Chronique d'Evariste
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De scandale en scandale...

par Évariste
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Certes, nous vivons une époque dangereuse et incertaine, où nous ne pouvons tout prévoir. Pour autant, en revenant sur l’histoire ainsi que sur notre corpus laïque de la république sociale, il devient facile de décrypter certains évènements récents. On remarquera d’ailleurs que la gauche laïque et républicaine fait de plus en plus d’émules avec ses cycles d’université populaire tournés vers l’action.

Évidemment, il y a tous les scandales qui s’étalent à longueur de journée. Avez-vous remarqué que nous arrivons à un non-lieu pour l’Angolagate ?! Avez-vous remarqué qu’il n’y a jamais de coupables dans les élites du pouvoir : uniquement du non-lieu ? Sans compter tout ce que les éditorialistes des grandes télés et des grandes radios passent sous silence, alors qu’il est urgent de les expliquer. Nous avons choisi d’en mettre trois en lumière; trois de grande importance, bien que nous aurions pu en choisir dix, voire quinze, sans aucune difficulté.

Premier fait. Nous apprenons que la direction de la Haute Autorité de la santé (HAS) vient de se faire retoquer par le Conseil d’Etat, car elle continue à accepter les conflits d’intérêts en son sein lorsqu’elle fait des recommandations. En claire, les agents des firmes multinationales sont présents là où on édicte les recommandations de santé. La droite est tellement engluée dans le partenariat public-privé qu’elle en vient à être subordonnée aux intérêts du privé. C’est honteux!

Second fait. Nous apprenons que le Parlement français a donné récemment son feu vert au programme de stabilité et de croissance européen pour la période 2011-2014, que Paris va maintenant transmettre à la Commission européenne. L’Assemblée nationale a adopté par 163 voix (UMP-Nouveau centre) contre 74 (PS-PC-Verts et apparentés) ce texte que le Sénat avait déjà approuvé le 27 avril par 186 voix contre 151.
Il est à noter que la gauche ne s’est pas mobilisée à l’Assemblée nationale et que de nombreux socialistes (le groupe le plus nombreux, et de loin) n’était pas présent pour le vote, comme si la ratification du programme de stabilité illégitime de la Commission européenne n’était pas importante. C’est pourtant ce programme qui fait le cadre dans lequel le gouvernement va organiser la privatisation des profits, la socialisation des pertes et la diminution des postes dans l’école, la protection sociale et les services publics. Honteux!!

Et troisièmement. Nous apprenons qu’un “liquidateur” de notre système de santé entre dans la direction de la Mutualité Française. Est-il nécessaire de prendre Emmanuel Roux comme directeur délégué auprès de Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général de la Mutualité Française, afin de défendre les usagers de santé? Ce conseiller référendaire à la Cour des comptes est un de ceux qui ont travaillé à l’installation des Agences régionales de santé, ces structures césaristes mises en place par la loi scélérate dite « loi Sarkozy-Fillon-Bachelot de 2009 » qui ont terminé de détruire la démocratie sanitaire et qui ont pour fonction d’organiser la privatisation des profits et la socialisation des pertes dans les hôpitaux et le système de santé en général. Honteux!!!

En revanche, les ondes nous rabattent les oreilles avec la mutation du FN en parti social et ouvrier, sans nous dire par quel miracle ! N’est-ce pas étrange ? Voilà qui explique pourquoi on veut tuer l’histoire à l’école: pour que l’on ne puisse plus comprendre !, alors que les années 20 et 30 ont bien montré quand et pourquoi l’extrême droite resurgit. Lorsque la droite ne peut plus contenir la gauche montante, l’extrême droite arrive afin de casser les fronts larges réalisés par les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires, afin de diviser le peuple. Comme par hasard, elle arrive suite à la mobilisation des retraites ayant fait 70% de soutien dans la population. C’est pourquoi la campagne de la CGT contre le FN doit être soutenue.

Bien évidemment, les médias, y compris certains qui se disent de gauche (Libération, le Nouvel Obs, etc.), entrent dans la manigance: en donnant plus de place à la manifestation du premier mai du FN avec ses quelques 3000 “fachos” (cette fois-ci en costume: l’aggiornamento de la cheftaine du FN) qu’aux dizaines de milliers des syndicats de salariés. Ou encore, en nous abrutissant avec le mariage princier anglais (dont la lune de miel se passe à 10.000 km de chez nous dans un ensemble à 4500 euros la nuit), ou avec la béatification de monsieur Wojtyła qui a passé quelques décennies à la tête de l’Eglise catholique ; cette structure qui protège des criminels de toutes natures (criminels contre l’humanité, criminels génocidaires, pédophiles) ou qui empêche la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, ayant pour majordome bien élevé Baroin qui nous ressort que nous sommes “la fille ainée de l’Eglise”. Celle-là même qui est toujours au service des puissants en essayant de circonscrire la lutte des classes entre les exploités et les exploiteurs, et pour y substituer la compassion des riches envers les pauvres. Nous ne voulons pas de votre compassion. En fait, la bobocratie aux ordres dans les médias est fascinée par les esthétiques cléricale et fasciste.

Décernons enfin le César de l’abrutissement aux médias qui ont colporté la baisse du chômage pour unique raison qu’elle a eu lieu dans l’une des catégories de chômeurs… pourtant, si on les cumule toutes (soit 4,3 millions de chômeurs), on obtient une forte augmentation du chômage! Honteux !!!!

Vous rétorquerez, à juste titre, que la gauche n’est pas à la hauteur. De nombreuses raisons (précédemment recensées dans Respublica) étayent ce constat : fossé avec les couches populaires qui s’abstiennent; nouvelle géosociologie des territoires; une gauche toujours au milieu du gué sur la démocratie en recul, sur la laïcité en berne, sur les droits sociaux dynamités, sur le refus de prendre à bras-le-corps le combat contre le libre-échange, contre la politique de l’euro dévastateur, contre la concurrence sauvage organisée par le traité et la stratégie de Lisbonne, contre la politique de monopole des prêts bancaires par les banques privées à but lucratif pour les actionnaires; et inégalités grandissantes scolaires, de santé, de logement, etc.

Sans oublier les formes de campagne électorale de type meeting qui ne rassemblent que des convaincus jubilant d’assister à leur défilé d’orateurs énonçant tous les mêmes propos à la va vite avec plus ou moins de qualité oratoire… Quand est-ce que la gauche prendra conscience qu’il est nécessaire d’organiser une campagne d’éducation populaire politique sur le mode des réunions publiques, dans lesquelles il faut revenir sur le « non » au traité constitutionnel européen, ou affirmer sa position contre la loi sur les retraites (qui ont aboutit à être un complément important aux mobilisations populaires exemplaires jusqu’à obtenir un soutien de 70% de la population, ce qui ne s’est jamais vu auparavant) ?

Quant aux programmes, les colonnes de Respublica y reviendront dans les mois qui viennent; mais pour l’heure, parcourez seulement celui du PS et cherchez le financement de la protection sociale qui représente près du tiers de la richesse produite chaque année. Nada, excepté de vulgaires généralités. Même le programme du Front de gauche en construction n’est pour l’instant pas très disert sur le financement des différents éléments de la protection sociale, tant dans ses modes que dans ses montants… Côté NPA, on l’attend toujours. On sait pourtant que l’exercice éventuel du pouvoir est toujours plus difficile que prévu. Et si on n’a pas un cap précis, ce sont les lobbies financiers et économiques qui détermineront la politique réelle, si, par bonheur, la gauche gagne…

Politique française
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Respublica invité aux "Rencontres de l'identité républicaine" du PRG

 

Le Journal RESPUBLICA a été invité aux “rencontres de l’identité républicaine” du PRG à la maison de la Chimie le samedi 15 avril. Il a été invité à participer à la table ronde intitulé ” Immigration et multiculturalisme. Le refus des communautarismes”.

Cette journée a été décidée par le PRG, suite au discours sur l’idendité nationale et sur la laïcité distillé par l’UMP depuis plusieurs mois, dans lequel ce dernier instrumentalise ces mots en vue de les dénaturer aux fins de courir derrière le Front national et l’extrême droite qui, aujourd’hui comme hier, essaye de prospérer sur la base du rejet de l’autre.

Jean-Michel Baylet et Jean-François Hory ont souhaité organiser ces journées sur l’identité républicaine dans une volonté alternative à l’instrumentalisation de la laïcité et de la république organisée par l’UMP en invitant différentes sensibilités à s’exprimer. Plusieurs centaines de personnes se sont déplacées.

Tout d’abord, 4 tables rondes ont eu lieu:

  • « Identité et universalité. La conception française de la nationalité. », table ronde animée par Roger-Gérard Schwarzenberg, président d’honneur du PRG, ancien ministre avec  Jean-Michel Quillardet, président de l’Observatoire International de la Laïcité contre les Dérives Communautaires,  Sihem Habchi, présidente de Ni Putes Ni Soumises, et  Gérard Delfau, président de EGALE, ancien sénateur.
  • « Mémoire et patrimoine, le grand récit collectif jamais achevé », table ronde animée par Joelle Dusseau, vice-présidente du PRG, ancienne sénatrice avec  David Gozlan, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale de la Libre-Pensée,  Jean Baubérot, titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des hautes études, et Rokhaya Diallo, militante associative et chroniqueuse.
  • “Immigration et multiculturalisme. Le refus des communautarismes”, table ronde animée par Richard Michel, ancien PDG de La Chaîne Parlementaire LCP, avec  Gilles Casanova de la Gauche Moderne,  Bernard Teper du journal Respublica, et Mme Hanifa Cherifi, vice-présidente du Parti radical.
  • “Les enjeux de la laïcité”, table ronde animée par Richard Michel ancien PDG de La Chaîne Parlementaire LCP, avec  Françoise Laborde sénatrice PRG,  Axel Kahn, scientifique, médecin généticien et essayiste, et  Marie-Françoise Bechtel vice-présidente du MRC.

