Chronique d'Evariste
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Après les élections de mars 2015, tout est à reconstruire !

par Évariste
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Toutes les gauches reculent. Le parti socialiste a vécu le plus grand basculement vers la droite de son histoire électorale. Sa descente aux enfers est en marche. Avec 13,34 % sous ses couleurs, le PS est en dessous de son plus bas historique des européennes (13,9 %). Il a fallu toute la manipulation du ministère de l’Intérieur et des médias néolibéraux aux ordres pour faire croire qu’il était au-dessus de 20 % grâce à divers amalgames avec le PRG, EELV ou le PCF. Ce parti va donc tenter, pour freiner sa chute, d’entraîner d’autres forces politiques et sociales dans l’abîme en appelant à un rassemblement de toute la gauche sans modifier sa politique néolibérale. Les carriéristes seront bien sûr d’accord. Leurs leaders entreront alors au gouvernement.

La majorité de l’Autre gauche, toujours confuse dans sa stratégie, appuyée sur une alliance sociologique minoritaire sans les ouvriers et les employés (un comble pour ceux qui veulent une transformation sociale et politique par les urnes !), que nous détaillerons plus loin dans ce texte, développe toujours une praxis (dialectique entre la pratique et la théorie) marginalisante. La majorité de l’Autre gauche se console comme elle peut en disant qu’elle a mieux résisté que ce qu’elle avait prévu dans sa désespérance dépressive ! La marche vers sa marginalisation continue. Jean-Luc Mélenchon a donc raison de parler de l’illisibilité de la stratégie du Front de gauche en appelant à un sursaut. Et si on considère que la plupart des composantes de l’Autre gauche rejette la notion d’un prolétariat majoritaire, rejette la nation, la République sociale, la laïcité, il apparaît clair que ces composantes de l’Autre gauche deviennent, à leur corps défendant, les supplétifs du mouvement réformateur néolibéral en empêchant la construction de l’alternative populaire autour de la classe populaire majoritaire (ouvrière et employée) alliée aux couches moyennes intermédiaires (les couches moyennes intermédiaires représentent 24 % de la population et les cadres 15 %).

La sociologie du vote du 22 mars 2015 que les gauches ne veulent pas regarder

Les sondages à la sortie des urnes ont déjà montré ce que les lecteurs de ReSPUBLICA connaissent depuis longtemps, à savoir qu’une des clés de la compréhension de l’impasse des gauches en général et de l’Autre gauche en particulier réside dans la sociologie électorale. Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que l’Autre gauche a abandonné majoritairement dans sa réflexion l’analyse des classes, « on est pas encore sorti de l’auberge » !1 Inconséquence, illisibilité, confusion ! A noter que pour la majorité de l’Autre gauche, l’islamo-empathie a remplacé la centralité du prolétariat (toutes cultures confondues) dans l’analyse de classes marxiste. On comprend alors pourquoi elle est devenue anti-laïque et anti-républicaine car elle n’a pas plus besoin d’unifier le prolétariat par la laïcité.

Souvenons-nous que pour Jean Jaurès le principe de laïcité était une nécessité pour unifier le prolétariat. Sans la laïcité, disait-il, le prolétariat serait divisé entre prolétariat catholique et prolétariat qui ne le serait pas ! Or la politique de la majorité de l’Autre gauche revient à demander aux couches moyennes leur soutien moral à la communauté musulmane (en tant que communauté) considérée à tort comme homogène en abandonnant la majorité du peuple – à savoir la classe populaire ouvrière et employée et les jeunes de moins de 35 ans. On verra dans la suite de l’article, comment ces derniers réagissent à cet ostracisme de classe.

Revenons aux résultats des départementales : les couches populaires ouvrières et employés qui sont majoritaires en France (53 % de la population) sont majoritairement des abstentionnistes et secondairement des électeurs FN. Les abstentionnistes et le vote FN ont une sociologie très proche. Les votes du bloc UMP-UDI-Modem et PS se recrutent majoritairement dans les gagnants de la mondialisation néolibérale. Quant à l’Autre gauche…

  • Pour Ipsos, l’abstention concerne d’abord les jeunes (64 % chez les moins de 35 ans), les ouvriers (64 %), les bas revenus (55 %) et les moins diplômés (53 %).
  • L’UMP-UDI-Modem attire plus des professions libérales et cadres supérieurs (33 %), le FN des ouvriers et employés (respectivement 49 % et 38 %), le PS davantage des cadres ou salariés du public selon un sondage Ifop-Fiducial.
    Pour l’Ifop, le bloc UMP-UDI-Modem a la sociologie de classe suivante : 33 % des catégories des professions libérales et cadres supérieurs, 29 % des artisans et commerçants et 27 % des couches moyennes. Seulement 13 % des ouvriers leur donnent leurs suffrages. Son vote est plus masculin (30 % contre 28 % pour les femmes). Il fait ses choux gras chez les retraités (45 %) ce qui lui posera des problèmes pour l’avenir. Selon Ipsos, l’électorat du bloc UMP-UDI-Modem est le plus fidèle d’une élection à l’autre (92 % des électeurs avaient déjà voté pour lui aux européennes de 2014).
  • Le FN a malheureusement un vote de classe avec ses scores les plus élevés avec 49 % pour les ouvriers votants pour Ifop (42 % pour Ipsos), 38 % des employés votants (34 % pour Ipsos), 28 % des artisans et commerçants votants et 25 % des professions intermédiaires votantes. C’est parmi les professions libérales et cadres supérieurs qu’il a eu le moins de votes (13 % parmi les votants). Son vote est encore plus masculin (30 % contre 22 %). Selon Ipsos, le FN est nettement au-dessus de la moyenne nationale sur les jeunes et les citoyens en âge de travailler et en dessous pour les retraités (18 %). Il a donc le vent en poupe pour l’avenir.
  • Le PS se rapproche de la sociologie de la droite avec 28 % de professions libérales et cadres supérieurs et 25 % des professions intermédiaires. Les employés et les ouvriers leur ont donné leurs suffrages pour, respectivement, 18 et 15 %. Son vote est plus féminin (25 % contre 19 % pour les hommes).
  • Pour Ipsos, l’électorat du Front de gauche est évalué à 6,3 % (on sait qu’il est sous-estimé car une partie du FDG a été comptabilisé dans les divers gauche) : d’abord un électorat des couches moyennes intermédiaires (9 %), puis des cadres (8 %), des employés (7 %), des retraités (6 %) et loin derrière des ouvriers (3 %).
  • A noter que l’électorat d’EELV a un pourcentage plus élevé que le FDG chez les ouvriers (4 % sur la base des 2 % là aussi sous-estimé à cause des amalgames divers gauche). Pour l’IFOP, le résultat est quelque peu différent soit sur une base électorale de 6,2 % (même remarque que précédemment) avec 5 % pour les cadres, 6 % pour les couches moyennes intermédiaires, 7 % pour la classe populaire ouvrière et employée et 5 % pour les retraités. A noter cependant qu’Opinion way avec 6 000 sondés donne un résultat plus proche de celui d’Ipsos (2 000 sondés) que de celui de l’Ifop (2 800 sondés). Les écarts sont moins importants entre les instituts de sondage pour les principales formations.

Donc pour résumer, le problème principal à régler pour la gauche de la gauche si elle veut devenir une gauche de gauche est, avant celui du FN, celui du peuple de gauche qui aujourd’hui s’abstient. Ou dit autrement, il ne faut pas se laisser manœuvrer par la société du spectacle médiatique qui veut nous entraîner dans une impasse. Le nombre d’ouvriers et d’employés qui s’abstiennent est plus de deux fois plus important que celui qui vote FN. Si on ajoute à cela plus de 7 % au moins des citoyens non inscrits sur les listes électorales (alors que c’est obligatoire !), on voit bien le travail à accomplir.

