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L’impensé de toutes les gauches : l’exclusion politique de la classe ouvrière et employée

par Évariste
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L’histoire contemporaine est aussi l’histoire d’une inclusion de la classe ouvrière dans la vie politique : celle des partis communistes en général et du PCF en particulier.
Cette histoire a été marquée par l’élection d’une centaine d’ouvriers communistes à l’Assemblée nationale en 1946. Malheureusement, cette inclusion fut réalisée sous direction stalinienne avec donc les conséquences que nous connaissons aujourd’hui. Car pour nous, la critique et donc le combat contre le stalinisme furent nécessaires pour venir à bout de cette doctrine catastrophique. Mais les forces capitalistes et leurs alliées en ont profité pour entraîner les autres gauches à jeter le bébé avec l’eau du bain. Ces autres gauches en profitèrent pour, à la fois : combattre le stalinisme (ce qui nous paraît un combat juste) et engager l’exclusion de la classe ouvrière et employée de la vie politique (politique que nous condamnons).

La politique néolibérale ouverte dans les années 70 a donc éradiqué de la vie politique la seule force propulsive potentielle qui a un intérêt objectif, dans une période d’approfondissement de la crise comme actuellement, à mener conjointement la lutte contre les fléaux du capitalisme et in fine contre le capitalisme lui-même.
Mais l’histoire contemporaine est aussi l’histoire de l’exclusion ultérieure des ouvriers et des employés de la vie politique.

Un livre arrive à point nommé Le communisme désarmédu sociologue de l’INRA Julian Mischi (collection « Contre-feux » éditions Agone). Le sous-titre précise le propos : « Le PCF et les classes populaires depuis les années 70 ». Il montre les phases employées par le bloc dirigeant du PCF pour aller dans le sens de l’exclusion de la classe populaire ouvrière et employée (Julian Mischi parle lui des classes populaires pour parler des ouvriers et des employés) :

  •  d’abord la période d’abandon de la lutte des classes (exploités contre exploiteurs) au profit de la lutte des pauvres contre les riches (thématique prise dans la doctrine sociale de l’église) en faisant passer le PC de parti de la classe ouvrière en parti de l’unité du salariat (jusqu’au parti des « gens » de Robert Hue),
  •  puis la période « ouvriériste » qui remplace les cadres ouvriers forgés dans les luttes et les grèves par des permanents issus de la classe ouvrière mais qui n’ont eu comme seul employeur que le PC lui-même,
  • puis, l’arrivée massive des enseignants dans les cadres politiques du PCF,
  •  et enfin, devenir le parti des salariés de la fonction publique territoriale et de ceux qui travaillent pour les collectivités territoriales de gauche1.

Le livre cité offre une floraison de chiffres éloquente au niveau national et dans quelques départements dans lesquels l’auteur a épluché les archives des fédérations, des sections et des cellules. Par exemple, le secteur national « Vie du parti » montre que 23 % des adhérents de 2013 travaillent dans une collectivité territoriale (p. 90).

Ce livre illustre les déclarations de l’homme fort du PCF, Gaston Plissonnier, dans le passage d’une phase à l’autre et montre comment le Parti a supprimé les structures internes de formations longues (indispensables pour l’inclusion des ouvriers et des employés comme cadres politiques) pour s’en remettre aux couches moyennes intermédiaires et surtout supérieures formées par l’université néolibérale.

J. Mischi montre que si l’opinion publique n’a eu vent que des critiques et dissidences intellectuelles (qui ont une plus grande visibilité, par contre, dans la presse), la réalité interne a été principalement une contestation des cadres ouvriers eux-mêmes. C’est une des raisons du passage à la phase ouvriériste où le pouvoir est alors transféré à des ouvriers diplômés mais qui, à la sortie de leurs diplômes, ont été directement des permanents salariés du parti.

Résultat de ce processus, le PCF – comme les autres partis de gauche d’ailleurs2 – n’attire plus les ouvriers et les employés3, majoritaires dans la population active, et du coup le recul électoral est violent aux élections locales.

L’ouvrage de Mischi a aussi l’intérêt d’illustrer l’idée que la lutte des classes a été remplacé par la lutte pour la diversité des catégories (femmes, maghrébins, noirs, croyants communautaires, etc.). Cette politique du communautarisme catégoriel a aussi contribué à la marginalisation des cadres ouvriers.

