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Laïcité : des impasses crépusculaires vers la lueur de l’aube

par Évariste
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Note de la Rédaction : Oui, chers amis lecteurs, ReSPUBLICA  fête ses 15 ans en ce début d’année 2015 et nos lecteurs réguliers connaissent les combats laïques que nous ne cessons de mener et relayer depuis le début du siècle ! Cette chronique reprend nos positions sur la question laïque, à la fois en termes de politique française et de géopolitique, pour nous armer non sur un combat partiel mais pour l’intégrer dans une optique de transformation sociale.
Nous ne pouvons ni ne souhaitons courir la totalité des lièvres laïques, mais nous tenions à faire figurer, au sommaire de ce numéro, un texte de Pierre  Hayat relatif  aux nouveaux programmes de l’Education nationale en matière d’« enseignement moral et civique », enjeux de la transmission républicaine, ainsi que celui de Catherine Kintzler, sur la salutaire nécessité de ne pas surévaluer le poids de la croyance dans la tête des citoyens.
Pour l’exception d’Alsace-Moselle,  nous vous signalons deux textes importants qui viennent d’être mis en ligne sur le site conjoint ReSPUBLICA/UFAL « Laïcité sans exceptions » : une lettre ouverte de Patrick Kessel  et l’audition de Michel Seelig à l’Observatoire de la laïcité. Quant à la récente effervescence sur les crèches de Noël, nous renvoyons à un article de notre ami Henri Pena-Ruiz.

Qu’ils sont tristes ces groupuscules laïques qui vivent leur combat laïque dépourvu de lien avec la « vraie vie » dans un entre-soi aussi douillet qu’inefficace ! Qu’ils sont tristes ces militants de gauche et d’extrême gauche qui vivent leur combat social et politique englués dans une laïcité d’imposture (laïcité plurielle, ouverte, positive, de reconnaissance, etc.)1 qui les coupe des couches populaires qui seules peuvent renverser la table !

Ah ! me direz-vous, vous ne parlez pas de la droite et de l’extrême droite ? Dois-je parler des escrocs ? Aujourd’hui, quand un citoyen de droite ou d’extrême droite parle de laïcité, c’est un escroc ! Demandez-lui s’il est prêt à se mobiliser demain matin à 8h 30 pour supprimer définitivement le financement public des écoles privées confessionnelles ! Pour la droite ou l’extrême droite, l’utilisation du mot laïcité n’est qu’un laïcisme, utilisé contre une seule religion, à savoir l’islam. C’est donc une dérive anti-laïque2.
Voilà d’où vient la difficulté actuelle du combat laïque. Contrairement à la période antérieure au serment de Vincennes de 1961 durant laquelle le combat laïque se menait contre un seul adversaire, le cléricalisme catholique, le combat laïque actuel doit se battre contre trois adversaires : les cléricalismes religieux, avec comme chef d’orchestre le cléricalisme catholique, principalement de droite et d’extrême droite ; les adeptes de la laïcité d’imposture, que l’on trouve à gauche et à l’extrême gauche ; les adeptes du laïcisme, que l’on trouve à droite et à l’extrême droite.

Et ces trois adversaires ont en commun leurs liens, avoués ou non, avec l’alliance dominante actuelle, scellée depuis plus de trente ans entre, d’une part, le capitalisme contemporain3 et, d’autre part, les intégrismes et communautarismes de toute nature. Cette alliance est indispensable au capitalisme contemporain, qui, pour privatiser une partie de la sphère de constitution des libertés – l’école, les services publics et la protection sociale – a besoin de sous-traiter à la charité des communautarismes et des intégrismes religieux, la gestion des pauvres, des miséreux, des défavorisés, abandonnés par les néolibéraux de droite et de gauche.

  • Pour les cléricalismes religieux, le lien avec l’ensemble de l’alliance dominante est direct.
  • Pour les adeptes de la laïcité d’imposture, le lien avec le communautarisme est général : pour une partie de l’extrême gauche, via son rapport à l’islam politique, pour la majorité du PS et d’EELV, via un ordo-libéralisme qui la fait se soucier de cohésion sociale.
  • Quant aux adeptes du laïcisme, leur lien avec le capitalisme contemporain s’établit via la dimension nationale de leur ultra-libéralisme plus ou moins souverainiste, qui en appelle indûment à la république, même si la droite laïciste peut tout aussi bien, selon les circonstances, se montrer communautariste, l’opportunisme de Nicolas Sarkozy étant sur ce plan exemplaire.

On comprend mieux alors le paradoxe apparent entre la montée inexorable de la sécularisation et le développement des communautarismes et des intégrismes. Autrement dit, malgré la sécularisation, le mouvement réformateur néolibéral a besoin des communautaristes et des intégristes pour remplacer la partie de la sphère de constitution des libertés qui est privatisée ! Ce qu’il faut bien voir, c’est que la montée du communautarisme et de l’intégrisme ne correspond en rien à un retour du religieux !

On comprend mieux alors le financement et la formation des talibans par la CIA contre l’Union soviétique en Afghanistan en 1979, le financement des Frères musulmans par le Qatar allié des États-Unis et d’autres puissances liées aux États-Unis, le financement des salafistes – avant qu’ils deviennent Daesh4 – par l’Arabie saoudite alliée des États-Unis et d’autres puissances liées aux Etats-Unis, le soutien direct des États-Unis à l’islam politique turc, les liens entre les États-Unis et leurs alliés avec le Vatican d’une part et avec les partis religieux juifs israéliens d’autre part, le rapport « un cheval-une alouette » entre les subventions des collectivités locales françaises au communautarisme de toutes natures d’une part et des organisations laïques d’autre part, etc.

Ah ! me direz-vous, en France, ici et là, le terreau est favorable à la montée du communautarisme et de l’intégrisme ! Et vous avez raison !
Car la promesse républicaine de la mobilité sociale n’existe plus ! Et elle existera de moins en moins au fur et à mesure que le capitalisme contemporain, par nature austéritaire, fera son œuvre.
Déjà, dans l’histoire, les grandes avancées laïques n’ont eu lieu que lors des grandes transformations sociales et politiques : Révolution française, Révolution de 1848, Commune de Paris, consolidation de la République (1880-1914), Front populaire, Programme du CNR.

Il faut noter qu’en annulant une partie du sinistre article 10 (laïcité d’imposture) de la loi du 10 juillet 19895 promue par Mitterrand, Rocard et Jospin, la loi du 15 mars 2004 n’a fait que réactiver la troisième circulaire de Jean Zay du 15 mai 1937 du Front populaire6. Cela dit, et ce n’est pas mineur, cette interdiction a été, cette fois-ci, élevée au rang d’une loi.

