n°649 - 21/02/2011

Sommaire

 
Chronique d'Evariste
Rubriques :
  • Chronique d'Evariste
  • ReSPUBLICA

Le peuple en marche

par ReSPUBLICA

Nous sommes face aux événements qui secouent le monde arabe comme Emmanuel Kant face à la Révolution française. En voyant la jeunesse tunisienne défiler avenue Bourguiba pour défendre la laïcité, mais aussi les cairotes fêter, place Tahrir, la chute du régime de Moubarak, nous ne pouvons pas ne pas éprouver cette « sympathie d’inspiration qui frise l’enthousiasme » que Kant disait ressentir au spectacle de « la révolution d’un peuple plein d’esprit ».

Le spectacle d’un peuple faisant démonstration de sa force est une chose rare. On ne saurait le confondre avec celui d’une foule en délire. Ce sont les affects qui cimente la foule. Elle est, comme l’a montré Freud, gouvernée par la psychologie. En cela, la foule est passive, quand bien même serait-elle remuante et agitée. Le peuple, lui, n’a pas de psychologie : il est actif, en marche, comme on le dit parfois et comme le représente. Delacroix dans le fameux tableau qui célèbre les Trois Glorieuses de 1830, La liberté guidant le peuple. Jeunes tunisiens défilant pour faire barrage à l’intégrisme religieux, Egyptiens occupant la place principale du Caire, manifestants battant le pavé pour défendre le régime des retraites, mais aussi flamands et wallons dénonçant d’une même voix l’incurie des gouvernants : un peuple en marche a quelque chose de sublime. Ce spectacle n’est pas seulement émouvant, il est aussi édifiant : il élève le spectateur, en le laissant entrapercevoir, l’espace d’un bref moment, le sujet de l’histoire. Il lui donne un supplément de force.

N’en déplaise à tous ceux qui ont intérêt à maintenir les citoyens dans la passivité, il y a des moments où ceux-ci se souviennent que la force est de leur côté. C’est alors qu’ils descendent dans la rue et défilent en scandant des slogans. Car, à la différence de la horde de casseurs, le peuple a un non seulement un visage mais il a aussi une voix : il parle.
Devant ce spectacle, il y a ceux qui, à l’instar du philosophe de Königsberg, se laissent gagner par l’enthousiasme. Et puis il y a les puissants, ceux qui, contrairement aux nobles présents dans la salle du jeu de paume le 20 juin 1789, n’auront jamais la grandeur de renoncer à leurs propre privilèges. Ceux-là ont tendance à faire la fine bouche : « Ces gens parlent, dites-vous ? Mais personne ne les entend ! ». Ainsi ricanait, il y a peu, le Président Sarkozy. « Ces gens ne sont pas représentatifs ! », s’écrient les experts, même si les sondages montrent que les manifestants sont soutenus par une très large majorité. « La démocratie, ce n’est pas le pouvoir de la rue », assènent, enfin, les gens sérieux.

N’empêche. La démocratie n’est pas réductible à un ensemble d’institutions, à un régime, autrement dit à une machinerie politique. Le 20 juin 1789 est un moment démocratique, et pourtant, la Constitution qui marquera la rupture avec l’Ancien Régime est encore loin d’être rédigée. Les grèves de 1936, qui échappèrent aux grandes organisations politiques, furent un moment démocratique. Mai 68 également. Rendons le mot démocratie à son étymologie : il y a démocratie lorsque le peuple sort de la passivité et devient actif1. En manifestant sa force, il fait acte d’autorité. La démocratie exige par conséquent davantage que des institutions. Elle requiert, de la part des citoyens, une certaine position grâce à laquelle ils se rendent actifs, à savoir la position critique. Emile Chartier, le dit en d’autres termes : instaurer la République en lieu et place de l’Ancien Régime ne suffit pas à se garantir contre le retour de « l’âme monarchique ». Dès lors que les individus se laissent aller à la passivité, dès lors qu’ils abandonnent le pouvoir aux gouvernants (parce qu’ils leur font une confiance aveugle, parce qu’ils deviennent indifférents à la chose politique, parce qu’ils ne sont pas suffisamment armés pour entrer dans le libre jeu des opinions), la démocratie n’existe plus que de nom.

De là découle qu’il existe plusieurs façons de confisquer la démocratie. Brutalement, par un coup d’Etat : interdire la liberté d’expression et de grève, concentrer dans ses mains tous les pouvoirs, devenir président à vie alors qu’on n’a été élu que pour la durée d’un mandat, on reconnaitra là les façons de faire des dictateurs qui sont en ce moment contestés dans le monde arabe. Rien à voir, dira-t-on, avec ce qui se passe chez nous. Reste qu’on peut aussi confisquer la démocratie de façon douce et insidieuse : il suffit de condamner le peuple à la passivité. Inutile, pour cela, d’interdire la liberté d’expression : il suffit de ne laisser filtrer, dans l’espace médiatique, que ce qui est conforme au discours de l’idéologie dominante. Inutile d’interdire les grèves : il suffit d’instaurer un service minimum et de traiter par un mépris tout versaillais les voix qui s’élèvent aux portes du château. Inutile de concentrer dans ses mains tous les pouvoirs : il suffit de faire croire à tout le monde que ceux qui gouvernent n’ont aucun pouvoir puisque le capitalisme mondialisé est inéluctable. Inutile, enfin, de fomenter un putsch pour devenir président à vie : il suffit que les gouvernants qui se succèdent mettent en oeuvre des politiques qui puisent au même fond d’évidences et qui ne se distinguent que par des divisions imaginaires. Pierre Mendès-France a été particulièrement clairvoyant : il a été le premier à voir que l’Europe allait être l’instrument de cette confiscation douce. « Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, déclara-t-il à l’Assemblée nationale le 18 janvier 1957, est basé sur le libéralisme classique du XXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme “providentiel”, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».

Alors, c’est avec enthousiasme mais aussi avec un peu d’envie que nous regardons le spectacle des cortèges de manifestants qui se mobilisent de l’autre côté de la Méditerranée. Malgré plusieurs tentatives, force est de constater que, depuis mai 68, le peuple français n’a pas réussi à en imposer aux gouvernants. Ce qui a manqué, ce n’est ni la lucidité ni le courage. C’est l’absence de débouché politique. Mais le peuple n’est pas pour autant à genoux. Il faut maintenant que la colère qui gronde se traduise dans les urnes. L’autre gauche, celle qui a refusé de servir de supplément d’âme à la mondialisation néolibérale, a, de ce point de vue, une responsabilité historique : celle de s’unir autour d’un programme cohérent, fondé sur les principes de la République laïque et sociale.

  1. Sur la question de la redéfinition du mot démocratie, voir le dernier ouvrage de Jean-Claude Milner, Pour une politique des êtres parlants, Lagrasse : Editions Verdier, 2011 []
International
Rubriques :
  • International
  • Laïcité et féminisme
  • Politique
  • ReSPUBLICA

Le vent de la contestation, pour le changement et la démocratie, souffle sur l’Algérie

par Hakim Arabdiou

Comme on s’y attendait, le pouvoir algérien, sourd et aveugle, mais aux abois, a répondu par la répression aux revendications d’une partie de l’opposition, organisée au sein d’une Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Il s’agit du Rassemblement pour la Culture et la démocratie (social-démocrate), du Parti pour la laïcité et la démocratie (issu de la mouvance communiste du Parti de l’avant-garde socialiste), du Mouvement démocratique et social (issu de la même mouvance communiste) , du Parti socialiste des travailleurs (trotskiste), du Comité de citoyens pour la défense de la république (courant républicain, principalement issu ou en lien avec une partie du pouvoir), du PLG, de plusieurs syndicats autonomes, majoritairement ceux de l’enseignement, d’associations féministes, d’anciens ministres, de citoyens…

Les manifestants ont été empêchés par la force de marcher le 22 janvier, ainsi que les 12 et 19 février derniers, à Alger, Oran, Constantine, Annaba, Bejaïa, Ghardaïa…

Le pouvoir a mis à cet effet Alger et sa périphérie en quasi-état de siège, et fait procéder à des centaines d’interpellations, dont des dizaines de femmes et de féministes, de députés, dont certains furent sauvagement battus. Une répression, qui est très certainement loin de faire l’unanimité au sein des hautes sphères du pouvoir, qu’à ses échelons intermédiaires et de base.

Cette répression a également provoqué une vive réaction des États-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, de l’Allemagne et de la France (plutôt, prudente) qui l’ont condamné, et qui ont enjoint au pouvoir algérien de respecter le droit de manifester de ses citoyens.

De leurs côtés, les Algériennes et les Algériens de Paris, Marseille, Grenoble, Nice, Toulouse, Bordeaux… Montréal ont, à l’appel de la CNCD-France ou d’associations d’Algériens, organisé des rassemblements ou des manifestations de soutien aux citoyens et aux démocrates en Algérie, qui luttent pour le changement et la démocratie.

Recomposition en cours du rapport des forces au sein du pouvoir

La crainte du clan dominant au sein du pouvoir, en l’occurrence de Bouteflika, réside dans l’éventualité d’une double jonction entre l’opposition et le peuple, et entre ceux-ci et une fraction du pouvoir opposé à divers degrés et pour diverses raisons à son clan, fraction que celui-ci est loin d’avoir réussi à marginaliser.

D’ores et déjà des voix, et non des moindres (généraux à la retraite, anciens ministres ou Premiers ministres, l’ancien secrétaire général du FLN…) commencent à interpeller publiquement le président Bouteflika et son clan, pour qu’il change de régime ou qu’il procède à plus d’ouverture politique.
Si la contestation s’accentue et s’élargit en Algérie, elle entraînera une recomposition des rapports des forces au sein du pouvoir, avant tout dans ses lieux névralgiques, à savoir le FLN et les organes de répression, police, gendarmerie et services secrets.

Les simples agents aussi bien que les plus hauts gradés ne manqueront pas de réfléchir à la basse besogne que Bouteflika est en train de leur faire faire contre leur peuple. Ceci d’autant plus qu’ils ont vu en direct sur leurs écrans de télévision, comment ont fini des régimes, réputés bien plus puissants que celui d’un Bouteflika. Sans oublier les bataillons de courtisans et autres opportunistes, dans les appareils de l’État, qui se tiennent prêts à passer au camp adverse, dès que le vent commencera à changer de direction.

