qu’ils ne sont pas suivis, alors qu’ils ne le méritent même pas !

  1. Conférence traditionnelle, conférence interactive, conférence gesticulée, conférence populaire sans conférenciers, théâtre-image, théâtre-forum, ciné-débat, lecture d’articles et de livres, lecture-débat, flash-mob, processus de formation-recherche-action, etc. []
Combat social
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CFDT, CFTC, CGC, PS : les auxiliaires du patronat

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Les textes du patronat signés sans contrepartie se suivent et se ressemblent. Signer des compromis fait partie de la vie syndicale lorsque cela améliore des conditions de travail ou de salaire. Mais depuis quelques années, les confédérations susnommées ne signent que des textes qui n’améliorent que la vie de l’oligarchie patronale. Y aurait-il des contreparties occultes ? On peut se poser la question. Ou alors, ces syndicats sont les idiots utiles du patronat.
Le pacte dit de responsabilité en apporte témoignage. « Il vaut mieux un accord a minima que rien », selon l’un de ces syndicats. Le premier secrétaire du Parti socialiste surenchérit en disant que c’est le plus grand accord depuis le programme du Conseil national de la Résistance. Là, il faut tirer l’échelle car aujourd’hui la parole médiatique des néolibéraux de gauche ne s’appuie que sur du vent, et ce texte n’engage à rien. Rien sur la sous-traitance, rien sur les personnels « détachés » selon la directive européenne de 1996, rien sur les CDD, sur la précarité, rien sur les stages sous-payés ou non payés, rien sur les salaires, rien sur l’augmentation des droits des salariés, etc.
La nouvelle stratégie patronale est de faire signer un texte vide prévoyant d’autres textes vides pour aller plus loin dans la décentralisation - arme du patronat et des néolibéraux - et notamment négocier entreprise par entreprise là où le rapport des forces est le plus défavorable aux salariés !
Que des syndicats acceptent d’entrer de cette façon dans la stratégie patronale en dit long sur le fait qu’ils en sont devenus des filiales, et espérons-le pour eux, appointés ! On parlait en d’autres temps de valets stipendiés.

L’accord PS-CFDT-CFTC-CGC-Medef fait un cadeau sans contrepartie au patronat qui passe des 20 milliards du CICE à 35 milliards ! Ce texte décide donc une augmentation du profit des entreprises, puisque toute diminution des cotisations sociales sans contrepartie est une augmentation pure et simple du profit.
Le profit des entreprises est partagé en 4 éléments : les impôts des entreprises, les dividendes aux actionnaires, l’investissement aux entreprises et le financement de l’économie parallèle via les paradis fiscaux. Comme depuis 30ans, les impôts et l’investissement des entreprises a fortement baissé, un élève de 6e de collège est capable de comprendre ce qui a augmenté, contrairement aux bac +35 du néolibéralisme, qui semblent avoir du mal à le comprendre.

Certes le texte prévoit d’ « ouvrir des discussions en vue d’aboutir à un accord, précisant des objectifs quantitatifs et qualitatifs en termes d’emploi »… Mais il ajoute que « La réalisation des objectifs dépendra dans ce domaine de l’engagement de l’État et des Régions… Une concertation pourra être ouverte à ce titre… ». Vous avez compris ? Le patronat et ses alliés (PS-CFDT-CFTC-CGC) écrivent que ce qu’ils écrivent ne dépend  pas d’eux mais de la puissance publique !
Mais il ajoute que « la réalisation des objectifs dépendra dans ce domaine de l’engagement de l’État et des Régions… Une concertation pourra être ouverte à ce titre… ». Vous avez compris ? Le patronat et ses alliés (PS-CFDT-CFTC-CGC) écrivent que ce qu’ils écrivent ne dépend pas d’eux mais de la puissance publique !

