Chronique d'Evariste
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« Nous sommes au bord du gouffre, avançons donc avec résolution ! »

par Évariste
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Cette formule, attribuée à Sully Prudhomme, serait-elle plus juste aujourd’hui que le « Tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien… » que nous entendions il y a encore quelques semaines ? Qu’en est-­il aujourd’hui, 70 ans après la signature des accords financiers de Bretton Woods ?
En fait, les néolibéraux mènent une excellente politique… pour l’oligarchie. A court terme, ils ont réussi à contrer la loi de baisse tendancielle du taux de profit. Mais pour combien de temps encore ?
Au deuxième trimestre, le PIB des première et troisième économies européennes (l’Allemagne et l’Italie) recule de 0,2 % et la seconde (la France) est en stagnation. Les politiques de dévaluation internes (baisse des salaires globaux due aux politiques d’austérité) nous mènent tout droit à la déflation. Au Portugal, l’empire économique de la deuxième banque du pays, la Banco Espirito Santo (un nom qui ne s’invente pas !) est en banqueroute ; il ne sera pas renflouée par l’Esprit saint mais par l’argent public qui n’ira donc pas aux services publics ! D’où le Conseil européen extraordinaire du 30 août. Y aurait­-il le feu au lac ?

Deux choses vont donc augmenter : le chômage et la dette publique. Fini l’inversion de la courbe du chômage de François Hollande : la dette publique à 100 % du PIB français, c’est pour bientôt. Au sein du capitalisme, une seule solution est prônée par les fédéralistes : l’intensification des politiques néolibérales et un nouveau recul de la démocratie. D’autres croient encore à une relance néo­keynésienne mais dans ce cas, à court terme, les profits vont baisser : qu’en pense l’oligarchie qui a tous les pouvoirs ? D’autres encore crient à l’euro trop fort alors que la zone euro des 18 pays a 200 milliards d’excédents extérieurs et qu’une baisse de l’euro augmenterait ces excédents et donc la guerre économique intra-­impérialiste.

Par ailleurs, il est à noter que les économies hors de la zone euro s’en sortent mieux à court terme : les Etats-Unis (EU) et la Grande-­Bretagne (cette dernière va bientôt ravir la 5e place au niveau du PIB à la France qui devenant la 6e : un recul historique programmé par ses « élites » depuis la Présidence Pompidou). Quant aux EU, leur PIB dépassera leur niveau d’avant la crise de 2007­-2008 contrairement à la zone euro. Alors qu’ils avaient 3,6 millions d’emplois en moins que la zone euro, ils en ont aujourd’hui 2,4 millions de plus. Cela ne les sort pas d’affaire pour autant mais cela montre que la zone euro est un carcan invalidant supplémentaire.

Comme l’ensemble des économies capitalistes développées (dont l’UE et les Etats-­Unis) font marcher la planche à billets de leurs banques centrales comme jamais au profit des banques et des institutions financières, les bulles spéculatives sont en train de se développer comme avant la crise de 2007-­2008, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Ajoutons à ce constat, que l’indice des prix de l’INSEE est un indice trompeur (le logement ne compte que pour 7 % dans l’indice !) et qu’en fait, les coûts contraints pour la majorité du peuple ont augmenté alors que les achats totaux des catégories plus favorisées ont diminué. C’est donc la double peine. Non seulement, nous entrons en déflation mais cela charge plus durement la majorité du peuple que les plus favorisés.

Sur le plan international, les guerres intra-­impérialistes se développent. La préparation de l’intensification encore plus forte des politiques d’austérité est en cours. Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) viennent de constituer une banque de développement qui a pour fonction de concurrencer le FMI et la Banque mondiale.

Les partenariats transatlantique et transpacifique pour le commerce et l’investissement (PTCI) ainsi que l’accord sur le commerce et les services (ACS) sont en cours de discussion avec un mandat de négociation peu imaginable par le grand public (remplacement de la justice publique par des tribunaux d’arbitrage privés, diminution des normes protectrices de toutes natures, accélération de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes, etc.).

