Chronique d'Evariste
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Nous vivons une époque formidable où tout devient possible !

par Évariste
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Il était une fois les Trente glorieuses où tout était plus simple. Deux camps et quelques dissidences ici et là. Aujourd’hui, tout devient possible. Le meilleur comme le pire. L’inouï comme l’abject. Il y aurait de quoi remplir un livre. Et ces exemples sont pleins d’enseignements pour qui est en mesure de les décrypter. Voilà des sujets de réunions publiques qui rendraient plus sexy les initiatives d’éducation populaire ! Avis aux amateurs !

Je prendrai deux éclairages parmi des milliers.

14 novembre 2012. Les manifestations anti-austérité se déclinent dans toute l’Europe à l’appel de la Confédération européenne des syndicats. Une première fort réussie. Plusieurs centaines de milliers de manifestants rien qu’en Espagne, 4ème pays de la zone euro. Des grèves générales massives au Portugal et en Espagne. Fortes manifestations en Grèce. Le PIB a chuté de plus de 20 % depuis le début 2010 et le troisième trimestre 2012 a vu une chute de 7,2 % sur un an !

Et c’est au même moment à Athènes, devant un parterre de banquiers grecs, que Charles Dallara, directeur de l’Institut de la finance internationale (IIF), groupement d’intérêt des grandes banques de la planète, basé à Washington, s’époumone contre l’austérité. Il déclare qu’il est « temps de reconnaître que l’austérité seule condamne non seulement la Grèce, mais l’intégralité de l’Europe à la probabilité d’une ère douloureuse ». Il appelle la zone euro et le FMI à rechercher des solutions « créatives » et « non conformistes ».

Bien évidemment, l’honorable Charles Dallara ne fait là qu’être le porte-parole d’une partie des banques, qui s’inquiètent des perspectives de remboursement de leurs créances en raison de l’application des dogmes de l’ordolibéralisme (variante ultra du néolibéralisme européen). Il ajoute : « Sans une stabilisation de l’économie et une reprise de la croissance, la viabilité de la dette ne sera jamais atteinte. » Ou encore « Le FMI a un programme permettant à certains pays d’avoir accès à des prêts à taux zéro. Il est limité actuellement aux pays à bas revenus. Mais, veut-on vraiment attendre que la Grèce tombe dans cette catégorie pour reconnaître que les circonstances exceptionnelles entourant le cas grec aujourd’hui justifient quelques idées non conformistes en matière de politique de prêt au FMI ? ». Il fait même appel à la Banque européenne d’investissement (BEI). L’estocade avant de conclure « Nous sommes tous Grecs… Les problèmes de la Grèce ne pourront pas être résolus sans des changements structurels dans le fonctionnement de la zone euro ». Comment lire ce discours ? Dallara craint tout simplement que le défaut de paiement de la Grèce puisse provoquer l’écroulement du château de cartes de l’ensemble de la zone euro. (Rendez-vous autour du livre « Néolibéralisme et crise de la dette »…)
Eh bien disons-le tout net : les duettistes Merkel et Hollande en restent à la potion de l’austérité sans fin. Après la potion de l’austérité en France sur le budget 2013, puis les 20 milliards d’euros de l’impropre « choc de compétitivité », le plan de François Hollande prévoit plus de 60 milliards d’euros sur le quinquennat. Sans compter les « vertiges » supplémentaires possibles. Nous voyons donc une contradiction poindre au sein de la finance internationale. Et si le mouvement social et populaire en profitait ?

Revenons en France. Après le scandaleux accord de légalisation des dépassements d’honoraires prônant la possibilité de facturer des honoraires multipliés par 2,5 mais aussi de faire payer les cotisations sociales des médecins du secteur 2 par la Sécurité sociale (voir l’article sur ce sujet dans le numéro précédent de Respublica), voilà que les fermeture de « blocs opératoires » entraînent un mouvement ultra-libéral(« le Bloc », les « médecins pigeons » soutenus par la Fédération de l’hospitalisation privée) dépassant les syndicats néolibéraux traditionnels (CSMF et SML) avec la revendication d’une liberté totale des médecins. Comme si certains enseignants demandaient d’être affectés dans l’école de leur choix à des salaires décidés par eux-mêmes. Et la ministre d’ouvrir la discussion. On croît rêver ! Et que dire de ces internes qui ont mêlé leur mobilisation à celles des ultras de la chirurgie et de l’obstétrique !

Quels enseignements ? La méthode UMP-PS de négociation avec la CSMF et le SML n’apporte même pas la paix chez les médecins néolibéraux. Négocier avec les néolibéraux soi-disant « modérés » contre les ultra-libéraux n’est pas plus efficace que négocier, dans un autre domaine, avec des intégristes dits « modérés » contre les ultra-intégristes. En fait, il faut changer de paradigme et prendre une voie alternative. Oui, il faut affronter l’ensemble du dispositif ordolibéral en matière de santé/protection sociale (et donc pas seulement les médecins néolibéraux) en prenant position « contre les prédateurs de la santé » (voir le livre) incluant d’abord les firmes multinationales de la pharmacie et des assurances, le privé lucratif en matière de santé et de protection sociale. Oui, il faut promouvoir une protection sociale solidaire de type nouveau.

Hasta la victoria siempre !

Dossier Spécial
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Confrontation : Ville et Habitat

par Robert Spizzichino
Ingénieur urbaniste, co-animateur du Front de Gauche thématique Ville-Habitat-Solidarités Urbaines et auteur de l’ouvrage « De la Ville en politique »-L’Harmattan ed.

 

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“Confrontation : Ville et Habitat” (56 pages, Format PDF)

Avant-propos

Durant la séquence électorale de la présidentielle, plusieurs voix se sont élevées pour dire que la « crise des quartiers difficiles »n’était pas assez présente dans les débats politiques, même si quelques mesures envers les « jeunes des banlieues » ont été proposées ça et là. En revanche, la question du logement trop cher et quantitativement insuffisant dans certains territoires, avec une mobilisation exceptionnelle en faveur des réponses à apporter à l’urgence sociale, à l’initiative notamment de la Fondation Abbé Pierre, a été fortement débattue ; pour autant, on ne s’est vraiment pas en général approfondi sur les mécanismes profonds ayant conduit à la « crise de logement ». De même, le « Grand Paris » débat politique urbain par excellence, n’a jamais été abordé, comme s’il y avait consensus sur cette initiative du Président de la République, ayant accouché d’un réseau métropolitain financé par des mécanismes spéculatifs autour des gares et aux dernières nouvelles, peut être par des fonds qataris. C’est seulement après le constat d’une géographie électorale tranchée, avec un vote Front National plus fort dans les zones périurbaines et l’espace rural et un vote de gauche plus fort dans les villes et la proche banlieue des métropoles que la question urbaine a resurgi (encore timidement) sur le devant de la scène.

