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Pour combattre efficacement le FN, il faut d'abord comprendre sa nouvelle ligne politique

par Évariste
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Jean Jaurès nous a enseigné que « Le courage c’est de rechercher la vérité et de la dire, c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques… ». Dans notre dernier édito, nous avions conclu sur la « Suite au prochain numéro ». Et bien, nous n’avons pas été déçus, les analyses du clergé médiatique et des publications des partis de gauche (y compris la gauche radicale) ont de notre point de vue un métro de retard sur l’analyse.Presque partout, on minimise que la majorité des 62,3 % (soit près des deux tiers !) qui s’est abstenue ou mis un bulletin nul ou blanc dans l’urne est parmi les couches populaires (ouvriers et employés qui représentent la majorité du peuple soit 53 %).
Presque partout, on met l’accent sur le fait que dans le second tour, « c’est essentiellement un électorat de droite qui glisse vers le FN » sans faire une analyse de classe de cet électorat. Comme si la gauche (y compris la gauche radicale) pouvait espérer aller vers une transformation sociale et politique sans un soutien massif des couches
populaires !
Presque partout, on fait mine de croire que sans poser la question du libre-échange, de l’euro, de la rupture avec le turbocapitalisme et du modèle politique, on peut continuer à être crédible vis-à-vis du peuple. La gauche radicale a mené en 2004-2005 la campagne exemplaire du non de gauche au Traité constitutionnel européen (TCE). Les couches populaires et une portion significative des couches moyennes ont compris le message de cette campagne. Elles savent que le libre-échange est une des causes de la montée des inégalités sociales, de la misère et de la nouvelle pauvreté. Elles savent que l’euro réalisé entre des pays très divergents en termes de système de protection sociale et écologique est une impasse. Ils savent qu’il n’y a plus de sortie de crise dans le cadre du turbocapitalisme. Ils ont compris que la démocratie anglo-saxonne communautariste n’est pas le nirvana espéré. Une écoute et une lecture des propos du clergé médiatique et de la majorité des responsables des partis montrent bien que ces analyses font comme si le peuple n’avait pas compris cela. Le problème est qu’il l’a compris. Et des formules du type « Non à l’Europe actuelle et vive l’Europe sociale » est un voeu pieu tant que l’on ne précise pas le chemin à prendre pour arriver à cette Europe sociale.
Laisser au FN le monopole de l’utilisation des mots et locutions « protectionnisme »,« non à l’euro », « laïcité », et bien d’autres est criminel. D’autant plus que la grande majorité des couches populaires et une partie significative des couches moyennes ont bien compris que le repli nationaliste prôné par le FN et par la droite souverainiste n’est pas la solution. Alors, pourquoi ne pas mener une gigantesque campagne d’éducation populaire tournée vers l’action contre la droite et le FN tout en développant une ligne économique et politique crédible ?
Oui, nous devons appeler à combattre le libre-échange et le protectionnisme de droite et d’extrême droite et promouvoir le néo-protectionnisme écologique et social ! Oui, nous sommes d’accord pour une monnaie unique entre des pays à systèmes de protection sociale et écologique équivalents, mais pas entre des pays à système de protection sociale et écologique divergents.
Dans ce dernier cas, on ne peut que parler de monnaie commune et de solidarité internationaliste.
Oui, nous pensons que la phase actuelle du capitalisme que nous appelons turbocapitalisme ne permet plus la sortie de crise et qu’il faut donc dépasser ce stade économique et politique. Oui, nous pensons qu’il faut promouvoir un autre modèle politique et nous mettons en débat l’actualisation du modèle de la république
sociale qui a porté les grandes heures de notre histoire ( Révolution française et naissance de la 1ére république le 22 septembre 1792, Révolution de 1848 qui a vu germé le concept de république sociale, les grande avancées de la 3e république avec le soutien massif de Jean Jaurès et de ses amis, le mouvement de 1936, le Conseil national
de la résistance et son programme révolutionnaire).
Oui, nous pensons que le FN est raciste et xénophobe, mais pour le combattre, la diabolisation est d’un autre âge et qu’il faut le combattre sur les causes de sa poussée et comprendre qu’il change de ligne politique..

C’est pourquoi nous vous proposons la lecture dans ce numéro de deux textes qui vont dans le sens de la clarification. L’un de l’économiste Jacques Sapir, posant une fois de plus le problème de l’euro et que nous empruntons à nos amis de Mémoire des luttes. L’autre de l’économiste Isaac Joshua, qui après l’avoir présenté sur la liste du Conseil scientifique d’ATTAC, nous a autorisé à le publier. Dans ce dernier article, Isaac analyse le changement de ligne du Front national qui est sous-estimé par les « belles âmes » ici et là. En lisant cet article, vous comprendrez pourquoi nous avons mis en chapô de cette chronique la célèbre phrase de Jean Jaurès. Que vous ne soyez pas d’accord avec toutes les propositions de ces deux économistes n’est pas le plus important. Le plus important est qu’ils posent chacun à leur manière, comment appliquer la célèbre phrase de Jean Jaurès.

En attendant, nous allons continuer à promouvoir ces idées partout où nous serons conviés lors des nombreuses initiatives d’éducation populaire tournées qui font florès aujourd’hui !
Hasta la victoria siempre,

Politique
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Zone euro : les défauts sont inévitables

par Jacques Sapir
Économiste, Directeur d’études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales

Source de l'article

 

1.- Le montant total des dettes des pays en danger du « sud » de la zone euro est bien plus élevé qu’on ne le croit

Jusqu’à présent, la discussion s’est focalisée sur la seule dette publique des pays du « sud » de la zone euro. Cette approche ignore le fait qu’il y a un mécanisme de vases communicants entre la dette publique (souveraine) et les dettes privées. Le total de l’endettement apparaît comme extrêmement élevé, en particulier en Espagne.

Tableau 1
État total de l’endettement de l’Espagne, de la Grèce et du Portugal à la fin 2009 (en milliards d’euros)

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Source : C. Lapavitsas et alii, « The Eurozone between austerity and default », RMF Occasional Report, SOAS, Londres, septembre 2010.

Si l’on exclut l’endettement des institutions financières, on arrive toujours à des chiffres impressionnants. Il est donc clair que l’État devra reprendre à son compte une partie de ces dettes privées qui ne sont pas soutenables.

Tableau 2
Structure de la dette privée (en milliards d’euros)

Espagne Portugal Grèce
Total sans institutions financières 3 647 545 581
En % du PIB 347,2% 333,4% 244,6%
Dont entreprises non financières 195,4% 150,5% 69,5%
Dont ménages 87,4% 108,9% 51,8%

Source : la même que pour le tableau 1

De plus ces tableaux ont été calculés à la fin de 2009. Depuis, l’endettement public a continué de progresser et ne cessera de la faire.

2.- La part de cette dette détenue par l’étranger est aussi très importante

La part de cette dette détenue par les non-résidents varie du tiers (soit 168,6% du PIB) pour l’Espagne à un peu plus de la moitié (soit 151% du PIB) pour la Grèce. La majeure partie de cette dette est détenue dans la zone euro, dont 66% par 5 pays (Allemagne, France, Pays-Bas, Irlande, Belgique) pour l’Espagne ; 66% pour le Portugal et 58% pour la Grèce.

Tableau 3
Dette détenue par les non-résidents (en milliards d’euros)

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La part détenue par la France et L’Allemagne varie de 48% à 41%.

