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La mort de Rémi Fraisse est inacceptable, encore faut-il aller au fond des choses

par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"

 

La gendarmerie, en action sous la responsabilité de l’État, a tué Rémi Fraisse. Même s’il semble s’agir plus d’un accident que d’une bavure (la grenade serait tombée entre le dos et le sac à dos), cela reste un drame, et c’est intolérable ! Comment a-t-on pu en arriver là ?
Les causes immédiates de cette tragédie sont certes à chercher dans l’appareil d’État : comment sont formées les forces de l’ordre ? quel rôle leur fait-on jouer ? quelle est la responsabilité de la hiérarchie ? Et de l’armée (les gendarmes sont des militaires) ? Ce qui met en jeu la responsabilité du ministère de l’Intérieur, du Premier ministre, jusqu’au Président de la République.
Mais, au delà, on peut en trouver les causes profondes dans la nature même de la société capitaliste. L’État gère la société pour le compte de la classe dominante, mais quand celle-ci ne peut plus accorder même des miettes pour faire semblant d’intégrer le travail à la société, les politiques néolibérales excluent une part sans cesse plus large de la population de l’accès à la richesse produite. En tentant sous couvert de réformes, de sauver les intérêts du capital en crise, ces politiques écartent les dominés du débat politique et, ce faisant, détruisent à petit feu la République, car la légalité ne s’accorde plus nécessairement avec la légitimité républicaine.
Alors la société civile se sépare de l’État, qui la domine au lieu de la représenter, et la société entre dans le cercle vicieux suivant lequel la non-démocratie réelle induit toujours moins de démocratie formelle, ce qui à son tour… Il en résulte un déboussolement qui fera les uns se réfugier dans l’abstention, d’autres, les « casseurs », tomber dans la violence, d’autres encore aller à la rencontre de messies, Élus de la société civile, ou écouter les sirènes autoritaires, voire totalitaires.
Le défaut de démocratie et l’emprise techno-bureaucratique sur des décisions politiques prises au nom d’intérêts seulement particuliers, fait ainsi qu’il advient que l’État peut être conduit à réprimer, avec parfois de funestes conséquences, des oppositions à certaines décisions certes prises en toute légalité, dans le total respect des procédures, mais dont la légitimité républicaine est totalement contestable (dans le champ de l’écologie, Sivens, mais aussi Ferme des 1 000 vaches, Notre-Dame des Landes, Bure, etc.).
La mort de R. Fraisse le montre une fois de plus, nous ne sommes pas en République au plein sens du terme, c’est-à-dire sociale et non seulement politique, car dans une République réelle, une décision légale est aussi une décision légitime, et l’État n’a pas à intervenir pour réprimer des manifestations qui n’ont aucune raison d’être (son action est limitée aux menées anti-républicaines). Son engagement écologiste sincère a jeté R. Fraisse dans le piège mortel du découplage entre légalité et légitimité républicaine, sa mort est avant tout une conséquence du déni constant de République par les autorités légales.

Tous ceux qui cherchent des causes du drame sans en chercher la racine profonde dans la crise du capitalisme et la faiblesse de la démocratie sont complices de ce déni. Et avec eux les médias dominants, dans lesquels se répandent des penseurs à l’atterrante faiblesse d’analyse, qui ne font que détourner les citoyens d’une analyse concrète de la réalité concrète. Le discours sera globalement de condamner la vieille politique, archaïque, et de préconiser de « faire la politique autrement », c’est-à-dire non plus à travers le vote républicain, mais à travers des actions civiles, légitimées par des « experts », afin de peser sur des choix publics dont seuls les « Élus » peuvent évaluer la rationalité. Cette idée qui peut aller jusqu’au point où n’importe quelle minorité pourrait légitiment faire valoir ses propres droits hors du débat politique conduit tout droit au communautarisme.
Un bon exemple de ce discours est dans ce texte d’Edgar Morin publié par Le Monde : http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/11/04/remi-fraisse-victime-d-une-guerre-de-civilisation_4517856_3232.html.
Ce  penseur labellisé par les médias dominants y développe les banalités d’usage : la société civile porteuse d’avenir contre l’État au service des possédants, la machine qui dévore, qui décervelle, contre l’humain (à mettre au centre, bien évidemment). Mais la machine n’est pas nommée, rien n’est dit sur l’agriculture capitaliste (le mot n’apparaît pas), rien sur la cause du productivisme (alors que le capitalisme est productiviste par nature), rien sur l’aliénation de la paysannerie aveuglée par les promesses de rendements et rien sur les petits arrangements locaux entre amis, autorisés par la pseudo décentralisation. En conséquence, E. Morin magnifie une opposition « écolo » ambivalente : progressiste, contre l’agriculture intensive, mais conservatrice, pour une Nature qui n’a jamais existé en tant que telle. Cette « agro-écologie » petite-bourgeoise, au sens d’idéaliste, défend un « vouloir vivre ensemble » contre le « productivisme aveugle », mais sans jamais dénoncer le capitalisme qui en est la cause, en passant son temps à n’en dénoncer que ses seuls effets. Cette pensée, qui nous dit enfants de la Terre et non de la société, ne peut en rien porter les bourgeons de l’avenir.