Le débat sur la ville dépasse évidemment largement le cadre des échéances électorales. A noter par exemple les propos de Pierre Rosanvallon quand il déclare dans son dernier ouvrage sur l’égalité qu’il faut « produire du commun en s’assurant par exemple que la politique de la ville reprenne une place centrale dans la politique sociale de la gauche » ou de Salvador Juan , auteur de la Transition Écologique qui écrit que l’urbanisme contemporain qu’il qualifie d’urbanisme circulatoire lié à la division internationale du travail conduit à ce qui a été qualifié de « fin des villes ».

Dans les textes qui suivent, nous avons souhaité donné un double éclairage à ces questions :

  • Un éclairage conceptuel et méthodologique en rappelant les termes du débat politique sur la ville et les grands enjeux à prendre en compte pour les prochaines décennies, le temps de la ville étant un temps long
  • Mais aussi une mise sur le devant de la scène de quelques sujets clés dont la gauche française, dans sa diversité, va devoir s’emparer dans les semaines et les mois qui viennent : la politique du logement, la ville populaire et le Grand Paris

Nous espérons que cette thématique Ville-Habitat reprendra en cette période historique la place qu’elle a eue dans l’histoire de la Gauche et du Socialisme

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“Confrontation : Ville et Habitat” (56 pages, Format PDF)

Au sommaire

Introduction de Robert Spizzichino sur l’actualité et la pertinence du débat politique sur la ville.
Et cinq contributions apportées à la réflexion d’aujourd’hui. Toutes partent d’un même constat alarmant et parlent de nécessité de changements profonds.

  • Thierry Repentin part de la nécessité impérieuse de maîtriser la dépense des ménages comme enjeu central du pouvoir d’achat, et suggère de déployer dans l’année qui suit l’élection un programme ambitieux portant tant sur l’offre de logements abordables que sur la maîtrise des loyers dans le parc existant.
  • Christophe Robert évoque l’insécurité sociale liée au logement et présente le contrat social qui doit fonder une nouvelle politique du logement, et que la Fondation Abbé Pierre a soumis aux candidats à la présidentielle.
  • Pour sa part Fréderic Gilli montre, à partir de l’expérience récente des débats citoyens organisés pour les États-Généraux du logement, que les habitants sont parfaitement capables de parler avec compétence des politiques du logement, qu’ils savant passer du vécu le plus personnel aux enjeux collectifs et qu’ils sont prêts au changement.
  • Dominique Dujols développe trois axes de rupture: la prise en considération du logement comme secteur économique de tout premier plan bénéfique pour l’emploi et l’activité autant que pour la solidarité, l’indispensable réforme profonde du foncier urbain, et la nécessite de rompre avec la carence actuelle quant au logement des jeunes.
  • Enfin Didier Gelot qui centre son propos sur les très grandes difficultés qui marquent le logement des personnes les plus pauvres, dont il constate l’aggravation, exprime sa colère de voir l’État hors la loi, et dénonce ce qu’il considère relever du cynisme des acteurs.

Ces contributions sont complétées par des textes de Maurice Charrier, François Labroille et de Patrick Braouezec.

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Après le choc démographique et le choc de compétitivité, à quand le prochain choc ordolibéral ?

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Le système ordolibéral (variante européenne du néolibéralisme) est en crise profonde. Chaque rustine mise en place (voir les dernières mesures telles l’accord sur les dépassements d’honoraires ou la politique du « choc de compétitivité ») renforce la crise elle-même en précipitant notre pays vers la récession et l’austérité sans fin. Seule l’oligarchie voit ses intérêts défendus par ces politiques anti-sociales et austéritaires. Si la priorité de l’éducation populaire et de l’armement intellectuel du peuple devient un impératif catégorique, c’est qu’aujourd’hui un trop grand nombre de nos concitoyens admettent sans sourciller les dogmes du néolibéralisme en général ou de l’ordolibéralisme en Europe, et que la transformation sociale et politique s’en trouve bloquée.
Hier, l’oligarchie a justifié la contre-réforme-régressive des retraites par la fausse évidence du « Mon bon monsieur, ma bonne dame, il y aura de plus en plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs, donc la contre-réforme est nécessaire et c’est pour votre bien ! » Avec cette pensée magique de bas étage, la division par 10 du nombre de paysans et le doublement du nombre des bouches à nourrir depuis le début des années 60 aurait dû nous conduire vers 2010 à la famine…
Aujourd’hui, l’oligarchie justifie sa politique régressive par la fausse évidence du « Mon bon monsieur, ma bonne dame, si nous ne baissons pas le coût du travail, nous allons vers la catastrophe ! » Avec cette pensée magique de bas étage, nous allons - dans l’allégresse ou la fatalité au choix - vers l’accroissement sans fin du chômage, des inégalités sociales de toute nature, de la pauvreté, de la misère,de l’affaissement en gamme de la production industrielle française, pour aboutir à la guerre sociale dans chaque pays.

La principale mesure annoncée par le Premier ministre consiste en un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) calculé sur la base de l’activité des entreprises sur l’année 2013. Les 20 milliards seront réduits à 10 milliards en 2014 (au titre de l’année 2013) puis à 5 milliards chaque année suivante.
Pour compenser cela, le gouvernement Hollande-Ayrault qui a fustigé l’augmentation de la TVA par Sarkozy fait de même (même cas de parjure que pour le traité budgétaire). Plus de 2 milliards sont prévus avec le passage du taux de TVA de 19,6 à 20 % en 2014, plus de 4 milliards par le taux intermédiaire qui passera de 7 à 10 %. Quant à l’abaissement du taux de 5,5 % à 5 %, cela sera un gain d’aubaine que nous expliquons ci-dessous. Il reste donc 4 milliards d’euros à trouver avec des taxes à découvrir, plus les 10 milliards de baisse des dépenses publiques (personne ne demande où ces dépenses sont prévues ?).
Comme nous sommes dans une société du spectacle, le gouvernement annonce urbi et orbi 300.000 emplois créés en début 2017 grâce au CICE. Cette promesse n’engage que ceux qui y croient ! Pourquoi ?
L’ex-patron Louis Gallois et le Medef saluent l’artiste gouvernemental. Ils ont raison. Seuls les intérêts de l’oligarchie ont été défendus dans cette initiative.