 

3.- Un ajustement impossible

Ces pays ont entamé, avec l’Irlande, des plans d’ajustement budgétaire excessivement ambitieux. La montée des désordres sociaux (Grèce) et politiques (Portugal, mais aussi Irlande) en témoigne.
On peut constater, sur le tableau suivant, l’ampleur de cet ajustement nécessaire uniquement pour que la dette exprimée en pourcentage du PIB cesse d’augmenter.

 

Tableau 4
Montant de l’ajustement budgétaire nécessaire à une stabilisation de la part des dettes publiques en pourcentage du PIB

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Source : BNP-Paribas et CEMI-EHESS

Le choc budgétaire exigé pour que la dette se stabilise à son niveau de 2010 est compris entre 17 et 14 points de PIB pour la Grèce, 10 et 12 points pour le Portugal et l’Espagne. Il atteint de 20 à 22 points de PIB pour l’Irlande.
L’Irlande et la Grèce sont ici typiquement des cas extrêmes, dont on ne voit pas de solution cohérente avec le maintien dans la zone euro. Le défaut, assorti de la sortie de la zone et d’une forte dévaluation, apparaît aujourd’hui comme l’issue inévitable à la crise.

Dans le cas de l’Espagne, dont le PIB et le montant de la dette sont largement supérieurs aux trois pays (Grèce, Irlande et Portugal) cumulés, il faut savoir :

  • Que le taux des défauts sur l’immobilier atteint 11% pour les dettes des promoteurs et 7% pour celles des crédits immobiliers commerciaux. Le stock de logements invendus est passé de 394 700 au 31 décembre 2006 à 1 202 848 au 31 décembre 2010.
  • Qu’en dépit de provisions plus importantes que dans bien des pays, les banques espagnoles devront être recapitalisées pour une somme oscillant entre 80 et 100 milliards d’euros en 2011, et ceci sans préjudice de recapitalisations ultérieures.
  • Que les projections de croissance faites par le gouvernement, et sur lesquelles il a fondé sa politique de réduction des déficits, sont beaucoup trop optimistes.
  • Que les projections de dépenses faites dans le cadre de la politique de réduction des déficits sont, elles aussi, bien trop optimistes. Face au problème de la recapitalisation nécessaire des banques, elles sont en fait irréalistes.

Dans ces conditions, ce plan de stabilisation du déficit public est condamné à l’échec et il est probable que l’Espagne soit obligée de demander à bénéficier du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ce qui, en l’état, et devant les réticences fortes de certains pays d’en accroître le volume, conduirait à l’explosion de ce dispositif.

Il faut noter que, même pour la France et l’Italie, le choc d’ajustement est élevé et rend improbable une stabilisation de la dette à son niveau de 2010. En admettant que de tels chocs soient socialement supportables, leur impact cumulés sur une partie de la zone euro plongerait cette dernière dans une profonde dépression. Or, si la croissance s’effondre à la fin de 2011 et en 2012, les objectifs de stabilisation du poids de la dette ne pourront pas être tenus en dépit des efforts consentis.

4.- Un défaut inévitable ?

Le défaut semble donc la seule option possible pour au moins 4 pays : la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne. La question désormais n’est plus de savoir si ce défaut aura lieu, mais quand il aura lieu.

De ce point de vue, les deux pays les plus fragiles sont la Grèce et l’Irlande. Les spreads sur la dette publique pour ces deux pays convergent, et ils se situent à des niveaux particulièrement élevés. Mais il faut savoir que l’Espagne constitue aussi un risque fort en raison de l’immense endettement de ses agents privés et de la nécessité de transférer une partie de leurs dettes à la puissance publique (en particulier celle des établissements bancaires dont 30 ont vu leur note dégradée le 24 mars dernier).

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Graphique 1

Source : Agence France-Trésor.

Le scénario le plus probable est la combinaison de problèmes économiques et sociaux insolubles pour la Grèce et l’Irlande, et d’une dégradation des conditions d’emprunt de l’Espagne forçant ce dernier pays à demander à bénéficier du FESF, avec les conséquences probables que ceci entraînerait. La possibilité d’un défaut de un ou deux pays pour l’hiver 2011-2012 apparaît donc comme forte.

Les taux d’intérêt auxquels sont soumis actuellement ces pays rendent la dette naturellement explosive : la dette engendre la dette. Seul l’effacement d’une partie de la dette publique (accrue d’une partie de la dette privée dans le cas de l’Espagne) leur permettrait de retrouver une solvabilité. Le défaut ou la restructuration (défaut partiel) est donc pour eux l’unique solution à terme.

Mais si le défaut à lieu dans la zone euro, cela obligerait les autres membres de cette zone à financer directement ces quatre pays pour le déficit budgétaire nouveau, dans la mesure où ils se verraient, pour un temps, exclus des marchés financiers.

5.- Défaut et sortie de l’euro

Techniquement, le défaut n’implique pas la sortie de l’euro. S’il pose de redoutables problèmes aux banques (en Allemagne, France, Pays-bas et Belgique en particulier), il reste envisageable.
Notons cependant que le choc sur les banques serait tel qu’il poserait le problème du financement conjoint tant de la nouvelle dette que des mesures destinées à retrouver la compétitivité dans un pays comme la France. On ne voit guère de solution sans une monétisation importante de cette dette et sans un contrôle public sur ces établissements (banques et assurances) afin d’éviter toute panique.

 

Tableau 5
Montant des créances détenues par certains pays sur les 4 pays en difficulté

Dettes émises par :
Total détenu par les banques et assurances Espagne Irlande Grèce Portugal TOTAL
France 64,3 17,0 74,5 43 198,8
Allemagne 81,5 21,4 36,6 22,8 162,3
Pays-Bas 19,8 3,6 6,4 5,8 35,6
Belgique 16,1 4,9 17,4 7,6 46,0

Source : NATIXIS, Flash Economie, n°212, 22 mars 2011.

 

Mais, en ce cas, il faudrait pérenniser une structure de transferts budgétaires des pays « excédentaires » de la zone (Allemagne, Finlande, Pays-Bas) au profit de ces 4 pays. Or on voit bien, avec les récentes évolutions politiques outre-Rhin, que cela n’est pas possible. L’Allemagne n’est pas prête à assumer le transfert de l’équivalent de 2 points de PIB par an vers les pays du « sud » de la zone euro.
Or, sans de tels transferts, il est impossible de compenser les écarts de productivité, et il est inévitable que l’endettement – public ou privé - reprenne dans ces pays une fois que le défaut sur la dette sera accompli. Seule une importante dévaluation est à même de leur permettre de retrouver la compétitivité perdue face à l’Allemagne.

Par ailleurs, cette dévaluation leur permettrait aussi de retrouver leur compétitivité face au reste du monde où l’euro, à son cours actuel, les pénalise très durablement.

Graphique 2

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Source : OCDE

 

Tableau 6
Part du commerce extérieur libellé en euros (données de 2009)

Exportations Importations Moyenne
Portugal 54,6% 60,2% 57,4%
Belgique 55,3% 57,0% 56,2%
France 52,4% 45,1% 48,8%
Luxembourg 52,7% 41,7% 47,2%
Grèce 47,3% 39,6% 43,5%

Source : Base statistique de l’OCDE

 

Il faut ici signaler que la somme des élasticités sur les importations et les exportations montre que si l’Espagne n’a guère d’intérêt à une sortie de l’euro (ni à un euro faible), il n’en va pas de même pour la Grèce, la France, l’Irlande et le Portugal qui sont largement bénéficiaires dans une telle situation [1]. Ceci traduit tant la structure des appareils productifs de ces pays que leur exposition aux coûts de l’énergie importée, très faible dans le cas de la France.

