Chronique d'Evariste
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Retour sur Copenhague : un fiasco, mais pas un désastre

par Évariste
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Ça devait être l’apothéose de la fin d’une année 2009 marquée par le sceau de la crise, la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de Copenhague, le plus grand rassemblement de chefs d’États et de gouvernements de l’histoire de l’ONU (119), a été un flop retentissant. Rappelons qu’il s’agissait de permettre de limiter le réchauffement climatique par une réduction des émissions anthropiques des gaz à effet de serre en trouvant un accord contraignant de réduction d’émissions prenant le relais du protocole de Kyoto, qui prend fin en 2012.

Depuis la conférence de Bali en 2007, qui avait fixé les objectifs pour Copenhague, tout semblait avoir été minutieusement préparé, jusqu’au choix même de Copenhague, capitale du Danemark aux jours courts et aux nuits glacées mais aux salons bien chauffés, bref, l’idéal pour espérer décourager tout mouvement social d’envergure.

Notre omniprésident a été pratiquement le seul chef d’État à crier victoire après l’accord minable concocté in-extrémis par les États-Unis-d’Amérique et les pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Afrique du Sud). Mais ce fiasco en a réjoui d’autres, tels les lobbys énergétiques nord-américains et l’OPEP.

Si le résultat de Copenhague est sans aucun doute un fiasco, est-ce pour autant un désastre comme nous l’entendons un peu partout ?

Certainement si on considère qu’il fallait un accord coûte que coûte, ce qui était la position des ONG environnementalistes, sans faire de la remise en cause le système des droits à polluer et de la finance carbone instaurés après Kyoto un objectif.

Certainement pas si on considère qu’un mauvais accord risquait en fait de bloquer tout espoir de pouvoir limiter le réchauffement climatique à 2° et n’aurait fait que gonflé la bulle spéculative du carbone.

Dans la mesure où l’accord obtenu n’en est pas un puisqu’il est vide (limitation à 2° de la hausse de la température moyenne du globe d’ici 2050 mais sans s’engager à réduire les émissions de GES, financement à hauteur de 21 milliards d’€ en 3 ans pour limiter les émissions des pays en voie de développement mais sans préciser d’où viendra l’argent), qu’il n’a été rédigé que par 5 pays, que la plénière finale de la Conférence s’est bornée à en « prendre note », et qu’il a mis fin au Protocole de Kyoto, les pays devront remettre l’ouvrage sur le métier, peut-être dès la prochaine Conférence qui aura lieu à Mexico à la fin de l’année.

Par contre des leçons essentielles doivent être tirées :

  • la défaite des environnentalistes pour qui l’urgence écologique suffit à elle seule à influencer les politiques ;
  • la marginalisation de l’Union Européenne qui n’a pas réussi à peser dans la conférence, insuffisamment soudée et trop sûr d’elle-même ;
  • la suprématie des EUA alors qu’ils n’ont pas ratifié le Protocole de Kyoto et qu’ils arrivaient les mains vides sans que le Congrès ne se soit prononcé ;
  • la confirmation du de l’importance croissante des pays émergents, tout particulièrement la Chine, sur la scène internationale, qui au passage semblent avoir renoncer à toute solidarité avec les pays en voie de développement ;
  • la démonstration que tant que le G2, le G8, le FMI et surtout l’OMC continueront d’imposer leur vision d’une économie uniquement orientée pour le profit d’une minorité en entretenant l’exploitation, la soumission et la misère, aucune rupture, fut-elle au profit de l’humanité toute entière, ne sera possible ;
  • échec pour l’ONU qui montre son incapacité à peser et à mener les débats pour faire aboutir un accord à 194 parties parce que 2 d’entre elles (Les EUA et la Chine) ont décidé de ne rien céder ;
  • affirmation de l’importance (certes relative) et de la pertinence de la position de certains pays en développement hors de tout esprit de compromission diplomatique ou de renonciation quand à l’objectif et en répondant à l’intérêt général de leurs peuples, ce fut le cas des pays de l’ALBA.

Les ONG doivent revoir leur copie. Si l’affaiblissement des environnementalistes pur jus au profit des associations liants les questions écologiques et sociales fut une avancée certaine, les propositions du Klimaforum amènent à tempérer l’enthousiasme : l’arrêt de l’utilisation de toute énergie fossile dans les 30 prochaines années est complètement irréaliste, la « les réparations et les compensations de la dette des des crimes climatiques », c’est à dire un flux financier massif du Nord vers le Sud, ne pose pas la question de l’utilisation démocratique de ces fonds.

Il ressort de ces leçons que le cadre national est bien le plus pertinent pour mener le combat , que ce combat est bien un combat éminemment politique, et que les mouvements sociaux doivent l’intégrer dans le cadre d’une globalisation de leurs combats. L’écologie est une affaire politique et c’est aux peuples de faire savoir à leurs représentants qu’ils attendent d’eux beaucoup plus de courage, d’humanisme et de solidarité qu’ils n’en ont eu à Copenhague.

Lutter contre le néo-libéralisme
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Un pas de plus vers la privatisation de l’enseignement

par Marie Perret
membre du Secrétariat National de l'UFAL
et responsable de son secteur école

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Tribune parue dans l’Humanité du 9 janvier.

Tantôt au grand jour, tantôt à pas feutrés, l’entreprise gouvernementale de privatisation de l’enseignement se poursuit. Au grand jour : le projet de loi de finances prévoit la suppression de 16000 postes dans le secteur public à la rentrée 2010 ; l’accord signé le 18 décembre 2008 entre la République Française et le Saint Siège sur l’enseignement supérieur donne à un État étranger, qui est en même temps une autorité religieuse, le droit de délivrer des diplômes sur le territoire de la République française dans toutes les disciplines, ce qui est ni plus ni moins une façon de transférer aux « universités » catholiques privées une prérogative dont les Universités publiques avaient jusque-là le monopole, celle de la collation des grades ; l’existence des écoles maternelles, véritable « bijou pédagogique » dont la France pouvait se prévaloir, est attaquée à travers la création de simples structures d’accueil privées.

Mais le gouvernement avance aussi à pas plus feutrés : ainsi, en allant consulter le site de l’éducation nationale, on a la surprise d’apprendre que le nombre de postes ouverts aux concours externes de l’enseignement privé (CAFEP-CAPES) va être, cette année, multiplié par deux.

La stratégie est cousue de fil blanc : tandis que le gouvernement organise la pénurie dans le public, il œuvre au renforcement du secteur privé de l’enseignement. Le nombre de postes au CAPES et à l’agrégation externes reste largement inférieur à celui des départs à la retraite. Le nombre de postes proposés par le privé passe, quant à lui, de 569 (pour l’année 2009) à 1260 (pour l’année 2010). Le déséquilibre est particulièrement criant dans certaines disciplines : en philosophie, en lettres modernes ou encore en anglais. Des professeurs plus nombreux dans les établissements privés sous contrat, des classes moins chargées, des élèves mieux encadrés, des options plus diversifiées, voilà qui a de quoi rendre le secteur privé plus attractif. Et l’augmentation du nombre d’élèves scolarisés dans ces établissements pourra justifier, les années à venir, de nouvelles ouvertures de postes. Le gouvernement enclenche ainsi un « cercle vertueux » très profitable à l’enseignement privé.

Les partisans du néolibéralisme peuvent se réjouir, car le gain est double. D’un côté, le secteur privé de l’enseignement se développe, comme le préconisait l’Accord Général sur le Commerce des Services institué en 1994. De l’autre, on « dégraisse le mammouth ». On diminue le nombre de fonctionnaires et on pousse insidieusement les candidats à se tourner vers les concours de l’enseignement privé qui offrent pourtant un statut beaucoup plus précaire puisque ces enseignants n’ont pas la garantie de leur emploi. L’augmentation du nombre de postes proposés fait en effet baisser mécaniquement la barre d’admissibilité.

Les néolibéraux ont beau jeu de défendre la « concurrence libre et non faussée » entre l’enseignement public et l’enseignement privé. Depuis l’instauration de la loi Debré de 1959, ce principe est un mythe. Rappelons que c’est l’Etat qui rémunère les enseignants des établissements privés sous contrat et qui verse une dotation pour les personnels administratifs. Les collectivités locales sont contraintes de participer aux frais de fonctionnement de ces établissements en fonction d’un forfait calculé sur la base du coût moyen d’un élève dans le public. Ces postes ouverts dans le secteur privé sont donc financés par des fonds publics. Il s’agit ni plus ni moins d’un nouveau cadeau consenti par le gouvernement au secteur privé pour une grande part confessionnel. Et d’un pas de plus vers la privatisation de l’enseignement.

La collusion entre l’État et l’enseignement privé est de plus en plus manifeste. Tout se passe comme si la différence entre le secteur privé et le secteur public était vouée à disparaître. Au lieu de garantir un enseignement public de qualité, le gouvernement n’a de cesse d’affaiblir l’institution scolaire et entérine la destruction de l’école républicaine.