En plus de ces 4 tables rondes, se sont exprimés pour le PS, François Hollande et Arnaud Montebourg, pour CAP21, Corinne Lepage, pour La gauche moderne, Jean-Marie Bockel et pour le Parti radical, Jean-Louis Borloo. La présence de Simone Veil a été remarquée bien qu’elle n’ait pas pris la parole.

Le point commun des interventions a été le refus de l’utilisation des principes républicains pour stigmatiser une seule religion. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous en réjouir. Cela dit, malgré l’attachement verbal des uns et des autres au mot “république”, force est de constater que de très fortes différences d’analyses persistent entre les participants, sans compter que pour deux d’entre eux, ils étaient encore il y a quelques mois dans le gouvernement néolibéral de Sarkozy-Fillon.

Bernard Teper, au nom du journal Respublica, a salué en tribune les élus régionaux de l’Ile-de-France (PRG-MUP, Front de gauche PCF-Gauche unitaire et autres, Front de gauche (PG et alternatifs), MRC, Europe écologie et Nouveau centre) qui ont permis de voter contre la subvention facultative des crèches privées confessionnelles malgré le vote contre de la droite UMP et l’abstention -gênée- des socialistes. Puis il a démontré, avec un diaporama, plusieurs dogmes sur l’immigration en montrant dans l’histoire des politiques d’immigration et de la nationalité que la qualité  des politiques d’immigration et de la nationalité dépendaient bien sûr de l’économie, des besoins militaires, de la démographie, mais aussi et surtout de la volonté ou non de produire un projet républicain et social. Il a pu montrer avec les dates des différentes lois votés dans l’histoire ce qu’advient quand la république recule ou s’effondre. Enfin, il a montré, avec un tableau de son diaporama, la différence de fondement entre les démocraties communautaires de type anglo-saxon et la république laïque dans le traitement du refus ou non des communautarismes.

En conclusion de cette initiative positive, nous ne pouvons que suggérer à toutes les forces laïques et républicaines de gauche, sans exception, de prendre des initiatives pour engager une campagne d’éducation populaire tournée vers l’action de débats sur la laïcité, sur le lien entre le combat laïque et les combats démocratiques, sociaux, féministes et écologiques, et enfin sur le modèle politique de la république sociale, seule alternative aujourd’hui connue au modèle politique néolibéral; et en montrant bien toutes les conséquences de l’application de ce modèle notamment sur les plans institutionnels, économiques et humains.

Dans ce cadre, votre journal Respublica soutiendra ces initiatives.

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Le procès de l’Angolagate : un symbole de la pression du pouvoir politique sur la justice

par Thierry Brugvin
Sociologue

 

Les pressions politiques sur la justice ont limité la portée du procès de l’Angolagate. Dans ce procès, Charles Pasqua est finalement parvenu à se faire relaxer par la cour d’appel de Paris, après avoir été condamné en première instance à trois ans de prison ferme. En plus de ce dernier, le juge Philippe Courroye, avait fait comparaître une quarantaine de personnes dont Arcadi Gaydamak et Pierre Falcone. La peine de deux ans et demi de prison ferme de ce dernier « pour abus de biens sociaux » a été confirmé, tandis que Gaydamak a été sanctionné pour fraude fiscale et  blanchiment à purger trois ans de prison ferme. Chacun de ces deux protagonistes devra payer des amendes de 375.000 euros ont été infligées aux deux hommes. De plus, Jean-Charles Marchiani, l’ancien préfet du Var a été condamné pour recel d’abus de biens sociaux à 24 mois dont 8 ferme de même que l’avocat Allain Guilloux. Finalement, Charles Pasqua figure parmi ceux qui s’en sorte le mieux, mais comme peut-on expliquer cela au regard des faits qui lui étaient reprochés ?

Nicolas Sarkozy s’est échiné à déminer le terrain de l’Angolagate, car elle relève aussi de la défense des intérêts des transnationales françaises. Car dès 2004, les intérêts de Total, bien implantée en Angola, sont directement menacés. « L’Etat angolais allait récupérer les concessions du bloc 3/80 qui arrivent à échéance. Stupeur dans les étages supérieurs de la Tour de la Défense, siège de la compagnie ». C’est donc le bloc 17, très riche en pétrole qui a fait l’objet du chantage.  En 2008, en Angola, le président français Sarkozy, était accompagné des dirigeants de Total, Castel, EADS, Bolloré, CMA-CGM, AIR France, Thales, et de la Société générale.

Gilles-William Goldnadel, l’avocat commun à Nart et Gaydamak a participé à la mission d’observation partie cautionner au Gabon la réélection truquée d’Omar Bongo, fin 1998. Cette mission était conduite par le magistrat Georges Fenech, président l’APM (Association professionnelle des magistrats), orientée politiquement très à droite. Elle était financée par le foccartissime Robert Bourgi. Il a dépêché treize juristes, dont l’avocat élyséo-africain Francis Szpiner et Gilles-William Goldnadel. Durant cette mission fut intercepté à Roissy « un familier des dossiers africains […], porteur d’une mallette contenant une très importante somme en argent liquide. Il avait expliqué que ces fonds provenaient de la “présidence du Gabon” et qu’ils étaient destinés au Club 89» animé par Robert Bourgi. En 1997 déjà, un compte suisse de la société Brenco, du tandem Falcone-Gaydamak, a versé 100 000 francs à la revue Enjeu justice (de l’Association professionnelle des magistrats) que préside Georges Fenech… .

L’Angolagate est le plus grand procès de trafic d’armes sur fonds d’enjeux pétroliers de la fin du XXe siècle. Il s’agit en fait de l’histoire est celle de la privatisation de la guerre en Angola et de l’organisation du pillage biens publics de l’Etat. Les condamnations, dont celles de Charles Pasqua, de Pierre Falcone, Arcadi Gaydamak sont tombées, le 27 octobre 2009. Ce procès dévoile la réalité d’une partie non négligeable du  pouvoir non démocratique et illégal exercé par nos élites.

Cette guerre civile aura débuté en 1975,  se terminera 27 ans plus tard en 4 avril 2002 et aura fait 500 000 morts. Sa durée s’explique notamment par la fourniture très importante d’armements par certaines grandes puissances, via Falcone et Gaydamak notamment. Parmi ces ventes, on compte un arsenal de morts impressionnants, 420 chars, 150.000 obus, 12 hélicoptères, six navires de guerre recensés par les enquêteurs, 170 000 mines,  antipersonnel, 650.000 détonateurs.

La lutte entre grandes puissances existe généralement derrière les conflits locaux. En 1975, trois mouvements indépendantistes luttent alors pour prendre le pouvoir. Tandis que l’UNITA est soutenu par les puissances occidentales (USA-France), le Zaïre mobutiste et l’Afrique du Sud, le MPLA fait parti du des pays luttant contre l’apartheid dans ce dernier pays et est appuyé par le camp opposé (URSS, Cuba, Brésil, Portugal). Cela fait au moins huit sources permanentes d’ingérence, donc de quoi relancer perpétuellement la guerre entre MPLA et UNITA, qui est une lutte absolue pour le pouvoir. Chez Elf, on a partagé les rôles : Alfred Sirven côté UNITA, André Tarallo côté MPLA. Fin 1999, TotalFinaElf et les majors américaines se partageront l’essentiel des énormes gisements de pétrole sous-marin. Depuis en 1975, français et Américains ont, globalement  partagé la même stratégie. Pendant quinze ans, avec le régime sud-africain d’apartheid, ils ont nettement soutenu les rebelles de l’UNITA, contre Cuba et l’URSS soutenu par le MPLA.

Créer des sociétés écrans permet de blanchir de l’argent dans les paradis fiscaux et judiciaires. En 1985, les Falcone créent à Paris la société Brenco, puis Brenco Trading International Limited, « basée sur l’île de Man » – dont la SARL parisienne devient la filiale, sous le nom de Brenco-France. Les relations entre Brenco, Falcone, Gaydamak et les marchés publics d’Ile de France illustrent l’utilité des paradis fiscaux pour les pratiques illégales. Brenco International et Jean-Claude Méry ont le même avocat, Allain Guilloux. Celui-ci est soupçonné de « blanchiments de fonds entre la France et le Maroc » . A. Guilloux avait monté des structures immobilières sophistiquées avec le duo Falcone-Gaidamak, via des paradis fiscaux qui leur servaient de sociétés écrans. Il semble donc que ce soit les mêmes réseaux, via les mêmes mécanismes qui blanchissaient l’argent public détournés des HLM d’Ile de France, de la drogue, du pétrole et des armes. Une partie du racket des marchés publics franciliens était recyclée via la Côte d’Ivoire ou l’Afrique centrale.

Il existe de fortes collusions entre les intérêts des industriels de l’armement, l’armée et les services secrets. CS est une firme spéciale, où ont “pantouflé” d’anciens hauts responsables de la DST (l’ancien n° 2 Raymond Nart et son adjoint Jacky Debain). C’est-à-dire que des anciens membres des pouvoirs publics continue leur carrière dans le secteur privé, avec le risque d’une perte de l’indépendance de l’Etat et donc de l’intérêt général

Le brillant stratège du Secrétariat général de la Défense nationale, le général de division Claude Mouton deviendra en juillet 2000, directeur général de Brenco-France, l’entreprise de l’entrepreneur Pierre Falcone. A Pékin, Brenco est représentée par Thierry Imbot, fils de l’ancien patron de la DGSE et fournit des équipements militaires d’Europe de l’Est au Vietnam et en Birmanie.

« De nombreux anciens des services travaillaient pour Brenco comme Thierry Imbot, qui est décédé le 10 octobre 2000, il s’est officiellement suicidé en se jetant par une fenêtre ». Grâce à ses « appuis au sein de la DST ou dans des groupes comme Thomson, le Giat ou la Compagnie des Signaux », Falcone est devenu « l’un des plus grands marchands d’armes du monde ».