Ceci accrédite l’idée qu’une sortie de l’euro (cumulée à un défaut) est une solution qui s’impose pour la Grèce et l’Irlande. Elle pourrait l’être pour le Portugal.
Mais, dans ce cas, l’intérêt de la France serait aussi de faire défection de la zone euro.

Il convient donc de regarder la réalité en face. Un ou deux défauts sur la dette souveraine se produiront d’ici un an dans la zone euro, accompagnés de la sortie en catastrophe de ces pays de la monnaie unique. D’autres pays (le Portugal et surtout l’Espagne) demanderont à bénéficier du FESF, rendant intenable ce dispositif. Les conséquences politiques et psychologiques seront énormes.

Plutôt que de subir, il faut choisir. La France doit se poser la question de savoir si le maintien en l’état de la zone euro a pour elle encore un sens, compte tenu de ces défauts et de leurs conséquences. Une catastrophe pleinement anticipée peut être réduite, mais une catastrophe subie est toujours mortelle.

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Quelques réflexions sur la montée du FN

par Isaac Joshua
Economiste, membre du Conseil scientifique d'Attac.
Auteur de "La grande crise du xxie siecle, une analyse marxiste" (La découverte, 2009).

 

Ce texte est publié avec l’accord de l’auteur qui tient à signaler aux lecteurs qu’il a été produit pour le Conseil Scientifique d’Attac.
NDLR

Les récentes élections cantonales ont été l’occasion d’une forte montée du FN. Vote de désespoir, fait de rejets, de dégoûts, et qui s’explique avant tout par la terrible fermeture de l’horizon politique, où il y a peut-être une alternance, mais certainement pas d’alternative. Cependant, on ne peut rendre compte des points marqués par le FN par cette seule configuration, qui valait avant les cantonales et vaudra sans doute après. Un changement rapide et récent du positionnement politique de cette formation a contribué à ce succès, une évolution sans doute facilitée par les modifications à la tête du parti, mais qui ne s’y réduit pas.

Le programme raciste et xénophobe du FN est bien connu, qu’il s’agisse de la guerre contre l’immigration et les immigrés, de la dénonciation de « l’étranger » ou de la « préférence nationale » (à l’emploi, au logement, aux prestations sociales). S’y ajoute une politique familialiste et « le retour des femmes au foyer », amplifiée par la demande de Marine Le Pen de « cesser de rembourser l’avortement »1. Ces tendances lourdes sont toujours présentes (Marine Le Pen demande « un moratoire » sur l’immigration et que les clandestins soient « repoussés » hors des eaux territoriales2) et s’il y a bien un glissement récent des énoncés politiques, il a lieu ailleurs. Sous l’égide de Jean-Marie Le Pen, le programme économique du FN était d’inspiration nettement libérale : il fallait « libérer le travail », l’Etat était accusé de « prendre à la gorge » des entreprises victimes des taxes mais surtout soumises à « une législation du travail pesante et empêchant toute souplesse »3. Ainsi que le dit Jean-Richard Sulzer, professeur de finance à Dauphine et conseiller économique du Front, « alors que son père était ultralibéral, par réaction au communisme, Marine Le Pen est dirigiste, dans le sens colbertiste du terme. C’est-à-dire qu’elle n’est pas contre un Etat fort »4. Ainsi, face à la hausse des prix de l’énergie, elle propose une nationalisation des entreprises « stratégiques » de l’énergie et des transports, voire de certaines banques5.

Rien n’est encore définitivement fixé, l’évolution se fait par à-coups, mais le sens dans lequel elle se fait est clair : l’accent est mis désormais sur l’intervention de l’Etat et sur « le social ». Ainsi, en ce qui concerne les retraites, en-dehors de 40 annuités de cotisation et du développement de régimes de retraite complémentaires par capitalisation, le FN demandait un âge légal de départ à la retraite à 65 ans Lors du grand conflit sur les retraites, ce passage a mystérieusement (et significativement) disparu du programme en ligne6. Ensuite, dans la présentation faite par Challenge, bien plus récente, la position du FN est énoncée de la façon suivante : 40 années de cotisation pour tous, mais suppression de tout âge légal de départ7. Enfin, lors de sa campagne des cantonales, Marine Le Pen a simplement demandé « la retraite à 60 ans »8, comme les innombrables manifestants l’avaient fait il n’y a pas si longtemps. Du temps de Jean-Marie Le Pen, les 35 heures étaient considérées par le Front comme une source de « désorganisation des entreprises et d’augmentation injustifiée de la masse salariale »9. Après son enquête auprès du FN, Jérôme Lefilliâtre affirme le 11/03/2011 sur Challenge.fr « le Front national ne touchera pas à la durée légale du travail » et Jean-Richard Sulzer précise « Nous ne sommes pas opposés aux 35 heures, sauf accord de branche »10. Du temps de Jean-Marie Le Pen, il s’agissait surtout de dénigrer l’emploi public. L’Etat, disait le programme du FN, avait été « progressivement paralysé par la masse arthritique des fonctions publiques hypertrophiées, véritables troupeaux de mammouths ». Il fallait abolir les « privilèges » de la fonction publique, et s’il y avait accord pour maintenir les services publics c’étaient ceux, « stratégiques », liés à la fonction régalienne et, prioritairement (bien évidemment) la police. Pour le reste, étaient prévus « introduction du principe de mobilité » et « non-remplacement d’une partie des départs en retraite »11. Pour la campagne des cantonales, ce langage a disparu et Marine Le Pen, s’adressant aux fonctionnaires, promet (selon Le Parisien) « la fin des réductions d’effectifs » ainsi que « des hausses de salaires »12. D’ailleurs, l’économiste Nicolas Pavillon, qui travaille également au projet du FN, affirme « nous défendons le retour à l’échelle mobile des salaires », qui est une vieille revendication syndicale.

Nous sommes face à une véritable transformation du FN, d’ampleur, qui n’est pas d’ordre conjoncturel, ou seulement liée au changement de direction à la tête de la formation ou encore d’ordre strictement opportuniste, pour « tromper son monde », « faire social ». Il s’agit d’une évolution de fond, par laquelle le FN, loin de prendre ses distances avec l’idéal fasciste, s’en rapproche au contraire et trouve ses véritables bases. N’oublions pas que le parti nazi allemand s’appelait « national-socialiste ». Ramassée en deux mots accolés, nous avons ici l’articulation contradictoire qui forme le fascisme. En effet, le discours fasciste a deux ennemis, et c’est le combat sur ces deux fronts qui en fait l’originalité. D’un côté, l’ennemi c’est le capitaliste, sous la forme du riche, du manipulateur d’argent, du spéculateur ; de l’autre côté, l’ennemi c’est l’autre travailleur, avec qui on est en situation de concurrence directe, pour l’emploi, le salaire, le logement, les allocs, etc. Il est frappant de constater que nous sommes ainsi confrontés aux deux dimensions constitutives du prolétaire : opposé à la bourgeoisie, mais aussi aux autres travailleurs, avec qui il est en situation de concurrence perpétuelle, cette seconde opposition prenant la forme du racisme ou de la xénophobie. Le syndicat ne se fixe-t-il pas comme première mission de constituer un front de classe face au patronat, et, pour cela, de surmonter les divisions qui scindent les rangs ouvriers ? Qui dit surmonter ne désigne-t-il pas des divisions qui ne sont pas effacées, mais seulement dépassées, ne désigne-t-il pas cette tendance permanente, créée et encouragée par le système, à se faire la guerre les uns les autres ?