Mais aujourd’hui, nous sommes dans une crise systémique dans laquelle les lois tendancielles du capitalisme ne permettent même plus de prendre un chemin d’émancipation au sein d’un altercapitalisme. D’où la tristesse dont nous parlions en début d’article, qui est en fait due à la non connexion actuelle du combat laïque , du combat anticapitaliste et de la promesse de la République sociale via la mobilité sociale7.

Militants tristes, perdus dans les impasses crépusculaires, réenchantez vos combats, la lueur de l’aube est à ce prix !

  1. Cette première dérive, qui existe dans une partie des gauches et de l’extrême gauche, est une véritable imposture au regard de la laïcité. Elle consiste à vouloir étendre aux sphères de l’autorité publique et de constitution des libertés (école, protection sociale, services publics) le régime de la société civile. Elle fait donc de l’opinion religieuse une norme en légitimant la communautarisation du corps politique. []
  2. Cette seconde dérive, propre à la droite et l’extrême droite, est en effet totalement contraire au principe de laïcité. Elle consiste à vouloir durcir l’espace civil en exigeant qu’il se soumette à l’abstention qui devrait régner dans les sphères de l’autorité publique et de constitution des libertés. []
  3. Nous appelons capitalisme contemporain la phase actuelle du capitalisme qui consiste, pour éluder la crise du profit, à produire des « réformes » néolibérales sans fin et donc des politiques d’austérité de plus en plus dures pour les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires. []
  4. Il serait intéressant de savoir qui achète aujourd’hui le pétrole à Daesh ! []
  5. La partie de l’article qui a donné un argument supplémentaire au Conseil d’Etat pour invalider la circulaire du Front populaire interdisant les signes religieux à l’école est notée en gras ci-après : Art. 10. — Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements.
    Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. […] []
  6. Il est à noter que les deux premières circulaires de Jean Zay ne portaient que sur le prosélytisme politique à cause des parents d’extrême droite qui habillaient leurs enfants de manière prosélyte. C’est donc dans la troisième circulaire que Jean Zay ajouta « Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles… Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements.» []
  7. A lire : Néolibéralisme et crise de la dette, de Michel Zerbato et Bernard Teper, chez 2ème édition, 8,5 euros, et Laïcité : plus de liberté pour tous, de Bernard Teper, chez Eric Jamet éditeur, 5 euros []
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Une allergie persistante à la laïcité

par Pierre Hayat

 

Le ministère de l’Education nationale a rendu public le 18 décembre 2014 le projet du Conseil supérieur des programmes d’enseignement moral et civique pour le lycée.
Nous avons déjà analysé pour nos lecteurs le projet d’enseignement moral et civique pour le primaire et le collège et avons vu comment les fanfaronnades laïques de Vincent Peillon et l’invocation de Jaurès avaient progressivement cédé la place à un projet de formatage des esprits et des comportements.1 Des associations laïques ont protesté contre ce projet dont la seule vertu est d’être inapplicable.

Ces deux projets du Conseil supérieur des programmes feront prochainement l’objet d’une  prétendue consultation. Il n’y a rien à attendre de cette nouvelle mascarade. Comme il vient de le faire pour la prétendue consultation sur le « socle commun », le ministère de l’Education nationale se prépare à annoncer au printemps 2015 que les enseignants et les acteurs du monde éducatif sont favorables aux programmes d’enseignement moral et civique. Dans son projet pour le lycée, le Conseil supérieur des programmes ne s’embarrasse d’ailleurs d’aucune précaution, puisque dans son préambule, il présente le projet de programme pour le collège comme étant déjà en vigueur.

Les choses étant ce qu’elles sont  au ministère de l’Education nationale, il faut cependant se féliciter de ce que le projet de programme d’enseignement moral et civique pour le lycée soit moins normalisateur que celui pour le collège et que le charabia scolastique ne règne plus en maître. L’étude de la notion de laïcité et de la loi scolaire du 15 mars 2004 est même prévue pour la   classe terminale. Mais ce sacrifice consenti par le Conseil supérieur des programmes ne s’accompagne hélas d’aucune référence à la laïcité dans le préambule du programme. La Charte de la laïcité à l’école est, quant à elle, censurée. Ce minimalisme laïque  donne toute sa mesure quand on lit  que le Conseil supérieur des programmes limite « la pluralité des convictions au sein des régimes démocratiques » à la  « diversité des croyances et convictions religieuses ». Par sa conception étriquée du pluralisme démocratique de la société, le Conseil supérieur des programmes évince une  base de la laïcité qui soutient que la liberté religieuse est une de des composantes de la liberté de conscience, au même titre que la libre pensée, l’athéisme ou l’agnosticisme. En rejetant  ainsi un pilier juridique, philosophique, historique et politique de la laïcité, le Conseil supérieur des programmes penserait-il que la société  contemporaine n’aurait  rien à faire des vieilleries universalistes  qui ambitionnent une égale liberté pour tous, qu’on ait ou non une religion ? Si tel est le cas, il aurait  lui aussi été trompé par le mythe d’une France obsédée par les religions, remarquablement démoli par Catherine Kintzler. (Voir dans ce numéro.)

Ce n’est malheureusement pas tout. Car le « déflationnisme laïque » du Conseil supérieur des programmes s’accompagne  d’une censure des valeurs de la République. Au lieu d’associer l’idée démocratique à l’idée républicaine, conformément à nos institutions et à notre avenir, le Conseil  supérieur des programmes choisit d’exclure la république pour ne retenir que la démocratie, elle-même minimalisée.  Limitant pour l’essentiel  la démocratie à « la reconnaissance » de la diversité des croyances religieuses et à « la participation » à des  débats sociétaux, le Conseil supérieur des programmes élude  des problèmes structurels aux démocraties contemporaines,  comme   l’accaparement des richesses et des pouvoirs par une minorité et l’installation de la logique du profit privé à tous les niveaux de la vie sociale et politique. Il ignore  également les enjeux démocratiques de l’instruction pour tous et de la force de la démagogie qui mine la démocratie. Son parti pris le plus rude est cependant l’éviction  des fondamentaux de l’idée républicaine, comme la liberté qui délivre de la domination, l’égalité devant la loi, le principe de l’intérêt général, la vertu sociale du service public. Par ses choix idéologiques  partisans, le Conseil supérieur des programmes se moule impeccablement  dans la globalisation capitaliste et cautionne par avance l’idéologie  réactionnaire, antirépublicaine, antimoderne et, inéluctablement,  antisociale, sexiste  et antidémocratique,  du communautarisme religieux.  Même libéré  de l’inflation jargonnante et du formatage comportemental de son projet pour le collège,   le projet du Conseil supérieur des programmes pour le lycée est gangréné par une déflation laïque et républicaine.

