Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • Chronique d'Evariste
  • Laïcité
  • Politique française
  • ReSPUBLICA

Pour un anticapitalisme laïque : la République sociale

par Évariste
Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

 

Après l’espoir de la présidentielle de 2012 ouverte par l’Autre gauche, 2014 a sonné le désastre des gauches largement analysé par notre journal dans toutes ses chroniques d’Evariste depuis le 25 mai 2014. Mais janvier 2015 a pulvérisé ce qui restait d’espoir que l’Autre gauche française actuelle puisse construire une alternative au mouvement réformateur néolibéral, laissant comme choix au grand patronat soit la continuation de l’alternance néolibérale PS-UMP soit la reconfiguration d’une nouvelle alliance droite – extrême- droite.

Sur les assassinats des 7, 8, 9 janvier, il faut rappeler que des Français ont tué d’autres Français. Que ceux qui ont été assassinés l’ont été parce qu’ils étaient athées attachés à la liberté d’expression, parce qu’ils étaient policiers, parce qu’ils étaient juifs. Et suite à cela, nous avons vécu une montée des incivilités et des discriminations envers les juifs et les musulmans. Alors qu’il y a eu un gigantesque mouvement populaire lors des rassemblements spontanés des 7, 8 et 11 janvier dont la signification principale était la volonté d’un vivre ensemble entre athées, agnostiques, catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes et autres grâce au principe d’organisation sociale et politique qu’est la laïcité. Et ce n’est pas la triste instrumentalisation politico-médiatique des chefs d’Etat et des médias dominants qui peuvent « cacher », notamment en province, ce gigantesque rassemblement populaire.

Mais peu de commentateurs, peu de responsables politiques, syndicaux ou associatifs sont sortis des systèmes simplistes de la causalité unique.

Les gauches dans la tourmente

Le gouvernement et l’alliance PS-PRG espèrent résoudre la séquence des assassinats par l’imposition « d’un catéchisme républicain » à une école à plusieurs vitesses pilotée par les exigences du grand patronat. Autant dire que ce cataplasme aura les mêmes conséquences pour la société que les politiques d’austérité pour la dette publique. Présentée pour résoudre le problème, elle ne fera que l’empirer.

Quant à l’Autre gauche, elle est disloquée. Car une partie de celle-ci (les directions du PCF, d’Ensemble, du NPA, de Solidaires et d’Attac, Médiapart) s’est mise à la remorque de l’obscurantisme religieux et de l’ultra-communautarisme.

Les signatures de l’appel au meeting contre « l’islamophobie » du vendredi 6 mars 2015 à Saint-Denis sont éloquentes de ce point de vue. Tous sont hostiles au principe d’organisation sociale et politique qu’est la laïcité. C’est leur point de rassemblement. En ligne de mire, l’interdiction des signes religieux à l’école qui, rappelons-le, a été décidée par le Front populaire avec les trois circulaires de 1936-1937 du ministre laïque Jean Zay. La loi du 15 mars 2004 n’ayant permis que de revenir aux circulaires de Jean Zay suite à l’article 10 de la loi d’orientation scolaire de Jospin de 1989 que le Conseil d’Etat a utilisé pour annuler les circulaires du Front populaire.

On trouve dans cette liste des activistes du communautarisme musulman proche de l’organisation internationale des Frères musulmans (Union des organisations islamiques de France – UOIF et une myriade d’organisations proches de l’UOIF). De nombreux signataires de ce meeting ont milité avec l’extrême droite catholique lors de la « Manif pour tous » contre le mariage pour tous. Les extrêmes droites religieuses se rapprochent : rien que du normal. Plusieurs organisations signataires sont hostiles au droit à l’avortement et sont misogynes et homophobes.

On trouve des organisations proches des partis dominants islamistes et néolibéraux comme Ennahda en Tunisie, l’AKP en Turquie ou l’ancien Parti Liberté Justice de l’ex-président égyptien Morsi, dignitaire de l’organisation des Frères musulmans. On trouve des organisations ultra-communautaristes anti-laïques et anti-républicaines comme « les Indigènes de la république » et une myriade d’autres organisations proche d’elles. Des organisations proches des frères Tariq et Hani Ramadan ou des prédicateurs islamistes Iquioussen et Qaradawi sont là. L’UOIF a déjà invité à son congrès Christine Boutin, Soral et Dieudonné. Plusieurs organisations ayant présenté des candidats se revendiquant d’une religion aux élections françaises font partie de la liste des signataires. On trouve même une organisation PSM (Participation et Spiritualité musulmanes) qui participe aux événements de l’organisation d’extrême droite catholique Alliance Vita (voir le texte de Hassan Aglagal dans ce numéro).

C’est avec ce bloc communautariste et islamiste que nous retrouvons les directions du PCF, d’Ensemble, du NPA, de Solidaires et d’Attac. Avec la direction du PCF qui déclare avoir signé mais n’enverra pas de responsables. Comprenne qui pourra.

Par exemple, comment peut-on en même temps soutenir le Front populaire tunisien (troisième force politique du pays ouvertement dans l’opposition) et signer en France avec les amis du parti islamiste néolibéral Ennahda de la majorité gouvernementale tunisienne ? La réalité est que dans ces organisations, janvier 2015 entraîne chez eux une radicalisation communautariste anti-républicaine. Voilà une raison de plus qui poussera ces organisations dans la marginalité parce que la grande majorité du peuple français (et encore plus la classe populaire ouvrière et employée majoritaire dans le peuple français) ne souhaite pas l’installation en France du communautarisme anglo-saxon et du système représentatif anti-démocratique issu notamment des propositions de Sieyès (1748-1836).

Rassembler les partisans de la République sociale

Mais critiquer ce désastre des gauches ne suffit pas plus que d’être indigné. Encore faut-il œuvrer au démarrage d’un processus visant à un rassemblement anticapitaliste laïque conséquent, qui est une condition nécessaire quoique non suffisante à l’ouverture d’une perspective de transformation sociale et politique capable de rassembler in fine le peuple et notamment la classe populaire ouvrière et employée. Alors quelles sont les tâches de l’heure ? Engager partout en France des moments de débats sur la République sociale1, seul modèle alternatif crédible aujourd’hui au « mouvement réformateur néolibéral ». Débats sur ses principes constitutifs, ses ruptures nécessaires, ses exigences indispensables, sur sa stratégie de l’évolution révolutionnaire.

  1. Voir les deux tomes de « Penser la République sociale pour le 21ème siècle » de Pierre Nicolas et Bernard Teper, Eric Jamet Editeur. []
Débats
Rubriques :
  • Débats
  • Débats politiques

Mines défaites et flambée d’orthodoxie à gauche

par Didier Hanne

 

Didier HANNE a notamment publié, en collaboration avec Antoine Artous : Droit et émancipation aux éditions Syllepse (2005) et L’impossible gauche morale ? Revue Contretemps, n°18 (2e trimestre 2013).

Une question taraude fort peu les intellectuels de gauche, semble-t-il : pourquoi tant de gens votent-ils si mal ? Rappelons-nous, pourtant. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, après 10 ans de pouvoir chiraquien puis sarkozyste, près de 20 millions d’électeurs votaient pour les candidats de centre droit, de droite et d’extrême droite… A gauche (PS, Front de gauche, écologistes et extrême gauche) le total ne parvenait qu’à 15 millions et demi. Hollande a gagné, certes (en partie d’ailleurs parce qu’une partie de l’électorat du FN s’est abstenue au deuxième tour), mais n’y avait-il pas déjà un petit problème susceptible d’attirer l’attention ? D’autant que de sérieux avertissements avaient été lancés avant 2012 : en 1995 et en 2007, la gauche avait été minoritaire face à la droite aux premiers tours des présidentielles (c’est-à-dire lorsque les électeurs ont vraiment la possibilité d’exprimer leurs préférences politiques).
Trois ans après 2012, la minorisation de la gauche, toutes tendances confondues, s’est encore aggravée dans le pays… Esquiver la question de la force de l’électorat des droites devient encore plus problématique. C’est pourtant ce qui arrive.

