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L’ère du peuple, selon Jean-Luc Mélenchon
par Évariste
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1, qui propose un changement de stratégie. Selon nous, l’ouvrage est l’occasion de débattre sans tarder sur le fond.
Nous retrouvons dans ce livre de nombreuses caractéristiques de ce que Jean-Luc Mélenchon appelle « le nouvel âge du capitalisme », que nous partageons : déformation du partage de la valeur ajoutée, augmentation des inégalités, de la pauvreté et de la misère, obsolescence de la social-démocratie (p. 136), etc.
Des vérités oubliées comme le fait que la plus longue frontière de la France est avec le Brésil (p. 80) sont présentes dans ce livre. Par ailleurs, ce livre procède de diverses considérations de temps long (économie de la mer de la France, 6e espace maritime du monde, réchauffement climatique, politique industrielle, l’anthropocène, le nouvel ordre du temps, etc.) qui méritent débat. L’intérêt du livre pour ces questions est certain. Le livre se présente, selon lui, comme un récit qui « peut être considéré comme une théorie de la révolution citoyenne » (p. 14). Il affirme que le récit des grandes idées des siècles précédents ne fonctionne plus et donc il en propose un autre. Voilà qui est alléchant !
Une vision discutable de la période présente
L’ouvrage s’ouvre sur une vision catastrophiste de la période présente : « Il n’y a pas de crise. Il y a un changement total de la trajectoire de l’humanité » (p. 11) qu’il associe à « l’aveuglement des élites dirigeantes » (p. 12).
La lutte des classes semble abandonnée quand il proclame « que l’action sera menée au nom de l’intérêt général… Le peuple va la mener et non une classe particulière… Le peuple, c’est-à-dire cette multitude quand elle devient citoyenne… » (p. 13). Nous pensons plutôt à ReSPUBLICA qu’il y a bien une crise systémique2, que la politique néolibérale est une excellente politique pour la grande bourgeoisie qui ne semble pas aveuglée du tout, et qu’il n’y aura pas de transformation sociale et politique sans lutte prioritaire pour la parité sociale et donc pour l’émancipation de la classe ouvrière et employée.
Jean-Luc Mélenchon a un avis positif sur le gouvernement Jospin : « D’ailleurs, en pleine hégémonie libérale, les 35 heures sans perte de salaire et l’alliance avec les écologistes et les communistes… étaient uniques au monde » (page 19). Pourtant, c’est bien ce gouvernement qui a fait voter la 2e loi Aubry qui faisait perdre du salaire.
Nous ne partageons pas l’idée que « depuis le premier jour, les USA voient d’un mauvais œil l’émergence de l’euro » (p. 72). Cela nous semble plus complexe que cela. Et si nous partageons sa critique du libre-échange, le fait d’ajouter l’adjectif solidaire au protectionnisme (p. 84) ne suffit pas pour le caractériser et pour le différencier du protectionnisme de droite3.
Mélenchon se déclare favorable à l’interdiction des cotations en continu des valeurs boursières, du trading automatisé (p. 89). Bien. Mais est-ce efficace de ne le faire que dans un seul pays ? Il parle de la vente de leur travail par les populations urbaines (p. 113). Mais il s’agit de la vente de leur force de travail et non de leur travail. Dans le chapitre « Homo urbanus », on ne trouve rien sur le phénomène important de gentrification4.
Lutte de classe ou « peuple classe » ?
Au début du chapitre intitulé « Le peuple et sa révolution », il écrit qu’« à toute condition sociale finit par correspondre une conscience collective. Que cette conscience soit claire ou confuse n’empêche rien. Ça se fait tout seul. » (p. 115) Exit donc la théorie de l’aliénation et du fossé entre les conditions objectives et subjectives. Un peu vite dit, non ? Et la nécessité de l’éducation populaire comme troisième pilier de l’action organisée avec les partis et les syndicats ? D’autant que, d’après Mélenchon, la conscience collective se crée grâce au phénomène urbain (« la cité sans fin » de la p. 117) et aux réseaux sociaux (p. 118). À la page 120, il est déclaré que « le peuple du présent est infiniment plus nombreux et socialement homogène que celui de l’Aventin »5. Nous pensons plutôt que le peuple est au contraire très hétérogène. Il y a là un débat à ouvrir.