Une chose est sûre : le séisme des départs des présidents voyous, tunisien et égyptien, et surtout la manière avec laquelle ils ont été chassés, ne resteront pas sans conséquences sur les autres régimes arabes ou musulmans, tels que l’Iran. Il y favorisera une avancée substantielle de la modernité politique, en dépit du risque réel d’une récupération, au moins partielle, par la droite conservatrice et l’extrême droite musulmane représentées par l’islamisme.

Le devoir d’exemplarité de l’opposition

Les partis d’opposition en Algérie et dans le monde arabe sont loin d’être exempts de certains graves reproches qu’ils adressent aux chefs d’États arabes tels que celui de squatter le pouvoir pendant des décennies, alors que leurs propres chefs sont inamovibles. C’est ainsi qu’en Algérie, Hocine Aït-Ahmed est à la tête de son parti, le Front des forces socialistes, depuis sa création en 1963, soit depuis plus d’un demi-siècle ; Saïd Sadi, leader du RCD, Louisa Hanoune, leader du PT, et Chawki Salhi, leader du PST, sont à la tête de leurs partis, depuis leurs créations, il y a plus de vingt ans. Il en a été de même de Hachemi Chérif, qui a été pendant 13 ans et jusqu’à son décès, en 2005, à la tête de Ettahadi, depuis sa création en décembre 1992, devenu MDS.

Rubriques :
  • Combat social
  • International
  • Politique
  • ReSPUBLICA
  • Religions

Tunisie et Egypte: La Religion comme cache-social

par Christian Berthier

La tentation et les pressions sont grandes de suivre les grands médias et le “monde politique” dans une interprétation religieuses des événements de Tunisie et d’Egypte.
Pourtant, il a bien fallu évoquer les efforts constants des régimes autoritaires pour enrôler les mollah plus ou moins voilés dans la politique sous le regard plus que complaisant d’Obama et de Clinton.
Leur propagande de la “guerre des civilisation” est à ce prix.
Le “moteur social” de ces bouleversements politiques est rarement évoqué, ce qui, compte tenu du professionnalisme des rédactions ne relève pas du hasard, mais de la nécessité et peut être de la contrainte.
Pourtant, seule une révolte massive des peuples a pu faire reculer des appareils étatiques armés jusqu’au dents, précisément pour prévenir et affronter de tels événements.
Et pas seulement les “couches populaires, mais aussi les couches sociales intermédiaires non encore paupérisées, intéressées ou même situées aux étages inférieurs de ces régimes.
Il n’y a rien de religieux dans tout cela.
Et c’est ce qui a du paraître insupportable à nos vendeurs de soupe médiatique qui se sont mis, en toute hâte, à rechercher et à médiatiser le moindre mouvement, le moindre prélat et écrit religieux.
Comme si les mains des Églises était recherchée derrière les événements” de 1968.

Et quel peuple?

En Tunisie, où y-a-t-il eu des centaines de morts, fin 2010 au moment ou Alliot-Marie survolait ces zones faussement “désertiques”? A Tunis? Que nenni!
Dans l’industrie minière, métallurgique, textile, sur les chantiers de Tunisie, un des principaux exportateurs industriels d’Afrique (vers la France et l’Italie). A Gafsa, Sfax, Tasserine…
C’est ce qui explique la rapidité avec laquelle la centrale syndicale tunisienne a quitté les sphères du pouvoir et même de sa transition: la pression du peuple, des salariés des chantiers, des mines, des ports, etc, face à l’impossible survie des familles et de la jeunesse au chômage.
Ceci pourrait être source de réflexion et d’inspiration pour nous, en France, qui sortons de la grève contre les retraites-Sarkozy et faisons maintenant face à de nouvelles attaques anti-sociales de la part du gouvernement.
Ils faut nous persuader que ‘La force est en nous” (Obi- Wan Kenobi dans la guerre des étoiles). Que cette force peut et doit être mobilisée et être efficace.
Cette force peut surmonter les obstacles internes à sa mise en mouvement.
Et s’il faut vraiment parler “religions” en Afrique du Nord, ce devrait etre pour dénoncer leur manipulation par les pouvoirs politiques et économiques qui tentent de dévoyer, diviser les mouvements sociaux et les rendre incompréhensibles.
Sans oublier que la laïcité est historiquement un concept politique et non religieux/idéologique: celui de la séparation des églises et de l’etat républicain.

Rubriques :
  • International
  • ReSPUBLICA
  • Religions
  • Société

La révolution sexuelle en marche dans les sociétés musulmanes

par Hakim Arabdiou

Malgré le regain de l’islamisme, les sociétés musulmanes les plus avancées, Iran, Turquie, Indonésie, Syrie, Tunisie, Maroc, Liban, Algérie, Bosnie et Républiques d’Asie ex-soviétiques, sont en voie d’achever la première phase de leurs révolutions sexuelles, enclenchées ces trois ou quatre dernières décennies.

Elles viennent aussi d’entamer parallèlement la seconde et ultime phase de cette révolution, qui est la déculpabilisation des rapports sexuels en dehors du cadre du mariage. Une déculpabilisation qui est également en train de faire tomber en désuétude le tabou de la virginité sexuelle des femmes.
Cette libération concerne, pour ce qui est des femmes, aussi bien celles qui ne portent pas le hidjab que celles qui le portent par « conviction » religieuse ou non, voile qui reflète l’obsession des islamistes pour le vagin des musulmanes, et censé contrôler leur sexualité, en plus de son rôle d’étendard réactionnaire. D’ailleurs, les intéressées utilisent souvent le hidjab, comme tapis sur l’herbe ou le sable, pour faire l’amour dessus avec leurs petits amis.

Cette révolution trouve son origine dans les bouleversements socio-économiques considérables que connaissent ces sociétés et dans l’influence culturelle grandissante, qu’elles subissent de la part de l’Occident.

Y ont concouru également, les feuilletons « égyptiens » (genre, Feux de l’amour, européens), diffusés tout au long des années 1980, par les chaînes publiques arabes. Ces films étaient très suivis par toutes les jeunes filles et les femmes, de tous âges et conditions sociales. Ils avaient introduit dans des dizaines de millions de foyers arabes, des grandes villes jusqu’aux fin fond des hameaux dans l’arrière-pays, des notions jusque-là tabous telles que « je t’aime », « mon fiancé » et « l’amour » (platonique), ainsi que les intrigues amoureuses. Ces films ont été relayés, dans les années 1990 et 2000, par une nouvelle génération bien plus audacieuse de films d’amour, « égyptiens », turcs et brésiliens qui font eux aussi un tabac, parmi les centaines de millions de femmes arabes, y compris dans l’immigration. Ces films sont produits et diffusés, par des chaînes satellitaires privées, notamment arabes (à capitaux, principalement des monarchies du golfe).

Les musulmanes font prévaloir leur épanouissement sexuel

Cette révolution a trait à deux aspects distincts, mais convergents. Le premier concerne la primauté croissante du libre choix du partenaire et du sentiment d’amour, sur toutes autres considérations, dans les liaisons, durables ou non, entre musulmanes et musulmans ou de cette origine.
Le second est relatif aux rapports sexuels en dehors du cadre du mariage. L’écrasante majorité des partenaires du couple n’attendent plus leurs mariages, pour s’y adonner.

Mieux ! Le mariage constitue de moins en moins un préalable à ces rapports ; le plaisir sexuel y constitue la raison unique, en tout cas principale, y compris chez les femmes, quels que soient là aussi leurs âges et leurs milieux sociaux, aussi bien dans les grandes villes que dans les villes moyennes et les petites villes.

De même que des dizaines de milliers de femmes musulmanes ou de cette origine dans chacun de ces pays assument désormais sans complexe leur célibat définitif et aspirent à vivre plus librement leurs vies amoureuses et sexuelles.

Autre phénomène ayant également fait son apparition, bien que encore plus minoritaire que le précédent, mais appelé lui aussi à se généraliser : les femmes et les jeunes filles musulmanes ou de cette origine deviennent de plus en plus sujets, et non plus objets, de leurs liaisons amoureuses ou sexuelles. Autrement dit, elles commencent à prendre l’initiative de tisser des liaisons avec les hommes et à y faire valoir leurs désirs et leurs plaisirs sexuels.

Les islamistes, conscients de ce fort élan d’émancipation, surtout des musulmanes, tentent désespérément de juguler ce processus par la mise en place de fiançailles dans les mosquées, formule vite dépassée, ainsi que des sites de rencontres communautaires musulmanes sur Internet et des agences matrimoniales semblables.

Le succès commercial et l’engouement pour ces sites et agences constituent en soi un paramètre sociologique significatif chez la partie traditionnaliste, mais décroissante des populations musulmanes. En effet, ces deux moyens permettent de substituer les mariages fondés sur l’entente, comme c’est avant tout le cas dans ce genre de supports, aux mariages arrangés ou de raisons.

Début de « démocratisation » de la tromperie dans le couple musulman

A l’instar de leurs consœurs occidentales, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les réactions des musulmanes ou de cette origine aux tromperies amoureuses ou sexuelles, dont elles étaient les seules victimes de la part de leurs partenaires ou conjoints, variaient entre la résignation et la protestation, et plus rarement le divorce.

Il était également rarissime qu’elles se vengent en tissant une liaison extra-conjugale ou extra-couple, tant elles ont intériorisé leur culpabilité par la société patriarcales, en considérant ces liaisons, comme une déchéance ou de la prostitution, quand il s’agit d’elles, uniquement.

Néanmoins, de plus en plus de musulmanes ou de cette origine parviennent à surmonter cet obstacle et à se faire des amants ; liaisons qui, de surcroît, ne sont plus nécessairement causées par la vengeance, mais par l’insatisfaction sexuelle, l’attirance par un autre homme, l’affaiblissement de leurs sentiments amoureux envers leurs partenaires ou pour des raisons plus ou moins sordides (comme chez les hommes).

