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Après janvier 2015, l’Autre gauche dans l’impasse !
par Évariste
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Les trois événements de janvier 2015 (les assassinats des 7, 8 et 9 janvier, la victoire électorale de Syriza du 25 janvier, la démonstration de force de Podemos du 31 janvier) n’ont pas appris grand-chose aux gauches françaises. Quant aux dirigeants politiques néolibéraux (François Hollande, le gouvernement Valls et la direction du PS), non contents d’avoir tué, dans le temps présent, l’idée de « gauche » en France, ils ont réagi en rajoutant un « catéchisme républicain » à une école des compétences largement dévouée aux désirs du patronat. À aucun moment, la direction néolibérale autour de François Hollande n’a voulu travailler sur les causes du séisme des 7, 8 et 9 janvier, dont Copenhague a eu droit à une réplique de même nature un mois plus tard. Son appel à des intervenants extérieurs à l’école pour prodiguer le nouveau « catéchisme républicain » n’est pas de bon augure pour la suite de l’histoire.
Quand à l’Autre gauche, elle se réduit de plus en plus à la fraction idéologique de la petite et moyenne bourgeoisie, qui ne possède plus aucune force propulsive pour s’allier avec la classe populaire ouvrière et employée, qui est majoritaire en France, mais dont la grande majorité s’abstient aux élections en partie en défiance à elle. Pire, n’ayant rien appris de l’histoire des années 30, elle observe, stupéfaite, que les couches déclassées tant de la classe populaire ouvrière et employée que des couches moyennes intermédiaires, lorgnent de plus en plus vers le FN. Les résultats de la 4e circonscription législative du Doubs sonnent le désastre imminent. Dans une circonscription populaire, le Front de gauche allié au NPA et aux chevènementistes du MRC font 3,6 % ! La voie royale vers la marginalité.
Tirer les enseignements stratégiques
Au lieu de s’inspirer des exemples de Syriza et de Podemos sur les questions stratégiques, l’Autre gauche française se contente de meetings de soutien aux luttes, d’ailleurs sans jamais faire ici et maintenant ce que font ceux qui ont progressé aux élections en Espagne ou en Grèce : pas d’alliances avec les partis austéritaires (en France, alliances de larges secteurs du PCF avec les socialistes notamment), priorité à l’éducation populaire contre l’austérité (refus de l’éducation populaire de l’ensemble de l’Autre gauche française au profit de campagnes dans l’entre soi), agir dans le temps court pour répondre aux besoins du peuple comme dans l’exemple grec : dispensaires gratuits, crèches autogérées, etc. (alors qu’en France, on préfère la méthode du « votez pour moi et ça ira »).
Le communautarisme, maladie infantile de l’Autre gauche
La cerise sur le gâteau revient à la plupart des partis de l’Autre gauche qui viennent de se mettre à la remorque des ultra communautaristes des « Indigènes de la République » (seule la direction du Parti de gauche n’a pas signé cette mascarade politique)1. Après la mobilisation des communautaristes catho-empathiques de la « Manif pour tous » contre le mariage pour tous et la « cathophobie », voici l’opération des communautaristes islamo-empathiques pour rassembler en meeting à Saint-Denis contre « l’islamophobie ». Commençons par noter la confusion de ce pseudo concept qui met dans le même pot les actions de haine contre les musulmans (qui doivent être combattues) et les critiques de la religion (qui doivent être libres dans toute démocratie laïque). Réunis d’abord en collectif le 13 décembre dernier2, les communautaristes des « Indigènes de la république » et leurs amis anti-laïques primaires ont décidé le 8 février de faire un meeting le 6 mars. Ensemble, ils fêteront à l’avance la déroute de l’Autre gauche aux élections des 22 et 29 mars 2015, qui montrera le fossé qui la sépare du peuple. Il n’y aura pas de transformation sociale et politique en France autour de ceux qui préfèrent la démocratie anglo-saxonne, pivot du néolibéralisme, à la République sociale et laïque, seul modèle alternatif au « mouvement réformateur néolibéral ». Regrouper tous les opposants aux quelques lois laïques qui restent dans notre pays constitue l’impasse définitive. Voilà où se sont enfermées les directions du PCF, d’EELV, d’ATTAC, du NPA, associées à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) proche des l’organisation internationale islamiste des Frères musulmans qui utilisent des conférenciers du type Hani Ramadan ou Hassan Iquioussen dont l’obscurantisme est patent.