Scolies

1) Le titre veut marquer l’opposition entre la légitime réaction émotive et la nécessaire réflexion rationnelle. Il est ici bien question de causes et non de responsabilité.

2) L’écologie est prise entre le marteau de la « machine » capitaliste et l’enclume de la nature sociale de l’homme. Une écologie non anti-capitaliste, une écologie fondée sur une religion de la Nature, ne peut que se faire écraser. Rémi Fraisse n’est pas mort pour avoir voulu défendre la nature, il est mort victime du capital.

3) Bien que voté en toute légalité, on peut légitimement mettre en cause le projet du Conseil général du Tarn : conflit d’intérêts (la boîte qui a audité les besoins est celle qui, seule candidate, a obtenu le marché) ; mensonges (l’argument de la dilution estivale des pollutions a disparu puisque l’usine chimique concernée a cessé ses émissions ; surdimensionnement, etc.) ; magouilles (l’argument de l’irrigation pour une agriculture diversifiée couvre l’aubaine de passer à une culture mono-maïs, de l’aveu même des agriculteurs) ; etc. Dans une vraie république, ce genre de vote ne peut pas se produire, ce genre d’« erreur », qui résulte toujours de manipulations sous couvert de légalité, ne peut pas se commettre. Il ne faut donc pas tomber dans le piège du vote quand il n’est que formellement démocratique. Par exemple, tant que l’on ne comprendra pas, ou ne voudra pas comprendre, que N-D des Landes est une opération de spéculation immobilière qui consiste à miser le développement de Nantes sur les cadres sup mondialisés contraints par un Paris trop petit et trop cher et qui pourront partir de Nantes plutôt que de Roissy, on se battra tel Sisyphe pour sauver des zones humides sans s’opposer à un système qui les condamne inexorablement.

4) Dans une belle image, Edgar Morin parle de la « machine bulldozérisante », dont il dit quelle est « animée par la soif effrénée du gain », mais cela ne fait guère avancer le schmilblick : comment arrêter la machine pour la transformer si on n’en démonte pas le mécanisme ? Penser qu’il suffirait par simple vœu d’interrompre son œuvre destructrice pour que la vie reprenne, c’est s’en faire complice. Lézernine parlait en son temps d’idiots utiles.

5) Le texte d’E. Morin relève d’un avatar socialisant de l’idéologie libérale, selon laquelle il n’y a pas de société et donc encore moins de classes, seulement des individus. Quand cette idéologie reconnaît explicitement la réalité de la société, elle doit en chercher le ciment dans des valeurs immanentes, païennes, religieuses, laïques, etc. Dans sa version « socialisante » à fondement laïque, la pensée libérale légitime l’État en tant que constructeur d’une société idéale, sur des valeurs « droits de l’hommistes », supposées naturelles, c’est-à-dire petites-bourgeoises. En cela, elle laisse le champ libre aux vraies déterminations de l’action de l’État, les déterminations de classe, elle est donc en réalité une pensée anti-humaine, puisque l’homme n’y fait pas son histoire, et en cela elle est anti-socialiste.

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Un regard sur la Chine, première puissance économique mondiale en 2014

par Jean-Charles Hourcade
Ancien dirigeant du groupe THOMSON
Ancien Président du RIAM (Réseau d'Innovation en Audiovisuel et Multimedia)
Dirigeant d'un fonds d'investissement dans la Propriété Intellectuelle

 

Au retour d’un voyage en Chine, il est impossible de ne pas ressentir un choc. Ce n’est pas la première fois que je le ressens, mais au lendemain d’une absence de 7 ans, quelque chose a changé.