Exit les cadres ouvriers masculins remplacés par la diversité culturelle des couches moyennes intermédiaires mais surtout supérieures. Voilà ce qu’a développé la prégnance néolibérale. Car bien sûr, on ne remplaçait pas les ouvriers masculins par des ouvrières ou employées féminines ! Inutile de dire que si on est une femme, ouvrière ou employée et maghrébine, cela devient la triple peine. Comme si la lutte des classes n’existait pas dans les catégories de la diversité ! On comprend mieux pourquoi la parité hommes –femmes dans les municipalités et les régions n’a eu aucun effet par rapport aux besoins des femmes ouvrières et employées, par exemple sur le manque de plus de 400.000 places de crèches collectives ou familiales ou sur les difficultés accrues des femmes pour l’accès à des centres IVG publics !

Sociologiquement, l’Autre gauche est malheureusement en cours de rattrapage de la sociologie des solfériniens socialistes ! Alors qu’en 1946, le PCF avait réussi à faire élire une centaine d’ouvriers à l’Assemblée nationale !

Le résultat est donné par l’étude du Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF) réalisé par le chercheur du CNRS Luc Rouban. Avec les élections 2011-2014, près du tiers des conseillers généraux et régionaux sont issus des couches supérieures. Ce chiffre monte à 81,5  % pour les députés. Ce chiffre est porté à 93 % pour les maires des villes de plus de 100.000 habitants ! Alors qu’ils ne représentent que 15  % de la population. Le nombre de députés émanant des couches populaires est de 0, 2 %. Pourquoi ne parle-t-on jamais de parité sociale ? N’est-ce pas une forme de lutte de classe, entre la classe ouvrière et une bourgeoisie intellectuelle qui a pris son essor avec le développement de l’enseignement supérieur dans les années 60, et qui a évincé la classe ouvrière de la représentation dans la République ?

Nous savons bien sûr qu’il y a de nombreuses autres causes qui ont participé à cette exclusion de la classe populaire ouvrière et employée : désindustrialisation, évolution des forces productives, « révolution informationnelle », suppression des usines bastions, chômage et précarité, etc. Mais nous savons aussi que le « communisme municipal » a poussé l’appareil du  PCF à s’auto-reproduire dans la consanguinité, après que la passerelle PCF-CGT qui fournissait des cadres ouvriers au PCF fut progressivement fermée.

Disons-le tout à trac : sans processus culturel, économique et politique pour lutter contre l’exclusion politique des ouvriers et des employés majoritaires dans le peuple4, il n’y aura pas d’alternative au modèle politique néolibéral que ce soit dans sa forme « droite », ou dans sa forme « gauche », ou dans sa forme « droite et extrême droite » comme dans les années 30.

Jamais dans l’histoire, les couches supérieures n’ont défendu les intérêts de la classe populaire ouvrière et employée sans que celle-ci soit représentée dans les responsabilités politiques. Quel que soit l’enthousiasme militant autour des nombreuses initiatives qui fleurissent ici et là.

Mais ce processus est-il irréversible ? Nous pensons que non, si une prise de conscience a lieu qu’il n’y a pas de transformation culturelle, sociale et politique possible sans représentation de la classe populaire ouvrière et employé dans un parti qu’elle perçoit comme étant le sien.

Nous appelons les responsables politiques de gauche à faire de la parité sociale une priorité en s’ouvrant à nouveau aux militants issus du monde du travail et en favorisant leur effective intégration aux structures politiques, à tous les niveaux. Nous appelons aussi les responsables syndicaux à réinvestir le champ politique en s’engageant durablement dans les structures de la gauche politique pour contribuer à leur transformation.

Errare humanum est, perseverare diabolicum (L’erreur est humaine mais persévérer serait diabolique).