Alors « que faire ? », quelles sont les tâches de l’heure ?

D’abord clarifier la stratégie. Un ennemi : l’extrême droite. Un adversaire : le mouvement réformateur néolibéral et les organisations qui le structurent. Aucune alliance ne doit être faite, dans les circonstances actuelles, avec les partis de nos ennemis et de nos adversaires.

Puis, développer une ligne politique de globalisation des combats, sans en oublier un seul et en le portant jusqu’au bout : combat démocratique, combat laïque, combat social, combat féministe, combat écologique. Prenons un exemple : le combat démocratique ne doit pas s’arrêter à la porte des entre- prises, il doit concourir au changement du rapport social de production. On pourrait bien sûr dire la même chose des autres combats.

Et encore, développer une activité d’éducation populaire autonome engageant la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, qui parte du ressenti des citoyens et de leurs familles pour aller jusqu’aux causes des crises actuelles. Cette éducation populaire mettra en évidence l’importance de la volonté générale du peuple tout entier, organiquement lié à la classe populaire ouvrière et employée, du pouvoir du peuple, des principes, des ruptures, des exigences de la République sociale, de ses institutions, du droit, du débat démocratique sur les tactiques, de la stratégie de l’évolution révolutionnaire, etc.
Prenons un exemple : la victoire électorale aux élections municipales de Grenoble en 2014 n’est pas due à la simple alliance d’EELV et du PG comme voudraient nous le faire croire certains imposteurs, mais bien au travail préalable pendant de nombreuses années d’une association (l’ADES) qui eut en plus, quelques mois avant l’échéance, l’intelligence d’effectuer un rassemblement ouvert (télécharger le document Histoire ADES, par Vincent Comparat).

Dans la période difficile que nous vivons, il est important de faire partager l’idée que, sur chaque sujet, il n’y a plus deux camps mais au moins trois.

Par exemple, en économie, il n’y a pas les économistes néolibéraux d’un côté et les économistes hétérodoxes atterrés de l’autre, mais au moins trois ensembles (sinon plus) : les économistes néolibéraux, les économistes hétérodoxes atterrés visant à une nouvelle régulation du capitalisme et ceux qui, compte tenu des effets des lois tendancielles de l’économie capitaliste, disent qu’il faut désormais penser un nouveau modèle politique alternatif.
Autre exemple, dans le domaine de la laïcité, il y a bien la laïcité comme principe d’organisation sociale, versus l’ultra-laïcisme (uniquement tourné contre une seule religion, l’islam) majoritaire à droite et générale à l’extrême droite, versus également la laïcité d’imposture malheureusement majoritaire chez les néolibéraux du PS (qui semblent préparer un nouveau Concordat pour enterrer définitivement la loi de séparation des églises et de l’Etat) et dans l’Autre gauche (qui prône le relativisme culturel, le communautarisme, la tolérance restreinte à l’anglo-saxonne, l’essentialisation religieuse des quartiers populaires des banlieues pour enterrer définitivement la lutte des classes).
Autre exemple, l’antiracisme. Face à un antiracisme laïque, refusant la concurrence victimaire, mais qui ne peut supporter le moindre assassinat, la moindre discrimination envers quiconque en fonction de sa religion, de son sexe, de sa couleur de peau ou autre visibilité distinctive, il y a deux adversaires : d’abord le racisme ciblé (par exemple contre les juifs, les arabes, les musulmans, les roms, etc.) mais celui de ceux qui se spécialisent dans la concurrence victimaire et l’essentialisation communautariste, ne voyant que ce qui touche l’une de ces communautés2.

En dernier lieu, il convient de conserver de l’empathie pour ceux qui pensent différemment, de souhaiter le rassemblement sans lequel l’esprit de chapelle reste dominant. Mais il faut unifier clairement sur la stratégie et permettre au sein de l’organisation rassemblée un débat sur la ligne politique, à l’inverse de ce qui est malheureusement pratiqué par l’Autre gauche française. Et cela est vrai tant dans le champ politique, le champ syndical que dans le champ associatif.
Pour cela, il faut franchir un « gap » pour enfin construire à gauche une ou plusieurs (autant que de stratégies différentes) organisations démocratiques ce qui serait une première salutaire…
Face à un rassemblement à gauche sans foi ni loi, faut-il maintenir un statu quo confus et illisible ou clarifier les tâches de l’heure ?
Pour nous, la priorité du moment présent est la clarification des tâches de l’heure et l’unification par la stratégie. Nous estimons qu’il faut sortir de la confusion actuelle et bien sûr ne pas céder au projet de ce rassemblement sans foi ni loi. Multiplier les débats citoyens ouverts sur ces questions devient une nécessité. Et pourquoi pas utiliser les formes et les méthodes de l’éducation populaire pour aider à une vraie démocratie dans le débat ?

Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale !)

 

  1. N’est-il pas contradictoire, comme nous l’avons déjà dénoncé, que la majorité de l’Autre gauche en France (directions du PCF, d’Attac, d’Ensemble et de Solidaires) dise soutenir le Front populaire tunisien, 3e force politique du pays, qui – lui – refuse toute alliance avec les islamistes d’Ennahda, proche de l’organisation internationale des Frères musulmans, alors qu’en France, ils co-organisent un colloque le 6 mars dernier, avec l’Union des organisations islamistes de France (UOIF), proche de l’organisation internationale des Frères musulmans ! []
  2. Sur la base d’études dont la méthodologie est pour le moins approximative : voir pour cela les « études » du Comité représentatif des institutions juives de France (CRIF) ou du Collectif contre l’islamophobie (CCIF). []
Débats laïques et républicains
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Pour une conception offensive de la laïcité

par Quiniou Yvon
agrégé de philosophie, membre
du comité de rédaction de la revue "Actuel Marx"

Source de l'article

 

Yvon Quiniou est philosophe. Dernier ouvrage paru : Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique, La ville brûle, 2014

La laïcité est menacée sous des formes diverses un peu partout dans le monde, y compris en France bien avant l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, puis avec un Hollande guère intransigeant non plus sur ce terrain, alors qu’elle est le pays où, dans le sillage 1789, elle a pris la forme la plus rigoureuse qui devrait servir de modèle aux autres pays et aurait dû lui éviter un pareil risque. Je commencerai donc par décrire un certain nombre de ces menaces, avant de proposer ma définition d’une laïcité offensive pour laquelle il faut avoir le courage de se battre.

La menace actuelle qui pèse sur la laïcité

Je laisse de côté les régimes musulmans qui, même quand ils se réclament de la République, sont en réalité la plupart du temps des théocraties, n’acceptant pas la séparation du pouvoir politique ou temporel et le pouvoir spirituel ou religieux : la Loi islamique, inscrite dans la charia, couvre tous les champs de l’existence de l’homme, politique et  confessionnelle, individuelle comme collective, et sa source est déclarée divine à travers le Coran, ce qui la soustrait à la critique, l’homme n’ayant aucune légitimité à énoncer la loi ou les lois de sa vie profane. La laïcité n’y existe tout simplement pas1 et cela peut expliquer certains conflits violents récents avec des minorités chrétiennes, puisque toute religion, donc l’Islam, aspire par définition au monopole. On peut penser que cela les regarde, sauf que nous sommes en présence d’une religion conquérante (comme l’a été le christianisme au temps des croisades) – je vous en donnerai une preuve intellectuelle bientôt – et que, quand les musulmans émigrent  et s’installent très normalement dans un pays laïque, ils ont tendance à y importer des exigences et des comportements non laïques qui sont inacceptables comme le port du voile intégral ou diverses demandes religieuses comme celle de lieux publics réservés aux femmes (voir ce qui s’est passé à Lille pour les piscines interdites aux hommes), celle de médecins femmes pour les femmes ou encore, à l’école, le refus de la mixité dans les cours de gymnastique, voire le boycott de certains cours de biologie où le corps est montré.