Le public fasciste est celui des « petites gens », qui demandent qu’on les protège, d’un côté des « gros » (et de leurs connivences) et de l’autre, de ceux qui sont encore plus démunis qu’eux et peuvent, de ce fait même, les menacer. N’est-il pas intéressant de relever que c’est sur ces deux dimensions que s’ouvre et se ferme le Manifeste du parti communiste, de Marx et d’Engels ? Il débute par la formule bien connue : « L’histoire de l’humanité jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes », désignant d’entrée de jeu l’ennemi, c’est-à-dire un système d’exploitation et la classe qui en tire profit. Mais le même Manifeste se clôt en nous disant, au contraire, qui n’est pas l’ennemi, en lançant l’appel : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».

Cela explique pourquoi le vote populaire de rejet de la politique suivie en commun par la droite et la gauche auquel nous assistons est un vote d’extrême-droite et non d’extrême-gauche. En effet, s’il s’agit d’exprimer une radicalisation, une colère, le refus d’une politique au service des riches, pourquoi voter FN plutôt que révolutionnaire ? C’est que le vote FN vise deux ennemis, alors que le vote révolutionnaire appelle à la solidarité des travailleurs de tous pays. Un tel vote révolutionnaire a surtout un sens quand nous sommes dans une phase montante de la lutte des classes, quand les travailleurs ont l’impression qu’on peut « sortir par le haut », en s’y mettant « tous ensemble ». Il perd de son sens, au contraire, quand nous sommes dans un phase de reflux, même temporaire : le grand mouvement sur les retraites s’est quand même terminé sur un échec et le vote FN est un vote de défaite.

Ceci étant dit, la montée du FN n’est pas seulement due à une conjoncture qui lui est favorable. Le nouveau programme qu’il a mis en avant a aussi joué son rôle. Tel a été plus particulièrement le cas pour un point de ce programme, qui a eu un très grand impact : le protectionnisme. Le FN demande « l’arrêt du dumping social des pays où la concurrence de la main-d’œuvre ruine des pans entiers de nos industries » et « le rétablissement de nos frontières qui permettrait de réguler ces dumpings sociaux, économiques et environnementaux », en particulier à l’aide de droits de douane élevés13. Voilà un discours qui demeure en porte-à-faux quand, de façon totalement contradictoire, il se combine avec une orientation libérale, comme c’était le cas de l’ancien programme du FN. Mais voilà un discours qui, au contraire, fait mouche (y compris auprès de militants syndicaux) quand, renonçant à la visée libérale, il se combine avec des propositions en apparence « sociales ». Alors que les programmes de gauche se contentent, soit d’entériner la mondialisation libérale (cas du PS), soit de la dénoncer (mais sans guère faire de propositions), le FN, avec ce thème, donne l’impression d’apporter une solution concrète, à portée de main. « Y a qu’à » fermer les frontières, se protéger de l’extérieur. Dès lors, la lutte contre l’immigration, contre « l’étranger » trouvent leur place, n’apparaissant plus que comme des dimensions d’un programme plus vaste : l’ennemi, c’est ce qui vient du dehors, replions-nous, restons entre nous.

Ce discours porte d’autant plus qu’à gauche la question du protectionnisme est pratiquement taboue. Le PS entérine sans discussion le modèle néolibéral actuel ; même la plus grave crise économique depuis celle de 1929 n’a pas suffi à le remettre en cause à ses yeux. A la gauche du PS, la critique du néolibéralisme est radicale, mais la question du protectionnisme est rarement débattue ouvertement en tant que telle. C’est pourquoi quelques mots sur le sujet peuvent être utiles. N’oublions pas que le mouvement altermondialiste a d’abord été désigné comme antimondialiste, et qu’il a fallu toute une bataille pour que, dans les médias, il prenne son véritable nom. Le FN est contre la mondialisation, nous sommes pour une autre mondialisation. Nous sommes contre une mondialisation gouvernée par des forces de marché, pour une mondialisation maîtrisée par les peuples, par le biais de débats et d’une entente politique.

Pour autant, nous ne sommes pas dupes. Pouvons-nous construire un système social au service des travailleurs avec une économie ouverte à tous les vents ? Pouvons-nous sauver la protection sociale dans le cadre d’une économie dévastée par la concurrence universelle de tous contre tous ? Ce n’est guère envisageable. C’est pourquoi, dans mon dernier ouvrage (La grande crise du XXIe siècle14) j’avais fait la proposition suivante : « Nous devons remettre en cause l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et conserver l’option d’un contrôle des flux de capitaux. La politique actuelle de l’émergence (telle que pratiquée, par exemple, par la Chine) installe la guerre féroce de tous contre tous. Il faudrait faire basculer son centre de gravité du “tiré par les exportations” vers un développement autocentré, qui se tournerait vers les immenses besoins non satisfaits des populations concernées. La traduction de ces principes devrait être, dans les rapports avec les pays en voie de développement, des accords commerciaux bi ou multilatéraux fréquemment révisés, des accords qui soumettraient à contrôle et à encadrement les flux commerciaux dans les deux sens. Le pendant du décrochage de la locomotive exportations serait l’instauration d’une véritable aide publique au développement. Il ne s’agit pas simplement de revenir en arrière, en restaurant les anciens volumes de l’aide: il faut faire bien plus et mieux, en insistant sur les projets locaux et la participation des populations concernées, en contrôlant l’utilisation des fonds, en surveillant l’application (souvent inconsidérée) des techniques des pays développés. Evidemment, le préalable à toutes ces mesures c’est faire face aux besoins les plus urgents, et en particulier, abroger la dette des pays pauvres et mettre en pratique la souveraineté alimentaire »15.

On le voit : il ne s’agit pas d’une orientation de repli, d’isolement, mais d’un plan d’ensemble, qui concerne les rapports entre grands blocs dans le monde. Il ne s’agit pas d’agressivité et de rapports de force, mais de mettre la politique au poste de commande, il s’agit de négociations qui placeraient au premier plan l’incontournable vie en commun sur le même globe. Il ne s’agit pas de nationalisme, mais de solidarité, conscients que nous sommes de nos responsabilités envers les plus démunis de la planète. L’Europe devrait être le principal protagoniste d’une telle redistribution des cartes, la tâche étant trop lourde à porter pour un seul pays.

Le thème du protectionnisme n’est que l’un de ceux qui ont été propulsés sur le devant de la scène par la récente montée du FN : la sortie de l’euro, également demandée par le Front, en est un autre, qui fait polémique (je renvoie sur ce point aux très bons articles de Catherine Samary et de Pierre Khalfa). Preuve, s’il en était besoin, de l’urgence qu’il y a à alimenter le débat sur le programme et à fournir à la gauche des propositions pour faire barrage à la nouvelle formule du poison FN.

Achevé de rédiger le 30/03/2011.

1 Nathalie Schuck, Le Parisien, 16/03/2011.

2 Nathalie Schuck, Le Parisien, 16/03/2011.

3 « FN, le pire ennemi des salarié-e-s », brochure de VISA (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes), page 14.

4 Jérôme Lefilliâtre, journaliste à Challenge.fr, 11/03/2011.

5 Nathalie Schuck, Le Parisien, 16/03/2011.

6 « FN, le pire ennemi des salarié-e-s », op. cité, page 7, 24.

7 Jérôme Lefilliâtre, journaliste à Challenge.fr, 11/03/2011.

8 Nathalie Schuck, Le Parisien, 16/03/2011.

9 « FN, le pire ennemi des salarié-e-s », op. cité, page 14.

10 Jérôme Lefilliâtre, journaliste à Challenge.fr, 11/03/2011.

11 « FN, le pire ennemi des salarié-e-s », op. cité, pages 15, 16.

