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Dans quelle crise sommes-nous ? n° 6

par Philippe Hervé

 

« La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître. »
Antonio Gramsci

En cette septième année de crise depuis l’éclatement du système financier en 2007-2008, le paysage commence à prendre forme. Dans les articles précédents (« Dans quelle crise sommes nous ? » n°s 1, 2, 3, 4) nous tentions principalement de comprendre la nature profonde de cette crise, mais aussi d’estimer le moment où adviendrait une réplique violente de l’effondrement de 2007-2008. Si nous avons fait preuve d’une certaine clairvoyance sur la rupture historique, rendant par la même hors de propos les approches monétaristes ou keynésienne, nous avons toutefois péché par court-termisme, envisageant un déblocage paroxysmique assez rapide. Puis, nous avons enfin compris qu’une résolution très provisoire était à l’œuvre pour sauver la finance mondialisée (article n°5). Mais les fondamentaux restent présents. La fermeture du « pli historique » de la Renaissance au 16e siècle engendre un nouveau monde avec une recomposition globale financière et monétaire. La crise du « capitalisme tardif » entraîne la destruction rapide de l’ancien monde et la mise au devant de la scène de formes nouvelles d’exploitation.
Pour nous, Français, à l’ouest de l’Europe, ce mouvement est moins visible, malgré la guerre en Ukraine. Cependant, ici comme ailleurs, l’ensemble du dispositif d’exploitation est sur le point d’être modifié. L’Europe vit une sorte de calme avant la tempête, les premiers signes de l’orage résonnant à la limite russophone du « Don paisible ». Notre vision française nous rend en partie myopes face à l’immense chambardement de ce début de 21e siècle. La raison fondamentale en est surtout l’existence d’un mouvement historique dialectique au niveau planétaire : d’un côté, un noyau dur se renforce au centre de l’Empire, de l’autre côté, on assiste à sa perte d’influence à sa périphérie. Ce double mouvement se caractérise par une restructuration autoritaire entre les classes sociales dans le premier monde autour des USA, pour compenser autant que faire ce peut l’autonomisation progressive de la tricontinentale (Asie, Afrique, Amérique latine).
Dans ce numéro, nous nous concentrerons principalement sur la situation de notre vieux continent.

Premier monde : la bataille européenne

Aujourd’hui, l’Europe est la seule zone restant complètement sous tutelle américaine, le maintien de cette domination étant la condition indispensable à la survie du capitalisme tardif. L’Empire américain a perdu au cours des années 1980 son hégémonie sur l’Amérique latine : la hausse des taux d’intérêt sous Volker a eu raison des « dictatures gorilles » du sous-continent. L’Asie est une sorte de zone interdépendante mais hors champs de l’Empire. Par ailleurs, les relations entre la Chine et la Russie, en particulier depuis la signature d’un accord gazier stratégique il y a quelques semaines, constituent un axe de développement de plus en plus cohérent. Nous ne développerons pas ici la situation en Afrique, ainsi que dans l’espace arabe où le premier monde apparaît comme fauteur de chaos sans aucune vision stabilisatrice ni aucun modèle pérenne à proposer.
Reste donc l’Europe…

Premier monde : le « radiateur » monétaire fonctionne à la perfection… Pour le moment.

La survie du capitalisme financier impose bien entendu une restructuration totale de l’espace du « Milliard de Riches », c’est-à-dire l’ensemble Océanie, Japon, Amérique du nord, Europe. Dans ce premier monde, il fallait solder les comptes du dégonflement de la bulle financière, et en particulier du « capital fantôme » (voir article n°4). Ainsi fut mis en place progressivement, et avec beaucoup de tâtonnement, un gigantesque « radiateur monétaire » assurant un transfert de richesse de la base vers le sommet de la hiérarchie sociale. A situation inédite, solution inédite. Qui aurait imaginé qu’un tel projet puisse voir le jour ? Faire coïncider l’injection d’une monstruosité de liquidités et l’imposition politique d’un cycle déflationniste artificiel, pour l’Europe et le Japon ? La logique aurait voulu, en ce cas de figure, de voir apparaître une hyper inflation et des révolutions sociales. La finance mondialisée a réussi le tour de force de plonger l’Europe dans la déflation…dans un calme social relatif.