Face au néolibéralisme, tout est à reconstruire !
Tirer les enseignements en termes de ligne politique
L’accord intervenu entre les dirigeants de l’Union européenne et Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis, respectivement premier ministre et ministre des finances de la Grèce, pour continuer à recevoir les « aides » européennes, pose les questions suivantes :
– « Est-il possible de sortir des politiques austéritaires sans rupture avec les politiques ordolibérales de la zone euro et de l’Union européenne ? » Toutes les Chroniques d’Évariste ont montré que non. Il n’y aura pas d’euro social. L’euro est construit uniquement pour et par les politiques néolibérales européennes.
– « Si rupture il faut, la question devient : quand doit-elle intervenir ? »
Selon nous, cette rupture ne peut pas se faire à froid de façon harmonieuse et idéaliste mais bien à chaud3 effectué sur ce sujet et donc du soutien populaire qu’il est nécessaire de garder jusqu’au moment de cette rupture. L’accord accepté par Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis entraîne en fait le renvoi à plus tard des promesses électorales sur les politiques de temps court.
Si le gouvernement grec a remis la feuille de route exigée, il a en effet capitulé en rase campagne : il pourra toujours arguer qu’il n’y a plus de Troïka, mais il accepte que les « institutions » (celles de la Troïka !) évaluent les réformes promises avant de donner le feu vert à l’Eurogroupe du jeudi 26 février pour étendre jusqu’à fin juin le plan d’aide, rebaptisé « accord » (l’honneur est sauf), en cours. Selon Reuters, « l’ignoble Schäuble » (qui a finalement eu le dernier mot, contrairement à ce qu’annonçait triomphalement un tweet de Jean-Luc Mélenchon) aurait jugé le plan grec « cohérent et crédible » et aurait déjà demandé au Bundestag d’accepter cette prolongation en cas de feu vert des « institutions ». Et plus question de salaire minimum ni de retour sur l’essentiel des mesures d’austérité qu’avait mises en route le précédent gouvernement. Ça va tousser à Syriza ! Mais au moins, ceux qui s’interrogeaient sur le devenir de l’expérience Syriza, savent maintenant que le gouvernement grec n’a pas renversé la table, contrairement à ce qu’ils espéraient, mais qu’il est bel et bien passé dessous.
Il ne s’agit pas de tirer sur Alexis Tsipras, qui n’avait pas d’autre choix, il s’agit de tirer sur ceux qui ont propagé l’illusion qu’il pouvait en avoir un autre, les « intellos » pour briller, les politiques pour tenter de récupérer la dynamique Syriza-Podemos sans même en tirer les enseignements stratégiques. (Voir « L’euro : les six positions en présence » dans la note 3.)
Que faire ?
Devant ce désastre annoncé, nous ne voyons pas d’autres chemins que celui qui consiste à engager aujourd’hui un rassemblement de la gauche laïque anti-libérale et anti-capitaliste pour soutenir les initiatives d’éducation populaire existantes4 et créer les conditions d’une large campagne d’éducation populaire pour la transformation sociale et politique.
Hasta la victoria siempre (Jusqu’à la victoire finale) !
- http://indigenes-republique.fr/meeting-contre-lislamophobie-et-le-climat-de-guerre-securitaire/ [↩]
- Collectif initié autour des ultra communautaristes anti-laïques et anti-républicains : Alain Gresh, les « Indigènes de la république », la LDH, le Collectif contre l’islamophobie en France, le Centre de recherches pour l’information et le développement, le Centre d’Etudes et d’initiatives de solidarité internationale, Islam et laïcité, le Front de gauche thématique contre l’islamophobie et contre le racisme, les « Mamans toutes égales » (favorables aux signes religieux dans des activités scolaires), du collectif des musulmans de France, de Présence et spiritualité musulmane, Jean Baubérot, etc. [↩]
- Deux articles prémonitoires l’un de Michel Zerbato, économiste émérite de l’université de Bordeaux ↩]
- Réseau Education Populaire ↩]
- Laïcité et féminisme
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La prévention de la radicalisation au Canada
par Homa Arjomand
NDLR : Homa Arjomand est une militante iranienne vivant en exil au Canada. Elle a joué en 2005 un rôle important dans la campagne – victorieuse – contre l’adoption par l’État de l’Ontario d’une législation permettant la mise en place de tribunaux jugeant des affaires civiles selon le droit islamique (charia).