De la Libye à l’Irak, les firmes multinationales ont voulu prendre le contrôle des sources d’énergie sous prétexte de « droits de l’homme » et ont en fait laissé ces pays en proie à des guerres civiles internes atroces entre intégrismes religieux, intégrismes soutenus par des alliés des puissances impérialistes occidentales. Au Proche­-Orient, les impérialistes occidentaux continuent de favoriser la politique de colonisation du gouvernement d’extrême droite d’Israël.

Avec ce constat de fin de cycle à l’échelle de l’histoire qui appelle à développer les luttes sociales, culturelles et politiques, mais aussi à se mettre à penser à un nouveau modèle politique, social et culturel, et tenant compte du fait que l’Autre gauche n’est pas encore à la hauteur des enjeux (voir les chroniques d’Evariste depuis le 25 mai 2014), plus que jamais, nous devons développer l’éducation populaire1 et ses pratiques d’instruction et de co­éducation en vue de travailler à la conscientisation, l’émancipation et surtout au développement de la puissance d’agir des salariés et des citoyens.

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Proche-Orient
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Garder la tête froide pour comprendre et agir face aux événements du Proche-Orient

par Zohra Ramdane

 

Alors qu’en France, les forces néolibérales soutiennent inconditionnellement et scandaleusement le gouvernement d’extrême droite d’Israël, nous voyons ici et là, y compris au sein de l’extrême gauche, des positions de type islamo-gauchiste conduisant à penser que tous les ennemis de l’État d’Israël sont des amis. Ces deux positionnements, qui se renforcent mutuellement comme d’habitude, doivent être condamnés par les acteurs pour la paix.
Face à cela, sur la ligne de crête de la solidarité internationale, de nombreuses manifestations de soutien au peuple palestinien et pour une solution politique au conflit israélo-palestinien ont eu lieu. A Paris, ce fut le cas lors de la grande manifestation organisée avec le service d’ordre de la CGT. En Israël même, des voix anti-gouvernementales se sont affirmées.Vendredi 15 août, pour la sixième semaine consécutive, résidents juifs et arabes de Wadi Ara, dans le nord d’Israël, ont formé une chaîne humaine le long de la route pour montrer que, voisins, ils refusaient la guerre et le racisme. Le 16 août, le Parti communiste d’Israël (formation politique intégrant les deux communautés juive et arabe, mais avec un recrutement majoritairement arabe), le Front démocratique pour la paix et l’égalité (Hadash, organisation de masse du PC d’Israël), le parti de gauche d’opposition Meretz (organisation de l’Autre gauche en Israël avec un recrutement essentiellement juif), l’ONG israëlienne La Paix maintenant (Shalom Akhsav), et d’un certain nombre d’associations comme « Une autre voix »1 et « Le cercle des familles endeuillées »2, ont mobilisé plus de 10.000 personnes dans la soirée du samedi 16 août à Tel-Aviv pour la reprise des négociations de paix avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Cette manifestation est la plus importante du « camp de la paix » depuis le déclenchement le 8 juillet de l’opération israélienne à Gaza, qui a fait près de 2 000 morts palestiniens et de 70 du côté israélien. Les banderoles de la manifestation sont explicites : « Juifs et Arabes refusent d’être ennemis » revenait en leitmotiv, une fois au masculin et une fois au féminin ; «  A Sdérot et à Gaza, les enfants veulent vivre » ; « Il n’y a pas de différence entre un sang et un autre, nous sommes tous des êtres humains » ; « Israël et Palestine, 2 Etats pour 2 peuples » ; «Oui à la paix, non à l’occupation »;  « Le racisme commence à la table du gouvernement », etc.

A noter que les socialistes du Parti travailliste israélien (les solfériniens de là-bas !) n’étaient pas présents à la manifestation.