Aux laïques et aux républicains de se mobiliser et d’interpeller la ministre de l’Education nationale ainsi que les plus hautes autorités de l’État car, plus que jamais, la laïcité républicaine, refoulée par le Conseil supérieur des programmes, apparaît comme un principe de concorde et d’avenir. La gauche et les démocrates ne laisseront plus les fossoyeurs de la laïcité parler en leur nom.  Le programme d’enseignement moral et civique pour le primaire et le collège doit être entièrement réécrit et celui pour le lycée revu à la hausse laïque et républicaine.

  1. Voir ]
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Une France intolérante et obsédée par les religions : deux mythes

par Catherine Kintzler
Auteur de "Qu'est-ce que la laïcité", publié chez Vrin, 2007.
http://www.mezetulle.net

Source de l'article

 

Un sondage et un rapport récents permettent de prendre quelque distance avec deux mythes complaisamment répandus : celui d’une France où le fait religieux serait une norme sociale jouissant d’une appréciable notoriété, celui d’une France intolérante ou, plus particulièrement, « islamophobe ».

A lire et à entendre bien des médias, ainsi que bien des « décideurs », les questions religieuses obsèdent les esprits des Français. Rares sont les jours sans piqûre de rappel dans les médias et les discours d’« experts » au sujet de l’importance des religions.

On entend, sans trop y prendre garde, des expressions comme « religion majoritaire », « première, deuxième religion de France ». Ces expressions, banalisées et isolées de toute explication, prennent une valeur absolue qui surdimensionne la place et le rôle de l’attitude religieuse qu’il ne faudrait surtout pas minimiser ou trop critiquer. Leur effet (voulu ?) sur l’opinion est à rapprocher de l’imposture légale par laquelle sont présentés les résultats des élections où ne sont pris en compte, dans le calcul des pourcentages, que les suffrages exprimés.

Dans un état d’esprit voisin, il n’est pas rare d’entendre que la France, particulièrement investie dans les questions religieuses au point qu’il s’agirait d’une obsession, serait allergique à l’expression des religions et supporterait mal l’appartenance religieuse : en bref, il n’y aurait pas plus intolérants que la France et ses habitants !

Autant d’idées fausses et complaisamment répandues au profit d’un mythe antirépublicain dont les adeptes sont, eux, particulièrement allergiques à toute expression de non-appartenance qu’ils ont vite fait de convertir en obsession et en hostilité envers « la » religion.

Un sondage mené en novembre 2014 par Sociovision remet les pendules à l’heure s’agissant de l’importance des religions, notamment en ce qui concerne l’engagement personnel des Français. Pour aller vite et vulgairement : une très grande partie des sondés s’en fiche royalement. De sorte que, pour pasticher les expressions admises, on pourrait dire que la « première religion » en France est plutôt l’indifférence aux religions, quand ce n’est pas l’athéisme déclaré.
Selon ce sondage [On peut consulter l’intégralité du document en suivant ce lien et le télécharger aussi ici ] :

  • 46% des Français se déclarent « rattachés à une religion ou pratiquants » (10% de « pratiquants » et 36% de « croyants qui ne pratiquent pas ») ;
  • 14% se déclarent « rattachés à une religion sans être croyants » ;
  • 39% déclarent n’être « rien de tout cela »… ça fait beaucoup !

Quant à l’analyse plus fine de l’appartenance religieuse, on découvre que l’islam est quantitativement faible (6%), la pyramide des âges et la proportion de pratique réelle y étant plus dynamiques que pour le catholicisme qui apparaît comme une religion vieillissante .

Quelle disproportion avec l’inflation de discours relatifs à l’islam et à son importance, que selon les uns on « stigmatise » dès qu’on émet la moindre critique, et qui selon les autres serait proche de « l’invasion » ! Où l’on voit bien que les uns comme les autres adoptent le même fonds de commerce. Position d’autant plus fantasmatique qu’elle s’acharne à faire comme si ces 6% de musulmans déclarés étaient tous unifiés autour des courants les plus rétrogrades de cette religion, comme s’il n’y avait pas plus différent d’un musulman qu’un autre musulman, comme si toutes les musulmanes portaient le voile, etc.

Quant à la prétendue « islamophobie », elle est bien plus à mettre sur le compte de l’indifférence d’un grand nombre de Français à toute religion que sur une hostilité particulière qui peut certes exister. L’indifférent s’agace d’autant plus qu’il ne cesse d’entendre un discours inflationniste qui « gonfle » l’importance des religions en général, de l’islam en particulier et, à l’intérieur de celui-ci, de sa fraction la plus rétrograde, au mépris de la réalité.

Mais les musulmans et les personnes de culture musulmane aussi peuvent s’agacer pour les mêmes raisons et tout aussi légitimement. N’auraient-ils pas droit à l’indifférence ? Qu’on leur lâche les basques ! Qu’on cesse de convoquer, pour les représenter et capter leur parole, tout ce que l’islam a de plus réactionnaire, relayé à grand bruit par la bienpensance multiculturaliste qui sur ce plan ne diffère de l’extrême-droite que par l’inversion du signe accolé à cet intouchable que serait l’islam !

Ce qui nous amène à la seconde question, au second mythe : cette sécularisation massive, qui se conjugue avec une législation laïque, est-elle un indice d’intolérance ?

Une étude très récente issue de l’International Humanist and Ethical Union, intitulée The Freedom of Thought Report 2014, se penche sur l’ampleur et la « légalité » des discriminations religieuses dans l’ensemble du monde, pays par pays. Elle a ceci d’intéressant qu’elle ne prend pas simplement en compte la discrimination envers les religions au sens strict (question de la liberté religieuse) mais aussi celle qui vise, dans de très nombreux pays, les non-croyants et les athées (question de la liberté de conscience).
On peut la télécharger intégralement en suivant l’un de ces liens: http://ahp.li/3b9888a3b3a3a2d5083a.pdf
ou
https://drive.google.com/file/d/0B3gXFZt5sXX1aDJLblBMbjBxd0E/view?pli=1 .

L’étude se penche à la fois sur la législation et sur les pratiques sociales. Elle met en place des critères critiques variés, par exemple « Existe-t-il une religion officielle ? » ; « L’incroyance est-elle dépréciée ? » ; « Y a-t-il une législation sur le blasphème ? ». L’ensemble, réuni en des tableaux commentés pays par pays, aboutit à une sorte de notation exprimée par des couleurs et une appréciation en 5 degrés (je les laisse ici à toute leur saveur en anglais, car cela reste parfaitement intelligible pour les francophones) :

  • Noir : « Grave violations »
  • Rouge : « Severe discrimination »
  • Orange : « Systemic discrimination »
  • Jaune : « Mostly satisfactory »
  • Vert : « Free and equal »

Les critères sont expliqués p. 18 et suivantes de l’étude.

