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Progression de l’autre gauche en Europe et régression du Front de gauche en France : pourquoi ?

par Évariste
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Dans le dernier édito de Respublica intitulé  25 mai 2014 : désastre des gauches en France ! Que faire ?​, nous avons montré que le désastre des gauches touchait aussi le Front de gauche et plus généralement toute la gauche de la gauche française sans exception. Et pourtant, l’autre gauche progresse dans de nombreux pays européens (Portugal, Espagne, Grèce, etc.). Quelques pistes pour répondre à ce paradoxe.
En 2009, Syriza faisait 4,7 % des voix et le Front de gauche, plus de 6%. Puis les deux partis progressent. Le Front de gauche atteint plus de 11% à la présidentielle de 2012.
En 2014, Syriza est le premier parti de Grèce avec 26,57 % et le Front de gauche perd 5 %  avec un peu plus de 6%. Devant l’enthousiasme romantique des militants du Front de gauche persuadés que l’attelage du Front de gauche les amènera à la victoire, le désastre français était pourtant programmé.
D’un côté, Syriza axe toute sa campagne contre les politiques concrètes d’austérité. Pendant ce temps, la gauche de la gauche française privilégie le relativisme culturel, priorise  l’écosocialisme, et témoigne de confusion stratégique (alliée au PS en promouvant un discours de rupture). En quelques mots, Syriza se préoccupe de ceux qui souffrent quand la gauche de la gauche française a des préoccupations plus abstraites pour la classe populaire ouvrière et employée, majoritaire dans notre pays, laissant les confessions prendre une part prédominante dans le caritatif et l’associatif .
Un travail de terrain considérable a été mené par le Syriza depuis deux ans, à travers notamment son soutien aux assemblées de quartier dont l’ordre du jour n’est pas fixé par les directions des organisations (et qui ont peu à voir avec les assemblées dites citoyennes du Front de gauche, qui  sont des assemblées de militants où le public représente 10 à 15 %) et à tout un réseau de mouvements d’entraide, « Solidarité pour tous » (ainsi des « dispensaires sauvages militants » pallient en partie la baisse de l’accès aux soins dans les structures existantes de santé). Ces initiatives sont nées dans la foulée du mouvement des Indignés qui avait éclos en Grèce un an plus tôt, et sur les décombres d’une politique d’austérité dévastatrice depuis 2010.
A noter d’ailleurs, qu’en Espagne la poussée électorale de Podemos relève aussi de préoccupations concrètes relevant des Indignés. Sur le plan théorique, cela rappelle la nécessité de travailler, selon le mot de Jean Jaurès, à la double besogne : l’action immédiate comme première besogne et le projet en deuxième besogne (à noter que cette action sur le lien social est celle des islamistes dans les pays arabes, avec les succès qu’on connaît).
Séparer les deux besognes comme le fait la gauche de la gauche française, soit en ne gardant que la première, soit en ne s’intéressant qu’à la deuxième, est une impasse. Alors que le Conseil national de la Résistance avait su travailler à la double besogne : le plan d’action immédiate et le projet des « jours heureux ».

A noter encore que, dans le programme de Syriza figure la proposition de convocation d’une conférence internationale, à l’image de celle de Londres en 1953 qui avait conduit à l’effacement d’une grande partie de la dette allemande. Autre particularité, la liste de Syriza est une liste composée de nombreux militants intellectuels et associatifs et de victimes du néolibéralisme, et non seulement comme dans la gauche de gauche française uniquement des dirigeants de l’appareil bureaucratique partisan, peu liés aux « masses » comme on disait il y a quelques décennies.

En Espagne, les reculs de la droite néolibérale du Parti populaire et de la gauche néolibérale socialiste a profité à des formations anti-austérité de gauche : Podemos, Izquierda Unida ou, dans le cas de la Catalogne, à ERC-Gauche républicaine catalane (avec l’ex-président de la Generalitat – nom que porte l’exécutif de la communauté autonome – Pasqual Maragall) et de Ciutadans (Parti de la citoyenneté, qui est favorable à «un parti des citoyens et non pas des territoires», donc contre l’indépendance.
A noter que Podemos, issu du mouvement des Indignés, a autofinancé sa campagne avec une méthode participative. Son programme a surgi à la suite d’assemblées populaires. Le choix des candidats a été fait par des « primaires » auxquelles participèrent 33 165 personnes.
Et la Gauche unie triple ses voix, ce qui fait que Gauche unie + Podemos (alliance qui n’est pas faite aujourd’hui !) rivalise sur le plan électoral avec la gauche néolibérale du PSOE.
Tout cela est bien différent de la gauche de la gauche française dont la façon de faire de la politique rappelle la méthode « traditionnelle » des autres partis.

Voilà pourquoi en France, le FN en profite, alors que dans les pays où la praxis politique est différente , c’est la gauche anti-austérité (Syriza en Grèce, Podemos et Gauche Unie en Espagne) qui se développe.

Si l’autre gauche ne perce pas en France, c’est peut-être que la France n’est pas encore assez « ravagée » par la crise – pas par l’UE – pour que son autre gauche se défasse de son européisme. Les « ravagés » par l’Europe qui veulent s’exprimer autrement que par l’abstention n’ont que le vote FN, tant pis s’il est ethnique et xénophobe, le peuple ne se nourrit pas de valeurs ! Le FN aura servi aux europhiles/européistes pour faire voter en faveur de l’UE en diabolisant le vote ethnique et xénophobe, en même temps qu’il a servi à détourner sur les immigrés les effets du ravage par la crise. La droite est désormais dominée dans son propre camp par le FN, qu’elle le reconnaisse ou pas.

Protection sociale
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Onze milliards d’économies pour l’assurance maladie, ou la saignée !

par Christophe Prudhomme
Porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), membre du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (HCAAM) pour la CGT, co-auteur du livre "Contre les prédateurs de la santé".

 

Quelle est la justification de cet objectif ?

Il est toujours bon de rappeler que la sécurité sociale n’est pas en déficit mais que ses ressources sont insuffisantes. En effet au début des années 2000, la baisse du chômage avait permis d’équilibrer les comptes et aujourd’hui les économistes rappellent justement qu’une baisse du chômage de 1,5 millions permettrait d’annuler ce « déficit » du fait des rentrées de cotisations supplémentaires.

Les comptes de la sécurité sociale sont donc directement liés à la situation de l’emploi. Or depuis des années, les gouvernements successifs nous expliquent qu’il faut diminuer les « charges » des entreprises – c’est-à-dire les cotisations sociales – pour créer des emplois. Résultat, le chômage n’a cessé d’augmenter et les entreprises ont augmenté leurs marges, ce qui pourrait être un objectif si cela se traduisait par une augmentation des investissements, mais qui s’est en fait traduit par une augmentation des dividendes versés aux actionnaires.

Pour dénicher les raisons profondes de cette baisse des dépenses de santé remboursées par la sécurité sociale, il faut lire le dernier rapport du Medef sur ce thème. Il n’est pas question de baisser les dépenses de santé car elles participent à l’activité économique et à la production de richesses, et sont donc sources de profit. De fait la solution avancée par le patronat est limpide : ces 11 milliards devront être transférés sur les assurances complémentaires (en fait des sur-complémentaires et non pas la fameuse « mutuelle pour tous » chère à François Hollande) et sur le reste à charge des assurés.

Bref, un glissement progressif sur un système à l’américaine dont les conséquences sont redoutables pour la population avec un creusement massif des inégalités. Nos gouvernants devraient lire l’économiste de la santé Richard Wilkinson qui souligne preuves à l’appui que « les inégalités nuisent à tous, y compris aux plus aisés », notamment en matière de santé. Par ailleurs, le classement des USA en termes de santé de sa population confirme ce fait, puisque le pays le plus riche de la planète navigue vers la 35e place alors que ses dépenses de santé sont 50 % supérieures aux nôtres. Par contre les marchands de la santé se frottent les mains dans un secteur où les marges sont très importantes.

Les solutions proposées ne sont pas réalistes

Les solutions mises actuellement sur la table relèvent de la méthode Coué. Le meilleur exemple est celui de la chirurgie ambulatoire qui permettrait de faire soit disant 5 milliards d’économies. D’une part, la part de la chirurgie ambulatoire a déjà fortement augmentée dans de nombreux hôpitaux et les marges de progression sont donc faibles, d’autre part des gens aussi sérieux que les dirigeants de la Fédération hospitalière de France (FHF) avancent un chiffre de 500 millions d’euros d’économie au maximum. Par ailleurs, il faut savoir que si nous hospitalisons moins en chirurgie, il nous faut développer les services d’hospitalisation à domicile, fort coûteux par ailleurs, et que nous manquons de lits de prise en charge pour les personnes âgées.