Pierre Falcone est en cheville avec la Sofremi depuis 1989. Cette dernière est une officine parapublique de vente d’armes et d’équipements et dépendant du ministère français de l’Intérieur. Falcone, le patron de Brenco […] ayant longtemps joué quasiment officiellement les VRP [agents commerciaux] pour la Sofremi ». qui est un organisme parapublic. A travers le statut de Pierre Falcone, on relève une flagrante collusion entre des pouvoirs entre l’exécutif et le pouvoir économique.

Les réseaux économiques et politiques sont souvent nécessaires pour les affaires économiques au plan international. C’est en 1993 que Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, avait accordé des facilités à l’homme «de Dos Santos à Paris pour faciliter les premières opérations de livraisons d’armes et de produits alimentaires à l’Angola par l’équipe Falcone/Gaydamak (plus de 400 millions $ de contrats) ».

Le rôle des banques et des intermédiaires mafieux est important  dans l’Angolagate. L’Angola – à travers les contrats de l’entreprise publique Simportex (anciennement Ematec), qui impliquent le sommet de ses structures gouvernementales, financières et militaires – a payé à l’entrepreneur franco-russe Arcadi Gaydamak 135 millions de dollars en plus de ce qu’il devait recevoir pour une livraison de matériel militaire, fin 1996.  L’affaire a été bouclée par un ensemble d’institutions bancaires presque toutes européennes (France, Suisse, Allemagne, Autriche…) sous le leadership de la banque Paribas – une des banques que Luanda a utilisées de façon de plus en plus fréquente pour ses transactions et emprunts ces dernières années. La Banque of New York sert aussi beaucoup pour ces transactions. Deux dirigeants de la Banque Paribas ont été inculpés en France, pour ces transactions illégales durant le procès de l’Angolagate en 2008.

Les enquêteurs pensent que l’entreprise Menatep fut le point d’origine principal de l’argent blanchi. Celle-ci « aurait continué à fonctionner en sous-main en 1998 et transféré des fonds suspects […] vers des compagnies offshore basées sur des territoires aussi lointains que les îles Vierges  ». Alors que Menatep est officiellement en faillite depuis 1998, Ernest Backes a trouvé dans le répertoire 2000 de la société internationale de compensation Clearstream un compte non publié n° 81738 au nom de Menatep, client « non référencé ».  Sa partenaire en blanchiment (15 milliards de dollars dans la seule année 1998), la Bank of New York, possède de nombreux comptes non publiés dans la nébuleuse société de compensation financière Clearstream.

Une part de ces flux ( pétrole, armes, dettes) a pu être brassée entre la Bank of New York et les recettes du pétrole angolais, grâce à la gestion parfaitement occulte du régime de Luanda. Pierre Falcone est constamment en affaires avec Glencore et Paribas – entre lesquels Jean-Didier Maille a fait la navette. La société suisse Glencore et la banque française Paribas (chef de file d’un pool d’une dizaine de banques dont la BNP, Worms, la Banque populaire… ) sont quant à eux, au cœur du système de prêts gagés sur le pétrole futur de l’Angola à des taux extrêmement élevés. Au printemps 2000, Glencore a encore levé 3 milliards de dollars de prêts gagés à l’Angola, avec des banques comme Paribas, la Société générale, la Dresdner Bank Luxembourg, etc. Or, comme Paribas, la Dresdner Bank est l’un des pivots du conseil d’administration de Clearstream.

On observe donc de nombreux points communs entre les dessous du procès Elf et celui de l’Angolagate. Il y a dans les deux cas un lien fort entre le marché du pétrole et de l’armement, car ce dernier sert aussi à préserver les intérêts pétroliers. Ainsi, à l’exception de Gaydamak (ex-colonel des services secrets russes (KGB), tous les personnages clés suivants ont été aussi membres des services secrets français : Étienne Leandri, Alfred Sirven, Pierre Lethier, Jean-Yves Ollivier. Certains protagonistes clés, tels le général Mouton, ou  l’agent secret Thierry Imbot passant du service de l’Etat à celui des entreprises privées d’armement. Finalement les intérêts de l’armée et des grandes entreprises convergent, car fondamentalement, elles visent à assurer les profits des élites au pouvoir, fussent ils au détriment des peuples.

Ces élites soutenant de manière plus ou moins directes les opérations, qui servent finalement aussi les intérêts du complexe militaro-industriel et pétro-chimique. De même l’Etat français dit républicain et démocrate appui des pratiques de formes légales, mais aussi illicites. C’est d’ailleurs le même type d’acteurs clés, que l’on retrouve dans les différentes affaires liées à la françafrique et au néocolonialisme des grandes puissances.

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Documentaire François Duprat, l'homme qui a réinventé l'extrême droite française

 

Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg ont déterré les racines du Front national. Dans le Web-documentaire, François Duprat, une histoire de l’extrême droite, ils explorent le mythe fondateur de l’extrême droite « moderne », qu’il a théorisé, avec ses déclinaisons actuelles, y compris dans la droite dite « républicaine ».

Pourquoi exhumer François Duprat, un stratège politique mort il y a trente-deux ans et toujours resté dans l’ombre ?
Joseph Beauregard.
Quand je visionne le film de William Karel, Histoire d’une droite extrême, ça commence sur sa tombe. Ils sont tous là. Moi qui m’intéresse aux groupuscules politiques, je sais qui est l’homme dans la tombe, qu’il a traversé les années soixante-dix dans une odeur de soufre. En 2002, j’y repense quand Jospin est éliminé de la présidentielle, et je me dis : « Ce type est dans la tombe, et c’est lui qui a gagné. »
En 2007, je m’y remets, en voyant Sarkozy, d’abord à l’Intérieur puis pendant sa campagne électorale, rejouer une musique que je connais, contre l’immigration. Je sais qui l’a imposée à l’extrême droite. C’est Duprat : un idéologue, un activiste, un stratège. Super-intelligent, donc super-dangereux. C’est pour ça qu’il a été éliminé. C’est un excellent fil rouge pour raconter comment l’extrême droite s’est réinventée dans ce pays.

Avant que votre travail trouve un débouché sous forme de web-documentaire1, vous l’aviez proposé comme film pour la télévision.
Joseph Beauregard.
Quand on propose, en 2007, le film aux chaînes de télévision, toutes le refusent. On nous oppose que François Duprat n’est pas connu et, surtout, que Nicolas Sarkozy a « liquidé le FN ». Nous sommes, Nicolas Lebourg et moi, convaincus du contraire et que le truc va lui revenir en pleine gueule. Nous nous dirigeons alors vers le format du web-documentaire qui permet bien de raconter des histoires parallèles. C’est à partir de cette forme que nous avons fait le choix de séparer en plusieurs modules la carrière publique (conseiller politique) comme la trajectoire dans l’ombre (« honorable correspondant » des Renseignements généraux) de Duprat. D’un point de vue pédagogique, le Web offre un ensemble d’outils, de la frise chronologique qui situe les événements politiques nationaux et internationaux aux graphiques, en passant par les lexiques et notices biographiques. Pour de jeunes générations qui n’ont jamais entendu parler de Brigneau ou de Marcellin, c’est essentiel.

Duprat semble avoir anticipé l’imprégnation des thèmes de l’extrême droite par la droite « républicaine » : « Á chaque fois qu’un thème se normalise, on passe au suivant. »
Nicolas Lebourg.
Jean-Marie Le Pen était très doué pour cela : quand l’anti-immigration devient trop classique dans l’offre politique, il fait sa tirade sur « l’inégalité des races ». Prenons le thème de l’islamophobie : il a commencé à se structurer dans l’extrême droite radicale avec la guerre en ex-Yougoslavie, puis s’est lentement diffusé et normalisé après le 11-Septembre.

Quand la députée Chantal Brunel parle de mettre les immigrés dans des bateaux, elle dit à ses électeurs que depuis trente ans, c’est le FN qui a raison.
Joseph Beauregard. Juste une parenthèse, ce travail, c’est quatre ans d’enquête, 120 personnes interviewées, de toutes les générations de l’extrême droite, des jeunes aux anciens de la Milice. Dedans, il y en a qui étaient d’accord pour lui donner sa chance, à Sarkozy, avec le discours qu’il tenait. Ce qu’ils disent aujourd’hui, c’est : « Il nous a eus, on ne lâchera rien désormais. »

« Des campagnes de type xénophobes menées sur un angle social entraînent une résurgence de l’extrême droite », dites-vous dans votre documentaire. Marine Le Pen a intégré cette vision.
Nicolas Lebourg.
Oui, l’extrême droite porte le poids mémoriel de la Seconde Guerre mondiale. Elle avait donc besoin d’être rélégitimée culturellement pour l’être politiquement. Permettez-moi cet exemple : quand le PCF de Georges Marchais a été ambigu sur la question des immigrés, à la fin des années 1970, il y a un éditorial très intéressant dans la presse nationaliste-révolutionnaire qui dit en somme « la gauche avalise nos positions mais elle n’aura jamais notre programme. Remercions-la, elle mène campagne pour nous ».

L’apport idéologique de Duprat à l’extrême droite, c’est de « donner à ses camarades un horizon d’attente », dites-vous. Avec la banalisation de ses idées, cet horizon est-il atteint ?
Nicolas Lebourg.
Pour François Duprat, la banalisation était une première étape. Fondamentalement, il ne croyait pas que l’extrême droite puisse vaincre par les urnes. Un pouvoir d’extrême droite dans des institutions démocratiques n’était pas son objectif. Son espoir était qu’un parti populiste électoraliste puisse donner assez de surface sociale à un groupe révolutionnaire de combat pour qu’il s’empare du pouvoir, avec l’appui des éléments proches dans l’armée, lors d’une phase de chaos provoquée par l’affrontement entre les extrêmes. Son plan s’inspirait de ce qui s’était passé au Chili et en Italie. On est dans un pur cadre de guerre froide. Ce contexte en moins - les Le Pen n’étant pas, par ailleurs, fascistes -, il n’y a plus cet horizon d’attente révolutionnaire. La banalisation des idées du Front est allée de pair avec la normalisation sociale, la notabilisation de l’extrême droite, ce qui a évacué les révolutionnaires au profit des éléments plus bourgeois et réactionnaires.

