Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
A la une
Rubriques :
  • A la une
  • A lire, à voir ou à écouter
  • ReSPUBLICA
  • lettre 787

Penser la République sociale pour le XXIe siècle, un livre de B. Teper et P. Nicolas

par Monique Vézinet

 

« Que voulons-nous, nous socialistes ? Nous voulons créer peu à peu de vastes organisations de travailleurs qui, devenues maîtresses du capital, s’administrent elles-mêmes, dans toutes les parties du travail humain, sous le contrôle de la Nation. »

Jean JAURÈS, Socialisme et liberté

Cet ouvrage en deux tomes parus au premier semestre 2015 chez Eric Jamet éditeur (voir la boutique de ReSPUBLICA pour les commander) est écrit par deux collaborateurs du journal, Bernard Teper et Pierre Nicolas. Pour les lecteurs intéressés par nos contenus, c’est l’occasion de trouver réunies un certain nombre de propositions déjà présentes dans nos articles, pour en mieux voir la cohérence et les approfondir.
Les quatre-vingts premières pages du livre donnent une vue d’ensemble du cadre théorique dû à Marx, sans oublier la dimension stratégique due à Gramsci, et au contexte actuel de crise mondiale du capitalisme, avant de caractériser le modèle politique de la République sociale proposé à la gauche de gauche. Une République qui ne se contente pas d’être « plus sociale » mais emprunte à Jaurès « l’idée de propriété sociale des moyens de production […] point lumineux où tous les vrais révolutionnaires se rallient  » et s’enracine dans l’histoire de notre pays et les aspirations déçues du siècle passé..
Cette République sociale pour le siècle présent est précisée dans ses principes fondateurs, dans ses ruptures nécessaires avec le modèle actuel, dans ses exigences indispensables à l’alternative et sa stratégie de l’évolution révolutionnaire, pensée d’abord par Marx, reprise par Jean Jaurès et que les auteurs proposent de prolonger.

Deux stratégies principales pour atteindre la République sociale sont exposées dans l’ouvrage :
– la socialisation progressive (et sans expropriation) des moyens de production d’une part, par un mécanisme d’attribution aux salariés d’actions non rémunérées ;
– une vaste réforme de la Sécurité sociale par son extension à la Sécurité économique, d’autre part, permettant la mutualisation du risque entre l’ensemble des salariés et des entreprises.
Ces deux idées phares sont détaillées dans les « bonnes feuilles » qui suivent dans ce numéro. On pourra également les retrouver sous une forme graphique dynamique, voire amusante, particulièrement appropriée à l’éducation populaire, dans deux diaporamas signalés en tête des textes. Si certains développements dans le livre sont plus techniques lorsqu’ils décomposent la valeur ajoutée, les fonds propres de l’entreprise ou le coût moyen pondéré du capital (WACC), le lecteur ne sera jamais piégé par les chiffres et il faut saluer la vigueur et la clarté du style. Tout juste peut-on regretter les allers-retours et redites auxquels oblige la division en deux tomes (également indispensables!).

Et pour vous donner plus encore l’envie de lire l’ouvrage, j’aimerais donner un aperçu de trois autres chapitres.

« Les « idéologies de substitution » à la République sociale. Diverses solutions prônées par la gauche de transformation sont passées en revue pour en démontrer le caractère illusoire ou insuffisant : le revenu universel, le salaire à vie, le partage des richesses (« faire payer les riches ») ou celui du travail (la réduction du temps de travail sans gains de productivité correspondants), l’« écologie politique » et le moralisme écologique, enfin le partage de la gouvernance dans l’entreprise (stakeholders capitalism) sans remise en cause de la propriété privée des moyens de production. L’échec de ces tentatives de transformation est patent depuis que les contradictions du capitalisme se développent.