De plus, l’argumentation pour l’hôpital est en contradiction avec le discours général du gouvernement qui avance la nécessité de réformes structurelles, alors que la solution actuellement mise en œuvre est celle des « coups de rabot » dans le domaine de la santé sans véritable stratégie d’ensemble. En effet, l’organisation de notre système de santé est en bout de course, avec d’un côté une médecine libérale avec une rémunération à l’acte et de l’autre côté un hôpital qui au fil du temps a été obligé de se substituer à la désorganisation du système, notamment au niveau des urgences. Sans remise à plat de cette organisation, les mesures n’atteindront pas l’objectif affiché mais par contre répondrons à celui qui semble caché par le gouvernement et préconisé désormais très ouvertement par le MEDEF: réduire le service public et la part des dépenses prises en charge par l’assurance maladie (dont les ressources sont progressivement asséchées part la fameuse « réduction des charges).

Quelles sont les alternatives ?

Au-delà d’une refonte de notre système de santé sur laquelle la CGT a avancé des propositions qui sont disponibles sur son site Internet, des mesures financières immédiates sont nécessaires.

Les premières mesures concernent les frais financiers des hôpitaux, étranglés par les banques commerciales qui leur ont notamment vendus des emprunts dits toxiques. La FHF chiffre le surcoût de ces emprunts à 1,5 milliards d’euros. Nous proposons de renégocier ces emprunts et non pas comme vient de le proposer le gouvernement d’attribuer une enveloppe prise sur le budget de la sécurité sociale pour payer les banques. Il n’est pas acceptable de continuer à payer des taux qui frôlent les 15 % pour abonder les bénéfices de ces dernières.

Le volume des emprunts hospitaliers atteint actuellement 25 milliards d’euros et la charge de remboursement est devenue intenable pour de nombreux établissements. Certains doivent être recapitalisés et les emprunts transférés auprès d’un organisme de financement public adossé à la Caisse des dépôts. Cette revendication n’est pas irréaliste, elle correspond juste à un retour en arrière de 25 ans avec une maîtrise par l’État de ses investissements.

Cette maîtrise est d’autant plus importante au regard des partenariats public-privé, comme celui de l’hôpital Sud-Francilien, qui a finalement été racheté après avoir grassement rémunéré la filiale du groupe Eiffage qui était le maître d’œuvre. De nombreuses opérations de ce genre doivent être dénouées pour ne pas grever les fonds publics pour les 25 à 30 ans à venir.

Alors que les exonérations de cotisations sociales pleuvent sur les entreprises, les hôpitaux sont eux lourdement ponctionnés. La taxe sur les salaires frôle aujourd’hui les 3 milliards d’euros. Est-il logique que l’État reprenne d’une main ce qu’il donne de l’autre ?

Par ailleurs, alors que de nombreuses entreprises bénéficient d’exonérations sur la TVA, les hôpitaux eux la paient plein pot sur leurs investissements.

Voici donc quelques propositions qui montrent que l’argent existe et que la saignée que le gouvernement veut imposer à l’hôpital relève bien d’un choix politique : il s’agit de faire basculer la partie rentable de notre système de santé vers le secteur marchand et de réserver la sécurité sociale et l’hôpital à la charité publique.

finance
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Prêts toxiques : La forfaiture du Sénat ou la honte de la République

par Patrick Saurin

 

Note de la Rédaction

La crise financière de 2007 n’en finit pas de finir, et certains épisodes parmi les plus coûteux traînent en longueur. Celui des prêts toxiques aux collectivités locales, que discute l’article ci-après de Patrick Saurin, n’est pas le moins ennuyeux pour un gouvernement pris entre des collectivités locales déjà étranglées par les transferts de charge non compensés concernant l’aide sociale et des banques en difficulté et dont il est le garant. Lui-même sans moyens, le gouvernement tente de s’en sortir en « légalisant » les pratiques des banques jugées frauduleuses par plusieurs décisions de justice à la suite de recours des collectivités locales.
P. Saurin rappelle comment cette volonté de légalisation s’est heurtée à un premier refus du Conseil constitutionnel et comment le gouvernement revient à la charge avec un nouveau projet du même esprit, donc tout aussi aventureux, mais surtout insuffisant et inefficace. Selon l’auteur, il y a surtout matière à se scandaliser de voir comment le gouvernement s’obstine à prendre le parti des banques, qui ont spéculé, contre des collectivités locales victimes.
Il y a là un rappel des faits très instructif, mais aucune « analyse concrète de la situation concrète » : pourquoi les banques ont-elles spéculé ? pourquoi ou comment les collectivités locales sont-elles tombées dans le panneau ? par pure naïveté, vraiment ? et pourquoi le gouvernement tient-il tellement à sa solution qui préserve les banques ? On ne peut pas s’en tenir à l’idée que sans le surcoût dû à la spéculation tout irait bien, parce que cela suppose que la spéculation aurait pu ne pas avoir existé. C’est ignorer la nature du capitalisme, ignorer que la spéculation financière est, après l’inflation et le chômage, la dernière solution dont il dispose pour éluder sa crise réelle.
Nous ne partageons pas l’approche globale en termes de surcoût et de dette illégitime, nous trouvons cet article trop technique par endroits, réservé aux initiés, mais il présente le grand intérêt de porter à la connaissance du public des informations pertinentes sur un sujet lourd de gros enjeux économiques et sociaux, et paradoxalement peu médiatisé. Les lecteurs qui souhaitent plus de précisions juridiques sur ce sujet pourront se reporter aux précédents articles de P. Saurin sur le site cadtm.org.

Michel Zerbato

La forfaiture du Sénat ou la honte de la République

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/patrick-saurin/280514/la-forfaiture-du-senat-ou-la-honte-de-la-republique

Comment les élus socialistes et verts amnistient les banques et sacrifient
les collectivités locales en violant les plus élémentaires principes de droit

Le mardi 13 mai 2014 restera une date honteuse dans l’histoire du Sénat, le jour où il a capitulé sans combattre face à des délinquants financiers. Lors de cette séance, les élus socialistes et verts ont adopté le projet de loi du gouvernement visant à valider rétroactivement les emprunts toxiques illégaux, car dépourvus de TEG (taux effectif global) ou dont le TEG est erroné. Ce jour-là, le Sénat a gravement failli à sa mission de « représentant des collectivités », en se faisant au contraire le représentant et le complice des banques.[2]

Pourtant, par une décision en date du 29 décembre 2013, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré le gouvernement pour un projet de loi fort proche de celui que vient de valider le Sénat. Le seul changement opéré a consisté à restreindre le champ de la validation en limitant le dispositif aux emprunts structurés des seules personnes morales de droit public[3].

Le projet de loi du gouvernement : injuste, inefficace, dommageable et anticonstitutionnel

Un projet de loi injuste

Le projet de loi est accompagné d’une étude d’impact particulièrement édifiante quant à l’ampleur du problème généré par les emprunts toxiques et à l’état d’esprit du pouvoir socialiste. Selon les rédacteurs de l’étude, le risque financier pour l’État est estimé à 17 milliards d’euros, un risque qui, du fait des montages spéculatifs des banques,  se révèle être le double de l’encours des crédits[4]. De plus, ce montant ne concerne que les 8,5 milliards d’encours toxiques de Dexia repris par la SFIL[5] car aux 17 milliards d’euros, il faut ajouter le coût du risque provenant des encours toxiques des autres banques françaises et étrangères. Au final, le risque représenté par la totalité des emprunts toxiques pour l’ensemble des acteurs publics locaux s’élève à près de 23 milliards d’euros[6], une somme à côté de laquelle les montants des fonds de soutien pour les collectivités et les hôpitaux semblent bien dérisoires[7]. En effet, le fonds de soutien aux collectivités sera alimenté à hauteur de 100 millions d’euros par an pendant 15 ans maximum tandis que le fonds de soutien pour les hôpitaux sera doté de 100 millions d’euros en tout et pour tout, ce qui représente au total pour les deux fonds 1,6 milliard d’euros et 6,4 % du coût du risque. Par ailleurs, les banques ne contribueront que pour moitié au financement de ces fonds, soit au maximum 800 millions d’euros sur 15 ans, une somme couvrant un peu plus de  3 % du coût total estimé du risque qu’elles ont généré, les 97 % restants étant à la charge des contribuables locaux et nationaux.

Les modalités de fonctionnement du fonds destiné aux hôpitaux ne sont pas connues à cette date, mais il y a tout lieu de craindre qu’elles présentent les mêmes défauts que ceux affectant le fonds de soutien aux collectivités. En effet, outre son montant significativement insuffisant, le fonds pour les collectivités limite l’aide qu’il est susceptible d’accorder à 45 % maximum du montant des indemnités de remboursement anticipé dues. Mais le plus important est que pour en bénéficier, la collectivité a l’obligation de passer une transaction avec la banque et de renoncer ainsi à toute action en justice. C’est là le point le plus contestable de ce dispositif, puisqu’il revient à entériner la possibilité pour des contractants de s’affranchir des lois et des réglementations au seul motif qu’ils en auraient convenu contractuellement.