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L'émergence d'un marché vraiment libre en matière dentaire?

par Raymond MARI

La fin d’un marché captif pour les soins dentaires ?

On peut sourire lorsqu’une théorie s’applique véritablement et qu’elle prend de court ses promoteurs confrontés aux conséquences de ses applications pratiques, surtout quand elles surgissent dans un contexte sécurisé et donc confortable pour les ayatollahs. On l’a vu récemment sur le plan économique à propos des théories financières ultra libérales, pour lesquelles devant leur débâcle, il a fallu l’intervention de « l’État providence » si décrié. Dans un périmètre beaucoup plus réduit, celui de la dentisterie, on pourrait assister à l’irruption d’un vrai marché dans lequel il n’est pas certain que ni les consommateurs, ni les producteurs y trouvent leur compte.

36 542 dentistes composaient l’offre de soins en 2007 (derniers chiffres disponibles). Un effectif d’une remarquable et même étonnante stabilité, puisqu’à 200 près, le nombre de praticiens était quasiment identique en 1995.

Dans cette population, il convient de distinguer les spécialistes en orthopédie dento-faciale qui comptaient 1862 praticiens en 2007. Cette spécialité connaît en revanche un regain d’intérêt puisqu’elle a progressé de 35% depuis 1995.

La répartition des dentistes sur le territoire offre à peu près les mêmes caractéristiques que celle des médecins : une densité beaucoup plus importante dans le sud de la France, faible dans le centre et au nord, très forte à Paris (quatre fois plus que dans l’Orne ou dans la Seine Saint Denis).

Paris se signale également par le nombre de praticiens qui n’ont pas adhéré à la convention. Sur les 112 qui ont décidé de ne pas exercer sous régime conventionnel au plan national, 92 sont installés à Paris

La couverture dérisoire des frais dentaires

Huit milliard d’euros, un peu plus, c’est ce que les chirurgiens dentistes ont facturé, en tout cas, reporté sur les feuilles de soins de leurs patients en 2007 (derniers chiffres disponibles selon la Caisse Nationale d’Assurance Maladie).

Mais seuls un peu moins de quatre milliards ont été pris en compte pour le remboursement des soins dentaires, la différence (49%) est, soit remboursée par les assurances complémentaires (partiellement), soit reste à la charge des ménages.

Ces quatre milliards de dépassements par rapport aux tarifs de remboursement de la Sécu, sont essentiellement constitués par les prothèses. Les soins sont assez bien couverts, mais l’appareillage prothétique ne semble pas avoir la considération d’une prestation sanitaire. Sa prise en charge est dérisoire et les prix, non encadrés, ont évolués dans le contexte d’un marché libre où le consommateur n’a guère la possibilité d’imposer une certaine mesure.

Phénomène bien connu chez les médecins, plus la densité des professionnels est forte, plus les dépassements tarifaires sont importants. Il en est de même pour les dentistes puisque la différence entre le prix payé par le malade et la base du remboursement de la sécu est d’un peu moins de 48% en France métropolitaine, mais de 61% à Paris. En orthopédie dento faciale, le pourcentage de dépassement est de 60% en France, mais de 75% à Paris.

Le droit à la santé dentaire largement méprisé

A propos d’une bonne couverture des soins, encore faut-il émettre des réserves, car un certain nombre d’entre eux ne bénéficient d’aucune prise en charge par la Sécu. Pour ne prendre qu’un exemple, la parodontologie, chirurgie des tissus de soutien qui relient la dent au maxillaire et qui est en mesure de traiter une affection qui atteindrait la moitié de la population à partir d’un certain âge, est totalement méprisée alors qu’elle éviterait la perte des dents et les pathologies consécutives (infections, etc…).

Le désintérêt de l’État pour la santé dentaire a de multiples et néfastes incidences : confrontés à des tarifs prohibitifs, nos concitoyens renoncent aux soins et, surtout, aux appareillages. D’après l’Assurance maladie qui procède à des contrôles, la qualité des soins serait sujette à caution, le taux des anomalies pour les traitements proprement dits et pour les prothèses atteindrait des proportions inquiétantes.

En ce qui concerne le prix des prothèses, on dérive depuis longtemps dans l’irrationnel. Devant une clientèle « captive » (peu de patients sont en mesure de résister aux exigences du praticien) et en l’absence d’un encadrement tarifaire, les prix prothétiques ont perdu toute relation avec la valeur réelle d’un appareil.

En prenant l’exemple d’une couronne céramo-metallique que le prothésiste facture au dentiste entre 100 et 150 Euros au grand maximum, la « douloureuse » pour le patient peut aller jusqu’à 1000 Euros dans les cabinets parisiens huppés. Un complet haut et bas fabriqué pour environ 500 euros chez le prothésiste peut entraîner une dépense de 5000 Euros chez le dentiste.

Pour mémoire, on situera la base du remboursement de l’Assurance maladie pour une couronne à 75 euros !

L’apparition d’une réelle concurrence dans un univers sécurisé

Mais cette différence entre le prix de fabrication par un prothésiste français et la facture présentée au client par le dentiste peut s’avérer encore plus importante. En effet, depuis quelques années, la « mondialisation » sévit dans le domaine prothétique et tous les pays « émergents » s’y mettent. Aujourd’hui, environ 30% des appareils seraient importés de l’étranger. Pour une couronne fabriquée dans les pays asiatiques, le prix d’achat par le dentiste varierait entre 30 et 70 euros et cela ne semble avoir aucune incidence sur le coût facturé au patient (voir ci-dessus).

Dans la mesure où le traitement des dents qui précède l’appareillage est facturé à part (et relativement bien remboursé), même s’il faut compter les frais d’investissement du matériel et les coûts annexes de la gestion d’un cabinet, les bénéfices des chirurgiens dentistes sont conséquents.

D’ailleurs le chiffre d’affaire d’un praticien dentaire est largement supérieur à celui d’un médecin omnipraticien et à peu près identique à celui de l’ensemble des médecins spécialisés. Quant à celui des spécialistes en orthopédie dento faciale, il dépasse de 82% les recettes du dentiste généraliste. Pour neutraliser la charge des frais professionnels et en examinant les « performances » des différentes professions libérales au niveau du revenu d’activité, on constate que le revenu des dentistes est supérieur à celui de l’ensemble des médecins et n’est dépassé, assez largement d’ailleurs, que par les notaires.

Depuis longtemps, les relations entre les dentistes et les prothésistes sont tendues, ces derniers organisés majoritairement en petites entreprises concurrentielles étant fortement subordonnés à leurs donneurs d’ordre. Le titre récent (septembre 2009) d’une publication de l’UNPD, syndicat des prothésistes est éloquent : « Après 25 ans de lutte les sages ont tranchés ».

La transparence des prix, véritable révolution

La lutte dont il s’agit concerne la transparence des tarifs pour laquelle les prothésistes se battent contre la corporation des dentistes afin que les bénéfices des appareils qu’ils fabriquent avec des techniques et des matériels élaborés soient mieux répartis.

Ce cri de victoire concerne une disposition de la loi HPST du 21 juillet 2009 qui provoque une véritable révolution dans l’univers dentaire. Cette disposition qui concerne tous les types de prothèses, impose aux praticiens de répondre à la demande du patient en lui indiquant par écrit et ce, gratuitement, le coût de l’acte et les conditions de son remboursement en dissociant le prix d’achat de chaque élément de l’appareillage proposé, le prix de toutes les prestations associées, ainsi qu’une copie de la déclaration du dispositif médical.

En clair, cela entraîne une parfaire transparence des composants du coût final : le prix de la fabrication par le prothésiste et celui que prétend faire payer le dentiste au client. En outre, la traçabilité du produit est assurée ce qui permet d’identifier la provenance d’une prothèse et d’éliminer éventuellement un appareil inspirant quelques inquiétudes, justifiées ou non.

Révolution ! Le mot est faible. A bien des égards.

On est tout d’abord extrêmement surpris de la survenance d’une mesure de ce type, dans le contexte historique de démission des pouvoirs publics en ce qui concerne la santé dentaire. Encore plus aujourd’hui avec un gouvernement qui n’a de cesse de dégrader la protection sociale et alors que plusieurs déclarations de responsables politiques n’ont pas caché la volonté de voir passer la totalité des soins dentaires dans le giron des assurances complémentaires.

Le processus de constitution de la règle est ensuite pour le moins original. C’est le Sénat qui a présenté l’amendement et l’a adopté après une farouche résistance de Mme Roselyne Bachelot qui a en vain tenté de remplacer le terme « prix d’achat » de la prothèse par « prix de revente », ce qui, évidemment, excluait toute possibilité d’identifier les bénéfices considérables que les dentistes s’arrogent.

Une remise en cause de tous les acteurs, consommateurs et producteurs

Révolution bien entendu chez les deux protagonistes de l’art dentaire, « la fin du chemin de croix des prothésistes » comme le titre dans son journal l’UNPD, véritable défi des prothésistes vis-à-vis des chirurgiens dentistes, mais également au regard d’une concurrence des prothèses à prix cassés venues de l’étranger et jugée déloyale.

