Chronique d'Evariste
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Pour sortir de l'impasse, réconcilions la gauche avec la laïcité et la nation

par Évariste
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Toutes les gauches en Europe ont été traumatisées par les nationalismes de droite et d’extrême droite du XXe siècle. Sauf le communisme soviétique. Après son écroulement fin des années 80, le néolibéralisme, devenu l’idéologie dominante, s’installe partout. Même les gauches anti-néolibérales sont influencées par l’idéologie libérale. Nous y reviendrons plus loin.

Sur d’autres continents, il en va autrement. En Amérique latine, le patriotisme est très marqué à gauche depuis la résurgence de la « Révolution bolivarienne » à la fin du siècle dernier. Même en Grèce, on ne peut pas comprendre la victoire de Syriza sans la dimension patriotique. Allons au bout du raisonnement, dans le monde actuel, nous disons pas de transformation sociale sans dimension patriotique. C’est déjà ce que disait le grand Jean Jaurès. Il développait l’idée que la transformation sociale et politique en France et en Europe devait lier les ruptures sociales de grande ampleur (y compris, disait-il, de l’entrée de la démocratie dans l’entreprise, ce qu’ont oublié toutes les gauches françaises) avec le patriotisme de gauche contre le nationalisme de droite et d’extrême droite, aujourd’hui alliés au néolibéralisme et que la bourgeoisie utilisera quand bon lui semblera.

Même la majorité de l’Autre gauche qui fustige le néolibéralisme est aujourd’hui fortement influencée par l’idéologie libérale, ce qui explique son penchant, malgré ses dénégations, pour le communautarisme de la démocratie anglo-saxonne et sa propension à chercher des alliances avec l’organisation internationale des Frères musulmans, ouvertement néolibérale. C’est cela qui a poussé les directions du PCF, d’Ensemble, d’Attac et de Solidaires à faire meeting commun le 6 mars dernier avec l’Union des organisations islamistes de France (organisation issue de l’organisation internationale des Frères musulmans) et ses succédanés. C’est cette imprégnation de idéologie libérale qui amène à développer des idées antirépublicaines, anti-laïques, antipatriotiques.

C’est ce qui conduit cette majorité de l’Autre gauche à une impasse, surtout en France, dont le peuple appelle à une forme républicaine, laïque et patriotique. Elle refuse de comprendre que la réaction populaire postérieure aux des 7, 8 et 9 janvier n’a que peu à voir avec la triste manipulation politico-médiatique élyséenne décidée quand François Hollande a compris qu’un mouvement partait sans la direction politique du pays. Mais elle refuse de regarder la réalité en face, pourtant bien visible, que les millions de manifestants ne provenaient pas que des « beaux » quartiers.

Répétons-le de nombreuses fois : aucune transformation sociale n’est possible, que ce soit en Amérique latine, en Grèce, en Espagne, au Portugal et bien sûr en France, sans un projet de rupture sociale, républicaine et patriotique souhaité par le peuple. Et il n’y a pas de peuple sans sa majorité ouvrière et employée. Et pour la France, parce que la France est, et de loin, le plus important pays d’immigration d’Europe depuis le XIIIe siècle, il faut y rajouter obligatoirement la dimension laïque.

L’impasse libérale et communautariste de la majorité de l’Autre gauche a jeté le mot « patriote » dans le caniveau. Et la nouvelle direction mariniste du FN l’a ramassé pour tenter de faire croire à un aggiornamento de son organisation alors qu’il n’en est rien.

Le développement mouvementiste de la majorité de l’Autre gauche s’appuie sur une alliance très minoritaire du nouveau lumpenprolétariat produit par le néolibéralisme et des couches intellectuelles  « radicalisées ». Et ce développement, qui « pense » la généralisation de l’idéologie présente dans les « mouvements sociaux » de cette nouvelle alliance de classe, ne peut ainsi que se fourvoyer dans des impasses tournant le dos à la transformation sociale et politique. Idéaliser ces « mouvements sociaux » en les survolant de très haut via des sociologues approximatifs (choyés par la nouvelle université néolibérale) ne suffit pas à construire un chemin émancipateur. De plus, leurs leaders, depuis leurs impasses, donnent des leçons au monde entier, même à ceux qui réussissent à rassembler leur peuple. Et sans jamais se poser la question du pourquoi, eux, n’y réussissent pas. Conscients de cela, ils ont décidé fin janvier 2015 de soutenir Syriza en parole, mais en fermant les yeux sur le pourquoi en Grèce du rassemblement du peuple, et en continuant, ici, à tourner le dos au peuple.

Voilà pourquoi l’éducation populaire est une nécessité non seulement dans le peuple mais aussi pour les quelques dizaines de milliers de responsables locaux associatifs, syndicaux et politiques. Voilà pourquoi, l’« après-Charlie », sauf à se complaire dans des impasses, ne peut-être en France que sur les principes de la République sociale, avec ses dimensions laïque, féministe, patriotique et écologique.

Voilà pourquoi toute analyse qui ne débouche pas sur des propositions concrètes ont de moins en moins d’intérêt pour le prolétariat ouvrier et employé, dont la majorité s’abstient aux élections. C’est à cette partie majoritaire du prolétariat qu’il faut parler, il ne sert à rien de pleurer sur la petite partie du prolétariat ouvrier et employé qui vote FN.