Un projet de loi inefficace

L’entêtement obstiné du gouvernement à refuser de faire supporter par les banques les conséquences de leurs errements et de leurs malversations ne fait que conforter celles-ci dans leur sentiment de toute-puissance, d’irresponsabilité, et surtout les encourage à faire prospérer l’aléa moral pourtant cause de tant de maux. Ce n’est pas avec des fonds de soutien dérisoires et des lois de validation que l’on peut résoudre le désastre des prêts toxiques. Le choix du gouvernement est inefficace car il n’apporte aucune réponse aux difficultés financières des collectivités et des hôpitaux, il amnistie les banques alors même qu’il aurait fallu laisser la justice continuer à faire son travail en les sanctionnant.

Un projet de loi dommageable

Le choix du gouvernement socialiste de faire supporter la quasi-totalité des surcoûts par les collectivités et leurs contribuables va s’avérer désastreux. Dans un contexte de récession économique, les dotations de l’État aux collectivités vont baisser de 11 milliards d’euros entre 2013 et 2017 en application du pacte de stabilité, mais en cumulé, en intégrant toutes les réductions « la perte de recettes pour les collectivités sur 2014-2017 atteint 27 milliards d’euros » selon Alain Guenguant[8]. Si l’on ajoute à ces 27 milliards d’euros près de 23 milliards du risque financier des emprunts toxiques, c’est une coupe de 50 milliards qui serait faite dans les finances des collectivités territoriales pour les années à venir.

Un projet de loi anticonstitutionnel

Le projet de loi du gouvernement voté par le Sénat ne diffère guère du précédent projet sanctionné par le Conseil constitutionnel. Le seul changement réside dans le fait qu’il concerne désormais uniquement les emprunts structurés des personnes morales de droit public.

Mais cette limitation pose déjà problème car, en excluant les personnes de droit privé, l’égalité entre les emprunteurs n’est pas respectée, sachant que des personnes morales de droit privé exercent des missions très proches de celles exercées par des personnes morales de droit public. C’est le cas notamment des établissements de santé privés ou des sociétés anonymes de logement social.

De plus, ce projet de loi met en cause la séparation des pouvoirs en faisant obstacle au fonctionnement normal de la justice. Comme le relève fort à propos la sénatrice Marie-France Beaufils, l’article 1 du texte vise à remettre en cause la jurisprudence du département de Seine Saint-Denis contre Dexia, tandis que l’article 2 a vocation à réduire à néant la jurisprudence de Saint-Maur-des-Fossés toujours contre Dexia[9], une analyse reprise par le sénateur Éric Bocquet[10].

Enfin, une loi de validation doit obéir à « un impérieux motif d’intérêt général ». Or ce motif ne ressort pas de l’argumentation des partisans du projet de loi.  Dans les motifs à l’appui de l’article 60 du précédent projet, l’argument invoqué par le gouvernement selon lequel « la généralisation d’une jurisprudence récente, relative à des prêts structurés, risquerait […] de déstabiliser le secteur bancaire français, ce qui entraînerait à la fois une restriction de l’accès au crédit par les collectivités locales et des coûts d’intervention très élevés pour l’État actionnaire de certains de ces établissements bancaires », est difficilement soutenable. En effet, en admettant que les banques prêteuses prennent à leur charge la totalité des 23 milliards d’euros de surcoût des prêts toxiques, cette contribution est inférieure aux  25,3 milliards d’euros de résultat net annuel des 6 principaux groupes bancaires français pour l’année 2010[11]. Une telle contribution est tout à fait supportable pour les banques. Nous sommes loin d’une déstabilisation du système bancaire, sachant que ne sont considérés dans notre approche que les 6 principaux groupes français sans prise en compte des autres petits groupes bancaires français, des prêteurs étrangers et des banques de contrepartie. Pourtant, il ne serait pas incongru de réclamer une contribution aux acteurs de ces deux dernières catégories du fait de leur implication et de leur rôle dans la crise, une solution envisageable comme nous allons le démontrer plus loin. Enfin, rappelons que les 20,75 milliards d’aide apportés par l’État aux banques à la suite de la crise des liquidités survenue fin 2008 après la faillite de Lehman Brothers ont été remboursés en moins de 3 ans par les banques.

Une autre solution est possible : faire payer les banques sans faire payer l’État, les collectivités et les contribuables ! 

Avant de présenter cette solution, il est nécessaire d’expliciter le mécanisme des emprunts toxiques. Ainsi, nous allons nous apercevoir que ces montages spéculatifs concernent non pas deux mais trois parties : la collectivité emprunteuse, la banque prêteuse et, tapie dans l’ombre, la banque de contrepartie.

En associant un ou plusieurs contrats dérivés et un contrat de prêt amortissable au sein d’un seul et même produit structuré, les banques ont construit un dispositif infernal par lequel la collectivité emprunteuse vend, à son insu, une option à la banque prêteuse en échange d’un avantage bien mince : une bonification du taux durant une courte période au début du prêt, généralement de 3 ans. Cette « remise d’intérêts » correspond à la prime payée par la banque à la collectivité pour l’option que lui a vendue cette dernière. Mais en contrepartie de ce petit cadeau de départ, la banque a obtenu de loger dans le produit structuré un ou plusieurs instruments dérivés qui ont vocation à lui procurer des marges supérieures à ses marges habituelles. En effet, les options reposent sur des index variés, tels que les taux de change des monnaies, et des structures complexes qui sont des mécanismes permettant notamment de multiplier les taux d’intérêt par 2, 3, 4 voire 10. Cela explique que des collectivités se voient appliquer des taux supérieurs à 10 %, 15 %, voire 20 %. Dans un tel dispositif, la banque prêteuse ne court aucun risque car elle a pris soin de s’assurer auprès d’une autre banque, appelée banque de contrepartie, contre une évolution à la baisse du taux d’intérêt dans l’éventualité où les index se révèleraient défavorables pour elle. Moyennant une prime versée par la banque prêteuse – que celle-ci peut largement payer du fait de la majoration de ses marges – la banque de contrepartie s’engage à compenser le manque à gagner de la banque prêteuse résultant d’une évolution défavorable des taux. Ainsi, c’est la collectivité qui supporte la totalité du risque. Or de tels montages spéculatifs ne sont pas autorisés pour les collectivités. En effet, la circulaire du 15 septembre 1992 énonce que : «  les collectivités territoriales ne peuvent légalement agir que pour des motifs d’intérêt général présentant un caractère local. »
« L’engagement des finances des collectivités locales dans des opérations de nature spéculative ne relève ni des compétences qui leur sont reconnues par la loi, ni de l’intérêt général précité. Les actes ayant un tel objet sont déférés par le représentant de l’État au juge administratif, sur la base notamment de l’incompétence et du détournement de pouvoir. »[12]

Dans la mesure où ces montages proposés aux collectivités ont un caractère spéculatif[13], ainsi que l’a considéré un jugement du TGI de Paris du 24 novembre 2011, confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 juillet 2012[14], il découle que les contrats d’emprunt sont entachés d’illégalité. En conséquence, la banque de contrepartie doit être elle aussi tenue co-responsable du montage délictueux auquel elle a participé. Accepter d’exonérer des banques de contrepartie de ce type de responsabilité reviendrait à considérer légales et légitimes les garanties qu’elles pourraient apporter à des opérations réalisées par des trafiquants de drogue, à des malfaiteurs ayant des activités de blanchiment d’argent ou à des délinquants se livrant au trafic d’êtres humains. Les banques ont obligation de se renseigner sur la moralité de leurs clients et sur la licéité des opérations effectuées par ces derniers. En l’espèce, il est incontestable que les banques de contrepartie ont failli à cette obligation. Dans notre cas de figure, assigner ces banques en justice et les faire condamner permettrait de faire supporter les surcoûts des prêts toxiques de Dexia, non plus à la SFIL (et à travers elle à l’État et aux contribuables), mais aux banques de contrepartie intervenantes dans ces emprunts toxiques. Ces banques de contrepartie, parmi lesquelles on compte notamment Goldman Sachs, JPMorgan, Morgan Stanley, HSBC, Deutsche Bank, UBS, Crédit Suisse, etc., portent une lourde responsabilité dans la crise financière qui a débuté en 2007. Ce sont les mêmes qui font les gros titres des journaux depuis de nombreux mois avec la révélation de malversations et de fraudes de grande ampleur dont elles se sont rendues coupables. Ces banques qui payent actuellement des amendes considérables aux États-Unis pour solder des poursuites judiciaires à leur encontre ont tout à fait les moyens financiers de supporter les surcoûts. Les faire payer ne serait que justice. Pourquoi les politiques français priveraient-il la justice française des actions que leurs collègues politiques américains laissent mener aux juges de leur pays.