Le texte qui suit est celui de son audition, le 5 février 2015, devant un comité sénatorial à Ottawa, sur la prévention de la radicalisation.
Traduit de l’anglais par Jocelyne Clarke.
J’ai structuré ma réflexion de la façon suivante : d’abord, je parlerai brièvement des problèmes posés par les communautés dites islamiques. Puis j’examinerai les questions auxquelles sont confrontés les membres de ces communautés avec l’ensemble de la société. J’axerai la fin de mon intervention sur les mesures aptes à prévenir la radicalisation au Canada.
Tout d’abord, les reculs au sein des communautés appelées islamiques :
– L’apartheid sexuel, la ségrégation des hommes et des femmes.
– L’oppression des femmes prend les formes les plus grossières et les plus scandaleuses dans ces communautés : la polygamie, les mariages arrangés, les fillettes cédées en mariage, le trafic d’enfants pour des projets de mariage, les mariages temporaires (« prêt » islamique d’une femme pour une heure, un jour, un mois, appelé « seegheh »), les crimes d’honneur… sont désormais pratiquées dans ces communautés.
– Les hommes sont les chefs du foyer (parfois juste après Dieu), ils contrôlent les finances de la famille, le choix du lieu de résidence, le patrimoine, l’emploi, le divorce, la garde des enfants et le partage des biens suivant leurs propres traditions.
Imposant les travaux d’entretien et de ménage à leurs filles et à leur femme.
Infligeant des sanctions, des menaces, restreignant leur liberté, avilissant les femmes et les filles de la famille.
Obligeant les filles de 4-5 ans à se couvrir la tête.
Interdisant aux enfants de prendre des cours de sport, de danse, de musique ou de natation.
Forçant les enfants à fréquenter les écoles islamiques et les encourageant à suivre les dogmes religieux et la tradition, à participer à des cours récréatifs contre les tenants des autres religions, ou contre les athées, promouvant la haine contre les homosexuels, les lesbiennes et tous les Occidentaux.
Obligeant les enfants à participer à des cérémonies religieuses incompatibles avec les lois et les règles de santé, d’hygiène, d’environnement et les valeurs occidentales.
Infligeant des actes cruels aux animaux.
Les membres de cette communauté appelée islamique vivent au Canada mais sont soumis à la loi de la charia et à son application.
Mais voyons les problèmes rencontrés par les membres de ces communautés par rapport à l’ensemble de la société : isolement, ségrégation, discrimination, insécurité, perte de repères, dévalorisation, absence de reconnaissance par la majorité de la société, absence d’espoir d’un meilleur avenir, sentiment d’abandon, passivité, manque de soutien social et de soutien de l’État, chômage et pauvreté…
Malheureusement, la politique du multiculturalisme a amplifié les problèmes qui viennent d’être évoqués. Cette politique a contribué à diviser la société canadienne en différentes religions et en communautés ethniques.
Cette politique a promu la tolérance et le respect pour des opinions et des croyances dites minoritaires au lieu de promouvoir le respect des droits des personnes de cette communauté.
Ces personnes, plus particulièrement les femmes et les enfants, sont restés privées de sécurité pour leur corps et leur esprit, privées de garantie de ce qui fait une vie normale dans la société actuelle, privées de l’assurance d’une indépendance personnelle, privées de la capacité de trouver la vérité dans tous les domaines de la vie sociale, et privées d’une égalité de statut au sein de la famille. La politique du multiculturalisme a offert aux religions beaucoup d’occasions d’imposer leurs propres règles à une communauté spécifique dans une plus large société. Cela a permis aux islamistes de croître et de pénétrer le système canadien.
Il n’est pas loin le temps où l’Islam politique tentait d’établir au Canada, la cour de la charia. Sans la voix de la campagne internationale contre la cour de la charia au Canada et des milliers d’activistes au Canada et dans le monde exigeant une loi pour tous et une loi laïque, l’islam politique ferait partie de notre appareil judiciaire.
Outre le multiculturalisme, la mise en place du relativisme culturel a constitué un barrage énorme à l’intégration des femmes, des enfants et de la jeunesse. Cette politique a livré les gens dans les communautés, à leur religion et leur tradition rétrograde. La culture et la religion sont devenues une question centrale, plus importante que les droits des personnes, et plus importante que les droits des enfants.