Alors que ce gouvernement prépare un niveau de baisse des dépenses jamais réalisée, tant de la puissance publique que de la protection sociale et de l’ensemble des collectivités locales (baisse des dotations). Quel sommet de travail intellectuel de la part du patronat et de ses alliés !
Suit un florilège de vœux très pieux en dehors du projet de décentralisation des décisions et de l’application intégrale du programme patronal par la stratégie de la grenouille chauffée1 :
- « … il est demandé aux branches… dans un délai cohérent avec la trajectoire pluriannuelle du pacte de responsabilité… de prendre en compte la montée en compétences des salariés dans le cadre de leur négociation sur les classifications »,
- le dialogue social « est un des éléments de méthode pour réussir le pacte de responsabilité »,
- « la simplification et l’amélioration du fonctionnement des institutions représentatives du personnel (IRP)… et notamment la mise en œuvre de la base de données uniques ». Derrière cette phrase alambiquée, nous voyons venir la diminution du nombre d’élections professionnelles, la fusion des délégués du personnel et du CE, l’élévation des seuils sociaux, la diminution des informations obligatoires aux syndicats ;
- « la prise en compte de l’exercice de responsabilités syndicales dans le parcours professionnel des salariés » pour les syndicalistes dociles avec le patronat,
-  « une concertation paritaire sur le financement de la protection sociale » à condition d’accepter le processus de suppression par étapes des cotisations sociales et de la baisse des prestations,
- « un développement d’une fiscalité incitative sur l’intéressement et la participation », vieille antienne patronale qui semble ne pas lasser. Donc à la place de l’augmentation du salaire, direct ou socialisé, et de la socialisation progressive des entreprises, voilà des ersatz de salaire différé sur lesquels aucune cotisation n’est perçue et qui diminuent les impôts des entreprises. Demandez à un enfant de 6e qui gagne à ce jeu?
- « Une concertation sur le logement » sans autre précision !
- « Une méthodologie » sur la compétitivité de la France… à l’intention des branches qui le souhaiteront » . Pipeau, pipeau, pipeau !
- l’attachement à « la politique familiale du pays »… quelle que soit l’évolution du mode de financement de la branche famille de la sécurité sociale ». On supprime  35 milliards de cotisations sociales sans savoir par quoi on les remplace, on prévoit de diminuer les prestations mais on reste attachés à la « branche famille de la Sécu… » !
- ce pacte est déclaré indissociable de la baisse des prélèvements sur les entreprises, du coût du travail et de la simplification. Etc.

Derrière l’hilarité que ce florilège provoquera chez les lecteurs de ReSpublica, apparaît l’urgence d’une alliance de responsabilité avec tous ceux qui ont envie de frapper cette fourmilière néolibéralo-politico-syndicale nauséabonde. Le syndicalisme revendicatif, les partis de la gauche de la gauche (même s’ils ne sont pas encore totalement de gauche), les associations contestataires, iraient dans ce sens s’ils prenaient des initiatives d’éducation populaire sur ce texte « historique », sous la forme de lectures-débats, par exemple.

  1. La montée lente de la température de l’eau dans laquelle elle se trouve est acceptée par la grenouille jusqu’à sa mort, alors qu’elle n’accepterait pas une montée rapide de la température ! []
Economie
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Les mauvaises raisons de la baisse du chômage

par Guillaume Duval

Source de l'article

 

Commentaire de la Rédaction de ReSPUBLICA

S’inversera ? s’inversera pas ? le feuilleton sur la courbe du chômage a, un temps, beaucoup occupé les médias. Le verdict aurait dû venir avec les derniers chiffres, mais ils n’ont pas réellement tranché : selon l’Insee, le taux de chômage a baissé de 0,1 % au dernier trimestre 2013, la courbe se serait donc inversée, mais le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A inscrits à Pôle emploi, a augmenté de 8900 en janvier ! Et le ministre des Finances a conclu ce dimanche que « le chômage est stabilisé ».
L’apparente contradiction résulte de la différence de méthodologie : les deux institutions ne mesurent pas exactement la même chose. Et si l’on observe de près les chiffres de l’Insee, comme l’a fait Christian Chavagneux dans sa note que nous reprenons ci-après, on s’aperçoit qu’ils donnent une fausse image de la réalité : le taux de chômage diminue, non parce qu’il y a moins de chômeurs, mais parce qu’il y a moins de « vrais » chômeurs pris en compte par la définition officielle qu’utilise l’Insee, celle du Bureau international du chômage (BIT).
Les graphiques de Guillaume Duval montrent bien que le taux d’activité, rapport du nombre de chômeurs au nombre d’actifs (employés + chômeurs) a baissé depuis l’année 2009. Cela résulte d’une accélération de ce que l’on appelle flexion du taux d’activité, quand des personnes sans emploi et qui en souhaitent un, renoncent à le chercher activement. Ces personnes ne sont alors plus comptées comme chômeurs, et le taux de chômage baisse mécaniquement. Très honnêtement, d’ailleurs, l’Insee donne le nombre de ces personnes, dont il dit poétiquement qu’« elles constituent le halo autour de l’emploi ».
Ce phénomène n’a rien de nouveau : depuis la fin des Trente glorieuses et la montée plus ou moins régulière d’un chômage structurel, on a noté que les salariés, principalement les jeunes et les femmes, quittent le marché du travail en période de baisse de l’activité et y reviennent quand ça reprend, ce qui accentue la variation conjoncturelle autour de la tendance structurelle. Cette flexion s’est accélérée avec la crise : Le mouvement général vers la flexibilisation du marché du travail vise à réduire ce phénomène de flexion.
Ce qui est peut-être nouveau, par contre, c’est que cette flexion devienne structurelle, qu’elle se généralise à l’ensemble des actifs, là ce serait le signe que la crise de l’emploi est perçue dans toute la société, que plus personne ne croit à la reprise. Si c’est le cas, le pacte de compétitivité/responsabilité ne sera non seulement inefficace, mais ne trompera personne, mauvais temps pour les élites du système et bon pour les anti. Il faudrait peut-être qu’une vraie gauche en prenne conscience et agisse en conséquence.