Pour ce qui est de la responsabilité politique des élus qui ont souscrit des emprunts toxiques, rappelons que c’est au moment des élections qu’ils doivent en rendre compte devant leurs électeurs. En ce qui concerne leur responsabilité civile et pénale, il existe des textes qui permettent de poursuivre personnellement les élus qui auraient commis des fautes, notamment dans des situations de prise illégale d’intérêt. Quant aux contribuables, locaux ou nationaux, ils n’ont pas à supporter les conséquences financières des emprunts risqués qu’ils n’ont pas conçus.

La honte de la République

Oui, le vote du projet de loi par les élus socialistes et verts le 13 mai dernier souille le Sénat d’une tache indélébile. Comment une institution dont la vocation est de représenter les collectivités a pu à ce point faillir en validant un projet passé en force dans une procédure accélérée et comment ne pas avoir le haut-le-cœur lorsqu’on entend Jean-Vincent Placé dire pour justifier son vote : « Soyons digne de ce renoncement. »[15]

Aujourd’hui, les parlementaires qui ont encore un peu de dignité et de respect pour les collectivités et les principes de droit ont la possibilité de se reprendre en saisissant une nouvelle fois le Conseil constitutionnel afin de faire reconnaître le caractère inconstitutionnel de cette loi de validation qui n’est rien d’autre qu’une loi d’amnistie pour les banques[16]. Mais, même si l’Assemblée nationale décidait d’adopter ce texte, ce dernier devrait encore être soumis au contrôle de conventionalité exercé par les juridictions ordinaires et la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui ont pour vocation de vérifier la conformité de la nouvelle loi à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales[17].

Enfin, rappelons qu’à côté de l’action exercée sur la base du TEG absent ou erroné, d’autres actions peuvent être engagées contre les banques sur la base du défaut d’information, du manquement au devoir de conseil ou du caractère spéculatif des contrats. Autant d’actions qui peuvent être exercées par les collectivités, mais également par les citoyens qui, grâce à la procédure connue sous le nom d’ « autorisation de plaider »[18], ont la possibilité de se substituer aux élus défaillants qui renonceraient à défendre les droits de leur collectivité.

 


Notes

[1] Patrick Saurin est porte-parole de Sud BPCE, membre du CADTM et du Collectif pour un audit citoyen de la dette publique. Il est l’auteur du livre Les prêts toxiques une affaire d’État. Comment les banques financent les collectivités locales, Demopolis & CADTM, Paris, 2013.

[2] Seuls les 21 membres du groupe communiste républicain et citoyen, 22 membres du groupe union des démocrates et indépendants et un membre du groupe rassemblement démocratique et social européen ont voté contre, la droite dans son ensemble s’est abstenue. On peut accéder au détail du vote et à l’édifiant procès-verbal relatant les échanges intervenus lors de cette réunion par le lien :
http://www.senat.fr/seances/s201405/s20140513/s20140513.pdf.

[3] Pour la critique du premier projet de loi, voir l’article : http://cadtm.org/L-article-60-du-projet-de-loi-de

[4] Sur ces 17 milliards d’euros, l’étude évalue à 10,6 milliards d’euros le risque direct représenté par la substitution du taux légal au taux d’intérêt contractuel et par le débouclage des instruments de couverture souscrits par la banque. Le risque financier indirect correspondant au surcoût occasionné par la mise en extinction de la SFIL est estimé à 7 milliards d’euros.

[5] Après le démantèlement de Dexia décidé fin 2012, le gouvernement français a décidé de créer en janvier 2013 la Société de Financement local (SFIL), une société anonyme à conseil d’administration agréée en qualité d’établissement de crédit par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP). La SFIL une structure à 100 % publique puisque son capital est détenu à 75 % par l’Etat, à 20 % par la CDC et à 5 % par la Banque Postale. Elle a hérité d’un portefeuille de 90 milliards d’euros de prêts déjà consentis à des collectivités dont 8,5 milliards d’euros d’encours toxique. Il s’agit du portefeuille de prêts de DEXMA (Dexia Municipal Agency) racheté pour l’euro symbolique.

[6] Il faut en effet prendre en compte les emprunts toxiques des autres banques. Selon le Rapport n° 4030 Emprunts toxiques du secteur local : d’une responsabilité partagée à une solution mutualisée, Dexia possédait 67,61 % des 43,96 milliards d’euros d’encours d’emprunts structurés au secteur local au troisième trimestre 2008, les 32,39 % restants étant partagés entre les autres banques (p. 37 du rapport). Si l’on considère que le coût du risque pour « déboucler » les instruments de couverture souscrits représente ce même pourcentage du risque total, sachant que la SFIL et Dexia devraient provisionner 10,6 milliards d’euros d’encours selon l’étude d’impact, on peut estimer à plus de 5 milliards le risque porté par les autres banques, ce qui donne un total de risque de près de 23 milliards d’euros (10,6 + 5 + 7 du fait de la mise en extinction de la SFIL). Notons ici que si elle était adoptée, la loi de validation ferait bénéficier les banques privées françaises et étrangères d’un effet d’aubaine de plus de 5 milliards d’euros.

[7] Le conseil des ministres du 23 avril a annoncé la mise en place d’un dispositif de soutien aux hôpitaux publics que le gouvernement avait exclu du fonds de soutien pour les collectivités.

[8] Alain Guengant, « Les collectivités locales vont perdre 27 milliards d’euros de recettes d’ici à 2017 », La Gazette des communes, des départements, des régions, n° 21/2223, 26 mai 2014, p. 13.

[9] Sénat, Journal officiel de la République française, compte rendu intégral, séance du mardi 13 mai 2014, p. 3865, consultable par le lien : http://www.senat.fr/seances/s201405/s20140513/s20140513.pdf

[10] Ibid., p. 3885.

[11] http://www.acp.banque-france.fr/uploads/media/201306-situation-grands-groupes-bancaires-francais-2012.pdf

[12] Circulaire n° NOR : INTB9200260C du 15 septembre 1992, p. 7. Cette disposition est reprise quasiment mot pour mot par la circulaire n° NOR : IOCB1015077C du 25 juin 2010.

[13] Voir l’article : http://cadtm.org/Pourquoi-les-emprunts-toxiques

[14] Dans ces deux décisions, les juges ont considéré que l’absence de plafond pour un taux variables suffisait pour conférer à un prêt un caractère spéculatif. Sur les décisions de justice en matière d’emprunts toxiques, voir les articles : http://cadtm.org/IMG/pdf/Note_sur_les_prets_toxiques.pdf, et http://cadtm.org/Emprunts-toxiques-Les-banques-une

[15] Sénat, Journal officiel de la République française, compte rendu intégral, séance du mardi 13 mai 2014, p. 3869, consultable par le lien : http://www.senat.fr/seances/s201405/s20140513/s20140513.pdf

[16] Un certain nombre de juristes pensent, comme nous, que le nouveau texte est tout aussi anticonstitutionnel que celui censuré par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2013. C’est le cas notamment de Julien Moreau, Olivier Poindron et Bruno Wertenschlag, du cabinet Seldon Finance pour qui « le nouveau texte semble présenter les mêmes vices que le précédent ». Cf. leur article du 25 avril 2014 : « Nème tentative de « validation » législative : un nouveau coup d’épée dans l’eau ? », accessible par le lien : http://www.seldon-finance.com/neme-tentative-de-validation-legislative-nouveau-coup-depee-dans-leau-par-le-cabinet-fidal/

[17] Julien Moreau, Olivier Poindron et Bruno Wertenschlag, op. cit.

[18] Pour une présentation de cette procédure, voir la note : http://cadtm.org/Une-solution-pour-sortir-de-la

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Créteil 2014, 36 ans : un festival des films de femmes en pleine forme

par Jean Rabinovici
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En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Du 14 au 23 mars dernier le Festival International des Films de Femmes s’est à nouveau emparé de la Maison des Arts de Créteil avec l’aide de sa salle de cinéma et partenaire La Lucarne de la MJC du Mont-Mesly. Jackie Buet à la tête de son équipe, directrice et animatrice, a proposé une programmation riche et diverse. La venue en invitée d’honneur de Kate Millett sur les dix journées du festival marquait l’importance qu’elle attachait à cette manifestation. Ceci lui permit d’offrir un film inédit en France, Three Lives, éloge de la féminité à travers trois portraits inspirés et toujours d’actualité.

Autour d’un autoportrait de la comédienne, réalisatrice de documentaires et de fictions, musicienne Maria de Medeiros, il y eut des films de réalisatrices vietnamiennes et la rencontre de plusieurs d’entre elles et une Master class avec Marceline Loridan autour de 17ème Parallèle qu’elle co-réalisa avec Joris Ivens. Il faut citer le thème approché en cinéma que celui du Corps, des femmes et du Sport. Également ces Héroïnes inattendues que la présidente du festival, Ghaîss Jasser, nous a donné l’occasion de retrouver de Lola Montès, de Max Ophüls à Pina (Bausch) de Wim Wenders.

