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25 mai 2014 : désastre des gauches en France ! Que faire ?​

par Évariste
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ReSPUBLICA a déjà tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme1. Cette fois, il va vraiment falloir rompre avec la société du spectacle, avec les prééminences surplombantes (une idée et une seule qui permet le paradis), avec les pratiques politiques inefficaces, avec les manies et autres lubies des couches moyennes supérieures radicalisées, etc. Sur 100 électeurs, 56 n’ont pas voté, 11 ont voté FN, 9 UMP, 6 PS, 4,5 UDI, 4 EELV, 3 FdG !

Des raisons pour lesquelles les militants doivent se remettre en question

  • D’abord, l’abstention massive des couches populaires qui ont prioritairement un intérêt massif au changement : les moins de 35 ans se sont abstenus à 73 % , les chômeurs à 69 % , la classe populaire ouvrière et employée à 67 % , les personnes issues des foyers gagnant moins de 20.000 euros brut par an à plus de 70 %2.
  • La responsabilité de François Hollande et de la direction du PS est terrifiante : 58 % des électeurs de François Hollande se sont abstenus.

  • 58 % de ceux qui se sont abstenus l’ont fait soit par hostilité à l’ensemble du personnel politique, soit parce qu’ils estiment que les partis ne changeront rien à leur vie quotidienne.
  • L’ensemble des gauches a été abandonné par la classe populaire ouvrière et employée tout simplement parce que l’ensemble des gauches l’a préalablement abandonnée. Rappelons que la classe populaire ouvrière et employée pèse pour 53 % dans l’électorat (les couches moyennes intermédiaires pour 24 % ).
  • Sur les 74 députés européens élus, on ne compte qu’un ouvrier (liste PS) et un employé (liste FN). Il n’y avait aucun ouvrier et employé sur la liste du FdG.
  • Seulement 8 % des ouvriers et 16 % des employés ont voté PS. Mais aussi, seulement 5 % des employés et 8 % des ouvriers ont voté pour le Front de gauche. La messe est dite ! Nous n’aurons pas la cruauté de donner les chiffres des autres listes de gauche…

Voilà pourquoi le couple PS-EELV a perdu plus de 10 % par rapport aux élections européennes de 2009 et plus de 8 % par rapport à la présidentielle de 2012. Nous parlons du couple PS-EELV sur les questions économiques et européennes où ils sont proches et parce que ces deux partis fonctionnent électoralement par vase communicant d’une élection à l’autre.
Quant au Front de gauche, il fait le même score qu’aux européennes de 2009 mais 5 % de moins qu’au premier tour de la présidentielle. C’est l’un des plus mauvais scores de l’autre gauche sur le plan européen. Il y donc des causes franco-françaises à ce petit score.

Questionner la ligne, la stratégie et les priorités du FdG

Il devient urgent de questionner la ligne du Front de gauche (encore trop altercapitaliste, trop relativiste culturel, pas assez République sociale), la stratégie (en vue d’oser la priorité à l’éducation populaire par des formes de haut en bas mais aussi de bas en haut, d’oser le porte-à-porte, d’amener les militants politiques à agir aussi dans un syndicat ou une association pour développer une pratique plus massive, surtout dans une prochaine année sans élections).
Il ne s’agit pas « d’éclairer le peuple », mission surplombante que s’attribue trop souvent les militants politiques issus des couches moyennes intellectuelles radicalisées. Il s’agit d’abord de l’écouter de l’éclairer à sa demande et de le représenter. Quant aux priorités données aux questions sociétales, à Jérôme Kerviel et à l’écosocialisme, ce ne sont pas les priorités de la classe populaire ouvrière et employée. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler mais qu’il il faut les intégrer dans un discours cohérent et global (par exemple : lutte contre les lois du profit et de l’accumulation capitalistes plutôt que des discours du type « les pauvres contre les riches », qui rappellent la doctrine sociale de l’Église, en finir avec des discours néokeynésiens qui ne correspondent plus à la période actuelle du capitalisme), un discours qui privilégie ce qui les préoccupe : les questions de salaire et de pouvoir d’achat, de protection sociale (nécessaire pour convaincre que ce n’est pas l’étranger qui est la cause des malheurs), la zone euro, l’école et la mobilité sociale scolaire, les services publics, la démocratie et la souveraineté populaire, le protectionnisme, donc adopter une nouvelle pratique politique basée sur l’éducation populaire.