 

  1. Le Front de gauche thématique « Ville Habitat » est de ce point de vue intéressant à étudier []
  2. En particulier le parti socialiste, ex « Section Française de l’Internationale Ouvrière », qui n’a plus d’ouvriers dans ses cadres depuis longtemps, la génération des enseignants étant même en cours de remplacement par des diplômés de Sciences Po et de l’ENA. []
  3. 70 % des ouvriers et des employés, des moins des jeunes de moins 35 ans, des couples gagnant moins de 20.000 € par an, des chômeurs, se sont abstenus à l’élection européenne de mai 2014. []
  4. Il est étonnant de voir que le manque de visibilité des femmes (qui représentent 53% de la population active) dans les instantes dirigeantes est pris en compte dans les discours des gauches mais pas celle de la classe des ouvriers et employés (qui représentent aussi 53 % de la population active, pour les deux sexes) qui elle n’existe plus dans les instances dirigeantes ! []
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La Réforme des programmes scolaires : pour faire pire que la droite ?

par Pierre Hayat

 

C’est reparti. L’éducation nationale engage  une énième   refonte des programmes. Prévue par la loi Peillon de 2013, cette réforme suit de huit années celle imposée par  la loi Fillon qui devait, elle aussi, « bousculer le mammouth », comme disait Claude Allègre. Une réforme en profondeur de l’éducation nationale est-elle nécessaire ? Sans aucun doute. Faut-il revenir sur la loi Fillon ? Certainement, puisqu’elle a sensiblement aggravé la mise en concurrence des établissements et des disciplines scolaires, qui  divise  l’école publique et  accroît les inégalités.  Aujourd’hui, plus de 20% des élèves entrent au collège sans maîtriser les bases de la lecture et du calcul, plus de 100.000 élèves quittent l’école sans qualification, et nous savons qu’en France, l’écart des performances des élèves selon leur origine socio-culturelle  est  supérieur à celui de nombreux pays. On ne peut ignorer non plus qu’un management  autoritariste  de hiérarchies souvent incompétentes  nuit au moral des personnels enseignants, ouvriers et administratifs. Et on interprète l’évitement du métier d’enseignant par  les jeunes diplômés comme un symptôme de  mauvaise santé de l’école.

Le marché de dupes de l’école des compétences

La nouvelle réforme des programmes peut-elle améliorer la situation ? Après quelques turbulences intestines, le Conseil supérieur des programmes a rendu public  un « Projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». Cependant, ce n’est pas la loi Peillon mais la loi Fillon de 2005 qui, la première, a institué « un socle commun » que tous les élèves doivent maîtriser à l’issue du collège. Ce nouveau dispositif fut instauré en application directe des « compétences-clés » européennes en vue d’améliorer « l’employabilité du capital humain ». Dans un contexte de chômage de masse et de précarisation du travail salarié, il s’agissait de faire accepter le sacrifice de savoirs fondamentaux, décrétés inutiles sur le marché du travail, en échange de savoir-faire, garants d’une employabilité. Mais c’était  pour l’élève  du « perdant-perdant ». Car le socle commun ne permet pas la transmission des savoirs fondamentaux.  Mais il  n’assure pas non plus un commencement de qualification   professionnelle. Il vise plutôt une « adaptativité » comprise comme une aptitude  à exécuter  des opérations très diverses, même quand celles-ci ne sont pas comprises,  et une disposition à changer en vue de se conformer à l’évolution des contraintes toujou nouvelles. Ainsi, l’employabilité promise par l’acquisition des « compétences communes » correspond aux seuls critères patronaux.

C’est cependant au nom de l’utilité sociale que le socle commun s’est imposé  au collège. Il compte  quatre-vingt-dix-huit  « items » de toutes sortes, que chaque élève doit acquérir, comme « respecter des comportements favorables à sa santé et à sa sécurité », « demander et donner des informations », « adapter son mode de lecture à la nature du texte proposé et à l’objectif poursuivi », « accepter toutes les différences », etc. À chaque item correspond un inventaire décourageant de prescriptions ainsi qu’un catalogue hétéroclite d’indications pour l’évaluation. On ne s’étonnera donc pas  du fiasco avéré de ce « socle de connaissances et de compétences » issu de la loi Fillon,  dont de nombreux « items » ne sont ni enseignables ni évaluables.