Comme chaque année, deux compétitions d’importance, en premier celle des films de fiction soumis à un jury présidé par la comédienne et réalisatrice Hiam Abbass, née à Nazareth et depuis des années installée à Paris. La seconde, celle des documentaires sur lesquels il nous a paru intéressant de nous attarder.

Neuf films pour un jury composé de trois femmes et deux hommes ! L’une est plongée toute l’année dans le documentaire, la seconde anime un centre audiovisuel et préoccupée par l’éducation à l’image de la jeunesse, la troisième réalisatrice pour la télévision avec plus de trente documentaires. Côté homme nous avions un des responsables de la création originale et libre de notre grand institut de l’audiovisuel et un critique de cinéma.

Première observation, une diversité des réalisatrices originaires de neufs pays et chez chacune d’entre elles des conceptions très originales du documentaire. Deux de ces films sont le fruit du travail et de la création d’un couple.
Aim High in Creation de l’Australienne Anna Broinowski nous fait naviguer entre deux pays, l’Australie et la Corée du Nord. Surprenant ce mélange territorial. Mais cette réalisatrice de documentaires faisait partie de ces habitants d’une banlieue de Sidney rendus inquiets par une autorisation donnée à une société pour procéder à une fracturation du sol de leur parc municipal pour exploiter une nappe de gaze de schiste.
Née au Japon elle avait grandi aux Philippines, en Corée du Sud, au Vietnam et en Iran. L’idée lui était venue, elle qui parlait le japonais, d’aller en Corée du Nord pour interroger les maîtres du film de propagande et leur demander de lui apprendre les recettes du régime de Kim Jong II. Et comme les responsables les plus anciens parlaient aussi le japonais. L’opération de séduction de la belle documentariste réussit.
Elle rentra en Australie et mit ce savoir faire propagandiste au service de la cause des anti fragmentation hydraulique du sous sol de cette banlieue de Sidney. C’est avec sérieux et humour qu’elle les aida à gagner leur combat.

Ana Ana est un documentaire qu’on peut qualifier de poème cinématographique, œuvre de la Néerlandaise Corinne Van Eegeraat et de son coréalisateur Peter Lom. Tous deux documentaristes ont animé un atelier vidéo suivi par quatre jeunes femmes artistes cairotes, après la Révolution de la place Tahrir qui vit le débarquement du président Moubarak. Précisons que ce couple vit et travaille en Égypte depuis 2011. Il a amené ces jeunes femmes créatrices et éprises de changement des mœurs à exprimer leurs rêves, leurs désirs d’une manière très intime. Cela avec un choix de cadrages souvent remarquables que hachent des vues abstraites du désert si proche. Un Caire chaotique aux communautés plurielles qui, pour certaines, ne peuvent s’empêcher de se haïr jusqu’à l’assassinat de l’autre. Preuve en est cette terrible mise à mort d’une femme frappée au sol par l’un des hommes des forces de répression. La musique du compositeur japonais Ryuchi Sakamoto vient à notre écoute quand cela paraît nécessaire, sans plus. Les portraits de chacune des quatre héroïnes sont sublimés par les quatre cameramen,
hommes et femmes.

Broken Song est le premier documentaire de la jeune cinéaste irlandaise Claire Dix, après deux courts métrages sélectionnés dans des festivals internationaux. Elle s’est intéressée à ces poètes de rues, artistes du hip-hop et compositeurs du nord de Dublin. C’est bien filmé avec un parti pris du noir et blanc qui convient bien ici. L’intérêt n’est pas négligeable, mais la cinématographie n’est assez travaillée et par moment cela semble fait de bric et de broc. Dommage parce qu’avec un fond qui tient la route. On attendra quand même les prochains opus de Claire Dix, côté documentaire.

Michka Saël est une femme à la vie itinérante. Née en 1949 en Tunisie, avec des origines juives et africaines, elle s’est installée au Québec en 1979. Après des études de sociologie et d’histoire de l’art à Jérusalem, un passage aux Langues orientales avec un intérêt manifesté pour la publicité à Paris elle acheva ce parcours universitaire au Canada, à Montréal, consacré au cinéma. Elle s’est alors partagée entre réalisation de fictions et documentaires.
C’est un portrait éclaté de la Chine actuelle que cette réalisatrice nous propose. China me est une succession d’histoires familiales liées aux arrivées des populations des campagnes dans les grandes villes chinoises. Des drames de ces étudiantes dont les parents ont disparu dans les tremblements de terres ou au cours d’autres catastrophes écologiques. Elle y filme ces rencontres de femmes qui tentent tout ce qu’il est possible de faire, en couple ou seules, pour survivre et élever leurs enfants. Michka Saël saisit également ces réunions organisées par des militantes du féminisme qui attirent ce public qu’elles ont ciblé. Au dire de ces animatrices peu de femmes ont des responsabilités dans la direction collective des villages. Elles insistent sur le nombre des femmes battues, même si à l’occasion elles signalent avec humour qu’une infime minorité battent leurs hommes !
La dernière partie de ce documentaire s’achève sur une rencontre avec un étonnant psychologue, Huo Datong qui, entre parenthèses, a fait de ses enseignements une bonne affaire. Il y analyse l’inconscient des Chinois à l’aide de sa langue vieille de 6 000 ans. Pour cela il utilise à la fois Lacan et Freud. Cependant Huo Datong privilégie le génie de Lacan, plus en lien pour lui avec le Zen chinois, mêlant ainsi marxisme et pensée chinoise.

Deux cinéastes, iraniens d’origine, Maryam Ebrahimi et Nima Sarvestani, l’une vidéaste et l’autre journaliste se sont installés en Suède pour se retrouver sur un projet commun, un documentaire, No Burqas Behind Bars. Avec ce titre qui proclame qu’il n’y a pas de burqas derrière les barreaux, on constate que des femmes purgent des peines de prison parce qu’elles en avaient assez d’être battues par leurs époux et avaient quitté le domicile conjugal, ou qu’elles avaient fuit un mariage arrangé par les familles. Car elles avaient été condamnées à l’emprisonnement pour des années pour ces faits. Mais derrière les barreaux de cette prison lointaine de Kaboul ces femmes avaient trouvé un refuge. Mais, dans ces cas là, gare à la sortie de la prison lorsque les familles avaient décidé d’effacer le déshonneur. Ce documentaire qui apparaît comme une comédie peut effectivement se terminer par un drame . Les auteurs du film ont dû tout faire que l’une des prisonnières puisse quitter l’Afghanistan pour la Suède. Il est vrai que nous avons là une série de personnages hauts en couleur dans l’encadrement de cette prison en particulier le Directeur, qui prend soin de sa tenue militaire mais dans laquelle il flotte, tout en songeant à devenir un homme politique d’importance. Le sous-officier qui passe ses journées à tenter de régler au mieux les différents domestiques de toutes ces femmes dont certaines ont des enfants en bas âge fait de son mieux. Voilà un documentaire bien écrit et à la cinématographie très réussie. L’union du journaliste et de la vidéaste est une réussite.
La Géorgienne Tinatin Gurchiani passée par la peinture, la danse à Tbilissi, mais aussi par des études de psychologie, en Autriche et en Allemagne. Elle a obtenu un diplôme en réalisation à Postdam-Babelsberg en 2010. Après des courts métrages voici son premier documentaire de long métrage, The Machine Which Makes Everything Disappear, qu’elle a terminé en 2012. D’un projet de filmer un casting elle en a fait une rencontre avec la jeunesse géorgienne originaire à la fois de la ville, des campagnes, des villages des montagnes de Géorgie. Une série de beaux portraits. On pense parfois au film de Mohsen Makhmalbaf Salam Cinema. Une cinéaste à suivre.

Voici un travail sur des archives que propose une jeune cinéaste serbe, Marta Popivoda qui, actuellement, est encore dans un diplôme de troisième cycle en cinéma expérimental à l’Université d’Arts de Berlin. Ceci ne l’empêche pas de participer aux travaux d’une plate-forme théorique et artistique de Belgrade et de prendre part ainsi à de nombreux projets locaux et internationaux comme sur le cinéma illégal. Avec Yugoslavia, How Ideology Moved our Collective Body, c’est un parcours à travers les images d’actualité de la Yougoslavie, depuis la seconde guerre mondiale et la victoire de Tito sur les troupes nazies et la construction de la Yougoslavie fédérale de Tito jusque après sa mort et sur la décomposition du titisme et l’approche des guerres entre les différentes composantes. Des images, au départ avant toutes politiques, tout au long du règne de Tito pour finir dans des mises en scène sur des stades plus proches d’un Disneyland que remplaceront les premières$images de la guerre civile des années 90.