C’est dans ces circonstances qu’Aqsa Parvez et les sœurs Shafie1ont été jugées et mises à mort à cause des croyances de leur propre famille, pour ne pas avoir honoré la culture et les traditions préconisées par les religieux, en particulier islamiques.
Le relativisme culturel a fourni de nouveaux moyens d’augmenter le nombre de centres et d’écoles religieuses.
Sous couvert de liberté religieuse, des Etats ont délibérément fondé des écoles religieuses et placé des enfants sous la coupe de la religion et de ses coutumes.
Avec l’argent de l’Arabie Saoudite, du Qatar, des Emirats et de l’Iran, avec les imams importés au Canada, le résultat est évident : les Etats ont ouvert la route à davantage de ségrégation, de repli et de discrimination, à dénier aux enfants la possibilité de se mêler aux autres, à les empêcher eux et leurs familles d’évoluer dans une société moderne.
Il s’agit de garder à l’esprit que le Canada n’est pas un cas isolé par rapport aux autres pays, il est directement et indirectement concerné. Je ne parle pas de l’action militaire contre EIS ni des sanctions économico-politiques contre l’Etat islamique d’Iran. Je parle d’autoriser des personnes clés de l’islam politique – c’est-à-dire du régime islamique d’Iran, ceux qui sont directement impliqués dans l’exercice de l’opposition politique, les adversaires et les tenants d’une autre croyance – à devenir citoyens canadiens. Ces personnes, tôt ou tard, considérant le soutien financier qu’elles reçoivent des islamistes, deviendront des membres actifs du système canadien. Nous ne devrons pas nous étonner de les voir devenir des membres actifs des différents partis canadiens ou même Premier ministre…
Aujourd’hui, elles construisent, organisent et planifient leur programme au Canada, étendant leur manœuvre politique non seulement au Canada mais partout dans le monde.
Chers Sénateurs, la radicalisation ne pourra arriver au Canada ou ailleurs si les islamistes ne peuvent pas s’appuyer sur leurs adeptes. Malheureusement, la politique du relativisme culturel a généré division, isolement et ségrégation. Une jeunesse perdue, ayant subi un lavage de cerveau, désespérée, une jeunesse vulnérable devenue aujourd’hui des cibles parfaites pour les islamistes. Cela suffit que les islamistes les appellent frères et sœurs, les aident financièrement, eux ou leurs familles, leur offrent une éducation dans leurs centres ou à l’étranger, comme en Angleterre, en France ou en Allemagne. Qu’ont donc ces jeunes à perdre ?
Qui blâmer ?
Je commence par moi-même parmi toutes les autres femmes, les enfants et les militants des droits de l’homme, pour ne pas avoir agi plus fortement pour une école laïque pour tous, pour l’intégration, pour la séparation de la religion et de l’Etat, pour une religion limitée à la sphère privée des individus adultes. Ensuite, je blâme le système de ne pas avoir protégé ses précieux enfants, vulnérables, de ne pas avoir défendu les droits des femmes et d’avoir mis en danger ceux des enfants ; je le blâme de ne pas avoir imposé une loi pour tous les citoyens canadiens.
Comment éviter la radicalisation ?
Malheureusement, il n’y a pas de solution miracle. Mais je crois que la radicalisation peut être stoppée conjointement par l’éducation publique et les lois.
– Notre société doit accepter de faire des lois progressistes et des règlements pour tous, sans distinction du sexe, de la race et de l’ethnie ou du pays d’origine. Une loi progressiste pour tous doit être appliqué. C’est le devoir du gouvernement de protéger l’individu, il ne doit pas y avoir d’état dans l’état. Seul un état laïque et une société laïque peut garantir la libération des femmes et la sécurité des enfants.
– Le Canada a besoin de se recentrer sur l’intégration plutôt que le multiculturalisme et de se préoccuper des droits individuels plutôt que de ceux des minorités.
– Le Canada doit stopper la politique du relativisme culturel qui a provoqué suffisamment de dégâts dans la vie des femmes et des enfants des communautés appelées islamiques.
– Il doit s’assurer que la religion reste totalement séparée du système judiciaire et du système éducatif.