Michel Zerbato

Les mauvaises raisons de la baisse du chômage

Le taux de chômage a légèrement baissé au dernier trimestre 2013, d’après l’Insee. Hélas ce n’est pas lié à une dynamique retrouvée de l’emploi mais surtout à la baisse du taux d’activité, c’est-à-dire la part des 15-64 ans qui occupe ou recherche un emploi.

L’Insee vient de publier les résultats de l’enquête emploi menée auprès des ménages au quatrième trimestre 2013. Cette enquête fait notamment apparaître une baisse de 0,1 point du taux de chômage officiel au cours de ce trimestre qui passe ainsi de 10,3 à 10,2 % en France (dont les DOM). Alors que le nombre des inscrits à Pôle emploi avait, lui, continué à croître à la fin de l’année dernière. Au final, François Hollande aurait donc bien réussi son pari d’inverser la courbe du chômage en 2013. Certes, mais c’est surtout pour de mauvaises raisons : le recul du taux d’activité des Français.

Cela fait longtemps déjà que les écarts notables entre les résultats de l’enquête emploi d’une part et les inscriptions à Pôle emploi d’autre part posent problème et suscitent des débats. Mais au-delà de ces controverses, si on prend pour base les résultats de l’enquête emploi de l’Insee, qui constitue la base officielle de la mesure du chômage en France, il apparaît surtout que la baisse intervenue fin 2013 n’est pas liée à une dynamique retrouvée de l’emploi – le taux d’emploi des Français de 15 à 64 ans est resté stable - mais surtout à la baisse de ce que l’on appelle leur taux d’activité, c’est-à-dire la part de la population comprise dans cette tranche d’âge qui occupe ou recherche un emploi : il a lui aussi reculé de 0,1 point au 4ème trimestre 2013 passant de 71,2 % à 71,1 %.

Ce phénomène est particulièrement marqué au sein de deux populations. Ce taux d’activité atteint tout d’abord un plancher historique à 37 % seulement chez les 15-24 ans, 3 points de moins qu’avant la crise. Les jeunes découragés par l’état du marché du travail, prolongent leurs études et renoncent à y tenter leur chance, ce qui contribue notablement à expliquer le recul du chômage des jeunes observé en 2013.

Parallèlement un phénomène analogue se produit chez les hommes de 29 à 45 ans dont le taux d’activité n’a quasiment jamais cessé de baisser depuis le déclenchement de la crise : il est aujourd’hui plus faible de deux points qu’avant la crise. Mais au cours du seul dernier trimestre 2013, il aurait plongé et perdu 0,5 point d’un coup selon l’Insee, contribuant ainsi à expliquer une bonne part de la baisse observée du chômage. Les hommes, plus souvent employés dans l’industrie et le bâtiment, les principaux secteurs affectés par la crise, se retirent du marché du travail à force de se heurter au mur du chômage de longue durée et de l’absence totale de perspectives d’emploi dans les secteurs correspondants à leur qualification et à leur expérience.