Voilà pourquoi les postures critiques sans projection dans le réel ne peuvent au mieux qu’interpréter le monde alors que la 11e thèse de Marx sur Feuerbach précisait déjà notre but, à savoir la transformation matérialiste du monde. Toute idée, même juste, ne peut devenir force matérielle que si, et seulement si, elle pénètre dans le peuple.

Syndicats
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Eloge des syndicats

par Serge Halimi

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Puisque chacun prétend se soucier de l’envol des inégalités, pourquoi cette analyse du Fonds monétaire international (FMI)1 est-elle passée à ce point inaperçue ? En raison de ses conclusions ? Dans une étude présentée en mars dernier, deux économistes issues de ce temple du libéralisme relèvent « l’existence d’un lien entre la baisse du taux de syndicalisation et l’augmentation de la part des revenus les plus élevés dans les pays avancés durant la période 1980-2010 ». Comment expliquent-elles ce lien ? « En réduisant l’influence des salariés sur les décisions des entreprises », l’affaiblissement des syndicats a permis d’« augmenter la part des revenus constitués par les rémunérations de la haute direction et des actionnaires ».

Selon ces économistes du FMI, « une moitié environ » du creusement des inégalités que les libéraux préfèrent traditionnellement attribuer à des facteurs impersonnels (mondialisation, technologies, etc.) découlerait du déclin des organisations de salariés. Doit-on s’en étonner ? Quand le syndicalisme, point d’appui historique de la plupart des avancées émancipatrices, s’efface, tout se dégrade, tout se déplace. Son anémie ne peut qu’aiguiser l’appétit des détenteurs du capital. Et son absence, libérer une place qu’envahissent aussitôt l’extrême droite et l’intégrisme religieux, s’employant l’une comme l’autre à diviser des groupes sociaux dont l’intérêt serait de se montrer solidaires.

Or l’effacement du syndicalisme ne tient ni du hasard ni de la fatalité. En avril 1947, alors que l’Occident s’apprête à connaître trente ans de prospérité un peu mieux partagée, Friedrich Hayek, un penseur libéral qui a marqué son siècle, dresse déjà la feuille de route de ses amis politiques : « Si nous voulons entretenir le moindre espoir d’un retour à une économie de liberté, la question de la restriction du pouvoir syndical est une des plus importantes. » Hayek prêche alors dans le désert, mais quelques décennies plus tard, grâce à l’intervention directe — et brutale — de deux de ses admirateurs, Ronald Reagan et Margaret Thatcher, lors de conflits du travail marquants (les contrôleurs aériens américains en 1981, les mineurs britanniques en 1984-1985), le « pouvoir syndical » a rendu l’âme. Entre 1979 et 1999, le nombre annuel de grèves impliquant au moins mille salariés passe aux Etats-Unis de deux cent trente-cinq à dix-sept, celui des jours de travail « perdus », de vingt millions à deux millions.2 Et la part du salaire dans le revenu national recule… En 2007, sitôt élu président de la République, M. Nicolas Sarkozy fait à son tour voter une loi restreignant le droit de grève dans les services publics. L’année suivante, il pavoise tel un gamin hilare : « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. »

En bonne logique, l’étude du FMI aurait dû insister sur l’urgence sociale et politique de renforcer les organisations de salariés. Elle estime plutôt qu’« il reste à déterminer si l’accroissement des inégalités dû à l’affaiblissement des syndicats est bon ou mauvais pour la société »… Ceux qui ont déjà une petite idée de la réponse en tireront sans effort la conclusion qui s’impose.

Le Monde Diplomatique – Avril 2015

 

  1. Florence Jaumotte et Carolina Osorio Buitron, « ]
  2. George Melloan, « ]
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Réponse à Serge Halimi : l'alternative à TINA, c'est l'anti-capitalisme et non l'altercapitalisme.

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

Le texte de S. Halimi (« Eloge des syndicats ») que nous reproduisons ci-dessus  est un bon exemple de critique de la pensée libérale, mais d’une critique idéaliste.
Que les analyses du FMI soient largement passées sous silence dans les médias n’est pas nouveau. Il y a longtemps que le FMI critique les politiques d’austérité menées en Europe, dans la mesure où elles mettent en danger l’économie des É-U en particulier et l’ensemble du système des économies occidentales en général. C’est que le FMI et autres institutions internationales ont par construction la vision de l’intérêt général du capitalisme, qui n’est pas nécessairement celui des capitalistes individuels, et elles commencent à s’inquiéter sérieusement de la situation.