– Il doit cesser le développement des écoles religieuses et des centres et être attentif aux besoins des écoles. Promouvoir plus de sports, de musique, de centres artistiques en libre accès à tous les enfants jusqu’à 18 ans.
– Excusez le terme, mais il est nécessaire que le Canada cesse de flirter avec l’islam politique. Ce ne sont pas seulement des djihadistes ou des gangsters, ou des sectes. L’islam politique est un mouvement politique qui recherche plus de pouvoir et de reconnaissance de l’Occident. Pour cela, ils sont prêts à tout. A commettre des actes durs, inhumains, comme enlever des filles de l’école pour les marier de force ou recruter des jeunes de la communauté qui ont soif de reconnaissance et d’héroïsme.
– Il convient de faire porter l’effort sur l’éducation publique pour l’égalité entre l’homme et la femme, contre les violences conjugales, à l’aide des bandes dessinées, des jeux électroniques, des programmes de télévision, des spectacles, des autres programmes pour enfants. Plutôt que l’héroïsme religieux, il faut encourager l’humanisme dans la création littéraire.
– Nous avons besoin d’auteurs qui mettent l’humanité au centre de l’univers, avec amour et passion.
– De défendre de façon inconditionnelle la liberté d’expression, sans exception.
– Au niveau international, nous devons fermer les ambassades de l’islam politique, cesser toute relation diplomatique, rompre tout contact avec ses chefs politiques
- Deux cas de « crimes d’honneur » survenus en Ontario en 2007 et 2009 [↩]
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Sur la dette grecque : suite
par ReSPUBLICA
http://www.gaucherepublicaine.org
Après notre précédente chronique, dans laquelle Michel Zerbato répondait à une lectrice, nous avons reçu d’autres réactions dont voici les points saillants, avec les éléments de réponse que nous pouvons leur apporter.
Mme Martine H. nous rappelle que « certains pays comme l’Allemagne ont prêté de l’argent à la Grèce pour qu’elle puisse honorer les contrats d’armement que les gouvernements précédents avaient signés. » Alors annuler cette dette et rendre les armes ? suggère-t-elle. Que les prêts à un pays servent souvent à financer des achats d’armes n’a rien de nouveau. C’est ainsi que le France a vendu un peu partout des armes diverses dès les années 60 quand des pays indépendants ont émergé avec la garantie de la COFACE auprès des banques de prêts dont on savait bien qu’ils étaient à fonds perdus. Mais ce crédit a participé au financement des 30 Glorieuses. Quant à faire rendre les armes à la Grèce… Comment imaginer de reprendre ce qu’on a vendu et rembourser le paiement ? Un État le pourrait, mais c’est une négociation internationale sur la base d’un rapport de forces (voir la frégate russe bloquée à Saint-Nazaire).
Si les aides à la Grèce ont bien servi à payer des créanciers privés fournisseurs d’armes, il faut rappeler que l’essentiel de l’aide est allé au sauvetage des banques grecques et indirectement des banques allemandes, françaises, etc., car il fallait absolument sauver le système financier de la zone euro, sans quoi l’implosion de l’euro aurait entraîné l’UE elle-même dans le naufrage1. FMI, BCE et UE sont tombés d’accord là-dessus, c’est la raison essentielle du plan d’aide, une raison systémique, même si au passage elle sert des intérêts privés non financiers.
Notre lectrice suggère par ailleurs qu’on arrête de faire payer les intérêts des intérêts, et qu’on prête de l’argent qui soit versé dans l’économie réelle : sur le premier point, là encore pourquoi le ferait-on, c ‘est bien un rapport de forces qui se joue ; et sur le second – alimenter l’économie « réelle » suppose que celle-ci puisse donner un surplus pour servir la dette et c’est tout le problème de la faiblesse de la société grecque. La dette grecque s’est accumulée parce que les gouvernements précédents ont échoué à construire un capitalisme « moderne » en Grèce, c’est-à-dire un système d’exploitation performant, qui exige une gestion efficace de l’emploi, une administration fiscale qui chapeaute tout ça, avec un cadastre, etc. Et c’est bien ce qu’avait demandé la Troïka et qu’ont demandé de nouveau les « institutions », mais justement la Grèce ne peut pas le faire, il paraît politiquement impossible de faire payer l’Église et les armateurs sans véritable révolution sociale, seul un véritable protectorat européen sur la Grèce pourrait y parvenir, ce qui paraît tout aussi politiquement hors de propos. Les mois à venir vont donc poser à nouveau la question et de plus en plus fortement.