On sera peut-être étonné d’apprendre que l’Allemagne et l’Italie se classent dans le rouge, au même niveau que l’Algérie, la Pologne, la Russie, la Chine, la Nouvelle-Zélande, entre autres. Pas très brillant, et plutôt moins bien que l’Espagne, le Canada, le Brésil et le Royaume-Uni qui, très médiocrement malgré tout, atteignent un modeste orange .

Quant aux vénérés « pays du Nord », hum, à part la Norvège en jaune (qui rappelons-le a aboli en 2012 une législation rendant la pratique religieuse obligatoire pour les luthériens), ce n’est guère mieux : rouge pour le Danemark, orange pour la Suède et la Finlande.

La France, de son côté, atteint un honorable jaune – au même niveau que les USA ou le Japon.
Mais qu’est-ce qui l’empêche d’obtenir le très rare « vert » de la Belgique et les Pays-Bas ?
Il faut lire de près la petite case jaune du tableau p. 496 – et le commentaire qui suit, p. 496-97.
Ce qui fait obstacle à la liberté de conscience en France, c’est la législation discriminatoire de l’Alsace-Moselle et de certains territoires d’Outre-mer. Un motif analogue vaut aussi un « jaune » aux USA, car certains États y interdisent les fonctions officielles aux athées.

On notera cependant que le nombre de critères « jaunes » est plus important pour les USA qui en comptent trois (p. 206) que pour la France qui n’en a qu’un (il n’en faudrait aucun pour passer au vert).

Le commentaire de la situation française se poursuit p. 497 : que penser de l’interdiction du voile intégral ? Ce n’est en rien une discrimination car toutes les tenues couvrant intégralement le visage sont concernées, et cela pour des motifs d’ordre public.

Regardons à présent le glorieux « vert » obtenu par les Pays-Bas. Il est tout récent, ce pays ayant aboli sa législation sur le blasphème en décembre 2013. C’est très intéressant.

Ce qui menace la liberté de conscience en France, donc, ce n’est pas une laïcité prétendue « liberticide » contre toute évidence – aucune mesure ne produit autant de liberté à cet égard que la laïcité : elle est faite pour cela. Ce qui menace la liberté de conscience, c’est au contraire que la laïcité n’est pas suffisamment respectée et étendue sur l’ensemble du territoire. C’est l’inflation du discours encensant le fait religieux comme universel et qui encourage par là chacun à s’y inscrire. C’est le peu de considération dont jouit, dans ces discours, la non-appartenance, quand elle n’est pas accusée d’être une source de discrimination : car les apôtres du communautarisme n’hésitent pas à mettre le monde à l’envers ! C’est l’existence surannée d’un droit local, et le discours complaisant qui le présente comme un modèle de modernité.

Mezetulle, le 19 décembre 2014

Débats politiques
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Le tirage au sort ou la défaite de la délibération politique

par Francis Daspe
Francis Daspe, Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée)

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Les premiers débats engendrés dans le cadre du mouvement pour la 6° République se sont parfois focalisés sur la question du tirage au sort comme mode de désignation des représentants du peuple. Les partisans inconditionnels du tirage au sort considèrent qu’il s’agit des modalités les plus justes et les plus démocratiques : chacun d’entre nous est de la sorte susceptible d’accéder aux responsabilités à tout moment. Ce serait le plus court chemin vers l’implication citoyenne tant désirée. L’exemple athénien du V° siècle av. J.-C. est souvent mobilisé à titre de justification.

L’argument de la prétendue justice doit être manié avec modestie et prudence : il renvoie bien souvent au champ de la pure affirmation et de la simple déclaration d’intention. Il y a très loin pour qu’elles deviennent auto-réalisatrices, sachant que nulle conception de ce qui est juste n’est révélée en dehors de la raison…

L’exemple athénien doit pour sa part être nettement relativisé. Le tirage au sort y était utilisé pour la désignation des magistratures très fortement collégiales, comme les bouleutes (les membres du Conseil) et les héliastes (qui rendaient la justice). Les effets du nombre pouvaient limiter les risques inhérents à l’incertitude du hasard. Par contre, les fonctions effectivement cruciales relevaient de l’élection par les citoyens réunis dans l’Ecclésia. C’était le cas des principaux magistrats de la cité, les stratèges (pourtant au nombre de 10 élus renouvelés chaque année) qui étaient chargés de la conduite des affaires militaires.

Le tirage au sort ne relève pas de la pure mécanique institutionnelle ; il porte en lui des enjeux politiques fondamentaux qu’il convient de faire émerger. Ils sont nombreux. Ils contredisent l’appréhension qu’en ont certains, qu’ils en soient des opposants ou des partisans. Le tirage au sort ne s’inscrit pas dans une quelconque logique rationnelle qui ouvrirait automatiquement le chemin de la justice et de l’égalité. Il se fonde en fin de compte sur une double croyance ; elle doit être mise en exergue.

Les Athéniens estimaient que c’était la manière la plus juste au motif que la faveur des dieux s’exprimait à cette occasion. Ceci dans une société où l’imbrication du politique et du religieux était aboutie et paraissait de facto naturelle. C’est difficile à concevoir dans une société où la laïcité s’est imposée. La seconde croyance réside dans l’acceptation plus ou moins consciente d’une sorte de « main invisible » qui agirait au mieux dans la recherche d’un intérêt général.

Le tirage au sort s’inscrit en faux de manière radicale contre la laïcité. Celle-ci stipule que les hommes peuvent se gouverner eux-mêmes de manière rationnelle et terrestre en dehors de tout dogme transcendant ou de vérité révélée. Le tirage au sort leur dénie ce droit et cette faculté : il leur faut s’en remettre au hasard, que celui-ci soit faveur des dieux ou main invisible. La raison et la délibération ne sont donc plus les moteurs de l’action politique.

La question de la souveraineté populaire est ainsi posée. De qui et de quoi procède-t-elle ? En priorité, d’une conception universaliste du peuple et de la prise de conscience de sa force politique. La confusion provient de la promotion de deux autres faux universalismes qui au cours de l’Histoire sont entrés en concurrence avec l’universalisme républicain. Il y eut la religion synonyme de vérité révélée sans esprit critique. Il y a aujourd’hui le marché affirmant que l’équilibre et l’harmonie reposent sur l’action de la main invisible. Est-il anodin de préciser que la construction européenne a reposé sur ces deux piliers ? Elle fut qualifiée à ces débuts « d’internationale noire » ; l’horizon qui lui fut assigné consista selon l’expression de Jean Monnet à « faire des affaires », ce que le dogme de la concurrence libre et non faussée consacre aujourd’hui. L’Union européenne est naturellement devenue un monstre a-démocratique communiant dans le concept gouvernance.