Le cas d’Israël est différent, bien que le contenu du judaïsme puisse lui aussi faire problème, en particulier son thème central d’un peuple élu : c’est un État qui est en principe laïque, sauf que toute une frange d’extrême droite, à la fois intégriste et fascisante, y progresse politiquement en raison du conflit avec la Palestine, et pourrait menacer à terme la laïcité.

Je me contenterai donc du christianisme en Europe et aux États-Unis : on y assiste à un inquiétant retour de l’intégrisme dans la doctrine, de l’intolérance dans les comportements et  à une tentative d’envahir (comme dans l’Islam, ici) la sphère publique.

La doctrine, d’abord

Dans son rapport à la science, il semblerait que l’Église catholique (ou protestante) ait fait son aggiornamento et qu’elle ait admis sa totale autonomie. Or ce n’est pas tout à fait exact. Elle a bien accepté, au bout d’un siècle tout de même, la théorie de l’évolution de Darwin puisque le pape Jean-Paul II en a reconnu officiellement le caractère scientifique en 1996. Mais cela a été aussitôt pour en restreindre la portée théorique et la conséquence philosophique : elle admet que le corps de l’homme est issu de l’évolution de la nature matérielle, mais maintient que son âme ou son esprit est le résultat d’une création divine immédiate, ce qui est contraire au message complet de Darwin tel qu’il l’a exposé dans La filiation de l’homme et qu’une formule de ses Carnets de jeunesse résume bien : « l’esprit est une fonction du corps » – ce qui constitue une affirmation clairement matérialiste. Et le pape a même ajouté, dans son langage philosophique, que de la matière à l’esprit il y avait un « saut ontologique » qu’aucune science ne saurait combler, répétant ainsi un diktat à l’égard des sciences que l’Église a régulièrement formulé et qui contredit dans ce cas tout ce que la biologie et les sciences cognitives nous apprennent aujourd’hui sur la nature matérielle de l’esprit. Il y a donc ici un empiétement, même s’il reste mesuré, de la croyance religieuse sur la connaissance scientifique qui est contraire à la laïcité. Mais il y a un empiétement plus grave : on le trouve dans l’offensive créationniste venant des États-Unis, initiée par des fondamentalistes protestants et visant sinon à empêcher l’enseignement de la théorie de l’évolution (ils n’y ont pas réussi), en tout cas à la dévaloriser en exigeant qu’elle soit enseignée  au même titre que le créationnisme, sur le même plan épistémologique. Je précise que la même offensive est venue récemment de l’Islam turc avec la diffusion mondiale d’un luxueux Atlas de la création anti-darwinien, édité par un personnage fortuné et peu recommandable, et qu’en Europe, malheureusement, on a vu des gouvernements manifester publiquement de la complaisance à cet égard, comme un ministre de l’éducation en Hollande recommandant un débat critique sur le darwinisme à l’école ; et le parlement européen a subi des pressions dans ce sens récemment, venant de la hiérarchie catholique, ce qui a suscité la réaction saine d’un député socialiste français qui a levé le lièvre. C’est dans ce contexte que le gouvernement français de l’époque de Sarkozy pourtant, en l’occurrence le ministère de l’éducation nationale, a dû mener une contre-attaque et organiser un grand colloque, auquel j’ai été invité à intervenir, pour exiger que la théorie de l’évolution soit présentée dans les lycées comme la seule doctrine scientifique dans ce domaine. C’est dire le climat qui règne aujourd’hui autour de cette question, dans laquelle une part essentielle de la rationalité scientifique est en jeu ! Enfin, dernier point de doctrine, mais qui touche aussi indirectement aux comportements : une encyclique du pape Benoît XVI, « Sauvés dans l’espérance », professe un étonnant et inquiétant pessimisme à l’égard de l’homme quand il est privé de religion : polémiquant avec le matérialisme marxiste et, plus largement, avec l’humanisme laïque, il dénie à la raison la capacité de définir par elle-même le bien et le mal, précisant même qu’elle ne peut devenir « une raison vraiment humaine » que dans l’ouverture à la foi ! Ce propos terrible, le pape l’a repris en France dans son discours aux Bernardins à destination des intellectuels français, tout cela avec la bénédiction, si je puis dire, de Sarkozy dans son discours au Latran. Celui-ci a pu en tirer cette idée scandaleuse que le curé était mieux placé que l’instituteur pour enseigner le bien et le mal parce qu’il y engageait sa vie et sa foi et, pour la première fois depuis disons un siècle, on a assisté à la collusion du pouvoir politique, lié à la Bourse, et du goupillon : la religion est censée être là pour assurer un lien social que le libéralisme détruit chaque jour et elle doit donc être encouragée publiquement pour en compenser les dégâts humains. C’est une véritable régression de la laïcité de l’État républicain, voire une rupture frontale avec elle.

Passons à l’intolérance dans les comportements, plus brièvement

La tolérance ou, si l’on préfère (j’y reviendrai) le respect de la vie individuelle quand elle ne nuit pas à autrui, donc le respect de la diversité des choix de vie dans le domaine des mœurs, quelles que soient nos croyances ou notre incroyance, est au cœur de la laïcité2. Or on assiste aujourd’hui à un retour en arrière désolant par rapport à ce qu’il y a eu d’avancées de la religion catholique au siècle précédent. Je laisse de côté son raidissement interne qui ne concerne que les croyants, atténué par le pape actuel, pour ne parler que de ce qui touche à la vie de tous hors d’elle et je ne développerai qu’un exemple : son attitude vis-à-vis de la sexualité. L’Église chrétienne reste ou redevient ici extrêmement rigoriste, contribuant à répandre une image négative de celle-ci considérée en elle-même, indépendamment de la visée procréatrice ; mais surtout, elle continue à condamner l’homosexualité d’une manière inacceptable, au nom d’une norme soit disant naturelle qui n’a aucun sens, surtout lorsqu’on a lu Freud. Elle n’est pas la seule dans ce cas puisque les deux autres religions monothéistes la condamnent également, sans la moindre réserve. Or ce qui est grave, c’est que cela entraîne de par le monde des comportements homophobes parfois extrêmement violents comme la lapidation ou le meurtre (y compris aux États-Unis), qui trouvent dans le discours religieux une justification idéologique toute trouvée. Mais je pense aussi à la manière dont cette même Église condamne sans nuances l’avortement, au point d’avoir dénoncé moralement des médecins qui l’avaient pratiqué à la suite d’un viol au Brésil et d’avoir affirmé que le viol est moins grave que l’avortement. On pourrait donner d’autres exemples, comme celui de la collusion des trois principales Églises contre le mariage pour tous en France, il n’y a pas longtemps : ils nous montreraient tous ce qu’il y a de malsain dans cette vision du sexe condamnant le plaisir en lui-même (comme tout ce qui touche au corps) et ils nous expliqueraient sans doute les dérives par lesquelles elle est elle-même touchée dans ce domaine et vis-à-vis desquelles elle s’est montrée, paradoxalement, longtemps tolérante.