Après l’enfumage, en avant vers les effets d’aubaine

Comme pour les 30 milliards par an des exonérations Fillon de cotisations sociales, ce sont les effets d’aubaine qui seront au rendez-vous. Pour les exonérations Fillon, il a été dépensé 30 milliards par an pour maintenir un peu plus de 60.000 emplois. Il en sera de même avec la politique Hollande-Ayrault et son choc de compétitivité.
Il faut savoir que l’administration fiscale contrôle de moins en moins les déclarations fiscales des entreprises (conséquence de la baisse des dépenses publiques et de la diminution forte du nombre de contrôleurs !) comme elle contrôle de moins en moins les remboursements de la TVA sur les exportations et pour le crédit d’impôt-recherche. Quant à la baisse de 5,5 % à 5 %, elle ne bénéficiera pas plus aux citoyens que la baisse Sarkozy sur la restauration. Tout simplement à cause du contrôle impossible dû à l’effondrement du nombre de contrôleurs des impôts. Tous les patrons le savent très bien. Il faudrait donc que les citoyens le comprennent aussi !
Mais par ailleurs, rappelons-nous que toute cette politique était déjà présente dans la Stratégie de Lisbonne signée en mars 2000, main dans la main par Jacques Chirac et Lionel Jospin qui nous promettait que l’Union européenne allait devenir « l‘économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 » On a vu ce que valait cette promesse !

Face à ce tohu-bohu médiatique, l’intérêt du salariat est de voir s’engager une campagne d’éducation populaire sur la réalité de l’industrie française

Chaque fois que des organisateurs du mouvement social ont demandé au Réseau Éducation Populaire (REP) d’intervenir sur ce sujet, il a été montré que la compétitivité de l’industrie française a été mise à mal par le patronat lui-même et les gouvernements précédents : le niveau indigne de la recherche -développement (inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE) a placé la France non dans le haut de gamme industriel à haute valeur ajoutée (ce qui devrait être le moteur du développement économique pour la France) mais dans la gamme moyenne avec comme concurrents les pays émergents avec des rapports salariaux insupportables en libre-échange, surtout avec la politique de réévaluation de l’euro voulue par l’Allemagne.
Tous les gouvernements précédents ont laissé les grands groupes industriels maltraiter les PME sous-traitantes et l’accès au crédit bancaire devenir plus difficile pour les PME. Aucun gouvernement n’a fait voter une loi contre les licenciements boursiers ni pour faciliter l’accès au crédit bancaire.
Prenons comme exemple le groupe Sanofi (1ère entreprise pharmaceutique européenne et 3ème mondiale). Fort de ses 8,8 milliards de bénéfices, il a décidé de distribuer 4,5 milliards à ses actionnaires et de supprimer plus de 2 000 emplois. Le groupe pharmaceutique a détrôné Total comme première capitalisation boursière française le 8 novembre à la clôture de la Bourse de Paris.
Toutes les firmes multinationales françaises utilisent les prix de transfert pour délocaliser les bénéfices dans un pays à fiscalité avantageuse ou dans un paradis fiscal.
Organisons des réunions publiques pour montrer que la volonté du Medef de faire croire que la baisse des cotisations sociales est la seule solution sert de paravent à la croissance des dividendes, pour montrer que ceux-ci ont crû de plus de 60 % depuis le début du siècle et forment un voile pudique sur la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du profit et en défaveur des salaires et des cotisations sociales (soit 9,3 points de PIB depuis 3 ans, soit en euros d’aujourd’hui plus de 180 milliards d’euros par an).

C’est toute la politique économique et sociale qu’il faut changer . toute diminution des cotisations sociales, ou tout crédit d’impôt sans contrepartie ni contrôle, c’est du profit supplémentaire pour le patronat, qu’il utilisera uniquement pour ses actionnaires.

L’histoire a montré depuis la politique d’austérité de Laval en 1935 que toutes les politiques d’austérité se transforment en politiques de récession appelant à chaque fois un tour de vis supplémentaire. Nous avons au contraire besoin d’une autre politique face à la crise économique, à la crise financière, à la crise de la dette publique et face à la politique de désindustrialisation massive des gouvernements précédents que ce gouvernement ne fait que poursuivre. Il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour craindre avec cette politique du moins-disant salarial, qui ne s’attaque pas aux causes de la désindustrialisation française, que le déficit extérieur de la France continue à rester très fort.

Il ne nous reste que la piste de l’armement intellectuel des citoyens et acteurs sociaux et politiques du pays.

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Les efFRONTé-e-s, nouvelle association féministe et LGBT : «  Faire front contre l’austérité et les inégalités hommes/ femmes »

par Emmanuelle Barbaras

 

Depuis quelques années, le mouvement féministe a connu un renouveau spectaculaire, de nombreuses associations ont vu le jour. On connaissait OLF, la Barbe, Encore féministes, peut-être moins les Tumultueuses, les Désobéissantes, les Dégommeuses, j’en passe et des meilleures. Après les exotiques et courageuses Femen qui ont spectaculairement fait parler d’elles - ouf, voilà un sujet sexy pour la presse en manque de sensations - une nouvelle association vient de voir le jour : les efFRONTé-e-s. Cette association mixte - j’en connais qui vont se réjouir et qui n’auront plus d’excuses pour mettre en pratique leurs idées féministes ! - propose un programme riche en idées et en actions, qui sera bienvenu dans le paysage féministe français déjà largement varié. Cofondée par Fatima-Ezzahra Benomar, ancienne militante du Front de gaauche, c’est une association indépendante, même si ces jeunes militants enthousiastes reconnaissent l’expertise dont ils ont bénéficié au sein de l’organisation. Solidaires et infatigables, certains efFRONTé-e-s participent à la campagne Zeromacho, tandis que d’autres participent aux actions de La Barbe : ils font front, sur tous les fronts. Le mouvement féministe, combien de divisions ? ça les fait rigoler : « ces temps-là sont révolus» !