Une corporation des chirurgiens dentistes très influente et bardée d’une invincibilité historique qui usera de tous les moyens pour échapper à ce qu’elle considère comme une agression. Leurs syndicats ont déjà annoncé qu’ils mettraient tout en œuvre pour s’opposer à cette obligation. Ils prétendaient par exemple que la loi ne serait applicable qu’avec la parution des décrets d’application. Or, le ministère a affirmé aux prothésistes qu’il n’y aurait pas de décret et que la mesure entrait immédiatement en vigueur.

La superbe de cette profession, n’est-elle pas déjà quelque peu archaïque, dans la mesure où la migration des clients vers les ex pays de l’Est par exemple semble s’accentuer ? On sait notamment qu’une véritable organisation permet d’être appareillé dans ces pays d’implants dentaires, totalement ignorés par la Sécu et, de ce fait, financièrement inaccessibles pour le commun des mortels, à moitié prix.

Mais pour les patients, ne s’agit-il pas également d’une véritable révolution ? Comment se libérer de la subordination qui s’établit entre un patient et celui qui tient sa santé entre ses mains, qu’il soit médecin ou dentiste ? Il faudra avoir le courage d’exiger le document portant toutes les informations nécessaires au choix, éventuellement vérifier la véracité des informations auprès du prothésiste et décider de se confier au mieux disant.

Il paraît évident que les principaux acteurs de la protection sociale, pouvoirs publics, Assurance maladie, régimes complémentaires, devront agir sur le plan de l’information et des contrôles pour que la transparence souhaitée par les élus devienne effective.

La transparence ne résoudra pas tout dans le domaine dentaire. C’est une totale refonte qui est indispensable pour concevoir une réponse sanitaire et sociale prenant en compte l’ensemble des thérapeutiques nécessaires à la santé des citoyens, leur dentition devant être considérée comme étant aussi importante que les autres fonctions.

Politique française
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Le jospinisme, la maladie gériatrique du socialisme

par Gaël Brustier
Chercheur en science politique

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D’aucuns reprocheront à Lionel Jospin de tenir le même discours depuis 2002. Ils auront tort. Lionel Jospin n’a pas changé depuis 1983 ! Metteur en scène de l’autocritique de sa propre défaite en 2002, il offre aux Français le seul regard qui lui semble légitime : le sien. Dans cette Église qu’est le PS, l’abbé Jospin, las d’en avoir été le principal docteur de la foi, souhaite depuis sept ans revêtir les habits du martyr. Son bilan était bon, c’est sa « perception » par les Français qui ne l’était pas. De l’inconvénient de gouverner la France, ce pays d’impies !

Rien de neuf en réalité, car l’enthousiasme pincé du camarade Jospin pour son « bon bilan » de 2002 fait irrésistiblement penser à celui manifesté à la tribune du Congrès de Bourg-en-Bresse en 1983. A l’époque, théoricien de la « parenthèse libérale », le Premier Secrétaire, empressé qu’il était de justifier le tournant libéral de l’action gouvernementale, concluait les débat en exigeant de ses camarades, « un Parti plus unanime pour l’appuyer ».

A partir de 1983, le PS devenait un parti « campé aux côtés du gouvernement », c’est-à-dire faisant siennes les contraintes qui pesaient sur l’action gouvernementale et cessant de facto d’exercer les fonctions d’un parti socialiste. Le PS, arrivé au pouvoir, voyait ses cadres se lover dans l’appareil d’Etat et bientôt ses anciens experts et ses hauts-fonctionnaires se ruer dans le secteur privé. La réussite sociale d’une génération remplaçait l’accomplissement du socialisme en France.

Pour agrémenter « idéologiquement » le quotidien, le PS se dotait de fausses consciences chargées de se substituer à l’idéal socialiste et à la « rupture avec le capitalisme » : « Europe sociale » et « antiracisme » devenaient les vasodilatateurs d’un Parti à l’encéphalogramme plat chargés de donner brièvement l’illusion de la maîtrise des choses alors que les « vents dominants » l’emportaient vers les rives du Potomac et l’Amérique reaganienne.

« Rien n’a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste ! »

Dans l’histoire du socialisme français, le jospinisme n’est pas un épiphénomène ou une incongruité historique, il est autant le produit des contraintes qui ont réellement pesé sur l’action des socialistes en 1983 que cette absence de volonté des socialistes que l’on pourrait définir comme le souhait de ne point penser le monde de peur que la raison ébranle ce à quoi ils sont souvent le plus attachés : le raisonnable. En conséquence, rien n’a changé en vingt-sept ans au Parti Socialiste !

Pas une idée neuve, pas une analyse novatrice, pas un poste électif qui n’ait échappé à l’appétit prédateur d’une caste qui s’est peu à peu substituée aux militants. Pour penser, aujourd’hui, le socialisme, on doit se réfugier en dehors du Parti Socialiste, voilà la conclusion – à notre sens erronée - de beaucoup. Lucile Schmid, vice-présidente démissionnaire du Laboratoire des idées socialiste, a rappelé récemment qu’on a opposé à sa candidature aux élections régionales le fait qu’elle serait une « intellectuelle ». Triste bilan !

Ce qui manque à la Gauche, au PS comme à ses « alliés », c’est la volonté de quitter enfin les années 1980 et de faire un retour vers le présent sinon vers le futur. Période de réussites individuelles hors du commun, ces années ont aussi été celles d’une glaciation idéologique de la social-démocratie et de la gauche française dans son ensemble et de l’emprise croissante d’une caste social-libérale sur le destin de la gauche.

Aujourd’hui, penser la globalisation financière, la nouvelle géopolitique mondiale et la géographie sociale française, c’est penser les fameuses contraintes que le PS met si peu d’énergie à vouloir desserrer. Pour bâtir un projet progressiste face aux droites européennes, nous devons penser l’alliance de l’idéal égalitaire et de la protection de la planète. Voilà des pistes pour sortir le camp progressiste de l’ornière. Cela passe aussi par un réveil militant !

Nous n’avions pas cinq ans au moment du Congrès de Bourg-en-Bresse de 1983, pourtant l’histoire nous a enseigné que, comme après 1920, comme après 1945, comme après 1969, la « vieille maison » pouvait être un des lieux d’élaboration d’une alternative politique et sociale. Il est temps qu’après les Français en 2002, les socialistes remercient définitivement cette fois le camarade Jospin. Aidons-les !

Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin sont membres du Parti Socialiste, auteurs de Recherche le peuple désespérément, Bourin Editeur, 2009. Mickaël Vallet est Maire (PS) de Marennes (17).

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Comment j'ai perdu mon identité nationale

par Michka Assayas

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Vos parents sont nés à l’étranger ? Prouvez qu’ils sont français !

Nicolas Sarkozy écrit que « le sentiment de perdre son identité peut être une cause de souffrance profonde »1 . Il ne croit pas si bien dire. L’histoire que j’ai vécue n’a rien d’exceptionnel. Depuis environ quatre ans, elle a touché des dizaines de milliers de nos concitoyens.
Le mécanisme est simple. Vous êtes français de naissance. Votre passeport délivré avant 2005 arrive à échéance, vous l’avez perdu, abîmé ou encore vous vous l’êtes fait dérober. Muni du titre d’identité périmé ou de la déclaration de perte, vous allez à la mairie ou à l’antenne de police de votre arrondissement. Vous remplissez un formulaire. Il vous faut indiquer l’état civil et le lieu de naissance de vos deux parents. Un fonctionnaire vérifie qu’ils sont bien nés en France. Si c’est le cas, il applique la procédure susceptible de vous faire obtenir, après vérifications, un nouveau passeport dit « sécurisé ». Dans le cas contraire, il la bloque.

Il y est obligé par le décret n° 2005-1726 relatif aux passeports : vous avez beau être français, né en France, y avoir toujours vécu, travaillé et voté, vous y être marié, y avoir eu des enfants, avoir régulièrement reçu des papiers d’identité, cela ne vous autorise en rien à obtenir un nouveau titre « sécurisé ». Si l’un de vos deux parents au moins est né à l’étranger, une nouvelle contrainte vous incombe : fournir la preuve qu’il est (ou était) bien français.

Mais ne croyez pas que, si vos parents se sont mariés en France, qu’on leur y a délivré un livret de famille et des cartes d’identité, cela suffise. Selon les nouvelles règles, cela ne préjuge en rien de leur nationalité ni, à plus forte raison, de la vôtre. Peut-être les administrations anciennes ont-elles fait une erreur… Il vous appartient donc de produire un acte d’état civil établissant la source de leur nationalité. Sinon, vous n’obtiendrez pas de « certificat de nationalité française », le seul acte permettant la délivrance d’un titre d’identité « sécurisé ».