Mystérieuse puissance électorale des droites

L’interrogation avait pourtant été soulevée par Jean-Claude Michéa dans plusieurs de ses livres.1 Certains ont trouvé que celui-ci, qui n’hésitait pas à se pencher sur les motivations pas nécessairement coupables d’un « petit peuple de droite », frôlait un sombre précipice. D’après eux, se demander pourquoi les gens votent à droite, ce serait adopter une attitude « compréhensive », donc, inéluctablement, glisser à droite soi-même. Et hop ! La question ne sera pas posée (et Michéa sera radié des cadres de gauche)2.

On connaît la thèse de Terra Nova qui théorise, à l’usage de la direction du PS, un processus de déprolétarisation présenté non seulement comme inéluctable, mais comme souhaitable. Changeons de peuple à défaut de changer la société, tournons-nous vers les classes moyennes ou supérieures, car ces gens d’en bas, de banlieues ou de zones péri urbaines, tendanciellement conservateurs et portés aux inquiétudes, sont inaptes à la modernisation. Or selon l’impérissable déclaration de Dominique Strauss-Kahn : « le socialisme, c’est l’espoir, l’avenir et l’innovation » (2011). Le pessimisme parfois mâtiné de nostalgie des «gens de peu», leurs réticences à la modernisation échevelée ne sont pas chics, mais « réac ».

Du côté de la gauche critique ou de l’extrême gauche, que dit-on à propos de cette mystérieuse puissance électorale des droites ? A peu près rien. Pourtant, l’existence d’un électorat ouvrier de droite est ancienne. Quant au problème central de la période, à savoir la montée en force (idéologique, électorale et militante) de l’extrême droite en France et en Europe, presque partout au détriment des gauches, il ne suscite aucune remise en cause sérieuse, si du moins on considère que ramener systématiquement les succès du FN aux coordonnées de la montée du fascisme des années trente n’en constitue pas une. La reductio ad hitlerum, plus ou moins sophistiquée selon les auteurs, continue d’être le fond de sauce de l’orthodoxie d’extrême gauche.

On nous parle « d’extension des domaines de la droite » (Boltansky et Esquerre),3 ou encore d’une « humeur idéologique néoconservatrice » (Corcuff)4, mais jamais on ne nous explique pourquoi la gauche rétrécit dans toutes ses composantes. Parfois, on reconnaît et déplore l’avancée du bulldozer électoral FN dans les couches populaires. Mais rarement jusqu’à se demander pourquoi les solutions de rechanges présentées (à chaque élection en tout cas) par la gauche non gouvernementale ont si peu d’écho dans ces mêmes catégories. Par exemple, Jean-Loup Amselle pense avoir trouvé la clef quand il écrit dans Les nouveaux Rouges-bruns – un opuscule essentiellement consacré à démontrer que Michéa « fait le lit du Front National et de Riposte laïque » pour nager dans le courant du « racisme qui vient »5 – que c’est « la disparition des structures d’encadrement du parti communiste et du front de gauche en milieu populaire (…) qui explique, en liaison avec le recrutement moins plébéien des responsables, la désaffection de ces mêmes couches pour le vote de gauche. »6 Raisonnement parfaitement circulaire qui ne nous explique pas pourquoi les organisations de gauche, anciennes et nouvelles, ont reflué et vu leurs structures militantes quasiment disparaître des ensembles urbains et péri-urbains rassemblant les milieux populaires.

La montée du FN, rien à voir avec nous ?

Récemment, on pouvait lire dans un article d’Isabelle Garo, consacré à exposer que « les livres de Michéa sont à mettre au nombre des produits délétères des crises les plus profondes du capitalisme », quelques analyses conclusives sur la poussée du FN.7 Une « démonstration », où se combinent déni de la réalité et déterminisme sommaire…

D’abord, pour Garo, tout cela n’est pas vrai, on exagère beaucoup l’écho du FN dans les couches populaires : « (…) le peuple de Michéa est une pure construction, qui ne s’appuie sur aucune donnée sociologique, aucune connaissance vérifiable. Ce qui n’empêche évidemment pas qu’un vote populaire raciste, inégalitaire et homophobe existe, et qu’il tende à s’élargir, mais non pas seulement ni d’abord du côté des classes populaires »(souligné par moi DH). Ceci écrit peu de temps avant l’élection législative du Doubs qui voit une circonscription largement ouvrière voter à 48,5 % pour le FN… On cherche en vain une seule ligne de Michéa où celui-ci affirmerait que la montée du FN se ferait exclusivement en milieu ouvrier. A se demander qui Garo terrasse ici…

Il est vrai qu’en soulignant l’importance croissante de la composante ouvrière du vote FN (qui n’exclut pas que d’autres catégories sociales y apportent leur contribution), on tourne le dos à certaines formules du Manifeste Communiste qui réservaient aux classes moyennes la capacité d’être réactionnaires et au prolétariat celle d’être révolutionnaire8…Le sacrilège est patent. Faut-il pour autant s’aveugler sur ce qui se joue en ce moment, en relativisant la capture par le FN de secteurs de plus en plus nombreux du prolétariat actuel ?

Ensuite, (et parce que quand même !), les désorientations des classes populaires s’expliquent par la force du capital et les impacts délétères de la crise. Point à la ligne. Rien n’existe hors du « procès de production ». Vous avez l’infrastructure, voyez-vous, c’est là que cela se joue, et puis un ensemble de dispositifs fragiles, les superstructures, et là-dedans, encore plus volatiles et évanescentes, les idées et les actions des gens. Des bulles sans consistance, ballottées par le grand Tout, vouées à n’être que des effets (du procès de production, bien sûr) et jamais des causes. On est « marxiste » ou on ne l’est pas…

Comme si la sphère politique, écrasée par les réquisits de l’économie, n’avait aucune autonomie. Les postures et discours de l’extrême gauche – qui à un moment donné ont cessé d’être réservés aux initiés (cf. la place un temps réservée dans les médias à Olivier Besancenot) – ne faisaient donc pas partie de la situation ? Soyons concrets : le NPA, après de réels succès électoraux (qui n’ont jamais pu dépasser la barre des 5 % des voix exprimées, quand même), et en dépit d’un porte-parole avenant, s’est rapidement effondré sur lui-même. Est-ce la montée du chômage et de la précarité qui expliquent son trou noir ? Le Front de gauche stagne, doté pour l’instant d’une assise sociale qui ne tranche pas vraiment avec celle du PS. Ça ira mieux demain, quand les aberrations du capitalisme financier et spéculatif auront tout ravagé ?

Éviter ces questions gênantes présente l’avantage de ne pas avoir à en examiner d’autres qui en découleraient logiquement : est-ce qu’il n’y a pas, dans les idées-clefs de la gauche et de l’extrême gauche autorisées, des thèses, des représentations, des slogans qui ont pu contribuer aux succès du FN ? Pour nombre d’intellectuels, à les lire, la raison de ces impuissances serait à chercher uniquement dans la force des adversaires, la puissance du capitalisme, la « pensée unique » régnant, paraît-il, dans les médias, et jamais dans le fond de pensée de la gauche critique.

A gauche, quelque chose de rebutant ?

Pour ma part, dans la sombre période actuelle, j’aurais, je l’avoue, tendance à me reposer la question d’Orwell, vieille de 70 ans, mais d’une si redoutable actualité :

« L’idée du socialisme est moins acceptée qu’il y a une dizaine d’années. L’individu normalement doué de raison ne se contente plus de ne pas être socialiste, il est aujourd’hui activement opposé à cette doctrine. Et cela tient, sans doute, avant tout à des méthodes de propagande aberrantes. Cela signifie que le socialisme tel qu’on nous le présente aujourd’hui, comporte en lui quelque chose intrinsèquement déplaisant, quelque chose qui détourne de lui ceux qui devraient s’unir pour assurer son avènement. »

Retour à l’ici et maintenant : qu’avons-nous pensé, qu’avons-nous dit, qu’avons-nous fait pour perdre ainsi presque toute crédibilité auprès de si larges fractions du prolétariat, au moment où le capitalisme s’attaque brutalement aux acquis sociaux ? Quelle est cette figure collective qui surnageait de tous nos actes et discours et a fini par nous faire rejeter si sèchement ? Un seul exemple : a-t-on réfléchi aux effets de sens ravageurs, notamment lorsqu’ils parviennent aux oreilles des gens d’en bas, ce qui arrive plus souvent qu’on ne le croit, des invectives régulièrement, adressés au « populisme », figure obligée de tout un tas de penseurs et éditorialistes bien en vue ?