La sociologie des partis politiques

Le FN ? jeune et populaire. L’UMP ? le futur parti des retraités. Le PS ? le parti des plus de 45 ans, des fonctionnaires et des couches moyennes intermédiaires et supérieures radicalisées.
Maintenant, si on regarde les suffrages exprimés, on remarque que le FN réalise ses meilleurs scores au sein des couches fragiles de la société : ouvriers (43 %), employés (38 %), chômeurs (37 %), foyers à bas revenus (30 %), et personnes à faible niveau de diplôme (37 %). Il est également le premier parti au sein des moins de 35 ans (30 % contre 15 % au PS et 15 % à l’UMP) et des 35-59 ans (27 % contre 18 % à l’UMP et 12 % au PS). L’UMP conserve sa traditionnelle suprématie sur l’électorat de plus de 60 ans (25 % contre 21 % au FN et 17 % au PS).
Par ailleurs, 51 % des Français n’ont pas de sentiments négatifs à l’égard de de la victoire du FN : 27 % disent ainsi éprouver de « la satisfaction » et 24 % de « l’indifférence », 49 % étant « mécontents ». A droite, 22 % des électeurs UMP sont satisfaits de la victoire du FN, 34 % sont indifférents et 44 % mécontents.
En ce qui concerne la hiérarchie des enjeux, le quatuor de tête est l’immigration et le pouvoir d’achat pour 31 et 30 % , juste devant la crise dans la zone euro (27 % ) et le chômage (27 %). Malheureusement l’enquête Ipsos a découpé la protection sociale au lieu de la laisser en bloc, ce qui ne la place pas dans ce quatuor de tête.

L’UE n’apparaît plus comme protectrice

51 % des personnes interrogées considèrent en effet que « l’appartenance de la France à l’UE a aggravé les effets de la crise sur les Français ». 27 % seulement estiment à l’inverse que l’appartenance européenne de la France a « protégé les Français des effets de la crise », 22 % jugeant que cette appartenance européenne a été sans effets sur les conséquences de la crise. Ils sont 39 % à souhaiter un protectionnisme européen, 29 % un meilleur contrôle de l’immigration grâce à une police des frontières européenne, 29 % une harmonisation fiscale et 26 % un Smic européen.

Les Français favorables à l’euro mais aussi à la souveraineté nationale

Ce sont 72 % des Français qui sont favorables au maintien de la France dans la zone euro : seuls les électeurs du FN souhaitent majoritairement une sortie de l’euro. Cependant, une majorité se dégage sur l’idée de souveraineté nationale : « pour faire face efficacement aux grands problèmes des années à venir », près de deux tiers des Français considèrent « qu’il faut renforcer le pouvoir de décision national même si cela limite celui de l’Europe ». 22 % se prononcent à l’opposé pour un renforcement du pouvoir de l’Europe, 14 % estimant enfin qu’il ne faut rien changer à la répartition actuelle des pouvoirs. Cette demande de renforcement du pouvoir national est consensuelle et majoritaire dans tous les électorats, sauf celui de l’UDI.

Que faire ?

Organiser des débats stratégiques partout dans toute la France mais pas dans l’entre-soi de chaque formation politique. Ouvrir le débat, permettre la confrontation des idées, lancer des initiatives d’éducation populaire sur les questions de politique stratégique.
N’hésitez donc pas à faire venir des intervenants du Réseau Education Populaire que vous pouvez contacter par notre intermédiaire. Cela rafraîchira vos débats.
A bientôt !

  1. Voir :
    http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/leuro-les-six-positions-en-presence/6863
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/pourquoi-devons-nous-passer-dune-gauche-de-la-gauche-a-une-gauche-de-gauche/43586
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/developper-le-fatalisme-du-chacun-pour-soi-ou-rassembler-pour-vaincre-enseignements-des-municipales/70479
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/sortir-du-carcan-de-lunion-europeenne-et-la-zone-euro/81095
    ]
  2. Les chiffres utilisés dans cet article proviennent de Ipsos France. []
Europe
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Stéphane Le Foll ment sur les subventions de l'UE à l'exportation

par Jacques Berthelot
Comité scientifique d'Attac, membre, au titre de Solidarité, du Groupe consultatif de la Commission européenne sur les aspects internationaux de la PAC.

 

Version révisée par l’auteur du texte paru le 23 mai sur le blog de Médiapart.