L’inefficacité du capitalisme aujourd’hui. Ingénieur et syndicaliste CGT dans un grand groupe automobile, Pierre Nicolas dispose d’observations prises au cœur de l’appareil industriel. Il montre comment l’hypertrophie de la gouvernance s’accompagne de méthodes contre-productives (le management « par objectifs » qui privilégie l’individualisation au détriment de la coopération, le management « par le budget » qui favorise une concurrence interne inadaptée). Inefficaces mais nécessaires pour garder le contrôle sur les salariés. Loin de l’idée que c’est le niveau élevé des salaires qui handicape l’industrie française, l’auteur montre l’impact de ces modes de fonctionnement sur les coûts de production, ce qui l’autorise à considérer que la fin du mode de production capitaliste est inévitable.

La crise du syndicalisme. Si on se reporte à l’affirmation posée par la Charte d’Amiens de la nécessité de la « double besogne » à laquelle doivent s’atteler les syndicats – défense des intérêts immédiats des travailleurs et participation à la transformation de la société -, il est clair que les revendications matérielles subsistent pratiquement seules sous l’effet du « tabou de la propriété » qui s’est emparé du mouvement syndical depuis l’abandon des pulsions révolutionnaires des années 60-70. Ce qui est proposé aux syndicats pour sortir de cette crise, c’est la possibilité de renouer avec le projet jaurésien de République sociale. Un développement intéressant concerne l’ignorance dans laquelle se tiennent mutuellement les ouvriers de production et les ingénieurs des bureaux d’études, et l’appel fait à leur coopération dans des projets alternatifs innovants.

« Un GPS pour la gauche de gauche » comme le revendique la couverture de l’ouvrage ? Assurément, même si de nombreux aspects restent ouverts au débat.

Lire le chapitre Une grande réforme de la propriété : la socialisation progressive
Lire le chapitre Une grande réforme de la Sécurité sociale : son extension à la sécurité économique

Bonnes feuilles
Rubriques :
  • Bonnes feuilles
  • Economie
  • ReSPUBLICA
  • lettre 787
  • Socialisme

"Une grande réforme de la propriété : la socialisation progressive"

Penser la République Sociale pour le XXIe siècle. Tome I

par Bernard Teper

 

NDLR – Extrait abrégé des pages 186 à 224 de Penser la République Sociale pour le XXIe siècle. I – De la cité à l’atelier (Eric Jamet éditeur, 2015). Pour une présentation graphique de ce qui suit, voir aussi le diaporama associé : Les vaches de M le comte.

°
°     °

La socialisation progressive reprend le flambeau des grandes réformes de la propriété, comme l’ont été l’abolition des privilèges féodaux en 1789 ou les nationalisations en 1945 et 1981, et la voie tracée par Jean Jaurès.

« L’expérience montrera que les réformes les plus hardies peuvent être des palliatifs, mais tant qu’elles ne touchent pas au fond même de la propriété capitaliste, elles laissent subsister la racine amère des innombrables souffrances et des innombrables injustices qui pullulent dans notre société. ». La Dépêche, le 18 décembre 1895, cité par Charles Sylvestre

« Nous demandons que tout individu humain, ayant un droit de copropriété sur les moyens de travail qui sont les moyens de vivre, soit assuré de retenir pour lui-même tout le produit de son effort, assuré aussi d’exercer sa part de direction et d’action sur la conduite du travail commun. »
« Quand le prolétariat socialiste aura été porté au pouvoir par les événements, par une crise de l’histoire, il ne commettra pas la faute des révolutionnaires de 1848 : il réalisera d’emblée la grande réforme sociale de la propriété
». Socialisme et Liberté, 1898.

Cette réforme de la propriété serait le résultat de l’abolition, à l’instar de la nuit du 4 août 1789, d’un privilège fondateur du capitalisme et du salariat : ce privilège qui octroie, au capital seul, la propriété de la totalité des moyens de production nouveaux créés par autofinancement, alors qu’ils sont le résultat de la combinaison productive du capital et du travail.