Tout intellectuel de gauche à peu près lucide devrait se poser ces questions. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Certes l’alarme est sonnée. Mais le glissement « vers l’extrême » n’aurait au fond que des raisons objectives, indépendantes de nos volontés, de nos représentations et de nos actions. C’est que comme l’écrit François Sabado (dirigeant du NPA) : « Nous vivons la fin d’une époque» (…) La contre-réforme néolibérale a submergé le monde. »9 Pas entièrement faux. Mais comme on ne voit pas poindre dans ce texte le moindre début de reconnaissance d’une responsabilité propre de l’extrême-gauche dans la formation de ce tableau déprimant, on peut craindre qu’il ne s’agisse là que d’une analyse pré-orientée vers le repli sur soi (en vue d’une nouvelle traversée du désert ?).

Quelques hypothèses devraient pourtant être examinées, quitte à faire un peu de ménage dans les habitudes de pensée (ou d’impensé10), si du moins l’on veut que la gauche renoue un jour avec le peuple réel. On rencontrera alors, inévitablement, quelques-unes des questions essentielles posées avec constance par Jean-Claude Michéa. Je précise ici que j’ai quelques désaccords, mais des désaccords donnant envie de débattre et non d’invectiver, avec Michéa. Principalement sur la place de l’individualité dans la socialité, le rapport entre droit et émancipation et, sur un plan politique, le sens de la notion « gauche » (référence qu’il a décidé d’abandonner, à tort à mon avis en dépit de ses ambiguïtés). 11

La morale, un concept réactionnaire en substance ?

En renonçant à la critique morale du capitalisme qui était pourtant la marque du socialisme naissant – au moment où la corruption bat son plein dans les élites de tout acabit – la gauche est largement passée à côté de la protestation contre le supercapitalisme cynique, nourrissant le vote FN et l’abstention. Car ceux-ci ont, entre autres mais incontestablement, une dimension anti-corruption. C’est d’ailleurs cette composante non négligeable du vote FN qui créera assez vite quelques contradictions sévères en son sein, voire même sonnera la fin de la jusqu’ici irrésistible montée du FN, quand les yeux s’ouvriront sur les pratiques financières et le rapport à l’argent très douteux de quelques dirigeants de ce parti…

Difficile également de ne pas voir que les succès de Podémos en Espagne ont manifestement un lien étroit avec sa capacité à se poser en alternative morale au système corrompu qui fusionne affaires et politique en Espagne aussi.

De son côté, rompant ses dernières amarres avec le socialisme encore éthique des Jaurès, Blum et Mendes-France (Durkheim et Mauss12 aussi), le PS s’est mis à fabriquer en chaîne toutes sortes de créatures politiques dépourvues de scrupules, qui, ayant colonisé l’espace public, se montrent et s’étalent, contribuant à ce que la politique soit perçue comme un monde sans foi ni loi, avant de finir par alimenter… la rubrique judiciaire des médias. Tapie, Guerini, Huchon, DSK, Cahuzac, Arif, Thouvenout, Benguigi, Lepaon… et il faut mettre un tas de « etc. » à ce cortège qui n’est pas près de finir.

Comme l’écrivait Karel Kosik en 2000, « l’atmosphère du moment est telle que les voyous s’y portent mieux que les honnêtes gens ». C’était pour son pays malmené par la restauration capitaliste sauvage, qui avait fait surgir une armada de bandits experts et de voyous affairistes, écartant sans ménagement la plupart des dissidents. Cette « société sans morale » qu’il dénonçait jette à mon avis quelques lumières sur la France de 2015.

Garo en tout cas n’a rien remarqué. Par contre, elle accuse Michéa de « s’opposer frontalement aux enjeux politiques et sociaux » notamment parce qu’il serait un « peintre pathétique du naufrage moral de la gauche ». Ainsi, ce n’est pas le naufrage moral de la gauche qui est « pathétique », c’est celui qui le constate.

Certes, l’extrême gauche n’est pas concernée par les méfaits du capitalisme cynique et les conduites amorales, parfois même criminelles,13 qu’il encourage. C’est à un autre niveau que se situe le problème : la répugnance théorico-politique à jeter un regard moral sur certains des problèmes de la société. Le moment est-il bien choisi pour ricaner de l’éthique, posture devenue une sorte de signe de reconnaissance dans la galaxie critique ? Il suffit de lire : à peu près tous les articles qui sortent en ce moment pour nous rabâcher que la droite progresse parce qu’elle a gangrené la gauche – et que tout ça c’est la faute à Michéa, Bouvet, Le Goff, Guilluy, Lagrange qui nous inoculent le venin réactionnaire – éprouvent le besoin de ferrailler contre la morale, vite dit, vite fait, comme pour envoyer un signe de reconnaissance et stimuler les connivences. On dénonce le « prêchi-prêcha moralisateur » (Martelli)14, la morale en tant que « thème éculé » (Boltansky/Esquerre) ou « thématique régressive » (Garo), la « moraline » (expression que des radicaux très à gauche n’hésitent pas à puiser chez Nietzsche) ou les « paniques morales » (Mucchielli, Fassin) et autres virtuosités sémantiques visant toutes à bien enfoncer dans les crânes de gauche cet axiome de base, indiscutable par définition : toute préoccupation morale renvoie à droite, à un « transcendantal pétainiste », comme dirait Alain Badiou…15

En tout cas, c’est en situation (sous l’empire du supercapitalisme cynique), qu’il convient de se demander quel est le sens de la diatribe de Garo contre la common decency chère à Michéa : « Quant à la question morale, devenue la bannière idéale d’une gauche enfin « décente », – avec ce que le terme de décence tel que l’emploie Michéa laisse entendre de nature essentielle, opposée aux perversions et aux artifices, bien loin de la conception qui fut celle d’Orwell – elle est au mieux source de dépolitisation, au pire détournement pitoyable ». Michéa « laisse entendre », paraît-il. Comprenons plutôt que, lorsque le mot « décence » est prononcé, Garo décide d’entendre : « nature essentielle ».

Quant à Michéa, pour ceux qui s’intéressent à ce qu’il dit plutôt qu’aux acouphènes de sa contemptrice, voici à titre d’exemple, ce que, interrogé sur la question de savoir comment faire pour promouvoir les «vertus de base», il répondait en 2007 :

« Il s’agit plutôt de construire progressivement un contexte politique, social et culturel qui favorise indirectement les dispositions à l’égalité, l’entraide et l’amitié plutôt qu’à l’égoïsme et à la guerre de tous contre tous. Cela n’a rien d’utopique. Qu’est-ce qui favorise, dans nos sociétés libérales, les progrès de l’égoïsme ou du désir de réussir au détriment de ses semblables ? C’est bien tout le contexte mis en place par la civilisation juridico-marchande, à travers, par exemple, son urbanisme son organisation du travail, ses structures éducatives, sa propagande publicitaire ou son industrie de l’information ou du divertissement. »16

Michéa, qui se rend parfaitement compte que la Common decency ne se défendra pas toute seule,17 estime donc qu’il s’agit de lui construire des situations favorables. Un problème qui, on l’accordera, ne se pose que si elle n’est pas une « essence » supra naturelle et indifférente aux contextes. Cette idée d’une moralité sociale, durable mais pas « éternelle » ni indemne de ses environnements, est répétée des dizaines de fois dans les livres ou entretiens donnés par Michéa. Hélas, ce son-là n’est pas parvenu aux oreilles de Garo.

Et, après avoir affirmé que Michéa trahit Orwell, ce qu’on est prié de croire sur parole (pas le moindre argument, aucune citation à l’appui), Garo de tirer son bouquet final grandiose :  « (…) l’une des urgences, à gauche, est de rendre aux classes populaires leur initiative politique, loin de tout clivage moral ou ethnique, afin de porter une alternative au capitalisme ».