12 Nathalie Schuck, op. cité.

13 « FN, le pire ennemi des salarié-e-s », op. cité, pages 11, 13.

14 La grande crise du XXIe siècle. Une analyse marxiste, La Découverte, 2009.

15 Ibid, pages 128, 129.

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Présidentielle 2012, passez, il n’y a rien à voir, comme en 2005 on s’occupe de tout

par Jean ESTIVILL
Conseiller Municipal, Président des élus du Parti de Gauche de Savigny, Président de l’Essonne de l’UFAL (Union des Associations des Familles Laïques)
http://www.savigny-egalite.com

 

(Communiqué des beaux messieurs de l’oligarchie : financiers et médiacrates)

Selon un sondage savoureux (20 minutes, 31 mars), Besancenot ferait deux fois plus que Jean-Luc Mélenchon qui apparaît comme un diviseur, et il se confirme qu’il y aurait un « sauveur » outre-Atlantique contre dame Le Pen (qu’on ne cesse bien sûr de gonfler). Même opération qu’en 2007 : Jeanne d’Arc de retour allait faire gagner la gauche, magazines et journaux de Lagardère et Dassault nous l’assuraient. L’important en fait c’était d’éliminer un candidat du « non ». Nous allons avoir le même scénario. Un Sarkozy qui sait depuis belle lurette qu’il ne se représentera pas : les milieux les mieux informés, le savent depuis longtemps et l’avouent désormais. Vivre en milliardaire, son rêve se réalise. Il a rempli son contrat, le maximum de contre-réformes est passé. Il laisse un champ de ruine dans son camp politique, aucun successeur, mais les intérêts qu’il sert seront entre de bonnes mains, ils le sont déjà à une distance de plus en plus réduite : (notre budget ne doit-il pas être soumis à ses amis de Bruxelles), Strauss-Kahn-Barroso le rêve des sociaux-démocrates et de la droite, l’attelage parfait pour parachever l’œuvre sarkosyste. Les petits potentats locaux Valls, et Cie donnent de la voix, ils connaissent leurs limites, mais montrent leurs muscles pour le jour venu se joindre aux dirigeants de partis ou groupuscules périphériques Borloo, et autres centristes, ou bonimenteurs type Cohn-Bendit qui en appelleront au sauveur qui les régalera.

DSK, n’a pas à bouger ou peu (sa femme, un reportage, un déplacement..), on s’occupe de tout pour lui. Marine Le Pen, l’autre acteur du montage, le « diable de confort » doit mouiller un peu plus sa chemise, mais elle est bien aidée. Cela commence avec le congrès du Front national qui n’intéresse personne. Qui doit être président de l’extrême droite en France, elle ou Goldsmith que personne ne connait ? Et pourtant la désignation de la fille Le Pen a été un moment d’information digne d’une élection présidentielle. Puis est venu le sondage du Parisien, qui a permis qu’on ne parle que d’elle et qu’aucun évènement politique, le plus secondaire soit-il ne passe à la télé sans qu’on lui demande son avis. À trois jours des cantonales deux pages sur la même dans le Parisien… Début d’une présentation des partis qui vont se présenter aux cantonales ? Pas du tout, le lendemain un article sur… Delanoë (Pourquoi ?) et basta. Après les élections deux nouvelles pages lui sont encore consacrées. Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent auront beau souligner la performance du Front de Gauche et relativiser chiffres en main la percée de l’extrême droite, Respublica d’établir que le Front National recueille autant de voix qu’en 2004, mais avec deux fois plus de candidats, rien n’y fait. Dans une émission de Calvi, le sondeur Brice Teinturier – on lui donnerait le bon dieu sans confession – nous assène : « au deuxième tour le Front national obtient de bien meilleurs pourcentages encore ». Pardi qu’en il n’y a plus que deux candidats… Jean Luc Mélenchon n’a aucun mal à démontrer que dans ce cas le Front de Gauche fait beaucoup mieux. Gageons que l’imposture Teinturier sera reprise, mais complètement oubliée la mise au point de Jean-Luc Mélenchon.

Le vote utile réapparaît ainsi. À plus d’un an des élections présidentielles, il n’y a que deux choix possibles. Mais il faut pour cela dissimuler que le Front de Gauche est apparu dans cette élection cantonale par ses résultats, mais aussi sa capacité à former un bloc unitaire et attractif, comme une alternative crédible à la gauche majoritaire actuelle discréditée. D’où la réapparition de ces sondages savoureux qui donnent 4 % à Jean-Luc Mélenchon. Mais combien de temps, ces beaux messieurs croient-ils que leurs techniques de manipulation vont tenir ? On peut répondre à leur place : ce qu’elle a tenu en 2005 lors du référendum sur la constitution européenne.

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Il ne fait rien à la maison. Comment gagner le combat quotidien ? (1)

par Corine Goldberger

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Le 21 décembre, Arte propose une “Théma” , Le torchon brûle”, consacrée à l’inégalité du partage des tâches domestiques dans le couple. Une bonne occasion de nous demander pourquoi, depuis le slogan “ni potiche, ni bonniche”, des féministes des années 70, nous n’avons pas plus avancé sur ce terrain-là, et comment gagner ce combat.

l’inégalité ménagère: une interminable injustice

Scandaleux: les femmes assument toujours 80% des tâches domestiques. Une inégalité dans le couple qui force toujours les femmes, à un épuisant numéro d’équilibrisme quotidien pour concilier travail et vie privée. Et la situation empire lorsqu’arrivent les enfants. L’injustice ménagère: un problème de couple ou une affaire publique, à l’origine de toutes les inégalités hommes-femmes? Témoignages de femmes lessivées, et décryptages.

“Pourquoi c’est moi qui fais tout ou presque à la maison? La question, fait grimacer Nathalie, 41 ans, prof de maths dans un collège francilien . Effectivement quand j’y pense, il n’y a pas de raison objective. Certes, je ne vais au collège “que” 18 heures par semaine, par rapport à mon mari, informaticien (40 heures de travail en moyenne), mais faire cours dans un bruit de fond à des élèves plus ou moins motivés, c’est épuisant. Le soir, j’ai des copies à corriger, des leçons à préparer, après avoir donné le bain au petit dernier, supervisé les devoirs de l’ aînée, cuisiné, rangé et balayé la cuisine, lancé une lessive. Et j’en oublie. Et pourtant, Pascal n’est pas un affreux macho: Il va au marché le samedi matin, et il me dit souvent, vaguement culpabilisé, “Viens te reposer à côté de moi Nathalie”. Mais de là à se lever du canapé et à me relayer, alors que son film est commencé… “

Comme Nathalie, la majorité des femmes en France assument seules 80% des tâches domestiques. Et le déséquilibre entre hommes et femmes est d’autant plus prononcé qu’il y a d’enfants dans la famille, et que le dernier est jeune, selon la dernière étude de l’INED (1). Concrètement, l’institut souhaitait mesurer l’impact d’une naissance sur l’organisation ménagère des familles. Les sondeurs avait donc questionné plusieurs milliers de couples en 2005, puis les avaient retrouvés en 2008. Entre temps, certaines familles avaient eu un premier bébé, ou bien un nouvel enfant de plus. Et le résultat est édifiant…Prenons la préparation du déjeuner et du dîner. Les femmes, qui étaient déjà seules aux casseroles dans 51% des cas, le sont ensuite dans 58% des cas, une fois devenues mamans. Et en cas de bébé supplémentaire dans la famille, les pourcentages explosent : on passe de 72% de mères quasi seules à la cuisine en 2005 , à 77% en 2008. Les choses ne s’arrangent guère non plus côté repassage. L’effet du premier bébé sur le linge du couple? Celles, qui maniaient déjà quasiment seules le fer à repasser en 2005, soit 57% des femmes, passent à 66% en 2008. Même tendance au côté courses et corvée d’aspirateur. Mieux vaut le savoir avant de mettre un bébé en route…