Seule la laïcité est universaliste. Elle fonde et garantit la souveraineté populaire. Le tirage au sort signifie l’implosion de la laïcité. Et donc la défaite du politique au sens premier du terme.

Combat social
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Grève des urgentistes : une tactique gagnante

par Christophe Prudhomme
Médecin urgentiste. Commission exécutive de la Fédération CGT de la santé et de l'action sociale. Porte-parole de l'Association des médecins urgentistes et co-auteur du livre "Contre les prédateurs de la santé".

 

ReSPUBLICA – Tu es porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) et de l’alliance AMUF-CGT. Vous aviez déclenché un mouvement de grève pour le 22 décembre qui n’a duré que 24 heures… D’après votre communiqué, vous avez obtenu des avancées appréciables suite à ce mouvement. Comment expliques-tu cela ?

Nos revendications étaient anciennes et n’avaient pu aboutir jusqu’à présent du fait du blocage des syndicats corporatistes dont les revendications portent plus sur les questions de répartition des pouvoirs au sein des hôpitaux que sur les problèmes de conditions de travail.
Les différents gouvernements depuis ces 15 dernières années se sont toujours appuyés sur ces organisations pratiquant un « syndicalisme de salon » pour marginaliser des syndicats comme l’AMUF plus proches du syndicalisme revendicatif traditionnel.
Il est intéressant de souligner les pratiques peu démocratiques qui régissent ce mode particulier qu’est le syndicalisme médical. En effet lors de la seule élection professionnelle nationale qui existe pour les médecins hospitaliers dont le dernier scrutin a eu lieu fin 2011, les règles définissant la représentativité ont été définies après la publication des résultats, ce qui a permis d’exclure l’alliance AMUF-CGT. Le motif invoqué était que celle-ci n’avait pas présenté des listes dans suffisamment de collèges et le gouvernement actuel a sorti du chapeau le concept de « représentativité partielle » pour nous éliminer de la plupart des discussions.
Plusieurs éléments de contexte doivent également être pris en compte pour comprendre le déclenchement de notre mouvement.

D’une part, à la suite d’une action en justice auprès des instances européennes menée par une organisation représentant des médecins anesthésistes, le gouvernement français a reçu une injonction pour se conformer à la directive européenne sur le temps de travail datant de 1993 et à laquelle il aurait dû se conformer en 2003. En effet, en 2003, les accords sur la réduction du temps de travail avaient ignoré le fait que le maintien du temps de travail en demi-journées créait une situation non conforme au droit européen. Les médecins hospitaliers doivent travailler selon leur statut 10 demi-journées par semaine. Or la demi-journée n’est pas légalement normée mais est de fait de 6 h en cas de travail posté car 24 heures de travail sont décomptées en 4 demi-journées. Résultat : la semaine de travail exigible par les directions hospitalières atteint 10 fois 6 heures, soit 60 heures. Donc bien au-delà des 48 heures maximum de la directive européenne.
Malgré cette injonction, des décrets publiés début 2014 n’ont pas réglé le problème. De plus, un certain nombre d’hôpitaux, sous la pression financière, dénonçaient des accords locaux qui permettaient de ne travailler que 48 heures par semaine.

Le deuxième élément déclencheur du mouvement a été l’annonce du mouvement de grève des médecins libéraux. En effet, certaines Agences régionales de santé ont fait l’erreur de demander à des responsables de services d’urgences de limiter les congés des personnels pendant la période des fêtes pour pouvoir pallier le déficit de l’offre de soin prévisible.

Enfin cerise sur le gâteau, alors que des discussions s’étaient engagées en début d’année pour examiner la possibilité d’étendre l’accord sur la pénibilité au secteur public, la ministre annonce fin octobre que ce dossier n’est plus à l’ordre du jour.
Face à l’accumulation de ces difficultés, alors que nous avions demandé au ministère d’ouvrir des négociations sur le temps de travail, nous nous étions vu opposer une fin de non-recevoir malgré notre évocation de la possibilité d’un mouvement de grève au moment des fêtes, en profitant de la concomitance des temps avec l’action des libéraux, même si nos revendications étaient complètement différentes.

Devant l’autisme du gouvernement, poussé par notre base excédée et qui voulait en découdre, l’AMUF et les médecins CGT ont décidé de déposer un préavis de grève le 5 décembre pour une entrée en vigueur le 22 décembre. Cela laissait largement le temps à nos interlocuteurs pour ouvrir des négociations.
Comme c’est souvent le cas, nous avons été initialement renvoyés sur un chargé de mission, ancien sénateur, qui devait rendre un rapport au début 2015 sur les conditions de travail des médecins hospitaliers et l’attractivité de leurs carrières. Mission, commission… sans vouloir paraphraser Clemenceau, nous avons clairement signifié à la ministre que vouloir ainsi enterrer le problème était une très mauvaise stratégie dans le contexte de grogne généralisée dans le monde de la santé.

Quelques jours avant la date de début du mouvement, l’inquiétude a visiblement gagné le cabinet de la ministre et des discussions ont été ouvertes. Mais il était déjà trop tard pour pouvoir discuter sereinement. Nous avons donc négocié pied à pied jusqu’à la veille du mouvement en mettant la barre très haut.
Comme lors de nos précédentes actions, nous avons mobilisé et utilisé au mieux les médias, ce d’autant que nos revendications étaient clairement compréhensibles par n’importe quel salarié et que nous pouvions ainsi espérer un large soutien de la population. En effet, demander de ne plus travailler 60 heures par semaine mais seulement 48 heures, dans le contexte du débat sur les « 35 heures », cela paraît très raisonnable. Par ailleurs demander un décompte en heures du temps de travail – et non plus en demi-journées – et que toutes les heures travaillées soient payées, cela paraît aussi assez évident.
Sous la pression, la ministre a été obligé d’accepter une bonne partie de nos revendications. Pressée par le temps, elle s’est même permis d’annoncer la fin de la grève avant même de nous avoir notifié son accord sur le texte qu’elle avait sur la table à sa signature. Nous lui avons alors rappelé quelques règles du dialogue social, à savoir que ce sont aux salariés en grève de décider démocratiquement si les propositions qui leur sont faites sont suffisamment intéressantes pour qu’ils puissent mettre fin à leur mouvement.

Au total, nous avons pu annoncer après un peu plus de 24 heures de grève, la levée de notre préavis en engrangeant des avancées substantielles qui ont été appréciées très positivement par l’ensemble des urgentistes1.
Nous avons maintenant 6 mois pour les mettre en œuvre, sachant que le contexte de démographie médicale et de contraintes financières ne va pas nous faciliter la tâche. Mais le fait d’avoir montré une nouvelle fois que la lutte paye motive nos collègues pour continuer sur le même chemin.