« Le gouvernement de Nétanyahou n’a fait qu’affaiblirMahmoud Abbas et renforcer ainsi le Hamas », a déploré Nitzan Horowitz, un député du Meretz. ll a ajouté: « Il est de notre droit et de notre devoir d’appeler à une solution politique, qui est la solution qui assurera la paix et la sécurité. Personne ne nous fera taire ou nous intimidera ». La dirigeante du Meretz, Zehava Galon, a appelé à la démission du Premier ministre.

Mohamed Barakeh, député communiste du Hadash, a insisté sur l’injustice faite aux arabes israéliens qui sont arrêtés quand ils veulent manifester leur soutien à la population de Gaza, au prétexte qu’en temps de guerre, de telles manifestations pouvaient être source de violences.

L’écrivain David Grossman a, lui aussi, proclamé qu’il fallait « faire la paix avec l’Autorité palestinienne et négocier avec le gouvernement d’union palestinien ».  Affirmant qu’il est temps de se réveiller et de ne pas sombrer dans la dictature de la peur, il précise : « Il n’y a pas de solution militaire au conflit entre Israël et le Hamas. Il n’y a pas de solution militaire qui puisse mettre fin à la souffrance des Israéliens dans le sud et la souffrance inhumaine de la population de Gaza. Les gens en Israël ne pourront pas respirer librement, tant que le blocus sur Gaza ne sera pas levé. »
Pour lui, les problèmes sociaux, le racisme, la corruption… sont des tunnels en train de miner la fragile démocratie israélienne, risquant de transformer en un temps très court, plus court qu’on ne l’imagine, un pays avancé tourné vers l’avenir en une secte extrémiste, détestant les étrangers et refermée sur elle même. Enfin Grossman rappelle la détresse des arabes israéliens qui voient parfois les enfants de leurs voisins tirer sur leurs proches vivant à Gaza et à qui l’on refuse le droit de crier.

Mais il faut prendre conscience qu’un accord de paix demande une solution et une action globales. Agir pour la paix entre Israël et un État palestinien, c’est donc agir pour qu’un État palestinien soit reconnu internationalement.

La base amendable d’un accord de paix est connue de tous depuis longtemps : elle serait du type Accord de Genève de 2003. Mais les dirigeants actuels d’Israël surfent sur de bons chiffres de l’économie israélienne qui feraient rêver nombre de pays européens.  Agir pour la paix exige donc des actions visant de façon non-violente à atteindre l’économie israélienne par le boycott de ses produits vendus à l’étranger, et de la même façon l’économie américaine, son principal allié.

Mais cela ne suffit pas. Il faut un projet global culturel, politique et social pour le Proche-Orient. Mais là, il faut combattre le double jeu des États-Unis et de l’Union européenne : discours de paix et actions de soutien à la guerre !

Il faut également régler de nombreux problèmes comme le problème de l’utilisation des nouvelles réserves énergétiques trouvées dans cette région et notamment à Gaza, ainsi que le problème de l’eau car, en dehors du Liban et de la Turquie, le potentiel hydraulique de la région est faible (lire « La question de l’eau dans les relations israélo-palestiniennes : un conflit insoluble ? » par Mélodie Le Hay sur http://www.lesclesdumoyenorient.com/La-question-de-l-eau-dans-les.

Voilà pourquoi ce conflit s’éternise : pas d’action globale et insuffisance de la bataille internationale contre le double jeu des puissances impérialistes occidentales. Là est l’angle mort du problème israélo-palestinien !

  1. Association regroupant des Israéliens habitant dans des villes et des kibboutzim frontaliers avec Gaza, qui maintiennent des contacts depuis des années avec la population gazaouie et qui militent contre la déshumanisation de l’autre suite au conflit. []
  2. Association regroupant 600 familles, 300 israéliennes et 300 palestiniennes, qui ont perdu des proches dans des guerres et ou des attentats, et qui militent ensemble en se rendant devant des assemblées juives et palestiniennes pour expliquer qu’il faut mettre fin au conflit. []
Europe
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Le fiasco de l’opération « chefs de file » au Parlement européen

par Bernard Cassen
Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac
http://medelu.org

Source de l'article

 

Lors de la campagne des élections au Parlement européen de mai dernier, on nous avait promis un pas décisif vers la résorption du « déficit démocratique » qui — chacun en convient — caractérise l’architecture et le fonctionnement des institutions communautaires. Le remède miracle était le suivant : chaque formation politique paneuropéenne désignerait un chef de file unique pour l’ensemble de ses composantes nationales, et le chef de file du parti ayant obtenu le plus grand nombre d’eurodéputés deviendrait le futur président de la Commission européenne.