Mme Claire O. évoque de son côté l’annulation partielle de la dette allemande en 1953 à titre de précédent et « l’esprit de solidarité devrait être mis en œuvre pour aider la population exsangue », ainsi que d’autres cas dans le monde de résistance populaire au remboursement de la dette.
On peut certes mentionner la répudiation de la dette par l’Équateur ou l’Islande, mais quel a été le résultat pour l »Argentine ou le Brésil ? Nous l’avons indiqué plus haut, nous ne pensons pas que l’esprit de solidarité, que les bons sentiments puissent avoir un rôle dans les rapports internationaux. On peut par contre mettre en avant la raison et l’intérêt général du monde capitaliste : des transferts internationaux permettent aux forts de ne pas tout perdre : le Plan Marshall ou la remise de dette de l’Allemagne en 1953 visaient surtout à contrer l’influence soviétique. C’est toujours la même question : pourquoi hors des situations hyper-critiques, la raison collective l’emporterait-elle sur les intérêts individuels ? Dans le cas général, seule l’action d’une instance supérieure peut imposer « de l’extérieur » ce que la raison commande, c’est pour cela que certains États se sont fédérés pour se constituer en nation. Et l’UE n’est pas une nation, en aucune manière.
Peut-être, sous l’effet de l’urgence et d’une vision de la situation moins ultra-libérale du côté de la Commission et de la BCE, l’UE prendra-t-elle cette voie, mais il faudrait que l’Allemagne accepte de payer, et donc les autres d’entrer en fédéralisme politique, c’est-à-dire abandonner à froid toute souveraineté, nous avons déjà fait part de notre scepticisme quant à cette hypothèse.
Un 3e lecteur, M. Gilles R., le note d’ailleurs : « Sans la solidarité de la totalité des territoires gérés dans le cadre d’une monnaie unique, écrit-il, il n’y a que l’expression du fort (toujours plus fort) au faible (toujours plus faible) C’est une position impériale. »
C’est bien vu, mais cette position tient au fait que fait que la « monnaie unique » est la conséquence de la volonté de ses concepteurs d’exclure par construction la solidarité : l’euro a été conçu comme monnaie unique dans le but d’imposer l’austérité aux faibles, afin de restaurer les profits par la désocialisation du salaire.
Ce même lecteur conclut que A. Merkel et l’oligarchie internationale pourraient « décider de dissoudre l’euro après en avoir profité pendant des années et se replier sur le mark […] avec crise de réajustement chez les autres membres de la zone euro » ; à moins que l’oligarchie, obéissant « à son seul vrai chef, le gouvernement US, décide que la zone euro est trop nécessaire à la prééminence du dollar et mette bon ordre aux agissements de Merkel ». Cela nous semble une idée naïve : si des « chefs » décident en fonction de leurs intérêts, desquels s’agit-il, l’intérêt général du pays, celui des capitalistes, des industriels ou des financiers, et quid de la Russie et de la Chine ? L’analyse devrait être beaucoup plus poussée que nous ne pouvons le faire ici.
Renvoyons une fois de plus à de précédentes publications :
L’Allemagne ne paiera pas – 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht par Michel Zerbato
Les chroniques d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.
- Depuis mars 2010, les prêts bilatéraux des États européens et des institutions européennes à la Grèce ont servi à raison de 28 % à recapitaliser les banques privées grecques et à raison de 49 % ont été versés directement aux créanciers de l’État grec, pour l’essentiel des banques européennes et américaines. Ainsi, pour 5 euros empruntés, un seul est allé dans les caisses de l’État grec ! [↩]
- A lire, à voir ou à écouter
- Extrême-droite
- Histoire
- ReSPUBLICA
Fascism - Inc (Fascisme – SA), documentaire en libre accès d'A. Hadjistéphanou
par ReSPUBLICA
http://www.gaucherepublicaine.org
A voir plus que jamais aujourd’hui, avec un sous-titrage en français, sur le site 1
Ils le présentaient ainsi à sa sortie en 2014 :
« Etant donné que le fascisme ne se limite pas à Aube Dorée mais est également promu par des dirigeants politiques, des entrepreneurs et des éditeurs…
Etant donné que les conditions de la crise qui favorisent le fascisme nous entourent et ne sont pas derrière nous…
Etant donné que toute l’Europe s’enfonce rapidement dans l’obscurité de l’extrême-droite… »
Ce film d’1h 13 est extrêmement instructif sur ce que l’on vit actuellement en Europe, différemment certes dans chaque pays. Il trace une continuité troublante entre l’Europe d’Hitler/Mussolini, et l’U.E. sous la férule de laquelle nous ployons et fait un parallèle entre la Grèce en 2013 et l’Allemagne en 33.