Jean-Luc Mélenchon estime également que « c’est le peuple qui prend la place qu’occupait hier la classe ouvrière révolutionnaire dans le projet de la gauche ». Il reprend à son compte l’idée réformiste du peuple classe et le fait que pour lui « ce n’est donc pas dans l’entreprise ni autour des revendications corporatives des salariés qu’éclatent les processus révolutionnaires de notre époque » (p. 121). D’ailleurs, on ne trouve que peu de traces dans cet ouvrage d’une réflexion sur les rapports sociaux de production et sur leur nécessaire transformation. Lacune ?
Pour lui, les trois piliers critiquables dans l’ordre actuel sont la propriété, la hiérarchie des normes et l’ordre institutionnel de la 5e République. Nous sommes d’accord, mais nous pensons qu’il n’y a pas que cela : par exemple, l’Union européenne et la zone euro, la sphère de constitution des libertés avec l’école, les services publics et la protection sociale sont tout aussi indispensables comme bien d’autres domaines6.
À la fin du l’ouvrage, l’auteur résume sa thèse par le triptyque : 6e République, front du peuple, écosocialisme.
Les transformations des pays moins développés donnent-elles le la pour les pays les plus développés ?
Toute sa démonstration s’appuie sur des exemples pris dans les pays sud-américains, en Espagne, en Grèce, dans les révolutions arabes. Il renoue par là avec les anciennes tendances révolutionnaires tiers-mondistes pour qui les changements des pays moins développés ouvrent la voie aux transformations dans les pays les plus développés. De ce fait, il néglige la réflexion de ceux qui ont pensé le changement dans les pays développés : Marx, Engels, Jaurès, Gramsci, Berlinguer. Nous restons circonspects face à cela, car nous estimons que les conditions de la lutte dans des pays développés ne sont pas équivalentes à ceux des pays moins développés. Mais cela mérite un débat certain. L’auteur paraît fasciné par le développement de Podemos en Espagne qui évacue le conflit « gauche-droite » au profit du conflit « peuple contre l’oligarchie ». Podemos est une formation politique à fort pouvoir du secrétaire général tout en pratiquant une horizontalité via les réseaux sociaux, ce qui renforce le poids des « professions intellectuelles supérieures » dans la représentation politique au détriment des ouvriers et employés, en phase avec l’analyse d’un « peuple classe » centré sur les populations urbaines diplômées qui remplacerait maintenant la classe ouvrière. Notons cependant que c’est déjà le cas dans les formations politiques actuelles de l’autre gauche.
Quelle démocratie ?
Mélenchon refuse le système représentatif de type Sieyès, mais se rapproche peut-être plus du vote plébiscitaire que de la démocratie de type Condorcet. Obnubilé à juste titre par la nécessité de construire un nouveau récit pour la mobilisation, Jean-Luc Mélenchon privilégie les perspectives de temps long. Il n’applique donc pas la stratégie de l’évolution révolutionnaire de Marx et de Jaurès qui développent une politique des trois regards concomitants pour que soient pensées en même temps (et mises en application) les politiques de temps court, de temps moyen et de temps long. Voilà un débat qu’il faudra ouvrir.
2017 en ligne de mire ?
Nous ne pouvons pas terminer cet article en omettant le fait que l’élection présidentielle de 2017 est dans la tête de tous les dirigeants politiques. Que Jean-Luc Mélenchon déclare que le candidat du peuple pour 2017 sera « la 6e République », ne fait-il pas écho aux discussions internes actuelles de la direction nationale du PCF sur la possibilité d’avoir un candidat communiste à la présidentielle en 2017 ?