En somme, en votant pour un parti dans son pays, l’électeur ne se prononcerait pas seulement en faveur d’une ligne politique et de candidats qui la défendent, mais également sur le nom du président de l’exécutif bruxellois. C’est ainsi que les partis sociaux-démocrates désignèrent l’Allemand Martin Schulz, les conservateurs le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, les libéraux-démocrates le Belge Guy Verhofstadt, les Verts l’Allemande Ska Keller et le Français José Bové, et la gauche radicale le Grec Alexis Tsipras.

A en croire le discours tenu par la plupart des dirigeants, en particulier ceux se réclamant de la social-démocratie et même de certains segments de la gauche dite radicale, cette innovation du traité de Lisbonne permettrait de combattre l’abstention en « politisant » l’élection du Parlement et les orientations de la future Commission. Jusqu’alors, en effet, et quels que soient leurs résultats, les élections européennes débouchaient immanquablement sur un pacte entre la droite du Parti populaire européen (PPE) et la social-démocratie du Parti des socialistes européens (PSE) pour une alternance à mi-mandat à la présidence du Parlement et pour la répartition des présidences de commissions parlementaires. Pour la première fois, les clivages politiques nationaux entre, pour l’essentiel, la droite et la gauche pourraient, nous disait-on, trouver leur légitime traduction à Strasbourg et à Bruxelles…

Avant même la tenue du scrutin, il était évident que cette argumentation relevait de la mystification. Pas plus que l’on ne saurait demander à un zèbre de rugir, on ne peut attendre de la Commission qu’elle soit « de gauche » [1]. Quelle que soit en effet sa couleur politique personnelle, son président est tenu d’agir dans le cadre des politiques néolibérales qui figurent en toutes lettres, et plutôt deux fois qu’une, dans les différents traités européens, et qui interdisent toute autre orientation. En d’autres termes, l’intervention politique des citoyens peut porter sur tous les sujets… sauf sur ceux sanctuarisés par les traités, c’est-à-dire les plus fondamentaux. Le néolibéralisme n’est plus alors une option de société parmi d’autres, mais un socle aussi intouchable que le suffrage universel ou la présomption d’innocence.

Par ailleurs — petit détail oublié dans le débat — la composition du collège bruxellois échappe à son président : les 27 autres commissaires sont désignés par leurs gouvernements respectifs et, dans l’hypothèse fantaisiste où il voudrait prendre des libertés avec les dispositions des traités, il se retrouverait complètement isolé.

Au lendemain des élections de mai, ce qui ne faisait pas l’ombre d’un doute, sauf chez les vrais ou faux naïfs, s’est effectivement produit : la continuité dans la cogestion du Parlement et dans l’appui à la Commission et aux traités par le PPE et le PSE. Appuyés par les libéraux-démocrates du groupe ALDE, ils se sont mis d’accord pour reconduire Martin Schulz à la présidence du Parlement et pour porter Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission où il succèdera à un autre conservateur, José Manuel Barroso. Dans un grand moment de sincérité, et au-delà de leurs ambitions personnelles concurrentes, les deux nouveaux présidents élus nous avaient prévenus avant le scrutin : interrogé sur ses divergences avec Jean-Claude Juncker, Martin Schulz avait déclaré le 9 avril dernier « je ne sais pas ce qui nous distingue » [2].