En effet, nous assistons par le haut du « radiateur » à une injection d’une monstruosité de liquidités, par milliers de milliards, immédiatement captées par le système financier qui les répartit sur les monopoles par l’achat de valeurs mobilières (marché des actions en bourse) et obligataires (marché de la dette). Notons qu’une fine couche de population du premier monde bénéficie de cette situation (traders, avocats, experts, auditeurs, intermédiaires, professionnels des médias…) en fonction du principe suivant : plus un intervenant est proche de la source d’émission des liquidités injectées, plus il s’enrichit.

Dans le même temps, nous constatons par le bas du « radiateur » une destruction monétaire équivalente, l’ajustement de cet équilibre se réalisant grâce aux modifications des taux d’intérêt. Cette vidange par la partie base du « radiateur » se traduit par une déflation des actifs, en particulier immobiliers, et une baisse des prestations sociales « détenues » par les couches populaires. Par exemple, la purge de l’immobilier s’est déjà produite dans la plupart des états des USA sauf dans les îlots d’ultra richesse, ainsi qu’au Portugal, en Espagne ou en Grèce. Ce phénomène est bien sûr inégal et combiné. En France, l’immobilier se dévalue en régions (en dehors du littoral) ou dans les zones sub-urbaines (biens détenus par les couches moyennes modestes) dont la valeur a déjà dégringolé d’une trentaine de pour cent par rapport à 2008. Dans le même temps, la valeur est restée pratiquement étale dans Paris, aux mains de la bourgeoisie et des groupes monopolistiques

Ainsi, sur le plan monétaire, nous sommes en présence d’une opération à somme nulle : la bourgeoisie monopoliste continue à s’enrichir à un rythme accéléré grâce aux injections de liquidités. En parallèle, la paupérisation des couches modestes maintient la masse monétaire pratiquement au même niveau. Un résidu inflationniste demeure simplement sur les produits alimentaires ou de première nécessité, comme les ampoules électriques.

Quel est le but ? Il s’agit clairement de regonfler financièrement les monopoles, pourris de dettes, et dont l’aspect parasitaire est aujourd’hui affiché sans gêne, suivant l’expression too big to fall.

La mise en place et la pérennisation de ce « radiateur » redistributif exige deux conditions.

  • La première appelle la passivité des couches populaires par un contrôle des populations afin de prévenir toute explosion sociale. En parallèle, l’expression politique institutionnelle est muselée pour empêcher une réaction catalytique électorale par l’apparition de partis crédibles à gauche, opposés au système (la Grèce étant pour le moment le seul contre-exemple en Europe avec Syriza). La défaite du mouvement social en Europe entre 2008 et 2011 rend évidemment les monopoles de plus en plus agressifs sur le sujet de la liquidation des prestations sociales dédiées à tous.
  • La seconde condition réside dans le contrôle de toute forme de résistance nationale. A signaler sur ce dernier point que le danger pour la finance ne vient pas actuellement sur notre continent des États constitués mais des nations en devenir. Ainsi, nous assistons à la mobilisation de l’ensemble des autorités dirigeantes du premier monde contre l’indépendance éventuelle de l’Ecosse ou de la Catalogne qui poserait un problème de rupture de gouvernance et menacerait une des pièces maîtresses du « radiateur » redistributif, l’Euro.

De juin 2013 à aujourd’hui, nous pouvons constater un contrôle d’une main de fer des marchés financiers et de l’ensemble des rouages bancaires du premier monde. Pour permettre aux monopoles de survivre à leur endettement, un renforcement des contrôles des transferts monétaires internationaux s’est mis en place pour les particuliers (norme anti blanchiment…), bien sûr, mais aussi une pression sur les banques européennes auxquelles il est exigé un « malus », une sorte de cotisation exceptionnelle pour cause de renflouement de la finance américaine. C’est ainsi qu’il faut interpréter l’affaire BNP ou, antérieurement, celle du Crédit suisse.

Ainsi s’organise le contrôle strict du marché des changes dont l’étalonnage entre les monnaies reste cantonné dans des limites artificielles, en particulier le change euro-dollar. Dans cette effort de contrôle monétaire absolue, signalons également, et de manière moins anecdotique qu’il n’y paraît, l’attaque mondiale contre le Bitcoin, avec toujours le même prétexte : lutte contre le blanchiment (qui constitue le binôme des « raisons supérieures » avec la lutte contre le terrorisme).