Le corollaire de cette « démocratisation » est la résignation ou la séparation, sans que cela ne vire à la violence verbale et/ou physique, des hommes trompés, principalement des adolescents, des jeunes gens et des adultes de cette dernière génération. Ce phénomène est extrêmement marginal, mais il est destiné lui aussi à s’étendre.

L’amour sexuel est un fait récent dans les sociétés musulmanes

L’amour sexuel (sentiment liant un homme et une femme), comme phénomène de masse, est récent dans les sociétés musulmanes les plus avancées. Il date, comme écrit plus haut, d’à peine une trentaine ou une quarantaine d’années. Il en est d’ailleurs de même de l’amour de l’enfant.
Ce n’est malheureusement pas encore le cas de l’amour homosexuel, en particulier celui des lesbiennes musulmanes. Mais cela ne saurait tarder. Ceci ne veut pas dire que l’amour sexuel n’existait pas dans ces sociétés. Mais que c’est durant ces dernières décennies, que ces sentiments ont commencé à s’imposer comme normes sociale et humaine fondant ce genre de relations.
Historiquement, cette émancipation représente l’une des multiples déclinaisons de la sécularisation et de la modernité.

En Occident aussi, l’amour sexuel, en tant que phénomène de masse, n’a pas existé de toute éternité. Il date d’à peine un siècle et demi ou deux siècles, voire moins et même nettement moins s’agissant de pays à industrialisation tardive ou récente.

Contrairement à ce que pourrait croire certains, l’amour sexuel n’est pas un fait de nature, mais un fait de culture. Il n’existe chez les humains qu’à l’état potentiel, de prédisposition. C’est la vie en société qui l’actualise sur le très long terme ; qui le fait naître et l’enrichit à l’infini. Il est le résultat du long processus d’hominisation de l’Homme, du passage de celui-ci d’un être de nature à un être de culture.

Les liaisons hommes-femmes avaient longtemps été déterminées par la loi de la nécessité, de la nature comme celle de la vie en société : satisfaction d’un désir physique, obéissance aux prescriptions religieuses (pour la perpétuation de la communauté religieuse et au-delà pour la perpétuation de l’espèce humaine), union conjugale par devoir social, prise en charge domestique de l’homme par la femme, et qui lui assure également une descendance…

Rubriques :
  • Combat féministe
  • International
  • Laïcité et féminisme
  • Politique
  • Religions
  • Société

Les femmes ont un sexe, mais pas toujours

par Linda Weil-Curiel
Avocate
Commission pour l’abolition des mutilations sexuelles.

Après la Tunisie, l’Egypte et le Yémen sont en ébullition, faisant naître l’espoir de l’instauration de sociétés démocratiques enfin respectueuse des droits des citoyens.

Tout a été dit sur les abus commis par des dirigeants enrichis, la souffrance des peuples appauvris et sans réelles perspectives de progrès, leur frustration devant l’opulence de l’Occident s’étalant sur les écrans de télévision.

La participation des femmes au soulèvement populaire, leur vaillance, ont été maintes fois soulignées par la presse..

Mais il ne s’est trouvé personne pour rappeler qu’en Egypte, au Yémen, les femmes sont encore mutilées sexuellement (97% en Egypte… où il n’y a pas si longtemps cela se faisait encore à l’hôpital) et que le combat pour leur intégrité physique est loin d’être gagné.

L’excision et l’infibulation (ablation du clitoris et des petites lèvres, barbarie à laquelle s’ajoute celle de la section des grandes lèvres puis leur suture pour l’infibulation) ne sont pas réservées aux 28 pays africains où la pratique est bien documentée.

Ajoutons que l’Europe et les pays d’immigration en général sont loin d’être épargnés mais la réprobation et les instruments juridiques y permettent plus facilement de prévenir et de combattre cette tradition remontant aux temps les plus anciens.

Tout cela pour dire que non seulement le droit des femmes devrait être au premier plan de nos préoccupations, mais qu’il faut en exiger avec force l’inscription dans les futures constitutions et se montrer vigilants quant à leur respect. Il en va de l’avenir de ces sociétés.

A cet égard et même si c’est à contre courant de la tendance actuelle, il faut rendre hommage à la courageuse initiative de Madame Moubarak et de la ministre Moushira Kattab qui ont fait depuis des années leur priorité de la lutte contre les mutilations sexuelles des filles, contre les mariages précoces et pour la limitation des naissances, au risque de froisser leur opinion publique.

Espérons que cette volonté ne sera pas abandonnée au profit de ce qui bien sûr est plus sérieux : je veux parler des droits que les hommes revendiquent pour eux-mêmes sans avoir à l’esprit d’en faire bénéficier les femmes à égalité, car chacun sait que leur place est à la cuisine.

Rubriques :
  • International
  • Politique
  • ReSPUBLICA

Communiqué suite à la journée du 19 février

par la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie en Algérie - Coordination France

Plusieurs centaines d’Algériennes et d’Algériens ont répondu à l’appel de la Coordination Nationale pour le Changement et la Démocratie (CNCD) - Coordination France - ce samedi 19 février à 14 heures, place de la République, à Paris.

Ils ont tenu à exprimer leur soutien, dans l’unité et la sérénité, aux manifestants qui, ce matin même à Alger, ont bravé l’interdiction de la marche et l’arsenal répressif en se mobilisant à l’appel de la CNCD en Algérie.

Encore une fois, la réponse du régime, toujours aussi sourd aux aspirations du peuple, a été la répression. Plus de 40 000 policiers ont quadrillé la capitale pour empêcher les manifestants d’y accéder, de se regrouper place du 1er Mai et de marcher.

Plusieurs citoyens ont été blessés par les forces de police, dont la brutalité n’a plus de limite. Nous rendons hommage à toutes les victimes de cette répression, parmi lesquelles Ali Yahia Abdenour, de la LADDH, âgé de 84 ans, a été sérieusement molesté, Rachid Malaoui, secrétaire général du SPNAPAP, hospitalisé suite aux coups qu’il a reçus, Tahar Besbes, député et représentant du RCD à la CNCD, est toujours hospitalisé, victime de traumatismes crâniens et de multiples fractures.
La CNCD – Coordination France – salue la détermination des démocrates qui se battent, en Algérie, pour la fin du système maffieux.

A l’écoute des citoyennes et des citoyens demandant la poursuite des actions de soutien et de solidarité, la CNCD - Coordination France - appelle les Algériennes et les Algériens à se rassembler devant l’Ambassade d’Algérie à Paris, le samedi 26 février à 14 heures.

Vive l’Algérie démocratique et sociale.
Contact : cncd.cfr@gmail.com

Politique
Rubriques :
  • Ecologie
  • Politique
  • ReSPUBLICA

L’écologie : un refus des Lumières ?

par Stéphane François
Historien des idées et politologue français qui travaille sur les droites radicales et les subcultures « jeunes ». Chargé de recherche au Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe (Chaire Gutenberg) de l’Université de Strasbourg.

L’objectif de cet article n’est pas de créer une polémique inutile et stérile mais simplement de soulever une ambiguïté intellectuelle présente au sein de l’écologie politique. En effet, une très grande majorité des écologistes militants, et non pas seulement ceux engagés en politique, refusent le libéralisme non seulement économique mais aussi philosophique, comme l’a montré la tribune de Noël Mamère, d’Eva Joly, et d’Esther Benbassa, publié dans le journal Libération du 27 janvier. Nous tenterons de mettre à jour, dans cet article, la généalogie d’un tel refus.

L’écologie est entrée dans la vie politique il y a près de trente ans lorsque quelques écologistes allemands sont devenus députés. Les années soixante-dix ont en effet vu le rassemblement de libertaires post-soixante-huitards, d’écologistes, de scientifiques et de défenseurs de la nature autour de la question du nucléaire et des premières réflexions sur la croissance. Globalement donc, les écologistes se positionnent idéologiquement, et de leur propre chef, à gauche. Pourtant, nous verrons que certains thèmes écologiques analysés ici sont plutôt de droite. D’ailleurs, certains au sein du mouvement écologiste, notamment allemand, ont pu parler à ce propos de « conservatisme des valeurs », une expression qui a le mérite d’être explicite sur le contenu intellectuel du mouvement écologiste. De fait, nous réfléchirons principalement dans cet article sur les rapports entre l’écologie et certaines valeurs que nous pouvons considérer comme conservatrices, comme la technophobie et l’antimodernité.
Ensuite, et cela sera l’un de nos deux fils conducteurs, nous montrerons que la rencontre entre ces références conservatrices et l’écologie a donné naissance à un courant de l’écologie politique que certains ont pu qualifier de « réactionnaire », couvrant un spectre politique allant de la droite anticonformiste conservatrice à l’extrême droite, notamment au sein de la Nouvelle Droite et chez les Identitaires, et dont l’influence se fait de plus en plus grande dans les milieux altermondialistes, comme a pu le mettre en évidence Jean Jacob1. L’autre fil directeur sera l’étude de l’une des dérives de ce naturalisme radical, l’apparition d’une écologie non seulement antimoderne et technophobe mais aussi antihumaniste, refusant l’apport des Lumière, une écologie surtout présente aux marges extrêmes de l’éventail politique. À la suite de Marcel Gauchet2, nous pouvons donc dire que le débat sur l’écologie peut se replacer dans le cadre plus large des débats sur la modernité et l’héritage des Lumières dont découle le progressisme.

Origine de l’écologie politique

Une partie des origines du mouvement écologiste contemporain est à chercher au sein de mouvements issus du romantisme politique, tels certains courants de la « Révolution Conservatrice » allemande, comme les völkisch, les mouvements de réforme de la vie, le Lebensreform, ou comme les premiers alternatifs allemands de la fin du XIXe siècle, voire chez des auteurs comme l’Américain Henry David Thoreau, le « Rousseau américain »3. Celui-ci a en effet posé les bases d’une forme d’écologie dans un roman publié en 1854, Walden ou la vie dans les bois.