Enfin, il y a cette fameuse séparation du politique et du religieux qui est un des socles de la démocratie, spécialement en France avec la séparation des Églises et de l’État

On assiste à la volonté sournoise de la remettre en cause. C’est ainsi qu’au niveau européen, il a été question de mentionner les racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution proposée en 2005. Or cela revenait :

1) à transformer un fait historique en valeur ou en principe normatif dont les européens auraient dû se réclamer, rompant ainsi la neutralité de l’instance politique et,

2) à oublier à quel point la démocratie moderne (ou la République) dans tous ses acquis positifs, non seulement dans l’ordre de la liberté politique mais aussi dans celui de l’égalité sociale, s’est construite contre la religion et non grâce à elle. L’Église catholique a toujours pris le train du progrès historique en retard, quand elle ne pouvait faire autrement : en France elle a mis un siècle pour accepter la République après avoir été monarchiste à outrance, et encore un siècle pour accepter l’option socialiste parmi ses croyants en admettant enfin, lors d’un synode des évêques en 1972, que l’on pouvait être socialiste au nom de sa foi, en l’occurrence au nom de l’Évangile ; et actuellement, à la suite de la chute des régimes de type soviétique, elle est en recul sur ce point  puisqu’elle adhère officiellement au libéralisme économique, ne condamnant que ses excès. En Europe, il faut se souvenir qu’elle a été la complice des dictatures de Franco et de Salazar et actuellement, en Espagne, elle refuse de se livrer à un examen critique de son passé. Autre point important : la constitution refusée en 2005 proposait d’intégrer de plein droit les Églises dans le débat politique parlementaire pour décider de certaines lois. C’est oublier que les chrétiens sont des citoyens qui doivent s’exprimer en tant que citoyens (avec leurs croyances privées) mais qu’il n’existe pas de citoyens chrétiens (ou juifs, ou musulmans) pouvant s’exprimer en tant que tels. Les Églises n’ont pas à constituer des groupes de pression idéologiques susceptibles d’intervenir directement dans la définition des lois. J’ajoute, sur la question de la séparation du politique et du religieux, que le problème du port ostentatoire de signes d’appartenance religieuse dans l’espace public en fait partie. C’est le cas du port de la burqa et un laïque ne peut qu’être opposé à celui-ci (quelles que soient les intentions politiciennes de la loi qui a été votée) : à la fois au nom de ce principe de séparation et, tout autant, parce que la burqa est un signe d’oppression féminine, de négation du corps et d’enfermement dans une religion mortifère qui vous coupe de la relation à autrui, laquelle passe par l’accès au visage de l’autre. Mais c’est aussi le cas du port du voile à l’école, qui est un lieu public, lequel n’a pas à se transformer en lieu de manifestation des appartenances communautaire.

Pour une définition rigoureuse  de la laïcité

J’ai développé longuement ce tableau sombre pour que l’on comprenne mieux, par réaction, la conception offensive de la laïcité que je vais proposer, et qui était en filigrane dans ce qui précède.

Je  rappelle d’abord la définition préalable de la laïcité : elle affirme la séparation des Églises et de l’État et ajoute que l’État ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Cela ne veut pas dire, bien entendu qu’il les interdit, mais qu’il n’en privilégie aucun et qu’il leur reconnaît à tous le droit à l’existence dès lors qu’ils respectent les lois de la République et ne constituent pas une menace pour l’ordre public ; mais cela signifie aussi le droit à l’incroyance et à sa manifestation, dans le même cadre d’indépendance intellectuelle et financière. L’État laïque n’est donc ni croyant, ni incroyant au sens où il pourrait professer un athéisme dogmatique : disons que, philosophiquement, il est agnostique et pratique l’abstention ou la stricte neutralité, laquelle est obligatoire, mais à ce niveau seulement, on va le voir. Cela s’oppose à la conception qu’ont cru pouvoir mettre en œuvre les pays de l’Est d’obédience soviétique, puisqu’il y existait un athéisme d’État. Or, même si on peut souhaiter la disparition des religions (ce qui est mon cas), on ne saurait aller jusque là et s’autoriser à imposer l’athéisme : comme toute position de type philosophique ou métaphysique, celui-ci ne peut être que librement choisi, ce qui était d’ailleurs la conception de Marx malgré son hostilité radicale aux religions3.

Reste que, en disant cela, on n’a pas tout dit de la laïcité et du problème qu’elle rencontre encore aujourd’hui. Je m’explique. La laïcité est inséparable d’un idéal d’émancipation, elle vise la liberté de conscience comme la liberté tout court, et elle est confrontée avant tout à la question des croyances religieuses, lesquelles ne sont pas n’importe quelles croyances. Issues de l’histoire, on peut en faire un bilan humain négatif tant au plan intellectuel : elles se sont opposées à tous les grands progrès scientifiques, qu’au plan pratique : on peut y voir avec Marx une expression idéologique de la « détresse réelle » de l’homme, à savoir de son malheur historique, expression qui l’a alimenté en retour, et bien des exemples que j’ai indiqués précédemment l’ont montré. L’on pourrait d’ailleurs y ajouter d’autres diagnostics négatifs : avec Nietzsche qui voyait dans la religion, une force hostile à la vie et avec Freud, qui y décelait une forme de névrose collective dont il voulait guérir les hommes ou encore une illusion dans laquelle les hommes projettent leurs désirs insatisfaits et qui les empêchent d’appréhender lucidement le réel. Comment alors penser la laïcité dans ce cadre critique où il apparaît que les croyances religieuses peuvent être considérées comme un obstacle à l’émancipation et au bonheur humain si j’ose dire « ici-bas », « ici bas » qui est le seul « ici » dont nous soyons sûrs ? Je répondrai offensivement en trois points, qui m’opposent radicalement à une conception « molle » de la laïcité. La mienne n’est pas « dure », au demeurant, mais tout simplement rigoureuse et exigeante.

Le pluralisme

La laïcité c’est d’abord le respect, et non seulement (on l’a indiqué) la tolérance, du pluralisme et elle suppose donc un domaine où il existe des différences irréductibles : c’est le cas du domaine religieux et, plus largement métaphysique, comme celui des normes éthiques de vie personnelle qui leur sont liées, alors que ce n’est pas le cas en science où seule la liberté de pensée ou de recherche est exigée. L’idée d’être laïque en science n’a pas de sens puisqu’il s’agit de parvenir à une vérité unique qui fera l’unanimité ! Ce respect du pluralisme, c’est un autre nom de la démocratie et c’est une exigence absolue, mais il suppose que les religions acceptent elles-mêmes le pluralisme démocratique des croyances et de l’incroyance, ce qu’elles ont rarement fait dans l’histoire passée : l’Inquisition a existé comme la chasse à l’infidèle ou à l’impie ! Et l’islamisme radical aujourd’hui reproduit ce défaut sous une forme barbare. On ne saurait donc, au nom du respect de la multiplicité des croyances et des cultes, tolérer l’intolérance religieuse.