Les deux principales nouveautés du « socle commun » 2014

Qu’en est-il du « nouveau socle » ? Le principe du « socle commun »  de la scolarité obligatoire est confirmé. Mais  il est censé évoluer « en vue de mieux l’articuler aux enseignements ». Officiellement, le ministère de l’éducation nationale cesse de déprécier les savoirs qui  « ne sauraient s’opposer aux compétences conçues comme la capacité à mobiliser des savoirs devant une tâche complexe ». Le Conseil supérieur des programmes va jusqu’à assurer que   « l’appropriation des savoirs » serait  un des objectifs de la scolarité obligatoire.  Mais, à y regarder de près, il apparaît que les disciplines  ne constituent pas la référence de l’enseignement scolaire. Il leur est seulement demandé   d’apporter leur « contribution » à l’acquisition du « socle commun », qui tiendra ainsi la place dominante.  Cinq « domaines de formation », surgis du cerveau des experts, composent ce nouveau socle: « les langages pour penser et communiquer, les méthodes et outils pour apprendre, la formation de la personne et du citoyen, l’observation et la compréhension du monde, les représentations du monde et l’activité humaine ». Les disciplines seront placées dans ces  domaines.  Ainsi, le domaine  « les langages pour penser et communiquer » devra comporter notamment du français (maîtrise de la langue française), de l’EPS (expression et communication impliquant le corps), des langues étrangères et régionales, des mathématiques (dans l’objectif d’utiliser des langages scientifiques), de la géographie (pour savoir lire des plans et se repérer sur des cartes). Et on retrouvera ces disciplines, en fonction de la contribution qu’elles pourront apporter à l’occupation des autres « domaines de formation ».  On imagine les désordres lorsque les enseignements seront organisés autour des « domaines ».  Et on pressent l’omniprésence des divers échelons hiérarchiques dans la légitimation et l’organisation de ces désordres.

La deuxième modification majeure introduite par le « nouveau socle » est l’usage  immodéré  du terme « culture », censé prouver que l’on renonce désormais  à « l’utilitarisme ». Le nouveau socle est d’ailleurs rebaptisé  « socle de connaissances, de compétences et de culture ». Cette  « culture »  promise à la jeunesse  présenterait toutes les vertus: elle est source d’épanouissement personnel, élément de sociabilité, formatrice d’esprit critique, référence pour la nation…   Sa principale caractéristique est  d’être « une culture commune », qui « fournit une éducation générale fondée sur des valeurs qui permettent de vivre en société » (sic). Mais le contenu de  ces valeurs  communes reste flou.  On  comprend seulement que les élèves en seront ensemencés.

Inflation  normalisatrice,  déflation  laïque 

Il y a donc lieu de craindre que ce « socle commun » contourne les deux finalités essentielles de la scolarité  obligatoire, telles qu’elles sont définies par le Code de l’éducation : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. » Car dans ce projet, on ne retrouve ni les savoirs ni les valeurs de la République. En revanche, le formatage des élèves semble prévu. Le « domaine » intitulé « la formation de la personne et du citoyen » est à cet égard significatif. Il est en effet spécifié qu’au sortir de la scolarité obligatoire, l’élève doit avoir acquis notamment la « capacité d’empathie » et qu’il lui incombe de « pratiquer la bienveillance ». Mais l’école publique a-t-elle raison de chercher  à façonner la personne des élèves  et de vouloir la soumettre à « validation » après « évaluation » ? On peut douter que les parents d’élèves seront majoritairement enchantés à cette perspective. On peut supposer  aussi que les enseignants n’y reconnaîtront  pas le sens de leur métier ni le respect qu’ils estiment dû à leurs élèves. Ils observeront également que cette pression normalisatrice s’accompagne d’un recours abusif à l’affect, qui préjuge des élèves incapables d’entendre  un langage rationnel. Mais la phraséologie culturaliste du Conseil supérieur des programmes est  également déroutante, s’agissant de « la culture de l’engagement », seulement spécifiée par « l’importance de la promesse et le respect du contrat ».  L’école française du XXIe siècle aurait  l’ambition de cultiver chez ses élèves une envie d’engagement… Mais à quoi ?  en vue de quoi ?

Ce projet de « socle commun » soulève d’autres questions, comme celle de l’évaluation qui risque de consommer et de détourner les énergies,  au détriment des apprentissages. Mais tant que les programmes des disciplines ne seront pas connus, on s’interdira de formuler un jugement arrêté sur ce projet de programmes. Cependant, un programme rédigé conformément au socle commun  est d’ores et déjà connu: le 1. L’école de la République ne mérite-t-elle  pas une plus haute ambition et une meilleure réforme que le Projet du Conseil supérieur des programmes ?