La phase de développement des années 90 et 2000

De 2000 à 2007, j’ai été amené à effectuer en Asie de très nombreuses missions professionnelles, à l’époque pour le compte du groupe Thomson dont je dirigeais les activités de R&D (Recherche et de Développement) ainsi qu’une partie des activités industrielles. En Chine, elles m’ont conduit de Beijing, où nous avions créé un centre de R&D de 700 ingénieurs et chercheurs, à Shanghaï, lieu permanent d’effervescence industrielle et commerciale, à Ghangzhou (Canton), à Shenzhen, mégalopole industrielle géante concentrant des dizaines de milliers d’usines, ainsi bien sûr qu’à Hong-Kong qui fut pendant longtemps la porte de la Chine vers le monde occidental. La période 2000-2007 fut une période de bouleversements de très grande ampleur. Le pays entier devint un immense chantier.

J’ai assisté, sidéré, à la destruction des vieux quartiers de Guangzhou par des armées de bulldozers avançant tels des moissonneuses-batteuses. De retour quelques mois plus tard, s’alignaient des rangées d’immeubles de 30 étages (pourquoi 30, à ce moment et en ce lieu précis, reste un mystère pour moi). Mais le fait est qu’un monde nouveau s’élevait dans le ciel avant même d’avoir pu entièrement déblayer les gravats du monde ancien.

J’ai assisté à la croissance folle de la zone industrielle de Shenzhen. Des dizaines de millions de travailleurs furent arrachés à leurs villages pour s’entasser dans les dormitories, d’immenses cités dortoirs à la gestion pour le moins opaque. A l’époque j’eus dans ma « juridiction » autorité sur trois usines de composants regroupant 17 000 travailleurs. Autorité est d’ailleurs un terme parfaitement impropre, notre passage ne fut que fugitif – nous furent balayés après quelques années de relative prospérité, n’ayant pu maintenir un niveau suffisant d’investissement en R&D… En quelques années, se construisit entre Hong-Kong et Canton un continuum ininterrompu des centre-villes ultramodernes, d’hôtels au standing normalisés, de centres commerciaux, de banlieues résidentielles et d’équipements divers, le tout sillonné par les infrastructures autoroutières de rigueur.

J’ai assisté à la densification accélérée de Beijing. La quasi-disparition des Hu-Tong, vieux quartiers typiques en rez-de-chaussée ou un étage, a libéré le foncier nécessaire pour l’explosion immobilière. Fin 2007, le gigantesque chantier des Jeux Olympiques touchait à sa fin en bordure du 5e anneau du périphérique – Beijing s’organise en effet en cinq cercles concentriques, la Cité Interdite en constituant le centre… J’y avais connu dans le début des années 90 les embouteillages de vélos, de mobylettes et de pousse-pousses. Dans les années 2000 le trafic de véhicules et de poids lourds de toutes sortes est devenu intense, au point de devenir l’un des points les plus problématiques de la vie quotidienne.

Durant toutes ces années, six mois d’absence semblaient un siècle, tant les changements étaient frappants visuellement.

Une nouvelle phase de développement

De retour en 2014, le choc est cependant de nature différente. Il semble que la période d’édification accélérée d’infrastructures, (logements, autoroutes, aéroports, équipements collectifs, zones industrielles, etc.), soit plutôt derrière nous.
Le changement continue pourtant à la même vitesse, mais il a changé de nature. La Chine est passée d’une phase de croissance quantitative à une phase plus qualitative. La technologie est partout, présente, efficace, elle se fait même plus discrète qu’hier. D’innombrables processus de la vie quotidienne bénéficient de l’assistance de systèmes automatisés, sans pour autant se traduire par la chasse mortifère à l’emploi et à la présence humaine qui caractérise nos sociétés occidentales libérales. Les systèmes de gestion de flux par exemple, des télépéages aux billetteries en passant par les contrôles aéroportuaires, dénotent une efficacité qui force l’étonnement. L’homme est toujours là, mais son action est démultipliée.
Tout ceci, me direz-vous, n’est que collection d’impressions fugaces et microscopiques par un étranger de passage. Certes. Quelques données macroscopiques viennent néanmoins étayer ces observations.