La seule abolition de ce privilège entraînerait progressivement un transfert de la propriété des entreprises du capital vers le travail, d’abord de la minorité de blocage (33% du capital), puis de la majorité du capital des entreprises au bout de quelques années, en l’absence d’apport de capitaux nouveaux par les marchés financiers.
Les salariés ne seraient plus alors des salariés, mais ce que Karl Marx appelait des travailleurs associés.
Ainsi serait assuré le contrôle à la racine de la création et de la répartition des richesses.

Le Socialisme d’État au XXe siècle

La propriété d’ État n’est qu’une des dimensions de l’alternative à la propriété capitaliste.

Au XXe siècle, l’alternative au capitalisme a été longtemps incarnée par le communisme soviétique, le « communisme réel ». Mais ce qui devait être le socialisme s’est avéré être une forme de capitalisme d’État, et a échoué. Cet échec a laissé un grand vide.

En France, la « nationalisation des principaux moyens de production et d’échange », en 1945 puis en 1981, devait aussi être le fondement d’une alternative au capitalisme. Certes, les entreprises nationalisées ont été un formidable moteur de progrès, sur le plan social comme sur le plan économique, pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Et les privatisations des années 90 ont livré notre industrie aux appétits du capitalisme financier.

Mais le monde du travail a déjà fait l’expérience des nationalisations et d’être salarié de « l’État patron ». Il ne peut désormais plus croire au seul « socialisme monopoliste d’État » pour changer la société.

La propriété d’État n’est heureusement pas la seule alternative à la propriété capitaliste. Elle n’est qu’une des dimensions de cette alternative, comme le décrivait Jean Jaurès :

« Et par quelle confusion étrange dit-on que, dans la société nouvelle, tous les citoyens seront des fonctionnaires ? […] Les fonctionnaires sont dans la dépendance du gouvernement, de l’État. […] Les fonctionnaires sont des salariés : les producteurs socialistes seront des associés. […] Dès maintenant, le prolétariat répugne à toute centralisation bureaucratique.
Il tente de multiplier les groupements locaux, les syndicats, les coopératives ; et, tout en les fédérant, il respecte leur autonomie : il sait que, par ces organes multiples, il pourra diversifier l’ordre socialiste, le soustraire à la monotonie d’une action trop concentrée.
En fait, il n’y a qu’un moyen pour tous les citoyens, pour tous les producteurs, d’échapper au salariat : c’est d’être admis, par une transformation sociale, à la copropriété des moyens de production. » Socialisme et Liberté, 1898

Le principe de la socialisation progressive

La socialisation progressive des entreprises ferait coexister deux types de propriétaires :

  • les actionnaires, qui détiennent des titres de propriété, les actions, donnant droit à dividende.
  • Les salariés, qui détiennent des titres de propriété, les actions de travail, ne donnant pas droit à dividende.

Actions et actions de travail donnent les mêmes droits, à l’exception du droit à dividende. Elles ont la même valeur nominale. Elles donnent les mêmes droits de vote en assemblée générale.

Les actions de travail sont incessibles et ne peuvent donc être ni cotées ni mises sur le marché.

Les propriétaires sont propriétaires collectivement. Il ne s’agit pas d’actionnariat : on n’est pas actionnaire de l’ascenseur de son immeuble. Un paysan n’est pas actionnaire de sa terre.

Il s’agit ici de la propriété au sens du droit, définie par les trois droits qui la composent :

  • Usus : droit de décider de l’utilisation
  • Fructus : droit de bénéficier des fruits
  • Abusus : droit de vendre et modifier

Les propriétaires disposent de ces trois droits sur l’outil de production1.

Pourquoi des titres de propriété non rémunérés ?

Parce que l’objectif des socialistes est l’abolition de la rente, qu’elle soit foncière, industrielle ou financière. Toute richesse provient du travail, toute rente est un prélèvement sur le travail d’autrui. Notre objectif est la substitution progressive des capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés, à l’image du paysan propriétaire de sa terre qui vit de son travail sans verser de rente.