Dans l’émission de France 2 Des paroles et des actes du 22 mai consacrée aux élections européennes, Stéphane Le Foll a répété : « Vous mentez… Il est faux de dire que l’Europe subventionne ses exportations agricoles. L’Europe ne les subventionne plus comme cela a été le cas il y a quinze ans. Il faut cesser de se culpabiliser sur quelque chose qui n’existe pas ». Ce faisant, il ne fait que reproduire le discours officiel des institutions européennes – Commission, Conseil et Parlement –, des Etats membres et des syndicats agricoles majoritaires et coopératives agricoles (Copa-Cogeca).
Mais ce sont eux et Stéphane Le Foll les menteurs, pas François Bayrou, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, qui soulignaient la responsabilité majeure de l’Union européenne (UE) dans la paupérisation des paysans d’Afrique, qui les pousse à risquer leur vie pour migrer en Europe afin d’aider leurs familles avec leurs maigres économies.

Le fond du problème est que Stéphane le Foll et la Commission européenne partent de deux définitions erronées portant sur les subventions à l’exportation et sur les aides internes ayant ou pas d’effet négatif sur les échanges. Ils ne considèrent comme subventions à l’exportation que celles accordées au niveau de l’exportateur, qui ne représentent que la partie émergée de l’iceberg des subventions de l’UE à l’exportation – et qui ont été totalement supprimées depuis le 1er juillet 2013 –, oubliant les subventions internes, celles accordées en amont aux agriculteurs, bien plus considérables et qui bénéficient aussi aux produits exportés. D’ailleurs l’organe d’appel de l’OMC a jugé 4 fois – sur les “Produits laitiers du Canada” les 3 décembre 2001 et 20 décembre 2002, sur le “Coton des Etats-Unis” le 3 mars 2005 et sur le “Sucre de l’UE” le 20 avril 2005 – que ces subventions internes bénéficiant aux produits agricoles exportés ont aussi un effet de dumping, c’est-à-dire de vente à un prix inférieur au coût de production.

Et le jugement sur le coton a précisé que les aides directes fixes des USA – soi-disant sans effet négatif sur les échanges car non liées au niveau de production ou du prix –, faussaient néanmoins les échanges car les producteurs qui les percevaient n’avaient pas une totale liberté de choix de leur production, n’ayant pas le droit de produire des fruits et légumes ou du riz sauvage. C’est l’une des raisons pour lesquelles le nouveau Farm Bill signé par Barack Obama le 7 février 2014 a définitivement supprimé les 5 milliards de dollars d’aides directes fixes. Or les interdictions ou plafonds de production sont infiniment supérieurs dans l’UE qu’aux USA, puisque des quotas limitent la production de lait jusqu’en avril 2015, la production de sucre jusqu’en 2016 et la production de vin (droits de plantation) jusqu’en 2018 et qu’il y a en outre des plafonds à la production de coton et de tabac.
Autrement dit, compte tenu de ce précédent de l’OMC sur le coton des USA, toute poursuite contre les aides directes de l’UE soi-disant sans effet négatif sur les échanges – les droits au paiement unique (DPU)1 est assurée de les considérer comme ayant des effets négatifs sur les échanges et donc astreints à réduction.

Et, comme l’UE a accepté de réduire de 70 % ce type de subventions si le Doha Round est finalisé, cela implique que les 37,7 milliards d’euros alloués aux DPU en 2012, qui ont représenté 65 % du budget agricole de l’UE, chuteraient à 11,3 milliards et signeraient la mort des agriculteurs européens puisque ces aides représentent l’essentiel de leur revenu net.

En tenant compte de toutes les aides directes internes – celles des DPU et des aides restées spécifiques à certains produits – les subventions à l’exportation de l’UE ont été de 4,9 milliards d’euros en 2012 pour les seules céréales (2,1 milliards), viandes (1,8 milliard) et produits laitiers (957 millions), avec des taux de dumping (= rapport des subventions aux exportations à la valeur des exportations) allant de 40,4 % pour la viande bovine à 23,9 % pour les céréales, 21,4 % pour les volailles et œufs, 10,9 % pour les produits laitiers et 7,8 % pour la viande de porc2. L’essentiel des subventions aux produits animaux provient d’ailleurs des aides directes aux céréales et autres aliments du bétail d’origine européenne, bien que noyé.es dans les DPU. Et, puisque l’Accord sur l’agriculture de l’OMC considère que les aides aux intrants ont des effets négatifs sur les échanges et sont donc astreintes à réduction pour les pays développés, c’est une raison supplémentaire pour considérer que les DPU ont des effets négatifs sur les échanges puisque les 14,7 milliards d’euros d’aides aux aliments du bétail d’origine européenne ont représenté 39 % des DPU en 2012.