L’investissement le plus immense et le plus fondamental consenti par la Chine est à trouver dans l’éducation, la recherche et l’enseignement supérieur. La Chine compte environ 20 millions d’étudiants dans ses Universités, 6 millions de diplômés par an, et environ 2 millions de niveau PhD ou équivalent.
Par voie de conséquence pourrait-on presque dire, sur les 12 derniers mois les entreprises chinoises dans leur ensemble ont augmenté leur investissement en R&D de 46 % (source PwC). En comparaison, l’augmentation a été de 3,4% en Amérique du Nord et de 2,5% dans l’Union Européenne. Un rapport de 1 à 15 dans le levier de croissance à moyen et long terme !
Huit entreprises chinoises entraient dans le classement des 1000 entreprises mondiales les plus innovantes en 2005. En 2014, elles sont 114 (source PwC). Hasard des chiffres, on trouve ici aussi un rapport de 1 à 15.
Dans le secteur des télécoms et de l’électronique grand public que je connais bien, le raz-de-marée a déjà été impressionant. Si vous achetez un téléphone mobile Alcatel ou un téléviseur Thomson chez Darty, c’est en fait un produit chinois produit par TCL, de Shenzhen.
Mais la tendance s’accélère ! En début 2014, l’industriel archi-dominant dans la téléphonie mobile était Samsung, suivi par Apple. Venaient ensuite Nokia, Sony, LG, Panasonic, HTC, etc. En fin 2014, la situation est totalement différente. Apple résiste grâce à l’écosystème construit autour des applications et des contenus, mais c’est un nouveau venu, parfaitement inconnu, qui est devenu n°3 mondial. Il est chinois, il s’appelle Xiomi, il a été créé il y a moins de 4 ans, et son chiffre d’affaires atteint déjà les 10 milliards de dollars! Jamais dans l’histoire industrielle mondiale, des retournements aussi rapides ne furent observés.

L’impasse écologique, principal enjeu à venir

Alors bien sûr, il ne s’agit pas de dire que tout est rose dans l’Empire du Milieu. A l’évidence, le problème numéro un est celui de l’impasse écologique. Le niveau de pollution à Beijing est plus que préoccupant. On ne compte plus que moins de 30 jours par an de ciel clair et d’air pur. L’atmosphère est souvent jaunâtre, l’horizon bouché, l’air piquant irrite la gorge. La situation serait encore plus préoccupante dans les bassins industriels éloignés.
La logique de croissance infinie dans un écosystème fini est en passe de trouver sa limite. La Chine n’est pas la seule nation à se heurter à cette barrière, mais la rapidité de son développement et l’ampleur même du pays, font qu’une crise risque d’y intervenir d’abord et avec plus de puissance qu’ailleurs.
Le paradoxe, c’est qu’il n’y a peut-être aucun autre pays au monde où existe aujourd’hui la structure politique et sociétale capable d’imposer la bifurcation écologique nécessaire… L’ampleur des changements nécessaires rend en effet parfaitement illusoire tout changement effectif dès lors qu’on s’en remet aux logiques de marché consubstantielles aux économies capitalistes libérales que nous connaissons.
Or la Chine est un système à part, où un pouvoir politique discret mais fort opère en permanence un savant dosage entre centralisme et planification d’une part, et économie de marché de l’autre. Aucun des changements considérables réalisés depuis 20 ans n’aurait pu s’effectuer sans déflagrations majeures, si ce mode de direction politique n’avait pas existé.
La direction politique chinoise procède par inflexions, par effets de levier. Elle décide de directions de développement et de réformes, et y oriente avec fermeté le maëlstrom permanent qu’est la société chinoise. L’outil essentiel pour ce faire, c’est tout simplement la Loi… En Chine, l’obéissance à la Loi est impressionnante, et ceci parce qu’il y a une reconnaissance claire de sa légitimité en termes d’intérêt général.
Il y a sûrement de nombreux exemples à l’appui de cette thèse, j’en citerais un seul, dans un domaine que je connais bien, les logiciels et les droits d’auteur. Jusqu’il y a peu, quasiment tous les logiciels informatiques et les DVD étaient piratés, à la grande fureur de Microsoft et d’Hollywood. Un beau jour, la Chine décida d’arrêter ça – très probablement parce que l’industrie chinoise des logiciels et du cinéma avait atteint le stade de maturité suffisant. Après quelques soubresauts rapidement maîtrisés, l’industrie du piratage fut éradiquée. Mauvaise nouvelle en fait pour Microsoft et Hollywood… l’éditeur chinois Kingsoft a raflé le marché des logiciels de bureautique, et l’industrie des contenus audiovisuels est florissante!
Le paradoxe est donc de taille: la Chine, dans sa dynamique actuelle de croissance productiviste, va se heurter à l’impasse systémique écologique, mais elle est en même temps porteuse d’un potentiel de solution. Ceci devrait nous inciter à intensifier nos relations et nos coopérations avec cette immense nation, devenue cette année la première puissance industrielle mondiale devant les États-Unis d’Amérique…