Une première étape a été franchie en 1945 lors de la création de la Sécurité sociale, car elle est financée par répartition et non par capitalisation au moyen de fonds de pension rémunérés.

Pour les capitaux nouveaux issus de l’autofinancement des entreprises, la socialisation progressive permettra également la substitution progressive de capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés.

En ce qui concerne les capitaux existants, la proposition décrite ici est associée à une autre proposition de transformation sociale, la « Caisse de Sécurité Sociale et Économique»2. Cette caisse serait l’extension du principe de la sécurité sociale à une caisse de sécurité économique. Elle permettait un financement mutualisé des entreprises, et la substitution progressive des fonds privés propriétaires du capital des entreprises par des capitaux mutualisés non rémunérés3.

Qui détient les titres de propriété ?

L’entreprise est une communauté de travail. La contribution de chacun s’intègre dans un tout. Les actions de travail ne sont donc pas détenues par chaque travailleur isolément.

Elles sont détenues collectivement par la communauté de travail de l’entreprise, auquel la loi donnera la personnalité morale, dénommée « société des travailleurs de l’entreprise X.

Qui exerce les droits associés aux titres de propriété ?

Les droits de vote en assemblée générale des actionnaires détenus par la société des travailleurs sont exercés par ses mandataires, ainsi que sa représentation au conseil d’administration. Ses mandataires sont élus selon les statuts de la société des travailleurs. Ces statuts sont déterminés par la société des travailleurs dans le cadre de la loi qui réglemente la propriété des entreprises et qui impose une élection au suffrage universel direct du comité de direction des sociétés de travailleurs.

Par l’intermédiaire de la société des travailleurs, les travailleurs sont leur propre employeur, au prorata de leur part. Ils ne sont donc plus des salariés, mais des travailleurs associés.
[…]

L’attribution des titres de propriété

Quel est le principe d’attribution des titres de propriété ?

Les titres de propriété sont appelées « actions de travail ». À l’image de l’abolition des privilèges féodaux en 1789, les actions de travail sont le résultat de l’abolition d’un privilège fondateur du système capitaliste.

Quel est ce privilège ?

Principe...

Dans le système capitaliste, la totalité du capital accumulé appartient aux actionnaires, alors que cette accumulation est le résultat de la combinaison du capital et du travail.
Chaque année, en fin d’exercice, les fonds propres4 augmentent par incorporation des bénéfices non distribués. C’est le mécanisme d’accumulation du capital.

Reprenons l’analogie des vaches de M. le comte.

M. le comte de Plessis-Sellière hérite de son grand père et achète 100 vaches. Il embauche des salariés pour nourrir les vaches, les soigner, produire le lait, s’occuper des veaux. M. le comte ne met pas les pieds à la ferme et vit l’hiver à Cannes et le reste du temps à Neuilly.

10 ans après, il y a 200 vaches. À qui appartiennent les 100 vaches supplémentaires ?

Dans le système capitaliste, tout appartient à M. le comte, et c’est légal. Pourtant, en toute justice, c’est du vol. Car ces 100 vaches supplémentaires sont surtout le résultat du travail des salariés de la ferme, et pas seulement du capital initial. Mais pas selon le droit capitaliste.

Ce mécanisme est le moule duquel sort la classe dominante.

Dans les grandes entreprises, l’accumulation du capital provient essentiellement de ce mécanisme : l’autofinancement. Ainsi les sociétés du CAC 40 ont actuellement un taux d’autofinancement de leurs investissements de 120 %.
C’est-à-dire qu’elles sont financées par autofinancement, et non par la bourse5, ni par le crédit6.