Or 15,3 % de ces subventions à l’exportation sur les céréales, produits laitiers et viandes, soit 750 millions d’euros, ont concerné les seuls pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) auxquels l’UE veut imposer la signature des APE (Accords de partenariat économique), les obligeant à ouvrir leur marché intérieur à 80 % de ses exportations, alors même qu’elle a exclu que les APE traitent de la question cruciale des subventions agricoles qui ne pourrait être traitée qu’à l’OMC !

 

 

  1. Les DPU sont des aides directes accordées aux agriculteurs depuis 2006, égales à la moyenne de celles que chacun a perçues de 2000 à 2002 sans qu’il soit désormais obligé de produire : elles sont indépendantes (« découplées ») du niveau de production ou de prix, la seule contrainte étant de maintenir les terres en état de produire, en évitant l’embroussaillement. Comme l’UE a transféré année après année dans les DPU les aides préalablement accordées à des produits spécifiques avec obligation de production, les DPU sont devenus une véritable « boîte noire » où l’on ne sait plus quelle est la part attribuée à chaque produit. L’existence des DPU s’explique par la volonté de l’UE de les notifier dans la « boîte verte » de l’OMC correspondant aux aides non astreintes à réduction car non liées à une production, rebaptisés droits au paiement de base (DPB) pour la PAC 2014-20. []
  2. Jacques Berthelot, ]
Psychiatrie
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Autisme : courrier d'un lecteur et réponse de l'auteur

 

1/ Courrier reçu de Franck Ramus, Directeur de recherches au CNRS

Dans un article portant sur la sécurité sociale, M. Bernard Teper fait un argumentaire en 14 points. Je réponds ici au premier point qui concerne l’autisme.

Bernard Teper : « Alors qu’une étude suédoise montre que l’autisme est dû à plus de 50 % à l’acquis (et donc l’environnement), la ministre Marie-Arlette Carlotti, la Haute autorité de la santé (HAS, spécialiste des conflits d’intérêts), les Agences régionales de santé (ARS, bras armé du néolibéralisme contre la Sécurité sociale) jugent que la cause est entièrement génétique et donc décident d’éliminer toute intervention de caractère psychanalytique ou de psychothérapie institutionnelle, car d’après la ministre ces pratiques ne sont pas « consensuelles ». »

Passons sur la présentation outrancière de la HAS et des ARS, qui à elle seule décrédibilise le propos.

Il est faux que qui que ce soit considère que la cause de l’autisme est entièrement génétique, et je mets au défi M. Teper de trouver une quelconque affirmation de cette nature dans les rapports de la HAS sur l’autisme. L’estimation la plus récente donnait une héritabilité de l’autisme de 70% (Lundström S & et al., 2012), ce qui impliquait bien 30% de facteurs environnementaux, dont certains sont connus et prouvés depuis longtemps : infections ou expositions à des agents toxiques pendant la gestation (cytomégalovirus, thalidomide, acide valproïque…), prématurité et souffrance périnatale… En revanche aucune donnée connue ne permet de mettre en cause l’environnement psycho-social de l’enfant. Le fait qu’une nouvelle étude (Sandin et al., 2014) révise l’héritabilité de l’autisme à la baisse de 70 à 50% ne change rien de fondamental à notre connaissance des causes de l’autisme, ni aux traitements que l’on peut recommander.

Il est en effet faux qu’une causalité entièrement génétique (ou entièrement environnementale) exclurait tel type d’intervention, et justifierait tel autre. La connaissance de certains facteurs causatifs peut suggérer que certaines interventions pourraient être efficaces, mais ne peut suffire à le prouver. Bien des traitements ont une efficacité prouvée, bien qu’on ne connaisse pas bien les causes de la maladie ou que ces causes soient très diverses (par exemple les médicaments pour l’épilepsie ou la schizophrénie). D’autres traitements s’avèrent inefficaces, ou ont un rapport bénéfice/risque défavorable, bien qu’ils se basent sur une bonne connaissance des causes de la maladie. Seuls des recherches rigoureuses (en particulier les essais cliniques randomisés contrôlés) peuvent permettre de distinguer les premiers des derniers. C’est sur la base de tels essais cliniques, et sans préjuger des causes de l’autisme, que la HAS a recommandé certaines interventions pour l’autisme, et a jugé la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle non consensuelles, faute de la moindre évaluation les concernant.