Ces auteurs ou ces courants ont été influencés par le romantisme en général, né en réaction aux valeurs des Lumières, plus que par Rousseau, souvent présenté comme le précurseur de ce courant. Contrairement à ce qui est souvent écrit, Rousseau ne croyait pas en la possibilité d’un retour à un état originel ou à un hypothétique âge d’or. Il affirmait que « La nature humaine ne rétrograde pas ». Cependant, sa pensée, au travers de l’interprétation romantique, a influencé certains théoriciens d’un retour à la nature. Ces « pré-écologistes » idéalisèrent la nature, faisant de l’« état de nature » une nostalgie d’un Éden dans lequel les hommes et la nature vivaient harmonieusement. En effet, le XIXe siècle voit apparaître des discours, politique, religieux ou culturel, nettement « urbanophobes », la ville devenant dans ceux-ci le lieu de tous les vices et de tous les périls4.

Cette vision passéiste eut pour conséquence de voir le développement d’un discours antimoderne. Ces premiers mouvements se sont aussitôt présentés comme un refus du monde moderne et industriel qui émergeait alors : la pensée de Thoreau est en effet marquée par le refus de l’urbanisation et de l’industrialisation. Ce refus était aussi déjà présent dans les discours des premiers groupes alternatifs allemands du début du XXe siècle. Le germaniste Louis Dupeux a pu constater qu’il a existé dans l’Allemagne wilhelminienne des expériences alternatives, écologistes, de nature « néo-romantique », les Lebenreformer, qui furent à l’origine des premières plaintes contre la pollution de l’eau et de l’air. Ces mouvements néo-romantiques de la fin du XIXe siècle s’opposaient à l’urbanisation et à l’industrialisation de l’Allemagne au motif que cela entraînerait la décadence spirituelle et la destruction de la nature. Ils proposaient, comme solution, un retour à la nature, à travers la création de communautés paysannes, du naturisme (les « bains de lumière »), du végétarisme et des médecines douces5.

Positionnement des thèmes écologistes

La plupart des thèmes écologistes ont appartenu ou appartiennent encore à un univers de référence plus conservateur que libéral. En effet, l’écologie est l’héritière du romantisme plutôt que celle des Lumières. « Que l’on songe, par exemple, écrit assez justement le néo-droitier Charles Champetier, aux vertus de la vie naturelle célébrées face aux vices de la vie urbaine, à l’idée de nature conçue comme un ordre harmonieux, au refus du progrès, à la réaction esthétique contre la laideur de la société industrielle, à la métaphore de l’“organique” opposé au “mécanique” ou du “vivant” face à l’abstrait, à l’éloge de l’enracinement et des petites communautés… » Par conséquent, « […] la terre apparaît ici comme donatrice primordiale de l’élément nourricier et ordonnatrice d’un mode de civilisation traditionnelle que la révolution industrielle n’aura de cesse de transformer en un “monde perdu” dont le romantisme eut, le premier, la nostalgie »6. Il faut aussi garder à l’esprit qu’un grand nombre de valeurs prônées par les écologistes, ou par les décroissants, comme la parcimonie, la modestie, le sens du sacrifice, etc. relève plutôt de cet imaginaire conservateur.
Parallèlement à cela, les écologistes se sont aussi positionnés politiquement à gauche. L’une des figures tutélaires de l’écologisme français fut l’agronome René Dumont. Ce dernier prônait un discours radical assez ambigu. D’un côté, il soutenait une sorte de socialisme écologiste anticapitaliste et autogestionnaire. De l’autre, il défendait la « croissance zéro » du Club de Rome et surtout un malthusianisme radical. En effet, anticipant une surpopulation mondiale à venir, il désirait inciter les couples à n’avoir qu’un enfant. En Allemagne, les références provenaient de l’École de Francfort, de ce qui a été appelé en Allemagne la Nouvelle Gauche et évidemment du « naturalisme subversif » ainsi que de ce que Luc Ferry et Alain Renaut ont appelé « la pensée 68 »7.
L’imaginaire des écologistes de gauche, issu des Lumières, s’est inscrit donc globalement, et jusqu’à récemment, dans une conception progressiste de l’histoire et du monde. Cette position s’est notamment manifestée, dans les années soixante-dix, dans les thèses de Serge Moscovici. Selon celui-ci, l’Homme a toujours façonné, « anthropisé », la nature. Cette forme d’écologie ne remet pas en cause les fondements prométhéistes de la civilisation occidentale : elle peut être vue comme une simple tentative de conciliation entre les préoccupations écologiques et le productivisme industriel (le « développement durable » ou « soutenable »). En outre, cette écologie gestionnaire est sensible aux questions sociétales, en particulier aux conditions de vie des minorités (immigrés, minorités sexuelles et religieuses, etc.).
Ces différentes origines, conservatrices ou alternatives, promeuvent néanmoins une même vision du monde foncièrement anti-Lumières. Cela est particulièrement manifeste chez les Grünen, les Verts allemands, du début des années quatre-vingt, qui se référèrent aux thèses de Martin Heidegger : celui-ci soupçonnait la technique d’avoir entièrement arraisonné la nature. En 1975, alors à la fin de sa vie, Heidegger signa même un moratoire appelant la fin du programme nucléaire allemand. Cette condamnation se retrouve chez l’un des pères de l’écologie politique, Hans Jonas, un ancien élève de Martin Heidegger. De même, les écologistes américains les plus radicaux soutiennent encore actuellement un discours anti-Lumières. En effet, de grands noms de l’écologie américaine ont soutenu, ou soutiennent encore, une conception romantique et antimoderne de l’écologie, tel Aldo Leopold, un disciple de Thoreau qui fut un conseiller aux Nations Unies pour les questions écologistes.

Une futurologie pessimiste

L’écologie est devenue, au sortir de la Seconde guerre mondiale, une branche d’une « futurologie » au discours catastrophiste et très largement technophobe : « Ce qui s’est produit depuis 1945, écrit Pierre-André Taguieff, c’est l’effondrement de l’optimisme technologique hérité du XIXe siècle qui a “succombé à une série de chocs provoqués, depuis les années 1940, par le développement concret de la technologie”, ainsi que l’a établi le philosophe Peter Kemp dans un livre important. Le premier choc fut provoqué par l’emploi de la bombe atomique contre les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, montrant que la science et la technique n’étaient pas nécessairement vouées à permettre la construction d’une société meilleure.8 »
Concrètement, la futurologie écologiste est une résistance à la technique, une technophobie, et doit être vu comme une peur d’aller trop loin et trop vite vers l’inconnu. Cette idée a été développée et conceptualisée dès les années cinquante par le philosophe Günther Anders. Celui-ci est vite devenu le principal théoricien d’un catastrophisme éclairé et le prophète crépusculaire d’un Hiroshima planétaire. Comme nous l’avons dit précédemment, ce catastrophisme, cette heuristique de la peur, est présent dès les origines de l’écologie politique. De fait, les écologistes, quelle que soit leur tendance politique, ont un trait psychologique marqué : ils refusent de faire confiance aux hommes et au temps. Or, cette méfiance est, selon l’historien Michel Winock, l’une des caractéristiques du discours de droite : « Le présent est odieux, écrit-il, en ce qu’il est une étape de la dégradation d’un modèle d’origine valorisé comme un temps béni, un paradis, perdu sous les coups de la modernité.9 »
Comme l’écrit Luc Ferry dans son livre polémique Le Nouvel ordre écologique : « La renaissance du sentiment de compassion à l’égard des êtres naturels s’accompagne toujours d’une dimension critique à l’égard de la modernité.10 » Et effectivement, dans un tel discours, l’« avenir » devient le synonyme de « tout peut arriver ». Les écologistes ont constaté, assez justement d’ailleurs, que, depuis 1945, l’humanité « pacifique » a plus dévasté la planète que les deux guerres mondiales réunies. Dès lors, toute innovation scientifique devient suspecte : « on somme donc le scientifique d’éviter à tout prix non seulement la catastrophe, mais également l’ombre de toute catastrophe possible. Le discours sur la catastrophe acquiert ainsi un pouvoir réel, et une véritable légitimité, même si la catastrophe est purement fictive.11 »
L’idéologie écologique signe la fin d’une autre : l’idéologie du progrès, issue de la philosophie des Lumières. L’avenir devient porteur d’inquiétudes et non plus de promesses. Une succession de catastrophes industrielles de grande ampleur (Seveso, Bhopal, Three Miles Island, Tchernobyl) a hypothéqué la confiance des Occidentaux dans l’idéologie du progrès, dans le « méliorisme » pour reprendre un néologisme taguieffien, l’avenir radieux des scientistes se transformant en un futur assombri par les périls à venir (comme l’intensification de l’effet de serre ou l’amoindrissement de la couche d’ozone), les risques de dérapages scientifiques et industriels se multipliant. L’histoire montrerait, dans un tel discours, « l’existence d’un lien quasiment ontologique entre l’exercice des sciences et celui de la domination violente : la libido sciendi et la libido dominandi marcheraient ensemble depuis la nuit des temps »12.
Ainsi, Hans Jonas affirmait, à la suite de Martin Heidegger, « que les moyens déployés par la technique dépassent les compétences et les objectifs de l’homme (illusion prométhéiste) »13, que la technique échappe à l’homme. Cette hubris, cette démesure technologique, serait couplée, selon les penseurs écologistes, à un pillage systématique des ressources naturelles : le modèle occidental de développement, fondé sur une exploitation intensive et extensive illimitée des ressources, détruit la planète. Ce phénomène est aggravé par le risque de surpopulation mondiale qui augmente considérablement les déséquilibres industriels, démographiques et écologiques entre les pays développés et ceux en voie de développement, c’est-à-dire des pays dont les Occidentaux jaugent la richesse à l’aune du développement économique. La « futurologie » écologique naît donc de l’idée que notre monde est devenu « plein », qu’il va souffrir d’un certain nombre de maux (sur-urbanisation, explosions démographiques, déforestations, érosions des sols, désertifications, crise de la vache folle, etc.), le risque majeur étant un effondrement, au sens défini par Jared Diamond dans son livre éponyme, Effondrement14.