Ah bon ? Elle n’est pas un peu éthique, « l’alternative » au capitalisme ? On admet, face au capitalisme justement, qu’il puisse y avoir multiplicité de fronts à partir de clivages sociaux, politiques, féministes, écologiques, juridiques, antiracistes, environnementaux etc. au demeurant très enchevêtrés et traversants. Par contre, un clivage moral, non, non, ça n’existe pas. Et si ça existe, c’est à renvoyer du côté du «clivage ethnique», car on n’est jamais avare d’amabilités chez Isabelle Garo, pour qui moralisme et racisme c’est tout un. Mais alors, entre tel ministre qui fraude le fisc et tous ceux qui payent leurs impôts sans tricher, entre un patron qui s’octroie un million d’euros de salaire mensuel et son salarié à 1 400 euros, entre tel dirigeant politique qui fait de l’abus de bien social une source de revenus complémentaires et un chômeur à qui on rabote ses indemnités, qu’y a-t-il ? Rien qu’une contradiction de classe ? Pas du tout de clivage moral ?

Si l’on veut bien admettre l’existence de quelques contradictions morales, pourquoi pas aussi un « front éthique », et quelques militants pour y monter ? Je ne vois pas ce que des écosocialistes auraient à y perdre. Mais probablement pour Isabelle Garo doit-il y avoir des clivages féconds (les politisants, enfin, ceux qui sont à sa main) et d’autres qui ne le sont pas (les dépolitisants, enfin, ceux qu’elle ne parvient à politiser)…

Et que durent les doux délires du relativisme ?

Ensuite, il faut dire un mot des ravages du constructivisme, courant d’idées très présent dans les sciences humaines (secteur où sont perchés une grande partie des auteurs ou politologues faisant autorité dans l’intelligentsia de gauche). Le constructivisme s’applique à mettre en doute l’idée d’une réalité empirique détachée des jeux de langage. Tout est question de « définitions », tout est « relatif », tout « s’invente ». Le réel n’existe pas, avant d’avoir été nommé. Le constructivisme est par certains aspects une réaction au matérialisme. Certes, il existe des matérialismes sommaires méritant de bonnes fessées théoriques, mais c’est le matérialisme historique, dialectique et concret qui reste la cible du constructivisme déréalisateur.

A la fin, tout ceci finit en un curieux « agnosticisme savant » : on ne peut rien savoir de ce qui arrive réellement, (au mieux : le réel nous parvient défiguré par les catégories a priori de l’entendement ou par les jeux de langage qui le constituent ; au pire : le réel n’est pas certain, il n’y a de sûr que le Verbe). Conclusion : travaillons plus sur les mots et moins sur les choses, celles-ci relevant au mieux d’un lointain arrière-fond, peu dense, et ainsi offert à tous les discours, y compris les plus farfelus,18 les plus désinvoltes par rapport aux faits. II y aurait sans doute à s’interroger sur l’étrange coïncidence entre le développement sans précédent du capitalisme fictif (où les valeurs d’échanges sont dans certains secteurs financiers devenues totalement indépendantes de toute valeur d’usage) et la séduction exercée par une idéologie qui tend à sectionner les rapports entre le monde empirique et les discours tenus.

Bien sûr, une démarche relativiste, en aidant à saisir qu’il n’y a pas de réalités supra-historiques ou d’essences éternelles dans le monde humain, peut produire des résultats significatifs. Un regard marxiste sur le monde implique d’ailleurs nécessairement un moment relativiste. Mais quand cela devient une idéologie systématique, dont la «déconstruction» de tout et n’importe quoi est le mot d’ordre, posture enveloppée en général de métaphores éblouissantes, on risque de désintégrer le concret, de passer à côté de quelques invariants anthropologiques et de fournir le carburant à de superbes décollages… du réel.

Même si plein de médiations existent entre ce que profèrent les essayistes et ce qui parvient aux oreilles des catégories populaires, il ne faut pas sous-estimer la façon dont constructivisme et relativisme informent depuis fort longtemps les discours politiques tenus à gauche et le fait qu’ils ont fini par produire certains effets hors du champ intellectuel.

Or il se trouve que la gauche ne peut sortir d’elle-même, se tourner vers ce qui lui est extérieur (démarche imposée par la force maintenue des droites dans un pays comme la France), trouver les mots et les actes susceptibles de toucher les gens ordinaires, que si elle tient un discours connecté aux réalités et aux sensibilités de masse qu’elles produisent constamment, au travers d’interactions complexes, jamais complètement déconnectées des expériences.

Une chose est sûre : si la petite musique de fond de la gauche consiste, en permanence, à qualifier les inquiétudes populaires de « fantasmes » et leurs préoccupations de « délire », voire de « peste émotionnelle », la bataille est perdue. Hélas, c’est bien ce à quoi s’emploie la majorité des intellectuels en vue de la tribu post-soixante-huitarde, depuis des décennies, et sur des problèmes aussi variés que brûlants : la crise de l’éducatif, l’insécurité, le danger terroriste, l’existence de tensions inter-culturelles… Sur tous ces sujets, il n’était certainement pas question de se rallier aux thèses du FN, pas plus que d’oublier d’autres sujets brûlants, dont ce parti ne dit mot. Mais les appréhender, ceux-là seuls et en particulier, comme des « constructions », les décréter sujets indignes en soi, « champs » intrinsèquement réactionnaires, et laisser ainsi entendre qu’ils n’avaient pas de rapports avec le monde vécu de millions de gens, là était l’erreur, qui, répandue en états d’esprit diffus, a bien l’air d’avoir été funeste.

Tout doit être liquidé ? Aucune zone à défendre ?

Enfin, sans doute faudrait-il questionner un réflexe intellectuel qui, pour être très répandu, n’en est pas moins problématique. En se demandant par exemple : n’y aurait-il pas un rapport entre l’anti-conservatisme primaire affiché à gauche et à l’extrême gauche, qui semble malgré de féroces désaccords les unir dans un penchant pour la fuite en avant, et le fait que droite et surtout l’extrême droite sont parvenues à apparaître comme plus « sécurisantes » aux yeux d’une fraction substantielle du prolétariat actuel ?

Etant noté au passage que la synthèse entre le socialisme et l’écologie, cet écosocialisme ou cette écologie sociale que beaucoup appellent à juste titre de leurs vœux, est rigoureusement impossible si l’on refuse d’admettre qu’une « certaine sensibilité conservatrice n’est pas incompatible avec l’esprit révolutionnaire ».19

Plus généralement, comment peut-on encore tirer à boulets rouges sur le «conservatisme», pris comme un bloc, forcément sordide, dès lors qu’il est démontré, chaque jour, en général et en particulier, en France et ailleurs, que le système capitaliste se donne comme une gigantesque entreprise de transformation permanente ne laissant rien indemne (un diagnostic toujours pertinent de Marx évoquant « l’insécurité perpétuelle ») dont il est difficile de ne pas voir que « l’obsolescence programmée » est l’un des maîtres mots ? Disputer à l’ultra-libéralisme le thème du mouvement, du «progrès irréversible», de la fascination pour le neuf, y compris en matière de tripotage biotechnologiques de la reproduction et des filiations (voir à ce sujet les avertissements répétés lancés par Jacques Testart à propos du clonage humain), n’est-ce pas une sorte d’installation dans le monde tel qu’il va ?

S’il est question de se méfier du contexte au nom d’une «éthique de responsabilité», comme le répète Philippe Corcuff, ce qu’on peut entendre, pourquoi ne pas se demander si l’éreintement tout azimut du «conservatisme», en cette période de changements accélérés – et sans opérer de distinction entre ce qui mérite d’être défendu, conservé et ce qui mérite d’être transformé, remanié, mais en mettant la même ardeur à ces deux combats lorsqu’ils sont justifiés sur des points concrets – ne mène pas aussi à des voisinages préoccupants dans le contexte, précisément ? Sur cette détestation du « passéisme » on a quand même un continuum spectaculaire qui va d’Alain Minc, en passant par BHL, Pierre Bergé, Jacques Attali, Manuel Valls et Emmanuel Macron, jusqu’à… Eric Fassin.