Elles/Ils s’attaquent en priorité aux problèmes des retraites et des inégalités de salaires entre les hommes et femmes, tout en proposant des actions pédagogiques et ludiques. L’agit‘prop est leur credo, l’art et l’humour également. Ils proposent des paroles ambulantes en se promenant avec des pancartes dans la rue avec un seul mot écrit, que les passants complètent, ou encore improvisent des Topos citoyens, sous forme d’exposés didactiques de sensibilisation.

Elles/Ils sont en cours de tournage d’un documentaire sur le féministe, composés d’interviews des grandes figures actuelles du mouvement des femmes, tout en rendant hommage au côté artistique de la création féministe depuis le début du siècle (affiches, flyers et slogans).

Inutile de préciser que les efFRONTé-e-s ont l’ambition de devenir un véritable réseau d‘action populaire féministe : espérons qu’ils vont attirer, grâce à leur énergie et leur faconde de bon aloi, de nombreux militant-e-s : bref, aucune excuse pour ne pas devenir de plus en plus efFRONTé-e-s, sans modération !

Portrait et propos recueillis

Fatima-Ezzahra Benomar, 28 ans, de nationalité marocaine, ne manque ni de détermination, ni de charisme, ni de culture. Issue d’une famille de sensibilité humaniste et artistique, elle arrive en France à 18 ans pour intégrer une école de cinéma. Espérant obtenir le statut d’intermittente du spectacle dont elle ne peut finalement pas bénéficier puisqu’elle n’est pas française, elle connaît la galère des étrangers en France, la difficulté de bosser, l’argent qui rentre au compte-goutte. Qu’à cela ne tienne, la belle rebelle est déterminée. Elle s’intéresse en 2005 à la problématique du Traité constitutionnel, s’engage à Jussieu en 2006 contre le CPE, se syndique à l’UNEF, puis s’inscrit au PS, où elle suit la campane de Ségolène Royal. Cofondatrice d’Osez le Féminisme avec Caroline de Haas en 2009, où elle se forge une solide culture féministe, elle est responsable des questions sur l’égalité professionnelle. En 2010, déçue par le PS, elle devient militante au FDG, au moment de la réforme de retraites. Elle y devient responsable des questions féministes. Elle quitte OLF en 2011 et en juin 2012 décide avec quelques camarades de créer les efFRONTé-e-s ; à l’origine, ils sont une dizaine de militants puis l’association s’élargit rapidement.

« Nous sommes complètement indépendants du FDG mais la culture du Front m’a beaucoup apporté, en réflexion, en rigueur, en efficacité », souligne Fatima.

« Mon cheval de bataille est de parvenir à créer véritablement un front contre l’austérité par le biais féministe car ce sont les femmes le plus concernées », explique t- elle. « Quand je pense que les femmes ont fait un des plus gros cadeaux qui soit à l’humanité en doublant le nombre de votants grâce aux luttes des suffragettes pour le droit de vote… justice ne leur est guère rendue ! 80 % des travailleurs pauvres sont des femmes.

De tous temps les femmes sont descendues dans la rue, mais elles ont ensuite été chaque fois mises à l’écart, regardez le siècle de Lumières, les révolutions arabes… Il faut réhabiliter le féminisme, faire en sorte que ce ne soit plus un « gros mot » ou un mot désuet, renvoyant à un concept négatif ou caricatural. Le Ministère des droits des femmes c’est un progrès, mais c’est un ministère d’affichage, tant de travail reste à accomplir… »

« Pour beaucoup d’humanistes, la croyance est que le patriarcat est né avec le capitalisme, alors qu’il est bien antérieur. Très tôt, il a imposé deux catégories : les hommes et les femmes pour les raisons que l’on connaît par cœur ; le racisme a pris modèle sur cette différenciation, donc si on combat le sexisme, on combat le racisme. C’est dans les périodes le plus révolutionnaires qu’on a le plus réfléchi à la question de la République. Nous voulons juste devenir des citoyennes à part entière. Ça devrait être une priorité, mais beaucoup ont encore l’air d’oublier que les femmes représentent plus de 51 % de l’humanité ».


Contact : leseffrontees@gmail.com - http://effrontees.wordpress.com


Annexe - Extrait de la newsletter n° 1 : Les femmes voient-elles la vie en rose ?

Le Socialisme est au pouvoir ! Il loge à Élysée, a repeint l’Assemblée Nationale et trône majoritairement au Sénat. Si on fait le bilan des premiers mois, on ne peut ignorer quelques initiatives faites en faveur des droits des femmes :

  • Le premier gouvernement Ayrault est paritaire, à défaut d’octroyer aux femmes une part importante de cabinets ministériels ;

  • le Smic a légèrement augmenté ;

  • un projet de loi contre le harcèlement sexuel, bien que jugé insatisfaisant par l’AVFT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail), vient combler l’abominable vide juridique qu’a laissé l’abrogation de l’ancien texte.

Toutes ces mesures - en particulier la mini-hausse du Smic - ne représentent qu’une goutte d’eau comparées à la misère dont souffrent les femmes qui constituent plus de la moitié des chômeurs, le gros du bataillon des travailleur-se-s pauvres et qui sont deux fois plus souvent au Smic que les hommes.
Pour ce qui est de la réforme des retraites, on ne peut que déplorer la timidité de la proposition socialiste ! L’extension du droit à la retraite à 60 ans aux seules personnes ayant commencé à travailler à 18 ans, et la prise en compte pour le calcul des annuités de seulement deux semestres pour les chômeurs et les mères de famille de plus de trois enfants, sont insuffisantes pour conjurer la discrimination sexiste que provoque les réformes libérales dont la retraite à 60 ans a subi les assauts.

A côté de ces demi-mesures qui veulent à la fois amadouer le peuple et rassurer les marchés financiers, les seconds accaparent les choux et le premier reste chèvre !

A la question : « Peut-on espérer de la majorité (absolue) du gouvernement socialiste de faire reculer le chômage, de s’attaquer aux racines de la pauvreté, de créer les 500 000 places en crèches réclamées par les associations féministes ou de développer les services publics sans bousculer son ambition de réduire le déficit budgétaire à 3 % en 2013 ? », la réponse est NON !