Reste le film de Perrine Michel, Lame de fond, un documentaire-fiction imaginaire qui, dans cette sélection, est apparu pour le jury le film le plus fort et le plus original. A partir d’événements graves vécus au cours de son enfance la cinéaste va nous ramener quelques dizaines d’année en arrière. Une époque où, après 1968, des couples issus de différentes militances avaient décidé de quitter les grandes villes, en particulier la région parisienne, et de vivre, plus en contact avec la nature, en communautés.
Et une voix féminine raconte. Femmes et hommes s’échangeaient librement pour atteindre plus intensément au plaisir. Ils restaient à l’écoute de leurs enfants et les prenaient en charge. Mais, parfois, il pouvait y avoir quelques dérapages dramatiques pour quelques uns d’entre eux. Et c’est ce que souhaitait raconter et exprimer Perrine Michel. Cela au moyen d’un film. Pas de véritable reconstitution, mais des images par rapport au lieu, une maison rurale du Sud-Ouest, au milieu de petits chênes, entourée d’un pré. Un récit qui au moment où il devient par trop précis et dérangeant est subtilement à moitié brouillé par une seconde voix. Il y a de quoi d’être choqué par cette suggestion de jeux d’adultes pratiqués par un père et même un grand-père sur une petite fille. Utilisation d’une image d’un sous-bois comme parcouru à la course. Son à double écoute. Rien d’autre. Plus on avancera dans le documentaire-fiction plus la réalisatrice nous surprendra en passant aussi par le cinéma d’animation. Accompagné par la Fémis, Perrine Michel a réussi un pari difficile en matière cinématographique avec un tel sujet. Comme le dit Denis Gheerbrant, en concluant sa présentation du film dans le catalogue du Festival de Femmes de Créteil : « A partir de là, c’est le spectateur qui est emporté par une lame de fond ».

Pour la diffusion des films relatés dans cet article prendre contact avec Anne Berrou, attachée de presse du Festival des Films de Femmes de Créteil via le courriel filmfemmes@wanadoo.fr et au téléphone 01 49 80 38 98.

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« Faire vivre la laïcité », sous la direction d'A. Seksig

par Pierre Hayat

 

Vient de paraître Faire vivre la laïcité, ouvrage collectif, utile et singulier1. Il rend enfin public deux  des derniers travaux de la mission Laïcité du Haut conseil à l’intégration (HCI) liquidée par  le cabinet de Jean-Marc Ayrault2

La laïcité dans l’enseignement supérieur et dans la société

Le livre contient l’Avis du 28 mars 2013, Expression religieuse et laïcité dans les établissements publics d’enseignement supérieur en France. Ce rapport  fait le point avec précision sur les problèmes rencontrés à l’université et dans les écoles supérieures en matière d’expression religieuse et de laïcité : professeurs empêchés de faire cours au nom de convictions religieuses, récusations d’un examinateur en raison de son sexe, financements et allocations d’un local à des organisations manifestement communautaristes… Tout en cherchant à préserver la tradition libérale de l’Université, le rapport prend acte que la réalité universitaire  d’aujourd’hui n’est plus celle du XIXe siècle et qu’il convient de garantir par la neutralité laïque la liberté et la sérénité indispensables à l’enseignement et à la recherche.

Le second grand texte du volume rassemble les Actes des Conférences organisées en 2012 et 2013 par le HCI. L’ensemble foisonne d’analyses instruites et de discussions concrètes sur l’école mais aussi sur des secteurs de la vie sociale trop longtemps contournés quand on traite de laïcité, comme l’Hôpital, le travail social, la petite enfance et  l’entreprise privée.

Un Manifeste pour réfléchir à des solutions

Ces deux textes sont précédés d’un avant-propos d’Élisabeth Badinter et d’un Manifeste pour faire vivre la laïcité signé des 24 bénévoles qui ont œuvré à la mission Laïcité du HCI. Ce texte militant ne cache rien des difficultés présentes. Il rappelle  que des mouvances religieuses font pression sur la société pour mettre fin à la suprématie du droit civil sur les interprètes des commandements religieux. Il montre également que la laïcité est aujourdhui  prise en tenaille entre la xénophobie identitaire et le communautarisme inclusif qui aggravent chacun à leur façon la fragmentation sociale.

Contre le déni de réalité

Une réunion de présentation de cet ouvrage collectif s’est tenue mardi 27 mai dans l’Amphithéâtre Abbé Grégoire du Conservatoire national des Arts et Métiers (Paris). Autour d’Alain Seksig, cinq des contributeurs du livre ont présenté succinctement leur champ d’intervention. Natalia Baleato, directrice de la crèche Baby-Loup, a expliqué avec sobriété la pugnacité nécessaire pour résister à l’intimidation intégriste. Le Pr Sadek Beloucif (hôpital Avicenne) a rendu compte du travail déjà accompli  pour surmonter à l’aide de la laïcité les difficultés qui apparaissent au quotidien dans des établissements publics où doit aussi être respectée l’autonomie du patient. La sociologue Yolène Dilas-Rocherieux a pointé l’antagonisme  des requêtes communautaristes  et de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et insisté sur la puissance normative de la laïcité comme code de vie collective. Et Philippe Fanartzis (Paprec) a évoqué le besoin pour de nombreuses entreprises privées de se doter d’une « charte de la laïcité et de la diversité », afin d’anticiper avant que des difficultés ne surviennent.

Élisabeth Badinter a clos les interventions de la tribune sur le déni de la réalité de l’intégrisme religieux. Elle a montré que ce déni opérait comme une censure efficace contraignant  à taire un attachement très majoritaire à l’universalité laïque.

Un échange s’est ensuite engagé avec l’auditoire, qui remplissait l’Amphithéâtre, sur la querelle des accompagnateurs de sorties scolaires, l’interprétation des statistiques des conflits surgissant au quotidien, le besoin d’un « intellectuel collectif » de la laïcité et sur l’apparition à l’école publique de nouvelles tenues religieuses3.

Après le 25 mai 2014

Cette réunion s’est tenue deux jours après le désastre électoral du 25 mai 2014. Elle a confirmé que les politiciens et divers idéologues de « gauche » qui ont abandonné au FN la classe ouvrière et les secteurs les plus précarisés du peuple, ont également déserté la laïcité républicaine, toujours au bénéfice du FN.  

Le combat à mener contre le déni du péril intégriste, contre les intimidations, les confusions et les détournements, n’est cependant pas perdu. Car il s’agit maintenant d’offrir à l’immense majorité des Français, sans religion et de toutes religions,  attachés à l’intégration républicaine, les moyens de se revendiquer de la laïcité, de la faire évoluer en fonction des besoins présents et d’apercevoir ce que nous perdrions  si elle venait à disparaître.

Ainsi, cette réunion appelée par « l’ex-mission Laïcité du HCI » a montré que des forces étaient partout disponibles pour assumer et propager ce bien structurant d’un peuple libre et fraternel qu’est la laïcité. Chacun, malgré les difficultés socio-économiques et à cause d’elles, peut devenir co-auteur responsable de la laïcité républicaine et contribuer ainsi « faire vivre la laïcité ». Voilà pourquoi l’article 15 de la Charte de la laïcité à l’école prévoit que « par leurs réflexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement ».

  1. Faire vivre la laïcité, sous la direction d’Alain Seksig, Avant-propos d’Élisabeth Badinter, Le Publieur, mai 2014, 310 p., 22 €. []
  2. Le Comité de réflexion et de propositions sur la laïcité  auprès du HCI  a été installé en 2010 par le président du HCI suite à la décision du Président de la République de confier au HCI une mission de suivi des questions liées à l’application du principe de laïcité. Les services du Premier ministre ont mis fin à l’automne  2013 à cette  mission,  peu après une campagne de presse mensongère contre son rapport sur l’enseignement supérieur qui avait mystérieusement « fuité », et peu avant l’interdiction par  le cabinet du Premier ministre de la publication de ce rapport par la Documentation française. Et, pour que la signification politique de cet « avis de décès » de la mission Laïcité du HCI n’échappe à personne, on trouva en décembre 2013 sur le site du Premier ministre un « rapport sur la refondation de la politique d’intégration » d’inspiration communautariste, visant à substituer une politique dite d’ « inclusion » à une politique républicaine d’intégration. La mise en ligne sur le site du Premier ministre de ce rapport signa sans gloire le  second « avis de décès » de la mission Laïcité du HCI. []
  3. Sur cette questions des « abayas », l’auditoire a été renvoyé la contribution de Sophie Mazet : ]
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Autisme : suite

 

Deux textes reçus à la suite de ceux parus dans le n° 750 :

http://www.gaucherepublicaine.org/protection-sociale/handicap/autisme-courrier-dun-lecteur-et-reponse-de-lauteur/81872

1/ De Marie Perret1

1. La réponse de Bernard Teper à M. Ramus me paraît contenir une thèse recevable : l’étiologie de l’autisme étant sujette à caution, l’institution médicale peut difficilement écarter telle ou telle thérapie, et, si elle le fait, ce ne peut être pour des motifs « scientifiques ». Les thérapies psychanalytiques coûtent cher : il n’est donc pas étonnant qu’on souhaite les dérembourser.