Il faut dire que selon toutes les études, les hommes s’investissent encore plus dans leur travail quand surviennent les enfants, collant sans doute plus ou moins inconsciemment au rôle classique du pater familias pourvoyeur de ressources … malgré les belles intentions affichées quand les sondeurs viennent les interroger sur leur bonne volonté ménagère . Là, en théorie, 73 % des mâles adultes français estiment sans rire que les hommes devraient mieux partager les tâches domestiques ( 2). En théorie…

Une situation injuste pour les femmes, et désespérément stable : la dernière enquête Emploi du temps de l’INSEE de 1999, qui elle, détaillait toute une journée d’hommes et de femmes , montrait déjà que peu de progrès avaient été réalisés en 13 ans, entre 1986 et 1999: 8 minutes de travail domestique de plus pour les hommes, une de moins pour les femmes … (3). Encore un effort camarades… Car finalement, peu de choses ont bougé depuis le célèbre slogan féministe des années 70, “ni potiche ni bonniche”! Le partage du ménage serait-il le dernier combat que les femmes (et les hommes!) doivent encore mener?

Les femmes des couples “biactifs”, ceux où les deux travaillent, ne sont pas épargnées par l’injustice ménagère, même si certaines tâches comme la préparation des repas, le passage de l’aspirateur et la vaisselle sont statistiquement un peu mieux partagées. Ainsi, si les femmes au foyer se chargent presque toujours du repassage, (ce qui n’étonnera personne), c’est aussi le cas dans …76,5 % de ces couples où les deux travaillent! Et pourtant, un fer à repasser n’est pas plus compliqué à manipuler qu’une voiture ou un PC… Notons qu’aucun institut de sondage n’a jamais directement demandé aux hommes qui avouent ne rien faire à la maison, la raison de leur inertie ménagère. Dommage, on aimerait savoir si les allergiques au ménage estiment que balayer ou repasser sont des ” activités de femme”, qui attentent à leur virilité., ou si le contact de l’éponge les dégoûtent à ce point.

Relance: Hommes et femmes n’ont pas la même perception du désordre

Comment expliquer la persistance de ces inégalités qui choquent finalement peu de monde, tant elles sont banales, intériorisées, face au travail domestique? Tout commence par l’éducation très conformiste encore donnée aux petites filles, même involontairement. Tandis qu’elles sont incitées de tout côté à faire jeu égal avec les garçons, pour la course aux diplômes et aux bons jobs, les fabricants de jouets les ramènent à l’univers domestique en leur proposant immuablement “d’imiter maman”. Les catalogues de noël regorgent de fers et tables à repasser, machines à laver, dinettes, autant d’ustensiles qu’on ne propose pas aux garçons. Et pourtant, si les mères et surtout les pères éduquaient les garçons à faire le ménage, quel impact sur leur future vie de couple!

Mais les préjugés ont la vie dure… En France, 42% des hommes pensent qu’être une femme au foyer est aussi épanouissant que d’avoir un travail rémunéré, approuvés par … 33% des femmes. Quasiment un tiers des femmes… (4). ” Même quand elles exercent une activité professionnelle, les femmes sont censées être disponibles à tout moment pour leur famille, en quelque sorte par nature, constate Roland Pfefferkorn, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg (5 ), et interviewé dans le documentaire d’Arte. Du coup, hommes et femmes n’habitent pas le territoire domestique de la même façon. La femme qui s’est approprié l’espace, passera plusieurs fois l’éponge sur la table de cuisine, quand l’homme ne remarque pas les miettes”. D’où une différence de perception du désordre, source de multiples incompréhensions mutuelles.

“J’ai fini par comprendre quelque chose, s’amuse Sandrine, 46 ans, kiné: mon mari n’est pas un homme qui ne m’aime plus, ou un affreux exploiteur qui ne me respecte pas. C’est juste que le “bordel” ne le dérange pas comme moi. Une fois, j’ai fait un test. La petite avait apporté son pot au beau milieu du salon. Exprès, je n’y ai pas touché. Dix fois, j’ai vu mon mari se lever, enjamber le pot, sans jamais avoir l’idée d’aller le vider et le ranger”.

Mais les inégalités ménagères ont d’autres racines. Ainsi, observent les sociologues, tout se passe comme s’il y avait dans les couples une division du travail plus ou moins consciente: celui qui gagne le plus, en fait le moins à la maison (devinez qui, statistiquement…), son temps professionnel étant plus rentable que son temps domestique . Certes, selon une étude de Denise Bauer , quand le salaire des deux est équivalent, le partage est plus équilibré que dans les couples où l’un gagne plus que l’autre (6) . Ce qui ne concerne finalement pas grand monde, puisque selon l’INSEE, seuls 11% de couples, auraient le même salaire en France. Il faut aussi “bémoliser” ce qu’on appelle un partage équilibré : ainsi, même chez les “partageurs”, les femmes gardent statistiquement le monopole du linge, et les hommes, le bricolage… La répartition des tâches est encore moins équilibrée quand la femme travaille certes, mais à temps partiel (pour concilier travail et famille dans les trois quarts des cas). Ce qui fait du monde, car 82 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes… Quant à celles qui quittent provisoirement le marché du travail pour prendre un congé parental, elles acquièrent souvent, involontairement, une image de mère au foyer corvéable à merci, et font alors tout ou presque dans la maison. Une conséquence à laquelle elles n’avaient pas forcément songé en décidant d’opter pour le “complément de libre choix d’activité” pour 374 à 562 euros selon leurs ressources…

Alors les femmes seraient-elles parfois leur pire ennemie ? 62% d’entre elles pensent en effet que faire le ménage, c’est leur rôle ! (7) “Les torts sont partagés, confirme de son côté Catherine Serrurier, thérapeute de couple (8). Empêtrées dans leur ambivalence, beaucoup de femmes ont des difficultés à déléguer, à lâcher du lest, au nom de leur vision de l’ordre, de la propreté, de l’efficacité (“Non, pas ” tout à l’heure”. Tout de suite !”) Elles sont victimes de leur perfectionnisme (“Laisse je vais le faire, ça sera mieux fait”), tout en se plaignant que le mari n’en fiche pas une rame à la maison.” Des demandes contradictoires qui découragent les bonnes volontés masculines, tout en déculpabilisant les allergiques au ménage: “Tu fais ça tellement mieux que moi” (chérie), “, excuse numéro 1 des hommes pour éviter de participer aux corvées selon les études. En bref, il est urgent que les femmes acceptent enfin de partager aspirateur, fer à repasser et serpillière avec leur homme, et de le laisser faire à sa façon, sans l’accuser de bâcler.