Peut-on encore user de la théorie du soupçon pour discerner un « air de famille » ou « des parasitages préoccupants »20 entre Zemmour, Finlkielkraut et Michéa, au prétexte que ce dernier assume que, sur certains points, « c’était mieux avant » ? Eh bien oui, désolé, sur quelques points importants, et pour des tas de gens, c’était mieux avant. Il y a quelques zones à défendre

Bien au contraire, on devrait envisager calmement, en se souvenant du mot de Michel Leiris dénonçant « la merdonité », qu’une transformation positive et mesurée de la société pourrait consister, aussi, en une démodernisation relative, bien ciblée sur ce qui est déjà allé trop loin, en intégrant certains apports des théories de la décroissance. Cela suppose de se montrer capables de « faire le tri entre les bonnes et les mauvaises formes de conservatisme ».21, de rompre avec le dénigrement généralisé et unilatéral de l’esprit de « tradition » 22

  La gauche, oui, ce vieux machin en péril qui doit inventer, mais aussi mettre les freins, si elle ne veut pas se laisser emporter dans l’ouragan de l’illimitation. Michéa pense que c’est déjà fait. Il a tort. Mais à lire Garo et quelques autres, on se dit qu’il y a du pain sur la planche pour que la gauche et l’extrême gauche disent adieu à l’anti conservatisme primaire pour se positionner en critiques de la modernité merdique et du transformisme illimité qui est l’une de ses caractéristiques.

Il y a bien, et c’est pour notre malheur, un esprit d’orthodoxie qui circule dans la gauche et l’extrême gauche. Pas que là, mais là aussi.

Philippe Corcuff a raison de railler la « rebellitude floue » de ceux qui se présentent comme des victimes de la pensée unique, alors qu’ils occupent les médias. Pour autant, il n’y a aucune contradiction à constater deux phénomènes réellement concomitants : une gauche de plus en plus rabougrie, minoritaire, un vrai regain de la pensée de droite et d’extrême-droite, exploitant un non moins vrai discrédit de l’intelligentsia de gauche et, en même temps, dans les sous-univers de celle-ci (se répandant aussi dans les médias dont elle n’est pas du tout absente contrairement à ce dont elle se plaint), une dogmatique implacable qui tape sur tout ce qui renâcle aux certitudes, et s’applique à transformer tout problème nouveau en un ancien, résolu depuis longtemps dans ses livres sacrés, ce qui ne l’empêche pas de donner l’assaut aux conservatismes dont elle a besoin pour mieux se définir et se délimiter. Dans la pratique, cela donne trop souvent : 1°) intensifions la chasse (pour l’instant heureusement livresque) aux salauds qui font le jeu de la droite (et mieux vaut en attraper plus qu’il y en a que d’en laisser échapper un seul). 2°) restons entre nous (ça diminue les désagréments de la contradiction).

Face au déferlement de malveillance des grands sachants orthodoxes contre tout iconoclaste – dont a témoigné le sort infligé à Michéa, pourtant l’un des rares éveilleurs de pensée ou « déclencheurs d’alerte » apparus dans la mouvance de ceux qui résistent au devenir capitaliste23 – il est parfois légitime de se demander si l’enjeu de ces salves d’obus en forme de rappels à l’ordre intellectuel n’est pas, aussi et tout simplement, la conservation de chasses gardées. Chacun sait que des jeux de pouvoirs minuscules peuvent parfaitement subsister, quelle que soit la situation politique, dans les bulles avec tout confort de certains milieux compliqués et décalés.

En tout cas, pour réussir l’exploit de se faire faucher les catégories populaires par les droites, encore fallait-il, entre autres causes, qu’une pré-condition politico-intellectuelle existe : que l’idéologie dominante à gauche soit devenue (car elle ne l’était pas à ses commencements, et jusqu’aux années soixante) antimorale, outrancièrement relativiste et ultramoderniste.

On continue ?

NOTES

1 Voir notamment Les mystères de la gauche, Climats, 2013.

2 Pour prendre la mesure de l’opération « cordon sanitaire » lancée contre Michéa, il faut parcourir : Le laisser-faire est-il libertaire ? Serge Halimi, Le Monde diplomatique, juin 2013 ; Impasse Michéa, et  Michéa : le meilleur, le bizarre et le pire, articles de Frédéric Lordon  publiés en 2013 et 2014 sur le site de la « Revue des livres »; Vers l’extrême, Luc Boltansky Arnaud Esquerre, Editions Dehors, 2014; Les nouveaux rouges-bruns (le racisme qui vient), Jean-Louis Amselle, Lignes, 2014 Voir également l’article signé Alexis paru dans Le Monde Libertaire, n° 1735, 20-26 mars 2015 : Le problème Michéa. Enfin, d’Isabelle Garo, Au nom du peuple Michéa réécrit l’histoire, article paru sur le site de la revue « Contretemps » fin 2014, puis repris sur le site du NPA. Un peu à l’écart de la meute, et pour une critique plus subtile – bien qu’elle revienne quand même à reprocher à Michéa, par inadvertance ou sous-estimation des contextes, de faire le jeu du « néoconservatisme » – on peut lire : Les années trente reviennent et la gauche est dans le brouillard, Philippe Corcuff, Textuel, 2014.

3 Vers l’extrême, op. cit.

4 Cf. Les années trente reviennent et la gauche est dans le brouillard, op. cit.

5 Laurent Joffrin, s’étant chargé de résumer ce livre, à l’usage des lecteurs de Libération, pour l’approuver bruyamment, dans un éditorial au titre raffiné : « Les rouge bruns contre attaquent ». Cf. « Libération » du 3-4 novembre 2014.

6 Cf. Les nouveaux rouges-bruns (le racisme qui vient), op. cit. p. 96.

7 Cf. Au nom du peuple Michéa réécrit l’histoire. Indéniablement il s’agit du libelle le plus sectaire consacré à Michéa lu jusqu’ici. Le malheureux y est accusé d’être un « charlatan », pataugeant dans « une mare glauque », de rabattre vers les forces d’extrême droite les électeurs de gauche désorientés, voire même de contribuer à reconstituer « la base sociale traditionnelle du fascisme, trans classe par chauvinisme » (non, non ce n’est pas du Kanapa-1950, c’est du Garo-2015). Il ne s’agit pas de « dialoguer doctement» avec Michéa et ses idées mais « d’analyser leur fonction en contexte et (de) les relier à leur projet véritable » et donc de pointer son comportement de « prédicateur », qui n’a en tête que de faire marcher sa « petite affaire », quitte à le faire « crever » comme « Dracula » confronté à « la lumière ». On comprend pourquoi la notion de décence commune irrite beaucoup Isabelle Garo.

8 Comme celle-ci par exemple : « Les classes moyennes, petits fabricants, détaillants, artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. »

9 Cf. La fin d’une époque, article accessible sur le site de la revue « Contretemps ».

10Philippe Corcuff a finement pointé certains impensés de la gauche, pas tous cependant, dans son livre La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? Textuel, 2013.

11Cf. Didier Hanne L’impossible gauche morale ? Revue Contretemps, n°18, 2° trimestre 2013.

12 Au passage, peut-être serait utile d’informer Isabelle Garo que, contrairement à ce qu’elle affirme – pour accréditer l’idée d’un hold up de Michéa qui se serait « emparé » de Marcel Mauss – la théorie de celui-ci n’était pas du tout, mais alors pas du tout, « fondée sur des options politiques ancrées du côté du radicalisme ». ni dans un sens ni dans l’autre, mais au contraire sur un engagement social-démocrate constant (de l’affaire Dreyfus jusqu’à sa mort en 1950), doublement critique à l’égard des Bolchéviks et de la droite de son époque… Lire les articles écrits par Mauss dans La revue socialiste entre 1920 et 1925, repris dans Écrits politiques, Marcel Mauss, Fayard, 1997.

13 Cf.  Le nouveau capitalisme criminel, Jean-François Gayraud, Odile Jacob, 2014. Un ouvrage fort documenté montrant que dans le monde dérégulé le crime financier (blanchiment d’argent sale, trading de haute fréquence, banques narcodépendantes,etc.) n’est plus à la marge mais un élément d’un système échappant à tout contrôle. Et qui pointe les petits arrangements et nouvelles alliances entre criminels en cols blancs, gangsters traditionnels et hommes politiques corrompus.