La critique des religions

On voit alors qu’un problème se pose immédiatement : la laïcité suppose-t-elle la neutralité vis-à-vis de la religion comme le voudrait la mode insistante d’une laïcité « plurielle » ou « positive » (il y en aurait donc une « négative » ?) qui prône la complaisance à l’égard des différentes confessions au nom de la tolérance, voire qui serait toute prête à les encourager sous prétexte que, dans une société en crise, elle fournirait du « lien social » que cette société n’est pas capable de fournir ? On a vu que c’était la position de Sarkozy et de beaucoup de libéraux, comme c’est, curieusement, le cas d’une partie de la gauche oublieuse de l’héritage des Lumières ; et c’est même le cas d’un R. Debray dans sa réflexion théorique sur la société et dans la proposition qu’il a faite qu’on enseigne expressément le « fait religieux » à l’école. Or il faut être clair : il est souhaitable que l’on étudie les religions au même titre que les autres phénomènes culturels, comme cela se fait déjà dans les enseignements d’histoire, de français et  de philosophie, mais à condition que le droit à la critique des religions soit tout autant reconnu. Car, comme je l’ai suggéré dans la première partie ce texte, il y a toute une part de négatif dans la religion qu’il ne faut pas occulter et qu’il faut savoir dénoncer, tout simplement au nom de la raison à la fois théorique, appuyée désormais sur les sciences humaines, et pratique ou morale : opposition à la connaissance scientifique, vecteur de superstition, de violence et de fanatisme, prises de position inadmissibles dans le domaine de la sexualité ou de la condition féminine, pratiques cultuelles portant atteinte à la dignité de la femme comme la polygamie ou l’excision, etc. Il faut éviter ici le piège du différencialisme : aucun droit à la différence culturelle ne saurait justifier une différence des droits et des devoirs par rapport à ceux que proclame la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, et le respect du pluralisme idéologique s’arrête là où commence à s’appliquer cette Déclaration. Il faut donc reprendre audacieusement le fil de la critique rationaliste des religions que l’on trouvait dans la philosophie des Lumières avec Hume, Rousseau ou Kant (pour ne citer que les plus grands, en y ajoutant Spinoza), puis celui de ces grands penseurs que sont Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud, non pour refuser ou récuser absolument les religions et leur éventuel apport positif (qui existe aussi), mais pour les soumettre à la compréhension et au contrôle de la raison qui seule peut organiser la coexistence pacifique et libre de tous les courants de pensée.

L’accès à la raison

D’où une troisième définition de ce que doit être une laïcité ambitieuse : l’éducation à la raison par l’ouverture aux savoirs scientifiques et l’assimilation des grands acquis moraux de l’humanité. Seule une pareille éducation permet la formation d’un jugement libre et l’accès à l’autonomie intellectuelle, condition d’une maîtrise de sa vie individuelle ou collective. Dans ce cadre, l’ouverture aux principales conceptions religieuses ne saurait faire problème puisqu’il s’agira de les examiner d’une manière critique, dans leur statut intellectuel comme dans leur formes ou effets pratiques, à la lumière de la raison4. Et s’il y a des domaines qui échappent à cette dernière, c’est encore à elle de le dire et de justifier ainsi le droit à la croyance religieuse hors de la raison. Conçue ainsi, l’option religieuse devient un choix personnel non seulement tolérable, mais parfaitement respectable puisqu’elle ne s’oppose ni à la science ni au progrès humain. L’exigence laïque de ceux qui ne désespèrent pas d’améliorer la vie ne saurait donc se satisfaire des religions telles qu’elles ont été et sont : elle demande qu’elles fassent l’objet d’un débat public appuyé sur les seuls critères de la raison théorique et de l’exigence, morale et politique, de l’émancipation des hommes à l’égard de ce qui les empêche d’être eux-mêmes, dans le respect des autres.

Pour finir, je résumerai ma définition de la laïcité en trois points :

1) Respect du pluralisme idéologique et de sa manifestation pratique.

2) Droit à la critique rationaliste des religions et même devoir de s’y consacrer.

3) Éducation à la raison.

  1. Je ne tiens pas compte des transformations démocratiques importantes qui ont affecté récemment certains pays arabes. []
  2. Le concept de tolérance ne me plaît pas. Il est restrictif puisqu’il implique un jugement de valeur négatif à l’encontre de ce qu’on tolère : tolérer c’est accepter en fait ce qu’on désapprouve en droit. Et il pointe un manque de courage : on n’ose pas assumer ce qu’on valorise et critiquer ce qui s’y oppose. Le respect, lui, est un concept pleinement positif : c’est la reconnaissance d’un droit chez l’autre qui nous oblige – ici le droit à la différence – et il fonde pleinement la laïcité. []
  3. Voir la Critique du programme de Gotha. Il s’agissait pour lui de libérer l’homme de la religion, tout en garantissant la liberté religieuse. []
  4. Je rappelle qu’un authentique examen critique ne se réduit pas à la critique, c’est-à-dire au rejet : il consiste à faire le tri à la lumière de valeurs incontestables et donc à approuver tout autant qu’à contester, quand cela se justifie. []
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Pour une "oxygénation" laïque durable

par Pierre Hayat

 

La défaite aux élections départementales est la sanction d’une politique sociale réactionnaire d’un président et d’un gouvernement élus pour mettre en œuvre une politique de gauche. Cette déroute électorale sanctionne aussi ceux qui, dans « l’autre gauche », par calcul électoraliste stupide ou par dérive idéologique suicidaire, se sont récemment retrouvés par deux fois aux côtés des Indigènes de la République et d’autres groupements prônant ouvertement l’installation en France d’un communautarisme politique ethnico-religieux de la haine, du ressentiment et de la discorde durable. Les attentats meurtriers de janvier 2015 ont pourtant provoqué le 11 janvier 2015 une oxygénation laïque de liberté et de fraternité républicaines. Seuls des esprits tordus ont interprété le désormais célèbre Je suis Charlie comme l’expression d’un rejet des musulmans et des Arabes. Mais les foules immenses et fraternelles qui s’étaient rassemblées ce jour-là ne pouvaient d’un coup de baguette magique faire évaporer une réalité très inquiétante. Aussi, les militants laïques auraient tort d’imaginer que leur engagement pour la liberté, l’égalité et la fraternité, serait aujourd’hui facilité par la conscience de l’horreur des 7, 8 et 9 janvier. L’extension récente de l’emprise communautariste sur la vie sociale et politique, jusqu’à la direction du PCF qui s’est associée aux Indigènes de la République, doit alerter tous les républicains, autant que les scores du FN. Le premier remède au risque d’asphyxie par le communautarisme et le nationalisme, est une « oxygénation » laïque durable que l’on obtiendra par une lutte persévérante contre les idéologies racistes et autoritaires. On propose ici quelques repères philosophiques pour un militantisme laïque d’aujourd’hui, dans son rapport au rationalisme et à la transformation sociale.

La laïcité ouvre la possibilité d’un libre engagement personnel pour l’idéal qu’elle exprime. Si elle attend de l’État la neutralité sur des questions relevant des choix existentiels, elle est également sous-tendue par l’idéal concret d’une société humaine au sein de laquelle les individus peuvent s’accorder librement sans s’appuyer sur des dogmes ou des croyances surnaturelles. Il est légitime d’agir collectivement pour la laïcité sans que cette action soit de nature étatique. Dans une démocratie, nul n’est tenu d’être membre d’un parti qui œuvre à la sauvegarde et au développement de la démocratie. Mais chacun dispose de la faculté de s’engager dans une association qui promeut l’idée démocratique. Il en est de même de la laïcité. Depuis le début du XXe siècle, les associations laïques ont porté un idéal concret opposé à la « raison d’État » qui sacrifie la liberté de l’individu et de la société civile. Pour un militant laïque, la raison d’un État laïque ne se trouve pas dans l’État lui-même, mais dans les droits de l’homme que l’État a pour fonction de garantir. L’égalité des droits, quelles que soient l’origine et les croyances de l’individu, n’est pas un fait, mais une valeur à matérialiser dans des institutions et des pratiques. C’est pourquoi les laïques œuvrent pour que l’État traite chacun à égalité mais ils militent aussi pour une solide école publique et pour des services publics solidaires sans lesquels les communautarismes négateurs de l’émancipation des individus, gagnent du terrain. Lorsque Ferdinand Buisson invoquait sa « foi laïque », il ne voyait pas la laïcité comme une nouvelle religion mais estimait que la laïcité juridique est durable si elle est soutenue par des convictions fortes et un militantisme persévérant. La laïcité a partie liée avec la liberté qui questionne tous les principes d’autorité mais aussi avec la recherche des bases légitimes sur lesquelles établir l’entente entre les hommes. Le rationalisme, mieux que toute sensiblerie, refuse de juger la parole d’un individu d’après « sa race, son héritage national ou sa classe »1. L’universalité laïque demande d’entendre la parole de chacun à partir de ce que la raison humaine permet d’exposer et de comprendre. Cet engagement rationaliste est à l’opposé du racisme et du communautarisme qui enferment l’individu dans un déterminisme biologique ou culturel.