Relance: La répartition des tâches est responsable de 47 % des disputes dans le couple

Quels qu’en soient les responsables, l’incommunicabilité domestique a des conséquences sur la météo amoureuse et sexuelle des couples : “Entre lui et moi, c’est un dialogue de sourds, enrage Audrey, 30 ans, psychomotricienne. Comme ça m’horripile d’avoir à me répéter, je rumine en silence. J’attends en vain des initiatives de sa part, qui ne viennent jamais… Nettoyer les toilettes par exemple. Pas très glam ni très bon pour notre couple de le tanner pour ça. Du coup, la cuvette des WC étincelle toute seule, magiquement. Et moi j’explose sporadiquement (surtout quand je me rappelle qu’il ne prend même pas tous ses jours de congés dont il pourrait profiter pour me décharger)…. Et après mon coup de sang, je fais la gueule, plus la grève du sexe sans préavis .” Ambiance… Audrey n’est pas la seule à ruminer. La mauvaise répartition des tâches est responsable de 47 % des disputes dans le couple, apprend-on dans le documentaire d’Arte. Mais bizarrement, à notre connaissance, peu de femmes tentent la seule stratégie, qui peut-être pourrait donner des résultats : la grève pure et simple du ménage. Se croiser les bras (et tenir bon!) jusqu’à ce qu’il craque, vide l’évier, emplisse le lave-vaisselle…

On pourrait sourire de tout ceci en arguant que le partage des tâches domestiques appartient à l’intimité des couples. A eux de s’arranger, et tant pis pour les victimes consentantes. Mais outre que plusieurs études montrent que plus le partage est inégal, plus les femmes, mais aussi les hommes, privés entre autres, des soins aux enfants, sont finalement insatisfaits, les sociologues de la vie quotidienne, estiment que la redistribution des rôles à la maison, est une affaire publique, et même, un enjeu politique, les inégalités ménagères étant à l’origine de toutes les autres. Il est clair que plus on passe du temps à briquer sa maison, et à s’occuper des enfants toute seule, moins on en a pour décrocher une promotion…. “Les inégalités hommes-femmes dans le monde du travail trouvent en partie leur origine dans la répartition très déséquilibrée des tâches ménagères, accuse ainsi Brigitte Grésy, auteure d’un rapport en 2009 (9). C’est en permettant aux hommes d’avoir une vie familiale reconnue par le monde du travail et aux femmes de lâcher prise, (à condition qu’elles l’acceptent) qu’on arrivera à un nouveau contrat social entre les hommes et les femmes, et grâce au temps gagné, à une meilleure égalité professionnelle.”

Comment concrètement? Avec des politiques publiques qui aident les couples biactifs à tout concilier, et qui changent petit à petit les mentalités. ” Il faut donc ouvrir plusieurs fronts, souligne la sociologue Dominique Meda : multiplier les places de crèches, revoir l’organisation dans l’entreprise, pour favoriser l’investissement des hommes dans la vie familiale, en s’inspirant de l’exemple suédois. Par exemple, un congé parental à partager obligatoirement entre père et mère, et mieux rémunéré que l’actuel Complément de libre choix d’activité (CLCA), donc plus incitatif pour les pères.” Il ne faut toutefois pas surévaluer les mythiques pères suédois, qui en réalité, s’endorment sur leurs lauriers, et ne prennent que 17% des congés auxquels ils ont droit… Le nouveau bon élève de l’égalité à la maison? l’Islande, qui a mis en place un congé parental de neuf mois dont un tiers est réservé à la mère, un tiers au père et un tiers partageable entre les deux, avant les dix huit mois de l’enfant, chaque partie étant perdue si elle n’est pas prise par son destinataire. D’après les premières statistiques disponibles, ce dispositif aurait fortement incité les pères à profiter de leur congé, puisqu’ils prendraient déjà 30 % du total disponible, soit 83 jours”.

A comparer avec les pères made in France, qui ne sont que deux tiers à réussir à prendre les 11 petites journées auxquelles ils ont droit et pendant lesquels, (une fois n’est pas coutume, comme on va le voir) ils participent statistiquement deux fois plus aux tâches ménagères qu’à l’accoutumée…Avant de retomber petit à petit dans leurs mauvaises habitudes…

1) Population et Sociétés, n°461. 2009. L’arrivée d’un enfant modifie-t-elle la répartition des tâches domestiques au sein du couple ?

2) et 4) vague de l’ISSP 2002 consacrée à la famille et aux rôles.

3) Source: Ined-Insee, enquête Erfi-GGS1, 2005.

5) Professeur de sociologie à l’université de Strasbourg. Rapports de classe, rapports de sexe, Paris, La Dispute, collection Le genre du monde, 2007.

6) Études et Résultats N° 570. Entre maison, enfant(s) et travail : les diverses formes d’arrangement dans les couples.

7) Etude Ipsos-Spontex-Mapa. 2009.

8) C’est ta faute! Pouvoir, peur et rivalité dans le couple (Éditions Desclée de Brouwer)

9) Rapport sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. 2009.

 

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Algérie. Au fronton de l’histoire : Le camion d’armes d’Henri Maillot

par El-Watan

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Le 5 avril 1956, La Dépêche Quotidienne, organe de la grosse colonisation, criant à la trahison, ouvre sa «Une» sur une information sensationnelle : « Dans l’après-midi d’hier, mystérieuse disparition d’un important chargement d’armes dans la forêt de Baïnem ».

Le camion détourné contenait 123 mitraillettes, 140 revolvers, 57 fusils, un lot de grenades et divers uniformes. De quoi armer plusieurs commandos.On apprend que l’homme qui a mené l’opération est l’aspirant Henri Maillot, réserviste de la classe 28, rappelé au 57e bataillon des Tirailleurs algériens. Militant du Parti communiste algérien (PCA) clandestin, Henri Maillot pensa à subtiliser des armes à l’armée d’occupation au profit de l’Armée de Libération nationale dès son affectation au mois d’octobre 1955 à la caserne de Miliana, à l’ouest d’Alger, où étaient installés de nombreux réservistes fraîchement débarqués de France. Il se confia à son camarade de parti, William Sportisse, qu’il rencontra lors d’une permission, à la fin décembre, à Alger. La direction du PCA clandestin, informée, transmit son accord sans tarder.

L’opération militaire, supervisée par Bachir Hadj Ali, secrétaire du parti et coordonnateur des Combattants de la libération (branche militaire du PCA, créée au mois de juin 1955), connut son épilogue le mercredi 4 avril 1956 vers midi. Le camion Ford, sorti de la caserne de Miliana à 7h du matin, avait pris la route d’Alger avec à son bord Henri Maillot, chef du convoi. Après un arrêt de deux heures à l’Arsenal (ERM) de Belcourt où fut déchargée une partie des armes, le camion a été détourné vers la forêt de Baïnem, à l’ouest d’Alger, où, embusqué dans les broussailles, un commando des Combattants de la libération (Jean Farrugia, Joseph Grau et Clément Oculi) attendait.

Pour des raisons de sécurité, la remise des armes à l’ALN se déroula en plusieurs étapes. L’acheminement des armes vers les maquis fut assuré par les Combattants de la libération des zones d’Alger et de Blida. La réception d’un premier lot par la direction d’Alger du FLN intervint quelques jours après le détournement du camion, selon le témoignage de Mokhtar Bouchafa, adjoint du commandant de l’ALN de la région d’Alger, Amar Ouamrane, futur colonel de la Wilaya IV. Une partie des armes de guerre transportées à Blida par Jean Farrugia dans le camion de Belkacem Bouguerra fut remise au groupe Guerrab-Saâdoun-Maillot, en route vers le maquis de l’Ouarsenis.

La fourniture d’armes de guerre à l’ALN fut comme une réponse au souci exprimé par Abane Ramdane dans son courrier, envoyé le 15 mars 1956, à la délégation extérieure du FLN installée au Caire. «… Si les communistes veulent nous fournir des armes, souligne-t-il dans sa missive, il est dans nos intentions d’accepter le Parti communiste algérien en tant que parti au sein du FLN, si les communistes sont en mesure de nous armer…» C’est dans ce contexte que la première rencontre eut lieu les premiers jours de mai 1956, par un après-midi printanier, dans le cabinet dentaire de Mokrane Bouchouchi, place Bugeaud (Place Emir Abdelkader), face au siège du 19e Corps d’armée, au cœur d’Alger, entre Abane Ramdane et Bachir Hadj Ali, assistés respectivement de Benyoucef Benkhedda et de Sadek Hadjerès. Cette rencontre au sommet avait été arrangée par l’homme de confiance de Abane, Lakhdar Rebah, dit El Ghazal (quelques jours avant son arrestation à Kouba par les parachutistes de Massu).