Telle est la situation faite aux Français dont un parent est né à l’étranger : on les met en demeure de prouver par leurs propres moyens que l’administration française ne s’est pas trompée en conférant la nationalité française à ce parent. Sinon, interdit de quitter le pays. Et ce, en vertu du décret d’application d’une loi que le gouvernement Villepin, dont Nicolas Sarkozy était le ministre de l’intérieur, a fait voter en 2005 par l’Assemblée nationale. Une loi grâce à laquelle les responsables de l’administration ont enfin la possibilité de remettre droit ce que leurs prédécesseurs, depuis un siècle, voire plus, avaient laissé tordu.
Je ne vais pas m’étendre sur mon cas. Du côté de mon père, ma famille est française depuis Bonaparte. Ma mère était une réfugiée hongroise originaire de Szolnok, petite ville dont le grand-père paternel de Nicolas Sarkozy, fut l’adjoint au maire. On m’a envoyé au « pôle de la nationalité française ». Une employée m’a demandé, sans rire : « Comment êtes-vous français, monsieur ? » J’ai failli répondre : « Comme vous. » Elle sous-entendait : « Par naissance ou par acquisition ? », mais l’effet est néanmoins étrange. Renvoyé à la préfecture de police de Paris, j’ai produit mon acte de naissance établissant que j’étais né à Paris. Une employée l’a examiné et me l’a rendu en me disant : « Il y a rien, là-dedans… »

Mon cas était urgent. France Musique, pour qui je produis une émission, avait prévu de m’envoyer à Berlin. Avec une carte d’identité périmée et un passeport égaré, impossible de partir. J’ai prévenu ma direction. Le service de presse de la radio a pris pour moi un rendez-vous d’urgence à la préfecture de police. Le jour et l’heure dits, j’ai apporté tous les papiers que j’ai pu. Le résultat fut mitigé : on m’accorda un passeport d’urgence, valable pour un an seulement. Ce document provisoire ne peut me permettre, notamment, de me rendre aux Etats-Unis sans visa. Le responsable de la préfecture m’informa qu’on m’accordait ce document à titre exceptionnel, qu’on le ferait une fois, mais pas deux, et que j’avais intérêt à réunir au plus vite les bons papiers pour récupérer un passeport normal. Ce qu’à l’heure actuelle je suis dans l’impossibilité d’obtenir.

Mon cas est loin d’être le pire. Des dizaines de milliers de Français ont été mis en demeure de prouver qu’ils étaient français. Des témoignages comme le mien abondent depuis deux ans dans les journaux ou sur Internet : retraitées de l’éducation nationale à qui l’on interdit de rendre visite à des frères et soeurs malades à l’étranger, militaires risquant leur vie pour la France, dont les parents ont eu la mauvaise idée de naître en garnison à l’étranger, considérés comme apatrides, employés d’entreprise que l’on empêche de partir pour l’étranger où un travail les appelle, étudiants qui ne peuvent se présenter à des examens, avocats qui ne peuvent prêter serment. A tous, tous les jours, on refuse des papiers. On leur interdit de circuler, de travailler, en un mot de vivre, comme tous les Français. Certains voient leur situation débloquée au bout de six mois ou un an, d’autres jamais.

Face à une telle situation, on peut rire ou se mettre en rage. On peut s’exclamer : « C’est Gogol ! » (ou Courteline, ou Kafka), on peut hausser les épaules et dire : voilà bien l’administration française et sa mécanique baroque, qui produit de l’absurdité au nom de l’application scrupuleuse de règles strictes. Ce n’est pas mon point de vue. Une telle situation est inacceptable. Elle résulte de l’application neutre d’une loi qui elle aussi se veut neutre. C’est bien le pire. Car, en fait et en droit, cette loi n’a rien de neutre. Elle est moralement, politiquement et juridiquement inadmissible.

Je ne suis pas juriste. Cela ne m’empêche pas de savoir lire le code civil : selon son article 2, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Or l’application de cette loi, dont le décret n° 2005-1726 est l’expression, est, de fait, rétroactive. Vous êtes né français, vous l’avez toujours été et, un jour, crac : un service administratif vous notifie que vous ne l’êtes plus, et que, donc, vous l’avez été à tort, et vos parents aussi. Alors que vous n’avez commis aucun crime ou délit. Ce n’est peut-être pas l’esprit de la loi, mais c’est un effet mécanique de son application. Ce déni d’un principe ancestral du droit français ne semble pas troubler certains fonctionnaires. Jointe au téléphone par une juriste s’occupant de mon cas, une personne responsable au « pôle de la nationalité française » n’a pas hésité à déclarer qu’ « on a accordé un peu trop facilement la nationalité française ces dernières décennies ».

Quant à l’effet politique de cette loi, comment ne pas voir qu’il est destructeur ? Attendant mon tour à la préfecture, j’ai eu le loisir de parler avec mon voisin, français comme moi. Cet homme d’une trentaine d’années, né d’un père marocain, avait eu le malheur de renverser du café sur son passeport, qui ne passait plus au scanner des contrôles aux aéroports. Il revenait pour la troisième fois à la préfecture. Quand ce fut son tour, le ton monta vite entre lui et l’employée : « Non, monsieur, ce n’est pas à cause de votre nom, c’est la même chose pour tous les Français ! », se mit à crier celle-ci. L’homme dut repartir bredouille, abasourdi.

Comment ne pas voir que l’application mécanique de cette loi, dans les faits, remet en cause, chez certains, leur appartenance à la nation dans ce que celle-ci a de plus viscéral ? Comment ne pas voir qu’elle a pour effet de créer une discrimination artificielle entre des Français qui seraient de première catégorie, à deux parents nés en France, et d’autres de seconde catégorie, qui se trouvent frappés de suspicion, et auxquels il appartient d’apporter la preuve qu’ils sont bien français ? En droit pénal, il existe une présomption d’innocence. Pourquoi, en droit civil, existe-t-il depuis 2005 une présomption d’usurpation de nationalité envers certains Français ? Si l’Etat conteste votre nationalité, c’est à lui d’apporter la preuve qu’il s’est trompé en vous la décernant, et non l’inverse.

Dernière question : la loi de 2005 prévoit des exceptions. C’est ce qu’on appelle « la preuve par la possession d’état de Français ». En clair, s’il est avéré que votre père ou votre mère ont été français « de façon constante », la loi permet à l’administration de vous délivrer, à titre exceptionnel, un titre d’identité « sécurisé ». Interrogé par des députés de l’opposition comme de la majorité sur cette question, le ministère de l’intérieur semble encourager ces exceptions et des circulaires rappellent aux fonctionnaires qu’ils peuvent user d’un droit d’appréciation personnel et faire preuve de souplesse et de compréhension.
Dans les faits, les administrations n’appliquent pas ces recommandations. Elles se montrent d’une rigidité inflexible. Cela mène à une impasse injustifiable. Que cette impasse résulte de la répugnance de tout fonctionnaire à prendre une décision qui le singularise et risque de créer des remous n’est en rien une circonstance atténuante. Je la trouve même aggravante.

Pourquoi ce double langage hypocrite ? Je n’ai pas la réponse. Mais je ne peux tolérer de vivre dans un pays où l’on pratique, vis-à-vis d’une certaine catégorie de citoyens, arbitrairement désignée, une forme de suspicion. Dans les faits, cela équivaut à une forme inédite de ségrégation. Il ne reste donc qu’une solution : faire amender cette loi. Je ne peux pas croire qu’un seul des députés et sénateurs, de tous bords politiques, qui ont voté ce texte ait souhaité instaurer une situation aussi inique au seul nom de la « sécurisation » des passeports. Je ne doute pas qu’ils auront à cœur de la corriger.

  1.   Le Monde du 9 décembre []
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Identité nationale : une confusion et une division du citoyen

par Yamina BENCHENNI
Présidente de l’association des Femmes Méditerranéennes en Action

Faut-il participer au débat sur « l’identité nationale » ? Certains mouvements ou partis politiques préfèrent ne pas rentrer dans ce sujet en pensant que cela n’est qu’une stratégie du gouvernement actuel pour faire oublier aux français les vrais problèmes de l’emploi, de la précarité, de l’éducation, du logement et d’autres problèmes que je rencontre également dans le cadre de mon travail et de citoyenne. Je les comprends, tant il ne fait de doute pour personne que l’initiative de Sarkozy est cousue de fil blanc, d’où les appels à la boycotter. En même temps, nous français « d’origines diverses » sommes nombreux à vouloir en profiter pour crier notre colère. Nous sommes tous Français dans nos différences, mais certains ne sont pas respectés, pourquoi ? C’est la seule bonne question et elle n’est pas posée.

La peur, l’ignorance et la manipulation sont des armes dangereuses qui peuvent renforcer le communautarisme. Or certains d’entre nous en sommes, à la cinquième génération issue de l’immigration d’Afrique du Nord et nous devons toujours justifier notre appartenance à une même nation. De plus tout se mélange, volontairement, bonnes et fausses questions pour former une bombe à retardement : immigration clandestine ou pas, musulman et intégriste, port du foulard et niqab, insécurité et jeunes des quartiers, violence conjugales et émancipations de la femme issues de l’immigration, etc.