Un nouveau projet sociétal

Cette futurologie pessimiste et/ou catastrophiste implique aussi une ré-élaboration des projets sociaux, qui ne résultent plus d’une attente optimiste d’hypothétiques « lendemains qui chantent » progressistes et/ou communistes, mais d’une réflexion sur les enseignements du passé et du présent. En effet, les écologistes ont pris acte de la fin des « grands récits ». Cette idée a été notamment développée en 1980 dans un livre d’André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme15. Gorz y appelait la gauche à se défaire du « fétichisme ouvrier », et de tout déterminisme matérialiste…
La futurologie écologiste, plus largement, réfléchit à des alternatives concrètes à la domination du tout économique et du tout productiviste. Il s’agit, selon les écologistes, de concevoir une sortie de la société de consommation, née des spéculations d’Adam Smith. Il s’agit aussi de réfléchir, dans l’aspect le plus radical de la pensée écologiste, à une déconstruction de la modernité dans ce qu’elle a de plus essentielle : l’humanisme et l’individualisme. L’écologie, en raison de son approche globale des problèmes de l’environnement, de l’importance qu’elle donne à la relation entre l’homme et le monde, et aussi bien sûr de sa critique de la dévastation de la Terre sous l’effet de l’obsession productiviste, de l’idéologie du progrès et de l’arraisonnement technicien, doit proposer une nouvelle vision du monde. À l’hubris économique et au prométhéisme technicien progressiste, l’écologie veut opposer le sens de la mesure et la recherche de l’harmonie. Pour cela, elle doit se débarrasser des schèmes intellectuels hérités des Lumières et promouvoir de nouveaux systèmes sociaux, parfois très conservateurs. Ainsi, Hans Jonas n’hésitait à promouvoir une sorte de dictature éclairée, seule capable selon lui de défendre les droits de la nature.

Cet antilibéralisme, tant économique que politique, est d’ailleurs revendiqué par des militants écologiques. Ainsi, certains d’entre eux considèrent que le libéralisme et l’écologie sont inconciliables16. En effet, selon ceux-ci, le libéralisme, tant politique que philosophique, étant à l’origine de la mondialisation et prônant l’universalisme, détruit à la fois les identités nationales, l’ethnocide cher à Robert Jaulin, et la nature par son éloge du marché sans entrave et son consumérisme productiviste. Le libéralisme y est donc vu comme une idéologie reposant exclusivement sur la liberté, qu’elle soit économique ou politique, une liberté qui met en péril les modèles holistes des sociétés traditionnelles. De fait, en condamnant le libéralisme, à l’origine de nos sociétés modernes contemporaines, les écologistes radicaux peuvent être vus comme des nostalgiques d’un âge d’or holiste. Dans un tel système, l’individu n’existe pas en tant que tel mais s’insère dans un nœud de relations sociales. Le holisme écologique étend ces nœuds de relations au-delà de la sphère humaine pour englober l’environnement. L’une des conséquences d’un raisonnement est de fondre les sociétés dans des écosystèmes dont il devient indispensable de défendre l’intégrité, voire d’essentialiser les immigrés vivant dans les sociétés occidentales. Pour défendre une telle vision du monde, il devient nécessaire de s’émanciper de l’idéologie du progrès, ce que font d’ailleurs les partisans de la décroissance. Serge Champeau souligne avec justesse qu’il existe, dans l’éloge de ces communautés autosubsistantes, la persistance d’un « imaginaire du romantisme réactionnaire du début du XIXe siècle »17 dont nous avons déjà parlé.

Il existe au sein des Verts une exception notable : Daniel Cohn-Bendit, qui peut être vu comme « un vrai libéral camouflé en libertaire », pour reprendre l’expression du journaliste Éric Conan18. En effet, il est favorable à la privatisation de certains services comme les télécoms, la poste, l’électricité, etc. En outre, Daniel Cohn-Bendit n’hésite à critiquer en Allemagne un positionnement à gauche. Si ces propos sont rares en France, ils ne le sont pas en Allemagne. En effet, selon Eric Conan, dans un article paru dans Marianne, Daniel Cohn-Bendit aurait affirmé aux Verts allemands : « J’entends dire mes camarades verts qu’ils ont des valeurs de gauche. Mais qu’est-ce que c’est, la gauche ? Le communisme ?, Le Stalinisme ?, Le colonialisme de Jules Ferry ? » En ce sens, il est cohérent : il se définit depuis les années quatre-vingts comme un « libéral-Libertaire »19. Ses positions ne font pas l’unanimité au sein des écologistes. Il est d’ailleurs assez courant qu’il soit considéré comme un imposteur, voire comme un dangereux mondialiste, un homme du « Système »20.

L’écologie radicale

Nos écologistes sont attirées par une forme radicale de l’écologie : l’« écologie profonde ». Cette « écologie profonde » (deep ecology) s’oppose à l’« écologie superficielle » (shallow ecology) qui se ramène à une simple gestion de l’environnement et qui vise à concilier préoccupation écologique et production industrielle sans remettre en cause les fondements des sociétés occidentales. Ces adeptes de l’écologie profonde développent un discours largement utopique rêvant soit d’un monde révolu, pour les réactionnaires ou les nostalgiques, soit d’un monde à venir, postmoderne, inspiré de Lyotard, pour les moins marqués à droite.
Les partisans de l’écologie profonde sont, selon Dominique Bourg, « […] conduits à rejeter la conséquence même de cette élévation [de l’homme au-dessus de la nature et de l’individu au-dessus du groupe], à savoir la proclamation des droits de l’homme. Ils s’en prennent encore à la religion judéo-chrétienne, accusée d’avoir été à l’origine de l’anthropocentrisme, à l’esprit scientifique analytique et donc inapte à la compréhension de la nature comme totalité, et enfin aux techniques, accusées de tous les maux. Rien de ce qui est moderne ne semble trouver grâce à leurs yeux »21.
Cette dimension naturaliste radicale est un point de convergence entre l’écologie de droite, conservatrice, et l’écologie de gauche, qui fut progressiste. En effet, toutes deux sont critiques vis-à-vis du progrès, dans le sens de progrès technique. Pour s’en convaincre, il suffit de repenser aux textes de certaines grandes références des écologistes comme André Gorz, Bernard Charbonneau ou Jacques Ellul. Certes, il existe une différence notable entre l’écologie politique que nous pourrions qualifier de « droite » qui associe refus du progrès technique et refus de l’idéologie progressiste, et une autre que nous pourrions qualifier par un mouvement de balancier de « gauche », qui certes refuse la dérive du progrès technique mais qui se situe encore comme une force progressiste socialement parlant. Mais, dans certains milieux radicaux de cette écologie de gauche apparaît un discours conservateur et antiprogressiste qui ne dit pas son nom mais qui exprime néanmoins de plus en plus clairement un discours équivalent à celui des écologistes de « droite »22.

Malgré un positionnement souvent ouvertement de gauche, la pensée écologiste la plus radicale, par les valeurs qu’elle promeut, reste donc assez largement une pensée conservatrice, très largement pessimiste et foncièrement antilibérale. En effet, les écologistes refusent de faire confiance aux hommes et à l’idée de progrès. Cette position tranchée soulève des interrogations. Malgré tout, la prise de conscience écologique est plutôt positive tant qu’elle ne se transforme pas en un terrorisme écologiquement correct, en un anti-monothéisme, en un naturalisme radical antihumaniste ou en un antimodernisme technophobe.

  1. Jean Jacob, L’Antimondialisation, Aspects méconnus d’une nébuleuse, Paris, Berg International, 2006. []
  2. Marcel Gauchet, La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, « Tel », 2002. []
  3. Cf. Donald Worster, Les Pionniers de l’écologie, Paris, Sang de la terre, 1998, pp. 79-131. []
  4. Sur ce point, cf. Arnaud Baubérot et Florence Bourillon (dir.), Urbanophobie. La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles, Paris, Bière Éditions, 2009. []
  5. Louis Dupeux, « La version “Völkisch” de la première “alternative” 1890-1933 », in Louis Dupeux (dir.) La Révolution conservatrice dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, 1992, p. 185 et p. 190. []
  6. Charles Champetier, « La droite et l’écologie », in Arnaud Guyot-Jeannin (dir.), Aux Sources de la droite. Pour en finir avec les clichés, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2000, p. 56 et p. 58. []
  7. Luc Ferry et Alain Renaut, La Pensée 68. Essai sur l’anti-humanisme contemporain, Paris, Gallimard, 1988. []
  8. Pierre-André Taguieff, L’Effacement de l’avenir, Paris, Galilée, 2000, p. 23. []
  9. Michel Winock, « L’éternelle décadence », Lignes, nº 4, octobre 1988, p. 62. []
  10. Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Paris, Grasset, 1993, p. 33. []
  11. Etienne Klein, « Faut-il avoir peur de la science », Les Cahiers rationalistes, n° 601, juillet-août 2009, p. 7. []
  12. Ibid., p. 8. []
  13. Thomas Keller, Les Verts allemands. Un conservatisme alternatif, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 213. []
  14. Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, NRF Gallimard, 2006. []
  15. André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, Paris, Galilée, 1980. []
  16. Laurent Ozon, « Ecologie et libéralisme : deux visions du monde inconciliables », in Benjamin Guillemaind et Arnaud Guyot-Jeannin (dir.), Aux sources de l’erreur libérale. Pour sortir de l’étatisme et du libéralisme, L’Âge d’Homme, coll. « Vu Autrement », 1999, pp. 94-106. []
  17. Serge Champeau, « L’idéologie altermondialiste », Commentaires, n°107, automne 2004, p. 704. []
  18. Eric Conan, « Cohn-Bendit, nouveau centre… de la recomposition », Marianne, 23 au 26 mars 2010, p. 23. []
  19. « Cohn-Bendit : “Je suis un libéral-libertaire” », L’Humanité, 7 janvier 1999. []
  20. Voir notamment, Paul Ariès et Florence Leray, Cohn-Bendit, l’imposture, Paris, Max Milo, 2010. []
  21. Dominique Bourg, « Droits de l’homme et écologie », Esprit, octobre 1992, p. 81. []
  22. Cf. Stéphane François, Une vision du monde réactionnaire ? Réflexions sur l’écologie politique (titre provisoire,) Paris, Éditions du Cerf, préface de Stephen Launay, 2012. []
Rubriques :
  • Combat social
  • Combattre le racisme
  • Politique
  • ReSPUBLICA

L'immigration, la « muleta » de l'arène politique !

par Nicolas Pomiès

On peut se demander ce qui justifie, toujours à l’approche de grandes échéances électorales, ce retour dans l’arène politique du débat sur l’immigration. On se trouve alors confronté à des campagnes visant à désigner les immigrés comme les responsables de nombre de problèmes rencontrés par notre pays.
Aucune donnée statistique ne prouve que le « niveau » des populations immigrées sur notre sol soit tel que la société française ne pourrait plus jouer son rôle d’intégration.
En 2003, 4 300 000 immigrés résidaient en France Métropolitaine soit environ 7,4 % de la population, 100 000 étaient entrés sur notre territoire grâce au dispositif du regroupement familial. Ce « niveau » est le même depuis 25 ans et représente l’un des plus bas d’Europe.