Du temps de la croissance et des forts taux de marge, le souci principal des capitalistes était de trouver des débouchés et l’intérêt général du capitalisme était donc de soutenir la demande, d’où le succès idéologique du keynésianisme, qui savait gérer le partage des gains de productivité, notamment par le biais des acquis sociaux qui devaient stabiliser ladite demande. Mais quand la crise fut venue, le capital cigale se trouva fort dépourvu, et advint l’heure du capital fourmi (au début, japonais), qui savait chanter l’épargne et la compétitivité, dès lors devenues le souci premier des capitalistes. Le néo-libéralisme pouvait proclamer la casse des salaires intérêt général du système. Mais il ne le disait pas ainsi : contre les réglementations de l’emploi, il parlait, par la voix de Hayek, d’« économie de liberté » (celle du renard dans le poulailler), et contre la parcellisation sociale, anti-démocratique, où les individus s’effacent derrière les groupes (syndicats, partis, etc.), celle de Popper réclamait une « société ouverte ».

Au temps des Trente glorieuses, les lois économiques n’étaient pas pensées comme des lois naturelles, a-historiques, mais comme des lois de la construction sociale. Le salaire résultait de la confrontation entre groupes sociaux aux intérêts divergents, et l’économiste devait réfléchir à comment organiser cette confrontation dans l’intérêt général de la nation, qui était celui de sa cohésion, notamment pour éviter aux salariés de trop loucher vers l’Est. Baignant dans des gains de productivité importants, une inflation maîtrisée et un chômage minimal (« frictionnel »), le mécanisme de fixation des salaires était relativement consensuel, mettant en jeu la détermination des salariés à se mettre en grève et la capacité de résistance des entreprises à la perte de chiffre d’affaires. Selon les sensibilités et les engagements politiques et sociaux des uns ou des autres, les théories en cours allaient de purement institutionnelles à keynésiennes ou marxo-keynésiennes, quand ce n’était pas carrément marxisantes.

Quand l’inflation commença de trop réchauffer le bain, au début des années 70, un conseiller de M. Thatcher théorisa la folie des syndicats : leurs représentants arrivaient à la négociation avec des demandes totalement irréelles, en mettant sur la table des chiffres sortis de nulle part, décidés sur le moment. Ces prétentions irréfléchies, bien au-delà du raisonnable étaient la cause de la transformation de l’inflation rampante en inflation courante. Il ouvrit ainsi la voie à un changement de perspective théorique, avec les « nouvelles théories de l’emploi », en réalité le retour des vieilles lunes libérales sous les habits de la théorie néo-classique (celle des pseudo-Nobels d’économie).

Maintenant, le néo-libéralisme aborde la question de l’emploi en termes de marché du travail, un marché qui n’existe pas, ainsi que l’avait déjà noté A. Smith, car le travail est une activité qui ne laisse pas le choix : celui qui n’a rien pour subsister n’a le choix qu’entre travailler ou mourir, et la recherche d’un emploi le met à la merci de l’employeur, dont il n’est sauvé que par l’irruption du politique sur ce « marché ». Selon cette fiction économique, les salaires sont déterminés par la productivité réelle du travail en regard de sa pénibilité ressentie, et le Code du travail en fausse la justesse. En rigidifiant ledit marché, chaque page du dit Code augmente artificiellement les salaires et induit des chômeurs (rappelez-vous le baron romain Ernest Seillière : 300 pages de Code = 300 000 chômeurs, 3 000 pages de Code = 3 millions de chômeurs). Et le creusement actuel des inégalités n’est que la manifestation du retour à la vérité des salaires : en ôtant les protections nationales (le vrai prix du travail est du côté de l’Asie), la mondialisation met en évidence la surestimation des moyens de vie des uns ou des autres dans les différents pays.

Ce que ne voit pas S. Halimi, ce sont les raisons de l’effacement du syndicalisme, qu’il attribue à des causes purement « politiques », à des choix de société, sans se reporter à la cause de ces choix : la crise structurelle du capitalisme. Depuis le tournant des années 60-70, il ne s’agit plus seulement du freinage conjoncturel de la croissance dans le cadre d’un duo surchauffe-refroidissement, mais, plus profondément, d’un ralentissement structurel de la croissance dû une profitabilité du capital engagé dans la production jugée insuffisante pour justifier que continue son accumulation au même rythme. Comme aucune politique industrielle ne saurait restructurer l’appareil productif aussi profondément que nécessaire, comme seule a pu le faire jusqu’ici la guerre, la restauration des profits passe alors, dans l’immédiat, par la réduction des coûts salariaux. La casse des salaires directs suscitant une résistance immédiatement, la stratégie la plus « acceptable » par ses victimes est de s’attaquer plus ou moins sournoisement au salaire socialisé, c’est-à-dire au coût de la protection sociale et des services publics.

Mais la reprise des « acquis sociaux » abandonnés aux salariés du temps des vaches grasses implique l’affaiblissement des syndicats et le développement d’une « armée de réserve » salariale. Or les salariés sont largement tenus en laisse par le consumérisme, qui leur fait miroiter une amélioration constante de leur situation sociale au sein d’un système qui se présente par ailleurs comme démocratique. Sous l’effet de cette idéologie, ils se préoccupent, non pas de transformer le monde, mais d’acquérir ou de sauver des avantages largement constitutifs de leur identité sociale. Comme l’avait expliqué Marx, parlant d’ouvriers embourgeoisés, tant que le capital a les moyens d’« acheter » les salariés, il est à l’abri de la contestation. Les syndicats sont dès lors tenus sur la ligne de crête de la défense des avantages acquis et ne peuvent que se transformer en techniciens de gestion du social.