Qui est Français ? Dans cette question se camoufle implicitement la question : qui n’est pas Français? Je suis moi-même marseillaise. Mon père ancien combattant de 1945 s’est battu contre les Allemands pour libérer les Calanques de Marseille. Ma mère a perdu quatre membres de sa famille des moudjahiddines durant la guerre d’Algérie. Je suis née en France et je suis une enfant qui a une mémoire de la colonisation et de la révolution algérienne. Mon père disait souvent des hommes qui ne faisaient pas le bon choix pour défendre la nation (mère patrie) : « le sale boulot est réservé au traître, une manière de le sanctionner pour se rappeler qui il est ». Je pense inévitablement à un certain ministre…

Celles et ceux qui veulent être rassurés par cette fausse question, par un faux ministère et un ministre qui a changé de couleur savent au fond d’eux que le problème est complexe.

L’identité est une notion complexe et contradictoire. Claude Levi-Strauss écrivait pour un séminaire au Collège de France en 1979 : « L’identité est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de se référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle ». La notion se situe au carrefour de différents champs disciplinaires : droit, histoire, anthropologie, sociologie, culture et psychanalyse.

Les théoriciens actuels de l’identité ont intégré cette vision dynamique et dialectique en préférant évoquer des processus identitaires plutôt qu’une entité qui évoque la stabilité et la permanence. Non, l’identité n’est pas une histoire de connaissance sur nos ancêtres les gaulois que j’ai appris à l’école primaire il y a de cela 40 ans. Ce n’est pas qu’une chanson marseillaise, ou la coupe du monde, ou le port du drapeau national. Tous ces éléments matériels font partie de l’appartenance à une nation mais ne constituent pas forcément l’identité.

Dans ma ville, la Préfecture traduit « l’identité nationale » comme une somme d’actions matérialisées et donc détachées de toute réflexion, ce qui signifie que le fait d’agir suffit à lui seul ! L’exclusion des militants issus du tissu associatif et des habitants aurait pu contribuer à enrichir ce débat dans sa complexité. Ce sujet ne peut se concevoir sans la participation des citoyens sous peine de perdre tout sens. Une insulte à notre intelligence et à tout ce que nous avons appris dans cette douce France, laquelle, j’en conviens devient parfois amère.

Je suis française et pas fière de ce qui se passe. Je suis française, je rêve, je pense en français et je traduis mes pensées à ma mère en arabe avec parfois des mots français, cela n’autorise personne à suspecter mon identité ou le fait que je sois une menace pour l’identité nationale. A vouloir définir l’identité et à la matérialiser j’ai l’impression que nous faisons un bon en arrière de 60 ans. Mes ancêtres étaient des indigènes français en Algérie.

Est-il si compliqué de marquer à la fois l’appartenance à la France sans oublier notre origine qui a permis de construire notre identité singulière ?

Nous étions français depuis 1832 et puis nous sommes devenus français par la réintégration dans la nationalité française, par le droit du sol, par l’engagement dans l’armée française. Mais nous n’étions pas français quand mon père combattait l’occupation allemande et le nazisme. Il n’a jamais eu le droit de vote, n’a jamais eu une indemnité juste comme ses collègues de nationalité française. On est français quand les autres décident qu’on peut l’être, on n’est pas français quand les autres décident qu’on ne doit pas l’être.

Aujourd’hui, plus qu’hier, nous devons encore être « français par justifications », mais jusqu’où devons nous aller dans cette quête pour le montrer ? A qui et pourquoi ?

Je pense qu’il faut ainsi séparer la question de l’identité de la question de la Nation : pour éviter les confusions permettant à l’extrême droite de continuer à faire peur aux français et de développer une haine qui est propagée comme un virus des deux côtés. Je pense que ce ministère de la Confusion nationale devrait disparaître au profit du ministère de la Cohésion sociale. En effet, les problèmes que traverse notre société trouveront alors une solution politique dans une véritable politique publique dans le respect des droits des minorités visibles.

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Ripostes « laïques » ?

par Nadia Geertz

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Dans […] Riposte laïque figure un article qui ironise sur l’aveuglement de ces naïfs qui pensent que l’islam est compatible avec la démocratie. Le nouveau Parti populaire, quant à lui, fait figurer l’interdiction des signes religieux à la rubrique « immigration ». Soit. Chacun est libre, en démocratie, de défendre ses idées, pour absurdes ou populistes qu’elles (me) paraissent parfois. Mais qu’on ne vienne pas invoquer la laïcité à la rescousse.

Riposte laïque m’a souvent inquiétée par sa tendance à s’acharner sur l’islam. Un islam qu’il ne juge pas utile de distinguer de l’islamisme, dès lors que pour lui, c’est visiblement du pareil au même. De la burqa aux minarets, en passant par le voile en rue ou le ramadan, la réponse de RL est dès lors d’une simplicité confondante : c’est « niet ». Le tout avec des accents alarmistes de France assiégée, contrainte de défendre d’urgence son identité, qui lui font considérer Caroline Fourest, Mohamed Sifaoui, Leila Babès ou encore moi-même comme de dangereux et naïfs islamophiles…

Sans être le moins du monde angélique envers les religions en général et l’islam en particulier, je m’interroge cependant sur les motivations de ceux qui tentent d’accréditer l’idée que l’islamisme n’est pas la maladie de l’islam, mais sa nature même. Pensent-ils sérieusement qu’à la lecture de leurs écrits, les musulmans d’Europe et d’ailleurs se détourneront massivement de leur religion, se frappant le front et s’écriant « Bon sang mais c’est bien sûr ! Dans quoi suis-je allé me fourrer ?! ».

L’athéisme a toute ma sympathie, ainsi que l’anticléricalisme et la critique, fût-elle au vitriol, de la religion. Mais autant je trouve parfois jouissif de lire un petit pamphlet bien mordant villipendant le religieux (je viens ainsi de lire « L’impasse islamique » de Hamid Zanaz), autant j’estime ce discours d’une part globalement improductif – car on ne transforme par les gens en « athées sur ordre du Mufti » -, et d’autre part très éloigné du discours laïque.

La laïcité est à mes yeux un principe politique qui permet à des êtres humains de convictions religieuses différentes de vivre ensemble pacifiquement, en instituant une séparation nette entre ce qui ressort du domaine de la loi et ce qui ressort du domaine de la foi. Autrement dit, la laïcité se fiche des convictions religieuses des gens, tant qu’elle reste du domaine privé. Et elle n’a donc pas, au nom d’une prétendue « riposte laïque », à se transformer en exégète du texte sacré des uns et des autres pour exclure par principe une religion, au motif qu’elle serait incompatible avec la laïcité. Pour le dire en bref, que les croyants se débrouillent pour concilier leurs croyances religieuses avec l’Etat de droit : c’est tout ce qu’on leur demande.

Le Parti populaire, quant à lui, prévoit l’interdiction de tout signe religieux ostensible dans l’exercice d’une fonction publique, ce qui me paraît certes une excellente manière de dissocier activement le politique du religieux, et donc d’appliquer le principe de laïcité. Mais il y a un mais… En effet, c’est à la rubrique « immigration » que figure cette proposition. Parce que, comme chacun sait, il n’y a que les immigrés qui arborent des signes religieux ostensibles…

À ceux qui ne verraient pas immédiatement l’absurdité d’un tel amalgame, je rappelle qu’un tiers des femmes portant la burqa en France sont des converties. Nullement immigrées, ni même filles ou petites-filles d’immigrés. Que Jean-François (Abdullah) Bastin, chef de file du parti des musulmans de Belgique, au look passablement intégriste, est un Belge converti. Qu’Isabelle Praile, représentante voilée de l’exécutif musulman de Belgique, n’a rien d’une immigrée. Sans même mentionner ici les adeptes, moins fréquents il est vrai, de la grande croix sur le torse ou de la kippa. Tous ceux-là seraient bien étonnés qu’on leur dise que c’est en tant qu’immigrés qu’ils ont à ôter ces vilains signes ostentatoires, car « Tout nouvel immigrant, comme tout habitant du pays, se soumet aux lois et s’efforce d’accepter et respecter les mœurs pratiquées en Belgique ».

Il semble décidément que, tant en France qu’en Belgique, certains se plaisent aux confusions, amalgames et autres raccourcis. Et que beaucoup, hélas, n’y voient rien à redire, trop contents qu’on critique enfin l’islam(isme) que d’autres refusent obstinément de « stigmatiser », même en appelant un chat un chat, et un intégriste un intégriste.