BT : « Ne sont déclarées consensuelles que les interventions sur les conséquences de la maladie et non sur les causes. Soyons clair, agir seulement sur les conséquences, cela demande moins de financement ! »

Il s’agit là d’affirmations sans fondement. Personne n’est capable de guérir l’autisme, et encore moins d’en altérer les causes. Mais les interventions qui permettent aux enfants autistes de progresser intellectuellement, de développer leurs apprentissages, de gagner en autonomie, et de mieux s’intégrer socialement, dans la mesure où elles sont efficaces, agissent nécessairement sur des mécanismes cérébraux sous-jacents aux symptômes de l’autisme. Elles ont donc un effet sur les causes immédiates des symptômes de l’autisme, à défaut d’avoir un effet sur les causes ultimes de l’autisme.

Par ailleurs la prétention de la psychanalyse d’expliquer et a fortiori d’agir sur les causes de l’autisme est totalement imaginaire et ne repose sur aucune donnée factuelle. Cette prétention a d’ailleurs été abandonnée par tous les psychanalystes qui sont informés de la recherche scientifique sur les causes de l’autisme. Par exemple, le plus éminent représentant de la pédopsychiatrie psychanalytique de l’autisme, le Pr. Bernard Golse, tout en défendant bec et ongle les psychothérapies psychanalytiques pour l’autisme, admet sans détour qu’elles se font « sans perspective causale aucune ».

Enfin, la question du coût respectif de différents traitement est pertinente, mais secondaire par rapport à celle de leur efficacité. Les recommandations de bonne pratique de la HAS n’ont pour fondement que l’efficacité des pratiques, les considérations financières n’étant pas de son ressort. Les ARS, elles, ont pour mission notamment de vérifier que l’argent public est dépensé dans des prises en charge thérapeutiques efficaces et cohérentes, ce qui est bien la moindre des choses, y compris pour les défenseurs les plus ardents du système de sécurité sociale. Comment peut-on justifier des hospitalisations de jour d’enfants autistes facturées 600€ par jour à l’assurance maladie pour des pratiques qui n’ont aucune efficacité connue, alors qu’il existe des interventions efficaces coûtant moins cher ?

BT : « Et les pouvoirs publics refusent d’admettre que le débat scientifique n’est pas tranché . »

C’est faux. La HAS a dressé un tableau fidèle de ce que l’on sait et de ce que l’on ne sait pas sur l’autisme. Simplement, au moment de rédiger des recommandations, elle est bien obligée de se baser sur ce que l’on sait, et pas sur ce que certains affirment sans preuve (dans le cas contraire ce serait la porte ouverte à tous les charlatanismes). Les pouvoirs publics, eux, n’ont pas à avoir d’avis personnel sur les bonnes pratiques. Ils doivent simplement promouvoir et financer leur mise en œuvre, et c’est ce que tente tant bien que mal le 3ème plan autisme avec des moyens et des marges de manœuvre limités. Si les pouvoirs publics ne le faisaient pas, par exemple pour protéger un lobby de professionnels, c’est là qu’il y aurait un véritable scandale à la fois sanitaire et financier.

BT : « Le CASP qui réunit le Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi-publics et privés (SMPOP), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Syndicat des psychiatres français (SPF), le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), l’Union syndicale de la psychiatrie (USP), conteste les choix des pouvoirs publics. »

Effectivement, ces syndicats ont fait le choix corporatiste de défendre la liberté de leurs membres de faire ce qu’ils veulent sans aucune restriction et sans aucun contrôle, quoi qu’il en coûte aux patients et aux cotisants. Cette attitude a été analysée et critiquée dans divers textes, ici et par exemple. Elle n’est pas partagée par d’autres collectifs de professionnels qui aspirent à une psychiatrie moderne fondée sur la science et la raison, notamment l’AP4D, le Collectif pour une psychiatrie de progrès, et le KOllectif du 7 janvier.