14 Cf. Se guérir de l’obsession identitaire, Roger Martelli, Libération du 19 février 2015.

15 Il faut signaler quelques exceptions à l’anti moralisme virulent régnant dans la gauche contemporaine : les ouvrages de Denis Collin, notamment Morale et justice sociale, Seuil, 2001 et Questions de morale, Armand Colin, 2004. Yvon Quiniou, également, a tenté de concilier marxisme et approche morale. Cf. L’ambition morale et la politique, L’Harmattan, 2010. Ajoutons que Philippe Corcuff a, dans plusieurs textes, malheureusement épars, et sans creuser le sujet, affirmé l’existence de « boussoles éthiques ». On lisait ainsi dans un article publié dans Charlie Hebdo en décembre 2002 : « (…) sans les clignotants du « bien » et du « mal », on peut être encore plus mal barré face aux divers degrés de l’inhumain. Car si les valeurs morales sont bien issues de notre monde terrestre et non d’une quelconque divinité nous surplombant elles fonctionnent comme des points de repères, juste un peu au dessus de nos têtes, nous aidant à nous orienter. A la fois immanentes et transcendantes. » Cf. Par delà bien et mal, repris dans Mes années Charlie et après ? Textuel, 2015.

16 Cf. Entretien du 27 septembre 2007 avec Aude Lancelin pour Le Nouvel Observateur, repris dans La double pensée, Champs Flammarion, 2008. On peut évidemment discuter la notion de « civilisation juridico-marchande » qui, collant capital et droit, paraît expéditive.

17 Contrairement au reproche que lui a fait Frédéric Lordon dans Impasse Michéa, op. cit.

18 Cf. Alan Sokal, Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, Paris, 1997 et Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l’analogie: De l’abus des belles-lettres dans la pensée, Éditions Raisons d’agir,‎ 1999. 

19 Michéa, Impasse Adam Smith, Climats, 2002.

20 Corcuff, Les années trente reviennent, op. cit. p.97 à 99.

21 Cf. Max Leroy « Halimi, Lordon et Corcuff contre Michéa : retour sur la controverse », 20 août 2013, article publié sur le site Ragmag.

22 Lequel, comme le rappelle Anne Fremaux, « ne signifie pas le retour à un mode de vie hiérarchisé selon des catégories naturelles fort peu défendables. Il s’agit plutôt d’une réhabilitation de pratiques qui faisaient, dans le passé, simplement honneur au bon sens avant la colonisation de nos actions par l’esprit d’abstraction, la bureaucratie, le productivisme et l’esprit de compétition. » Cf. Anne Frémaux, La décroissance et l’idée de progrès : entre progressisme et conservatisme critique , Revue du MAUSS permanente, 3 novembre 2014 [en ligne].

23 Il fallait quand même oser écrire que Michéa « ne dit jamais rien de l’exploitation ni des dominations contemporaines (…) ne parle jamais de la droite et suggère de courir après l’extrême droite. ». Triple accusation qui s’écroule dès qu’on étudie l’œuvre réelle de Michéa. Mais on voit bien de quoi est faite la méthode Garo : après lui avoir sculpté un visage personnel répugnant (le charlatan avide qui fait des affaires), construire une lecture, parfois à coups de morceaux de phrases isolés des paragraphes où ils s’inscrivent, souvent par affirmations dénuées de toutes citations, et, si des propos michéens démentent trop les interprétations très libres faites à partir des copeaux énergiquement séparés du tronc, les qualifier « d’incises décoratives », en comptant que ses lecteurs à elle s’épargneront la corvée des vérifications. Tout cela pour parvenir à ceci : dissuader de lire Michéa.

Extrême-droite religieuse
Rubriques :
  • Extrême-droite religieuse

Assez de « Participation et Spiritualité musulmanes » dans nos luttes !

par Hassan Aglagal

Source de l'article

 

Hassan Aglagal est un militant marocain, membre du NPA.

Pusieurs militants ont pris récemment position contre le fait de tenir un meeting commun contre l’islamophobie avec des organisations réactionnaires se revendiquant de l’islam. Le nom de l’UOIF a été beaucoup cité1. Cela va tout à fait dans le sens de ce que je dénonce depuis plusieurs années auprès de mes camarades s’agissant de la présence régulière parmi les signataires de ce type d’appels de l’association réactionnaire Participation et Spiritualité musulmanes (PSM), encore annoncée au meeting du 6 mars. Je vous propose donc de découvrir ce qu’est vraiment cette organisation, et pourquoi il n’est pas possible de s’allier avec elle dans le cadre d’une lutte antiraciste qu’il est pourtant en effet primordial de mener.

Manif pour Tous et Alliance Vita

Participation et Spiritualité musulmanes (PSM) est l’association qui représente en France le mouvement Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), mouvement de l’islam politique fondé en 1973 au Maroc par le mystique soufiste Abdelassame Yassine (1928-2012) qu’elle considère comme « un père intellectuel et spirituel »2. PSM est essentiellement à l’œuvre en France pour mettre en lumière, auprès d’un plus large public, l’homme qu’il fut et ses « enseignements ».
Cependant, tout comme l’UOIF, PSM n’est pas une organisation à vocation purement religieuse et n’hésite pas à s’impliquer activement dans les débats de société, défendant des positions tout à fait réactionnaires. Elle a ainsi appelé à manifester le 24 mars et le 26 mai 2013 aux côtés de la droite et l’extrême droite lors de « La Manif Pour Tous »3 et affiche sans vergogne sa sympathie pour l’Alliance Vita, l’un des principaux lobbys français anti-IVG. PSM a d’ailleurs participé à son université d’été 2013.

Un mouvement influent au Maroc

Al Adl Wal Ihsane assure son implantation (recrutement, collectes d’argent…) en Europe à travers de nombreuses associations comme PSM. Il est également présent au Canada et au États-Unis. Parmi ses sections, on compte par exemple l’Observatoire canadien des droits de l’homme ou L’Organisation nationale pour le dialogue et la participation en Espagne. Ce mouvement n’est pas uniquement la plus grande force politique organisée au Maroc, mais aussi une organisation très implantée dans les pays où il y a une forte présence d’immigrés marocains.

Au Maroc, Al Adl Wal Ihsane s’est fait connaître en s’investissant dans les mobilisations contre les guerres en Irak et pour la Palestine. Pendant le mouvement du 20-Février, Al Adl Wal Ihssane était la plus grosse organisation avant son retrait pour ne pas nuire à l’autre parti islamiste, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), entré au gouvernement en novembre 2011. S’il est impossible d’avoir des chiffres exacts concernant les effectifs et le budget de ce mouvement, il semblerait bien qu’il soit soutenu financièrement par une partie de la bourgeoisie commerçante. Il collecte aussi des sommes auprès de ses adhérents et de ses sympathisants à l’étranger.

Du sang sur les mains

Même si le mouvement dit bannir la violence, deux meurtres politiques ont été attribués à Al Adl au Maroc. Les milices des disciples de Yassine ont ainsi été impliquées directement dans l’assassinat de deux étudiants d’extrême gauche et militants de l’UNEM (Union Nationale des Étudiants du Maroc) : en novembre 1991 à Oujda et Mohamed Aït Ljid Benaïssa en mars 1993 à Fès4.
En octobre 1991, Maâti Boumli a été enlevé puis assassiné à l’université d’Oujda. Douze étudiants adlistes ont été arrêtés puis condamnés à 20 ans de prison pour homicide. Malgré cela, le groupe n’a jamais reconnu sa responsabilité, arguant que ses militants ont été « injustement emprisonnés pendant d’aussi longues années ». Le deuxième crime attribué à un militant d’Aldl Wa Ilhsane remonte au 25 février 1993. Benaïssa Aït El Jid a été assassiné près de l’université de Fès. La confrérie a été une nouvelle fois montrée du doigt mais il a fallu attendre 13 ans pour qu’en octobre 2006, Omar Mouhib, un de ses militants, soit enfin arrêté pour sa participation au meurtre d’Aït El Jid. Le procès s’est soldé par une condamnation en appel de Mouhib à dix ans de prison5.
Ce sont les mêmes criminels d’autres groupes islamistes, qui partagent la même formation politico-religieuse que Adl wal Insane, qui ont assassiné Omar Benjelloun au Maroc, Mehdi Amil et Hussein Marwa au Liban, Faraj Fouda en Égypte, Tahar Djaout et Abdelkader Alloula en Algérie, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en Tunisie

Une alliance impossible

Ce mouvement réactionnaire et obscurantiste, comme tous les mouvements de l’islam politique, ne cesse de répéter le slogan creux « l’islam est la solution » comme réponse aux questions concrètes dans le domaine social et politique, et d’exiger un retour pur et simple au passé pour appliquer la « Charia » et les lois du « véritable islam », celui de l’époque du prophète ! Ce courant politique, ayant profité antérieurement de la faiblesse de la gauche et de la montée des mouvements de même filiation idéologico-politique depuis que les Ayatollah se sont emparés du pouvoir en Iran, est devenu la plus grande force organisée au Maroc. De toute évidence, tous les mouvements islamistes réactionnaires comme celui de « Justice et bienfaisance » rejettent la laïcité et la séparation entre religion et politique et s’opposent à l’égalité des droits et à la liberté d’expression. Les membres de PSM n’ont aucun intérêt à dévoiler leur projet politique, et ont la capacité de cacher leurs vraies idées en pratiquant une certaine dissimulation reposant sur la « taqiya ».