2. On comprend bien l’argument de M. Ramus : la sécurité sociale étant financée par les cotisations sociales, les assurés sociaux, en tant que cotisants et usagers, sont en droit d’exiger qu’on ne rembourse que des thérapies qui ont fait leurs preuves et que l’on écarte les méthodes suspectes, sinon de charlatanerie, du moins d’inefficacité. La science moderne repose sur des méthodes rigoureuses (observation, expérimentation, mise en évidence des rapports causes / effets, etc.), et c’est précisément au nom de ces méthodes (qui n’ont rien de « scientistes » mais qui sont bien « scientifiques ») que Ramus justifie la position de la HAS.

3. Le problème central, à mes yeux, est de savoir si les maladies « psychiques » relèvent de ce modèle scientifique. La psychanalyse s’est toujours réclamée de l’idéal de la science. Son fondateur, S. Freud, était un médecin, et non un charlatan. Ses théories sont étayées par un modèle psychogénétique solide. Elles sont « falsifiables » (contrairement à ce qu’affirmait K. Popper) puisque l’analyse est en elle-même un « protocole expérimental » : on peut mesurer l’efficacité des interventions de l’analyste aux effets empiriques qu’elles produisent sur le patient. Si celui-ci n’est jamais « guéri » au sens où on l’entend lorsqu’il s’agit d’une grippe (on ne guérit pas de son inconscient comme d’une maladie puisqu’on ne peut éradiquer l’inconscient), des « bougés » peuvent être constatés, au sens où le patient peut sortir de son analyse soulagé de certains symptômes, capable d’affronter des situations qu’il subissait jusque là ou d’investir sa libido dans des activités enrichissantes plutôt que dans sa névrose (c’est ce que Freud appelle la processus de sublimation). Reste que le psychanalyste n’est pas un « ingénieur de l’âme » comme le disait Lacan : il n’a pas affaire à des phénomènes naturels, à un objet « positif » derrière lequel opère des processus naturels, des déterminismes analogues à ceux que les sciences « dures » examinent. Il a affaire à des individus dont la psyché s’est constituée à partir d’événements qui ont marqué leur histoire, à des phénomènes de nature « symbolique ». D’où le statut problématique de la psychanalyse : même si elle n’est pas intelligible à partir du modèle des sciences de la nature, elle n’est pas pour autant une « charlatanerie », ce que M. Ramus semble penser.

4. A ce problème s’ajoute un second : l’autisme est-il une maladie psychogénétique, à l’instar de la névrose, la la psychose ou de la perversion (pour reprendre les catégories freudiennes) ? La question est disputée. Mettons-la en perspective : dans une première période (celle des années 60-70), l’autisme a été catalogué dans les maladies psychogénétiques (après avoir été confondue avec la schizophrénie, elle a été reconnue comme une pathologie spécifique, dont le tableau clinique ne recouvre pas celui des psychoses). Les méthodes alors en vogue relevaient de la psychanalyse : certains cliniciens (je pense en particulier à Francis Tustin) ont obtenu des résultats indéniables. Dans une deuxième période (à partir des années 80), à la faveur de l’essor de la génétique et de la neurobiologie, l’autisme a été catalogué dans les maladies génétiques ou « somatiques », le dogme dominant étant celui d’une étiologie « naturelle ». Cette explication avait le double avantage de rassurer les parents et de faire miroiter la possibilité d’une guérison via la médication. Depuis les années 90, une troisième période s’est ouverte : on n’est plus certain de rien. Certains scientifiques ont reconnu qu’il était impossible d’isoler une cause génétique dans un certain nombre de cas. Certains invoquent des facteurs « environnementaux », d’autres des facteurs physiologiques. La possibilité d’une étiologie psychogénétique est de nouveau prise au sérieux. Dans un tel contexte, il faut être pragmatique : écouter ce que les psychanalystes ont à dire (au lieu de les traiter de charlatans), examiner l’efficacité des méthodes sans rien écarter a priori.

5. Je pense pour ma part que les enfants autistes ne sont pas des rats de laboratoire ou des végétaux. La psyché ne se constitue pas en se développant comme la plante se développe à partir de la graine : elle se construit, d’abord à partir d’une relation libidinale et fusionnelle à la mère, puis en s’inscrivant dans une culture. Rien ne se passe sans accrocs : n’importe quel enfant en témoigne. Dans le cas de l’autisme, il est possible que les accrocs se soient produits durant la première phase, et que l’enfant n’ait trouvé comme issue que l’enfermement dans la « capsule ». C’était là la thèse défendue par Tustin. Elle a le mérite de partir du principe que l’autisme est une maladie « humaine » que l’on peut traiter, aussi, « humainement », en considérant l’enfant autiste comme notre semblable, un être qui a trouvé, pour résoudre les événements qu’il avait à traiter, une solution qui, certes, le coupe de ses semblables (ou affecte ses rapports avec eux), mais qui n’en demeure pas moins intelligible.

2/ De Pedro Serra2

La question posée par B. Teper et la réponse de Mr Ramus ne me semblent pas toucher le fond de la question de la prise en charge des enfants et adultes autistes. Le débat commence par des considérations sur la causalité de l’autisme où certaines causes paraissent plus défendables que d’autres mais il est fort possible que sous l’appellation d’autisme se retrouvent en réalité une série de troubles fondamentalement différents entre eux et n’ayant probablement pas la même étiologie. Mais ce qui semble important de discuter aujourd’hui est la question des différentes approches destinées à prendre en charge ces personnes, des moyens mis en œuvre et pour quel type de vie en commun avec les autistes, pour quelle citoyenneté, bref pour quel projet politique.

Mr Ramus reconnait qu’il n’y a pas de corrélation entre causalité possible et type d’intervention à proposer, ce qui est une bonne nouvelle. Mais il dit aussi qu’aucune donnée connue (de lui, selon ses critères) ne permet de mettre en cause l’environnement psychosocial de l’enfant. Cette affirmation mérite discussion : sur le plan purement étiologique la science dont parle Mr Ramus est bien en peine de nous donner des preuves concrètes de ce qu’elle avance. De toute manière que voudrait dire qu’un facteur génétique surdétermine l’émergence du trouble ? Cela exclurait d’autres facteurs qui auraient aussi une influence sur le devenir des personnes ? Parlons de l’incidence des questions relationnelles en plus des virus et autres toxines. C’est un réductionnisme qui n’est pas acceptable et qui renvoie malgré ses dénégations au fantasme du traitement unique pour un trouble dont la dimension neuro-développemental se détacherait de toute subjectivité.

Il parait assez incroyable que cette ignorance sur des aspects après tout assez évidents du travail clinique avec des autistes, la dimension de la rencontre, la co-construction des processus de subjectivation soit revendiquée par des familles, soutenue par des scientifiques et, comble de l’aberration, imposée par l’état qui semble ignorer la gravité politique d’une telle initiative.

La pédopsychiatrie publique française reçoit au quotidien toute sorte d’enfants présentant des difficultés psychiques de différentes étiologies sans aucune polémique. Les CMP et CATTP peuvent se plaindre du manque de temps de présence des enfants dans l’institution dont ils bénéficient de prises en charge souvent à temps trop partiel. Cette pédopsychiatrie est infiniment plus sophistiquée et respectueuse des enfants que celle qui ne voit que des symptômes à réduire et qui inonde, comme aux Etats Unis, les enfants de psychotropes dans une proximité trouble avec l’industrie pharmaceutique. On ne peut pas s’empêcher d’imaginer, sans verser dans la paranoïa et le complotisme, une volonté de privatisation et une standardisation de la prise en charge des autistes sous couvert d’arguments de type scientifique.

Une fois de plus il ne s’agit pas d’opposer prise en charge éducative et soins psychique ni de chercher à démontrer quelle méthode est la meilleure, mais de garantir, dans un respect minimal pour les personnes autistes, qu’elles soient considérées comme n’importe quel humain et pouvant relever à un moment de leur vie d’une aide psychothérapique.

Ce qui pose souvent problème dans les pratiques rééducatives massives et exclusives, avec des exécutants anonymes et interchangeables est la non prise en compte des qualités humaines singulières et une forme d’écrasement de celles-ci au nom de l’augmentation objectivable de leurs compétences cognitives. S’ajoute à ça le pouvoir exorbitant que certaines familles se veulent attribuer, comme sachant ce qui est bon pour leur enfant, en se mettant en position de prescripteurs à des professionnels qui ne seraient plus que des techniciens. Si ce fantasme se généralisait il constituerait une atteinte grave du long et difficile travail de différentiation individuelle dont les autistes relèvent aussi. Qu’ils soient dépendants de parents et d’un entourage attentif c’est un fait et nous devons travailler ensemble pour que les familles soient le moins atteintes possible par la présence de cet enfant particulier, et que leurs relations soient préservées au mieux. Mais il faut savoir rester raisonnable et autoriser d’autres intervenants à faire leur travail même s’ils aboutissent quelque peu à « déposséder » les enfants de leurs parents, mais dont les résultats lorsqu’il y a une véritable rencontre avec le thérapeute peut radicalement changer la vie de certains autistes. Ces pratiques ne sont pas facilement évaluables, certainement pas selon les critères en cours. Comment évaluer un sourire, se demandait Jean Oury à propos de la difficulté d’évaluation d’une institution soignante.