BT : « Leur détermination à ne pas chercher la cause mais à se borner à agir sur les conséquences a même entraîné l’ARS d’Ile-de-France à rejeter la dépense de formation d’un montant de 80 euros (!) de deux soignants d’un centre médico-psycho-pédagogique du Val de Marne sous prétexte qu’elle s’intitulait « Le psychanalyste et l’autiste »… »

Effectivement, chacun est libre des formations qu’il suit, y compris des formations à des approches sans aucune validité scientifique, mais n’a pas à en faire supporter le coût à la collectivité. Voir la réponse du collectif Egalited à la lettre du Dr Drapier.

Références :
Lundström S, C. Z. R. M., & et al. (2012). Autismspectrum disorders and autisticlike traits: Similar etiology in the extreme endand the normal variation. Arch GenPsychiatry, 69(1), 46-52. doi: 10.1001/archgenpsychiatry.2011.144
Sandin,S., Lichtenstein, P., Kuja-Halkola, R., Larsson, H., Hultman, C. M., & Reichenberg, A. (2014). The familial risk of autism. Jama, 311(17), 1770-1777.

2/ Réponse de Bernard Teper « Quand le scientisme autistique remplace l’esprit scientifique »

Autant, nous admettons que nous aurions du être plus précis (nous reviendrons sur ce point ci-dessous), autant les arguments d’autorité de M. Franck Ramus ne tiennent aucun compte des critiques ​des méthodes utilisées par la HAS tant par ceux qui ayant participé à l’étude de la HAS dont parle Monsieur Ramus et qui se sont désolidarisés de cette étude, des études non contestés à ce jour de la revue médicale Prescrire sans compter les critiques générales de Formindep sur les conflits d’intérêts au sein de la HAS ayant notamment amené à un arrêt du Conseil d’Etat annulant une recommandation de la dite HAS.
M. Ramus déclare que notre critique de la HAS sur les conflits d’intérêts invaliderait notre propos. Nous le renvoyons aux articles suivants: http://www.gerardbapt.info/2011/05/05/le-conseil-detat-abroge-la-recommandation-de-la-has-sur-le-diabete/
http://www.formindep.org/Le-Conseil-d-Etat-abroge-la.html
http://www.formindep.org/-RECOURS-CONTRE-LES-RECOMMANDATIONS-.html

D’une façon générale, les suspicions de conflits d’intérêts ne se régleront pas par des déclarations d’autorité de quiconque, qu’il soit directeur de recherches au CNRS ou pas, mais par de nouvelles règles appliquées dans toutes ces instances.
Nous sommes obligés de relativiser les méthodes de la HAS. Car, malheureusement, la méthode que suit habituellement la’HAS a été cette fois prise en défaut. Le groupe de travail composé de professionnels qu’avait réuni la HAS a produit un argumentaire de 471 pages, dont la HAS a tiré des recommandations (60 pages), et enfin une synthèse des recommandations (8 pages). De nombreux membres du groupe de travail ont désavoué les recommandations et la synthèse qui caricaturaient la complexité du rapport initial. Au point que les professionnels de la revue PPrescrirerescrire déconseillent la lecture du guide : « Il n’est pas recevable qu’un guide labellisé par l’HAS ne retienne qu’une seule approche thérapeutique, sans mention d’une ou plusieurs autres, et présente comme solides des propositions qui ne le sont pas.» (Prescrire, n°362, p.954-955).
Ou encore que de nombreux professionnels participant à l’étude​ « ont refusé d’endosser tout ou partie des recommandations ». En effet les données d’évaluation données dans l’argumentaire « ne permettent pas de mettre en avant un type de prise en charge plus qu’un autre » (Prescrire, n°362 p.954-955 déjà cité, mais aussi n°354 p.305).
Tout notre propos est de défendre l’idée que tant qu’il n’y a pas consensus réalisé par l’ensemble de ses pairs, aucune décision politique ne doit invalider par une déclaration d’autorité scientiste une pratique thérapeutique. Les critiques des professionnels existent pourtant: http://www.uspsy.fr/IMG/pdf/HAS_haute_autorite_des_salades.pdf et http://www.uspsy.fr/Non-a-une-pensee-formee-et.html.
Cela dit, nous estimons que la question de l’autisme est complexe et ne peut être tranchée dans l’état actuel des connaissances. Il nous paraît donc illégitime de ne pas rembourser la prise en charge de 80 euros d’une formation organisée par l’un des courants de la psychiatrie.
Les syndicats de psychiatres cités dans notre premier article1 contestent le scientisme et le réductionnisme des pouvoirs publics et craignent un désinvestissement du champ de l’autisme par l’autorité sanitaire.
M. Ramus semble s’appuyer sur le Collectif pour une psychiatrie de progrès. Mais même ce collectif a dit « on peut regretter que le plan réduise les nécessaires réponses de soins à la portion congrue ». Un scénario redouté par les professionnels qui ferait sortir l’autisme du champ des maladies pour ne le considérer que comme un handicap. La présentation du plan par la secrétaire d’Etat aux handicapés alimente cette crainte.