Il est impossible de garantir une réforme des retraites égalitaire, un service public de la petite enfance performant, une “loi contre les violences faites aux femmes” efficiente et la réouverture des centres d’IVG, tout ou serrant ses petits doigts sous la baguette autoritaire du MES (Mécanisme Européen de Stabilité) !
Il faut que le gouvernement s’affranchisse des chaînes de la rigueur pour assurer une vraie politique de relance, à moins de préparer annuellement l’Etat à saupoudrer ses cils des larmes de crocodiles à chaque « 8 mars » (journée internationale des droits des femmes) pour déplorer le sort des victimes de la précarité, des inégalités et des crimes sexistes.

Pas de cohabitation possible entre progrès et rigueur ! Toute Règle d’or touchant à l’équilibre budgétaire est incompatible avec nos revendications fondamentales :

  • Développement des services publics qui nous protègent,
  • Interdiction du temps partiel imposé très favorisé par les politiques libérales,
  • SMIC à 1 700 euros nets,
  • Remboursement complet des IVG et de la contraception,
  • Développement d’une réelle politique d’abolition de la prostitution et de réinsertion des personnes prostituées.

Ces dernières années, les femmes sont montées au front des luttes sociales, même quand ces luttes ont été longues, harassantes et précarisantes : à l’hôpital Tenon pour exiger la réouverture du centre IVG ; à Sodimédical pour réclamer leurs salaires ; chez Lejaby ou aux Trois Suisses pour protester contre leurs licenciements ; et bien entendu tout au long du mouvement des retraites de 2010 en y organisant un point fixe féministe unitaire. Tout ça pour dire…

International
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Algérie : cri d'alerte du Parti pour la laïcité et la démocratie

par le PLD
Parti pour la Laïcité et la Démocratie
http://pldexmdsl.fr.gd/

 

Déclaration parue dans le Soir d’Algérie le 31 octobre 2012

A la veille de la célébration du 58e anniversaire du 1er Novembre 1954, l’Algérie, Etat et société, est en danger. Le pays entier est hypothéqué par une situation politique explosive. Le terrorisme islamiste continue de semer la mort au sein des forces de sécurité et parmi les citoyens, il a aujourd’hui franchi un nouveau seuil : son organisation militaire a fusionné avec le banditisme et les narcotrafiquants.
Les frontières colossales du pays, près de 6 500 kilomètres au total (!), se sont embrasées de façon spectaculaire ces derniers mois et sont de plus en plus permissives à un trafic d’armes important, et ce, depuis l’effondrement de la Libye, la sécession islamiste du Mali et la poussée salafiste en Tunisie, sans oublier que le Maroc est dirigé lui aussi par un gouvernement islamiste. Aux portes du pays, l’islamisme politique relève la tête et se renforce grâce au soutien multiforme des USA, de l’Europe et de leurs valets, le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie. Ce qui met en péril la stabilité et la sécurité de l’Algérie et risque d’ouvrir la voie à son éclatement. C’est pourquoi, il est devenu urgent à toutes les forces démocratiques et patriotiques de se concerter pour trouver ensemble des solutions de sortie de crise afin d’éviter que l’Algérie ne sombre dans le chaos. Au plan national, la grogne de la population ne cesse de grandir. Elle n’a d’égale que l’arrogance de gouvernants qui se croient «élus» ad vitam aeternam, fût-il au prix de la déchéance du peuple, la désolation du pays et la déliquescence de l’Etat. Face à la gabegie et la corruption généralisée, l’Algérie d’aujourd’hui a basculé dans une turbulence endémique et n’est plus que jacqueries et émeutes récurrentes. Au plan économique, la situation est catastrophique : selon les chiffres de l’Office national des statistiques (ONS), l’inflation a atteint 8,7% et l’augmentation générale des prix des produits agricoles est de… 24,35% !!! Cinquante ans après l’indépendance, le rendez-vous avec le développement est toujours reporté aux calendes grecques et le système politique tourne à vide. Le pouvoir croit pouvoir se refaire une virginité à coups d’artifices pseudo-démocratiques. Mais il est impossible de gagner la confiance d’un peuple en lui imposant un tutorat à vie par des élections truquées.
C’est pourquoi nous refusons de nous inscrire dans une démarche électoraliste pour ne pas servir de caution à un Etat-voyou et appelons de toutes nos forces les forces démocratiques à boycotter les élections communales du 29 novembre prochain. L’Algérie a cruellement besoin d’une classe politique véritable habitée par une volonté inébranlable d’en découdre avec l’islamisme politique, le système rentier et son avatar, le tentaculaire marché informel, et prête à prendre le taureau par les cornes pour mettre en ordre de bataille le pays et construire un véritable projet national moderne. Un tel projet ne saurait aboutir s’il ne vise pas la concrétisation d’objectifs prioritaires et s’il ne mobilise pas le rassemblement le plus large possible de patriotes et de démocrates soudés par le respect des principes suivants :
1. La séparation du politique et du religieux,
2. La séparation des pouvoirs,
3. La disqualification de tous les partis islamistes,
4. L’abrogation du code de la famille et la promotion de lois égalitaires entre les hommes et les femmes,
5. La promotion d’un système économique en rupture avec la culture de la rente, où secteurs public et privé sont productifs et tournés vers la création de richesses.

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Capitalisme libéral, capitalisme de connivences et lumpen-développement. Quelles réponses immédiates ? Le cas de l’Egypte

par Samir Amin
Président du Forum Mundial des Alternatives (FMA)
http://www.forumdesalternatives.org

 

A.    Capitalisme « libéral » ou capitalisme de connivences  ?

Le capitalisme libéral (ou néolibéral) proposé et imposé comme sans alternatives repose sur sept principes considérés comme valables pour toutes les sociétés de la planète mondialisée.

1.      L’économie doit être gérée par des entreprises privées car elles seules se comportent naturellement comme des acteurs soumis aux exigences de la compétition transparente, au demeurant avantageuses pour la société, dont elle assure une croissance économique fondée sur l’allocation rationnelle des ressources et la juste rémunération de tous les facteurs de la production – capital, travail et ressources naturelles. En conséquence s’il y a des actifs possédés par l’Etat, héritage malheureux du « socialisme », (entreprises productives, institutions financières, terrains urbains ou terres agricoles), ceux-ci doivent être privatisés.