Avec la crise d’un système qui a d’une certaine façon réalisé le vœu individualiste néo-libéral de Popper et Hayek, du passage d’une société fermée faite de groupes en conflit à une société ouverte apaisée, les syndicats sont ainsi passés, globalement, d’une forme de cogestion de fait du partage des fruits de la croissance, à une protestation sans prise sur le réel et finalement à l’acceptation plus ou moins explicite d’une cogestion de fait des sacrifices demandés.

Les conséquences économiques, sociales et politiques sont destructrices. D’une part, en ne permettant plus de financer la redistribution, la crise du profit polarise la distribution des revenus : via la casse de la protection sociale et des services publics, les politiques d’austérité précarisent les couches populaires et laminent les classes moyennes, tandis que les classes moyennes supérieures mondialisées tirent leur épingle du jeu. D’autre part, dans la mesure où il n’y a plus de grain à moudre, la crise affaiblit les syndicats. Attribuer alors l’accroissement des inégalités à l’affaiblissement des syndicats c’est confondre corrélation et causalité, les deux phénomènes résultent concomitamment d’un même troisième, la crise. Refuser de voir la nature profonde de la crise, c’est se faire « idiot utile » du FMI, qui voudrait nous faire croire qu’elle n’est que sociale.

Combat laïque
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Concordat : au nom du ciel, des privilèges terrestres

par Henri Pena-Ruiz
Auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon, Paris 2014), ancien membre de la Commission Stasi sur la laïcité dans la République

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Au lieu de réaffirmer la laïcité, certains parlent aujourd’hui de l’affaiblir encore un peu plus en s’inspirant du concordat qui sévit encore en Alsace-Moselle. Ils ne veulent pas voir qu’avec la liberté de conscience, l’égalité de droits des croyants et des athées est essentielle. Ce principe républicain requiert la disparition des privilèges des religions, donc l’abrogation du concordat et non son extension. Quelques repères historiques.

Le 9 décembre 1905, Marianne se sépare de Dieu. Non pour lui faire la guerre, mais pour s’émanciper de sa tutelle, tout en le libérant de son contrôle. La République reconduit, ainsi, la religion à sa vocation revendiquée de démarche spirituelle qui n’engage que ses fidèles. Elle met à égalité les divers croyants, les athées et les agnostiques, et s’élève à l’universel en se réservant pour le bien commun à tous.

Rompant avec le concordat napoléonien et avec le bonapartisme dominateur qui l’animait, elle ne nomme plus les prêtres, laissant ce soin aux autorités religieuses. Une telle liberté va de pair avec la suppression des privilèges financiers des religions concordataires. Désormais, les salaires des responsables religieux et la construction des lieux de culte seront à la charge des seuls fidèles. La laïcité s’accomplit, simple et limpide, comme la devise républicaine dont elle met en œuvre les principes : liberté de conscience, égalité de droits, universalité fraternelle de la chose publique, désormais dévolue à l’intérêt général et non aux intérêts particuliers des croyants.

Cet avènement laïc est une double émancipation. Comme dit le poète croyant Victor Hugo : «L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle.» C’en est donc fini du concordat de 1802-1807, que Bonaparte Napoléon avait assorti d’un catéchisme impérial et d’un sacre propre à ressusciter la collusion de la religion et du pouvoir politique. Avec ce concordat, le droit divin était revenu, comme au temps de la monarchie absolue qui faisait du roi le «ministre de Dieu sur la Terre» (Bossuet). Lecteur de Machiavel, Napoléon ne restaurait les privilèges des religions que pour obtenir en retour une sacralisation de sa domination. Régression vers l’Ancien Régime, et non seuil de laïcisation, le concordat avait reconduit le gallicanisme, qui donne au chef politique un pouvoir religieux. Une balance à deux plateaux. D’un côté, de l’argent pour les cultes et les clergés ; de l’autre, une allégeance contrôlée. Je paie, donc je contrôle. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon s’en explique. Ce qu’il dit des responsables ecclésiastiques est peu flatteur : «Je suis entouré de prêtres qui me répètent sans cesse que leur règne n’est pas de ce monde, et ils se saisissent de tout ce qu’ils peuvent. Le pape est le chef de cette religion du ciel, et il ne s’occupe que de la Terre.» Le mécénat intéressé, car il l’est presque toujours, achète donc l’allégeance. Ainsi, le pape Paul III commanda à Michel-Ange la fresque du Jugement dernier, et son successeur, Paul IV, fit censurer le chef-d’œuvre par Da Volterra, chargé de repeindre les nus, et surnommé «Il Braghettone» («le culottier»). «Cachez ce sein que je ne saurais voir» (le Tartuffe, acte III, scène 2).