L’idéologie capitaliste est analogue à un célèbre conte pour enfant : l’histoire de Jack et du haricot magique. « L’entrepreneur » sème une graine, un haricot géant pousse tout seul, et tous les sacs d’or sont à lui !
Mais, dans le monde réel, les haricots ne poussent pas tout seul, et les graines magiques n’existent pas, même si certaines poussent plus vite que d’autres.

L’abolition de ce privilège est une exigence universelle de justice. Cette exigence figure même dans la doctrine sociale de l’Église.7

Quel est en pratique le mode d’attribution des titres de propriété ?

La propriété de l’augmentation des fonds propres est le résultat de la combinaison du capital et du travail. Elle doit donc appartenir au capital et au travail selon leur contribution respective. Celle ci peut se mesurer au prorata des facteurs de production : le capital consommé dans la production, et le travail consommé dans la production. Sur le plan comptable, le capital consommé dans la production est comptabilisé par la rubrique Amortissement8. Le travail consommé dans la production est comptabilisé en Frais de personnel.

Ces données figurent dans les comptes des sociétés et dans les comptes consolidés (comptes de groupe). Chaque année, l’augmentation des fonds propres, hors augmentation par apports de capitaux9, est donc répartie entre les actionnaires et la société des travailleurs au prorata des amortissements et des frais de personnels, c’est-à-dire de leur contribution respective.

La part de l’augmentation des fonds propres revenant aux actionnaires est incorporée aux réserves, selon le mécanisme comptable en vigueur.

La part de l’augmentation des fonds propres revenant aux travailleurs est incorporée à une réserve spéciale, la réserve spéciale de propriété. La part de l’augmentation des fonds propres revenant aux travailleurs comprend deux parties :

– La part qui leur revient en tant que contribution du travail à l’augmentation des fonds propres,
– La part qui leur revient en tant que propriétaires, au même titre que les actionnaires.

Le nombre d’actions de travail correspond aux fonds propres détenus par les travailleurs.10

La Contribution relative du travail à l’augmentation des fonds propres est :

Travail consommé / (Travail consommé + Capital consommé)

La part qui revient aux travailleurs en tant que contribution du travail à l’augmentation des fonds propres est :

Augmentation des fonds propres par autofinancement x Contribution relative du Travail

La part qui revient aux travailleurs en tant que propriétaire d’une part du capital à l’augmentation des fonds propres est :

Augmentation des fonds propres par autofinancement x Contribution relative du Capital x Part du capital détenue par les travailleurs

L’augmentation des fonds propres par autofinancement est l’augmentation des fonds propres totale moins les apports en capital (émissions d’actions) plus les rachats d’actions par l’entreprise.

L’évolution dans le temps de la part de capital détenue

Reprenons l’image des 100 vaches initiales de M. le comte :

Une partie du lait (profit) est réinvestie pour nourrir les veaux.

Prenons une hypothèse de 10 % de croissance du cheptel par an (taux moyen du CAC40), une répartition 70%, 30% du travail consommé et du capital consommé (renouvellement du cheptel âgé).

La deuxième année, il y a donc 10 vaches de plus, soit 110 vaches. 7 appartiennent à la société des travailleurs, 3+100 = 103 à M. le comte. La société des travailleurs possède 7/110 = 6,4% du capital.

La troisième année, il y a 11 vaches de plus (10% en plus), soit 121 vaches.

Sur ces 11 vaches nouvelles, 70 % soit 7,7 vaches, appartiennent à la société des travailleurs en tant que contribution du travail à l’augmentation du capital.

Sur ces 11 vaches nouvelles, 30% soit 3,3 vaches, appartiennent aux propriétaires du capital.

Comme 6,4 % du capital appartient à la société des travailleurs et 93,6% à M. le comte, sur ces 3,3 vaches 6,4% appartiennent à la société des travailleurs, soit 0,2 vaches, et le reste à M. le comte, soit 3,1 vaches.