 

  1. Circulaire de Marisol Touraine n° DGOS/2014/359 en date du 22 décembre 2014  « relative aux modalités d’organisation du travail applicables dans les structures d’urgences-SAMU-SMUR. Date d’application : immédiate ». []
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On ne va pas laisser la politique des modes d'accueil rester coincée à la consigne !

par Collectif Pas de bébés à la consigne

 

Depuis 2012, le collectif « Pas de bébés à la consigne » s’est engagé dans un dialogue avec les nouvelles autorités, afin de promouvoir le développement de modes d’accueil de qualité, dans le fil des mobilisations du monde de la petite enfance en 20101. Des annonces gouvernementales ont alors été officialisées : abrogation du décret Morano, prévision de créer 275 000 places d’accueil sur 2013-2017, projet d’un nouveau « plan métiers de la petite enfance ».
Où en est-on deux ans plus tard ?

L’arlésienne de l’abrogation du décret Morano
Du côté gouvernemental la perspective n’est plus évoquée d’abroger le décret Morano et de réformer la réglementation pour rompre avec la dégradation de qualité des modes d’accueil collectif : accueil en surnombre, moindre qualification globale des équipes auprès des jeunes enfants… Les conditions d’accueil et de travail se dégradent de plus en plus sous la contrainte gestionnaire de l’optimisation maximale des taux de remplissage.
Une offre d’accueil nouvelle qui ne décolle pas
Le gouvernement constate que ses objectifs de création de places n’ont pas été atteints en 2013 (11 000 places au lieu des 21 000 attendues en accueil collectif) et il avance plusieurs explications. Pour notre part, nous estimons que la diminution de 11 milliards d’euros des dotations de décentralisation aux collectivités locales met un frein significatif aux ambitions des gestionnaires de créer des établissements d’accueil.
Un « Plan Métier » qui reste en plan ?
L’exigence d’une hausse globale du nombre et des qualifications des professionnels de la petite enfance devrait être au coeur d’un prochain « plan métier ». Les annonces gouvernementales réitérées de lancement de ce plan ne donnent pas d’indication sur une telle ambition : s’agira-t-il ou non d’un véritable plan d’amélioration de la qualification de tous les professionnels de la petite enfance, incluant de vraies mesures de promotion professionnelle pour les métiers bénéficiant des formations les plus courtes et les moins qualifiantes ?
Alors on en reste là ? Sûrement pas !
En 2014, le collectif  « Pas de bébés à la consigne » a fait de multiples propositions, sur la réforme du décret Morano, sur la formation des professionnels2
Professionnels, parents, élus, citoyens, venez en discuter !

Soirée de débat et de mobilisation jeudi 5 février 2015 à 19 h
à la salle Jean Dame, 17 rue Léopold Bellan – 75002 Paris
avec la participation :
des représentant-es du collectif « Pas de bébés à la consigne »
de Francesca Petrella (sociologue) et Sylviane Giampino (psychologue petite enfance et psychanalyste, sous réserve de confirmation)

  1. Cf. la contribution de « pas de bébés à la consigne » à la consultation nationale sur les modes d’accueil (janv. 2013) : ]
  2. ]
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Un parcours en Cisjordanie

par Ghislain

 

Arrivée le 1er novembre 2014 dans la nuit à Amman. Autrefois, de Jordanie on pouvait aller au nord en Syrie. C’est exclu. Au nord-est en Irak : c’est exclu aussi. Les Musulmans peuvent toujours aller à l’est en Arabie saoudite. Nous aussi, sauf à Médine et La Mecque. Pas très envie dans ce pays de ségrégation sexuelle dominé par les féodaux. On peut traverser le golfe d’Aquaba au sud et gagner l’Égypte via le Sinaï tout en évitant le nord Sinaï. J’ai rencontré deux voyageurs qui arrivaient du Caire. Reste la Cisjordanie à l’ouest, qui constitue la Palestine occupée avec la bande de Gaza. C’est le trajet que j’avais déjà choisi en 2009.
Au cas où les Israéliens nous refouleraient, nous pouvons séjourner en Jordanie ce qui est tout de même mieux que de se faire refouler dans un avion à l’aéroport de Tel-Aviv ce qui vient encore d’arriver à deux militants de l’Association France Palestine Solidarité .
Ma compagne de voyage, Françoise, est membre d’une association de soutien aux Palestiniens à Limoges. Après deux jours à Amman, bus pour la frontière qu’on traverse avec une navette, on franchit le Jourdain par le célèbre Allenby bridge. On ne voit pas d’eau, seulement des roseaux. Le Jourdain allait se perdre dans la mer Morte qui gardait un niveau stable par le biais de l’évaporation. Aujourd’hui l’eau est détournée en amont par les Israéliens et le niveau de la mer Morte a baissé de… 27 m ! C’est pour l’eau qu’ils veulent garder le plateau du Golan confisqué à la Syrie mais aussi pour des raisons stratégiques.
Les personnes et les bagages passent au détecteur comme à l’aéroport. Après de nombreux contrôles, une femme de la police nous interroge sur notre séjour « en Israël » bien sûr. Le mot Palestine est totalement prohibé. Finalement nous avons le visa avec photo sur papier séparé : ça c’est la bonne nouvelle. Il semble que ce soit systématique maintenant. Je pourrais donc aller en Iran ou retourner au Liban avec ce passeport.
Nous prenons un taxi collectif qu’on appelle ici « service » pour Jérusalem. Porte de Damas de la vieille ville. Je retrouve mes repères et l’hôtel Golden Gate mais les prix ont augmenté en 5 ans et plus de 40 €, c’est trop. Nous en trouvons un à 40 € et nous resterons 2 jours. Françoise a 5 ou 6 kg de livres et thèse à transmettre à un directeur d’école à Jérusalem et ce sera notre première tâche. Ce directeur nous accueillera plus tard dans son village.
Bien des choses ont déjà été dites lors de mes précédents séjours en 2003 et 2009. Mais il y a des évidences qu’il faut marteler et inviter les sceptiques à venir constater de visu l’apartheid que vivent les Palestiniens au quotidien.
La vieille ville de Jérusalem est divisée en 4 quartiers : Arabe, Juif, Chrétien et Arménien.
C’est un dédale de ruelles impressionnant et pas un angle n’échappe aux caméras. Les boutiques des souks vous donnent l’impression d’une immense caverne d’Ali Baba. Nous allons au Mur des lamentations où nous voyons de nombreuses femmes soldats. L’esplanade des mosquées est fermée.
Nous convainquons une Chinoise de Taïwan de nous accompagner à Bethléem ( c’est-à-dire de l’autre côté du mur ). Au Centre d’informations touristiques je vais voir la responsable et je lui raconte (5 ans plus tard ! ) comment la lettre qu’elle avait confiée à une Française pour être postée à Paris avait été volée par les Israéliens à l’aéroport de Tel Aviv.
Nous trouvons un hébergement dans la guest house du camp de réfugiés de Deisheh à 3 km. Il faut savoir que les camps palestiniens – que ce soit en Palestine ou au Liban – sont des quartiers de ville en dur, bien délimités et gérés par l’ONU en ce qui concerne les écoles, l’eau, l’électricité et la distribution de vivres de 1ere nécessité (huile, farine, sucre..)
L’UNRWA, l’agence de l’ONU, dispense ses services dans 59 camps (Gaza, Cisjordanie où nous sommes, Jordanie, Liban et Syrie ). Elle emploie plus de 25 000 personnes dont 99 % de Palestiniens, enseignants, médecins ou travailleurs sociaux. 70 % du personnel travaille dans le secteur éducatif. Israël comme le Hamas critiquent les programmes scolaires de l’UNRWA.
Dans le grand camp de Saïda au sud-Liban j’avais dû demander un laisser-passer aux services de renseignements de l’armée libanaise qui contrôlaient l’entrée du camp et ne laissaient pas entrer du ciment par exemple, pour qu’on ne puisse pas construire. Problème puisque la démographie augmente. On peut être hébergé dans les camps moyennant une somme modique (environ 10 E ) et c’est ce que j’ai toujours pratiqué au Liban, les hôtels étant trop chers.