2.      Le marché du travail doit être libéralisé, les fixations « autoritaires » d’un salaire minimum (et a fortiori d’une échelle mobile pour celui-ci) doivent être supprimés. Le droit du travail doit être réduit aux règles minimales garantissant la moralité des rapports humains entre employeur et employé ; les droits syndicaux limités et encadrés à cet effet. La hiérarchie des salaires qui résulte des négociations individuelles et libres entre employés et employeurs doit être acceptée, tout comme le partage du revenu national net entre les revenus du travail et ceux du capital qui en résulte.

3.      Les services dits sociaux – l’éducation, la santé, voire la fourniture d’eau et d’électricité, le logement, les transports et les communications – lorsqu’ils ont été dans le passé assurés par des agences publiques (Etat et pouvoirs locaux) doivent être également  autant que possible privatisés ; leur coût doit être supporté par les individus qui en sont les bénéficiaires et non couverts par l’impôt.

4.      La fonction fiscale doit être réduite au minimum nécessaire pour couvrir les seules fonctions souveraines (ordre public, défense nationale en particulier) ; les taux d’imposition doivent donc demeurer relativement modérés, pour ne pas décourager l’initiative privée et pour assurer la garantie de sa récompense.

5.      La gestion du crédit doit être assumée par les intérêts privés, permettant à la rencontre libre entre offre et demande de crédits de se former sur un marché monétaire et financier rationnel.

6.      Les budgets publics doivent être conçus pour être équilibrés sans déficit autre que circonstanciel et conjoncturel. Si un pays souffre d’un déficit structurel hérité d’un passé dont on veut renier l’héritage son gouvernement doit s’engager dans des réformes qui en réduisent l’ampleur aussi rapidement que possible. En attendant le déficit ne doit être couvert que par le recours à l’emprunt sur le marché financier privé, national ou étranger.

7.      Les six principes considérés doivent être mis en œuvre non seulement aux échelles de toutes les nations de la planète mondialisée, mais encore dans les relations internationales, régionales (pour l’Union européenne par exemple) ou globales. Le capital étranger privé doit être libre de ses mouvements et être traité sur pied d’égalité avec le capital privé local.

Ces principes constituent ensemble le « fondamentalisme libéral ». Je rappellerai ici l’inconsistance des hypothèses de départ et l’absence de conformité du schéma avec la réalité. Très brièvement la preuve par le raisonnement logique que le jeu libre des marchés généralisés, même dans l’hypothèse extravagante (non conforme à la réalité) de l’existence d’une compétition dite transparente, produirait un équilibre entre offre et demande (de surcroît socialement optimal), n’a jamais pu être faite. Au contraire le raisonnement logique conduit à la conclusion que le système se déplace de déséquilibre en déséquilibre sans jamais tendre à l’équilibre. Les déséquilibres successifs en question sont produits parce que cette théorie (qui définit la pseudo science économique conventionnelle) exclut de son champ d’investigation : le conflit des intérêts sociaux et nationaux. Par ailleurs ces hypothèses décrivent un monde imaginaire qui n’a rien à voir avec ce qu’est le système contemporain réellement existant, qui est celui d’un capitalisme de monopoles généralisés, financiarisés et mondialisés. Ce système n’est pas viable et son implosion, en cours, le démontre. Je renvoie ici à mes développements sur cette critique radicale du système en question et de la théorie économique.

Mis en œuvre à l’échelle mondiale les principes du libéralisme ne produisent pas autre chose, dans les périphéries du « sud » qui acceptent de s’y soumettre, qu’un capitalisme de connivences (crony capitalism ) articulé sur un Etat compradore, par opposition à l’Etat national engagé sur une voie de développement économique et social viable. Ce capitalisme de connivences (et il n’y en a pas d’autre possible) produit donc non le développement, mais un lumpen-développement. L’exemple de l’Egypte, considéré dans ce qui suit, en fournit un bel exemple.

B.     Capitalisme de connivences, Etat compradore et lumpen-développement : le cas de l’Egypte (1970-2012)

Les gouvernements égyptiens successifs depuis l’accès de Sadate à la Présidence (1970) jusqu’à ce jour ont mis en œuvre avec assiduité tous les principes proposés par le fondamentalisme libéral. Ce qui en est résulté a fait l’objet d’analyses précises et sérieuses dont les conclusions indiscutables sont les suivantes :

1.      Le projet nassérien de construction d’un Etat national développementaliste avait produit un modèle de capitalisme d’Etat que Sadate s’est engagé à démanteler, comme il l’a déclaré à ses interlocuteurs étatsuniens (« je veux renvoyer au diable le nassérisme, le socialisme et toutes ces bêtises et j’ai besoin de votre soutien pour y parvenir » ; un soutien qui lui a été évidemment apporté sans restriction). Les actifs possédés par l’Etat – les entreprises industrielles, financières et commerciales de l’Etat, les terrains agricoles et urbains, voire les terres désertiques – ont donc été « vendus ».

A qui ? A des hommes d’affaires de connivence, proches du pouvoir : officiers supérieurs, hauts fonctionnaires, commerçants riches rentrés de leur exil dans les pays du golfe munis de belles fortunes (de surcroît soutiens politiques et financiers des Frères Musulmans). Mais également à des « Arabes » du Golfe et à des sociétés étrangères américaines et européennes. A quel prix ? A des prix dérisoires, sans commune mesure avec la valeur réelle des actifs en question.

C’est de cette manière que s’est construite la nouvelle classe « possédante » égyptienne et étrangère qui mérite pleinement la qualification de capitaliste de connivence (rasmalia al mahassib, terme égyptien pour la désigner, compris par tous). Quelques remarques :

a. la propriété octroyée à « l’armée » a transformé le caractère des responsabilités qu’elle exerçait déjà sur certains segments du système productif (« les usines de l’armée ») qu’elle gérait en tant que institution de l’Etat. Ces pouvoirs de gestion sont devenus ceux de propriétaires privés. De surcroît dans la course aux privatisations les officiers les plus puissants ont également « acquis » la propriété de nombreux autres actifs d’Etat : chaines commerciales, terrains urbains et périurbains et ensembles immobiliers en particulier.