Cependant les législations restrictives à l’installation légales sur notre territoire ont eu pour effet de maintenir entre 200 000 et 400 000 personnes dans une forme d’illégalité « fictive » mais tolérée.
Fictive car ces populations sont connues des autorités puisqu’elles occupent des logements, travaillent au noir, consomment et envoient leurs enfants à l’école. Les secteurs employant cette main-d’œuvre corvéable à souhait et sous-payée sont parfaitement identifiés : confection-maroquinerie, restauration, emplois domestiques, bâtiment. Il existe des filières d’embauchage,qu’elles soient patronales ou liées à des réseaux mafieux. Il est clair qu’il faudrait livrer un combat très ferme contre ces filières et non pas contre leurs victimes.
Les textes permettent pourtant de s’en prendre aux passeurs et aux exploiteurs de l’immigration clandestine. Il y a donc de quoi faire si on exploite pleinement la loi.

L’immigration ne joue t-elle pas, depuis qu’elle est a été officiellement interdite en 1974, le rôle de la muleta pendant la corrida ?

On agite l’immigration aux yeux du peuple comme on agite la cape rouge devant les yeux du taureau dans un but de contournement du véritable problème :
l’accaparement des richesses nationales par une minorité tandis qu’une majorité croissante de nos concitoyens connaît les inégalités, la précarité, le chômage et la misère.
La récente crise conjoncturelle du capitalisme et les mesures d’ajustement ont permis de relancer les profits pour les détenteurs de capitaux.
Par son produit intérieur brut (PIB), la France est toujours la quatrième puissance économique mondiale.
La France, dont l’excédent commercial s’est élevé à 124 milliards de francs (18,9 milliards d’euros) en 1999, est le quatrième exportateur de biens (principalement biens d’équipement) dans le monde
et le deuxième pour ce qui concerne les services et l’agriculture (notamment céréales et agroalimentaire).
La France reste le premier producteur et exportateur agricole européen. Par ailleurs, la France réalise 63 % de ses échanges commerciaux avec ses partenaires de l’Union européenne (50 % avec la zone euro). La France se situe au quatrième rang mondial des pays d’accueil des investissements directs provenant de l’étranger.

C’est dans ce pays que la première fortune gagne un SMIC et demi annuel par heure, que les 60 premières fortunes gagnent 5 300 SMIC annuels ; dans le même temps, 7 millions de nos compatriotes sont pauvres, parmi lesquelles 2 millions de travailleurs. 400 000 sont sans-toit, 200 000 dorment par terre, 200 000 sont dans les campings, voilà la situation de la France au moment où elle n’a jamais été aussi riche de son histoire. Le revenu salarial moyen a progressé en 10 ans de 3%, mais il a régressé d’1% pour les employés et dans le même temps, les actionnaires du CAC 40 ont vu leurs bénéfices augmenter de 300 % !
Le PIB de la France croît chaque année d’environ 1,5 %, tiré en majeure partie par la consommation des familles (la fameuse demande interne).
Entre 1992 et 1999, le PIB de la France a augmenté de 12,43 %, et lors de cette période l’augmentation du capital a été de 20 % tandis que les salaires n’ont augmenté en moyenne que de 9,16 % (avec une forte augmentation des hauts salaires et une stagnation des salaires moyens et bas).

La place de l’immigration est-elle une question majeure ?

Peut-on envisager que, dans la crise du vivre ensemble que connaît la société française, l’immigration ait une place majeure mise au grand jour lors des émeutes de banlieues en 2005 et régulièrement rabâché par les reportages sécuritaires des médias ?
Les émeutes ont-elles été consubstantielles aux origines culturelles des émeutiers ?
Une zone rouge dans le rapport entre immigrés et nationaux est-elle atteinte ?
La part de l’immigration dans la société française est-elle acteur de crise de celle-ci ?
Il est indéniable que ces questions font le spectacle politique comme la muleta fait la corrida.
Pourtant le taux migratoire n’a pas évolué depuis 25 ans, mais sa nature a changé puisque si les immigrés jusqu’en dans les années 80 étaient majoritairement de faible qualification et destinés à être ouvriers, il sont aujourd’hui plus nombreux à avoir été scolarisé dans leur pays (44 % sont diplômés) et appartiennent davantage au secteur tertiaire.
Si les enfants d’immigrés sont nombreux à être en difficulté scolaire à l’école élémentaire, ils réussissent aussi bien que les enfants d’ouvriers français dans le secondaire.
L’intégration des populations immigrés n’est donc pas si problématique que cela. Les mariages mixtes sont fréquents, les pratiques religieuses sont globalement en régression, les jeunes Français d’origine étrangère récente ont le même taux de civisme par le vote que les Français issus de familles françaises de plus longue date.
Mais les problèmes liés à la délinquance dans les banlieues ethnicisées artificiellement et des quartiers ghettoïsés, où chômage, toxicomanie et ségrégation résidentielle additionnent leurs effets désintégrateurs et s’expriment par des flambées de violence ; les émeutes ou le passage au terrorisme sous influence islamiste, sèment le doute sur les possibilités d’intégration réelle des populations étrangères. C’est un ensemble de vrais problèmes, de hantises irrationnelles et d’amalgames ethnocentriques qui ne cesse d’alimenter en France le sentiment et l’imaginaire d’insécurité qui proviendraient de différences culturelles avec des populations d’origine étrangère.
Car tous les ingrédients de la crise de société que nous traversons paraissent se concentrer dans les  quartiers difficiles. Ces derniers s’avèrent les laboratoires et les révélateurs de la transition chaotique provoquée par la globalisation économique. Les banlieues et les quartiers populaires sont bien les lieux d’inscription privilégiés des malaises et des désespérances où sont concentrées toutes les difficultés facilitant les conditions d’émergence des motivations prolepénistes. Car les réactions  identitaires se constituent inséparablement des paniques sécuritaires.
Cette réaction identitaire, si elle permet depuis 20 ans à chaque élection la fausse surprise d’un vote persistant pour l’extrême droite réactionnaire, est aussi à l’origine dans les cités populaires de la construction d’identités mythiques. C’est l’insécurité sociale qui est le fondement des identités mythiques dans la banlieue. Ce fondement est d’ordre psychosocial, on se bâtit un sentiment d’appartenance commune à une origine, une religion, une tribu, un quartier et on invente divers symboles identitaires destinés à donner une assise à l’estime de soi des membres du groupe choisi.
Ces identités mythiques n’ont plus aucun lien avec les cultures vécues dans les pays d’origine. Car l’identité et la culture - éléments de la superstructure - sont toujours liées à l’infrastructure comme l’analysait un certain Marx.
Un pécheur sénégalais n’est plus la même personne lorsque il se retrouve dans une banlieue parisienne à faire les trois huit dans une entreprise de services, et ses enfants scolarisés en France connaîtront une existence, une vie sociale, des pratiques culturelles ayant très peu en commun avec les siennes. Les travaux du sociologue Emmanuel Todd prouvent qu’avec l’augmentation du niveau de vie et de satisfaction matérielle (infrastructure), les pratiques culturelles évoluent (comme par exemple l’usage de la polygamie qui diminue).
Il n’y a pas de différences autres qu’économiques, sociales et culturelles telles, au sein de l’Humanité, qu’il faille penser que des personnes aux cultures différentes ne puissent vivre ensemble dans la même communauté nationale. L’inégalité n’est pas inscrite dans les gènes.

La République pour la Liberté

La République n’a aucun projet culturel car elle repose sur un projet politique, et non pas sur un projet ethnique ou culturel.
C’est son projet depuis la Révolution française avec le discours de l’Abbé Siéyes « Qu’est ce que le tiers Etat ? ».
La République n’oblige pas à “aimer la France”. Pour être citoyen, nul n’est obligé d’aimer sa culture supposée, ni son histoire, ni sa gastronomie, ni ses arts, ni ses vins de terroir. La seule exigence (qui touche à la culture, puisqu’elle en est et le socle et la “clé”) que le législateur doit avoir concerne la langue: la maîtrise de la langue française, contingence historique, permet l’accès aux droits, à la vie publique puis à la citoyenneté. Mais, là encore, personne n’est obligé d’être Alain Rey, d‘“aimer la langue française” : il suffit de la maîtriser afin d’avoir la pleine jouissance de ses droits et d’échapper à la mise sous tutelle. C’est pourquoi on parle d’intégration (au sens politique) et pas d’assimilation (qui nécessite un changement culturel).
L’échec du melting-pot aux Etats-Unis prouve définitivement la faillite de la prise compte des identités et de l’assimilation comme mode de construction d’une communauté nationale.
Le paradoxe mis en évidence par le principal théoricien du melting-pot américain, Robert Ezra Park, en dépit de l’optimisme affiché de son modèle d’évolution cyclique : plus les distances sociales s’amenuisent ou s’effacent, plus les croisements interraciaux se multiplient, plus les cérémoniaux et les préjugés « conservateurs » perdent leur fonction symbolique. bref, plus s’accélère la marche vers la ressemblance ou l’assimilation généralisée, et plus les conflits s’exaspèrent. La marche vers l’unité « culturelle » est en même temps accroissement de conflictualité.