- Livre paru en octobre 2014 chez Fayard [↩]
- Voir « Néolibéralisme et crise de la dette » de Michel Zerbato et Bernard Teper paru chez 2es éditions [↩]
- Voir « Penser la république sociale pour le 21e siècle » page 75 de Pierre Nicolas et Bernard Teper chez Éric Jamet Éditeur [↩]
- Voir page 30 du livre précédent [↩]
- Lieu où la plèbe romaine se retira en 380 avant notre ère [↩]
- Voir le livre précédent noté en notes 6 et 7 [↩]
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Ils avaient promis de s'inspirer de Jaurès
par Pierre Hayat
- Politique française
- Protection sociale
Modulation des allocations familiales : la trahison du Gouvernement vis-à-vis des familles et de la Sécurité sociale
par l'UFAL (Union des FAmilles Laïques)
www.ufal.info
http://www.ufal.org
Communiqué de presse du 17 octobre 2014
Source : http://www.ufal.org/tout-sur-l-ufal/modulation-des-allocations-familiales-la-trahison-du-gouvernement-vis-a-vis-des-familles-et-de-la-securite-sociale/
Alors qu’il n’y a que 8 jours que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale a été présenté en Conseil des ministres et 3 jours qu’il a été discuté en commission à l’Assemblée nationale, chaque jour apporte ses nouvelles mesures contredisant celles de la veille.
Hier, le Président de la République a choisi de prendre à contre-pied ses arbitrages du printemps 2013 : l’austérité passera par la modulation des allocations familiales en fonction des revenus. Bref, une navigation à vue qui fracasse les principes hérités du Conseil National de la Résistance sur les icebergs du néolibéralisme et fait ainsi sombrer notre protection sociale solidaire, qui a pourtant montré toute sa pertinence en jouant le rôle d’amortisseur des effets de la crise.
Une première tentative de plafonnement avait été abandonnée l’an dernier devant l’opposition unanime des associations familiales et de l’UFAL en particulier. Cette décision de moduler les allocations familiales en fonction des revenus est une nouvelle offensive visant à casser le système d’allocations.
La Sécurité Sociale verse une compensation reconnaissant le travail d’éducation des parents
La Sécurité sociale verse une allocation financée par la cotisation sociale (autrement dit : par le salaire indirect socialisé payés aux travailleurs). En ce sens, les allocations familiales ne poursuivent aucun objectif « redistributif » mais visent à reconnaître par le salaire indirect le travail lié à l’éducation des enfants. Réduire les prestations de la Sécurité sociale et les cotisations sociales qui les financent (les cotisations familles disparaîtront à l’horizon 2017 dans le cadre du pacte de responsabilité), ce n’est rien d’autre que d’abaisser les salaires !
La modulation des allocations familiales par le revenu des parents aboutira à une situation intenable socialement. En effet, comment, dans ces conditions garantir l’attachement des Français à un système social de moins en moins « généreux » pour ceux qui le financent via leur salaire ? La logique est claire : la modulation des allocations familiales (énième coup de rabot porté à l’endroit des familles) oblige encore davantage ceux qui en ont les moyens à orienter leur épargne vers des solutions individuelles pour un coût très supérieur, sans pour autant alléger les difficultés des personnes les plus fragiles.
Ne tombons pas dans le piège de la « justice sociale » que nous tend le Gouvernement : la Sécurité sociale n’a pas pour objet de corriger les inégalités
Au lieu de faire de la politique familiale un investissement égalitaire pour l’avenir de la Nation, le Gouvernement choisit d’en faire un gisement d’économies et d’opposer les Français entre eux selon leur niveau de revenu : élever un enfant ne constituerait pas le même travail éducatif de parent suivant le revenu que l’on perçoit ! La conséquence voulue est une division des Français sur des questions où ils se retrouvaient jusqu’à présent.
À ceux qui se laissent abuser par l’argument de « justice sociale », nous rappelons que la modulation des allocations familiales n’est que l’acte initial d’une modulation des autres prestations sociales selon le niveau de revenu, et en premier lieu du remboursement des dépenses d’assurance maladie couvertes, elles aussi, par la Sécurité sociale. Une telle perspective est totalement inacceptable pour l’UFAL.