b. L’opinion égyptienne qualifie toutes ces pratiques de « corruption » (fasad) en se situant sur le terrain de la morale, faisant ainsi l’hypothèse qu’une justice digne de ce nom pourrait les combattre avec succès. Une bonne partie de la gauche elle-même fait la distinction entre ce capitalisme « corrompu » condamnable et un capitalisme productif acceptable et souhaitable. Seule une petite minorité comprend que dès lors que les principes du « libéralisme » sont acceptés comme fondements de toute politique prétendue « réaliste » le capitalisme dans les périphéries du système ne peut être autre. Il n’y a pas de bourgeoisie se construisant par elle-même, de sa propre initiative comme la Banque mondiale veut le faire croire. Il y a un Etat compradore actif à l’origine de la constitution de toutes ces fortunes colossales.

c. Les fortunes en question égyptiennes et étrangères ont été constituées par l’acquisition d’actifs déjà existants, sans adjonction autre que négligeable aux capacités productives. Les « entrées de capitaux étrangers » (arabes et autres), au demeurant  modestes, s’inscrivent dans ce cadre. L’opération s’est donc soldée par la mise en place de groupes monopolistiques privés qui dominent désormais l’économie égyptienne. On est loin de la concurrence saine et transparente du discours libéral élogieux à leur encontre. D’ailleurs la plus grande part de ces fortunes colossales est constituée par des actifs immobiliers : villages de vacances (« marinas ») sur les côtes de la Méditerranée et de la Mer Rouge, quartiers nouveaux » fermés d’enceintes, gardées (à la mode latino-américaine – jusque là inconnue en Egypte), terrains désertiques en principe destinés à une mise en valeur agricole. Ces terrains sont conservés par leurs propriétaires qui spéculent sur leur revente après que l’Etat ait assuré les coûts vertigineux des infrastructures qui les valorisent (et ces coûts n’ont évidemment pas été pris en compte dans le prix de cession des terrains)…

2. Les positions monopolistiques de ce nouveau capitalisme de connivences ont été systématiquement renforcés par l’accès presqu’exclusif de ces nouveaux milliardaires au crédit bancaire, (notamment pour « l’achat » des actifs en question) au détriment de l’octroi de crédits aux petits et moyens producteurs.

3. Ces positions monopolistiques ont été également renforcées par des subventions colossales de l’Etat, octroyées par exemple pour la consommation de pétrole, de gaz naturel et d’électricité par les usines rachetées à l’Etat (cimenterie, métallurgie du fer et de l’aluminium, textiles et autres). Or la « liberté des marchés » a permis à ces entreprises de relever leurs prix pour les ajuster à ceux d’importations concurrentes éventuelles. La logique de la subvention publique qui compensait des prix inférieurs pratiqués par le secteur d’Etat est rompue au bénéfice de super profits de monopoles privés.

4. Les salaires réels pour la grande majorité des travailleurs non qualifiés et des qualifications moyennes se sont détériorés par l’effet des lois du marché du travail libre et la répression féroce de l’action collective et syndicale. Ils sont désormais situés à des taux très inférieurs à ce qu’ils sont dans d’autres pays du Sud dont le PIB per capita est comparable. Super profits de monopoles privés et paupérisation vont de pair et se traduisent par l’aggravation continue de l’inégalité dans la répartition du revenu.

5. L’inégalité a été renforcée systématiquement par un système fiscal qui a refusé le principe même de l’impôt progressif. Cette fiscalité légère pour les riches et les sociétés, vantée par la Banque mondiale pour ses prétendues vertus de soutien à l’investissement, s’est soldée tout simplement par la croissance des superprofits.

6. l’ensemble de ces politiques mises en œuvre par l’Etat compradore au service du capitalisme de connivence ne produit par elle-même qu’une croissance faible (inférieure à 3 %) et partant une croissance continue du chômage. Lorsque le taux de celle-ci a été un peu meilleur, cela a été du intégralement à l’expansion des industries extractives (pétrole et gaz), à une conjoncture meilleure concernant leurs prix, à la croissance des redevances du Canal de Suez, du tourisme et des transferts des travailleurs émigrés.

7. Ces politiques ont également rendu impossible la réduction du déficit public et de celui de la balance extérieure commerciale. Elles ont entraîné la détérioration continue de la valeur de la livre égyptienne, et imposé un endettement interne et extrême grandissant. Celui-ci a donné l’occasion au FMI d’imposer toujours davantage le respect des principes du libéralisme.

C.    Les réponses immédiates

Ces réponses ne sont pas l’œuvre de l’auteur de ces lignes qui s’est contenté de les collecter auprès des responsables des composantes du mouvement – partis de gauche et du centre démocratique national, syndicats, organisations diverses de jeunes et de femmes etc. Un travail considérables et de qualité a été conduit depuis plus d’un an par ces militants, responsables de la formulation d’un programme commun répondant aux exigences immédiates. Leur mise en forme (reprise ici) a d’ailleurs déjà fait l’objet de publications entre autre de notre collègue Ahmad El Naggar. J’en retiens les points saillants qui sont les suivants :

1.      Les opérations de cession des actifs publics doivent être l’objet de remises en question systématiques. Des études précises – équivalentes à de bons audits – sont d’ailleurs disponibles pour beaucoup de ces opérations et des prix correspondant à la valeur de ces actifs précisés. Etant donné que les « acheteurs » de ces actifs n’ont pas payé ces prix, la propriété des actifs acquis doit être transférée par la loi après audit ordonné par la justice à des sociétés anonymes dont l’Etat sera actionnaire à hauteur de la différence entre la valeur réelle des actifs et celle payée par les acheteurs. Le principe est applicable pour tous, que ces acheteurs soient égyptiens, arabes ou étrangers.

2.      La loi doit fixer le salaire minimum, à hauteur de 1 200 LE par mois (soit 155 Euro au taux de change en vigueur, l’équivalent en pouvoir d’achat de 400 Euros). Ce taux est inférieur à ce qu’il est dans de nombreux pays dont le PIB per capita est comparable à celui de l’Egypte. Ce salaire minimum doit être associé à une échelle mobile et les syndicats responsables du contrôle de sa mise en œuvre. Il s’appliquera à toutes les activités des secteurs public et privé.

Etant donné que, bénéficiaires de la liberté des prix, les secteurs privés qui dominent l’économie égyptienne ont déjà choisi de situer leurs prix au plus proche de ceux des importations concurrentes, la mesure peut être mise en œuvre et n’aura pour effet que de réduire les marges de rentes des monopoles. Ce réajustement ne menace pas l’équilibre des comptes publics, compte tenu des économies et de la nouvelle législation fiscale proposées plus loin.