Sur les 11 vaches nouvelles, 7,7 + 0,2 = 7,9 appartiennent donc à la société des travailleurs, et le reste 3,1 à M. le comte.

Sur le total de 121 vaches, la société des travailleurs possède donc 7 + 7,9 = 14,9 vaches.

M. le comte possède donc 100 + 3 + 3,1 = 106,1 vaches.

La société des travailleurs possède 14,9/121 = 12,3 % du capital.

Et ainsi de suite.

Au bout de 10 ans, à partir des 100 vaches initiales, M. le comte possédera 135 vaches et la société des travailleurs 125 vaches, soit 260 vaches en tout.

Rappelons qu’il ne s’agit que d’un principe élémentaire de justice : à chaque facteur de production revient ce qui correspond à sa contribution économique.
Pour mettre en place ce principe il faut une grande loi de réforme de la propriété.
Pour que cette loi soit proposée au parlement il faut qu’elle soit proposée par une gauche de gauche.
Pour que la gauche de transformation propose une telle loi, il faut sortir du tabou de la propriété à gauche.
Pour que cette loi soit votée, il faut une majorité au parlement pour la voter.
Pour avoir une majorité il faut une volonté populaire majoritaire de changer de société.
Ce n’est ni plus facile ni plus difficile qu’en 1789…

« Quand le prolétariat socialiste aura été porté au pouvoir par les événements, par une crise de l’histoire, il ne commettra pas la faute des révolutionnaires de 1848 : il réalisera d’emblée la grande réforme sociale de la propriété ». Jean Jaurès, Socialisme et liberté, 1898

La société des travailleurs devient donc progressivement majoritaire si la famille de M. le comte, propriétaire des fermes de la région, n’apporte pas à la ferme de nouvelles vaches (apport en capital). Plus les actionnaires se comportent en rentier (pas d’apport de capitaux), plus la part de propriété détenue par les sociétés de travail augmente rapidement. Le bénéfice distribué par action est inchangé par la socialisation : seules les actions donnent droit à dividendes, les travailleurs de la société de travail étant propriétaires non lucratif (comme on est propriétaire de sa voiture : c’est une propriété d’usage). Les travailleurs sont rémunérés par leur salaire, ce qui ne préjuge pas de formes d’intéressements aux bénéfices éventuelles dans un cadre défini par la loi, et déterminées par les copropriétaires. Il n’y a pas expropriation : le capital détenu reste propriété de ses détenteurs, la loi n’étant pas rétroactive.

Que se passe-t-il en cas de pertes ?

Actuellement, quand une entreprise fait des pertes, ses fonds propres diminuent, ce qui ne modifie pas la répartition du capital entre les actionnaires.
Dans le système de propriété socialisée, c’est la même chose : les fonds propres diminuent et la répartition du capital entre les actionnaires et la société des travailleurs ne change pas. Si le nombre total de vaches diminue, le cheptel de la société des travailleurs et de M le comte diminuent proportionnellement.

L’évolution dans le temps de la part du capital détenue par la société des travailleurs dépend du taux de croissance des capitaux propres par autofinancement, des apports de capitaux extérieurs, et de l’intensité capitalistique de l’entreprise.

Le taux de croissance annuel des capitaux propres des sociétés du CAC 40 est de 14% entre 1997 et 2007, de 6,5% depuis 2007, et de 12% en moyenne entre 1997 et 2010. Les bénéfices distribués représentent en moyenne 5% des capitaux propres.

Quelques cas de figure

Cas mini : entreprise à croissance dans la fourchette basse (6,5 %), avec apport extérieur en capital important (5%, équivalent à 100% des bénéfices distribués), et une intensité capitalistique élevée (40%, définie par Amortissement/ Amortissement + Frais de personnel).
Dans ce cas, la minorité de blocage est atteinte au bout de 18 ans, et le capital conserve la majorité des droits de votes.