Evoquant cette rencontre, l’officier de l’ALN devenu historien, Mohamed Téguia, écrit dans son livre témoignage L’Algérie en guerre : «Elle fut l’objet de félicitations de Abane qui rendit hommage aux communistes… (Il) fit connaître son projet de promouvoir l’aspirant Maillot comme lieutenant, en l’affectant en Kabylie.» Les discussions aboutirent au mois de juin 1956 à la signature des accords FLN-PCA. Maintenant, «il n’existe qu’une seule armée contrôlée par le FLN», déclare le PCA clandestin. L’intégration «en bloc» des Combattants de la libération dans les maquis de la Wilaya IV (l’Arbaâ, Palestro (Lakhdaria), Ténès, Cherchell, Zaccar, Chlef et autres lieux de combat) fut supervisée par Amar Ouamrane.

Dans un communiqué signé de lui et adressé aux agences et organes de presse, Henri Maillot donna la signification de son geste : «L’écrivain français Jules Roy, colonel d’aviation, écrivait il y a quelques mois : si j’étais musulman, je serais du côté des ‘‘fellagas’’. Je ne suis pas musulman, mais je suis Algérien, d’origine européenne. Je considère l’Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Le peuple algérien, longtemps bafoué, humilié, a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples…Il ne s’agit pas d’un combat racial, mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs oppresseurs et leurs valets sans distinction de race… En livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour le combat libérateur, j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple, y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés.»

Henri Maillot tombe au champ d’honneur à l’âge de 28 ans, dans la matinée du 5 juin 1956, dans le djebel Derraga (rive gauche du Chéliff), mitraillé par les soldats français. Maurice Laban, Belkacem Hannoun et Djillali Moussaoui sont morts à ses côtés, les armes à la main. Abdelkader Zelkaoui, capturé la veille, avait été froidement assassiné. La guerre pour l’indépendance est à son vingtième mois. «Le camion d’armes d’Henri Maillot» entre dans la légende. La date du 4 avril 1956 s’inscrit au fronton de l’histoire.

(préface d’Ahmed Akkache), éditions Mille Feuilles, Alger, novembre 2009.

Eléments bibliographiques :

  • Belhocine H. - Le Courrier Alger-Le Caire 1954-1956, Casbah éditions, Alger 2000. (Page 164).
  • Téguia M - L’Algérie en guerre, éditions OPU, Alger, (pages 201 à 210).
  • Alleg H. - La Guerre d’Algérie, éditions Temps Actuels, Paris, 1981, (tome 2, pages 188 à 194 :
  • Le Front dirige la lutte).
  • Bouregaâ L .- Assassinat d’une révolution (paragraphe sur la fourniture des armes au maquis de Ouled Slama), éditions Bouchène
  • (en langue arabe), Alger, 1989
  • Témoignage de Mustapha Saâdoun sur son intégration dans l’ALN (début juillet 1956), au maquis de Cherchell où il fut le premier commissaire politique (in Des Chemins et des Hommes, op. cité).

N.B. : La signature des accords FLN-PCA est intervenue quelques semaines avant la tenue du Congrès de La Soummam (20 août 1956).

Mohamed Rebah : Auteur de «Des Chemins et des Hommes»

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La Troisième moitié de soi, de Mustapha Bouchareb

par Hakim Arabdiou

 

Mustapha Bouchareb vient de publier, aux éditions L’Harmattan1, un recueil de vingt-trois nouvelles intitulé la Troisième moitié de soi.

À quelques exceptions près, les villes où se déroulent ces histoires ne sont guère nommées ou ne disent rien au lecteur. L’auteur tait également la plupart des noms des pays où elles pourraient se trouver. Prénoms et patronymes des protagonistes nous indiquent uniquement qu’il s’agit, pour la plupart, de pays arabes. L’intéressé a sans doute voulu donner un caractère universel à ses histoires, lesquelles pouvant se dérouler sous n’importe quels cieux.

De plus, la totalité des nouvelles de ce recueil connaissent des fins dramatiques, comme si ces dernières étaient inscrites dans le destin de certains de leurs personnages.

Ainsi, dansNuit pourpre,l’auteur nous fait part des graves méfaits  de la prise des psychotropes, ayant mené un groupe de jeunes à commettre un crime horrible  à l’encontre d’un modeste employé d’une station-service.

Dans Pèlerinage, le narrateur nous relate la disparition de sa femme, Sanna, durant leur pèlerinage à la Mecque. Il ne la retrouvera que quinze ans plus tard, grâce à la ténacité d’un jeune officier de la police saoudienne. C’est toutefois une femme que l’âge et les aléas de la vie ont fait autre. Et lui aussi.

Yamra : Le titre de cette nouvelle est la désignation péjorative par laquelle la bourgeoisie arriviste et féroce d’une contrée arabe affuble ses employées de maison. Celles-ci sont surexploitées et maltraitées, jusqu’à atteindre parfois l’irréparable. C’est le cas dans cette histoire où la patronne a battu à mort son employée, malade. Elle apprend, après-coup, que sa souffre-douleur avait été violée par son mari et l’avait mise enceinte.

Dans Loudun, c’est l’histoire d’un lycée de jeunes filles définitivement fermé suite à une crise collective de démence d’un bon nombre d’élèves qui sont allées jusqu’à tuer leur directrice ; le corps ne fut cependant retrouvé que bien des années après, dans des circonstances troublantes.

Dans Feu rouge, le narrateur nous montre comment la bêtise ainsi que le jugement arbitraire des policiers face à une banale infraction au code de la route peuvent entraîner des conséquences tragiques pour Sadek et Salwa, un couple ordinaire : la mort par inanition de leurs deux enfants en bas âges, après être restés seuls pendant plusieurs jours dans leur appartement.

L’enfer annoncé nous conte l’histoire d’une famille bourgeoise algéroise qui s’était soigneusement aménagée une sorte de bunker dans le sous-sol de sa villa, en prévision de bombardements par une puissance étrangère. Ironie du sort, au lieu de la protéger, ce bunker devint son tombeau.

La nouvelle, Une enfant de la guerre, nous révèle la confidence qu’une femme fait à sa voisine, expliquant la blessure toujours béante en elle depuis l’arrestation par l’armée d’occupation  ainsi que la disparition brutale de son père, résistant, alors qu’elle n’était qu’adolescente.

Dans Train de nuit, le lieutenant de marine Safta se procure, par voies détournées, des permissions de sortie de sa caserne et parcoure chaque week-end un millier de kilomètres afin de rencontrer sa fiancée dont il est fortement épris. Au cours d’un de ses voyages, il est confronté à un événement insolite.

Cette recension est loin d’être exhaustive ; les lecteurs auront le plaisir de découvrir plusieurs autres nouvelles.

Mustapha Bouchareb, d’origine algérienne, enseigne depuis longtemps la linguistique appliquée anglaise à l’université de Riadh, en Arabie saoudite. Il a déjà publié deux romans : Fièvre d’été et Ciel de feu ; ainsi qu’un recueil de nouvelles, Ombres dans le désordre de la nuit.

  1. Éd. L’Harmattan, Paris, 2011 []