Un projet social et politique émancipateur concrétise cet universalisme laïque. C’est le cas lorsqu’à travers la laïcité, on ne vise pas seulement à affranchir la cité de la mainmise des religions mais qu’elle s’autorise à juger tout ordre social, fût-il sécularisé, selon les exigences de liberté et de justice. On pousserait à l’absurde le refus laïque de l’aliénation à une transcendance s’il devait aboutir à plier devant la loi naturelle du plus fort. La laïcité vaut comme théorie normative de la socialité humaine. Elle présume que la condition humaine est la pluralité organisée des individus. Elle ne postule pas seulement que le libre choix éclairé de l’individu est la condition de toute valeur. Elle admet que cette liberté cherche à s’accomplir dans l’existence collective. Cette visée normative explique que la laïcité ne s’en tient pas à l’indispensable neutralité de l’État qui est la condition, non la fin de la laïcité. La liberté, l’égalité et la fraternité qui composent la devise de la République française sont des valeurs qui ne s’appuient pas toujours sur les institutions existantes, même si elles ont vocation à se matérialiser dans le droit positif. Pourtant, ni les droits fondamentaux de l’individu ni la primauté du bien public ne se présentent comme des valeurs supérieures à la société humaine et à la raison humaine. La laïcité est en cela une « transcendance dans l’immanence », un idéal concret à disposition du dialogue entre les hommes et de l’action fondée sur les facultés humaines. En faisant de la meilleure organisation sociale possible sa préoccupation, la laïcité ne s’enferme pas dans un individualisme qui méconnaît l’action collective. Elle a même pu se présenter comme « un grand acte de confiance dans le pouvoir de l’homme de se sauver lui-même, d’organiser sa politique, son économie, sa morale, en dehors de tout appel au surnaturel, par l’action de sa raison »2. La représentation d’un monde transformable par l’action concertée et raisonnée des hommes est un repère structurant de la laïcité. Dans cette perspective, la laïcité œuvre sur trois plans : celui de l’individu qui a vocation à penser, agir et se perfectionner personnellement; celui de l’autorité politique qui dispose du pouvoir de contrainte au nom du droit commun ; celui aussi de la vie sociale. Ce troisième plan de la laïcité a besoin d’une réinvention permanente de la solidarité.

  1. K. Popper, La société ouverte et ses ennemis, tome 2, Seuil, 1979, p. 161. []
  2. G. Guy-Grand, « Autour du cinquantenaire », étude primitivement parue en 1920 dans la Revue de Genève, reprise dans Au seuil de la République, Paris, Les Éditions universelles, 1946, p. 168. []
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Terrorisme islamiste : cette guerre qui commence était hélas prévisible !

par Mezri Haddad

Source de l'article

 

NDLR – Ancien ambassadeur de la Tunisie auprès de l’UNESCO,  Mezri Haddad est philosophe, auteur d’essais sur la réforme de l’islam. Nous avons souhaité reprendre ce texte, deux mois après sa parution, au moment où certains considèrent que la notion d’islamo-fascisme – que M. Haddad n’hésite pas à utiliser – serait excessive et où la notion d’amalgame est brandie de façon polémique et confuse.

Pour la plupart des analystes et des politiciens, le carnage de Charlie Hebdo comme la prise d’otages de Vincennes, ces premières offensives de la guerre contre la France et la République, sont des traumatismes auxquels nul ne pouvait s’attendre. Mais pas pour l’élite franco-musulmane, ni pour les soldats de l’ombre qui luttent contre le terrorisme, ni pour les rares journalistes qui osent nommer l’innommable au risque de se faire accuser d’islamophobes. Ces derniers, comme les intellectuels musulmans éclairés, savaient que cela devait arriver un jour. Ils savent que si les gouvernants ne saisissent pas ce drame national pour revoir de fond en comble leur politique d’immigration, d’intégration, d’éducation, de réforme de l’islam et de relations avec certains émirats du Golfe, le pire serait à craindre.

Ce qui vient de se produire était en effet écrit, pas par la main d’Allah dont les islamo-fascistes ont souillé jusqu’à la magnificence et rabaissé la majesté, mais par trente années de laxisme, d’angélisme et de conformisme malséant au pays de Voltaire. Écrit par les concessions aux tenants de l’islam identitaire, holistique et totalitaire, au nom de la démocratie et de la tolérance républicaine. De la question du voile islamique au massacre tragique de Charlie Hebdo, en passant par l’affaire Redeker ou la conférence du pape Benoît XVI à Ratisbonne, que de chemin parcouru dans la capitulation, l’altération de la laïcité et la subversion de la démocratie. Que de reculs des Lumières face à l’obscurantisme ! Que de coups portés au modèle de civilisation occidentale devant la barbarie islamiste! Ce modèle universaliste auquel nous avions fini par y croire, nous autres musulmans d’Orient et du Maghreb, avant de nous réveiller un jour du «printemps arabe» aux sommations de certaines voix politiques et intellectuelles occidentales: la charia, pourquoi pas? L’islamisme «modéré», qu’à cela ne tienne!

Nos zélateurs de l’islamisme «modéré» ont vite oublié que lorsqu’on le célèbre à deux heures de vol de la France, l’on risque d’en subir les assauts en plein cœur de Paris. Ils ont oublié que la Terre est devenue un village interconnecté, qu’il n’y pas de démocratie authentique sans sécularisation, que l’islamisme n’est pas la religion des musulmans mais une religion séculière dont le spectre s’étend des Frères musulmans aux néo-talibans de Daech, qui se partagent le même axiome: «Notre constitution c’est le Coran, notre modèle c’est le prophète, notre régime c’est le califat».

Ils ont surtout oublié que la quintessence de la civilisation occidentale est dans la désacralisation du sacré et la sanctification de la liberté humaine. Parmi ceux que je vois se lamenter sur le sort des 12 morts, je reconnais certains qui s’étaient indignés que des dessinateurs aient osé toucher au «sacré» en reproduisant en 2006 les caricatures du Prophète, qui ne s’est d’ailleurs jamais octroyé cette sacralité supposée, celle-ci étant exclusivement réservée à Dieu et à Lui Seul. Je reconnais même certaines figures islamiques qui avaient porté plainte contre Charlie Hebdo, notamment le sempiternel imam de la Mosquée de Paris, ainsi que l’UOIF, qui est membre du Conseil français du culte musulman (CFCM)!

Passées les jérémiades des fonctionnaires de l’islam, les indignations sincères de la classe politique, l’heure n’est pas seulement à l’unité nationale et au rejet des amalgames, mais aussi à l’autocritique. Le rejet des amalgames ne doit pas nous dispenser de remettre en cause la dogmatique ambiante qui paralyse la pensée et tétanise l’expression. Ce qui est permis en psychanalyse ne doit pas être interdit en politique: mettre des mots sur les maux.

Même si les Kelkal, Merah, Kouachi et les centaines de sociopathes en Syrie restent minoritaires par rapport à la majorité des musulmans de France, on ne peut pas dire que le modèle d’intégration soit une réussite. Encore moins la gestion de l’islam qu’on disait une chance pour la France. La gallicanisation de l’islam a échoué. Cela vaut aussi pour les autres pays européens, notamment le Danemark, qui a vu ses citoyens de la «diversité» manifester sous la bannière noire de Daech et aux cris de «A bas le régime, nous voulons le califat»!