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Note : J’ai envoyé ce jour à Riposte laïque le mail suivant :

« Dans votre dernière livraison, Elisseievna1 on découvre que pour elle, l’islam et le nazisme, c’est kif-kif , et que « quasiment toutes, je dis bien toutes, les organisations qui s’affichent aujourd’hui de l’anti-racisme, du féminisme, de la lutte contre les discriminations, sont aujourd’hui les instruments de la loi islamique et du racisme anti-blanc alliés, et sont aux mains, soit des militants de l’islam, soit de leurs idiots utiles. » )) ridiculise en le caricaturant grossièrement mon point de vue, énoncé dans un article récent (http://nadiageerts.over-blog.com/article-35749388.html) sur la compatibilité entre islam et démocratie. Ce que j’y dis est pourtant simple à comprendre: dès lors que tous les textes religieux contiennent des horreurs, l’esprit des Lumières consiste donc à lire le texte religieux à la lumière de la raison, pour contextualiser ce qui doit l’être, voire entreprendre une démarche d’historicisation dudit texte. Cela implique d’accepter que tout ce qui est écrit, en l’occurrence dans le Coran, n’est pas nécessairement exact ni universellement valable.

Mais soit… Cet article ne rompt hélas guère avec une tradition de RL qui consiste à refuser d’accorder la moindre chance à un islam des Lumières. La ligne éditoriale, clairement, consiste à récuser la distinction entre islam et islamisme, sans voir (et c’est ce que j’essaie de montrer dans l’article que vous ridiculisez) qu’ainsi, vous ne laissez guère le choix aux musulmans de France et d’ailleurs: endosser le rôle de “mauvais” nécessairement islamistes quoi qu’ils en disent, ou sortir de leur religion. A ce demander si le but que vous poursuivez est vraiment la laïcité, qui, à mon sens, s’accommode très bien de la croyance religieuse, quelle qu’elle soit, pour peu qu’elle accepte d’être privatisée, et en aucun cas politisée.

A coup sûr, ce n’est pas un mieux vivre ensemble que vous préparez avec de tels articles, mais une radicalisation réciproque.

Un mot pour conclure: je suis, à vous lire, “défenseuse des droits des femmes et lesbiennes s’il vous plait, le summum de l’avancée idéologique sans doute”. J’avoue ma perplexité: je suis certes une défenseuse des droits des femmes, mais je n’ai jamais défendu spécifiquement les lesbiennes, dont la “cause” m’est ni plus ni moins sympathique que celle des homosexuels mâles. »

La réponse vaut son pesant d’or :

« Caroline Fourest va vous gronder, si elle apprend que vous écrivez à un site d’extrême droite, adepte du choc des civilisations, qui a pactisé avec les intégristes catholiques. Vous vivez dangereusement, Nadia.

Pardonnez cette petite provocation de début d’année, et acceptez mes meilleurs vœux.

Cordialement, Cyrano »

Il va sans dire, comme je le leur ai immédiatement fait savoir, que « Je n’attendais pas d’excuses, mais une publication dans votre prochain numéro. Et une réponse sur le fond. »

  1. Apparemment, il s’agit d’une royaliste, militante de De Villers. Sur son blog (( http://elisseievna.blogspot.com/2009/11/ce-que-je-crois.html []
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Benjamin Stora : « L’islam, c’est aussi la France »

par Nouvel Obs

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Entretien avec Benjamin Stora
Le Nouvel Observateur Nº2354, 17 décembre 2009

Nouvel Observateur : Dans ses discours, le gouvernement tend à parler de l’islam comme d’une religion nouvellement implantée en France. Quelle est la réalité des faits ?
Benjamin Stora : Soyons sérieux, l’islam a été la deuxième religion de France dès que l’Algérie est devenue française en 1830 ! Ensuite, la présence importante des musulmans en France date tout de même de 1920. La Grande Mosquée de Paris est édifiée en 1926, l’hôpital franco-musulman de Bobigny en 1935, le premier carré musulman en 1937. Ils étaient alors 100 000 sur le territoire, principalement des immigrés. Mais on ne les appelait pas des Algériens ni des musulmans, d’ailleurs on ne les appelait pas. Ils n’étaient ni français, ni immigrés, ni étrangers, ni sujets, parce que l’Algérie, c’était la France et que les « indigènes musulmans » n’avaient pas le droit de vote. Le problème de la non-visibilité de l’islam en France, c’est aussi le drame de la non-nomination des personnes. La première fois qu’on a utilisé le mot « algérien » dans l’espace public français date seulement de 1961. Malgré l’ancienneté de son histoire, on a d’abord considéré pendant très longtemps cette présence sous l’angle social. C’est-à-dire qu’on parlait de l’immigration, principalement maghrébine (Algérie et Maroc), comme d’une immigration de travail, qu’on examinait sous l’angle de la main-d’oeuvre, de la reconstruction de la France et du logement. Cette façon de l’envisager impliquait bien sûr un retour. Le mythe du retour était du reste porté par tous, par la société française, mais aussi par les Algériens eux-mêmes, qui revendiquaient l’indépendance. A l’époque, l’islam n’était donc pas perçu comme une menace puisqu’il était en tendu pour tout le monde que les immigrés ne resteraient pas. Et au fond personne n’y a prêté attention, durant presque soixante ans.

N.O. : Comment vivaient-ils leur rapport à la religion ?
B. Stora : Beaucoup de ces Algériens, des années 1920 aux années 1960, étaient des ouvriers affiliés à la CGT ou au PCF, et avaient des pratiques religieuses très détachées de l’orthodoxie traditionnelle. Certains vivaient même en ménage avec des Françaises. Chacun était donc libre de pratiquer la religion comme il l’entendait. Cela se durcira pendant la guerre d’Algérie, où l’islam sera instrumentalisé par les nationalistes. Même si ceux qui militaient en Algérie se méfiaient des nationalistes émigrés, qu’ils suspectaient d’être européanisés et trop laïcisés.

N.O. : Quand passe-t-on de la précarité à l’installation définitive ?
B. Stora : Dans les années 1960 et 1970. Le second âge est celui de l’insertion dans la société française par les enfants, qui naissent ici. Le retour n’est désormais plus envisageable. Il s’agit de se faire admettre, de se taire peut- être aussi. C’est l’assimilation, qui signifie alors de se conformer au modèle dominant, de l’accepter tout en essayant de conserver dans la sphère intime ses pratiques religieuses, ses croyances, ses convictions politiques et l’attachement au pays natal. D’une certaine manière, cela représentait déjà une forme de progrès pour les anciens, qui avaient vécu très durement dans une ghettoïsation spatiale et sociale totale. Ce qui interpelle aujourd’hui, c’est l’effet de cette installation définitive, que l’on avait refusé d’imaginer.

N.O. : Parce que les revendications portées par les jeunes vont tout à coup les rendre visibles…
B. Stora : Effectivement, à partir de 1980 commence une troisième phase, qui n’est pas encore une phase de reconnaissance religieuse mais de reconnaissance politique. Les enfants de cette immigration et ses petits-enfants disent : c’est fini, nous ne repartirons pas, et nous sommes français. Ils sont devenus militants et mènent un combat citoyen pour l’égalité des droits, à travers la « marche des beurs » de 1983 ou des mouvements antiracistes. Cette bataille-là dure depuis une vingtaine d’années. Et ce n’est seulement que maintenant que la question qui se pose est celle de l’islam en France et de sa visibilité. Parce que les jeunes de cette nouvelle génération se considèrent français de manière évidente, banale, certaine, et qu’à partir de là ils se posent la question de leurs origines. Ils sont en quête de leur histoire, de leur généalogie personnelle familiale et collective. Or cette recherche vient se heurter, et même se fracasser, à la fois sur l’histoire coloniale, et donc sur l’histoire conflictuelle avec la France, la ségrégation et le racisme subis par leurs grands-parents et arrière-grands-parents, et à la fois sur l’islam. Car le rapport à l’origine passe aussi par la connaissance et la reconnaissance de pratiques cultuelles, sans quoi ce seront les courants religieux intégristes qui s’empareront du vide qu’on aura laissé.

N.O. : Vous êtes signataire de l’appel du site Mediapart « Nous ne débattrons pas », pourquoi ?
B. Stora : Ce sont les conditions d’organisation de ce débat qui me posent problème. Parce que cette discussion sur l’identité nationale a été décidée par le haut et non par la société, et que, dès que l’État veut se mêler d’écrire l’histoire à la place des historiens, il faut se méfier. En revanche, comme Jean Daniel, je suis favorable à l’ouverture d’un débat sur l’histoire de France, sur ses lumières comme sur ses ombres, afin d’intégrer dans un même récit national toutes les mémoires, y compris les mémoires blessées. Aux antipodes de la recherche de boucs émissaires.

Propos recueillis parMarie Lemonnier

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Minarets ou pas minarets ?

par Nadia Geertz

Les Suisses viennent de se prononcer à 57,5 % : c’est non à la construction de nouveaux minarets sur le territoire de la Confédération. On parle bien de minarets, et non de mosquées. Une décision qui sera motivée, à l’article 72 de la Constitution, comme étant « propre à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses ». Le parti chrétien de droite UDC a quant à lui appelé au refus des minarets en tant que “symbole apparent d’une revendication politico-religieuse du pouvoir, qui remet en cause les droits fondamentaux”.