Bref, il y a manière et manière d’inverser la courbe du chômage et celle qui a permis selon l’Insee d’aboutir à ce résultat fin 2013 n’est à coup sûr pas la meilleure car elle implique, si la tendance se poursuivait, que des « actifs » de moins en moins nombreux doivent prendre en charge d’une manière ou d’une autre un nombre croissant d’ « inactifs » dans notre société.

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Les cotisations sont une « charge », mais pas les dividendes ?

par Michel Husson
Membre du Conseil scientifique d'Attac

 

Commentaire de la Rédaction de ReSPUBLICA

Dans sa note que nous reprenons ci-après, très instructive, Michel Husson montre bien comment l’arrêt puis le recul au tournant des années 90 du mouvement continu de socialisation du salaire correspond à un mouvement inverse de hausse de la part des dividendes dans la valeur ajoutée. Leitre de sa note indique que Michel Husson conteste que l’on tienne les cotisations sociales pour des charges mais pas les dividendes, puisque c’est bien, selon lui, la compensation de la baisse des unes par la hausse des autres qui a bloqué l’investissement.
Cette interprétation des graphiques nous semble inappropriée. Elle met sur le même pied le salaire et le profit, ce qu’il n’est pas possible de faire si on considère ce qu’est le mode de production capitaliste : de l’argent qui fait de l’argent, le profit, en versant des salaires, qui réduisent d’autant le profit qu’ils sont élevés. Dès lors, réduire les cotisations sociales, qui sont du salaire socialisé, accroît le profit. Du point de vue du capitaliste, le salaire est bien une charge et la cotisation de même.
Si la baisse des cotisations sociales ne s’est pas traduite par plus d’investissement et des créations d’emploi, c’est parce que les perspectives de profit ouvertes par l’investissement sont très faibles, et ce depuis la fin des années 60. Jusqu’au années 80, le profit est maintenu par l’inflation et la mondialisation, mais, avec Thatcher et Reagan, la « revanche des rentiers » impose la préférence pour le chômage : la baisse des salaires, directs ou socialisés, est la seule perspective de maintien du profit. La financiarisation de l’économie permet de transformer le salaire socialisé en profit distribué au capitaliste sous la forme des dividendes, car le patronat, c’est-à-dire les cadres dirigeants, trouve là le moyen de pérenniser sa fonction et de continuer à se servir grassement en bonus, retraites-chapeaux et autres golden parachutes. Notons au passage qu’aujourd’hui le capitaliste, l’ « homme aux écus » de Marx, c’est aussi, via les marchés financiers, tous les petits porteurs, dont les titulaires d’assurances-vie, PEA, etc., qu’il faut bien rémunérer un minimum. Ces petits porteurs qui croient trouver là une compensation à la désocialisation de leur salaire !
Ce que laisse entendre le titre de la note ci-dessous est que la finance est parasitaire, qu’il suffirait de s’en débarrasser pour retrouver un dynamisme économique à même de réduire le chômage et toutes les inégalités sociales. Michel Husson a raison, la baisse des charges ne créera pas d’emplois, mais pour une mauvaise raison : non pas parce que le « patronat » est un être cupide qui ne pense qu’à se gaver au lieu d’investir, mais parce que le capitalisme est malade, non pas de la finance, mais de son incapacité à créer le surplus de richesse nécessaire.

Michel Zerbato

Les cotisations sont une « charge », mais pas les dividendes ?

Note hussonet n°72, 3 mars 2014

L’une des revendications le plus constantes du patronat est la baisse des cotisations sociales, qu’il baptise « charges ». Cette baisse aurait de multiples vertus puisqu’elle permettrait de restaurer la compétitivité et de créer des emplois.
Si tel était le cas, l’économie française aurait dû gagner en compétitivité et en emploi car les cotisations sociales sont en baisse continue depuis près de 20 ans.
Le graphique 1 ci-dessous illustre l’évolution à long terme du taux apparent de cotisations sociales. Il est calculé comme la part des cotisations sociales dans le total des rémunérations versées par les sociétés non financières1.
Cette évolution peut être lue comme l’histoire de la socialisation du salaire en France :

  • elle progresse régulièrement à partir de 1950, et cela pendant 40 ans ;
  • cette progression est stoppée à partir du début des années 1990 ;
  • le recul commence à partir du milieu des années 1990.