L’affirmation « sans aucune validité scientifique » utilisée par M. Ramus est très imprudente en psychiatrie et en particulier dans le domaine de l’autisme, qui bien que le progrès des connaissances soit continu, reste une énigme. Il n’est en particuliers pas justes de nier les progrès cliniques, psychopathologiques, et psychothérapiques qui ont été faits depuis une trentaine d’années grâce aux psychanalystes. La seule position scientifique réaliste consiste à financer en parallèle des recherches d’inspirations différentes et à encourager les chercheurs à ne pas s’ignorer et à ne pas se mépriser mutuellement.

Le fait pour nous de mettre en lumière la dernière étude suédoise qui augmente la part causale de l’environnement (50 %) admise jusqu’ici mais qui précise qu’il reste des causes génétiques pour 50% est uniquement pour nous la preuve que le travail scientifique n’est pas terminé car cette étude en appelle d’autres. Contrairement à la position de M. Ramus, nous pensons que plus la part génétique est relativisée, plus l’apport des neurosciences à la connaissance d’un trouble psy doit s’inscrire dans un champ plus général des connaissances. Comme les débats scientifiques continuent, nous pensons aujourd’hui, dans ces conditions, qu’une décision d’éradication d’une pratique thérapeutique  nous paraît illégitime.
Nous sommes par contre d’accord avec M. Ramus sur le fait que l’on ne connaît pas encore tous les liens entre les causes d’une maladie et l’efficacité d’un traitement.

Quant à la citation du Pr Golse qu’il utilise, elle est trop brève et sortie de son contexte. Son caractère absolu est aussi lié à l’hypersensibilité actuelle des parents d’autistes à tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une « mise en cause » des parents. Le texte cité n’est d’ailleurs pas un article mais le résumé, forcément schématique, d’une conférence. Le Pr Golse est cependant favorable au diagnostic précoce et aux interventions psychothérapiques précoces, Impossible d’affirmer que ces interventions n’agiraient absolument pas sur des « causes immédiates ».

Quant à l’hospitalisation de jour, notre éminent directeur commet une erreur en déclarant que les hospitalisations de jour n’ont pas d’efficacité connue. Avant que celles-ci existent, une forte proportion des autistes n’accédaient pas au langage et ne développait pas de discours. Leur avenir une fois adultes était nettement plus sombre.

​M. Ramus dit aussi « qu’aucune donnée connue ne permet de mettre en cause l’environnement psychosocial de l’enfant. » Nous sommes tous en tant qu’humains soumis à l’environnement psychosocial, l’autiste, étant aussi une personne, ce qu’il semble parfois oublier, est façonné en bonne partie par son environnement, par tout ce qu’il reçoit de l’extérieur via ses voie cognitives mais aussi par son appareillage affectif. La pédopsychiatrie publique reçoit par ailleurs, sans aucune polémique toute sorte d’enfant atteint de trouble génétique pour les aider face à leur angoisse, à leur difficulté pour se faire entendre, à leur moment de déprime, à leur égarement, à leurs difficultés de comportement. Ce qui pose problème avec les approches éducatives exclusives est que l’enfant est en risque de se voir dépossédées de leurs qualités humaines singulières, non directement cataloguées comme relevant de la symptomatologie autistique.

Surtout, sur le fond, l’autisme, même s’il n’apparaît plus comme une maladie, telle les psychoses, est désormais considéré comme un trouble (du développement); de la même manière qu’on ne peut cautionner l’abord « totalitaire » que certaines écoles psychanalytiques ont voulu, jadis imposer pour la prise en charge des troubles mentaux, on ne peut ici réduire l’abord de l’autisme à une dimension strictement comportementale ou éducative.