L’Europe, future zone des tempêtes

Comme nous l’avons affirmé à plusieurs reprises, l’Europe est la seule zone restant sous la tutelle cohérente des USA. La tentative d’imposer un traité de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe en est un avatar conjoncturel. De nouveaux pôles économiques et financiers se sont formés depuis la chute du mur de Berlin, en Asie bien sûr mais aussi en Amérique latine avec le Brésil, et en Afrique où l’Afrique du Sud commence à rayonner sur le cône sud du continent. L’Amérique est donc tentée d’utiliser l’Europe comme joker dynamique, en particulier en Afrique mais aussi à l’est européen. Élargir le marché captif européen est à l’œuvre en Ukraine. Mais la situation est bien différente de celle du début des années 2000 et des « révolutions orange ». La Russie est aujourd’hui capable de rivaliser. Surtout, Poutine a compris l’un des aspects pratiques de la crise de 2008 : le premier monde peut « mimer la guerre » mais a de grandes difficultés pour la réaliser sur le terrain. Bref, une question se pose : la guerre est-elle simplement possible à grande échelle à la limite du premier monde? Il est fort hasardeux de répondre à cette question. Constatons tout de même que l’organisation de la guerre implique une structure capitaliste autonome, en tout cas dans ces circuits de production et de distribution. Il faudrait pratiquement détricoter la mondialisation, qui exige une circulation permanente des matières premières et des produits semi-finis. Par ailleurs, le dispositif financier ne supporterait pas longtemps une polarisation guerrière à l’échelon planétaire. D’ailleurs, depuis une douzaine d’année, toutes les guerres prolongées menées par le premier monde se sont traduites par des échecs retentissants malgré les centaines de milliards de dollars dépensés. Ces échecs à répétition ont amené certains analystes à penser déceler une sorte de « stratégie du chaos ». Cette vision a posteriori est en fait un masque consciemment ou inconsciemment utilisé pour ne pas constater tout simplement un dégénérescence de l’empire américain.

La France, l’homme malade de l’Europe

A l’instar de la Renaissance liquidant progressivement le féodalisme, le renfermement du pli historique liquide à un rythme accéléré l’entièreté des structures politiques obsolètes, en particulier les nations et les formes capitalistiques qui s’y rattachent.
Illustrons cette situation concrète par l’exemple français : le national-capitalisme français, héritage du gaullisme, se trouve aujourd’hui à la ramasse. Il est donc prêt à tout pour sauver les vestiges de sa gloire d’antan.

Posons une question politique simple et tentons d’y répondre : qui sponsorise Marine Le Pen ? Il n’a échappé à personne que depuis deux ans l’ensemble des médias ne fait que pousser le Front National new look. De la mise en valeur de Marine, la fille à papa, en passant par le problème soi-disant insoluble des Roms, de viande halal en « jour de colère » antisémite, sans oublier le « fait de société » Dieudonné, tout tourne autour de l’émergence d’un puissant courant néo fasciste, comme par hasard jamais attaqué sur le plan judiciaire, alors même que l’UMP ou le PS subissent les foudres de la justice.

Pourquoi donc le capitalisme français pousse-t-il cette engeance, par l’intermédiaire des supports médiatiques qu’il contrôle ? Risquons une hypothèse : le capitalisme français colbertiste aux abois n’est-il pas tenté par un protectionnisme qui le maintiendrait à flots ? Accroché tel une huître à son rocher, il forme avec l’État qu’il contrôle un monument en péril. Peugeot, Lafarge, Alstom, Dassault, la BNP, Lagardère groupe et autres sont dans une impasse. Pour eux le choix est simple : ou bien être rachetés directement par la finance mondialisée qui les dépouille de tout contrôle du management… ou bien mourir ! La tentation est grande de tenter un sauvetage étatique à l’ancienne. Le retour vers un capitalisme national peut apparaître comme une solution au moins provisoire. Donc, quoi de mieux que d’appuyer cette volonté par un organe politique qui justement propose d’imposer la « préférence nationale »… du capital ?

C’est une hypothèse, mais admettons que le capitalisme français n’a pas beaucoup de possibilité autonome. De manière opportuniste, il a lui aussi tiré les conséquences de la défaite du mouvement social et de l’échec d’une alternative politique forte et offensive. Il propose donc aux couches populaires la guerre ethnique plutôt que la guerre sociale.

Cela dit, ce « retour vers le futur » n’est pas une solution et le capitalisme français archaïque sait qu’il ne peut ramer longtemps contre la nature même du Capital, qui ne peut faire autrement que se concentrer mondialement. Le réalisme l’emportera certainement et la ligne de plus forte pente sera que le capitalisme national se serve du chiffon rouge FN, pour négocier tout simplement et plus modestement un délai de grâce, avant d’être mangé tout cru par la concentration financière mondiale.