A Jérusalem nous avons recherché le Centre d’informations alternatives très près de la vieille ville. En 2003 nous y avions rencontré Michel Warshawski écrivain et militant franco-israélien dont je vous recommande la lecture. Le Centre est fermé et c’est une grande déception. Il abritait plusieurs organisations hostiles à la politique israélienne (B’Tselem, Ta’ayush, Femmes en Noir, Anarchistes contre le mur, Comité israélien contre les démolitions de maisons, Refuzniks qui sont des soldats refusant d’intervenir dans les Territoires occupés…). Le Centre est une initiative palestino-israélienne.
Nous gagnons le camp de Aïda adossé au mur. Les Palestiniens utilisent ce mur géant pour s’exprimer, souvent avec humour à travers dessins et slogans en arabe ou en anglais. Les plus belles fresques sont éditées en cartes postales à Bethléem. L’une d’elles représente le Pape venu ici au mois de mai. On retrouve partout un petit personnage, Handala, qui tourne toujours le dos et commente ce qu’il voit. Son créateur, le caricaturiste palestinien Naji al Ali a été assassiné à Londres en 1987 probablement par les services israéliens. Françoise achètera son livre dans une librairie de Naplouse dont nous reparlerons.

Camp Aida

 

 

 

 

 

 

 

Bethléem, camp de Aïda

Dans le camp de Aïda il y a Al Rohwad (les Pionniers), association dynamique qui fait du théâtre avec des jeunes du camp qui sont venus en France à plusieurs reprises. Nous rencontrons le directeur, Abdelfattah : « Dans un camp comme Aïda où il n’y a plus d’espace, où le héros est celui qui porte le fusil et où le grand rêve est de mourir pour la Palestine, il fallait inventer un lieu où rester vivant. En résistant sans aucun compromis, mais en offrant d’autres possibilités aux enfants que celle d’aller se faire sauter dans un bus. »
Nous entendons des sortes de pétards. Abdelfattah nous dit que ce sont les grenades lacrymogènes tirées par les soldats près du mur à l’entrée du camp. Nous le quittons précipitamment. Les jeunes jettent des pierres. Schéma classique et quotidien et baptême de lacrymos pour Françoise. Mais soudain une vingtaine de grenades arrivent en même temps. L’air est saturé. Nous ne pouvons que fuir avec les jeunes par les ruelles.
Nous arrivons près d’un hôtel de luxe en même temps que des touristes qui descendent d’un autocar et nous mélangeons à eux avec nos yeux rouges pour aller nous laver le visage dans les toilettes (de luxe!). Puis nous regagnons la guest house du camp avec ses 4 dortoirs et sa cuisine équipée mais où nous sommes les seuls occupants.
Nous consacrons une journée à Hébron. Un jeune nous suit discrètement dès la sortie du bus. Il a un peu d’artisanat à vendre. A proximité de la vieille ville il nous guide à travers les oliveraies en terrasses. Nous tombons sur une patrouille de 3 jeunes soldats. Je décide de leur parler (En 2003 lorsque j’étais avec un groupe militant il était strictement interdit de leur parler).
« Vous n’en avez pas marre de la guerre ?
– On doit protéger nos compatriotes !
– Mais à Hébron vous êtes 2 000 militaires pour protéger 500 colons religieux fanatiques!
– Mais il y a du terrorisme !
– Vos leaders ont été considérés comme des terroristes quand ils luttaient dans des organisations clandestines… »
Je leur parle aussi des refuzniks et les photographie avec leurs armes sorties d’un film de Rambo.
Puis nous continuons avec le jeune Palestinien à qui Françoise achète de l’artisanat. Plus tard nous visiterons la partie mosquée du Temple d’Abraham, la partie synagogue n’étant pas accessible car c’est sabbat (samedi). Je prendrai une photo de jeunes colons descendant l’avenue, chemise blanche et kippa, l’un d’eux avec son fusil M-16 en bandoulière.

Hébron

La vieille ville est encore en grande partie désertée. En 2003 elle subissait un couvre-feu de 24h sur 24. Ce qui fait que les étudiants et les travailleurs avaient dû la quitter pour la ville moderne. Les autres communiquaient par les terrasses. Je me souviens avoir vu le graffiti d’un colon sur une boutique palestinienne dont la serrure avait été soudée : Arabs are sand niggers (les Arabes sont les nègres des sables).
Cette fois je vois Gaz the Arabs (Gazons les Arabes ). Quel retournement de l’Histoire ! Israël est un État raciste avec un gouvernement raciste. Les Arabes qui vivent en Israël (environ 1 700 000 ) sont des citoyens de seconde zone malgré le bla-bla officiel, démocratie etc. Mais Netanyaou est en train de clarifier les choses. Il manœuvre avec l’extrême-droite pour créer un État juif. Il n’y aura plus d’ambiguïté. Mandela ne s’y était pas trompé. Fin de l’apartheid en Afrique du Sud mais restait la Palestine.
Pour ma part je considère les Juifs et les Israéliens comme ni pires ni meilleurs que les autres. C’est pourquoi je refuse d’employer le mot « antisémitisme ». Le vrai problème c’est le racisme. Il y a des gens parmi eux qui se considèrent comme « à part » et nous sommes les goys. Je me refuse à les considérer comme « à part ».
De même les Palestiniens ne sont ni pires ni meilleurs que les autres et s’il faut les soutenir c’est parce que leur pays est occupé militairement, administrativement, économiquement et que l’hypocrisie qui permet que l’occupation perdure a trop duré.