Si l’intégration a «échoué», l’intégrisme a en revanche conquis les cœurs. Parce qu’on a laissé la société s’ouvrir à ses ennemis, une microsociété passée de l’islam quiétiste à l’islamisme radical s’est développée grâce au microclimat culturel, éducatif, politique, médiatique et juridique. Le mal, c’est le cancer islamo-fasciste qu’on a laissé se métastaser dans les banlieues, les prisons, les mosquées, les associations, les écoles et même les universités.

Plutôt que de ressasser pas d’amalgames, mettre des mots sur les maux, c’est reconnaître que les terroristes qui ont commis cet abominable crime sont des musulmans. Mais leur islam n’est pas mon islam, ni celui des 5 millions de Français paisibles, ni celui des 1,700 milliards de coreligionnaires dans le monde. Leur islam génétiquement modifié est celui des Talibans, d’Al-Qaïda et de Daech.

Les musulmans de France, pourront-ils encore dire dans leur prière quotidienne, «Allah Akbar», sans s’attirer la suspicion, voire même la haine? Devront-ils bannir de leur vocabulaire cette expression qui marque la transcendance, la grandeur et l’unicité divine dans la liberté humaine? Devront-ils taire cette invocation de l’Eternel, désormais associée au nihilisme des barbares?

Ces musulmans de France que chacun prétend représenter et dont nul n’incarne le quiétisme sont doublement atteints. Ils ont été frappés au centre de leur patrie et au cœur de leur foi. Ils pleurent l’assassinat de leurs compatriotes et la mort de Dieu.

Figarovox 11 janvier 2015

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Le PIR et les fondamentaux d’Attac

par Denise Mendez
membre du Conseil scientifique d'ATTAC

 

Attac a été fondée le 3 juin 1998 en réaction au monopole de pensée instauré par le néolibéralisme à l’échelle mondiale. Monopole symbolisé par le slogan de Margareth Thatcher «  There is no alternative », pas d’alternative au capitalisme, le socialisme est mort.
La fondation d’Attac faisait suite aux divers soulèvements survenus en Amérique Latine contre l’ajustement structurel néolibéral , en Equateur au Venezuela au Mexique avec le soulèvement zapatiste en 1994 , le 1er janvier jour de la création de l’OMC. Attac , en adoptant sa charte internationale le 12 décembre 1998, se situait d’emblée au niveau internationaliste.
Attac, en demandant la taxation de la spéculation financière dénonçait le libre échange et les paradis fiscaux destinés à renforcer le pouvoir des transnationales et en même temps à abroger les conquêtes sociales obtenues dans certains pays et à contrer le rôle des organisations sociales engagées dans la défense des classes dominées, sous leurs diverses formes .

Attac France réunissait à St-Denis en juin 1999 durant 3 jours , les représentants de mouvements sociaux de 70 pays engagés dans un combat contre un même adversaire qui imposait la subsomption du travail au capital et la domination des classes dominantes à l’échelle mondiale sous la protection des IFI , banque mondiale, FMI, OMC  A cet effet, ATTAC a joué un rôle majeur dans le lancement du Forum social mondial . Les mouvements représentés à Porto Alegre au 1er FSM représentaient la diversité des formes mais l’unité dans l’analyse de l’ajustement structurel néoliberal à l’échelle du monde ; cet ajustement des institutions est parfaitement décrit dans le Rapport de la Banque mondiale de juin 1997 sur la place de l’Etat : abandon de la fonction de l’Etat en matière de justice sociale et de redistribution , ce rôle étant affecté à des ONG. En somme, sous le déguisement démocratique l’ éparpillement et le fractionnement des luttes quel que soit leur niveau de représentation des couches sociales . Sous couvert de démocratisation , le système dominant a favorisé la multiplication d’organisations de défense d’intérêts particuliers tous mis à égalité (accidentés de la route, autistes ou handicapés au même titre que syndicalistes licenciés etc ).  Il est clair que l’objectif de cette « horizontalité » était la neutralisation de la lutte des classes par la disparition artificielles des classes , remplacées par la notion de victimes . L’instauration de la mode victimaire dispense de comprendre de quoi et de qui on est victime ; l’exercice du sens caritatif donne bonne conscience et entretient le flou sur la réalité politique des acteurs d’exploitation ou domination.
Dès lors les organisations de victimes se sont multipliées et ont occupé peu à peu tous les champs de la lutte initiale d’Attac et ont fait oublié l’unité première du combat contre un ennemi commun.

En donnant la même place aux organisations les plus sectorielles et souvent subjectives , les rencontres internationales du FSM ont perdu progressivement leur rôle dans l’éclairage et la formation politique des organisations les moins politisées .
C’est ainsi que peu à peu Attac a été investie par des organisations qui la dévient de ses principes fondamentaux, en particulier de l’universalisme née de la Révolution française. Le PIR est un exemple de dérivatif de la lutte des classes à laquelle il substitue la religion et la race. Le PIR crée ainsi une communauté imaginaire à laquelle il donne pour objectif la revanche sur les « Blancs ».

Le PIR a succédé en 2010 au mouvement des Indigènes de la République créé en janvier 2005 par Houria Bouteldja et Youssouf Boussoumah. Ce mouvement se fonde sur l’idée que les fils et petits-fils de travailleurs migrants sont maltraités en France comme leurs ancêtres dans les anciennes colonies françaises où ils étaient appelés « indigènes » (et étaient effectivement des autochtones de ces pays, c’est-à-dire des indigènes.) Les inventeurs du mouvement ont d’emblée introduit la notion de race et accouplé le qualificatif religieux.