Avec le slogan « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop », Duprat active une dynamique durable. L’extrême droite « légitimée ? » y a-t-elle dérogé depuis ?
Nicolas Lebourg.
Dans des notes internes du FN, Duprat insiste auprès des militants : tout discours raciste est prohibé, seul le thème de la concurrence sur le marché du travail entre Français et étrangers doit être abordé. Cela correspond à ses convictions, car il détestait les thèses et propos sur l’inégalité des races - le qualificatif de néonazi qui lui a été souvent appliqué à gauche est tout à fait fantaisiste. Cela correspond surtout à son analyse. D’une part, le souvenir de l’extermination rendait insupportable aux citoyens les discours raciaux. Il fallait donc leur proposer autre chose et dans le même mouvement nier ce crime. D’autre part, sur l’offre anticommuniste, la droite était plus crédible. Avec « un million de chômeurs. », l’idée était de décrocher des voix dans les classes populaires, que la droite cherchera à récupérer en critiquant à son tour le coût social de l’immigration.


Ce qui légitime la pensée de l’extrême droite.
Joseph Beauregard.
Avec la décolonisation et la guerre froide, l’extrême droite va commencer à se remettre en selle. Le héros d’alors de Jean-Marie Le Pen, rappelle la biographie de Gilles Bresson et Christian Lionet, c’est Moshe Dayan. L’extrême droite de l’époque est fascinée ; Jean-Yves Camus l’explique très bien dans le documentaire, car Israël, qui combat les Arabes, est un peuple de soldats, qui travaille la terre.

La guerre des Six Jours va permettre à Duprat, avec Maurice Bardèche, d’imposer l’antisionisme et la revue Défense de l’Occident. C’est à ce moment que Duprat publie l’Agression israélienne, son texte fondateur, négationniste.
Nicolas Lebourg
. L’extrême droite sortira de l’ombre de la Seconde Guerre mondiale pour redevenir un acteur politique à part entière, puisque légitimé. Certes, il y a eu des embardées, des provocations, mais le FN est bien parvenu à intégrer le jeu politique. Mieux : quand Jean-Marie Le Pen a atteint le second tour, le parti était sorti exsangue de la scission mégrétiste. Il n’avait plus de militants, plus de discours audible. Mais la campagne avait été faite sur ses thèmes et, comme Duprat l’avait dit avant Jean-Marie Le Pen, « l’électeur préfère toujours l’original à la copie ».

Vous rappelez que Jean-Marie Le Pen a d’abord été un leader par défaut.
Joseph Beauregard
. La présidence est d’abord proposée à Michel de Saint-Pierre, puis Georges Bidault, etc. Qui reste, qui est connu ? Jean-Marie Le Pen, qui a été le plus jeune député. Duprat est convaincu qu’il pourra faire ce qu’il veut de lui, alors que c’est Le Pen qui va les bouffer. Il a une conviction : il faut réussir l’union de la « famille », créer donc le Front national en 1972, en permettant la double appartenance avec des groupuscules plus radicaux. Duprat s’était fait exclure de plusieurs mouvements, qui l’ont réintégré parce que c’était un idéologue qui avait une vraie culture politique et historique.

Pour en finir avec cet activisme violent, ils voulaient refaire le coup du poujadisme, avec « quelque chose en plus ». Qu’avait Le Pen en plus ?
Joseph Beauregard
. Duprat est convaincu que Le Pen est parfait parce que c’est un tribun. Et que ce n’est pas un théoricien. Avec Duprat, Le Pen trouve un bosseur, avec une grosse capacité de travail, une équipe constituée. Ça lui permettait de se reposer, il n’a jamais aimé travailler.


Ce n’est plus l’histoire que raconte le FN aujourd’hui.
Joseph Beauregard
. Jean-Marie Le Pen le relègue désormais au rang de « numéro deux sans responsabilités particulières ». Dans l’entretien qu’il nous a accordés, ce qui est fascinant c’est son incapacité à s’oublier. Il ramène toujours tout à lui.

Peut-être parce qu’aller chercher Le Pen, était la première étape de la notabilisation, bien avant les tentatives actuelles de Marine Le Pen ?
Joseph Beauregard
. Dans les années soixante-dix, son père disait : « Nous sommes la droite, la droite populaire, la droite sociale. Il y a dans notre parti des gens de droite, des gens, je vous le concède, qui sont d’extrême droite et qui en sont fiers. »

Ça, c’est du Duprat.
Joseph Beauregard.
C’est là qu’il tend à la droite parlementaire un piège qui fonctionne encore aujourd’hui. Duprat sait que les législatives de 1978 vont être très serrées pour la droite, et qu’il y a de la place pour une campagne anti-immigration à caractère social. D’ailleurs, lorsqu’il est muté comme prof en Seine-Maritime, il entrevoit, entre Dieppe et Le Havre, communistes, et Rouen centriste, la possibilité de capter l’électorat ouvrier.

C’est cette même OPA sur l’électorat populaire qui est poursuivie par l’héritière Le Pen.
Joseph Beauregard.
Certes, même si elle ne lui rend pas hommage comme a pu le faire son père. Mais n’oublions pas que dans son entourage, beaucoup ont été formés à l’école du nationalisme-révolutionnaire de Duprat, qui prônait cette idée.

Il y a aussi réinvention de la droite tout court. Beaucoup des cadres de l’UMP aujourd’hui sont soit des gens qui s’inspirent de ces thèses, soit qui ont appartenu à l’extrême droite : dans les différents gouvernements Sarkozy, on retrouve Longuet, Novelli, Devedjian.
Joseph Beauregard.
Et Patrick Buisson, le conseiller de Sarkozy. On a tenu à ce que cela soit dit par quelqu’un de l’Intérieur qui a été pendant dix ans a été le conseiller de Jean-Marie Le Pen, Lorrain de Saint-Affrique : « Le président actuel ne se rend pas compte de ce qu’il fait. La droite dite républicaine s’est ancrée sur des fondamentaux de l’extrême droite. »

Jamais il n’y a eu autant d’anciens d’extrême droite dans les rouages de l’État. Pourquoi ?
Nicolas Lebourg.
Á mon sens, c’est plutôt une question due au fonctionnement de nos élites. Nos dirigeants étaient jeunes, il y a quarante ans. Ceux qui étaient d’extrême droite et aptes à exercer des responsabilités n’avaient aucune possibilité d’assouvir une carrière dans une extrême droite à 1 %. Á partir de 1974, il y a donc un grand recyclage des radicaux. C’est plus une affaire démographique que de réseaux politiques.

Mais il n’y a aucune autre raison politique à réintégrer quelqu’un comme Gérard Longuet !
Joseph Beauregard.
C’est un appel du pied majeur, le dernier signal. Qui le prend sous son aile, Longuet, au sortir de l’ENA ? Michel Poniatowski. C’est Longuet qui, dans les années quatre-vingt-dix, prône des alliances avec le Front national. Les gens s’en souviennent, dans sa famille politique.

Entretien réalisé par Grégory Marin et Lionel Venturini

  1. François Duprat, une histoire de l’extrême droite, à voir sur le site du Monde.fr []
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Pour le premier ministre grec, il faut restructurer le pays et non la dette

par Christian Berthier

 

Le premier ministre grec, Georges Papandréou annonce les nouvelles mesures d’austérité que prendra le gouvernement grec pour éviter d’avoir recours à une restructuration de « La Dette » , c’est à dire d’en accroître le coût au delà des capacités financières du pays. Il s’agirait, d’ici à 2015, d’un « projet nous menant d’une Grèce en crise à une Grèce de la créativité », par un programme:

  • d’ économies de 23 milliards d’euros par réduction des dépenses de l’Etat à environ 44 % du PIB, dans la moyenne de la zone euro, contre 53 % du PIB en 2009
  • d’augmentation des rentrées à environ 43 % du PIB, contre 38 % en 2009”.
  • de privatisation de 50 milliards d’euros
  • de lutte contre le gaspillage des fonds publics
  • de “mobilité” des employés entre secteurs privé et public
  • de création d’un organisme social unique pour gérer l’ensemble des prestations sociales.

Or, les 23 Md€ d’économies de l’état représentent 9% d’un PIB de 256 Md€. Avec des « rentrées espérées de 13 Md€, environ, le « basculement » des finances publiques serait de 14% du PIB en quatre ans !
C’est oublier que le dépenses de l’Etat se traduisent par des revenus imposables et donc des rentées fiscales.
Moins de dépenses signifient moins de rentrées pour l’Etat, sauf à réduire drastiquement les importations et à réorienter les productions nationales.
On doute que les partenaires commerciaux et les banques prêteuses soient d’accord pour une telle réduction de leurs chiffres d’affaires en Grèce.
Tout l’effort pour satisfaire les prêteurs étrangers de l’état, des banques, entreprises et possédants grecs serait donc supporté par le peuple grec par des réductions massives de protection sociales, d’emplois, de salaires et de services publics.
Au total, le résultat en serait plus de récession et plus de dettes étrangères à tous les niveaux.
Où serait la « créativité » dans ce programme ?
Et si les Grecs choisissaient de « réorienter » la « Grèce d’en haut » en la rendant responsable des dettes qu’elle a souscrites et décidaient d’une solution à l’islandaise de refus de payer toutes les dettes privées étrangères dont le peuple n’est en rien responsables ?
Là serait peut être la véritable « créativité » du peuple grec.