Nous sommes en plein déjà-vu, un déjà-vu qui tourne en dérision les promesses (plus précisément les illusions) de choix possibles entre orientations européennes différentes, et qui revient à cautionner le carcan des traités. On peut s’étonner que, en désignant également un candidat à la présidence de la Commission — Alexis Tsipras —, la plupart des partis de la gauche radicale européenne — dont les eurodéputés siègent dans le groupe GUE/NGL — aient initialement accepté de légitimer une règle du jeu qui les banalise. Après coup, ils se sont cependant « rattrapés » en votant contre la candidature de Jean-Claude Juncker [3].

Voilà qui, en France, a dû décevoir Ensemble, nouvelle composante du Front de gauche rassemblant plusieurs de ses personnalités et de ses courants précédemment non organisés en son sein, et dont un des responsables avait préconisé un vote positif [4]. Son argumentation peut se résumer ainsi : le Parlement européen qui élit le président de la Commission, dont le nom lui est proposé par le Conseil européen (les 28 chefs d’Etat et de gouvernement), doit imposer en amont à ce dernier la seule désignation que lui, Parlement, acceptera ensuite de ratifier. C’est là une interprétation audacieuse du traité de Lisbonne qui prévoit seulement que, dans sa proposition, le Conseil « tiendra compte » des résultats de l’élection du Parlement. Et c’est cette interprétation qui constituerait une avancée démocratique !

On ne voit pourtant pas en quoi un Parlement élu par seulement 44 % des électeurs inscrits serait plus légitime que des gouvernements issus de scrutins législatifs où les taux de participation ont été très nettement supérieurs. D’autant plus que les élections européennes sont en fait une juxtaposition d’élections nationales mesurant en premier lieu des rapports de forces nationaux. Si l’on ajoute à cela le fait que les noms des chefs de file européens, lorsqu’ils existaient, ne figuraient pas sur les bulletins de vote nationaux, il est extravagant de prétendre que même les électeurs du PPE se sont prononcés pour Jean-Claude Juncker. Il en serait évidemment allé de même pour le chef de file de tout autre parti arrivé en tête du scrutin.

Le caractère absurde de cette pratique a été mis en évidence par un ancien eurodéputé centriste, Jean-Louis Bourlanges, l’un des plus fins analystes français des questions européennes : « Le fait d’arriver en tête avec 25 % des voix dans un système multipartisan n’est absolument pas créateur de légitimité démocratique. Il me paraît extravagant de considérer un homme, qui n’a pas été choisi par 75 % des votants, comme élu démocratiquement. Arriver en tête dans une élection comprenant un nombre important de candidats n’est pas du tout le signe que l’on est le préféré du corps électoral en question » [5]. La conclusion de l’auteur est sans appel : « Contrairement à ce que tout le monde a voulu faire croire, il ne s’agit pas d’une logique démocratique mais « partitocratique », qui méconnaît les pouvoirs du Conseil européen et ceux des parlementaires, qui se sont condamnés à voter pour un homme imposé par une minorité d’entre eux » [6]. On ne saurait mieux dire.
Dans leur obsession anti-étatique, certains secteurs de la gauche radicale en sont venus à laisser entendre que ce n’est pas le capitalisme qui « porte en lui la guerre, comme la nuée l’orage » (Jaurès), mais la nation et le principe de souveraineté. Aussi se cramponnent-ils à toute « avancée » post-nationale — en l’occurrence la désignation de chefs de file à l’échelle électorale des Vingt-huit — pour postuler, contre toute évidence, l’existence d’un espace public européen, alors que cet espace reste confiné aux tractations entre gouvernements et appareils partisans à Bruxelles et à Strasbourg. Il n’y a pas lieu de s’en féliciter : il faut d’abord prendre acte de cette inexistence pour la surmonter à terme car le wishful thinking (prendre ses désirs pour des réalités) ne constitue pas une politique.