  • Houria Bouteldja s’est dressée contre le mouvement féministe « Ni putes ni soumises » en créant le mouvement « des Blédardes » revendiquant le statut actuel des femmes dans les pays musulmans et refusant la luttes des femmes musulmanes de France pour l’égalité avec les homme . Houria Bouteldja fonctionnaire de ‘l’IMA Institut du monde arabe jouit des avantages donnés par la loi française et ceux de sa double nationalité, mais refuse l’intégration au cadre des institutions françaises parce que le cadre français serait islamophobe . cf. http://indigenes-republique.fr/charlie-hebdo-du-sacre-des-damnes-de-la-terre-et-de-sa-profanation/ ..
  • Le PIR prenant la suite des luttes du mouvement des Indigènes de la République a eu pour principal cheval de bataille le demande d’abrogation de la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école . Cette bataille menée par toutes les organisations islamiques dénonce la loi de 1905 sur la laïcité qui serait islamophobe .
  • La dénonciation de la loi de 1905 sur la laïcité va de pair avec le refus d’intégration au cadre républicain. Le terme intégration est critiqué en tant qu’il serait une injonction faite aux descendants de migrants pour les forcer à entrer dans la nation française ce qui serait un abus contre leur liberté. Ainsi, Nacera Guenif Souilamas, universitaire sociologue, a écrit « la République mise à nu par son immigration » en somme la République n’est pas égalitaire parce qu’elle ne permet pas aux musulmans de pratiquer toutes leurs coutumes religieuses dans l’espace public. Nacera Guenif est vice -présidente de l‘lnstitut des cultures d’islam  magnifique édifice récemment construit avec le soutien de la France .
  • Houria Bouteldja déclare le 26 octobre 2011 à l’université Humbolt de Berlin : «  Rompre avec le mythe républicain et le champ politique Blanc c’est un point de départ pour développer une politique autonome afin de décoloniser la démocratie occidentale.
  • La religion islamique reste le cœur du combat des Indigènes contre la République. Youssef Boussoumah suite à la publication des caricatures de Mohammed par Charlie Hebdo (et l’incendie de ses locaux) a écrit dans le site Oumma.com le 29 septembre 2012 «  nous devons défendre notre sacré ; du Maroc à L’Indonésie, le prophète représente pour nous une force de libération une aspiration à la justice .. pour nous qui vivons en exil dans ces sociétés … »
  • Houria Bouteldja le 26 janvier 2015 (http://indigenes-republique.fr/charlie-hebdo-du-sacre-des-damnes-de-la-terre-et-de-sa-profanation/): « nous ne connaissons pas ce type de distinction entre le profane et le sacré la sphère publique et la sphère privée, la foi et la raison, la laïcité, les lumières, le cartésianisme historiquement et géographiquement situés en Europe de l’Ouest .. C’est une spécificité qui s’est déclaré universelle par la force des armes … avec la figure tutélaire du prophète la colonialité version française est tombée sur un os ..
  • Ce texte publié quelques jours après les assassinats explique l’action des frères Kouachi ; il a un ton accusateur et vengeur ; c’est une sorte de bréviaire du PIR : mépris de l’universalisme, haine de la République et de la lïcité et refus de l’intégration à la nation française qualifiée de nation des Blancs chrétiens, enfin volonté d’autonomie proche du séparatisme .
  • Il est à noter que le PIR se méfie de la gauche des Blancs  : cf.  http://indigenes-republique.fr/au-dela-de-la-frontiere-bbf-benbassa-blanchard-fassins/
  • Houria se méfie aussi de « l’étrange islamophilie de Claude Askolovitch ».
  • Lorsqu’on lit chez Houria Bouteldja le mépris des gauchistes Blancs , on se demande pourquoi certains membres d ‘Attac soutiennent le PIR au prétexte de combattre l’islamophobie. Etrange jeu d’alliance : le PIR avoue franchement rejeter l’universalisme républicain et malgré cela certains membres d’ATTAC voient dans les prétendus indigènes de la République les nouvelles troupes de la révolution .

Conclusion : le PIR, micro-organisation largement inconnue se trouve ainsi promue dans l’espace politique par ce débat critique ; cadeau involontaire.

 

19 mars 2015

Protection sociale
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Austérité et offensives contre la Sécurité sociale

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Éducation Populaire (REP). Co-auteur de : Néolibéralisme et crise de la dette ; Contre les prédateurs de la santé ; Retraites, l'alternative cachée ; Laïcité: plus de liberté pour tous ; Penser la République sociale pour le 21e siècle ; Pour en finir avec le "trou de la Sécu", repenser la protection sociale du 21e siècle.

 

Toujours plus d’austérité dans l’hôpital

D’après une communication du Pr André Grimaldi

Marisol Touraine a d’abord donné le nombre de milliards qu’il fallait diminuer pour le financement de l’hôpital puis elle passe aux directives pour les professionnels. Nouvelle campagne tarifaire, directive pour les « managers » des hôpitaux (elles appellent les directeurs comme cela, en français dans le texte!) pour obtenir le nombre de milliards en moins.
Tout cela peut être résumé de la façon suivante:

  • Il faut travailler plus pour gagner moins.
  • ​L’a​ctivité prévisionnelle  est programmé avec une augmentation de + 2.8 % ​avec une tarification qui baisse ​(- 0,65 %).
  • ​Le gouvernement demande un plan d’économie aux « managers » (nouvelle appellation ministérielle pour les directeurs !)
  • ​ Marisol Touraine, comme hier Roselyne Bachelot, ne demande pas de suppression d’emplois mais​ l​es  « managers » devront s’en charger pour assurer le retour à l’équilibre financier de leur établissement !
  • ​La solution préconisée est de développer les activités « rentables » (sic), faire payer ce qui est gratuit (exemple: un conseil par téléphone ou par internet…), »​professionnaliser » (sic !) le codage (c’est-à-dire la facturation à la Sécu), etc.

Subrepticement, on pointe auprès des praticiens les activités « rentables », telle l’opération de la cataracte en ambulatoire, la dialyse, la chirurgie de l’obésité, la césarienne (on pousse donc les hôpitaux publics à faire plus de césariennes inutiles, comme le font déjà les cliniques privées à but lucratif pour les actionnaires)… et nouveauté aujourd’hui : la neurochirurgie ! (Pour cette dernière, on met en avant une expérimentation financière à l’hôpital de Clermont-Ferrand.)
La communication ministérielle est réorganisée de ce fait pour permettre la jubilation du praticien hospitalier qui privilégie le « rentable » et les congratulations du « système » au dit praticien déclaré « rentable » ! Ce que tout citoyen éclairé doit comprendre est que l’on doit de moins en moins se préoccuper de la pertinence et de la qualité des soins, mais beaucoup plus de leur rentabilité. Désormais le service public hospitalier ré-institué dans la loi par la ministre sera dirigé par des « managers » développant des activités « rentables ». Voila comment la novlangue prépare la privatisation de l’hôpital public.

A moins que la communauté médicale hospitalière dise NON, comme à Marseille ou … que les assurés sociaux, devenus citoyens éclairés, commencent à demander des comptes à leurs élus en matière de santé et de protection sociale en se mobilisant à leur tour. ​

La complémentaire santé pour tous : mode d’emploi

Essayons de comprendre l’usine à gaz des néolibéraux. L’Accord national interprofessionnel (ANI) signé entre le Medef et les syndicats complaisants envers le néolibéralisme (CFDT, CGC, CFTC) est un accord qui au lieu d’augmenter les cotisations et les prestations de la Sécurité sociale a décidé d’augmenter les cotisations des complémentaires santé. Très bon pour ceux qui veulent à terme privatiser la Sécurité sociale mais pas bon pour les salariés puisque les frais de gestion des complémentaires santé sont au moins trois fois supérieurs à ceux de la Sécurité sociale. Ce sera obligatoire à compter du 1er janvier 2016 pour tous les employeurs. Ce ne sera donc pas universel !

Le panier de soins minimal de cette complémentaire santé sera inférieur au panier de soins de la couverture médicale universelle complémentaire (CMU- Complémentaire) et ne s’appliquera qu’au salarié et non à ses ayants droits comme sa famille. Non universel pour cette deuxième raison.

Pour que le contrat reste « responsable », il faudra limiter les remboursements à 125 % du tarif dit opposable. Faire cela au lieu d’interdire les dépassements d’honoraires et d’assurer une couverture du territoire pour toutes les spécialités, c’est défavoriser les assurés sociaux qui vivront dans certains départements où la pénurie de praticiens de secteur 1 est patente.

Le salarié ne sera pas couvert par une seule couverture mais par 4.

  • Le premier niveau sera le socle minimal ANI pour tous les salariés.
  • Le niveau 2 sera une surcomplémentaire collective dans l’entreprise pour certains salariés mais pas d’autres! 3ème cas de non -universalité de la prestation. L’entreprise prendra en charge 50% du coût.
  • Le niveau 3 dite surcomplémentaire collective pour prendre en charge les dépassements d’honoraires  hors contrats responsables sera à la charge du salarié
  • Le niveau 4 est une surcomplémentaire individuelle à la charge du salarié

Et n’oublions pas que la loi favorise le choix de la complémentaire santé fait par le patronat. Si, après cela, il n’est pas clair que  cette loi rentre dans une offensive contre la Sécurité sociale et pour la future privatisation de la Sécu, il ne nous reste qu’à prendre notre bâton de pèlerin pour l’expliquer encore et encore. ..