  1. Voir dans le précédent numéro de ReSPUBLICA : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/un-enseignement-moral-et-civique-peut-il-aujourdhui-se-passer-de-laicite-et-de-valeurs-republicaines/7387203.
    Voir aussi les autres textes de ce numéro spécial Ecole républicaine :
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/la-reforme-des-universites-ou-la-coherence-des-contre-reformes/7387214
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/sortir-des-impasses-ideologiques-pour-mieux-reinventer-lecole-republicaine/7387233
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Oui M. le Ministre, dans Air France, il y a France !

par Jacques Duplessis

 

Pas facile à décoder cette grève des pilotes d’Air France. Tout s’y déroule à contretemps et personne n‘y comprend a priori plus rien : Ils appartiennent à une grande entreprise, un des poids lourds de son secteur, mais se disent très inquiets alors que pointe le retour aux bénéfices. Ils vivent du transport aérien, de plus en plus bataillé, mais semblent insensibles à l’opinion de leurs clients ainsi qu’aux sacro-saintes « contraintes » liées à la concurrence et au marché. Ils incarnent le luxe à la française, ont un style de vie envié, exercent un métier haut de gamme, bénéficient d’une technologie d’avant-garde, mais ils n’hésitent pas à tout envoyer balader. Ils sont expérimentés, formés, très bien payés, mais ils se comportent comme le dernier des métallos. Mais pourquoi crachent-ils ainsi dans la soupe ?

En ce mois de septembre particulièrement imprévisible et chaotique, l’opinion générale n’est guère facile à saisir à propos de leur mouvement. Elle paraît largement silencieuse et réservée, comme hésitante, interloquée, vaguement jalouse. Même si, comme d’habitude, les moulins à prières s’en donnent à cœur joie, qui cherchent à débusquer du commentaire acerbe, et finissent par y parvenir. Un rien vicieux, un grand média interroge des passagers : Pas trop râleurs en apparence, plutôt modérés de prime abord et la main sur le cœur à propos du droit de grève. Mais à force d’insistance vient enfin le couplet assassin, avec son air de ne pas y toucher : Bien sûr qu’ils ont le droit de faire grève, mais ont-ils seulement pensé à moi, à mon meeting à Francfort, à mon briefing à Londres, à mon salon à Singapour, à ma tournée export, à mes contrats, à mes chefs, à mes objectifs, à mon planning, à mes horaires… Bref, et moi et moi et moi ? … Puis la digue cède, nimbée d’incompréhension plus ou moins paresseuse et convenue : tout cela est complètement ubuesque et insensé, cela ne mène à rien. Ils sont condamnés d’avance, on ne peut de toute façon les satisfaire ! Ils refuseraient d’embarquer pour un créneau qui marche, pour un marché en forte croissance, pour un segment qui crée de l’emploi ? Mais pour qui se prennent-ils ?

C’est au-delà de l’agacement, de la provoc, du mécontentement et des récriminations habituelles eu égard aux répercussions subies. C’est un sentiment plus fort qui sourd, comme une suffocation, une sidération, une complainte et un aveu en creux. Comprenez : Comment peuvent-ils ainsi dire non, quand moi j’en bave au quotidien, corvéable à merci, sur le pont du matin au soir, le petit doigt sur la couture du pantalon, éjectable au moindre froncement de sourcil, à la merci d’un patron tout puissant ? Eux, ils sont là, syndiqués, protégés, nantis, choyés, et ils poursuivent, impavides, inébranlables, sourds aux critiques, comme une caravane insensible traversant un désert de dévastation, sans un regard pour les fourmis laborieuses et impuissantes qui le peuplent ? Cette liberté-là existe donc encore ? Ce monde serait encore possible ?