Pour les 12 mois prochains, risquons encore quelques pronostics tendanciels. L’Europe semble le maillon faible économique. La « vache à lait » qu’elle constitue pour les USA est bien à la peine pour fournir son quota laitier. Cette conjoncture risque d’impliquer des ruptures politiques majeures dans certains pays du vieux continent. La France en particulier risque d’entrer dans une spirale déstabilisatrice. Son mode de gouvernance est obsolète et son personnel politique incompétent semble aux abois. Bien des conditions sont réunies pour l’éclatement d’une crise majeure… avant 2017 !

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L'hyperpuissance états-unienne minée par ses contradictions

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire. Auteur avec M. Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette » et avec C. Jousse et Ch.Prudhomme de « Contre les prédateurs de la santé ».
http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Nous avons connu les États-Unis plus conséquents : arrivée victorieuse pour la première guerre mondiale, débarquement pendant la Deuxième guerre mondiale en Afrique du Nord et en Normandie dans la stratégie du double front avec l’Union soviétique contre le nazisme, plan Marshall, etc.

Après la guerre du Vietnam, les évolutions en Amérique du Sud, en Europe de l’Est (ex-Yougoslavie, Géorgie, Ukraine, Moldavie, etc.), au Machrek et aujourd’hui au Moyen-Orient sont en train d’affaiblir la prédominance américaine.
Après avoir éliminé la dictature militaire libyenne de Kadhafi avec le soutien des néolibéraux de droite et de gauche français, les Etats-Unis ont donné le pouvoir à leurs alliés de l’extrême droite religieuse djihadiste sunnite eux-mêmes passant des accords de coopération avec les multinationales pétrolières occidentales et principalement américaines. A noter que la conséquence directe et indirecte de cette opération libyenne a été le renforcement de l’extrême droite djihadiste sunnite en Afrique de l’Ouest et la formation des cadres actuels de Da’esh (nom arabe de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, EIIL, dont de nombreux cadres ont été formés aux côtés des Occidentaux en Libye).

En Egypte et en Tunisie, les États-Unis ont vite réagi après le « printemps arabe » pour agir en faveur de leurs alliés néolibéraux, les Frères musulmans, largement soutenus financièrement par le Qatar. Dans ces deux pays, des forces populaires, chacune de façon singulière, s’opposent à ce dessein selon la stratégie du double front anti-impérialisme et anti-intégrisme politico-religieux.

En Irak, les États-Unis ont détruit la dictature militaire de Saddam Hussein pour mettre au pouvoir une oligarchie chiite tout en sanctuarisant la partie kurde. Là, la volonté US  de ne s’intéresser qu’aux puits de pétrole (du Nord-Mossoul et du Sud-chiite) a laissé l’oligarchie chiite, dirigée par Nouri Al Maliki soutenu par l’Iran, humilier les sunnites. Aujourd’hui, une partie de l’ossature du parti Baas de feu Saddam Hussein soutient l’armée de Da’esh qui contrôle aujourd’hui l’Ouest de l’Irak (Falloudja est entre leurs mains depuis janvier 2014), les puits de pétrole de Mossoul ainsi que le trafic maffieux de l’énergie entre l’Irak et de nombreux pays arabes dont la Jordanie. Le tout, bien sûr, soutenu financièrement par l’Arabie saoudite, toujours allié des États-Unis. À noter que l’Arabie saoudite intégriste soutient aussi financièrement l’extrême droite djihadiste sunnite contre la dictature militaire d’Assad en Syrie. En fait, la doctrine du Baas irakien a toujours été de faire des alliances de circonstances avec les amis de l’Arabie saoudite pour arriver à ses fins, comme dans les années 60 contre le parti communiste irakien ou contre l’Iran dans une guerre meurtrière. Il a fallu l’attrait du pétrole koweïtien au début des années 90 pour que le Baas rompe cette alliance.
Aujourd’hui, la frontière irako-syrienne tracée à partir d’un accord franco-anglais Sykes-Picot, confirmée par la Conférence de San Remo, n’existe plus. Un nouveau conflit géopolitique régional prend le dessus : l’Iran versus l’alliance Turquie-Arabie saoudite. En fait, l’hyperpuissance états-unienne n’arrive plus à contrôler l’ensemble de la région comme elle le faisait jusqu’ici. Pire, elle pratique des alliances contradictoires, en Libye et en Syrie d’une part et en Irak d’autre part. C’est une preuve de faiblesse qui ne trompe personne sur place.