La méthode des groupes d’extrême droite (protégés par la police) se ressemble dans chaque pays, même s’ils peuvent changer de discours comme des caméléons tant qu’ils ne sont pas arrivés au pouvoir, pour élargir leur audience : casser les syndicats s’ils sont forts, les droits des salariés, assurer prospérité et vente d’armes et autres aux grands groupes industriels (tous n’ont pas été épurés loin de là), aller jusqu’aux camps où on a la main-d’œuvre idéale, bref… le fascisme est le bras armé du capitalisme
Comme le dit Walter Benjamin « Derrière le fascisme, on trouve toujours une révolution ratée » (… ou tuée dans l’œuf).
- A noter qu’ils refusent tout financement provenant de compagnies privées ou de partis politiques, diffusent sous licence Creative Commons et font appel au co-financement. [↩]
- A lire, à voir ou à écouter
- ReSPUBLICA
"Charlie Charlie", un poème de Jo Falieu
par Jo Falieu
Les larmes à fleur de paupière
comment laisser filer
cette limpidité des mots
quand la gorge se fige
qu’il devient difficile de penser
les mots s’entrechoquent
comme des salves mouillées
tempête dans le cerveau
blessure
ils ont tué Charlie
Ils m’ont tué
dans mon Charlie à moi
comme une possibilité de vivre
un temps pour les poètes
qui s’en va
Il faudra recoudre avec des fleurs
avec des mots
avec des chansons des dessins
s’introduire
dans cet univers magique qu’ils ont créé
Charlie dessine moi un mouton
une libellule
une colombe de liberté
Ils étaient douze chevaliers de la liberté ce jour-là
innocents sans malice
égarés dans la tendresse de la création
avec des couleurs des idées
des rires des crayons
ils façonnaient un monde à leur façon
comme un rêve pour nous
Etre Charlie rien qu’une heure dans sa vie dans un jour
être en partance
comme en poésie
avec cette suspension du sens
qui colle tant aux images
Les caricatures ne déforment pas
elles accentuent
elles perforent pénètrent
demeurent elles sont encore là même après la tuerie
encore plus fort
encore plus vraies
Charb quand tu dis
qu’ils ont jusqu’à fin janvier
pour les vœux
image plus forte que tout autre discours
sur l’insondable connerie humaine
Ils étaient douze chevaliers de la liberté
qui ne le savaient pas
nous étions cent nous étions mille
à vibrer de douleur
Pourquoi ?
Venger cette image du Prophète Dérisoire
tout l’image
le prophète les assassins
Se trouver là ce jour à bosser à se marrer
au local de Charlie
sans imaginer un instant la tornade
la peur enfouie
pour pouvoir vivre
Et puis d’un coup saccage
carnage
furie de ces poupées Ninja en collants noirs
kalachnikov au poing
arrosant avec discernement avec méthode
sang froid
la haine des crayons
la haine des mots qui touchent juste
Ils allaient comme des robots
incarnation grotesque d’un dieu de soumission
endoctrinement
misère de la pensée
ridicules et cruels
paroles d’illuminés
barbarie bestialité
pauvre Prophète
dur dur d’être aimé par des cons
Ils tirent sur l’intelligence fine
l’insolence la liberté absolue de penser
de dire de dessiner
ravalant le prophète au statut de sombre brute
image définitive de la violence et du Mal
la caricature faite chair
jusqu’à inverser le sens
petitesse d’ Allah
Grandeur de ce que représentait Charlie
dont nous n’avions pas toujours conscience
nous ne les avons pas assez aimés
trop seuls
toujours en première ligne
nous le savions bien sûr
pour ce courage-là
nous étions déjà Charlie
pour ce bain de clarté
que balançait l’humour
comme des vagues de feu
et puis ils ont osé
Nous ne savions pas alors
tout ce que nous avons perdu
colère insoumission
révolte
toute cette fureur de vivre sans entraves
dans la plénitude de la pensée
insurrection
contre la servitude
sus à l’infâme l’infâme