Comme souvent, il me semble que la toile de fond de cette affaire est la question de la visibilité de l’islam. Une visibilité revendiquée par certains par souci d’équité – puisqu’après tout les églises ont leurs clochers – et refusée par d’autres au nom… Au nom de quoi, justement ?

De deux choses l’une. Soit il s’agit de refuser la présence de minarets (hormis les quatre déjà présents sur le territoire suisse) au nom de la prééminence de la religion catholique et des fameuses « racines chrétiennes », et cela me semble poser problème, démocratiquement parlant. Il me paraît en effet vain de s’accrocher à une vision passéiste de la nation, à l’heure où tous les pays d’Europe sont, de fait, multiculturels et doivent donc organiser la coexistence pacifique de plusieurs religions – et des athées – sur leur territoire.

Soit il s’agit de refuser la construction de nouveaux minarets au nom d’une nécessaire privatisation de la foi, quelle qu’elle soit, dans une société appelée à brasser diverses convictions religieuses. Mais alors, il faudrait que des mesures soient prises, parallèlement, pour que les autres religions renoncent à afficher ostensiblement leur présence sur le territoire suisse. Cela ne signifie pas détruire toutes les églises, ni même démolir leurs clochers, mais réfléchir en profondeur à la manière d’éviter, à l’avenir, tout traitement différencié en fonction du culte dont il est question.

Quant à l’argument de l’UDC, il me semble tout-à-fait insuffisant, dans la mesure où l’on peut difficilement soutenir que les minarets constituent en eux-mêmes une remise en cause des droits fondamentaux. Que certaines mosquées incarnent cette remise en cause ne fait aucun doute. Mais ce n’est pas en les empêchant d’être visibles qu’on remédiera au fond du problème qu’est le développement d’un islam radical en Europe et ailleurs.

Quid du « patrimoine », dans tout ça ?

Autant je peux entendre ceux qui invoquent le charme désuet des clochers d’églises, et même du son des cloches, autant je peux comprendre le sentiment d’injustice que ressentent certains musulmans confrontés au refus de les laisser ériger des minarets et entendre l’appel du muezzin – une hypothèse qui a été envisagée en Suisse comme une raison d’interdire la construction de minarets, cependant que les représentants musulmans assuraient que lesdits minarets resteraient purement décoratifs.

Décidément, dans cette affaire, la seule manière sensée d’aborder la question me paraît être celle du traitement égal dont doit jouir toute conviction religieuse. Il me paraît singulièrement irresponsable de prétendre priver les musulmans de droits qui ne sont pas contestés aux tenants des autres religions. C’est le meilleur moyen d’attiser les tensions, déjà vives. En revanche, il me paraît totalement illusoire de prétendre élargir, sans aucune limitation, les prérogatives dont jouissent par exemple les catholiques, à toutes les autres religions. Que ce soit en matière de visibilité des édifices religieux, de congés légaux ou d’enseignement, il faudra décidément que les politiques, en Suisse et ailleurs, s’attèlent à une réflexion approfondie sur la manière de promouvoir la coexistence pacifique des différents cultes, ce qui ne peut se faire qu’en les traitant de manière égale, mais aussi en restreignant les manifestations de leur présence dans l’espace public.

Et les minarets, dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien franchement, je ne sais pas. Si la liberté de culte n’est pas bafouée par cette décision, il n’en reste pas moins que sa charge symbolique est importante. Et qu’il était peut-être maladroit de restreindre une question si fondamentale que celle de la place du religieux dans la société suisse à celle de la construction de minarets.

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Le véritable héritage de Sharon : garder les Arabes hors la vue

Avant les accords d’Oslo, il y avait une véritable lutte idéologique entre partisans du Grand Israël et ceux qui étaient prêts à rendre les territoires. La société israélienne était clivée et divisée. Aujourd’hui alors que les idées de La Paix Maintenant appartiennent au consensus et que la majorité de la population juive a renoncé aux territoires, le véritable allié des colons est l’indifférence de cette population. C’est ce que nous dépeint très justement Aluf Benn dans cet article. Ce tableau de la situation vient nous renforcer dans notre conviction que seule une forte ingérence extérieure réussira à imposer la solution que les deux sociétés civiles fatiguées et lasses de ce conflit attendent de leurs vœux.

Ha’aretz, 13 janvier 2010

http://www.haaretz.com/hasen/spages…

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant

Supposons que la prédiction optimiste de Gearge Mtichell, émissaire américain au Proche-Orient, se réalise et que la création d’un Etat indépendant de Palestine soit proclamée d’ici deux ans lors d’une cérémonie. Cet événement sera retransmis en prime time, mais la plupart des Israéliens zapperont sur la télé-réalité la plus en vogue du moment. Non que les téléspectateurs israéliens s’opposent à un Etat palestinien, mais tout simplement parce que cela leur indifférera. La Palestine-shmalestine [le préfixe « shm » devant un mot, hérité du yiddish, exprime la dérision, quelque chose qu’on ne prend pas au sérieux, ndt] ne les intéresse pas.

Aujourd’hui, la plupart des Israéliens sont coupés du conflit avec les Palestiniens et n’ont pas de contact avec eux. De leur point de vue, les Palestiniens sont des acteurs flous qu’on ne voit qu’aux actualités. Mahmoud Abbas et Ismail Haniyeh parlent, des femmes couvertes de la tête aux pieds font le deuil dans une tente, des hommes courent avec une civière derrière une ambulance, d’autres cachent leur visage et lancent des roquettes Qassam. Les Israéliens ne veulent pas en savoir plus. Naplouse et Ramallah sont à 40 minutes en voiture de Tel Aviv, mais pour les Tel Aviviens, c’est une autre planète. New York, Londres et la Thaïlande sont bien plus proches.

Les colons situés au-delà de la clôture de séparation sont les seuls Israéliens à voir des Palestiniens, essentiellement à travers la vitre de leur voiture, sur les routes qu’ils partagent. Les colons, comme les Palestiniens, n’ont aucun contact avec les habitants des régions de Tel-Aviv, Haïfa ou Beer Sheva, dont il est rare qu’ils traversent la clôture. Ils n’ont rien à faire [dans les colonies de] Elon Moreh, Yitzhar ou Psagot. Et il est possible de parvenir aux grosses colonies comme Ma’aleh Adumim et Ariel sans voir un Palestinien.

Ainsi, cette politique d’isolation constitue le véritable héritage d’Ariel Sharon, qui a construit la clôture en Cisjordanie, quitté Gaza et poussé les Palestiniens hors du travail en Israël. Sharon ne croyait pas à la paix et les liens avec « les Arabes » ne l’intéressaient pas. Tout ce qu’il voulait, c’était protéger les Juifs de leurs voisins « assoiffés de sang ». Les garder hors la vue permet aux Israéliens de vivre comme si le conflit n’existait pas, avec les seuls colons à la périphérie et des soldats sur la ligne de feu.

De même, le « problème démographique » est moins effrayant quand il est enfermé derrière un mur ou des clôtures.

Par le passé, l’économie d’Israël dépendait du travail palestinien, mais seuls les plus âgés se souviennent de ces travailleurs dans les restaurants, les sites de construction ou les stations essence. Ici et là, on peut encore trouver des amitiés : des serveurs du restaurant 206 à Kiryat Shaul réunissent parfois leurs pourboires pour un ami palestinien, autrefois serveur lui aussi, et aujourd’hui assiégé dans la bande de Gaza. Les histoires comme celle-ci font presque partie du folklore. L’économie israélienne lorgne Wall Street et non la rue Shuhada [rue autrefois commerçable de Hebron, aujourd’hui interdite aux Palestiniens, ndt]. La bourse est peu affectée par les questions de sécurité de tous les jours, et les prix de l’immobilier s’envolent, comme si nous étions à Hong Kong et non dans un pays en alerte de sécurité constante.

L’armée, qui a envoyé des générations d’Israéliens dans les territoires occupés, a réduit au minimum la présence de ses soldats face aux Palestiniens. De moins en moins accomplissent leur période de réserve, encore moins en Cisjordanie. L’armée régulière a, elle aussi, réduit au minimum les activités de ses unités dans les territoires. La police est désormais confiée à la brigade Kfir. Quant à l’aviation, à qui revient l’essentiel du combat dans la bande de Gaza, elle ne voit les Palestiniens que comme des points silencieux sur des écrans alimentés par les caméras des drones.

L’industrie du loisir agrandit encore le fossé, par la manière dont les Israéliens considèrent aujourd’hui leur pays, et la manière dont il est perçu dans le monde. Les médias locaux décrivent Israël comme une superpuissance occidentale hi-tech, une annexe de Manhattan et de Hollywood. Les médias étrangers couvrent le conflit, les attentats terroristes et les assassinats, les colonies et les négociations de paix. Et lorsque les Israéliens, qui n’ont jamais été dans une colonie, se voient sur CNN, ils se sentent insultés : : « Nous ne sommes pas ainsi, c’est de la propagande antisémite ».