Combat laïque
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Laïcité : plus de liberté pour tous !, par Bernard Teper

par Pierre Hayat

 

On ne trouvera pas dans ce livre ((Penser et agir – Éric Jamet éditeur, 5€)) l’exposé dogmatique de ce qu’est la laïcité et de ce qu’elle n’est pas. Ni des propos lénifiants sur une laïcité diluée dans de bons sentiments. Moins encore des jérémiades sur la fin de la laïcité de naguère. Ni même une prétendue vision inédite de la laïcité… Alors ? Laïcité : plus de liberté pour tous ! est d’abord l’ouvrage d’un militant de gauche, membre du comité de rédaction du journal en ligne ReSpublica, et d’un militant efficace de la laïcité qui a œuvré dès 1989 pour ce qui deviendra la loi scolaire du 15 mars 2004.Mais ce livre de combats et de débats, se singularise d’abord par la façon dont les idées y sont exposées. Tout le livre semble porter la trace des discussions et des conférences que notre ami Bernard Teper mène inlassablement depuis longtemps. Les arguments font penser à des réponses qu’il a pu apporter à ses interlocuteurs et à des clarifications qu’il a proposées pour ne pas s’embrouiller ou se faire piéger. Dans la crise systémique que nous traversons, ce livre témoigne d’une volonté obstinée d’armer intellectuellement ceux qui se demandent comment agir pour que le mouvement émancipateur reprenne vigueur.
L’ouvrage se singularise aussi par une thèse soutenue avec force : la laïcité qui est un principe d’organisation politique, est également un principe d’organisation sociale. La laïcité est faible et incomplète si elle se réduit à émanciper l’autorité politique de la tutelle religieuse tout en garantissant la liberté de croire et de ne pas croire. Sa visée populaire d’union dans un monde commun, quelle que soit l’origine de chacun, a besoin d’institutions sociales qui la concrétisent : un service public solide, une école républicaine préservée, une protection sociale solidaire, des structures de santé sans but lucratif…
Cette thèse qui traverse tout l’ouvrage est d’une grande efficacité pour démasquer l’alliance qui se noue aujourd’hui entre le communautarisme religieux et une politique néo-libérale qui privatise les services publics, harmonise les systèmes de protection sociale par le bas, privatise les gains et fait peser les pertes sur la collectivité. Les religions politiques qui s’emparent du pouvoir d’État sont le résultat sinistre des religions sociales à qui le politique a sous-traité la solidarité, la protection et l’éducation. Par là s’expliquent aussi les difficultés des révolutions arabes et les impasses dans lesquelles s’enferme une gauche aveuglée par les charlatans du communautarisme qui ne porte aucun tort au capital. Du coup, l’histoire de la laïcité ne ressemble pas avec Teper à un long fleuve tranquille mais à des luttes opiniâtres et complexes. Car les combats laïques n’ont jamais été menés en dehors des autres combats politiques, sociaux et culturels. La laïcité perd du terrain dans les phases historiques régressives et gagne en puissance lors des percées démocratiques, comme, par exemple, au cœur du XXe siècle français, pendant le régime de Vichy puis avec le programme du Conseil national de la Résistance. Ce mode de lecture de l’histoire de la laïcité permet également de comprendre qu’un processus de sécularisation, généralement favorable à la laïcité, s’accompagne aujourd’hui d’une montée de l’intégrisme religieux qui défie frontalement la laïcité. Car le néo-libéralisme qui livre les peuples à la précarité extrême laisse le champ libre aux violences et à l’irrationalité des fondamentalismes religieux. On trouve des pages particulièrement éclairantes (pp. 35-38) sur les sources historiques de cette collusion contemporaine du néo-libéralisme mondialisé et des intégrismes religieux, où l’on observe la concomitance à la fin des années 1970 de régressions socio-politiques et d’avancées intégristes (Opus Dei, Frères musulmans, orthodoxes israéliens, etc.).
Cette mise en situation matérialiste et historique du combat laïque ne conduit heureusement pas Bernard Teper à diminuer l’importance du combat laïque ni sa valeur rationaliste et internationaliste. « Le référentiel laïcité, conclut-il,est indispensable pour toute avancée émancipatrice », vers plus de liberté, plus d’égalité et plus de solidarité. Les enjeux de la laïcité sont ceux de notre siècle. Et, comme le souligne Teper, Talisma Nasreen a vu juste en traduisant en anglais le mot« laïcité » par laicity plutôt que par secularism. Tandis que la sécularisation définit un phénomène sociologique objectif, l’effacement du religieux dans la vie sociale, la laïcité exprime une idée émancipatrice, à transcrire dans le droit.