Transposons pour récuser un argument faussement évident. La République devrait financer des mosquées voire des instituts de théologie musulmane, et elle pourrait ainsi les contrôler. Quelle étrange idée de la liberté religieuse ! Quel croyant peut accepter ce gallicanisme dominateur, qui en somme achète la soumission ? Chantage. «Je vous paie. Mais gare à ce que vous direz !». Voilà bien un retour à l’Ancien Régime, car la relation de dépendance entre les personnes prend la place de la loi républicaine. Une métaphore commune le dit : «Celui qui paie l’orchestre dicte la musique.» Oublie-t-on qu’en République ce n’est pas la domination qui joue, mais la loi commune à tous ? Une loi que le peuple se donne à lui-même, contrat de tous avec chacun et de chacun avec tous. L’égalité horizontale des contractants prend la place de la dépendance verticale. Et, pour obtenir le respect des droits humains, nul besoin de l’acheter. Un imam, qui appelle à battre une femme, comme l’imam Bouziane à Lyon en avril 2004, est passible de poursuites pénales pour incitation à la violence et mise en danger de l’intégrité physique d’une personne. Tel est l’état de droit, et il n’a rien à voir avec le chantage implicite du mécénat religieux. Il est illusoire et même révoltant de vouloir payer pour contrôler. C’est d’ailleurs faire preuve d’une sorte de mépris condescendant pour les fidèles d’une religion que de se substituer à eux pour la délivrer de ses dérives intégristes. La République se contente de dire le droit et de poser, ainsi, les limites de pratiques religieuses qui lui contreviendraient. En parallèle, les religions doivent procéder à une adaptation issue de l’intérieur et non achetée de l’extérieur.

Retour dans les départements concordataires d’Alsace-Moselle. Les trois composantes du droit local y sont le concordat napoléonien, les lois allemandes dont une qui fait du blasphème un délit et d’autres qui créent des droits sociaux, et la loi Falloux qui installe les cours de religion dans les écoles publiques, avec demande obligée de dérogation pour les familles qui n’en veulent pas pour leurs enfants. Ces trois composantes sont distinctes et parfaitement dissociables. Si bien que l’abrogation du concordat et du délit de blasphème, ainsi que le transfert des cours de religion des écoles publiques à la sphère privée des familles n’entraînent nullement la suppression des droits sociaux spécifiques des alsaciens-mosellans.

Le concordat est une survivance archaïque et antirépublicaine, puisqu’il consacre des privilèges institutionnels et financiers pour les religions, au mépris de l’égalité des croyants et des athées. Il n’a aujourd’hui plus rien d’un accord équilibré, puisque ces privilèges n’ont désormais aucune contrepartie. Le président de la République, certes, nomme des responsables religieux, mais ce sont les autorités religieuses qui les choisissent. Le donnant, donnant napoléonien ne correspond plus à rien. Il ne reste plus que des privilèges, évidemment attentatoires à l’égalité et coûteux pour toute la République du fait qu’elle salarie les prêtres, les rabbins et les pasteurs. L’universel est sacrifié sur l’autel du particulier. Un comble en temps de crise et de vaches maigres pour les services publics communs à tous !

Il est temps d’abroger le concordat que certains voudraient bien étendre pour tuer définitivement la laïcité en communautarisant l’argent public. Dans le même esprit il y a mieux à faire pour la République que de financer des instituts privés de théologie musulmane sous prétexte de lutter contre les causes du fanatisme religieux. Le respect des lois laïques et républicaines, l’Ecole refondée pour instruire, et une politique sociale réaffirmée, peuvent y pourvoir de façon plus sûre.

Protection sociale
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La loi Santé de Marisol Touraine, une étape dans la longue marche des complémentaires

par Christian Lehmann

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La loi Santé de Marisol Touraine ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un long processus de mise à mort d’un système de santé solidaire.

La longue marche des complémentaires

« Il faut une génération pour changer un système de santé » avait prédit Henri de Castries, PDG d’AXA®, président du groupe Bilderberg et ami de trente ans de Manuel Valls.

A la fin de la Seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance a créé un système de protection sociale solidaire, et nationalisé les grandes sociétés d’assurances privées, au motif que la souffrance ne devait pas être source de profit pour « les grandes féodalités ».

Cette Sécurité Sociale a rapidement agacé le patronat de l’époque. Dès 1948, la Chambre de Commerce de Paris s’en indignait: « La Sécurité sociale est devenue pour l’économie une charge considérable. Les salariés ont profité de traitements dont ils n’avaient peut-être pas un besoin certain, la moindre maladie a été le prétexte de repos. L’absentéisme s’est développé. »

 En 2000, Claude Bébéar, alors PDG d’AXA®, crée l’Institut Montaigne, un think-tank d’économistes « indépendants »… financé par des banquiers et des assureurs  (Areva®, Axa®, Allianz®, BNP Paribas®, Bolloré®, Bouygues®, Dassault®, Pfizer® ), qui dans les média est chargé de distiller le venin : le système de santé, déficitaire, doit être réformé de toute urgence. La preuve : le « trou de la Sécu », conséquence de l’irresponsabilité des malades et de la malhonnêteté des médecins. Jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10% de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations. La protection sociale des Français est donc constamment pointée comme coûteuse, irresponsable, un frein à la compétitivité et aux profits.

En 2004, Jacques Chirac, ami intime de Claude Bébéar, nomme à la tête de l’Assurance-Maladie Frederic Van Roekeghem, un ancien directeur du groupe AXA®. Proconsul nommé par l’Elysée, l’assureur Van Roekeghem peut enfin passer outre les avis des centrales syndicales et des syndicats médicaux, qui toutefois ne dénoncent pas la manipulation, trop heureux de garder leurs postes et leurs jetons de présence.