Cas moyen : entreprise à croissance dans la fourchette moyenne (10 %), avec apport en capital moyen (2,5%, équivalent à 50% des bénéfices), et une intensité capitalistique moyenne (30%).

Dans ce cas, la minorité de blocage est atteinte au bout de 6 ans, et la majorité des droits de votes au bout de 11 ans. Cas maxi : entreprise à croissance forte (14 %), sans apport en capital extérieur, et avec une intensité capitalistique faible (25%).
Dans ce cas, la minorité de blocage est atteinte au bout de 5 ans, et la majorité des droits de votes au bout de 8 ans.

Simulation sur PSA, Renault et L’Oréal

Si la loi de socialisation progressive avait été votée en 2000, […]es travailleurs seraient aujourd’hui majoritaires dans les trois entreprises.

PSA...

Dans le cas de L’Oréal, la contribution relative des salariés à l’augmentation des capitaux propres est très élevée, 85% en moyenne sur la période. Elle est plus faible chez Renault et PSA, 69% et 74% respectivement, qui sont des entreprises plus « capitalistiques », c’est-à-dire qui ont des moyens de production plus importants.

L’Oréal est une véritable « vache à lait pour actionnaires » : non seulement elle est très profitable, mais elle fait beaucoup de rachats d’actions, c’est-à-dire qu’elle « rend des capitaux au marché ». En conséquence, la part de capital détenue par les actionnaires diminue particulièrement vite, et celle des salariés augmente corrélativement (de même pour PSA en début de période).

Aucune des trois entreprises n’a fait appel significativement au marché boursier pour se financer (pas d’apport des actionnaires, c’est-à-dire pas d’augmentation de capital par émissions d’actions).

Ces trois entreprises sont un cas d’école d’actionnariat 100 % rentier.
Elles ont accumulé des capitaux propres en utilisant leurs ressources pour baisser leur taux d’endettement plutôt qu’investir, les investissements n’étant pas assez rentables par rapport aux taux de rentabilité exigés. En conséquence, la socialisation progressive joue pleinement.

Rappelons qu’il ne s’agit en aucun cas d’expropriation.

Les actionnaires conservent leurs actions, et reçoivent toujours la totalité du bénéfice distribué par l’entreprise, qui est inchangé dans cette simulation. Les actionnaires n’y perdent rien financièrement. L’impact sur le cours, d’ordre psychologique, est plus difficile à déterminer. Si le cours baisse, le PER baissera (Price Earning Ratio, prix de l’action par rapport au bénéfice par action), c’est-à-dire que ce sera un placement plus intéressant. Ceux qui vendront feront une mauvaise affaire…

Comme la socialisation est basée sur le partage de la croissance des fonds propres, les entrepreneurs conservent la totalité du contrôle de leur entreprise dans les sociétés qui n’ont pas de croissance significative de leurs fonds propres (ce qui est en général le cas dans l’artisanat, le petit commerce, les petites entreprises de service). À l’inverse, ce mécanisme de socialisation joue pleinement dans les entreprises qui concentrent la plus-value : les grandes entreprises capitalistes. Il entraîne progressivement l’abolition du salariat11 et son remplacement par les travailleurs associés, c’est-à-dire une transition du capitalisme au socialisme tel que défini par Karl Marx.

La socialisation, dépassement dialectique de la crise du salariat

La socialisation n’est pas seulement une exigence universelle de justice. C’est aussi le sens de l’histoire, c’est-à-dire le mouvement de dépassement des contradictions croissantes du système productif capitaliste.
Pourquoi ? Le PCF, à propos du communisme soviétique, mettait en exergue dans les années 80 «la méconnaissance de l’exigence universelle de démocratie dont le socialisme est porteur ».
Plus largement, cette exigence est celle du développement économique lui-même.