Ainsi l’autisme, ou plus correctement les personnes présentant – et souffrant – de troubles autistiques doivent s’appréhender selon une approche polyvalente , qui ne méconnaisse ni la dimension organique, biologique ou génétique, ni la dimension psycho-dynamique qui procède au développement de chaque individu dans son milieu propre (familial, affectif, environnemental, etc.), et très précocement dans sa relation au monde dés sa naissance (les pathologies d’attachement liées à la carence de relations précoces avec la mère sont désormais acceptées comme concept universel) , sans occulter non plus la prise en compte du sujet en souffrance dont l’approche ne peut pas être qu’éducative ou « rééducative » , au risque alors de tomber dans le même totalitarisme que celui qui a pu être reproché à la psychanalyse.

Nous pensons qu’il faut se garder d’un scientisme dénué de toute réflexion critique en philosophie des sciences, qui prend son idéologie pour de la science, et en étant convaincu que la science des autres est de l’idéologie !

  1. Le CASP qui réunit le Syndicat des médecins psychiatres des organismes publics, semi-publics et privés (SMPOP), le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP), le Syndicat des psychiatres français (SPF), le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), l’Union syndicale de la psychiatrie (USP). []
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« La renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage » de David Bollier

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire. Auteur avec M. Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette » et avec C. Jousse et Ch.Prudhomme de « Contre les prédateurs de la santé ».
http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Voilà un livre (paru aux Editions Charles Léopold Mayer, 38 rue Saint-Sabin, Paris) qui devrait plaire tous ceux qui s’intéressent aux processus démocratiques et aux processus d’implication citoyenne. Même si nous pouvons tordre le nez sur des nostalgies du passé notamment sur les communs des populations indigènes relevant du précapitalisme ou sur des croyances « Bisounours » d’harmonie avec le néolibéralisme, il y a suffisamment de matériaux pour placer les communs dans une perspective anticapitaliste. Ce livre permet de resituer les biens communs par rapport aux biens publics, les communs par rapport aux services publics. Il permet de s’intéresser aux raisons qui font que les services publics aujourd’hui régressent mais que les communs se développent.

A partir des communs qui peuvent être définis par une ressource à gérer, une communauté de « commoneurs » et des règles sociales qui favorisent la coopération et le partage, nous pouvons voir le point commun des communs avec l’anticapitalisme à savoir le refus de l’enclosure capitaliste. Alors que ce livre est dédié à la promotion des communs, il nous permet cependant de comprendre la contradiction qu’il y a entre les communs et la propriété privée d’une part, comme la contradiction qui existe entre les communs et l’Etat mais aussi entre les communs et les marchés.

Pour tous ceux qui réfléchissent à un synchronisme éventuel entre les communs et les services publics dans un processus de sanctuarisation vis-à-vis des marchés et de la propriété privée, le tout dans une perspective de réelle avancée démocratique, voilà un livre qu’il faut lire.

D’abord, parce que plus d’un milliard de personnes dans le monde subsistent grâce aux communs de subsistance. Mais aussi parce que le monde actuel fabrique et développe des nouveaux communs numériques, des nouveaux communs sociaux, des nouveaux communs culturels. Pas inintéressant pour des anticapitalistes républicains laïques et sociaux de s’intéresser aussi au copyleft versus le copyright, au GNU/ Linux versus Microsoft, à Wikipedia versus les revues payantes de prestige, au mouvement de libre accès universitaire versus la marchandisation du savoir, au mouvement coopératif et mutualiste versus la propriété privée des moyens de production, du don du sang versus la marchandisation du sang, des Amap circuit court, du développement du covoiturage, au mouvement des Indignés, etc.

Comme le disaient Karl Marx, Friedrich Engels, Jean Jaurès et Antonio Gramsci, chacun à leur façon, toute transformation sociale et politique demande une bonne connaissance des pratiques sociales actuelles afin de voir sur quelles bases d’appui existantes, nous pouvons nous appuyer pour « culbuter  » le système actuel vers l’application d’un nouveau modèle politique alternatif. Car contrairement à la chanson de l’Internationale, jamais, en 2 500 ans d’histoire, on n’a fait table rase totale du passé.

Après la lecture de ce livre, on peut se poser la question de savoir si les communs dont l’ambivalence me paraît certaine ne serait pas par contre une des antichambres possibles des nouvelles pratiques intégrables dans un projet alternatif au capitalisme,  dans une République sociale une fois qu’ils seraient dégagés de la gangue du capitalisme lui-même.