Si la majorité au pouvoir entendait rétablir la justice sociale, elle œuvrerait par exemple à réhabiliter l’impôt sur le revenu républicain et progressif, vecteur essentiel de redistribution de revenus pour corriger les inégalités sociales.
Annexe
Une remise en cause du salaire socialisé nuisant à la cohésion sociale entre les familles
Extrait d’un texte d’Olivier Nobile (avril 2013) qui constitue l’argumentaire le plus complet sur ce sujet : http://www.ufal.org/sante-
plafonnement-des-
L’universalité des allocations familiales s’inscrit indéniablement dans le projet républicain de sécurité sociale créé au lendemain de la guerre par le Conseil National de la Résistance. Par le système d’allocations familiales, le législateur entendait, assurer une aide financière universelle à l’ensemble des familles.
Les allocations familiales financées (du moins à l’origine) principalement par les cotisations sociales prélevées directement sur la valeur ajoutée des entreprises, constituent en ce sens l’un des pans essentiels du salaire socialisé versé par la Sécurité sociale, au même titre que les retraites par répartition, ou l’assurance maladie. Contrairement à la politique fiscale, le système d’allocations familiales versées par les CAF ne poursuit par conséquent aucun objectif redistributif et vise au contraire à garantir une égalité républicaine devant les charges de famille indispensable à la cohésion sociale du pays.
Les réformes de la Sécurité sociale mises en œuvre par les législateurs de droite comme de gauche ont largement mis à mal ce principe en mettant fin au mouvement d’universalité du salaire socialisé. Il en découle un double mouvement de « réformes » visant :
- d’une part à cantonner de plus en plus directement le bénéfice des prestations familiales aux seules familles les plus modestes. C’est en ce sens que la majeure partie des prestations familiales sont actuellement versées sous conditions de ressources. En outre, c’est ce mouvement à visée ouvertement redistributive qui a ouvert la voie d’une fiscalisation massive des allocations familiales, autrement dit une substitution de la CSG à la cotisation sociale dans le financement de la branche famille ;
- d’autre part à encourager les familles les plus aisées à consacrer une part croissante de leur épargne individuelle à la couverture de leurs besoins sociaux via notamment une politique fiscale incitative.
Les conséquences de cette politique sont néfastes à la cohésion sociale du pays comme l’UFAL l’a répété à de nombreuses reprises.
- Tout d’abord, les réformes mentionnées engendrent un mouvement de rejet croissant de la part des classes moyennes à l’endroit des politiques sociales du pays, auxquelles elles bénéficient de moins en moins alors même qu’elles contribuent à leur financement.
- En outre, la transformation de la politique sociale en instrument quasi-exclusif de lutte contre la pauvreté entraîne un mouvement de stigmatisation sociale des bénéficiaires des prestations sociales, ces derniers n’en bénéficiant qu’au titre de l’assistance et non plus en qualité d’allocataires ou d’assurés sociaux.
- Enfin, élément le plus grave, cette politique crée de nouvelles catégories de laissés pour comptes : les classes moyennes inférieures, « trop pauvres pour être riches et trop riches pur être pauvres », autrement dit, tous ceux qui ne peuvent ni bénéficier de la solidarité nationale ni consacrer une part suffisante de leurs revenus ou de leur épargne à la couverture individuelle de leurs besoins sociaux.
Le plafonnement des allocations familiales s’inscrit par conséquent directement dans cette politique de stratification de la politique sociale qui est aux yeux de l’UFAL une menace grave à la cohésion sociale entre l’ensemble des familles et constitue l’une des raisons essentielles du populisme et du vote contestataire anti-républicain.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’UFAL réaffirme son attachement à une politique familiale universelle tout en militant activement pour la mise en œuvre d’une réforme structurelle ambitieuse dans l’intérêt de l’ensemble des familles et ce, dès le premier enfant.