Dans le même temps, les assureurs entrent au Conseil de la Sécurité Sociale au sein de l’UNOCAM. Nommant et virant les directeurs de caisses locales comme il l’entend, Van Roekeghem s’entoure de sbires qui transforment la Sécu en intégrant les pires techniques de management : utilisation d’un langage commercial orwellien « C’est en changeant tous un peu qu’on peut tout changer », non-remplacement des agents retraités, transfert non rémunéré de la saisie informatique des feuilles de soins aux soignants, primes d’intéressement des médecins conseils, manipulation programmée des chiffres d’arrêts de travail « injustifiés », pouvoir disciplinaire discrétionnaire des directeurs de caisses sur les soignants, harcèlement des médecins. A force d’endoctrinement et de primes, les médecins-contrôleurs de la Caisse intégrent ce paradigme: utiliser les pires méthodes de management du privé « sauverait la Sécu ».

Début 2005, un petit arrangement entre amis permet à Xavier Bertrand, accessoirement ancien assureur chez AXA® lui aussi, de signer une convention avec les syndicats médicaux les plus proches du pouvoir en détruisant le système du médecin référent. Ouvrant la voie à la pénalisation des assurés, aux franchises sur les soins, le système du médecin traitant consiste en un magnifique tour de passe-passe, surchargeant les généralistes de travail administratif sans leur octroyer les moyens de payer un secrétariat, désespérant leur relève et hâtant leur disparition sur l’ensemble du territoire.

Dans le même temps, à l’hôpital, se met en place la tarification à l’activité. Les directeurs d’hôpitaux, eux aussi nommés par le pouvoir politique, inculquent au personnel soignant la culture du résultat. Rapidement, les vieux, les sans-grade, les malades atteints de pathologies complexes et nécessitant, outre des explorations médicales, du « temps soignant », sont refoulés de l’hôpital, pour des raisons d’équilibre budgétaire.

En 2006, à sa prise de fonction, Guillaume Sarkozy  déclare être « fier de prendre la direction de Médéric®, un acteur historique majeur de la protection sociale. Mon ambition est que Médéric® relève les défis des réformes à venir qui transformeront profondément l’intervention des acteurs complémentaires, notamment dans le domaine de la santé, pour jouer un rôle de premier plan dans l’amélioration des services de protection sociale

Stigmatisation des patients, dénigrement des soignants

En 2007, son frère Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir et, au prétexte de la réduction des déficits,  se lance dans la « responsabilisation » des patients en instaurant des franchises sur les soins. Philippe Seguin, président de la Cour des Comptes, propose une alternative: plutôt que de ponctionner 800 millions d’euros par an dans la poche des cancéreux et des diabétiques, la simple taxation des stock-options ramènerait 4 milliards par an dans les caisses de l’Etat. La proposition est évidemment passée à la trappe.

La même année, Denis Kessler, ex-directeur général d’AXA® et ex-vice-président du MEDEF le félicite de ses réformes : « Il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Dans ce climat de désespérance générale des soignants, de colère des malades, le pouvoir s’attache les services d’associations de patients « représentatives » comme le CISS® en les finançant à 75%. Pour s’assurer la fidélité de leurs représentants, on leur fait miroiter un avenir radieux, où grâce à l’éducation thérapeutique, on pourra enfin se passer de médecins.

Confrontés en 2009 à une campagne vaccinale contre la grippe aussi calamiteuse sur le plan scientifique que financier, ces « représentants » se taisent courageusement, concentrant leur tir sur les médecins de ville, accusés de vouloir vacciner leurs patients par appât du gain. Ils évitent ainsi à Roselyne Bachelot-Narquin et à Nicolas Sarkozy d’avouer clairement qu’il ne leur est pas venu un instant à l’idée de baser un plan pandémique sur une espèce dont ils organisent la disparition.

En faisant une fois de plus preuve de leur indépendance d’esprit vis-à-vis des pouvoirs et des pseudo-experts, les médecins de ville renforcent la conviction des politiques : il n’y a rien à attendre d’un corps de métier aussi disparate, individualiste, rétif à toute directive administrative infondée : le magistère de la santé doit être retiré au corps médical. Béats d’admiration devant les vaccinodromes Bachelot, certains idiots utiles comme Jean-Luc Mélenchon et François Chérèque accompagnent la manœuvre, incapables de saisir que ce n’est pas aux pieds du peuple, mais aux pieds des assureurs que le politique compte déposer ce magistère.

En 2009, Frédéric Van Roekeghem innove en proposant aux généralistes une rémunération à la performance. Certains des items scientifiques en sont très discutables, voire contraires à l’intérêt des patients, le calcul de la rémunération en est opaque. Le but est de déterminer, au sein des soignants, les plus compliants. Ceux qui passent sous les fourches caudines de la CNAM pour quelques deniers pourront demain, pour une somme modique, être agréés par les réseaux des assureurs privés.