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Offensive ouverte contre tous les droits syndicaux et sociaux aux USA

par Christian Berthier

 

Dès son élection en 2010 dans un état longtemps dirigé par un Congrès « démocrate », Scott Walker, le gouverneur « républicain » du Wisconsin a lancé une attaque brutale contre les fonctionnaires de l’état :

  • suppression du droit de grève,
  • suppression des négociations syndicales sur les retraites et les primes
  • suppression du remboursement des frais professionnels
  • accroissement de 5.8 % des salaires de cotisation retraites
  • accroissement de 12.6 % des salaires de cotisation maladie
  • menace d’intervention de la garde nationale en cas de manifestation des salariés
  • menace de licencier des salariés s’ils “participent à une action organisée pour arrêter, ralentir ou s’
  • absenter à leur poste de travail plus de trois jour sans autorisation du patron,
  • suppression des cotisations prestations sociales et de retraites publiques aux intérimaires ( LTE)
  • suppression du droit de négociation collective pour les salariés des garderies, crèches, soins a domicile, de l’université publique du Wisconsin et de son secteur hospitalier.

En réponse, les fonctionnaires et leurs familles manifestent chaque jour dans la capitale Madison et occupent maintenant le Congrès. Ils reçoivent un appuis croissant des syndicats et elus démocrates, au début réticents à s’engager.
Selon Walker, son plan réduirait de $30 million les dépenses publiques en 2011 et de $300 millions en 2012.
Cette année, le Wisconsin fait face à un déficit prévu de $1.8 milliards, soit 12.8 % du budget.
Sur l’année 2010-2010, il ne s’agit que du 14 e plus grand déficit des 51 états des USA.
D’autres états menacent les salaries et syndicats d’amendes et d’arbitrage obligatoire en cas de blocage des négociations dans le secteur public, la dénonciation des contrats collectifs des pompiers et des policiers. En particulier, l’administration « démocrate » de l’Illinois menace de supprimer le droit de grève des enseignants.
Ce qui n’est pas sans provoquer des manifestations contre des plans a peine moins provocateurs en Ohio et en Illinois.

Actuellement , Quarante-cinq états et le District de Columbia prévoient des déficits budgétaires pour 2012 pour un total de $125 milliards.
Ce chiffre était encore plus élevé les années précédentes et s’était traduit par une réduction importante des services et de l’emploi public….D’ou un mécontentement croissant des électeurs qui ne fut pas pour rien dans le recul démocrate aux élections intermédiaires de 2010.
Les USA sont en train de changer de régime social. Par exemple, si les tendances actuelles se confirment, La fréquentation des université aux USA aura diminué de moitié en 5 ans aux USA de 2007 à 2012.
Partout la crise, le chômage et les allègements fiscaux creusent les déficits alors que les besoins de services sociaux s’accroissent Et c’est dans cette situation que le Président Obama et l’état fédéral réduit, puis refuse tout aide et crédit aux états. Ces déficits sont passés de 68 à 59 milliards en 2010 et 2011…puis à 6 milliards prévus pour 2012.
Année après année, les élus du Congrès et du Sénat, Démocrates et Républicains, répondent aux déficits croissants par le licenciement de centaines milliers de fonctionnaires, et la réduction pour les rescapés de leurs salaires et avantages sociaux.
Il y a plus, il semble que, dès leurs victoires aux élections partielles de 2010, les gouverneurs « Républicains » récemment élus tels que Walker et Kasich recherchent une confrontation totale avec la classe ouvrière ( « main street ») et ses syndicats par la suppression des conventions collectives, des amendes et des licenciements en cas de grève.

Tunisie
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La Tunisie institue la parité 
hommes-femmes en politique

par Abdelhamid Largueche
professeur,
membre de la Haute instance pour la réforme politique en Tunisie

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Une première dans le monde arabo-musulman mais aussi au-delà

Petit pays, grande nation ; en votant la loi sur la parité hommes-femmes pour la Constituante, j’ai eu l’intime conviction que nous nous sommes projetés dans le futur en enjambant d’un seul pas une ligne jugée par beaucoup infranchissable.

Et, pourtant, pourtant nous l’avons franchie, pour prouver à nous-mêmes d’abord, puis aux autres ensuite, que la Tunisie méritait bien une révolution.

Ce n’est pas un hasard si la femme a constitué depuis plus d’un siècle l’enjeu et le pivot de toutes les modernités : scolarisation des filles dans les écoles franco-arabes donnant au pays ses premières femmes médecins, ses premières institutrices et ses militantes de première heure,
Réformisme tunisien de première heure s’exprimant en faveur de l’émancipation des filles musulmanes par l’éducation chez les jeunes Tunisiens, puis avec vigueur et détermination avec Tahar Haddad1. Puis vint le temps de l’indépendance et des grandes réformes instituant l’État national, avec comme grande première réforme le Code du statut personnel, dès 1956, bien avant la République, pour annoncer la vocation moderniste d’une société qui n’avait d’autre choix pour se développer que d’émanciper ses femmes.

La parité gagnée hier lors d’une séance émouvante, gagnée à l’arraché, à main levée, était le premier geste qui montre que nous étions, femmes et hommes, les dignes héritiers de Haddad, de Thaalbi2 et de Bourguiba.

À ceux qui disent que cette loi est peut-être en avance sur les réalités encore précaires et fragiles, je dirais : c’est à la société de s’adapter à ses nouvelles lois.

De tout temps, la Tunisie s’est affirmée en se surpassant, en abolissant l’esclavage avant bien d’autres pays en Occident même, en se dotant d’une constitution bien avant des pays et des continents, en faisant de sa Zaytouna3, de son collège Sadiki4, de sa Khaldouniya5 
des foyers de lumière pour tous les peuples du Grand Maghreb, en abolissant la polygamie en criant haut et fort que l’Islam signifie liberté et égalité.

En instituant la parité des droits en politique, nous disons simplement : femmes de Tunisie, vous avez guidé une révolution, guidez le peuple vers plus de lumière, vers plus de liberté.

  1. L’un des fondateurs de la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT), en 1924. []
  2. Fondateur du Destour en 1920. []
  3. Grande université islamique 
qui forma des générations 
de savants. []
  4. Premier lycée secondaire moderne de Tunisie fondé en 1875. []
  5. Première école moderne de Tunisie fondée en 1896. []
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Tunisie : la progression du mouvement islamiste Ennahdha

 

Ghannouchi à la conquête du pouvoir

Près de 10.000 militants et sympathisants ont acclamé le samedi 9 avril le dirigeant historique du mouvement islamiste Ennahdha à Sfax.

On est loin, très loin, des premières consignes de prudence de l’après 14 janvier 2011. Ghannouchi qui, depuis des semaines, fait le tour de la Tunisie et semble afficher de nouvelles ambitions : la conquête du pouvoir.

L’histoire nous dira si le Mouvement Ennahdha est le plus grand bénéficiaire, au niveau des partis politiques, de la Révolution du 14 janvier 2011. Toujours est-il que ce mouvement, à fort potentiel militant, et totalement déstructuré sous le régime de Ben Ali est sorti de sa léthargie après le 14 janvier et commence à connaître une vitesse de croisière ces dernières semaines.

Pour comprendre la stratégie politique d’Ennahdha, il ne faut pas oublier la nature de son leadership actuel, héritée d’une lourde répression qui a duré une vingtaine d’années.

Des milliers de cadres d’Ennahdha furent emprisonnés sous Ben Ali. D’autres milliers prirent le chemin de l’exil. Entre les deux il y avait un désert sidéral : quelques sympathisants qui osaient afficher à peine leur obédience.

Sortis de prison, par vagues, dès le début des années 2000, les cadres du mouvement tentaient de restructurer le peu de militants restés fidèles et résolus. Leur marge de manœuvre était extrêmement étroite. Ils tentaient de se mettre, presque, sous la protection des partis de gauche, et surtout du Parti Démocratique Progressiste d’Ahmed Néjib Chebbi. Ils étaient prêts à toutes les concessions pourvu qu’ils soient réintégrés dans le circuit politique de l’opposition au Président déchu. Ils étaient aussi prêts à négocier avec le régime de Ben Ali. Il y a eu quelques tentatives indirectes dans ce sens, sauf que c’était le pouvoir de l’époque qui n’en voyait pas la nécessité.

Cette stratégie-là connut son couronnement dans ce que l’on a appelé le mouvement du 18 octobre où des dirigeants d’Ennahdha furent associés aux mouvements de gauche et de l’extrême gauche tunisiennes.

Les Nahdhaouis avaient alors signé des textes très en avance sur leurs positions traditionnelles en termes d’égalité citoyenne entre les deux sexes et des relations entre le politique et le religieux.

La Révolution du 14 janvier a levé d’un coup toutes les restrictions qui pesaient sur le mouvement et la liberté d’action de ses dirigeants. Il était convenu dès les premiers jours de la Révolution de réorganiser le parti autour du noyau dirigeant des anciens prisonniers.

Pour ce faire, la direction en exil et à sa tête Rached Ghannouchi devait remettre les rênes, toutes les rênes du pouvoir au groupe de Tunis dirigé par Hamadi Jbali et ses camarades.

Il faut rappeler ici quelle a été l’analyse de la direction de Tunis et d’une bonne partie de celle de l’exil de la situation du pays post révolutionnaire et de la meilleure tactique à adopter pour le mouvement.

L’idée, largement partagée par les hauts cadres dirigeants était la suivante : la répression qui s’est abattue sur le mouvement en 1990 était due en partie à la démonstration de force des listes indépendantes soutenues par les Nahdhaouis lors des législatives d’Avril 1989.

Répéter les mêmes démonstrations de force serait néfaste pour le mouvement, même si la dictature n’est plus là pour réprimer. Les dirigeants islamistes de l’intérieur estimaient qu’ils n’avaient aucun intérêt à inquiéter ni les partis politiques, ni l’opinion publique, ni encore moins nos voisins du Sud et du Nord.

Pour Hamadi Jbali, Secrétaire général et porte-parole d’Ennahdha, il y a de cela deux mois, le pays n’est pas prêt pour une véritable compétition électorale et Ennahdha n’a aucun intérêt à être dominante dans le paysage politique. Son intérêt réside dans la réussite du processus démocratique, fut-il à ses dépens. Donc pas de démonstrations de force et l’objectif était de chercher le consensus le plus large possible.