Du coup les chiens de garde patentés se sentent obligés de monter au créneau : ainsi l’ineffable M. Seux, au Soir 3, face à sa confrère d’Alternatives Economiques qui n’a pas encore l’habitude des médias et sur laquelle il en profite pour fondre comme un faucon sur sa proie. Tout y passe : la leçon d’économie classique sur la situation du transport aérien, la leçon de marketing à deux balles sur l’heureuse surprise du « low-cost », la leçon de philosophie politique à la Thatcher sur l’air du TINA (there is no alternative), et donc la nécessité panurgiste de suivre le mouvement de dégradation subventionnée de la qualité, enfin le cours de journalisme bobo à propos du tarif Paris-Toulouse « que j’ai consulté, il n’y a pas 30 minutes sur internet », et qui nous révèle un écart totalement « incroyable, ma chère ! ». Enfin et sans cesser de couper la parole à son interlocutrice dès qu’elle tente de faire valoir son point de vue, la leçon de morale à propos de ces privilégiés qui ont l’audace de profiter de leur statut pour s’autoriser un véritable crime de lèse-majesté : Il est vrai que, par les temps qui courent, rompre le diktat de l’allégeance, de la soumission générale obligatoire et du silence dans les rangs sous peine d’exclusion, c’est assez rare pour qu’on le remarque ! C’est dément, indécent, insupportable, … mais c’est surtout politiquement dérangeant et socialement ravageur ! Et s’il prenait aux autres l’envie de relever la tête ?

Car voilà la grande affaire ! Depuis combien de temps n’avions-nous plus vu des salariés et des cadres envoyer paître leur PDG en lui disant ouvertement que sa ficelle est un peu grosse, et se murer dans un mépris souverain de ses calculs d’apothicaire ou de ses arguments boiteux ? Depuis combien de temps n’avions-nous plus entendu des personnels relativement nantis ne pas céder à la facilité, ne pas se laisser manipuler, ne pas craindre de dire stop, ne pas consentir au grand n’importe quoi au nom d’une prétendue modernité moutonnière et avilissante ? Depuis combien de temps n’avions-nous pas vu un fragment de salariat garder quelque réflexe critique, en dépit des tentations et des dévoiements, voire des trahisons, ou proclamer jalousement son indépendance d’esprit en défendant son libre-arbitre syndical, enfin revendiquer ou manifester haut et fort sa volonté de cogérer l’entreprise avec la prétention d’être aussi lucide et avisé que son dirigeant aux mains des actionnaires ? Quelle que soit la justesse de leurs prises de position, et ce que chacun peut en penser, ces hommes et ses femmes-là ne sont pas suspects d’avoir déchu de leur condition d’hommes libres, certes organisés pour défendre au mieux leur intérêt, mais agissant dans le cadre d’une loi qui ne doit rien au marché et d’une démarche qui ne craint pas de prendre des risques pour faire triompher ses vues.

C’est un signal fort, en quelque sorte : et même s’il est extrêmement et indéniablement coûteux à court terme en termes d’image, de chiffre d’affaires, de parts de marché ou de résultats d’exploitation, il en dit long sur la résignation des autres, et sur la soumission dans laquelle ils sont tombés au nom d’impératifs qui défient chaque jour ouvertement les droits qu’ils croyaient avoir acquis. Entendez par exemple ce bon M. Fabius, « socialiste » de son état, morigéner ces irresponsables au journal de 20 heures en les accusant pratiquement de trahir leur pays sous prétexte d’exercer leurs droits, ou de nuire gravement à la Nation parce qu’ils refusent de se laisser dicter comme lui leur actes en fonction de l’humeur des touristes ou du solde du commerce extérieur, ou de renoncer de ce fait aux acquis même de la simple sociale démocratie. Comment peut-on prétendre parler d’un droit aussi chèrement acquis que le droit de grève, si l’on sous-entend immédiatement qu’il doit céder devant la loi du marché et le déficit de la balance des paiements, sauf à considérer qu’une Constitution n’est qu’un simple chiffon de papier à effet contingent ?