Si l’UE venait un jour à se transformer en communauté politique de citoyens, les anti-étatistes de la gauche européiste se trouveraient placés devant une contradiction existentielle que Frédéric Lordon a parfaitement identifiée : « Il serait donc grand temps de mettre un peu de conséquence dans las appels angoissés à l’ « Europe », rivés à des postures de dépassement dont jamais les conditions de possibilité ne sont analysées – et encore s’agit-il de faux déplacements, puisqu’ils conduiraient en fait à un simple redéploiement du principe de souveraineté à une échelle territoriale étendue… c’est-à-dire à la reconstitution, fût-ce sous la forme fédérale — mais ceci n’est qu’une différence seconde — du principe même qu’ils vilipendent quand ils l’observent dans la limite du territoire des actuelles nations ! » [7].

Le fiasco de l’opération « chefs de file », qui a débouché sur la reconduction de la « grande coalition » PPE/PSE, a au moins eu le mérite de rappeler que, face au bloc constitutionnel de traités ultra-libéraux, il reste seulement aux citoyens une souveraineté limitée aux apparences d’une « démocratie » européenne [8]

Notes

[1] Lire « L’illusion d’une Commission européenne de gauche ».

[2] Lire « Elections européennes : quand socialistes et conservateurs font cause commune ».

[3] Jean-Claude Juncker a obtenu 422 voix, soit nettement plus que la majorité absolue requise (376). Les voix « contre » s’élèvent à 250 et les abstentions à 47.

[4] https://www.ensemble-fdg.org/thèmes/europe

[5] https://www.contexte.com/bourlanges-lelection-de-juncker-est-le-fruit-une-procedure-perverse

[6]  Ibid.

[7] Frédéric Lordon, La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les liens qui libèrent, Paris, 2014.

[8] Lire Bernard Cassen, Hélène Michel et Louis Weber, Le Parlement européen pour faire quoi ?, Editions du Croquant, Broissieux. 73340 Bellecombe-en-Bauges, 2014.

Protection sociale
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Le Conseil Constitutionnel casse le projet Hollande d'allègement des cotisations salariales

par Olivier Nobile
responsable de la commission Protection sociale de l'Union des Familles laïques (UFAL)

 

NDLR : Version revue par l’auteur de son texte « Le Conseil Constitutionnel casse le projet Hollande d’allègement des cotisations salariales … et accélère la destruction du salaire socialisé » publié par l’UFAL.

Le Conseil Constitutionnel a censuré le 6 août l’allègement dégressif des cotisations sociales salariées inscrites dans le PLRFSS (pacte dit de solidarité). Les Juges ont estimé que la mesure créait une inégalité de traitement entre les assurés sociaux car le droit à prestation sociale retraite et maladie aurait été équivalent entre les assurés sociaux alors même que leurs efforts contributifs auraient été différents.

Cette décision met un coup d’arrêt à la stratégie gouvernementale d’augmentation du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes par un allègement des cotisations sociales. L’UFAL avait cependant rappelé dans un article précédent que l’allègement de cotisations salariales constituait une mesure d’augmentation en trompe l’œil du pouvoir d’achat des salariés qui se serait traduite par une fiscalisation accrue du financement de la Sécurité sociale et donc, en définitive par une augmentation des impôts pour compenser le manque à gagner.

La décision du Conseil Constitutionnel ne change toutefois rien au problème de fond car l’enjeu principal du pacte de responsabilité de F. Hollande porte sur l’allègement massif des cotisations patronales qui financent la Sécurité sociale au nom de la compétitivité des entreprises.

La décision des Sages a néanmoins le mérite de rappeler que la cotisation sociale n’a pas du tout la même nature que l’impôt. Contrairement à ce dernier, elle constitue en effet le fait générateur d’une ouverture d’un droit à des prestations sociales contributives : droit à retraite et droit à l’assurance maladie.

Cette décision comporte néanmoins deux faiblesses de taille.

Premièrement, le Conseil Constitutionnel ne semble reconnaître un caractère contributif qu’aux seules cotisations salariales (versées par le salarié) alors même qu’il existe d’ores et déjà une inégalité de traitement considérable entre salariés en termes de versement de cotisations patronales pourtant identiquement adossées à leur salaire bien qu’acquittées par l’employeur. Rappelons qu’il existe actuellement une exonération généralisée sur les bas salaires dégressive jusqu’à 1,6 SMIC, soit l’équivalent de 30 milliards d’euros de prestations sociales. Or, l’UFAL n’a de cesse de répéter que l’ensemble des cotisations sociales, qu’elles soient salariales ou patronales ont la même valeur de salaire indirect pour les travailleurs à qui elles confèrent un droit inaliénable à des prestations sociales.