Dans cette perspective-là, Rached Ghannouchi n’avait pas sa place dans la direction politique du mouvement. D’ailleurs le fondateur d’Ennahdha l’avait lui même compris. Il se préparait à passer le témoin et à s’occuper d’activités intellectuelles et théologiques à l’échelle internationale. Il voulait juste rentrer en Tunisie après vingt ans d’exil, revoir les siens et s’installer définitivement à Londres.

Mais l’accueil triomphal du Cheikh par ses fans à l’aéroport a changé la donne. Les meetings publics dans les mosquées et ailleurs n’ont fait que confirmer son leadership naturel. La base du mouvement sortie de son ornière en était demandeuse et le cheikh, manifestement, en raffolait.

Il y a également un autre élément important dans cette tournure qu’ont pris les évènements : la lutte fratricide entre les deux fondateurs du mouvement, Ghannouchi et Mourou.

Ce second “oublié” dans la reconstitution de la nouvelle équipe dirigeante a immédiatement menacé d’entrer en dissidence. Mourou sait pertinemment que Ghannouchi ne lui pardonne pas ses prises de position en 1991 quand il s’en est pris, aux actes de violences commis par des membres d’Ennahdha et qui ont amené à la tragédie de Bab Souika où un gardien de la cellule de parti au pouvoir fut brulé vif. Pour Mourou, même si cette mort atroce n’était pas voulue par les assaillants, recourir à la violence était déjà un acte condamnable à ses yeux et cela quelles qu’en soient les raisons.

Abdelfattah Mourou avait pensé un moment fonder son propre mouvement, mais il avait compris, très vite, ce qu’il risquait de perdre : le “peuple” engagé des mosquées très suspicieux à l’idée de la division de la “communauté des croyants”. Le cheikh Mourou, comme l’appellent ses partisans et ses adversaires, s’est mis immédiatement à la reconquête de ce “peuple” des mosquées. Une leçon par jour, chaque fois dans une mosquée différente. Si l’on ajoute à cela quelques émissions télévisées, le show de Mourou avait porté. Il est (re)devenu une figure incontournable de l’islamisme modéré “Made in Tunisia”.

Ce retour en force de l’ancien numéro deux du mouvement, à la limite de la dissidence, n’a fait que renforcer l’emprise de Ghannouchi sur le parti. Sans lui, Mourou ne ferait qu’une bouchée d’Ennahdha. Aucun autre dirigeant n’a son charisme populaire, ni sa légitimité historique. Mourou avait ainsi obligé Ghannouchi de ne plus être un “Président par intérim” du mouvement, mais un véritable leader politique et religieux afin de faire face à ce nouveau danger de l’intérieur.

Le premier numéro d’El Fajr (L’aube) l’organe officiel d’Ennahdha confirme cette nouvelle posture. Alors que c’était Hamadi Jbali qui était le directeur responsable d’El Fajr dès 1989, c’est désormais Ghannouchi qui prend sa place. Et pour la petite histoire Jbali est totalement absent dans ce premier numéro de reprise du 9 avril 2011.

Le jour même Ghannouchi tenait un grand meeting populaire dans le stade de Sfax. Une dizaine de milliers de fidèles et de sympathisants étaient à l’accueil. Le spectacle était impressionnant. On est loin, très loin de cette prudence des premières semaines post-révolutionnaires.

Avant Sfax il y avait Gabès, Sidi Bouzid, Siliana et d’autres villes de la Tunisie. La ferveur était toujours au rendez-vous.

L’organisation impeccable et le service d’ordre impressionnant. Que cherche Ghannouchi ? Seulement impressionner les esprits ou préparer la conquête du pouvoir par les urnes ? Probablement les deux à la fois : l’une ne marchant pas sans l’autre.

Retour à Sfax ce 9 avril 2011. Un fait a retenu toutes les attentions : la présence du Secrétaire général de l’Union régionale du travail, l’inamovible Mohamed Chaabane. Le dirigeant syndicaliste ne s’est pas contenté de sa simple présence, déjà lourde de conséquence, mais a pris la parole et a exprimé d’une certaine manière un soutien au parti Ennahdha. Emoi dans les milieux dirigeants de la Centrale syndicale et l’on s’attend d’une heure à l’autre, la publication d’un communiqué de l’UGTT qui dénonce l’attitude de Mohamed Chaabane.

Mais la signification la plus importante du Secrétaire général régional et de son adjoint, plutôt connu pour être proche d’un groupe d’extrême gauche, est la capacité d’Ennahdha à réaliser des alliances qui, elles, demain pourraient la porter au pouvoir.

Qu’y a-t-il en face de cette machine impressionnante qui commence à se mettre en branle après une hybernation de deux décennies ? Une kyrielle de partis souvent sans poids réel. On assiste, toutefois à l’émergence d’un pôle qui se veut démocratique, moderniste et social. Il serait formé du Mouvement Ettajdid, du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés et du nouveau Parti du Travail tunisien qui comprend certains dirigeants syndicalistes dans sa direction. Des associations de la société civile pensent rejoindre ce pôle. On cite à titre d’exemple l’initiative citoyenne qui fédère de nombreux indépendants d’horizons divers pour défendre, dans la nouvelle constituante, les acquis de la modernité tunisienne.

Il y a à signaler à côté de cela, l’influence relativement importante de l’extrême gauche et surtout du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT) dans certaines régions du pays.

D’autres forces aspirent à se positionner dans le centre de l’échiquier politique. Toutes ces composantes auront-elles le temps, d’ici trois mois, à convaincre l’électorat de leur capacité à gérer le pays. Toute la question est là.

Ennahdha à 20% des sièges serait un parti important, mais guère davantage. Mais à 30% et plus, les islamistes seraient incontournables et décisifs même s’ils décident de ne pas prendre la tête de la nouvelle majorité.

Certains des cadres dirigeants d’Ennahdha appréhendent ce succès, mais le chef historique, Rached Ghannouchi, semble grisé par la liesse populaire. Il s’est dit, à Siliana, prêt à affronter le suffrage populaire le lendemain s’il le fallait…

“Emporté par la foule” Ghannouchi, mais jusqu’à quand et jusqu’où ? De ces réponses dépendra, en partie, l’avenir du processus démocratique.

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Le Printemps de la jeunesse palestinienne

par El-Watan

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Ghaza : Le peuple veut en finir avec la division

En écho aux révolutions tunisienne et égyptienne, les jeunes Ghazaouis se mobilisent sur le web et dans la rue, malgré la répression du Hamas, pour appeler à la fin des déchirements interpalestiniens. Le 15 mai, une nouvelle manifestation est prévue. Reportage.

Une matinée pluvieuse comme on en voit rarement en avril à Ghaza. J’ai rendez-vous au café Délice avec Moayad, 24 ans, étudiant en génie civil, très actif sur les réseaux sociaux dont facebook. Je l’ai déjà rencontré à plusieurs reprises dans les locaux d’une ONG où il travaillait à temps partiel. Il me semblait poli et plutôt timide. Peu de temps après, alors que les révoltes secouaient déjà les pays arabes, il m’avait expliqué qu’il avait constitué un groupe sur facebook «appelant à la révolte contre la division». «Nous avons toujours été à l’avant-garde. Les jeunes Tunisiens et les jeunes Egyptiens ont fait des sacrifices énormes pour changer le système qui les étouffait. Nous, on veut mettre un terme à la division qui pèse sur notre vie et dont les conséquences sur notre cause nationale sont dévastatrices.» Que les Palestiniens aient peur de descendre dans la rue ne le décourage pas.

«Nous casserons la barrière de la peur», réplique-t-il d’une voix sûre, tout en me fixant derrière ses lunettes de jeune intellectuel. Après quelques regards furtifs autour de lui, il entre dans le vif du sujet. «Je suis étudiant, je ne suis membre d’aucune faction palestinienne, mais je n’ai pas de préjugés contre elles non plus. Depuis longtemps déjà, avec des amis, nous avons créé un groupe nommé Soura (photo), allusion à la belle photo de notre pays, de notre société, de notre cause nationale et de tout ce qui nous entoure, explique-t-il. Nous menions quelques activités culturelles. Et puis, l’exemple tunisien nous a poussés à envisager une révolte contre la division qui nous déchire. Comme nous vivons sous occupation, à Ghaza et en Cisjordanie, nous n’avons pas pensé au slogan “Le peuple veut faire tomber le régime“ mais plutôt “La division est notre priorité“.»


Des fleurs aux agents de l’ordre

Après une gorgée d’un café sans sucre (sada), comme l’aime la majorité des Palestiniens, le jeune homme poursuit. Sur facebook, avec des amis, ils créent la coalition du 15 mars. Objectif : mobiliser des citoyens pour sortir dans la rue et faire pression sur les deux piliers de la division, le Hamas et le Fatah, afin de les pousser à se réconcilier, pour une réunification des rangs palestiniens. Le 28 février, quelques jeunes sont descendus sur la place du Soldat inconnu, en ville, mais ont été très vite ceinturés par des agents de la sécurité interne. «Ahmad Arar, un de mes amis, a été arrêté et frappé. Il a même été accusé de collaboration avec les services sécuritaires de Ramallah. Dès ce jour, avec les déclarations des services sécuritaires avertissant que toute descente dans la rue sans autorisation serait durement réprimée, et d’autres accusant ceux qui appellent à ce genre d’activités de travailler avec des parties douteuses, nous avons compris que le gouvernement de Ghaza voulait nous faire peur.»

Ainsi, le 10 mars dernier, le gouvernement a interdit tout rassemblement et toute manifestation dans la rue. «Le 13, nous avons organisé une collecte de sang dans les locaux de l’université Al Azhar, puis nous sommes sortis par milliers près de l’université, raconte-t-il. Nous avons distribué des fleurs aux agents de l’ordre et nous avons porté certains d’entre eux sur nos épaules pour faire passer un message de pacifisme, d’amour, mais aussi de détermination.»