Il ne serait donc pas impossible qu’une nouvelle tension envenime le Proche-Orient, cette fois-ci dans la mesure où l’extrême droite israëlienne pourrait être tentée de profiter de ce nouveau chaos et où l’influence de l’extrême droite djihadiste sunnite risque de se renforcer en Palestine et en Jordanie.
Là, comme ailleurs, seule la stratégie du double front contre les impérialismes et contre les extrêmes droites intégristes permet de garder une cohérence d’ensemble. Alors que la diplomatie française, que ce soit sous le règne de Sarkozy ou de Hollande-Fabius, s’est alignée comme jamais derrière l’étendard états-unien. Comme quoi là aussi, l’alternance n’est pas une alternative.

Gardons quand même à l’idée que le plus grand défi des États-Unis dans l’avenir restera son affrontement avec la Chine en Asie, la prochaine étape étant le redémarrage en 2015 de la négociation sur le Partenariat transpacifique sur le commerce et l’investissement dit PTP ou TPP), actuellement bloquéepar les agriculteurs japonais. Au fait, en matière de « grand marché » transatlantique, quelles couches sociales sauront en Europe s’opposer au TAFTA (Traité de libre-échange transatlantique) d’une part, de l’autre au TISA (Trade in Services Agreement, portant sur le commerce des services, clandestinement concocté depuis l’échec de Doha, voir aussi l’article de Z. Ramdane dans ce numéro) ?

Lutter contre le néo-libéralisme
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TISA : comment le mouvement réformateur néolibéral veut privatiser la décision publique

par Zohra Ramdane

 

Il faut comprendre les enchaînements. Devant la crise du capitalisme et l’effondrement du taux de profit dans l’économie réelle, les dirigeants du monde (patronat multinational, dirigeants des associations multilatérales et régionales, dirigeants des États des pays riches et l’administration états-unienne) ont décidé la financiarisation pour augmenter les taux de profit car il n’y avait pas d’autre possibilité de perpétrer le capitalisme. L’éclatement des bulles financières privées a conduit ces mêmes dirigeants du monde à les faire financer par de l’argent public ouvrant là l’impérieuse nécessité pour le capitalisme d’entrer dans une crise de la dette publique financée par des politiques d’austérité.

Mais cela ne règle rien et ces mêmes dirigeants s’engagent dans une fuite en avant vers plus de mondialisation, de financiarisation et de déréglementation afin de libérer les entreprises du poids de l’intervention publique. Écoutons David Rockefeller (Newsweek, 1er février 1999) : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. », ou Mme Claude Revel, conseiller de Mme Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur du gouvernement Hollande-Ayrault : il faut « prendre acte et tirer parti de la tendance de la délégation de la règle au privé » http://www.lemoci.com/media/rapport-revel-2013.pdf . Ces deux déclarations expliquent le titre de cet article.

Ainsi, entre autres, sont discutés en même temps, le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (dit TAFTA, ou encore PTaCI en français et TTIP en anglais), le Partenariat transpacifique pour le commerce et l’investissement (PTpCI en français), et l’Accord sur le commerce des services (ACS en français et TISA en anglais). On voit donc que la gouvernance mondiale du néolibéralisme fait feu de tout bois. L’ACS vise tout simplement la libéralisation totale du commerce des services. Cet accord discuté dans les locaux de l’ambassade d’Australie à Genève regroupe les États-Unis, L’Union européenne et une vingtaine d’autres États. Grâce à Wikileaks, nous savons qu’il a été décidé le 14 avril dernier de restreindre la capacité d’intervention de la puissance publique et de faciliter l’autorisation des produits financiers dits « innovants », conçus pour contourner les règles bancaires, comme au bon vieux temps d’avant la crise de 2007-2008.