Oui vous l’avez dit, dans Air France, il y a France, M. Fabius. Avec ses traditions de lutte, avec sa vision républicaine du droit social et de la dignité humaine, avec aussi son sens de l’égalité qui s’applique à tous les salariés menacés dans leurs intérêts légitimes, fussent-ils nettement mieux payés que la moyenne. Et merde au roi d’Angleterre, que ça vous hérisse le poil ou que ça aille à l’encontre des idées reçues, que ce ne soit pas a priori logique, habile, malin, calculé, opportun. Auriez-vous reproché, il y a deux cents ans et plus, aux armées de la République de mobiliser pour la guerre aux frontières au motif que se battre contre l’absolutisme empêchait de bien cultiver les champs ? Ces pilotes, ça ne les gêne pas d’affronter l’opinion commune, et ils restent droit dans leurs bottes, solides, lucides, prudents, carrés, au risque d’apparaître butés et inutilement soupçonneux. Mais au diable les épouvantails habituels, la rentabilité, la part de marché, le déficit, la compétitivité, le dialogue social. Un peu d’audace M. le Ministre. Eux, ils peuvent se le permettre, et ils veulent encore pouvoir se le permettre. Eux, ils disent ce qu’ils pensent sans prendre de gants, ce qui nous change un peu de votre diplomatie onctueuse à travers le vaste monde, avec les résultats que l’on sait, d’ailleurs.

Jusqu’à cette religion du « low-cost » qu’ils rejettent si elle doit devenir l’alpha et l’oméga de leur métier ou de leur prospérité supposée, le futur « business model » d’une société où la notion de valeur ajoutée est aussi rabougrie que les idées qui la portent au pinacle pour mieux l’assassiner, et notre niveau de vie avec. Non seulement très vulgaire mais aussi tout à fait déplacé, disent-ils en connaisseurs du transport aérien, ce modèle de société bien dans la logique anglo-saxonne classe contre classe, chacun dans son compartiment. Non, ils n’y croient pas et ils ne veulent pas y croire car ils n’ont pas les mêmes valeurs : Air France tout de même ! Eh oui.

Salariés donc, mais pas moutons. Et surtout pas dupe du premier bonimenteur qui vous chante ses « valeurs » et ses engagements de Jocrisse pour mieux vous endormir. Sans doute les salariés de Wonder, de Moulinex ou d’Alcatel n’auraient-ils pas connu le même sort s’ils avaient su discerner et résister à temps aux folies des Blayau, des Tchuruk, des Russo, ou des Tapie. Qui, au passage, ont tous tiré leur épingle des ruines qu’ils ont laissées derrière eux. Eh bien sans doute nos pilotes se sentent-ils capables, autant que leurs gourous autoproclamés, de distinguer les vessies des lanternes, et de juger de la validité d’une stratégie. « Tous n’étaient pas savants, mais tous pouvaient juger » disait Périclès.

Car voilà bien ce qu’on leur reproche en fait, cette prétention invraisemblable à discuter d’égal à égal, à vouloir exister malgré les injonctions de rentrer sous terre, à s’entêter à maintenir ce contre-pouvoir, à afficher cet volonté irréductible et si gauloise dans le fond de ne pas céder un pouce de dignité, de disputer le partage du gâteau sans se laisser conter qu’il est logique d’en rabattre avant même d’avoir pu en débattre, de s’imposer tout comme la cotisation sociale et l’impôt s’imposent au patron au nom de la contribution au bien commun.

Ce qu’aujourd’hui plus aucun salarié – on l’aura compris – n’ose même articuler et encore moins revendiquer, sinon devant le cercle goguenard de ses compagnons de bistrot ou le huis clos dramatique du désespoir qu’il n’ose pas même plus s’avouer.

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La lutte contre le terrorisme est une priorité. Hommage à la mémoire d'Hervé Gourdel

par Parti Communiste Français

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La lutte contre le terrorisme est une priorité pour les communistes. Le meurtre de notre compatriote, Hervé Gourdel, nous rappelle que des groupes structurés sont prêts à tout pour faire régner la peur et la haine.

Les communistes participeront à tous les hommages nationaux ou locaux en la mémoire d’Hervé Gourdel dans le respect strict des volontés exprimé par sa famille.

Les communistes y participeront pour apporter à la famille et aux proches de la victime toute leur solidarité dans ce moment si difficile et douloureux pour eux. Nous réaffirmons notre indignation face à la cruauté et l’inhumanité des assassins d’Hervé Gourdel et face à celles de tous ceux qui se réclament du djihadisme.

Les communistes y participeront pour réaffirmer que face à ce déchaînement de violence et de haine, ils travailleront sans relâche à la cohésion de notre peuple dans toutes ses composantes et sans discrimination dans la lutte pour l’égalité, la justice et la solidarité.