Stop à la division

Un nouveau rendez-vous fut pris pour le 15 mars sur facebook. «Ceux qui étaient prêts à descendre se comptaient par dizaines de milliers, promet-il. Le 14, un jour avant la date de la grande marche, nous avons tenté un essai. On était plus de 1500 étudiants à sortir de plusieurs universités. Nous nous sommes dirigés vers la place du Soldat inconnu où on a décidé de passer la nuit sous des tentes. Un seul drapeau, celui de la Palestine, et un seul slogan “Le peuple veut mettre un terme à la division“. On avait appelé cette journée la journée de l’échauffement. Dans l’après-midi, sentant notre détermination à aller jusqu’au bout et vu la présence concentrée des médias, des représentants du ministère de l’Intérieur ont demandé à se réunir avec nous, poursuit-il. Des groupes de jeunes dont on connaissait le courant ont voulu se joindre à nous. On s’est entendus pour qu’ils n’expriment aucun signe d’alignement avec telle ou telle faction.

En fait, au lieu d’utiliser avec nous la manière forte, le gouvernement a tenté de récupérer le mouvement. Nous nous étions mis d’accord pour porter le drapeau palestinien, symbole de notre unité, et d’appeler à la fin de la division.» Et les militants ont passé la nuit sous les tentes. Autant Moayad était heureux de voir ces centaines de milliers de Palestiniens dans les rues de Ghaza le 15 mars, autant il s’avoue déçu par la manière avec laquelle le gouvernement s’est comporté.

Intention de faire peur

«Nous avons été surpris par le déploiement, dès le matin, de centaines d’agents de l’ordre portant des tenues fluorescentes avec le sigle du Hamas sur le dos. Mais nous nous sommes surtout sentis trahis par l’arrivée de milliers de manifestants portant autant de bannières du Hamas. De la récupération politique, ni plus ni moins… Des centaines d’hommes de la sécurité interne, devenue célèbre à Ghaza depuis la prise de pouvoir par le Hamas, se sont infiltrés parmi les manifestations, prenant des photos des partisans, surtout les plus enthousiastes, dans l’intention de faire peur. Des partisans du Hamas n’arrêtaient pas de provoquer les manifestants.

A la mi-journée, les manifestants comprenant ce qui se tramait ont commencé à quitter la place du Soldat inconnu.

Découragés, certains sont rentrés chez eux, mais des milliers d’autres ont pris la direction de la place d’El Katiba, à moins d’un kilomètre, à l’ouest du centre-ville. «Plus de 100 000 citoyens se sont retrouvés sur cette place. L’ambiance était tout autre. Nous avons placé un cordon de sécurité pour empêcher tout manifestant portant un drapeau autre que celui de la Palestine d’entrer, ajoute Moayad. Nous étions déterminés à rester. Malheureusement, le gouvernement a décidé de vider la place par tous les moyens. La police a installé des barrages sur les routes pour empêcher l’accès à El Katiba.» Ont suivi des déclarations des porte-parole du gouvernement et du mouvement Hamas.

« Ils ont accusé tous les manifestations présents à El Katiba d’être des fauteurs de troubles, d’anciens officiers de l’autorité palestinienne et des Fathaouis qui tentent de créer un état de chaos, à l’image de ce qui se passe dans les pays arabes. Au coucher du soleil, des centaines d’agents de sécurité habillés en civil, dont des dizaines utilisant des motos, ont chargé la foule et l’ont dispersé à coups de bâton, de gourdins et de matraque électrique. » Personne n’a été épargné. Ni les femmes, ni les enfants qui accompagnaient leurs parents, ni les personnes âgées.

Le langage du gourdin

«Ma mère, une femme de 60 ans, a reçu des coups de matraque et a été évacuée à l’hôpital. Les femmes, surtout, ont été insultées et traitées de tous les noms. C’était incroyable de la part de ceux qui prétendent appartenir à un courant islamique !» Moayad s’est réfugié dans la clinique mobile et a évité, sachant qu’il était recherché, de rentrer chez lui pendant deux jours. «Nous avons cru être différents des autres. Notre révolution était contre la division et ne pouvait pas servir de prétexte à toute cette violence. Les gens se sont laissés frapper sans réagir, non par lâcheté, mais surtout pour éviter l’escalade. La violence ne faisait pas partie de notre programme.» Ont suivi plusieurs tentatives de rassemblement : le 16 à l’université d’El Azhar, le 17 au siège de la Croix-Rouge, puis au siège de l’ONU.

«A chaque fois, c’était la même chose. Le seul langage des autorités était celui du gourdin. Beaucoup de jeunes ont été arrêtés, puis relâchés après quelques heures ou quelques jours Ils ont tous été frappés et humiliés. J’ai reçu cinq convocations de la part de la sécurité interne, mais je n’irai là-bas qu’après l’obtention de garanties de ne pas être maltraité. Je n’ai rien fait de mal, assure-t-il en avouant une grande colère au fond de lui. Le peuple veut la fin des divisions, mais certains tirent clairement profit de cette situation et ils font tout pour faire durer le statu quo. La prochaine fois, le 15 mai, à l’occasion de la commémoration de la Nakba, nous sortirons avec une autre priorité, un autre slogan : «Le peuple veut en finir avec l’occupation».

Fares Chahine

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L’anachronisme d’Israël

 

Ha’aretz, mardi 1er avril 2011

http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/former-israeli-defense-chiefs-draft-new-mideast-peace-plan-1.354278
L’anachronisme d’Israël
par Ze’ev Sternhell

Traduction : Ilan Rozenkier pour La Paix Maintenant

[Spécialiste des droites françaises et de leur idéologie, l’historien Ze’ev Sternhell est membre de Shalom Arshav en Israël depuis la fondation du mouvement. Il s’insurge ici contre l’adoption par la Knesseth de lois antidémocratiques et d’un autre âge ! Dans cet article parfois virulent destiné à la société israélienne, il s’élève contre l’apathie du centre et la plus-que-faiblesse de la gauche face aux évolutions, négatives à ses yeux, que connaît Israël – que ce soit l’adoption de lois restrictives à l’égard des Arabes, la toute-puissance des religieux ou leur immixtion dans la vie politique. Les anachronismes se multiplient, déteignant de plus en plus sur la nature même d’Israël.
On ne peut qu’être ému par l’amère désillusion de ce sioniste de toujours, aujourd’hui fort âgé, que l’Histoire semble avoir floué.]

Lentement mais sûrement Israël est en passe d’acquérir un statut d’anachronisme. La loi votée par la Knesseth lors de cette nuit noire, la semaine dernière, qui fit de l’inégalité ethnique une norme juridique (( Ze’ev Sternhell fait ici référence aux deux lois passées au petit matin du 23 mars, face à un hémicycle quasi désert : l’une vient confirmer le droit des agglomérations de moins de 400 foyers, en Galilée et dans le Néguev, d’admettre les habitants sur leurs propres critères afin que les nouveaux arrivants ne soient pas incompatibles avec la nature de la communauté ; l’autre vise la mémoire arabe par l’asphyxie financière des organisations qui marqueraient l’anniversaire de la Naqba (la “Catastrophe“, ainsi que les Palestiniens désignent la proclamation de l’Indépendance d’Israël le 16 mai 1949), au risque de détruire le fragile équilibre et la relative tolérance qui régnaient encore. Les débats furent vifs parmi les quelques députés encore présents à pareille heure. Députée du Meretz, Zehava Gal On  s’est opposée avec véhémence à l’adoption de cette loi (par 37 députés contre 25) : « La Knesseth dresse la population contre ses minorités », a-t-elle déclaré. Isaac Herzog quant à lui, l’un des rares députés travaillistes à avoir pris part au vote, a condamné « la mise en place en ce jour en Israël d’une politique de la pensée », relevant que cette loi allait à l’encontre des recommandations du procureur général. Pour de plus amples précisions, voir l’article ci-dessous, dont nous n’avons traduit que les premiers paragraphes, factuels : « Deux lois jugées discriminatoires adoptées par la Knesseth ». )) , n’a aucun précédent dans un pays démocratique car elle est contraire à l’essence même de la démocratie.
Au plan des principes, la discrimination institutionnalisée à l’encontre de la population non juive nous fait régresser aux premières années de l’État, lorsque les citoyens arabes israéliens étaient soumis au régime du “gouvernement militaire” (( De 1948 à 1966, le gouvernement militaire astreignit les Arabes d’Israël à des permis de déplacement, au couvre-feu, aux assignations à résidence, et favorisa la confiscation de leurs terres. Cet arsenal juridique puisé dans les règles du mandat britannique, mais appliqué aux seuls citoyens arabes de l’État par David Ben Gourion et ses successeurs jusqu’à la veille de la guerre des Six Jours, dans une atmosphère de crainte et de suspicion à leur égard, comprenait aussi la pratique des arrestations arbitraires et des périodes de détention administrative (trois mois indéfiniment renouvelables) sans justification, ou les procès devant des tribunaux militaires sans droit à l’appel… La gauche israélienne – le Mapam en particulier, disparu depuis lors mais à l’origine du Meretz actuel – le combattit avec acharnement. )) .
Cette situation eut une influence déterminante sur la société israélienne : mise à part la volonté de David Ben Gourion et de l’élite dominante de ne pas voir leur liberté d’action entravée, c’est cette discrimination ethnique institutionnalisée qui a rendu impossible la rédaction d’une constitution. C’est ainsi que les Israéliens, pour la première fois citoyens de leur propre pays, ont pris conscience que l’indépendance n’implique pas l’égalité, que la démocratie n’inclut pas le respect des droits de l’homme.
L’année qui suivit l’abrogation du gouvernement militaire survint la grande tragédie de la  guerre des Six Jours, le gouvernement militaire fut instauré dans les Territoires. Au fil du temps, et les implantations se développant, un régime colonial s’est mis en place sans même dissimuler sa nature. Alors que les pays occidentaux se sont libérés de leur domination sur d’autres peuples, Israël, lui, prend forme quasi-coloniale, exfiltrant même sur son propre territoire les normes en usage dans les territoires occupés.
Existe-t-il ailleurs en Occident un tel anachronisme ? Le colonialisme « implantatoire » est aujourd’hui la raison principale, et souvent même la seule, de l’opposition frisant parfois l’hostilité que suscite Israël dans de larges cercles de l’intelligentsia occidentale. Ce ne sont pas les ennemis du sionisme ou les antisémites qui provoquent la délégitimation d’Israël. C’est, de ses propres mains, Israël lui-même.
Certes, en Europe également la droite extrême s’est développée et le dernier mot n’a pas encore été dit. Mais les racistes ne sont pas là-bas aux affaires. Ils n’y sont qu’une minorité infréquentable aux yeux de la gauche, mais aussi à ceux de larges parties de la droite libérale. Chez nous, par contre, la droite extrême et cléricale est aux mannettes et face à elle… le vide.
La confrontation honteusement esquivée avec la droite lors du débat à la Knesseth ne sera pas oubliée de si peu. La faillite morale du centre restera gravée. Les pires ennemis de la démocratie et ceux qui font la puissance du fascisme ont de tout temps trouvé leur origine non dans la force de la droite radicale mais dans l’opportunisme, le conformisme et la lâcheté du centre.
Qu’aurions-nous dit si, dans l’un des pays catholiques de l’Europe occidentale, les chefs de l’Église dirigeaient les partis politiques et contrôlaient des pans entiers de la politique nationale ? Comment aurions-nous réagi si le dirigeant d’un parti politique, ministre important de surcroît, embrassait la main d’un cardinal vêtu de sa toge et s’empressait ensuite d’exécuter ses ordres dans le domaine public ? Comment aurions-nous accueilli l’information selon laquelle, pour pouvoir prétendre à l’une des fonctions les plus importantes du pays, chef de la Sécurité intérieure, l’accord du clergé était nécessaire ?
Il est clair que pareils gages d’asservissement auraient suscité moquerie et mépris. Mais, chez nous, on s’est depuis longtemps déjà habitué à ce que les avis des rabbins des implantations puissent défier ouvertement l’autorité de l’État. La “jeunesse des collines”1 peut déclarer l’autonomie de facto des territoires qu’elle contrôle.
Nous nous sommes également habitués à Avigdor Lieberman (( Avigdor Lieberman, chef du parti Israel Beitenu, ministre des Affaires étrangères, dont les propos souvent qualifiés de racistes sont parfois même jugés “gênants” jusque par B. Netanyahu. )) , Elie Yishaï (( Eliahou Yishaï, membre du parti ultra orthodoxe sépharade Shass, Premier ministre adjoint et ministre de l’Intérieur du cabinet Netanyahu. )) et David Rotem2 . De tels personnages, en Europe, appartiennent déjà à une histoire dont la plupart éprouvent de la honte. Il est triste de voir comment l’une des plus grandes espérances du XXe siècle se fait, sous nos yeux, anachronique.