Dans la négociation de l’ACS, tout y passe : les firmes Internet américaines plaideraient pour une transmission sans restriction des données de leurs clients, les grandes multinationales de services, elles, seraient favorables à l’accès sans discrimination aux marchés des pays signataires dans les mêmes conditions que les prestataires locaux, y compris l’accès aux subventions publiques (fin du protectionnisme). Les orientations du texte s’opposent également à toute nationalisation d’un service public privatisé tout en privilégiant la privatisation des profits encore intégrés dans les services publics. Dans un communiqué de février 2014, la Chambre de commerce des États-Unis ne cachait pas son enthousiasme  : « Il ne fait pas la une des journaux mais ce nouvel accord passionnant a le potentiel d’enflammer la croissance économique américaine. Les services sont clairement une force pour les USA, qui sont de loin le plus grand exportateur mondial de services. Le TISA devrait élargir l’accès aux marchés étrangers pour les industries de service. Le TISA ne fera pas les gros titres de sitôt, mais sa capacité à stimuler la croissance et l’emploi aux États-Unis est plus que significative ». La Chambre de commerce américaine évalue un marché accessible de 1 400 milliards de dollars.

L’accord limiterait aussi la capacité de légiférer sur la sécurité des travailleurs, l’environnement, la protection du consommateur et sur les obligations du service universel pour les plus pauvres. L’accord concernerait les procédures d’autorisation et d’octroi de licences, les services internationaux de transport maritime, les services de technologie de l’information et de la communication (y compris les transferts de données transfrontaliers), l’e-commerce, les services informatiques, les services postaux et de messagerie, les services financiers, le mouvement temporaire des personnes physiques, les marchés publics de services, etc.1

Tout en souhaitant bonne chance aux altercapitalistes de l’Autre gauche, ReSPUBLICA estime que tout, aujourd’hui, pousse à travailler à un projet alternatif au capitalisme lui-même !

  1. Sur les conditions dans lesquelles le Parlement européen a autorisé l’ouverture de ces négociations et sur la cécité des élus français, lire ]
Fiscalité
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L’impôt sur le revenu a 100 ans : pour plus de justice, réhabilitons-le !

par l'UFAL (Union des FAmilles Laïques)
www.ufal.info
http://www.ufal.org

Source de l'article

 

A la veille du 15 juillet, date anniversaire de la mise en place de l’impôt sur le revenu, l’UFAL propose une pétition à signer dont voici le texte.

« Bonnets rouges » après « pigeons », les mouvements populistes et corporatistes de refus de l’impôt se multiplient, dénonçant « une fiscalité confiscatoire », censée « alimenter la gabegie de nos élites corrompues »… Au contraire, les Républicains célèbrent les 100 ans de l’impôt sur le revenu (IR). Ils ont à cœur de rappeler que : l’impôt c’est les services publics, vecteur d’égalité et « patrimoine de ceux qui n’en ont pas ». Sans impôts, pas d’hôpitaux, d’écoles, de crèches, de police, de justice… Évidemment, nous trouvons toujours nos impôts trop lourds, surtout quand nos services publics se dégradent…
Mais la conversion du Gouvernement à une doctrine encore plus libérale que celle de la précédente majorité oblige tous ceux qui veulent résister à l’injustice sociale et fiscale à se réapproprier la lettre et l’esprit de la fiscalité républicaine.

Un impôt juste, parce que progressif et non proportionnel

L’impôt sur le revenu est le seul impôt majeur à être progressif : son taux est d’autant plus élevé que les revenus le sont. La progressivité est le fruit d’une logique imparable, car plus les revenus sont élevés et moins leur accroissement est utile à leur bénéficiaire. La progressivité fait de l’impôt sur le revenu un moyen de redistribution des riches vers les pauvres : pour des services publics égaux, ils payent selon leurs moyens.
Au contraire, l’imposition proportionnelle, parce qu’elle frappe au même taux le pauvre et le riche, avantage ce dernier puisqu’elle lui laisse forcément plus.
En France, la contribution sociale généralisée (CSG) est un impôt sur le revenu proportionnel : le taux unique appliqué diffère seulement selon la nature des revenus. Mais pour le riche comme pour le pauvre, les indemnités journalières de sécurité sociale, par exemple, sont taxées à 6,2 % par la CSG. Pour en atténuer l’injustice, des systèmes de seuil et des abattements ont dû être introduits. La CSG est devenue le premier impôt sur le revenu, rapportant 92,5 milliards d’euros en 2013, contre seulement 69 pour l’IR.

L’impôt indirect : deux fois injuste… mais indolore !

Parmi les impôts proportionnels (à taux unique), les impôts indirects sur la consommation — comme la TVA — sont encore plus injustes. En effet, le pauvre consomme la quasi-totalité de ses revenus (et donc, paye la TVA sur l’ensemble), alors que le riche en épargne une part importante (non taxable à la consommation). Ainsi, la TVA est un impôt dégressif en fonction du revenu — autrement dit, elle « redistribue » à l’envers !