C’est hallucinant de voir des organisations comme le NPA, le PCF, Ensemble, Les antifas du Capab fréquenter des associations réactionnaires comme PSM et l’UOIF! Ces deux associations ne peuvent en aucun cas être des partenaires d’organisations de gauche.

S’il est juste de mener la bataille contre le racisme et contre TOUTES les oppressions, il ne faut la mener qu’avec des partenaires ayant une certaine crédibilité, et non avec des organisations réactionnaires et obscurantistes comme PSM et l’UOIF !

  1. Quelques-unes de ces prises de position, venues d’horizons différents : ]
  2. Voir : ]
  3. Voir sur ]
  4. Pour une vision plus complète de l’histoire de l’UNEM, voir]
  5. Voir sur le site de ]
Cinéma et éducation populaire
Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • Cinéma
  • Education populaire
  • ReSPUBLICA

"On a grèvé"

par Jean-Jacques Mitterrand

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Cinq mois après sa sortie, nous croyons important d’écrire (de revenir) sur ce film documentaire politico-social sur le statut des immigrés sous- traités par les tenants du néo-libéralisme et qui peu à peu, malgré le manque de soutien des associations cinématographiques « Art et Essais »  et « Recherche » trouve un public par la volonté des associations d’éducation populaire et syndicales et permet à la fois par sa forme et son contenu un large débat.

« On a grèvé » le film de Denis Gheerbrant raconte la lutte des femmes de chambre en grève dans les hôtels Campanile et Première classe du pont de Suresnes en 2014. Conflit qui portait, comme l’indique le document publié par la « CNT- solidarité ouvrière » sur les conditions de travail : le paiement de toutes les heures travaillées, le refus du paiement à la chambre, la charge de travail, les qualifications et les salaires. C’est tout le problème de cette sous-traitance, de ce travail à la tâche, qui vise, à diviser la communauté de travail que cette grève allait mettre en évidence.

Nous vivons avec intérêt ce conflit contre le non respect du code du travail mené conjointement par deux syndicats la CNT et la CGT dont l’union sera payante car « On a grèvé »  raconte l’histoire exemplaire d’une grève victorieuse.

L’intérêt du film est aussi dans la volonté du réalisateur qui va nous entraîner plus loin dans la rencontre avec chaque travailleuse. Sa présence quotidienne au coté des femmes en lutte va nous permettre de mieux les connaître, et passer avec elles de l’individualité, d’une sous-traitance pourvoyeuse de division, de désunion à cette unité ou un destin commun les solidarise..

Comme le fait remarquer dans un entretien Denis Gheerbrant qui filme cette grève du trottoir, le seul lieu possible face à l’hôtel, lieu assigné qui apparaît au réalisateur comme le seul juste parce que c’est le lieu occupé par les femmes en grève.: « Je ne cherche pas à donner la parole, parce que cela c’est encore un vieux mythe, mais à lever une parole, à créer l’espace qui lui permettra de se développer. »

Avec retenue, lenteur, sagesse, et pudeur le réalisateur nous fait découvrir tour à tour ces grévistes ; nous allons les côtoyer, connaître leurs difficultés, le métier astreignant de femmes de chambre, le rôle de l’encadrement, ces petits chefs confinés dans un rôle indigne de roquet et ce métier ; ce métier qui « lessive, essore, pressure » les femmes. Un travail où le mépris est en plus votre quotidien.

Ces rencontres qui se construisent entre le réalisateur et les femmes nous apprennent toute la souffrance dont elles sont victimes mais jamais une plainte ne s’élève face à ce monde qui les écrase. Propos illustré par l’image de cette femme seule, filmée en contrebas d’un building – hôtelier majestueux, luxueux, merveilleusement éclairé : opulence d’un lieu qui vous opprime, et représentatif d’un monde opaque. Les hôtels appartiennent au groupe Louvre Hôtels, financé par des fonds américains aujourd’hui racheté par des fonds chinois. Les femmes qui y travaillent sont d’origine africaine, quelques-unes maghrébines, certaines sont voilées, d’autres non. Les syndicats CGT et CNT ont préparé cette grève pendant un an et une caisse de grève permet de donner 40 € par jour leur permettant ainsi de tenir et ces femmes, hier objets, aujourd’hui sujets mènent la lutte en chantant.

La caméra de par son positionnement nous amène à nous interroger sur l’Autre et à le découvrir ? Elle participe de notre citoyenneté, elle ne plaque pas, elle n’arrange pas, elle est dans le regard du geste, du rapport au geste, au corps ? Notre connaissance est le produit de ses déplacements et des questionnements du réalisateur. Ce film est joyeux et nous fait entrer dans la force d’une grève qui casse les tabous et met sur le devant de la scène toute une culture du chant, de la danse, de la musique et aussi des calicots. Le champ cinématographique qui est celui de la grève et de la présence des femmes grévistes prend de plus en plus de force renouant avec une culture séculaire de la résistance ; ÇA SUFFIT, ON VA JUSQU’AU BOUT….

Elle est là, la République citoyenne.

On a grèvé
Film documentaire, France, 2014
Durée 70 mn.
Réalisation : Denis Gheerbrant
Production : Les Films d’Ici
Distribution : Zeugma films (01 43 87 00 54)

Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • Cinéma
  • Education populaire
  • ReSPUBLICA

"La Tourmente grecque"

par Jean-Jacques Mitterrand

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

 

Film réalisé par Philippe Menut avant les élections de janvier 2015 qui ont porté Syriza au pouvoir, ce document nous fait découvrir les conséquences de l’austérité imposée à tout un peuple par la « Troïka ».

Le réalisateur commence par nous prévenir : « Je n’ai pas fait un film pour expliquer ce que je savais, j’ai compris ce qu’il en est de la crise grecque en tournant le film. » et de donner la parole aux militant(e)s, salarié(e)s, économistes, médecins, philosophes, ministres et chômeurs-chômeuses

Nous y découvrons, un pays en pleine souffrance ; le chômage qui ne fait qu’augmenter ainsi que la pauvreté qui va de pair. Les salaires et les pensions ont diminué de 30%, les commerces ferment leurs portes, la pénurie de chauffage, les hôpitaux qui manquent de personnel et ne peuvent plus soigner. C’est, la crise : un mot « simple » pour désigner l’augmentation délibérée et brutale des inégalités

Il est impossible d’ignorer cette guerre économique et sociale menée en notre nom contre tout un peuple par l’action conjuguée de la Commission européenne, du F M I, et de la Banque centrale européenne, dénommés Troïka.

Les médias clament l’aide attribuée à la Grèce ; 245 milliards d’euros….Mais où va l’argent de la banque centrale européenne ? Sinon pour l’essentiel au remboursement de la dette c’est à dire 77 % aux fonds d’investissements…et comme le dit un commentateur de BFM Business : «…  va gagner du pognon, chez les grecs. ». C’est bien connu ces grecs n’ont que ce qu’ils méritent et aussi les Portugais, les Espagnols, les Italiens, les Français…..