En 2010, de déremboursement en franchise, la « Sécu » ne rembourse bientôt plus que 50% des soins ambulatoires, en maintenant la pression sur les professionnels de santé les moins bien rémunérés, infirmiers, généralistes et spécialistes de secteur 1, pour les pousser à la disparition. Sous couvert d’améliorer la gestion, se créent alors des Agences Régionales de Santé, sous la houlette de Nicolas Sarkozy. Une flopée de pontes « de gauche » habitués des hauts salaires, dont Claude Evin, qui a vigoureusement soutenu la réforme des hôpitaux, s’y précipite pour accepter des postes, cautionnant la manœuvre. Au menu: restrictions financières, coupes claires et autoritarisme d’une administration pléthorique jamais satisfaite.

En 2010 toujours, la légalisation de la « télémédecine » fait les unes de la presse. Experts du ministère et charlatans 3.0 exaltent conjointement une industrialisation du soin qui réaliserait le rêve d’une médecine sans médecin, gérée à distance depuis un centre d’appel vers des objets connectés.

De retour aux affaires, Xavier Bertrand relance le chantier du Dossier Médical Personnel, vantant aux Français les mérites d’un outil qui, in fine, permettra aux assureurs, une fois les généralistes éliminés,  de disposer des données médicales personnelles des patients pour mieux affiner leurs offres tarifaires, calculer leur marge, et proposer aux patients… des surcomplémentaires.

Alzheimer, c’est maintenant

En 2012, c’est l’alternance. « La changement, c’est maintenant ». Après avoir vitupéré contre les franchises pendant cinq ans, les socialistes sont brutalement frappés d’Alzheimer. Eux qui dans l’opposition avaient vilipendé la gestion comptable à la hussarde de Van Roekeghem et le retrait de l’hypertension artérielle sévère de la liste des affections prises en charge en longue durée, le confortent dans sa position. Pas à un reniement près, l’inénarrable député Catherine Lemorton explique que l’ancien assureur privé est… un immense serviteur de l’Etat.

Au Congrès de la Mutualité cette année-là, Marisol Touraine vient plier le genou devant le véritable Ministre de la Santé, Etienne Caniard. Elle lui accorde le report de publication des frais de gestion des complémentaires, « dont nous connaissons les difficultés qu’elles créaient pour vous« . Le pauvre homme est probablement comme le député Thévenoud l’une des premières victimes de la phobie administrative, et Marisol Touraine ne veut pas l’accabler en le contraignant à révéler aux cotisants quel pourcentage de leur argent est réellement consacré au remboursement des soins, et quel pourcentage va au marketing, aux publicités calamiteuses de Chevalier et Laspalès, ou au sponsoring de rallyes automobiles. Sous les vivats des dirigeants de complémentaires, François Hollande annonce la mise en place de l’Accord National Inter-régimes (ANI). « Une mutuelle pour tous », lance fièrement l’ennemi de la finance. L’Association Diversité et Proximité Mutualiste ( ADPM) regroupant de petites mutuelles, dénonce sans être entendue les manoeuvres en cours de financiarisation du secteur au profit des grands groupes. Et très peu comprennent que cette prétendue avancée signe un recul supplémentaire de la solidarité: dans un pays où la Sécurité Sociale rembourserait chacun correctement, personne ne devrait se voir contraint de cotiser à une complémentaire…

Dans le même temps, tandis que Cahuzac et Morelle donnent des leçons de morale à la Terre entière, en flagrant conflit d’intérêt, des députés socialistes ex-administrateurs de mutuelles douteuses, de la MNEF à la LMDE, passent en force à l’Assemblée Nationale la loi sur les réseaux de soins, histoire de renforcer le pouvoir des assureurs sur les professionnels de santé.

Dans le même temps, les laboratoires de biologie médicale font l’expérience de la main-mise des ARS sur leur survie. Accablés par la loi Bachelot de démarches-qualité et d’évaluations onéreuses, ne pouvant faire face à l’avalanche de textes et de contraintes administratives, nombre de biologistes sont contraints de vendre leur laboratoire à de grands groupes. Comme par hasard, le dossier est géré au gouvernement sous la houlette de Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au budget, et par certains de ses proches.

Diminuer le « coût » de la protection sociale et servir la finance

Et nous voici en 2015. Accélérant le mouvement, le gouvernement de reniement de François Hollande cherche à déréglementer le secteur de la santé, et à livrer les professionnels aux financiers et aux assureurs, appâtés par l’odeur du gain, tout en cherchant désespérément une mesure emblématique de gauche pour servir de caution sociale de sa politique antisociale: ce sera le tiers-payant généralisé.

Dans le même temps, au prétexte de la loi sur l’accessibilité aux personnes handicapées, le gouvernement met en péril la survie de nombre de cabinets médicaux isolés. Les moyens diffèrent, mais la technique est identique à celle qui a été utilisée avec succès pour les laboratoires de biologie médicale. Empiler les contraintes ingérables au tarif actuel de la consultation, forcer au regroupement dans des structures qui demain seront bradées aux complémentaires et aux financiers. Quand 50.000 médecins refusent telle ou telle directive imbécile, il est plus simple pour les ARS d’ordonner aux directeurs de 3000 maisons de santé de suivre les protocoles décidés en haut lieu.