A suivre

Cinéma
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"Heritage Fight". Un combat pour le patrimoine des premiers Australiens

par Jean Rabinovici
0 de Conduite

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Année après année, des films, fictions et documentaires rappellent que l’Australie n’est pas seulement le pays conquis tardivement par la colonisation britannique et que les premiers Australiens que constituent les différents peuples aborigènes présents dans l’immense île des océans Indien et Pacifique se font de plus en plus entendre depuis la fin du XXe siècle et dans ce nouveau siècle, des gouvernements politiques de gauche ou conservateurs.

Récemment, le mois dernier c’est un documentaire d’une jeune réalisatrice française qui est sorti avec de faibles moyens de distribution sur quelques écrans à travers la France. Eugénie Dumont à 23 ans s’est jetée dans la relation de cette histoire qui opposait la communauté des Goolaraboolos, une tribu aborigène des côtes du Kimberley, au Nord-Ouest de l’Australie à la puissante société Woodside qui avait décidé d’y implanter la plus grande usine à gaz du monde. Pourtant cette péninsule de Broome était depuis longtemps un lieu touristique, fréquenté par les touristes australiens et d’autres, célèbre aussi pour ses empreintes fossiles de grands dinosaures, où l’on pouvait camper auprès des villages aborigènes dans des paysages grandioses.
Fait des plus intéressants la présence dans ce mouvement contestataire de Blancs auprès des Aborigènes. De plus de fortes personnalités animaient cette lutte que l’on peut qualifier de David contre Goliath.

Commençons par les Aborigènes de la famille Roe, Joseph est le leader spirituel et le gardien de la Loi au sens culturel et social. Paddy, son grand père, a élu Joe pour le remplacer quand il était en âge d’être initié à la Loi. C’est ainsi que durant leur adolescence les jeunes garçons sont envoyés dans les grands espaces, l’Outback au-delà du Bush , où l’on rencontre rarement d’autres humains. Cette épreuve dure plusieurs mois. Ils découvrent de nouveaux lieux, des espèces animales qu’ils ne connaissaient pas, dont certaines très dangereuses.
Peu à peu il a dû affronter dans ce pays fédéral qu’est l’Australie le pouvoir du gouverneur du Kimberley et son administration. Et jusqu’en 2014 sa vie a été une suite de combats pour donner plus de dignité aux Goolaraboolos.

Teresa Roe est la fille de Paddy. Un homme qui a su créer un lien exceptionnel entre Blancs et Aborigènes en adoptant un jeune européen et l’élevant comme l’un des siens. Il avait mis en place des séjours de découverte et de partage avec le peuple Goolarabooloo. Digne fille de son père Teresa est devenue la « granny » ( la mamie) de la ville de Broome mettant en particulier en valeur les célèbres empreintes de Dinosaures, qui ont perturbé la Société Woodside.

Côté Blancs une femme a mené son combat en réveillant la conscience citoyenne des habitants de Broome. Louise Middleton a très vite interpellé Colin Barnett, le gouverneur du Kimberley dans son blog, lorsque celui ci a annoncé que les terres de la presqu’île de Broome avaient été choisies pour y implanter cet énorme complexe. Elle a scandé haut et fort que cette usine n’était pas la bienvenue.
Louise Middleton a épluché les documents gouvernementaux durant des années et entrepris un suivi minutieux des sociétés engagées dans ce projet de 45 milliards de dollars. Son blog est ainsi devenu, plus qu’un site d’informations, un manuel de résistance aux projets anti-citoyens du monde entier. On peut penser chez nous à Notre-Dame des Landes à Nantes et au barrage de Sivens dans le Tarn, rendu si tristement célèbre par la mort d’un jeune manifestant, Rémi Fraisse. Et dans d’autres lieux comme en Pologne contre les projets d’une compagnie américaine spécialisée dans le pétrole issu de la fracture des schistes et stoppée par un mouvement des agriculteurs locaux. Louise Middleton est en fait devenue le bras droit de Joe Roe, toujours prête à parer les mauvais coups.

Autre figure de ce combat Shane Hugues qui habite avec sa femme depuis une quinzaine d’années à Broome. Avec son 4×4, il est le veilleur quotidien des entrées de la ville des engins de chantier. Il réussit même à bloquer le premier bulldozer en s’y étant enchaîné.
Par son action spontanée Shane Hugues permit qu’un « Blockade » fût installé en urgence sur la route menant à James Price Point pour lutter au corps à corps avec les forces de police, de façon pacifique mais efficace, en ne laissant passer que les touristes souhaitant profiter de ce Jardin d’Eden.

Il faut ajouter un conteur aborigène qui perpétue cette transmission des histoires et légendes liées à la création du monde selon ces peuples premiers de l’Australie. A sa manière et dans la tradition il explique le ciel et ses étoiles, la connexion entre toute chose, le soir autour du feu. Mais si ce vieil homme vit totalement en dehors du monde occidental cela ne l’empêche pas de participer à la protection de son peuple. Pour cela il a attaqué en justice Woodside pour la destruction illégale de plusieurs centaines d’hectares sans aucun permis.

Le cadre de ce documentaire est donc bien fixé. Eugénie Dumont ira jusqu’à filmer la partie la plus violente de ces événements qui devaient aboutir à la mise en place d’un important matériel de réalisation de l’opération de Woodside sur le Kimberley. La réalisatrice se trouvera la seule avec sa caméra pour filmer l’épreuve de force décidée par le gouverneur du Kimberley pour rompre la digue des pacifistes couchés devant les engins de chantiers, bulldozers entre autres. Le « Black Tuesday», le mardi noir, verra la route dégagée par les policiers venus en masse et la partie semblera vraiment perdue pour les opposants à la réalisation de la société Woodside. Joseph Roe, usé avant l’âge, décédera début 2014, laissant les Goolaraboolos sans leader.
Mais soudainement déménagement du matériel arrivé sur la presqu’île de Broome, le projet est abandonné !

Le film a commencé à circuler en France, mais s’il a reçu un bon accueil de la critique il faut que des salles reprennent le travail exceptionnel d’Eugénie Dumont. Elle est prête à intervenir dans des salles de France.
Alors contactez- la en vous rendant sur internet, sur le site du film ou téléphonez à Dock 66, relais de production, mais aussi à Ciné Sud Promotion qui a en charge la communication avec la presse. Cette jeune documentariste mérite d’être aidée. Et cette expérience australienne d’être popularisée.

Site internet : www.heritagefight.com
Ciné-Sud Promotion/ co Claire Viroulaud : 01 44 54 54 77 claire@cinesudpromotion.com
Production : Dock 66 : 06 18 46 24 58, violaine@docks66.co