Un autiste a aussi un corps dont il faut tenir compte, il a une façon de sentir monde, il a des moyens de communication immédiate qui nous échappent le plus souvent mais qu’il faut chercher à entendre sans attendre que des méthodes de communication aient préalablement amélioré leur capacité expressive.

Mr Ramus semble ignorer la portée politique de son attitude scientiste. Cette idéologie objectiviste se réclamant de la non idéologie se fige dans ce que Spinoza nommait le deuxième genre de connaissance où une rationalité séparée du rapport affectif et intuitif à l’objet de son savoir génère un savoir descriptif, et qui a plus de chance d’être inadéquat par son incapacité à pénétrer l’essence même de ce qu’il étudie. La psychanalyse ne peut en aucun cas rejeter ces recherches de deuxième genre de connaissance (rationalité des rapports sans implication affective) mais il est de son devoir de s’investir dans ce que Spinoza nommait le troisième genre de connaissance, celui qui valorise tous les détails de ce qui s’opère lors d’une rencontre, à partir de notions comme le transfert, le pathique, l’écoute attentive des moindres mouvements, stases et significations.

Vouloir réduire l’humain à un ensemble de fonctions avec pour chacune une localisation cérébrale est une vieille chimère qui peut devenir dangereuse lorsqu’elle est imposée comme savoir unique. Cette façon de vouloir imposer une science est souvent observée dans des pays autoritaires et policiers.

Aujourd’hui ce dogme s’appelle le néo-libéralisme qui tente d’abraser toute diversité au nom de la bonne idée unique, sous couvert d’efficacité. Les machines bureaucratiques et policières, dont la HAS semble devenir un bel exemple, assurent la pérennisation et l’expansion de ce type de pouvoir. Toute une série de prestations objectives et monnayables se développent ensuite en suivant cette logique. Démarche qualité, évaluation, sous-traitance à des spécialistes les rééducations fonctionnelles diverses qui finissent par un découpage purement fonctionnel de l’autiste.

Le dessein ultra-adaptatif et fonctionnaliste de cette idéologie dessert ce que le cognitivisme peut apporter aux personnes autistes. Il y a un effet charrue avant les bœufs. L’éducation spécifique est au service du sujet, et non le contraire. La devise devrait être : « éducation pour l’action ». Pour le langage, ce n’est pas non plus à sens unique, l’enfant n’est jamais un récepteur neutre. Le langage émerge dans une tension forte entre intensité propre et apprentissage. Cette rencontre de la pulsionalité brute et du cadre social doit être accompagnée de près et le psychothérapeute peut en être un témoin privilégié. L’amélioration des fonctions cognitives ne garantit pas une vie plus riche et meilleure, elle n’est qu’une composante d’un ensemble plus vaste qui outille quelqu’un qui lutte pour rester unifié.

Mr Ramus avance que les autistes doivent recevoir une éducation en adéquation avec leurs troubles spécifiques, il est favorable à ce qu’ils apprennent, qu’ils gagnent en autonomie et qu’ils s’intègrent mieux socialement. Mais qui s’opposerait à ça ? Il faut toutefois bien définir ce qu’est d’être autonome, ce qu’apprendre ou s’intégrer veulent dire et qui détermine et comment ce qui est l’intérêt de la personne autiste. La psychothérapie, en visant le singulier tente d’extraire ce qui serait de l’ordre d’une demande, d’un désir, d’une processualité. Il ne s’agit pas d’attendre le désir mais de l’entendre, faute de quoi nous nous exposons à des pratiques potentiellement abusives voire violentes par une sorte de surdité à ce que peut vouloir exprimer l’autiste. Dans mon expérience de service public et d’institutions du médico-social je vis en permanence ces allers retours entre le clinicien de la relation et les professionnels de l’éducation et de la rééducation sans qu’aucune guerre ne soit déclarée, parce que l’éthique du respect absolu de la personne guide l’ensemble de nos pratiques.

De même que la psychothérapie institutionnelle, conçue au départ sur une double dimension freudo-marxiste, elle n’est pas consensuelle selon les auteurs de recommandations. Ceci parce qu’elle préconise un investissement des espaces de vie en favorisant la circulation, la constitution d’ambiances amicales et riches, un questionnement des hiérarchies verticales et des logiques opérant dans tout collectif. Et tous ne sont pas d’accord avec ces idées. Des études scientifiques visant à démontrer l’efficacité d’une telle approche devraient trouver d’autres critères et méthodes de recherche. La science, telle que la conçoit Mr Ramus aurait des difficultés pour évaluer l’efficacité d’une telle pratique.

La HAS est en passe de se transformer en institution policière, dans le sens d’une volonté d’intrusion au cœur de l’activité soignante, pour la contrôler et la diriger selon ses propres critères. Ce procédé est choquant, contraire à l’éthique soignante et dangereux sur le plan de la démocratie. Sur l’autisme, les recommandations de la HAS ont été particulièrement nocives, en semant la peur dans les institutions, en rendant des professionnels beaucoup plus passifs et sans désir. Elles expriment une idéologie néolibérale que de mon point de vue il faut combattre avec toutes nos forces. Cette idéologie constitue une régression de l’humain au profit à peine voilé d’une société bien dressée et prête à consommer des prestations monnayables comme n’importe quelle marchandise. Les socialistes français qui visiblement ont oublié leurs principes s’accrochent à un scientisme à deux sous en se prenant pour de grands modernes, à moins qu’ils n’aient basculé définitivement dans le camp du marché libéral de la santé et du cynisme comme mode de gouvernement.

Il me semble que contre ces approches quelque peu grossières il faut résister par l’écoute attentive des capacités de finesse relationnelle des autistes, en particulier les plus déficitaires, grands oubliés des plans gouvernementaux. C’est un travail très laborieux d’écoute et de patience. Les autistes doivent avoir du temps à eux, comme tout le monde, et des temps de soins, de pédagogie et d’éducation ajustés à leur développement. Le travail visant leur insertion dans la vie sociale se poursuit, à l’école, dans les lieux de culture, les espaces publics. C’est aussi un moyen pratique d’apprentissage. Ce n’est surtout pas à l’état de dicter des pratiques soignantes ou éducatives. Une science de type soviétique n’est pas la même qu’une science démocratique, le savoir scientifique est très différent en fonction de la puissance qui la commande. Alors, arrêtons de jouer avec le feu et laissons faire des professionnels inscrits dans des savoirs qui s’enrichissent aussi comme une culture mais ne peuvent prétendre à une connaissance absolue de son objet.

 

  1. Professeur de philosophie []
  2. Psychiatre, psychanalyste []
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Au lendemain des européennes : "C'est pas que" par J. Merville

 

C’est pas que (texte envoyé par Jacqueline Merville le 28 mai 2014)

C’est pas que. Encore.
Cendres dessus, dessous, pas vues, pas, en entier ce rien su revenu.
Ça recommence.
Cette langue comme ça. Pas interdite.
Ce fut comme ça aussi avant.

Nous,
du végétal autour des mots pas rassurés.
Nos cœurs en rouge, peur dis-tu.
Ça. Encore.
Quoi nous rassure ?
Pas vraiment nous rassure.
C’est pas que.
A nouveau ici, là, ici,
langue noirâtre remonte de l’Est, du Nord, d’Allemagne et de France

L’herbe des langues attend. Le pire.
Du pire, on le tait sans bouger, pas bouger non plus c’est du pire.

Mémoires des cendres des fumées sous les prés.
Les âmes brûlées nous regardent.
Ce signe au bord des forêts, l’entends-tu ?

Plantes dedans nos bouches
sans le crier. Mémoire, où ?
Faire quoi ne savons plus?

C’est le joli mois de mai
tout le long du pré
avec les bords du pré jetant l’ombre du sang sous le ciel des prés,
et de ce sang revient, des haies de ça
écrites à la haine, à la pelle
partout chez nous
têtes raides
devant la tête blonde
toujours de ça la foule mange.

Nos âmes battues, ce pleuroir au milieu du pré se souvenant.
Quoi pleure et avec qui sous l’arbre tellement vert du joli mois de mai ?

C’est ici-là-ici, si précis pour faire ça recommence.
C’est. De l’impossible revenu.
Jamais plus. Et revenu.

Vertes étaient les ombres juste après les crémations.

Sa torche est au milieu du pré. Pas morte la nazie. Pas interdite.
Millions de nuages d’âmes regardent ce qui est. Revenu.
Les lèvres des âmes mortes
les entendons-nous faire ce vent qui pleure au bout du pré ?

C’est fini le joli mois de mai.