Contact éditeur et commandes :
Éric Jamet – Les Hautes Beaumeries – 72700 Étival-lès-le-Mans
ericjamet@aol.com – 06 87 71 01 74

Protection sociale
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Alerte : le soutien à l’Etat social baisse !

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire. Auteur avec M. Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette » et avec C. Jousse et Ch.Prudhomme de « Contre les prédateurs de la santé ».
http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

Depuis la crise de 2007-2008, la pauvreté s’est accrue en France. Le taux de pauvreté monétaire a atteint 14,3 % de la population en 2011. Il est intéressant alors de voir comment l’opinion publique a réagi à cette réalité. La sortie de l’enquête « Conditions de vie et aspirations » du CREDOC1, qui suit les inflexions du corps social chaque année depuis 35 ans, nous fournit la réponse.
Jusqu’à 2009, en cas de crise, l’opinion française progressait en matière de solidarité2.De plus, les Français étaient parmi les plus solidaires d’Europe3.
Mais depuis 2010, l’étude du CREDOC note un « durcissement » inhabituel de l’opinion française.
À la question :  «  Pensez-vous  que si ils le voulaient vraiment, la plupart des chômeurs pourraient retrouver un emploi », l’étude donne 68 % en 2008, 57 % en 2009 et 64 % en 2014 (+ 4  % par rapport à 2013).
A la question : « Estimez-vous  que faire prendre en charge par la collectivité les familles aux ressources insuffisantes leur enlève tout sens des responsabilités (versus leur permet de vivre), l’étude donne 42 % en 2008, 36 % en 2009 et 44 % en 2014 (record depuis 35 ans).
A la question : « Croyez-vous  que les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas fait d’effort pour s’en sortir (versus n’ont pas eu de chance), l’étude donne 31 % en 2008, 25 % en 2009 et 37 % en 2014 (soit 12 % de plus qu’en 2009 !).

La remise en cause des politiques sociales devient majoritaire

Après avoir été stable de 1982 jusqu’en 2009, l’étude montre le retournement de l’opinion depuis 2009.
À la question : « Estimez-vous qu’il est parfois plus avantageux de percevoir des minima sociaux que travailler avec un bas salaire » l’étude montre un passage de 73 % en 2008, 75 % en 2009, 67 % en 2013 et 76 % en 2014.
À la question : « Estimez-vous que les pouvoirs publics font trop ou font ce qu’ils doivent pour les plus démunis (versus ne font pas assez pour les plus démunis) », l’étude donne 36 % en 2008, 31 % en 2009, 54 % en 2014-11-04.
À la question : « Considérez-vous que le RSA incite les gens à s’en contenter et ne pas travailler (versus donne un coup de pouce pour s’en sortir), l’étude donne 48 % en 2008, 35 % en 2010 et 53 % en 2014.

La remise en cause de la politique familiale fait un bond en avant considérable

Après avoir été stable de 1982 jusqu’en 2009, l’étude montre le retournement de l’opinion depuis 2009. La proportion des Français qui pensent que « les aides aux familles qui ont des enfants est suffisante » est en très forte croissance : 31 % en 2009, 63 % en 2014.

Baisse de la volonté de la redistribution

A la question : « Pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres », le pourcentage de ceux qui sont d’accord passe de 71 % en 2012 à 55 % en 2014.