Dans ce contexte, le tiers-payant généralisé qu’agite Marisol Touraine comme preuve de son engagement socialiste est un leurre. Et cela lui évite de parler de la véritable menace sur l’accès aux soins des français: la totale déconnexion entre le tarif de remboursement et la valeur économique de l’acte, qui dissuade les jeunes de s’installer en ville et accélère la désertification médicale.

Avec le TPG, il ne s’agit pas de diminuer le coût final pour les malades, mais de rendre l’assureur maître d’œuvre de la procédure médicale, selon l’adage qui veut que celui qui paie décide, surtout s’il a tout moyen de faire pression sur le professionnel. Lorsqu’elle répète en boucle dans les média que le tiers-payant généralisé ne coûtera rien à l’Etat, Marisol Touraine n’a pas tort, dans la mesure où la Sécurité Sociale est totalement incapable de gérer informatiquement 600 mutuelles complémentaires. Frédéric Van Roekeghem, qui a quitté son poste de fossoyeur après dix ans de bons et loyaux services pour retourner pantoufler dans le privé, a tellement dégraissé la Sécu que ses services ne sont même plus capables de comptabiliser correctement le nombre de patients ayant choisi tel ou tel médecin traitant. Comment son successeur, Nicolas Revel pourrait-il gérer correctement le règlement des soins aux professionnels ? De son côté, Etienne Caniard fait le tour des médias, annonçant comme un camelot de téléachat qu’il a dans ses cartons une solution informatique simple et fiable pour assurer le paiement aux professionnels, alors qu’encore aujourd’hui la majorité des complémentaires est incapable d’assurer correctement le règlement de la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant. Mais Marisol Touraine s’en moque. Ce qui lui importe, c’est l’effet d’annonce. C’est de marteler une fois de plus, comme Cahuzac, Morelle et Thévenoud avant elle, qu’elle est de gauche, et donc du côté des petits, des démunis, des pauvres et des sans grade, avant de monter en voiture pour aller dîner au Siècle.

Comble du cynisme, ces disciples autoproclamés de Jaurès n’hésitent pas à proposer de conditionner le tiers-payant que nombre de professionnels de santé appliquent aujourd’hui spontanément à leurs patients en difficulté… à l’autorisation directe de prélèvement de ces franchises (autrefois dénoncées par les socialistes comme injustes et inefficaces) sur le compte bancaire des cancéreux et des diabétiques.

Ultime retournement de veste d’un gouvernement aux abois et signe de l’amateurisme qui a accompagné tout au long le projet de loi Santé, Marisol Touraine lâche dans la dernière ligne  sous la pression insistante des médecins les mutuassureurs en chargeant la seule Assurance-Maladie de gérer le tiers-payant, provoquant la colère dépitée d’Etienne Caniard. Le président de la Mutualité, qui n’a pas ménagé ses efforts de lobbyiste, voit s’éloigner avec ce flux unique l’accès direct des assureurs aux données des patients. Même son de cloche chez Cegedim, éditeur de logiciels pour l’industrie pharmaceutique dont le PDG… mis en examen dans l’affaire de la MNEF, fustige un dispositif « techniquement et juridiquement » intenable… qui protège encore un temps les données des patients… jusqu’au prochain décret ou amendement passé en douce.

Car derrière ce recul momentané, la menace est toujours présente, et de plus en plus clairement exprimée par les parlementaires « socialistes ». Olivier Véran, rapporteur de la Loi Santé, plaide en termes sibyllins pour une « redéfinition du panier de soins », tandis que Pascal Terrasse, député PS de l’Ardèche et spécialiste des affaires sociales, se prononce de manière plus franche pour le transfert de la médecine de ville, « les petits soins » aux assureurs, quand la Sécurité Sociale se concentrerait sur les pathologies lourdes : « Oui, il faut aller vers ce transfert, et y aller à fond… » Quand aux données de santé, que convoitent les assureurs… «  il faut avancer sur l’open data, je le demande au gouvernement ». Pour que les choses soient parfaitement limpides, il assume de manière décomplexée, comme Denis Kessler à droite, l’abandon du pacte fondateur du Conseil National de la Résistance: « Le monde avance, le monde change. Et la Sécurité sociale de 1946 n’était sûrement pas ce que certains prétendent ».

Ce qui se joue ici, c’est une certaine façon d’exercer la médecine. C’est la destruction d’une médecine de l’individu, au profit d’une industrie de santé adossée aux appétits des actionnaires. Il y a deux ans, l’énoncer clairement aurait soulevé l’incompréhension. Mais après deux ans de règne de François Hollande, de reniement en reniement, il est évident que l’homme qui se proclamait ennemi de la finance est en fait son meilleur ami, et que pour passer sous les fourches caudines de la Commission Européenne, il est prêt à brader la santé et le système de protection social français en les livrant aux assureurs et aux financiers pour bien montrer sa capacité de « réformes » antisociales. Financiarisation du secteur santé, perte d’indépendance des professionnels… Hollande, Valls, Macron, Touraine, Moscovici, Cahuzac… Si la finance n’a pas de visage, elle a un gouvernement.