Deuxième faiblesse et pas la moindre, en faisant reposer sa décision sur la seule notion d’égalité contributive, le Conseil Constitutionnel emboîte le pas des idéologues néo-libéraux de stricte contrepartie individuelle entre cotisation sociale et ouverture d’un droit à prestation sociale. Or, cette analyse est contraire à la philosophie même du droit de la Sécurité sociale qui a historiquement mis en oeuvre un double mouvement d’extension du caractère contributif de la cotisation sociale.

A la famille d’une part car les ayants droit d’un assuré social bénéficient de l’Assurance maladie au même titre que l’assuré social lui même. La pension de réversion au conjoint survivant opère le même mouvement d’extension familiale des pensions de retraite.

D’autre part, la cotisation sociale est indissociable d’un mouvement de socialisation (ou d’universalisation) de l’ouverture des droits sociaux à l’ensemble de la population, lui conférant une dimension de salaire socialisé. Ainsi, les allocations familiales encore financées majoritairement par la cotisation sociale sont accordées à l’ensemble des familles de 2 enfants et plus. Citons également l’affiliation dérogatoire à l’Assurance Maladie sur critère de résidence via la CMU de base pour les assurés sociaux les plus modestes qui ne cotisent pas directement à la Sécurité sociale.

Cette décision vise par conséquent à rigidifier la frontière entre les prestations sociales dites contributives financées par la cotisation sociale (retraites, prestations en espèce de l’assurance maladie ou AT/MP, les allocations de chômage) et les prestations dites universelles (allocations familiales, prestations en nature de l’assurance maladie) qui ont vocation, selon cette logique, à n’être plus financées que par l’impôt. Les premières tendent désormais à n’être versées qu’au seul travailleur inscrit à titre personnel dans une situation d’emploi salarié. Les secondes sortent en revanche de l’orbite du salaire et ressortissent du champ de la solidarité nationale et de l’impôt redistributif.

Industrie pharmaceutique
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La santé coûte trop cher… mais à qui rapporte-t-elle ?

par Anne Gervais Hasenknopf

 

A l’heure de l’accentuation des politiques d’austérités néolibérales, au moment même où la doxa médiatique fustige les dépenses publiques excessives, les OPA boursières des entreprises pharmaceutiques ne sont-elles pas financées par l’argent public ?

« La santé n’a pas de prix »… mais elle a un coût, vieille rengaine qui s’ajoute à toute réflexion sur notre système de santé. Sur les 187 milliards que la France consacrait à la santé en 2012, plus de 34 milliards étaient dépensés en médicaments. L’arrivée en 2014 de médicaments innovants pour le traitement de l’hépatite C (VHC) risque d’alourdir singulièrement la facture, à tel point que 15 ministres européens1 de la santé ont déclaré de façon commune le 20 juin 2014, à l’initiative de la France, que les prix des traitements de l’hépatite C « sont extrêmement élevés et insoutenables pour les budgets de santé ». Il faut dire que, seulement en France, près de 100 000 patients devraient être traités contre le VHC. Car le VHC peut entrainer en plusieurs décennies des maladies avancées du foie : cirrhose, cancer, justifiant une transplantation hépatique. Le prix demandé pour la mise sur le marché d’une des nouvelles molécules antiVHC, lesofosbuvir, est de 680 euros par comprimé, le traitement doit associer au moins un autre antiviral. Le traitement d’un patient devrait donc couter entre 50 000 et 100 000 euros (12 à 24 semaines de traitement)…pour 100 000 patients, c’est 6 milliards que la sécurité sociale devrait apporter. On envisage mal une telle dépense à l’heure où des économies drastiques sont annoncées.