Les points rouges marquent deux temps forts de l’intervention de la gauche gouvernementale : en 1989, c’est elle qui bloque la progression de la courbe ; et c’est elle encore qui prolonge la politique d’exonérations mise en oeuvre par la droite à partir de 1993, notamment avec la hausse du taux de CSG qui - après avoir peu à peu augmenté depuis sa création en 1991 - passe de 3,71 en 1997 à 7,60 en 1998.

 

Graphique 1 - Taux apparent de cotisations sociales 1950-2012
En % de la masse salariale des sociétés non financières. Source : Insee

Les mesures d’exonérations initiées en 1993 sont l’une des principales modalités de la baisse des cotisations sociale. Ces exonérations représentent aujourd’hui près de 25 milliards d’euros, dont la majeure partie (90 %) est compensée auprès de la Sécurité sociale, ce qui représente donc une charge de 22 milliards d’euros pour le budget de l’Etat (graphique 2). La période de crise conduit à un recul des exonérations qui s’explique notamment par le fait que les emplois supprimés sont ceux dont les salaires bénéficiaient d’exonérations proportionnellement plus importantes.

 

Graphique 2 - Exonérations de cotisations sociales 1992-2012
Source : Acoss

Au cours des deux dernières décennies, le recul de la part des cotisations sociales dans la valeur ajoutée a permis de compenser une légère progression de celle des salaires nets, de telle sorte que la part des salaires totale (la somme des deux) a pu rester relativement constante (graphique 3).

 

Graphique 3 - Salaires nets et cotisations sociales 1950-2012
En % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Source : Insee

Ce recul des cotisations sociales à partir du milieu des années 1980 a eu comme principale contrepartie l’augmentation de la part des dividendes nets versés dans la valeur ajoutée (graphique 4). Ce graphique fait apparaître une très nette corrélation inverse sur longue période. La montée de l’Etat social s’était faite au détriment des actionnaires, sa remise en cause se fait à leur profit.

Graphique 4 - Cotisations sociales et dividendes 1950-2012
En % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Source : Insee

Sur les trois dernières décennies, le recul de la part des cotisations sociales n’a pas conduit à un plus grand dynamisme e l’investissement mais à une progression continue des dividendes (graphique 5).

 

Graphique 5 - Cotisations sociales, investissement et dividendes 1980-2012
En % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Source : Insee

  1. Les cotisations sociales employeurs proviennent du compte des sociétés non financières (SNF). Les cotisations sociales des salariés des SNF sont estimées à partir d’un taux apparent calculée sur l’ensemble des ménages. []
Médecine du Travail
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Santé au travail : constat d'un désastre

par Collectif des médecins du travail de Bourg-en-Bresse

 

Sous le titre “Le désastre”, témoignages à l’appui, un collectif de médecins du travail de l’Ain témoigne, dans son rapport 2013, d’une nouvelle aggravation de la situation en entreprise.
Lire leur rapport annuel.

EXTRAITS

… Ces histoires montrent les conséquences très dommageables des mesures de la réforme juillet 2011, notamment en ce qui concerne le changement de médecin dans une entreprise; auparavant, seul l’accord de la Commission de contrôle était requis ; actuellement le fait qu’il faille en plus l’avis du Conseil d’administration (CA) introduit un déséquilibre, une dangereuse brèche et nous sommes tentés de penser que ceci n’a pas d’autre objectif que de brouiller les pistes; ceci aboutit, on l’a vu dans le cas cité, à un invraisemblable renversement de la situation dans laquelle c’est le médecin qui est accusé, et à cette incroyable solidarité du CA avec l’entreprise qui pourtant, en témoignent les constats faits par le médecin, impose à ses salariés un management très délétère et fait preuve d’acharnement contre notre consoeur….
Autre mesure très nocive de la réforme, celle concernant le choix de l’infirmière ; la réforme n’impose plus l’accord du médecin, omission coupable, autre brèche qui ouvre la voie d’une instrumentalisation de l’infirmière du côté de la gestion au service de l’entreprise.
Une réforme qui au bout du compte se confirme dans son extrême inefficacité, et pire, allant à contre-sens de la démarche d’une authentique prévention indépendante, se plaçant à la faveur de la gestion des risques et de la couverture de la responsabilité des employeurs.
Alors qu’il fallait renforcer l’indépendance du médecin et les moyens (dont le renforcement des effectifs de médecins) appuyant ses missions, qui sont celles d’un véritable ordre public social, légitimé, inscrit dans la loi républicaine, la réforme a complètement déplacé cette mission, facilitant l’embrigadement des acteurs de santé au travail par les représentants des employeurs, canalisant ainsi les ressources au service de ceux qui génèrent les risques. Elle a dépossédé les médecins de leur part spécifique médicale, diluant leurs constats de santé au travail dans un semblant de prévention que nous estimons dangereux car il passe à côté de tout ce qui peut, justement, aider les salariés à se relever.