Pourquoi un impôt si injuste ? Parce qu’il est indolore : il est inclus dans le prix payé par le consommateur, et non notifié au contribuable. Ainsi, personne ne s’est révolté contre la hausse de la TVA en janvier 2014. En revanche, c’est vrai, tout impôt direct est perçu comme « douloureux » : le contribuable y est d’autant plus attentif.

Comment on tue l’impôt sur le revenu, donc la justice fiscale

Depuis le milieu du XXe siècle, les possédants ont repris peu à peu le dessus, sous les gouvernements de droite comme de gauche. Le slogan ultralibéral « trop d’impôt tue l’impôt », repris y compris au sein du PS, vise en fait la progressivité de l’impôt, qui ferait fuir les riches.
Plusieurs procédés sont en cours pour étouffer l’impôt progressif sur le revenu :

  • limitation de sa progressivité, en rabotant les tranches supérieures moindre recours à cet impôt,
  • par multiplication des « niches » fiscales (investissements dans les DOM ou par le biais des systèmes de quotients),
  • par augmentation du nombre des non-assujettis (comme annoncé cette année), mesure démagogique, car tous continueront à payer la TVA !

Résultat : près d’un « foyer fiscal » sur deux est dispensé de l’IR (voire perçoit la « prime pour l’emploi », sorte d’impôt « négatif »). Cet impôt (69 Milliards d’Euros en 2013) ne vient plus qu’en 3e position des ressources fiscales de l’État, loin derrière la CSG (92,5 Md€), et surtout la TVA (145 Md€), impôts injustes ! Le plus injuste, la TVA, représentait à lui seul 41 % du produit fiscal (352 Md€) encaissé par l’État en 2013. L’injustice fiscale rapporte !

Dernière illustration de la faiblesse de l’IR : chaque année, en France, la fraude fiscale coute entre 60 et 80 milliards à la France (source : Solidaires-Finances publiques)… Soit un montant presque équivalent à ce que rapporte l’IR !!!

En tant que Républicains, nous souhaitons que l’impôt sur le revenu redevienne la première imposition de notre pays. Le renforcement de l’impôt sur le revenu doit permettre une baisse de la TVA, qui est l’impôt le plus injuste.

Annexe 1 – L’impôt sur le revenu : une victoire des Républicains

Les impôts hérités de la Révolution française étaient essentiellement patrimoniaux (contribution foncière, « taxe d’habitation ») et permettaient, selon l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, un simple « entretien de la force publique » et « les dépenses d’administration ».
Dès 1876, Gambetta proposa la création d’un impôt sur le revenu dont l’objectif serait de financer des services sociaux et de participer à la redistribution des revenus. L’impôt sur le revenu, c’est un des moyens de réaliser la République sociale, revendiquée depuis 1848. Il est mis en place le 15 juillet 1914 grâce à la pugnacité de Joseph Caillaux.
Avec l’application du programme du Conseil national de la Résistance, à la Libération, la protection sociale, financée par les cotisations et non par l’impôt, a permis la distribution de revenus universels à tous les ayants droit. L’impôt sur le revenu reste l’outil de la redistribution entre riches et pauvres.

Annexe 2 – La proportionnalité, comment ça marche ? Les « tranches »
Le revenu imposable du contribuable est divisé en tranches. Chaque tranche est imposée à un taux de plus en plus élevé.
Pour simplifier, supposons une imposition divisant le revenu en 10 tranches de 5.000 €, avec des taux qui augmenteraient de 1 % en partant de 0 % pour les revenus de 0 à 5.000 €. Cela donnerait : 5 % de 5.001 à 10.000 € ; 6 % de 10.001 à 15.000 €… et ainsi de suite jusqu’à 13 % au-dessus de 45.001 €.
Un contribuable A avec un revenu imposable de 13.000 € paierait 430 € d’impôt sur le revenu (5.000 €x 0 + 5.000 € x 5 % + 3.000 € x 6 %). Au contraire, avec un impôt proportionnel à 5 %, il devrait 650 €.
Un contribuable B avec un revenu imposable de 32.000 € paierait 1.950 € (5.000 € x 0 + 5.000 € x 5 % + 5.000 € x 6 % + 5.000 € x 7 % + 5.000 € x 8 % + 5.000 € x 9 % + 2.000 x 10 %), contre 1.600 € si l’impôt était proportionnel au taux de 5 %.
La dernière tranche est appelée la tranche marginale et le taux qui lui est appliqué le taux marginal d’imposition (à ne pas confondre avec un « taux moyen », qui lui est calculé sur l’ensemble du revenu !). Le taux marginal d’imposition était en France de 62 % en 1920, 70 % en 1950 (De Gaulle n’était pourtant pas un dangereux gauchiste), 81 % en 1967, 60 % en 1975, 58 % en 1985 et 41 % en 2010. Au Royaume-Uni, il fut de 90 % entre 1940 et 1980 (Thatcher…).