Comment expliquer le prix du traitement ? Le laboratoire qui produit le Sofosbvuvir, Gilead, a racheté en 2011 pour 11 milliards de dollars Pharmasset, le laboratoire pharmaceutique l’ayant développé.Le retour sur investissement devrait être rapide : le 23 avril l’agence Reuters annonçait un démarrage record des ventes du sofosbuvir… 2,27 milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) dans les trois premiers mois de commercialisation. Le coût de production de 12 semaines de traitement par sofosbuvir est estimé à 250 euros environ contre un remboursement demandé aux alentours de 50 000 euros. Certes usuellement les laboratoires donnent comme argument le coût de la recherche. Les firmes pharmaceutiques évaluent à 800 millions d’euros le coût du développement d’une nouvelle molécule. Cela ne tient évidemment pas compte des exonérations fiscales dont elles bénéficient pour leurs recherches, ni des financements publics qui participent largement dans de nombreux pays à la recherche fondamentale et à la mise sur pied des essais cliniques. Des chercheurs américains ont, en 2009, estimé le coût de développement de deux vaccins contre les rotavirus. Les dépenses totales étaient selon eux, de 128 à 206 millions de dollars. Or les fabricants avaient dû financer des évaluations cliniques d’une amplitude inhabituelle, comprenant à chaque fois plus de 60.000 enfants. Il est donc vraisemblable que le coût de développement des nouvelles molécules est surestimé par les laboratoires pharmaceutiques. En tout état de cause, dans le VHC, le prix du sofosbuvir ne sert pas à financer le coût de son développement ou de sa production mais à rembourser une spéculation boursière.

Le problème est d’autant plus aigu qu’il risque fort de se répéter si la régulation demandée par les autorités européennes – et certains députés français2 – n’est pas obtenue : ainsi Abbvie qui possède d’excellents antiVHC en cours d’homologation, a fait une offre publique d’achat le 14/07 au laboratoire Shire pour 53.7 milliards de dollars… 4.8 fois le rachat de Pharmasset par Gilead… les antiVHC d’AbbVie (Ombitasvir + Dasabuvir) seront-ils vendus à 4,8 fois le prix du sofosbuvir, histoire de rembourser les actionnaires ? Devra-t-on payer 3 000 euros la gélule de combinaison thérapeutique ?

Ce n’est évidemment pas aux assurances maladie publiques (ou privées pour les Etats-Unis) de solvabiliser les OPA. Dans les années 90, une solution avait été trouvée via les licences obligatoires pour les antirétroviraux, inabordables pour les pays du sud, pourtant lourdement affectés par l’épidémie de Sida. La déclaration de Marakkech du 15/04/1994 à l’OMC sur les aspects des droits de propriétés intellectuelles qui touchent au commerce (ADPIC) stipulait dans son annexe 1c article 27 que « …Les Membres pourront exclure de la brevetabilité les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes… »

Les autorités sanitaires sont dans leur rôle en faisant baisser les prix et en garantissant l’accès aux nouvelles molécules. Les « entreprises de santé » ne sont pas des entreprises ordinaires. Car certains biens, santé, justice, éducation ou sécurité, accès à l’eau ou à l’air ne sont pas marchands. Il n’est pas possible, sans mettre en péril la collectivité, de laisser la spéculation s’en emparer. Les licences obligatoires dans le cas du VIH, ont été une réponse efficace. Dans le cas des anti-VHC et peut être ailleurs, il serait, somme toute, normal, d’y avoir recours.

  1. Sur proposition de la France, les pays suivants ont cosigné la déclaration : Allemagne, Belgique, Chypre, Croatie, Irlande, Italie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. []
  2. Lettre commune de 5 députés : Gérard Bapt, Catherine Lemorton (présidente de la commission des affaires sociales à l’Assemblée), Olivier Véran, Bernadette Laclais et Jean-Louis Touraine, au président de Gilead France rappelant notamment « le montant des dividendes versés à vos actionnaires en 2013 ». []