… S’agissant du désastre frappant le monde du travail et la santé au travail, une analyse globale permet aisément de l’identifier comme faisant partie du même ensemble de désastre général engendré par les mécanismes mortifères de recherche de rentabilité maximale immédiate, de cumul de richesses et son extrême concentration, de creusement calamiteux des inégalités, de paupérisation sans fin des populations et de raréfaction des ressources de la planète.
… Nous qui témoignons depuis plus de 20 ans sur ces innombrables atteintes à la santé en rapport avec la marche en avant de cette machine infernale, il est donné de comprendre notre infini vertige quand on voit que les leçons ne sont toujours pas tirées de ces réalités affligeantes. Non seulement les leçons ne sont pas tirées dans une perspective de mise en place de mesures urgentes pour endiguer ces phénomènes délétères ; mais comme le démontrent les récits de ce rapport, on assiste à une stupéfiante fuite en avant avec les mêmes recettes, celles-là mêmes qui ont fait la preuve de leur haute nocivité pour avoir tellement défiguré le travail et les relations au travail, mais aussi l’emploi ; pour avoir engendré le creusement insensé dans les inégalités en lien avec les facteurs professionnels et du fait de la répartition très inégalitaire des richesses : autant d’éléments d’empêchement d’une saine économie et autant de mécanismes responsables de troubles sérieux à l’encontre de la cohésion sociale et de la démocratie.

A lire, à voir ou à écouter
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Le « Dictionnaire amoureux de la laïcité » d'Henri Pena-Ruiz

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Ce livre arrive à point nommé. Pour plusieurs raisons d’ailleurs. D’abord parce qu’Henri Pena-Ruiz est un intellectuel français central sur le thème de la laïcité. Ensuite parce que cet ouvrage est en lui-même la preuve du lien charnel entre le principe de laïcité et de toute pensée émancipatrice. Enfin parce que cet objet est un outil agréable et utile pour tout public1 .

Dans la confusion intellectuelle largement entretenue par les médias dominants, par les élites politiques néolibérales de droite et de gauche, mais aussi par les élites intellectuelles et de la gauche en lambeaux, rares sont ceux qui sont des points de lumière auprès desquels on peut reconstruire une pensée neuve, cohérente et émancipatrice. Henri Pena-Ruiz est l’un de ces points de lumière. Comme débatteur, comme intellectuel, comme globalisateur de la pensée. L’histoire du combat laïque depuis la fin des années 80 ne peut pas s’écrire sans lui. Comme d’ailleurs, elle ne peut pas s’écrire sans Catherine Kintzler et Eddy Khaldi et les militants qui ont mené durant cette période la bataille laïque. On le retrouve en position de combat durant toute cette période : dans les débats publics, dans l’écriture, dans la Commission Stasi, dans ses conseils, dans son éclectisme tant dans ses divers lieux d’action que dans sa propension à lier le principe de laïcité au reste de la pensée émancipatrice.

Si vous êtes comme moi, un amoureux des dictionnaires et des encyclopédies, jetez-vous sur ce livre. Si vous êtes comme moi, incapable de commencer un livre par le début ; jetez-vous sur ce livre. Si vous voulez entrevoir le lien charnel entre le principe de laïcité et une pensée vivante de notre temps, jetez-vous sur ce livre. Vous serez étonnés dans le bon sens du terme comme je l’ai été à la lecture  des plus de 250  entrées de ce dictionnaire. Vous y retrouverez toutes les entrées habituelles sur ce type de sujet que je ne vais pas, bien sûr, énumérer. Mais vous serez peut-être comme moi surpris, toujours dans le bon sens du terme, de lire les entrées « Avérroès », « Bayle », « Belaïd Chokri », « Commune de Paris », « Dostoïevski », « Locke », « Marx »,« Morale », « Respect des croyances… ou des croyants », etc. Vous y verrez une pensée précise qui ne confond pas « Antisémitisme «  avec « Antijudaïsme », « Laïcité » et « Tolérance ». Une pensée précise sur ce qu’est le « Concordat », le « Cléricalisme » et bien d’autre chose encore. Vous apprendrez des choses sur « Dante », sur « D’Holbach », sur « Diderot », sur « Spinoza ». Vous aurez enfin une entrée sérieuse sur le « Sionisme » alors que ce terme est galvaudé tant à droite qu’à gauche.