Les étrangers qui visitent Israël sont très étonnés de constater combien la situation ici n’a rien à voir avec ce qu’ils ont entendu chez eux. Ils s’attendent à voir un pays d’apartheid violent, et sont surpris que les toilettes ne soient pas séparées pour Juifs et Arabes. Ils imaginent une société conservatrice, victorienne, et sont choqués par Tel Aviv by night. Ils se promènent dans la rue et se rendent compte qu’il y a bien plus d’Arabes à Londres ou à Paris que dans la plupart des villes d’Israël.

A cause de ’lindustrie des loisirs et de l’indifférence, le gouvernement ne subit aucune pression de la part de ll’opinion pour se retirer des territoires occupés et créer un Etat palestinien, et l’opposition à l’initiative de paix américaine est menée par l’extrême droite. La plupart des Israéliens s’en fichent, tout simplement, cela fait longtemps qu’ils ont renoncé aux territoires. Si Mitchell réussit dans sa mission, ils en entendront parler et changeront de chaîne.

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Israël : Un zeste de Torah dans le droit civil

par Rubik Rosenthal

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La proposition du ministre de la Justice israélien d’appliquer la loi judaïque dans le pays a choqué de nombreux laïcs, qui y voient une vraie menace contre la démocratie.

Les déclarations publiques du ministre de la Justice, Yaakov Neeman, ont déclenché une belle tempête. Et à juste titre. Il ne s’agissait pas d’une vague suggestion mais de propos très explicites. Neeman n’a pas dit : “Il y a dans le droit de la Torah des choses dont on peut s’inspirer.” Il n’a pas non plus dit : “Dans les questions de droit civil, la halakha [Loi judaïque] a parfois des avantages.” Non, il a tout simplement déclaré : “Pas à pas, nous restituerons les lois de la Torah aux citoyens d’Israël et nous ferons de la halakha la loi contraignante de l’État.”

C’est en tant que ministre de la Justice que Yaakov Neeman a tenu ces propos et, même s’il se rétracte, ceux-ci resteront une tache indélébile sur une carrière de plusieurs décennies durant lesquelles il était presque parvenu à se faire apprécier de tous. Pourquoi l’idée caressée par Neeman nous inquiète-t-elle à ce point ? Et que dire du contre-feu allumé par ses défenseurs lorsqu’ils demandent : “Qu’est-ce que le droit britannique [qui a inspiré les rédacteurs du Code civil israélien au lendemain de l’Indépendance] , par rapport au droit de la Torah ?” Des réponses, il y en a beaucoup, mais la plus directe est fondée sur l’attitude de la Torah envers les femmes et les goys [non-juifs], une attitude incompatible avec les valeurs de tout Etat moderne.

Soulignons donc le bilan de soixante ans de droit rabbinique dans l’un des domaines centraux de la vie en société : le droit matrimonial. La loi israélienne permet aux juges rabbiniques d’intervenir dans la vie de la population juive selon les préceptes de la Torah et d’interdire par conséquent tout mariage non religieux. Le droit de la Torah, en vertu duquel statuent encore et toujours les juges rabbiniques, est un échec complet pour la société israélienne. Si le droit de la Torah est incapable de répondre aux besoins des couples qui, au gré des circonstances, se sont constitués sans passer par une cérémonie religieuse, c’est tout simplement parce que la religion juive [orthodoxe] n’envisage pas une telle possibilité.

Le droit de la Torah est impuissant face aux mariages mixtes et interreligieux, et ne parlons même pas des mariages entre Juifs et Arabes. Il est tout aussi impuissant face à la large gamme d’options conjugales induites par la réalité moderne. Tout ce que ce droit de la Torah est capable de produire, ce sont des solutions comme le statut des femmes agounot1  ou la cérémonie primitive de la halitza2  [voir CI n° 986, du 24 septembre 2009]. La conséquence, c’est qu’il y a en Israël deux droits matrimoniaux distincts : le droit rabbinique, qui s’impose exclusivement et totalement à quiconque s’est marié religieusement, et le droit civil qui régit tant bien que mal la zone grise mais en extension constante de couples qui contractent des mariages strictement civils aux quatre coins du globe hors d’Israël.

Certes, il y a beaucoup de bonnes choses à tirer du judaïsme et de toute la sagesse accumulée au fil des siècles. S’opposer au droit de la Torah ou à ce que certains appellent un “Etat de la halakha”, ce n’est pas s’opposer point par point au droit rabbinique, mais simplement se poser la question de la source de l’autorité. L’idée professée par Neeman de restaurer pas à pas le droit de la Torah est la pire possible, car elle signifie ni plus ni moins confier à la vision du monde religieuse et à ses clercs, les rabbins, un pouvoir illimité dans tous les domaines de la vie israélienne.

Les juges d’Israël, de Dorit Beinisch [présidente de la Cour suprême] au dernier des juges de paix, opèrent en tant que pouvoir judiciaire indépendant. Ce pouvoir tire son autorité des lois de l’Etat d’Israël, des lois votées en toute indépendance par les représentants des citoyens israéliens, des lois que les juges adoptent selon leur conscience et leur éthique professionnelle.

Beaucoup de juges sont des croyants. Mais ce ne sont ni la vision du monde ni la foi de ces juges qui sont la source de leur autorité. L’édification d’un Etat de la halakha et la restauration du droit de la Torah comme base de l’architecture légale israélienne ne peuvent que saper l’autorité du pouvoir judiciaire et démanteler l’ensemble de l’appareil judiciaire, condition nécessaire de la démocratie israélienne. Au sein de l’opinion religieuse, beaucoup applaudiront sans doute l’idée exprimée par le ministre de la Justice Neeman. C’est pourquoi Neeman doit revenir sur ses paroles. Le plus tôt sera le mieux.

  1. Selon la halakha, c’est l’homme qui doit remettre à sa femme l’acte de divorce. S’il refuse ou disparaît sans laisser de traces, sa femme ne peut refaire sa vie, car elle est agouna, “ancrée”. []
  2. signifie “désistement”, est une cérémonie par laquelle, en versant une dot et en crachant sur la chaussure de son beau-frère, une veuve échappe à l’obligation de se marier avec son beau-frère. []
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Gaza : un pas supplémentaire vers l’émirat islamique du Hamas ?

par Randa Al Fayçal

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Après la loi pénale inspirée de la Charia et la non-mixité à l’école, le Hamas supprime les fêtes religieuses non-islamiques.

Selon le site islamiste “Al Hisba”, le gouvernement palestinien de Gaza, dirigé par le Hamas mais démis par Mahmoud Abbas depuis le coup d’État mené contre l’Autorité palestinienne, a récemment pris des décisions confirmant sa radicalisation. Après avoir prôné l’introduction de la Charia dans son code pénal, et après avoir imposé le port du voile et la non-mixité aux écoles, le premier ministre démis Ismaël Haniyeh impose le calendrier du Hégire, et supprime trois jours fériés du calendrier chrétien.

« Al-Hisba », pourtant islamiste, dénonce, le 4 janvier 2010, des décisions prises ces derniers jours par le gouvernement du Hamas à Gaza. Il conteste au moins deux mesures radicales qui contribuent, doucement mais sûrement, à instaurer un Emirat islamique dans ce territoire, ou du moins à y appliquer des lois inspirées de la Charia.

En effet, selon « Al-Hisba », le Hamas a supprimé les trois jours fériés dont bénéficiaient tous les Palestiniens à l’occasion du 25 décembre (Noël selon le calendrier latin), du 1er janvier (Jour de l’an chrétien) et du 6 janvier (Nativité selon l’Eglise orientale). Or, ces fêtes étaient reconnues par l’Autorité palestinienne, la population comprenant une importante communauté chrétienne. Ce faisant, le Hamas ne reconnaît plus la composante chrétienne de la population, et tend à islamiser les Territoires. Il a maintenu chômés les jours des fêtes religieuses musulmanes, à savoir Al-Adha, Al-Fitr et Al-Maouled Al-Nabaoui (Naissance du Prophète).

En outre, un directeur d’école de Gaza a confirmé au site « Al-Hisba » avoir reçu, ces derniers jours, une circulaire destinée à tous les responsables du secteur éducatif, et signée par le secrétaire général du ministère de l’Education, Jamal Abou Hachem, précisant que les autorités de tutelles ne traitera plus aucune correspondance ou demande datée selon le calendrier grégorien. Désormais, seul le calendrier du Hégire est recevable. Le Hamas justifie cette décision par sa volonté de « défendre et promouvoir l’attachement des Palestiniens à leur origine arabe, islamique et orientale, les trois éléments qui font la fierté nationale ». Après l’Education, cette décision sera généralisée progressivement aux autres secteurs.

En décembre 2008, le Hamas avait déjà proposé une loi pénale inspirée de la Charia, avec l’application de nouvelles peines comme notamment la lapidation, l’amputation et la crucifixion. Cette mesure avait suscité une forte opposition de la part des ONG actives dans la défense des droits de l’homme. En août 2009, le Hamas avait imposé, en catimini la non-mixité dans les écoles, et obligé les jeunes filles à porter le voile.