Conclusion provisoire

Il apparaît que lorsque la crise dure et que le taux de pauvreté s’accroît fortement4, le « chacun pour soi » se développe, à mesure que les plus atteints ne croient plus à la capacité des politiques de tous bords de les protéger. Ainsi, l’abstention de plus en plus massive de la couche populaire ouvrière et employée, majoritaire dans la population (53 %) fait que l’Autre gauche régresse5.
Seule une urgente remise en cause des lignes stratégiques de l’Autre gauche pourra chasser le spectre d’un développement de type des années 30 qui, toutes choses étant inégales par ailleurs, commence de hanter les lieux.

  1. Note de synthèse N°11 de R. Bigot, E. Daudey, S. Hoibian, du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) publié en septembre 2014 sous le numéro S4151/2014 avec le titre suivant : « En 2014, le soutien à l’ Etat-Providence vacille ». []
  2. Régis Bigot et Emilie Daudey, la sensibilité de l’opinion publique à l’évolution de la pauvreté, Document de travail, Série études et recherche, DRESS, n°126, juin 2013 []
  3. « Les Français sont parmi les plus solidaires en Europe », Penser l’assistance, rapport thématique du CREDOC pour l’ONPES, mai 2013, p. 58-65. []
  4. Par exemple, pour l’Ile-de-France, le taux de pauvreté est passé de 2011 à 2013 13,5 % à 15,9 % en 2013. pour les enfants à charge de moins de 25 ans, ce taux passe de 20,7 % en 2010 à 22,5 % en 2013. []
  5. ]
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Combattre la privatisation des services publics, bien sûr, mais comment ?

 

Nous avons décidé de publier les deux textes ci-après, reçus de nos amis du Mouvement de sauvegarde des services publics en Sud-Gironde, car la privatisation des services publics tourne le dos à la satisfaction des besoins sociaux.
Pourtant, de nombreux discours de l’Autre gauche véhiculent à ce sujet des analyses erronées qui participent à la croyance que seule la volonté politique peut changer les choses. Bien sûr, la volonté politique est indispensable mais elle n’est pas suffisante si elle ne prend pas aussi en compte, dans le capitalisme, la place des lois tendancielles.
Sous un autre éclairage, bien sûr la nationalisation des services publics peut être nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Celui qui vous dit « Votez pour moi et j’aurai le courage de nationaliser » ne propose au mieux qu’une partie de la besogne.
Si le mouvement réformateur néolibéral veut privatiser, ce n’est ni qu’il est méchant, ni parce qu’il est moins intelligent que les économistes atterrés et atterrants, c’est tout simplement parce que, contrairement aux périodes passées, l’altercapitalisme radical keynésien n’est plus possible. Après avoir tout essayé pour contrer les lois tendancielles du capitalisme, la grande bourgeoisie capitaliste n’a plus comme possibilité pour restaurer le taux de profit que la baisse des salaires directs et socialisés. Donc, si on garde le cadre capitaliste, le pays n’a plus les moyens de financer des services publics, la protection sociale et l’école – d’où la nécessité de pratiquer les réformes néolibérales que vous connaissez. Et la nationalisation seule ne résout pas l’entièreté du problème posé.

Monopole ou concurrence, nationalisation ou privatisation. Quels enjeux pour la Poste ?

par le Mouvement de sauvegarde des services publics en Sud-Gironde

Lorsque La Poste était un service public nationalisé et avait le monopole de la distribution du courrier :
Les personnels absents étaient remplacés car il y avait un volant de remplacement. Les tournées étaient assurées, les guichets étaient ouverts.
L’acheminement du courrier était rapide et sécurisé sur tout le territoire national.
Il y avait suffisamment de personnels aux guichets pour accueillir les usagers.
Le monopole octroyé au service public postal nationalisé permettait donc à l’ensemble des usagers de bénéficier d’un service de qualité et au moindre coût.
Pour les libéraux qui sont au pouvoir depuis de nombreuses années, tant au niveau national qu’européen, l’activité postale devait être privatisée.
Pour cela, ils ont mis en place un marché postal concurrentiel.
Les sociétés privées se plaçant exclusivement sur les secteurs rentables de l’activité postale,( Il faut bien verser les dividendes aux actionnaires et prévoir les parachutes dorés), La Poste se retrouve donc avec une perte de recettes. Que fait-elle alors, puisque entre temps elle a changé de statut juridique et doit se comporter comme une entreprise privée ? Elle diminue les dépenses.