Ce modèle d’intelligibilité demeure éclairant.
En fait, la seule vraie question qui se pose à travers les discussions contemporaines sur l’identité et la différence, le multiculturalisme et la politique de reconnaissance, c’est celle de la liberté.
Or la liberté est un attribut fragile de l’individu qui pense et qui agit, et non pas d’un quelconque rassemblement. L’individu décrit par Alain, celui qui s’éveille et qui pense, contre la communauté qui dort, l’écrase et l’aveugle On peut être citoyen français tout en ayant un imaginaire investi dans une autre culture (pourvu que l’on respecte les lois de la République). Pour être un citoyen membre du souverain, nulle adhésion, nulle foi, nulle valeur n’est requise. La loi républicaine n’a pas besoin de foi, et la République n’a pas besoin de prêtres. Elle ne pose qu’une condition, qui n’a rien d’excluante puisqu’elle est la chose la mieux partagée: la raison. Notre combat politique ne tourne qu’autour de cela: comment mettre la raison au centre de la politique, comment exclure au maximum toute autre considération (ethnique, culturelle, religieuse, préjugé, c’est- àdire l’irrationnel à laquelle aboutit la « pensée » de la globalisation) du champ politique et ne garder au final que la seule chose que nous ayons tous en commun, la possibilité d’user de notre raison ? C’est la mise en oeuvre du principe de laïcité. C’est pour cela que notre projet politique est universalisable, et c’est pour cette raison qu’il permet l’intégration politique de populations ayant fait le choix, libre ou plus souvent contraint par les événements, de venir s’installer en France.
Le moins mauvais des modèles d’organisation de la diversité potentiellement conflictuelle est probablement représenté par la laïcité.
Améliorer les conditions économiques et sociales du maintien de la liberté Ce sont les inégalités sociales qui sont à l’origine de la délinquance, fille de la misère touchant de façon criante les populations immigrés présentes dans les cités populaires.

Il faut donc établir les conditions de construction de l’égalité.

L’Etat national doit fonctionner comme un Etat de droit et répondre de façon crédible à la demande d’espoir de ceux qui sont saisis par le sentiment de précarité économique, par l’angoisse profonde que suscite la fragilisation de l’emploi due au « turbo-capitalisme » à la fois destructeur et restructurateur, par delà tout souci du coût social de la mondialisation économique. Dénuées d’entrave, les forces du marché peuvent se déployer à travers les processus de dérégulation qui font entrer des individus « désaffiliés » dans un nouveau monde indéfiniment fluctuant, sur le modèle des flux économiques variables. D’où la montée d’un double sentiment d’instabilité et d’insécurité croissantes, accompagnant la mise en place de la « turbo-économie ».
C’est oublier que les humains ne se réduisent pas à des agents économiques manipulables, qu’ils sont des animaux sociaux, des êtres affectifs et imaginants, incapables de vivre sans satisfaire des besoins matériels et immatériels de stabilité et de sécurité, incapables de bien vivre sans faire d’autres rêves que celui d’une adaptation disciplinée aux désordres du marché mondial érigé en Destin. La perte de souveraineté des Etats-nations, principal effet politique de la globalisation économique, s’accompagne d’une conséquence psychosociale d’une extrême importance : le sentiment que forment les individus, abandonnés à eux-mêmes – c’est-à-dire à leur fragilité, voire à leur dénuement – de ne pouvoir plus compter sur une autorité protectrice, longtemps incarnée par l’Etat républicain.
Le retrait de l’Etat fait surgir un espace vacant que tous les démagogues réactionnaires ne manquent pas d’occuper. C’est le retrait de l’Etat, l’affaiblissement de la démocratie face à la dictature techno-marchande qui prive l’individu d’une part importante de sa liberté.
Il convient donc de réfléchir au retour de l’Etat interventionniste et régulateur des bouleversements économiques et des changements sociaux. C’est dans le cadre de l’Etat-nation que les besoins de stabilité et de sécurité peuvent être satisfaits, à travers différents mécanismes de solidarité.

L’Etat doit intervenir pour établir partout l’égalité et imposer les lois démocratiques aux intérêts financiers.

C’est l’égalité comme boussole et l’établissement d’un Etat laïque et social au service de tous qui permettront de mettre fin à la misère génératrice de délinquance.

Il faut apporter des solutions conformes à ces exigences et refuser l’intrusion du fait culturel ethnique ou religieux dans la politique républicaine, comme nous pouvons le lire dans certains discours tant de l’extrême droite, de la droite, des socio-libéraux ou des gauchistes culturels et communautaristes.

Il est donc indispensable de rappeler que l’accélération du processus de marchandisation et de privatisation des activités humaines démarrédans la phase précédente, dite de la mondialisation néolibérale (à partir du milieu des années 70)
la ponction de 10 points de PIB, en un quart de siècle, dans la part des richesses produites au détriment du monde du travail(revenus du travail + cotisations sociales) et pour abonder la rémunération des actionnaires et le développement des économies parallèles par la concurrence des systèmes de protection sociale en vue de les privatiser et de les harmoniser par le bas.
La priorité doit consister à engager la résistance et à combattre avec efficacité toutes les concurrences entre systèmes de protection sociale.
Il faut donc combattre, contrairement à ce que proposent les gauchistes culturels et communautaristes, les quatre types de libre-échange : celui des capitaux, celui des services, celui des produits agricoles et manufacturés, celui de la force de travail.
Ainsi, aujourd’hui, le libre-échange des diplômés aboutit à une fuite des cerveaux des pays d’émigration et constitue un véritable pillage des pays pauvres au bénéfice des pays riches. Les mouvements internes aggravent le pillage des zones rurales par les zones urbaines et du secteur public par le secteur privé. Ce libre échange ruine les efforts de formation dans des domaines sensibles tels que la santé et l’éducation.
Cette analyse justifie plusieurs séries de mesures :

  1. Combattre le travail au noir en régularisant tous les sans -papiers (qui ainsi cotiseront aux caisses de la sécurité sociale) et l’éradiquer en créant des brigades d’intervention d’inspecteurs du  travail ainsi le travail au noir deviendra impossible et l’installation clandestine d’immigrés aussi. Il faut mettre fin au statu quo de tous les gouvernements depuis un quart de siècle qui de façon hypocrite ont maintenu un niveau travail au noir important pour le plus grand bien des dirigeants du turbo-capitalisme.
  2. Combattre toutes les politiques de libre-échange (capitaux, services, produits manufacturés et agricoles mais aussi de la force de travail).
  3. Mettre en place d’un néo-protectionnisme altruiste, social et écologique. Il s’agit de taxer les produits entrants uniquement en fonction du différentiel de protection sociale et écologique entre le pays exportateur et le pays importateur. Le produit de la taxe serait versé via un organisme international à construire sous l’égide de l’ONU pour financer les systèmes de protection sociale et écologique du pays exportateur. Lorsque l’écart baisse entre les systèmes de protection, les montants des taxes baissent en proportion. Par contre, il y a libre-échange entre les pays à protection sociale et écologique équivalent. Ce système devra fonctionner aussi bien dans les échanges avec les pays non européens que dans les échanges intra-européens.
  4. Doubler l’aide aux pays en voie de développement, notamment des pays africains et méditerranéens. Puis de tripler cet aide au cours d’un processus quinquennal. Le produit de cet aide ira principalement au financement des systèmes de protection sociale et écologique dans les pays du Sud. Cette aide ne doit pas alimenter les bourgeoisies prédatrices, dites compradores, et les dictatures existantes et être contrôlée par des instances nationales, européennes et internationales. Une partie de cette aide devra aussi développer l’économie du pays notamment ce qui peut être déclaré comme des déterminants de la santé (politique de plein emploi, services publics, transformation des matières premières sur place, hygiène, droits des femmes, etc).
  5. Combattre l’idée que l’on peut expulser des centaines de milliers de personnes qui sont insérées dans notre tissu social depuis longtemps sans basculer dans un régime fasciste. Tous ceux qui sont conscients et favorables aux solutions laïques et républicaines doivent défendre les propositions visant à créer une grande politique sociales à l’échelle internationale.

Ce sont les seules solutions concrètes aux problèmes économiques et sociaux que constitue la circulation sans limites de la main-d’œuvre immigrée.

Bibliographie d’éducation populaire :
« L’antiracisme dans tous ses débats » collection Panoramiques – livre collectif - Editions Arléa-
Corlet 1996
« La France de l’intégration. Sociologie de la Nation en 1990 » - Dominique Schnapper - Editions
21
Gallimard 1990
« Immigration, fait national et citoyenneté » - Pierre-André Taguieff et Patrick Weil – Esprit 1990
« La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration (1938-1991) » Patrick
Weil – editions Calmann-Levy 1991
« Le destin des immigrés » - Emmanuel Todd – Le Seuil 1994
« La communauté des citoyens » - Dominique Schnapper – Gallimard 1994
« Le rêve américain en danger » - Edward Luttwak – Odile Jacob 1995
« Economie américaine : les risques du « turbo-capitalisme » Edward Luttwak in Politique
internationale N 69
« La République Enlisée » - Pierre-André Taguieff – Editions des Syrtes 2005
« L’invention de la sociologie noire aux Etats-Unis d’Amérique. Essai en sociologie de la
connaissance spécifique » - Pierre Saint-Arnaud – Editions Syllepse – 2003
« Quelle économie pour le XX siècle » - Jacques Sapir – Odile Jacob 2005
« La fin de l’Euro-libéralisme » - Jacques Sapir – Le Seuil 2006

Rubriques :
  • Europe
  • Extrême-droite
  • Extrême-droite religieuse
  • International
  • Politique
  • Proche-Orient

Pays-bas : de quel antisémitisme parlons-nous ?

par Centre communautaire laïc juif de Belgique

Source de l'article

Article extrait de la Lettre d’information du Centre communautaire laïc juif

Figure marquante du parti libéral néerlandais, Frits Bolkestein a appelé les Juifs des Pays-Bas à émigrer en raison de l’antisémitisme qu’il attribue aux jeunes Marocains. Simon Epstein, historien israélien spécialiste de l’antisémitisme, et Maurice Swirc, journaliste néerlandais, réfutent cette vision catastrophiste dans l’analyse qu’ils font de la situation néerlandaise.