  1. Enfants et petits-enfants biologiques ou idéologiques des premiers colons envoyés par les gouvernements israéliens dans les territoires occupés pour s’y implanter après la guerre des Six Jours de 1967, les “jeunes des collines” montent en première ligne pour s’opposer au “gel” des nouvelles constructions et sont prêts à tout pour défendre la cause du “Grand Israël”. []
  2. « Il n’y a pas de citoyenneté sans loyauté », déclarait David Rotem, député d’Israel Beitenu et président de la Knesseth, en proposant au vote des députés la “loi Lieberman”. Adoptée en dernière lecture le 30 mars par 37 voix contre 11, cette loi permettra à la Cour suprême, outre les peines de prison par ailleurs encourues, de révoquer la citoyenneté des personnes reconnues coupables de trahison ou trahison aggravée, d’aide à l’ennemi en temps de guerre, ou d’attentat contre l’État. []
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Attentat de Marrakech : ne cédons pas à la peur

par Bernard-Marie Jouannin
Consultant international

 

Après l’attentat de Marrakech, des centaines de personnes de toutes nationalités et de toutes religions ont déposé des bougies et des fleurs blanches à la Place Jamâa El-Fna. S’il faut attendre la revendication pour savoir si Al-Qaïda au Maghreb (Aqmi) signe l’attentat, tout dans la méthode rappelle les attentats de Paris et de Londres. Selon les expertises des polices scientifiques dépêchées sur place par plusieurs pays, la bombe était composée de nitrate d’ammonium et d’explosifs TATP, ainsi que de clous, et l’explosion a été déclenchée à distance. Un infirmier du service des urgences d’un hôpital de Marrakech a pu me confirmer la nature des blessures et entendre les blessés décrire l’attentat. Il ne s’agit donc ni d’un accident dû au gaz, ni d’un kamikaze, l’auteur ayant déposé deux bagages à sa table de café où il avait commandé une consommation, avant de repartir. La vie a repris son cours habituel Place Jamâa El-Fna et dans la Médina. Ici, la paranoïa n’a pas pris. Dès le lendemain de l’attentat des milliers de marocains et de touristes européens continuaient à arpenter les souks de Marrakech.

Un phénomène réactionnaire

Le terrorisme islamiste est un phénomène réactionnaire qui voudrait endiguer une irréversible libération engagée. Ce radicalisme se met à dos les populations musulmanes et fait « honte » aux musulmans, cela se nomme ici « la chouma ». Les jeunes marocains, désertant en majorité les mosquées depuis plusieurs années ne s’y trompent pas et veulent davantage de liberté et de tolérance. A cette tentative de déstabilisation du tourisme au Maroc, les citoyens répondent par des pancartes « Touche pas à mon pays ! ». Habitant Marrakech, les voisins et commerçants m’interpellent : « Ce n’est pas ça l’Islam », « Dis à tes amis Bienvenue au Maroc »… Et les musulmans pratiquants sont choqués : « Comment décider de la vie d’un autre au nom de Dieu ? », «Comment un islamiste aurait-il le droit de tuer d’autres frères musulmans ? ». La différence se fait chaque jour plus claire entre les « musulmans « (croyants) et les « islamistes » (extrémistes). On estime qu’une poche d’une centaine de terroristes de l’AQMI (Al Quaïda Maghreb ) se cache encore en circulant entre les frontières : Mali, Niger, Mauritanie, Sud de l’Algérie et du Maroc. Ils sont connus et traqués de toutes parts. S’ils peuvent passer les mailles du filet, ils sont désormais arrêtés pour la plupart au moment de la préparation de leurs attentats. Après l’attentat de 2003 à Casablanca, en 2007 un attentat avait été déjoué. Trois suspects islamistes viennent d’être arrêtés en Allemagne et se préparaient à procéder de façon identique qu’à Marrakech. Ces terroristes connaîtront le sort de ceux de l’ETA, de l’IRA ou des Brigades rouges. Leur combat est perdu d’avance.

Un risque infime pour les touristes

Restons mesurés : le risque d’être touché par un attentat au Maroc est de 0,01 sur 1 million ! Objectivement, le risque est infime. Le pays reçoit depuis dix ans 7 à 8 millions de touristes chaque année. Des dizaines d’européens sont tués chaque année sur les routes marocaines. Le danger terroriste est partout, dans toutes les capitales, de Paris à Madrid, de New-York à Londres, de Rabat à Tunis … Celui qui se dit capable de prévoir une zone à risque est un imposteur. Se replier sur soi, ne plus sortir ou cesser de voyager, c’est servir les intérêts de la terreur sectaire ou du terrorisme d’Etat. La liberté de conscience de chacun est donc mise à l’épreuve : Suis-je libre ou conditionné par la peur entretenue ? Suis-je capable de distanciation ?

Une manipulation politique

Le terrorisme n’a pas de frontières. Faire croire à la nécessité du flicage des citoyens et des voyageurs est un mensonge à visée électoraliste. Les attentats sont exploités par les conservateurs et les nationalistes de tous pays pour entretenir la peur, la xénophobie et les amalgames. Faut-il rappeler les propos similaires de Bush, Berlusconi, Sarkozy, Bouteflika, Moubarak ou Kadhafi … ? Mais l’ennemi est d’abord chez nous ou en nous, il porte un nom : le sectarisme. Le Front National en France - qui défend les nationalismes de Libye ou d’Algérie par exemple - sait parfaitement cristalliser la peur en mettant bout à bout les conflits internationaux ou les faits divers pour attiser la xénophobie. Et, quitte à vendre son âme, les républicains de tous bords s’alignent en se faisant les défenseurs du sécuritarisme et du protectionnisme. Une fermeture des frontières ne serait d’aucune utilité pour lutter contre le terrorisme, seule une action coordonnée des renseignements des différents pays est efficace. La lutte contre le cancer ne passe pas par les radiations de rayon X tous azimuts de l’ensemble d’une population !

Un processus démocratique irréversible

Dans les pays arabes et plus largement en Afrique le processus démocratique et laïc est irréversible. Les dictatures tombent les unes après les autres, les tyrans et les corrompus sont ou seront arrêtés et jugés. La majorité des pays du Sud aspire au partage du savoir, au partage du pouvoir, au partage de l’avoir. L’islamisme radical va à l’encontre des aspirations à plus de liberté et de justice. Or 60% de la population du Maghreb a moins de 25ans et les mouvements de soulèvements sont une belle leçon de courage ! Les défenseurs des droits de l’homme, les altermondialistes, les ONG et associations récoltent le fruit du travail de fond réalisé ces dernières décennies. Lutter contre le terrorisme commence pour chacun par déclarer être avant tout citoyen du Monde, capable de ne pas céder à la peur.

Puissions-nous contribuer à dire : BIENVENUE au MAROC ! BIENVENUE en FRANCE ou en EUROPE ! BIENVENUE en ALGERIE, en TUNISIE ou ailleurs ! BIENVENUE PARTOUT, LA TERRE est à TOUS ! Et que fleurisse en chacun de nous le nouveau « printemps arabe ».

Marrakech, le 01.05.2011