Les Français ne tomberont pas dans le piège tendu par les terroristes, ou certains extrémistes de l’ordre nouveau. Aucune religion ne prône le recours à une telle barbarie et ne peut servir à justifier de tels actes de terreur. Nous saluons toutes celles et tous ceux qui se lèvent pour manifester leur liberté de conscience et dire non au terrorisme.

« Guerre » contre le terrorisme ou « lutte » contre le terrorisme ?

Le meurtre d’Hervé Gourdel met en premier plan la lutte contre les organisations terroristes. La sémantique n’est pas neutre. La « guerre » contre le terrorisme préconisée par le président de la République fait référence aux mots et à la politique de G.W. Bush après le 11-Septembre.

13 ans plus tard, nous voyons bien que cette stratégie est un échec et un désastre.

Un échec car elle nie que la structuration de ces groupes terroristes a été et est encore aidée par des puissances internationales et régionales comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et les Etats-Unis eux-mêmes tant qu’ils servaient leurs intérêts ou servaient à diviser les peuples sur lesquels l’« Occident » prétend maintenir sa domination. Aujourd’hui les monstres échappent à leurs créateurs.

Un désastre parce que les 4 000 milliards de dollars mis dans cette « guerre » ont ont pour résultat d’être passéd’1foyer de djihadistes dans le monde à 13.

Il faut donc changer de politique. Le PCF souhaite qu’une véritable stratégie de lutte contre le terrorisme se mette en place. Cela nécessite d’avoir des objectifs clairs et les moyens financiers et humains d’agir sans compromettre les libertés individuelles. Cela suppose de sortir d’une logique de domination économique, politique et militaire au profit d’une logique de coopération, de développement, de démocratie.

Les meurtres antisémites d’un Merah ou encore le cafouillage du week-end dernier à l’arrivée de 3djihadistes en provenance de Turquie montrent que notre système de renseignements et de sécurité intérieur ont de sérieuses lacunes.

Les renseignements généraux et les services anti terroristes ont-ils les moyens techniques et humains pour remplir leurs missions ? et surtout quelles sont les priorités et modalités de leur mission ? Le dispositif juridique et législatif de notre pays est suffisant pour répondre à la menace terroriste, il faut encore l’appliquer, et ce dans le respect des droits et libertés.

Le Parlement n’est pas assez associé aux objectifs et moyens mis en œuvre. C’est indispensable pour éviter toute tentation de dérives autoritaires.

Non à la guerre, Oui à des mesures coercitives contre Daesh

Est-ce que les frappes aériennes menées par la France en Irak et par les Etats-Unis en Syrie vont empêcher ce qui s’est passé en Algérie avec le meurtre d’Hervé Gourdel ? A l’évidence non ! La France doit être unie derrière la famille d’Hervé Gourdel. Dans un moment tel que celui-là, la recherche de cohésion s’impose, mais elle ne peut se traduire par taire le débat qui existe sur la manière de mener efficacement ou non la lutte contre le terrorisme, et sur l’aide à apporter à ceux qui en Irak et en Syrie combattent l’ « Etat islamique ».

La force du mouvement Daesh, c’est à la fois de s’appuyer sur une base territoriale et une stratégie économique. Les objectifs militaires de la France au moyen de « frappes » en Irak, même ciblées, sont inefficaces dans la durée. Au lieu de dépenser des millions dans des frappes militaires, il serait plus utile d’aider de manière plus importante les combattants kurdes en Irak et en Syrie, et d’aider l’Irak à reconstruire son armée et son État.

Le terrorisme c’est d’abord une entreprise de la terreur et de conflits

Le terrorisme c’est d’abord une entreprise qui cherche à faire des profits financiers en faisant régner la terreur. Le chiffre d’affaires de Daesh dépasse le milliard de dollars par an. Des mesures internationales doivent être prises pour agir sur les États de la région qui arment et achètent aux groupes terroristes du pétrole, pour agir sur les finances des « émirs » chefs de bandes qui utilisent le terrorisme comme moyen de s’enrichir, et pour agir enfin sur les marchands d’armes qui profitent des trafics.

Parti communiste français, le 26 septembre 2014