Quelles en sont les conséquences ?

Elle supprime du personnel. Lorsqu’un employé est malade ou en congé la tournée n’est pas assurée, le bureau de poste est fermé, l’usager est obligé de faire de nombreux km.
L’acheminement du courrier a perdu en rapidité. Si on désire une réception aussi rapide que précédemment il faut payer un supplément.
De nombreux bureaux ont été supprimés ou ont vu leurs horaires d’ouverture et les services proposés diminuer de manière drastique. L’attente dans les autres bureaux n’en est que plus importante.

L’efficacité des officines privées laisse à désirer

La Poste a désormais comme objectif de placer des produits à ses clients et non d’être au service des usagers.
Nous connaissons tous, les conséquences négatives générées par cette logique à France-Télécom. Plus de dividendes pour les actionnaires et des services dégradés, devenus payants, pour les abonnés.
La mise en concurrence et la privatisation ont entraîné une dégradation du service postal sur l’ensemble du territoire et tout particulièrement dans les zones rurales.
Alors, pour la collectivité nationale et les usagers, vaut-il mieux un service public postal efficace avec le monopole ou des entreprises privées en concurrence dont le seul objectif est de procurer une rentabilité élevée aux actionnaires ?
Il est donc urgent que nous exigions la nationalisation de l’ensemble des entreprises postales pour avoir un service public de qualité. Pour cela il faut que le gouvernement et nos élus nationaux (Députés et Sénateurs) désobéissent aux directives européennes qui sont d’inspiration libérale.
Cette volonté de remplacer les services publics nationalisés avec monopole par des entreprises privées en concurrence est aussi à l’œuvre à la SNCF, à GDF, à EDF, à France-Télécom, dans l’éducation, dans les hôpitaux… Vous en connaissez les conséquences ? Dégradation des services et des tarifs qui augmentent !

 

Services publics ou services au public ?
Petites histoires d’eaux et d’ordures ménagères qui pèsent lourd sur les porte-monnaies les moins garnis

Par Jacques DELAVEAU, président du Mouvement de Sauvegarde, de Promotion et de Démocratisation des Services Publics en Sud-Gironde. Il est aussi membre de l’AGAUREPS-Prométhée. Publié le 08/05/2009.Lire la suite : http://agaureps.centerblog.net/18-Services-Publics-ou-services-au-public

 

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Actuellement sur les écrans : Patria obscura

par Odette Mitterrand

 

En collaboration avec l’association 0 de Conduite

Quand un photographe jongle avec les images, qu’il se penche sur sa famille, que la société ne lui est pas indifférente et qu’il sait très bien voyager de l’une à l’autre et qu’il a beaucoup de choses à nous dire, ne manquons pas de le découvrir. Il s’agit de Stéphane Ragot et de son premier film : Patria Obscura.

Des parents militaires interceptent sa mémoire familiale dans leur complexité intime et sociale, un père du côté paternel décoré par le Général de Gaulle, un grand-père du côté maternel voilé dans le mystère de sa naissance et de son enrôlement dans la Légion.

Tout au long de cette quête personnelle, des personnes croisées, des espaces découverts, la mémoire se conjugue avec le présent : tel ce plan où sous nos yeux s’alignent des tombes militaires en hommage aux hommes de nombreuses nationalités morts sur un champ de bataille français durant la 2e Guerre mondiale tandis qu’à l’horizon des Sans Papiers manifestent leur refus de l’exclusion. N’auraient–ils pas des parents dans ce cimetière ? Une suggestion ? C’est plus chez l’auteur une affirmation du droit de chacun à se sentir Français et à s’approprier la notion de patrie.

Le réalisateur se livre, se met à nu, s’interroge en utilisant la photographie qu’il maîtrise bien. Les «  révélations » se font sous nos yeux. Des premières images, souvenirs à l’envers à la façon d’un sténopé, des jeux avec les petits soldats, reflets de la famille militaire, un cheminement photographique assiste et développe les réflexions du réalisateur.

Un livre, Patria lucida de Pierre Bergounioux et Stéphane Ragot, retrace cet itinéraire personnel entre passé et présent. Photos et texte.

PATRIA OBSCURA
Essai documentaire de Stéphane Ragot
France 1h 23
Production /Codistribution : Les Films du Jeudi : 0140469798
Infos, bande-annonce, revue de presse : www.patriaobscura.fr