le fanatisme religieux
idéologique
l’inhumain
Ils étaient tout cela à Charlie
cette extraordinaire résistance
le courage en plus
le courage de fustiger l’étroitesse d’esprit
la médiocrité
malgré les menaces
le danger de mort à chaque instant
dès que tu prends ta plume
ton crayon
tes couleurs
cette fluidité du rire
Le gouffre maintenant
alors bien sûr « je suis Charlie »
je suis cette pensée qui cravache
qui hurle dans le silence de la cruauté
je pleure sur ce vide
ce silence assourdissant qui devient clameur
dans la peau de Gavroche
Se reconnaître dans ce souffle de liberté
se savoir encore de cette engeance
qui hurle dans la rue
qui refuse qu’on tue la liberté d’expression
Bien sûr
ils auraient préféré la Marseillaise de Gainsbarre
même dans les sillons de la haine
le sang brûle la possibilité d’une île
Alors il faut accepter de se dire
qu’on n’a pas su aimer
qu’on n’a pas su éduquer
qu’ils sont devenus des monstres
et qu’ils nous ont tués
Ils ont tué ceux de Charlie
chevaliers de la pensée libre
insaisissables libertaires
défiant les menaces
mais poussant jusqu’au bout leur combat
la liberté pour tous
pour les poupées Ninja
pour les femmes voilées
pour le droit au « blasphème »
Ils ont assassiné même une femme
et ce policier
qui avait le même visage qu’eux
et qui les implorait
Folie Folie
lâcheté
délire de grandeur ou d’avilissement
Comment peut-on assassiner le sourire de Cabu
ce grand Duduche pour l’éternité
l’impudeur fraternelle de Wolinski ?
La pensée splendide d’ « Oncle Bernard » ?
Les délires troublants de Tignous
Le monde en interfaces d’ Honoré ?
La caricature ou la mort
tout un art de vivre
de s’insurger
cet art de faire tenir l’idée dans un seul trait
un coup de crayon iconoclaste
avec sa bulle de cristal
et tout est dit
Dire que nous ne savions pas
nous avions tendance à oublier
toute cette richesse
toute la poésie qui se tient comme en suspens
dans la caricature
cet art de provoquer la réflexion ou le plaisir
comme dans un geste un clin d’œil
mieux qu’un texte mieux qu’une parole
ça se décline dans un sourire
et tout est là étalé
à la vue de tous
au délire de chacun
« Comprenne qui pourra » disait Eluard
subtilité du sens qui glisse
avec ses arcanes de lucidité
et de complicité tacite
Même quand ça choque
surtout quand ça choque
on rit
Et nous sommes meurtris
de tant de génie dans la tombe
Là on ne rit plus on pleure
comme on pleure une amante
perdue et retrouvée
et repartie
comme on pleure un frère
un copain d’abord
on crie dans son cœur
pour tant d’humanité à jamais disparue
Déjà les chiens
hurlent à la porte
« ils l’avaient bien cherché logique de haine
loi du talion
reprendre tout à zéro
depuis la maternelle
cicatriser l’appel du djihad
apprendre à ne pas céder au chant des sirènes
ne plus laisser les imams de la mort
travailler en terrain fertile
assassins
Garder l’esprit Charlie après ça
Remonter la pente
le cœur dans les talons…
Nous sommes orphelins
mais d’autres viendront
demain encore Charlie
déjà Charlie
et son image de pardon
Ne pas céder
toujours un dernier espoir pour la liberté de dire
même le couteau sous la gorge
jusqu’au bout jusqu’à la mort
l’humour
comme un ultime retranchement
Ils étaient seuls
trop seuls
à peine symboliquement protégés
et les voici soudain dans ce rôle de héros
Ceux de Charlie
il faudra se souvenir
continuer le combat
pour la liberté
chacun à la mesure de son talent
sur tous les fronts
ceux de l’humour
de l’art de la laïcité
partir en chemin
avec l’innocence de Gavroche
et ne rien lâcher
vivre dans la chaleur des mots d’amour
des images qui chantent
dans le rire ou dans la peur
Orphelins de Charlie
alors tous Charlie
comme en écho
Charlie Charlie
7 février 2015