Lire ce dictionnaire, c’est faire vivre la laïcité dans son environnement global et social et non dans  une chambre à part coupé de la vraie vie.

Ai-je des critiques à faire sur ce dictionnaire. Bien sûr ! Mais vous en aurez aussi puisque vous êtes un lecteur vivant. Sur l’entrée « Cathare », je n’ai pas lu le lien avec l’idéologie déjà existante en Europe des dualistes comme par exemple avec les Bogomiles, leur critique de l’Ancien testament,etc. Je n’ai pas lu d’entrée sur Jean Zay (et ses deux circulaires qui interdisent les signes religieux et politiques à l’école en 1937), sur Buisson, sur les autres protagonistes autre que Jaurès de la bataille pour la loi de 1905, sur ceux qui ont « trahi » le combat laïque. Mais ce dictionnaire fait déjà plus de 900 pages… pour seulement 25 euros !

Lisez-le. Reposez-le pour vaquer à d’autres occupations nécessaires. Revenez-y pour y relire une entrée spécifique. Reposez-le à nouveau. Faites lire à vos amis les entrées qui vous ont marqués ! En fait, n’ayez plus peur des lectures vagabondes sans lesquels le plaisir n’est pas complet.

Merci, Henri.

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"L’expérience Blocher", de Jean-Stéphane Bron

par Jean-Jacques Mitterrand

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Vivre l’intimité de l’un des leaders suisses du Parti de la droite radicale (UDC) Union Démocratique du Centre, ou comprendre le dernier référendum qui amène la Suisse à rejeter l’autre en instaurant des quotas en matière d’immigration… C’est à cette étonnante histoire que nous invite le réalisateur Jean-Stéphane Bron en la personne de Christoph Blocher.

La Suisse est belle et le réalisateur ne se prive pas de nous la montrer étale, verdoyante et lisse…. L’image y est sage comme le film ou plus exactement comme le héros de ce thrilleur politico-financier que nous allons suivre installé à l’arrière de sa puissante limousine, de rendez-vous en meetings jusque chez lui dans l’isolement de sa propriété monumentale.
C’est là toute la saveur de cette mise en scène, l’intelligence de lier réussite sociale et populisme sans jamais se laisser aller au dénigrement, de Christoph Blocher.
Il nous le montre comme il est, c’est à dire tour à tour jovial, vampire financier, ou implacable et vicieux en politique. Un homme « simplement » amoureux du slogan la Suisse aux seuls suisses. Avec douceur nous pénétrons dans ce monde du capitalisme financier à l’américaine. Nous découvrons ce montage trouble entre finances et populisme avec ses axes nationalistes et xénophobes.

Comme le dit Jean-Stéphane Bron : « ..La politique ne s’érige plus sur un espoir ou un projet mais sur l’idée que les choses vont aller de mal en pis, que l’Europe va forcément être une mauvaise chose et cela efface un morceau de l’histoire européenne. »
Nous découvrons en Christoph Blocher, un homme habile à capitaliser tant sur le plan personnel que sur la peur et les fantasmes d’une population inquiète et en détresse d’avenir. Au détour d’une route apparaissent les affiches simplistes et mielleuses, esquisses de bruits de botte, véritable appel à la violence, à la haine, du musulman, du juif,… cette volonté de refermer le pays sur lui-même et se livrer au nom de la salubrité-sociale au pillage financier du pays.

Serge Daney, proposa en découvrant Johan Van Der Keuken, de substituer au mot documentariste celui de « documenteur » illustrant ainsi la démarche d’un cinéaste qui part en appui sur le réel sans cesser d’enfoncer le clou de la fausse transparence des images. C’est à ce travail sur la forme, produisant des images filmées conçues comme des instants de contact que nous offre Jean-Stéphane Bron dans la découverte de ce « paisible » entrepreneur.

Terminons cet article par les mots qui ponctuent la fin du film : « Les loups repeuplent l’Europe. »