Toutes ces personnes interrogées nous amènent à comprendre comment on entretient le fatalisme face à un système économique néo-libéral « qui n’aurait pas d’alternative » comme le disait Margaret Thatcher.

Un film essentiel pour tout débat sur la Grèce aujourd’hui.

La Tourmente grecque
Documentaire : durée 75 mn
Réalisateur : Philippe Menut, journaliste, grand reporter, Philippe-menut@wanadoo.fr
Production, distribution : Les films du mouvement

Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • Cinéma
  • Education populaire
  • Lutter contre le néo-libéralisme
  • ReSPUBLICA

"Le prix à payer"

par Vincent Denorme
0 de Conduite

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

S’inspirant des travaux de la fiscaliste canadienne, Brigitte Alepin, auteur de La Crise fiscale qui vient, le réalisateur Harold Crooks nos livre ici un film frontal malgré la complexité du sujet.

Des nuages noirs s’amoncellent, des éclairs claquent et les cyclones se déchaînent au-dessus des continents. Ces images infographiques d’apocalypse, qui reviennent comme un leitmotiv tout au long du film, sont dignes d’un film catastrophe. Et pourtant ceci n’est pas une fiction. La menace est bien présente et planant, indifférente aux frontières, au-dessus des peuples. Cette menace, c’est l’évasion fiscale opérée par les multinationales.

En contre-point de cette métaphore météorologique aux effets visuels garantis et au pouvoir d’interpellation direct, se succèdent différents intervenants qui nous aident à mesurer l’ampleur globalisée de cet aspect du capitalisme financiarisé. On apprend par exemple que 10 à 15% du patrimoine financier mondial échappe à tout dispositif fiscal. Ces exposés nous permettent également de remonter aux racines de ces pratiques, notamment le tournant de la contre-révolution néo-libérale des années 80, d’en identifier les places fortes, où la City et ses satellites (îles anglo-normandes, îles Caïmans,…) jouent un rôle central, enfin d’en décrypter les mécanismes et les logiques funestes qu’elles enclenchent : L’accroissement des inégalités vérifiable dans la paupérisation des classes moyennes, l’accélération de la dette publique entravant la capacité des états à mener une politique sociale pour peser finalement sur l’exercice de la démocratie.

A côté d’intervenants attendus, notamment Thomas Piketty, auréolé de son best-seller Le Capital au XXIe siècle, entrent dans le jeu du décodage des agents de la finance, convaincus ou critiques, qui se laissent aller parfois à quelques confidences et qui dénotent l’impunité des banques et des multinationales face aux états. La dimension pédagogique de ce documentaire est doublée par l’épaisseur de l’expérience lorsque sont exposés par les anciens adorateurs de la finance les tours de passe-passe fiscaux et les flux financiers instantanés devenus incontrôlables et sans bornes. Cela donne ainsi un surcroît de persuasion et de vertige au film.

Toutefois, cette force indéniable du Prix à payer a aussi son revers. En effet, l’accumulation de témoignages de repentis fait glisser insensiblement le film vers le terrain vague de la morale comme unique réplique.

La morale ou l’impossible rapport de force

Et c’est justement à cet endroit que le documentaire trouve ses limites en se cantonnant à la stricte condamnation morale. Cela se vérifie dans les archives qui ponctuent le film présentant des extraits de séances de commissions parlementaires (britannique et américaine) auditionnant les représentants de banques ou de multinationales pris la main dans le sac, suintant la mauvaise foi. Ces moments font plaisir et on se met à sourire de voir ces représentants de puissantes entreprises se faire fesser en public. Mais ces passages ne font aussi que marquer l’ impuissance face à ces états dans l’Etat. « Nous ne vous accusons pas d’être illégaux, mais d’être immoraux » lâche la présidente d’une de ces commissions à des cadres de Google ou d’Amazon. En effet, placer le film sur le terrain de la morale permet de pointer du doigt la déviance de certaines personnes et de certaines entreprises mais ajourne dans un même temps la nécessaire remise en question du système qui le permet.

Car vouloir moraliser le capitalisme afin de réduire les inégalités, c’est reconnaître dans un même temps la défaite d’une pensée politique qui replacerait le bien être des peuples au centre des préoccupations de l’activité économique. C’est aussi préférer l’aménagement à la transformation. C’est pourquoi on trouve en bonne place dans le documentaire, l’hypothèse de la taxe Robin des bois (taxe sur les opérations financières commerciales afin de financer la lutte contre la pauvreté) comme solution de rééquilibrage face aux dérives financières. Une de ces (fausses bonnes) idées qui, au mieux, se propose d’atténuer les symptômes sans s’attaquer à la maladie, au pire, permet de légitimer le système. Dans ces conditions, comment bâtir un réel rapport de force ?

Il est donc nécessaire de voir Le prix à payer et cela à double titre. D’abord parce qu’il expose avec clarté les mécanismes complexes de l’évasion fiscale et ses répercussions néfastes sur la vie quotidienne du plus grand nombre. Ensuite parce qu’il révèle en creux la nécessité de dépasser les solutions techniques circonscrites dans le cadre dominant pour repenser les pratiques politiques démocratiques comme condition du changement de paradigme économique. Un film à voir et à débattre.

Le prix à payer
Réalisateur : Harold Crooks
Canada, 2014
93 mn
Distributeur : ARP Sélection

Rubriques :
  • Brèves
  • Cinéma
  • Education populaire

Appel à souscription pour "La Sociale", le nouveau film de Gilles Perret sur la Sécurité sociale

 

ReSPUBLICA relaie l’appel des producteurs : La Vaka et Rouge Productions :

Depuis plusieurs mois, Gilles Perret travaille sur la préparation de son prochain film consacré à l’histoire de la Sécurité Sociale : d’où elle vient, comment elle a été mise en place, qu’est-elle devenue et que pourrait-elle devenir. Nous connaissons mal cette histoire et pourtant elle bénéficie à 60 millions de français !
C’est un sujet d’actualité tant cette institution au budget supérieur à celui de l’état attire les convoitises et suscite des remous depuis plusieurs décennies.

Ce film documentaire s’intitulera « La Sociale ». Il est destiné au cinéma.

Bientôt, il va falloir débuter la production, c’est-à-dire dépenser beaucoup d’argent. Vous nous voyez venir ?
Vous faites partie des nombreux souscripteurs qui ont rendu possible la belle aventure du film précédent : « Les Jours Heureux ». Nous faisons de nouveau appel à vous pour nous permettre la mise en route de ce film dans les plus brefs délais. Vous pouvez dès à présent souscrire en commandant par avance le DVD du film. Celui-ci vous sera envoyé 4 mois après la sortie du film au cinéma.
Bien sûr, vous serez tenus au courant régulièrement des avancées du projet par une lettre d’information. Mais ça, vous avez l’habitude…

Suite au décès de Fabrice Ferrari, collègue, copain et producteur de La Vaka, Gilles Perret s’associe cette fois-ci avec un ami de longue date, Jean Bigot, de Rouge Productions. Cette petite société indépendante produit notamment les films de Marcel Trillat et quelques fictions.

C’est une nouvelle belle aventure qui commence et qui suscitera bien des débats. Nous en sommes sûrs. Comme d’habitude, nous comptons sur vous !

Résumé : Il y a 70 ans, les ordonnances promulguant les champs d’application de la sécurité sociale étaient votées par le Gouvernement provisoire de la République. Un vieux rêve séculaire émanant des peuples à vouloir vivre sans l’angoisse du lendemain voyait enfin le jour.
Le principal bâtisseur de cet édifice des plus humaniste qui soit se nommait Ambroise Croizat. Qui le connaît aujourd’hui?
70 ans plus tard, il est temps de raconter cette belle histoire de « la sécu ». D’où elle vient, comment elle a pu devenir possible, quels sont ses principes de base, qui en sont ses fondateurs et qu’est-elle devenue au fil des décennies ?
Au final, se dresseront en parallèle le portrait d’un homme, l’histoire d’une longue lutte vers la dignité et le portrait d’une institution incarnée par ses acteurs du quotidien. Une occasion d’envisager ce vers quoi nous pourrions aller.

http://www.lasociale.fr/pdf/AppelAsouscriptionLaSociale.pdf