Les propositions faites par les mouvements concernés seront renforcées par l’adoption du salaire maximal : 15 fois le salaire minimum.

3.      Les droits des travailleurs – conditions de l’emploi et de la perte d’emploi, conditions de travail, assurances maladies/chômage/retraites – doivent faire l’objet d’une grande consultation tripartite (syndicats, employeurs, Etat). Les syndicats indépendants constitués à travers les luttes des dernières dix années doivent être reconnus légalement, comme le droit de grève (toujours « illégal » dans la législation en cours).

Une « indemnité de survie » doit être établie pour les chômeurs, dont le montant, les conditions d’accès et le financement doivent être l’objet d’une négociation entre les syndicats et l’Etat.

4.      Les subventions colossales octroyées par le budget aux monopoles privés doivent être supprimées. Ici encore les études précises conduites dans ces domaines démontrent que l’abolition de ces avantages ne remet pas en cause la rentabilité des activités concernées, mais réduisent seulement leurs rentes de monopoles.

5.      Une nouvelle législation fiscale doit être mise en place, fondée sur l’impôt progressif des individus et le relèvement à 25% du taux de taxation des bénéfices des entreprises occupant plus de 20 travailleurs. Les exonérations d’impôts octroyées avec une largesse extrême aux monopoles arabes et étrangers doivent être supprimées. La taxation des petites et moyennes entreprises, actuellement souvent plus lourde (!) doit être révisée la baisse. Le taux proposé pour les tranches supérieures des revenus des personnes – 35%  – demeure d’ailleurs léger dans les comparaisons internationales.

6.      Un calcul précis a été conduit qui démontre que l’ensemble des mesures proposées dans les paragraphes 4 et 5 permet non seulement de supprimer le déficit actuel (2009-2010) mais encore de dégager un excédent. Celui-ci sera affecté à l’augmentation des dépenses publiques pour l’éducation, la santé, la subvention aux logements populaires. La reconstitution d’un secteur social public dans ces domaines n’impose pas de mesures discriminatoires contre les activités privées de même nature.

7.      Le crédit doit être replacé sous le contrôle de la Banque centrale. Les facilités extravagantes octroyées aux monopoles doivent être supprimées au bénéfice de l’expansion des crédits aux entreprises de petites dimensions actives ou qui pourraient être créées dans cette perspective. Des études précises ont été conduites dans les domaines concernées et toutes ces activités artisanales, industrielles, de transport et de service. La démonstration a été faite que les candidats à prendre des initiatives allant dans le sens de la création d’activités et d’emplois existent (en particulier parmi les diplômés chômeurs).

8.      Les programmes proposés par les composantes du mouvement demeurent moins précis pour ce qui concerne la question paysanne. La raison en est que le mouvement de résistance des petits paysans aux expropriations accélérées en cours depuis que les politiques de « modernisation » de la Banque mondiale ont été adoptées demeure éclaté ne dépasse jamais le village concerné – en particulier du fait de la répression féroce auquel il est soumis et de la non reconnaissance de sa légalité.

La revendication actuelle du mouvement – principalement urbain, il faut le reconnaître – est simplement l’adoption de lois rendant plus difficile l’éviction des fermiers incapables de payer les loyers exigés d’eux et l’expropriation des petits propriétaires endettés. En particulier on préconise le retour à une législation fixant les loyers de fermage maximaux (ils ont été libérés par les lois successives de vision de la réforme agraire).

Mais il faudrait aller plus loin. Des organisations progressistes d’agronomes ont produit des projets concrets et argumentés destinés à assurer l’essor de la petite paysannerie. Amélioration des méthodes d’irrigation (goutte à goutte etc.), choix de cultures riches et intensives (légumes et fruits), libération en amont par le contrôle par l’Etat des fournisseurs d’intrants et de crédits, libération en aval par la création de coopératives de commercialisation des produits associées à des coopératives de consommateurs. Mais il reste à établir une communication renforcée entre ces organisations d’agronomes et les petits paysans concernés. La légalisation des organisations de fait des paysans, leur fédération aux niveaux provinciaux et national devrait faciliter l’évolution dans ce sens.

9.      Le programme d’actions immédiates repris dans les paragraphes précédents amorcerait certainement une reprise d’une croissance économique saine et viable. L’argument avancé par ses détracteurs libéraux – qu’il ruinerait tout espoir d’entrées nouvelles de capitaux d’origine extérieure – ne tient pas la route. L’expérience de l’Egypte et des autres pays, notamment africains, qui ont accepté de se soumettre intégralement aux prescriptions du libéralisme et ont renoncé à élaborer par eux-mêmes un projet de développement autonome « n’attirent » pas les capitaux extérieurs en dépit de leur ouverture incontrôlée (précisément à cause de celle-ci). Les capitaux extérieurs se contentent alors d’y conduire des opérations de razzia sur les ressources des pays concernés, soutenues par l’Etat compradore et le capitalisme de connivences. En contrepoint les pays émergents qui mettent en œuvre activement des projets nationaux de développement offrent des possibilités réelles aux investissements étrangers qui acceptent alors de s’inscrire dans ces projets nationaux, comme ils acceptent les contraintes qui leur sont imposées par l’Etat national et l’ajustement de leurs profits à des taux raisonnables.

10.   Le gouvernement en place au Caire, composé exclusivement de Frères Musulmans choisi par le Président Morsi a d’emblée proclamé son adhésion inconditionnelle à tous les principes du libéralisme, pris des mesures pour en accélérer la mise en œuvre, et déployé à cette fin tous les moyens de répression hérités du régime déchu. L’Etat compradore et le capitalisme de connivences continuent ! La conscience populaire qu’il n’y a pas de changement en vue grandit comme en témoigne le succès des manifestations populaires des 12 et 19 octobre. Le mouvement continue !

11.   Le programme des revendications immédiates dont j’ai retracé ici les lignes dominantes ne concerne que le volet économique et social du défi. Bien entendu le mouvement discute tout également de son versant politique : le projet de constitution, les droits démocratiques et sociaux, l’affirmation nécessaire de « l’Etat des citoyens » (dawla al muwatana) faisant contraste avec le projet de théocratie d’Etat (dawla al gamaa al islamiya) des Frères Musulmans. Ces questions n’ont pas été abordées ici.

(document rédigé par Samir Amin en octobre 2012)