Que pensez-vous des déclarations de Frits Bolkestein sur la nécessité pour les Juifs des Pays-Bas d’émigrer vers Israël ou les Etats-Unis ? Simon Epstein : Il exagère. Il existe toute une série de situations intermédiaires entre le beau fixe absolu, à supposer qu’il y en ait eu un pour les Juifs d’Europe, et la tourmente catastrophique dont la conséquence est le départ. Bolkestein a commis l’erreur de tomber tout de suite dans l’extrême. C’est regrettable, parce qu’il banalise complètement la rhétorique censée qualifier l’extrême s’il se produit un jour. Il aurait dû trouver d’autres mots pour qualifier l’antisémitisme qui se déploie aux Pays-Bas sans être obligé de crier « sauve qui peut, tout le monde s’en va ». Sa déclaration est incongrue, car même les Juifs, et parmi eux les sionistes les plus enthousiastes, n’osent pas tenir de tels propos. Ils savent que c’est excessif.

Maurice Swirc : Je ne partage pas du tout son point de vue sur la nécessité pour les Juifs de quitter les Pays-Bas, même s’il est vrai que l’antisémitisme connaît une augmentation significative dans ce pays. Contrairement à ce que certains laissent entendre, il ne trouve pas exclusivement sa source dans la population d’origine marocaine. Il est également présent dans d’autres segments de la société néerlandaise. Selon moi, cette focalisation sur l’antisémitisme marocain de la part de certains politiciens d’extrême droite comme le président du PVV, Geert Wilders, s’inscrit plutôt dans une stratégie antimusulmane. Je doute sérieusement que leurs prises de position en faveur des Juifs et d’Israël soient le résultat d’une passion sincère et authentique. J’ai l’impression que leur hostilité à l’égard des musulmans l’emporte sur cette soi-disant sympathie pour les Juifs. Ce qui les préoccupe avant tout, c’est l’islam et non pas les Juifs qu’ils cherchent à instrumentaliser dans leur combat. C’est la raison pour laquelle j’éprouve un réel malaise par rapport à cette lutte contre l’antisémitisme que le PVV de Wilders a inscrite à son agenda. Ce phénomène n’est pas propre aux Pays-Bas. Au Danemark, en Suède, en Autriche, et même en Belgique (en Flandre), l’extrême droite se positionne de plus en plus en faveur d’Israël. Geert Wilders, même s’il pousse cette stratégie à l’extrême, n’est pas un cas unique sur la scène européenne.

La rhétorique du départ et du sauvetage des Juifs de diaspora est-elle neuve pour la période d’après-guerre ?
Simon Epstein
: Non. Historiquement, pour que les Juifs cherchent à émigrer, il faut qu’un niveau très élevé d’antisémitisme soit atteint. Il doit être évidemment autrement plus élevé que la situation actuelle. Entre 1961 et 1962, il y a eu une tentative de sauvetage qui a tourné au ridicule en Argentine lorsque des mouvements fascistes s’attaquaient sporadiquement aux Juifs. L’Agence juive s’est convaincue que les Juifs argentins devaient émigrer en Israël. Ils ne sont jamais partis. La raison est simple : la menace doit être très grave. Il est fondamental de comprendre que l’antisémitisme doit être envisagé sur une échelle qui part de zéro à cent. Entre ces deux points, il existe toute une série de situations. Aujourd’hui, on se situe encore dans les zones basses. C’est pourquoi toute rhétorique catastrophiste évoquant les persécutions, le sauvetage et le départ immédiat des Juifs d’Europe ne correspond pas à la réalité de l’antisémitisme actuel.


Quelle est la réalité de l’antisémitisme aux Pays-Bas aujourd’hui ? Maurice Swirc :
Elle correspond à ce qui se passe dans toute l’Europe. L’antisémitisme est en croissance et ses sources sont multiples. Il ne se limite pas à la communauté musulmane. Il est beaucoup plus diffus au sein de la population néerlandaise « de souche ». De nombreux préjugés antisémites circulent sur Israël et les Juifs au sein de l’extrême gauche, qui par le passé était plutôt favorable à Israël. Les églises peuvent également faire preuve d’hostilité à l’égard d’Israël. Personne n’est obligé d’être pro-israélien et on a le droit de critiquer Israël, mais le problème se situe dans la manière avec laquelle on formule cette critique. Je pense que beaucoup de Néerlandais étaient devenus pro-israéliens par sentiment de culpabilité suite à la Shoah. Les Juifs étaient perçus comme l’incarnation universelle de la victime de la barbarie. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, ils incarnent plutôt la figure de l’oppresseur. Beaucoup de gens ont du mal à envisager les Juifs comme un groupe humain ordinaire où l’on trouve des brillants et des médiocres, des intelligents et des idiots, des gentils et des méchants… On est passé d’une extrême à l’autre. Paradoxalement, la vie n’a jamais été aussi bonne pour les Juifs aux Pays-Bas. Si l’on compare la situation actuelle avec celle des années 1930, c’est radicalement différent. Quant à l’émigration vers Israël, on s’aperçoit qu’à peine 52 personnes ont quitté les Pays-Bas l’an passé. Et l’antisémitisme ne fait pas exclusivement partie de leurs motivations de départ.

Simon Epstein : Pour les Pays-Bas comme pour les autres pays européens, il existe un potentiel inquiétant d’antisémitisme qui trouve sa source à l’extrême droite, au sein d’une extrême gauche folle d’antisionisme et auprès des fondamentalistes musulmans. Il s’agit d’un antisémitisme qui s’exprime par monts et par vaux. Aux périodes de calme se succèderont des périodes agitées. Le phénomène est cyclique. Le 21e siècle ne sera pas de tout repos, mais cela ne signifie pas pour autant que nous allons vers une catastrophe dont la conséquence serait l’émigration des Juifs, ni qu’on se dirige vers une deuxième Shoah. Les Juifs doivent comprendre qu’ils affronteront périodiquement des vagues d’antisémitisme parfois violentes et préoccupantes quant au contenu idéologique. La vie des communautés sera marquée par des éruptions d’antisémitisme suivies d’accalmies. Ce fut le cas des Juifs tout au long de leur histoire, il n’y a rien de neuf.


La tentative de séduction de Geert Wilders fonctionne-t-elle auprès des Juifs ? Maurice Swirc :
J’ai le sentiment que les Juifs n’ont pas de comportement politique différent des non-Juifs en ce qui concerne le PVV de Wilders. Le débat sur cette question est très vif au sein de la communauté juive : des personnalités juives se sont prononcées dans les médias en faveur de ce parti et d’autres ont publiquement affiché leur hostilité à son égard. Il faut savoir que Wilders néglige complètement la part la plus importante de la population juive : les Juifs laïques ou tout simplement les Juifs assimilés à la société néerlandaise. Wilders ne se réfère jamais à eux car ils ne s’insèrent pas dans son agenda politique anti-musulman. Il les méprise d’ailleurs. Ainsi, il ne cesse d’attaquer virulemment l’ancien maire travailliste d’Amsterdam, Job Cohen. Pour Wilders, les Juifs ouverts comme Job Cohen ne sont pas considérés comme de vrais Juifs.


L’extrême droite européenne peut-elle se débarrasser de son antisémitisme ? Simon Epstein :
Non. Je me place toujours dans une perspective historique. Je reste froid à l’égard de ce phénomène. Dans mes recherches, j’ai observé des extrêmes droites se proclamer non antisémites, notamment au début des années 1930 et précisément aux Pays-Bas ! Quand se crée le parti fasciste néerlandais, il se présente comme un parti qui n’a rien d’antisémite. Mais quelques années plus tard, il bascule dans l’antisémitisme le plus virulent. C’est la raison pour laquelle je ne m’ébahis pas d’admiration devant une extrême droite proclamant son amour des Juifs. L’antisémitisme est inhérent à l’extrême droite. Pour que son édifice idéologique soit cohérent, l’extrême droite a besoin de l’antisémitisme. Il est difficile pour cette idéologie de ne pas inscrire la question juive dans ses préoccupations. Même si pendant certaines périodes, l’extrême droite refrene son antisémitisme et se focalise exclusivement sur les musulmans, on s’aperçoit toujours que cela ne dure qu’un temps. Les Juifs n’ont jamais eu le moindre allié à l’extrême droite. C’est un piège dans lequel ils ne doivent pas tomber, car dans le moyen terme, ils vont s’exposer à des déconvenues très cruelles.


Maurice Swirc
est journaliste aux Pays-Bas. Il écrit dans différentes revues juives, notamment le Nieuw Israelietisch Weekblad et le Joodse Omroep. Il a également réalisé une série de documentaires sur le monde juif pour la télévision néerlandaise. Il a publié en 2010 Altijd Mazzel, een wereldreis langs joods gemeenschappen (Boom), une enquête sur les communautés juives à travers le monde.

Historien israélien, Simon Epstein est professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Spécialiste de l’antisémitisme, il a consacré de nombreux travaux aux réactions juives face à ce phénomène. Dans Les Dreyfusards sous l’occupation et dans Un paradoxe français, antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance (les deux chez Albin Michel), il s’est également intéressé aux cas de Dreyfusards et de personnalités politiques philosémites qui ont basculé dans l’antisémitisme le plus virulent et dans la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale.

Propos recueillis par Nicolas Zomersztajn

Agenda

samedi 14 - samedi 14 novembre 2009
Formation citoyenne sur la question de la gestion de l'eau

FORMATION CITOYENNE

Nous organisons une formation sur la question de la gestion de l’eau, avec un spécialiste Monsieur Linossier.

A la MAISON DES ASSOCIATIONS
2 rue des Corroyeurs DIJON
Grande salle du RC

Programme

La formation est essentiellement interactive pour être sûr de ne pas
passer à côté des attentes du public.

Programme sur l’organisation de la gestion de l’eau en France via les agences de l’eau notamment. Soit :
- la gestion de la ressource en France
- la gestion locale de la distribution d’eau et de l’assainissement
- les modes de gestion

  • la règlementation, les lois ;
  • les acteurs ;
  • les usagers et leurs associations ;

- que peut faire le collectif

  • les données sur lesquelles il doit s’appuyer
  • vers qui doit-il se tourner pour gagner son combat.

Etude à partir d’un contrat, en principe celui de Dijon.

Pour organiser cette formation une inscription est nécessaire dans les meilleurs délais et avant le 1° novembre.

Ecrire à “Eau 21 - 3 impasse du Vauloin 21370 LANTENAY”

Une participation aux frais, à votre bonne volonté, sera proposée. Le repas de midi pourra être pris à proximité au Foyer des Jeunes Travailleurs