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Public/privé : un cas... d'école

 

NDLR – Jack Proult, président de la Fédération des œuvres laïques (FOL) de Maine-et-Loire, nous a adressé le témoignage suivant qui, s’il est local, nous a paru mériter d’être diffusé comme significatif du petit jeu auquel un gouvernement manquant de fermeté laïque peut être amené à se livrer sous couvert du respect des collectivités territoriales.

Public, privé : dans le Maine-et-Loire, le ministre de l’Education nationale doit choisir son camp

Il semble que dans le Maine-et-Loire, l’enseignement public soit victime d’une politique scolaire nationale de séduction à l’endroit de l’enseignement privé confessionnel. Malgré une promesse électorale1 et des demandes réitérées du Conseil départemental de l’éducation nationale, le ministre de l’Education nationale refuse d’user du Code de l’éducation pour obliger le Conseil général de Maine-et-Loire à construire un collège public dans le canton de Beaupréau.

Il y a sept ans, l’assemblée départementale, pour contrer la demande des parents d’une réalisation immédiate d’un collège public, avait fixé des critères quantitatif2 pour sa construction. Sa majorité UMP pensait que ceux-ci représentaient une gageure impossible dans un canton qui compte cinq établissements secondaires privés. Elle se trompait, ils sont atteints.

En 2015, à Beaupréau, l’ouverture d’un collège public aurait donc dû accompagner celle d’un lycée décidée par le Conseil régional. La cité scolaire publique (lycée et collège) aurait mis fin à l’hégémonie de l’enseignement privé confessionnel secondaire.

Mais, c’était sans compter sur la volonté partisane du Conseil général de protéger l’enseignement catholique. Faisant l’impasse sur les aides et les apports offerts par la région et la commun34.
5 pour imposer la construction du collège.

Cette intervention de l’Etat prouverait, malgré les avances faites à l’enseignement privé, que le développement de l’enseignement public reste encore une préoccupation du gouvernement socialiste.

La passivité du ministre, à l’opposé, attesterait que le principal souci du pouvoir est désormais d’intégrer l’enseignement privé dans des services locaux d’éducation. Ainsi chaque enseignement, de concert, pourrait collaborer à la mise en œuvre de projets éducatifs territoriaux. Le nouvel article L 111-1 du Code de l’éducation demandant aux établissements privés d’inscrire la devise républicaine sur leur fronton et d’y dresser le drapeau tricolore va dans ce sens ; le financement public d’amorçage des activités périscolaires de ces mêmes établissements aussi. Ainsi, dans le cadre de cette stratégie, le gouvernement ne voudrait froisser ni l’enseignement privé, ni les collectivités qui le soutiennent. Et, pour le collège de Beaupréau, il continuerait à s’aligner sur le Conseil général.

Au temps de la droite, l’enseignement diocésain s’est évertué pour que la région ne construise pas de lycée. Il avait reçu l’appui du Conseil général. Aujourd’hui, ce dernier, droit dans ses bottes, refuse de construire un collège qui aurait dû le précéder pour nuire à sa réussite.

Le Ministre ne peut plus se retrancher derrière les lois de décentralisation et laisser libre cours au Conseil général. Il doit choisir son camp.

  1. Engagement de Vincent Peillon au nom de François Hollande. []
  2. Un effectif cumulé pour les deux collèges des cantons voisins de 750 élèves et maintien d’au moins de 250 élèves pour chaque collège. []
  3. Le conseil régional s’engage à construire des parties communes et à prêter, dans un premier temps, des salles de classes. La commune a réservé un terrain. []
  4. L’effectif cumulé demandé passe à 850 élèves. []
  5. « L’Etat peut créer exceptionnellement des établissements d’enseignement publics du premier et du second degré dont la propriété est transférée de plein droit à la collectivité territoriale compétente. » []