Le salariat, base du capitalisme, est aujourd’hui en crise. Cette crise a deux dimensions : mal-vivre et crise d’efficacité, comme nous l’avons analysé dans un chapitre précédent. En synthèse :

Le mal-vivre au travail

La volonté d’échapper au salariat, à l’entreprise privée, est très présente chez les jeunes générations, et le mal vivre au travail est devenu un fait de société.
Réduire ce mal vivre au travail aux seules conséquences du « mal travailler »1 ne prend pas en considération son autre composante : la liberté.

Mutations arbitraires, évaluations arbitraires, nominations arbitraires, réorganisations arbitraires, décisions arbitraires… Ce que les salariés vivent de plus en plus mal, ce n’est pas seulement leurs conditions de travail : c’est leur condition tout court ; leur condition de salarié.
Car être salarié, c’est être soumis aux ordres et directives de l’employeur (un employeur illégitime qui a une finalité autre que l’entreprise), à son pouvoir de contrôle, à son pouvoir discrétionnaire de récompense et de sanction.

Plus les salariés sont qualifiés, moins le travail est prescrit ; seul le résultat l’est. Avec l’individualisation des salaires, les « primes de performance » liées à des objectifs de résultats et de délai fixés lors des entretiens annuels, tout se passe comme si les salariés étaient, pour la part variable du salaire, de faux travailleurs indépendants payés pour leur prestation ; et pour la part fixe, des salariés (c’est-à-dire payés pour le « temps pendant lesquels ils sont soumis aux directives de l’employeur » selon la définition du code du travail).

Le salariat est à la fois en crise et en transformation.

Les salariés subissent aujourd’hui une double domination : la domination liée à la condition de salarié, et la domination commerciale du « donneur d’ordre » hiérarchique sur de faux travailleurs indépendants qu’il met en concurrence, mais qui ne maîtrisent ni leurs moyens ni leurs délais ni leurs tarifs.

Les nouvelles méthodes de management ne sont pas un signe de force du capitalisme. C’est un signe de faiblesse : une tentative pour garder le contrôle d’un salariat de plus en plus qualifié, de plus en plus autonome, et qui accepte et reconnaît de moins en moins son autorité, perçue comme illégitime et arbitraire. Et le patronat n’a pas la mémoire courte : 1936, 1944, 1968…

La crise d’efficacité du salariat

Plus le processus de production devient socialisé, coordonné, plus l’efficacité provient de la coopération, et plus les employeurs développent des méthodes de management par l’individualisation qui ont l’effet inverse.
C’est une contradiction montante du système capitaliste du fait même de la socialisation croissante du procès de production.

Un ancien dirigeant de Renault décrit ainsi les conséquences de cette complexité croissante, complexité des techniques, des produits, des marchés, des organisations : « l’efficacité vient avant tout de la dimension collective ; or il y a un trou noir qui absorbe la productivité collective. On n’a pas trouvé de solution pour faire face à la complexité ».12 C’est normal, cette solution est hors de portée du patronat !

Car la résolution dialectique de cette contradiction débouche sur l’abolition du salariat et du patronat, formes devenues dépassées du développement historique, comme l’esclavage le fût en son temps. Elle débouche sur « ces vastes organisations de travailleurs, qui, devenues maîtresses du capital, s’administreront elles-mêmes sous le contrôle de la nation » selon le rêve de Jaurès.

Tavailleurs, État, collectivités, actionnaires : des formes de propriété mixtes et diversifiées

La socialisation permet cette « diversification de l’ordre socialiste », ces « organes multiples » préconisés par Jean Jaurès.
La socialisation n’est pas la propriété exclusive des travailleurs, ni celle de la nation, ni celle des actionnaires : c’est la propriété de tous, au prorata de l’apport de chacun :

  • les pouvoirs publics, les collectivités locales, la « Caisse de Sécurité Sociale et Économique » au prorata de leurs apports en capitaux,
  • les actionnaires au prorata de leurs apports de capitaux,
  • les travailleurs au prorata de leur contribution à l’accumulation de capital par autofinancement (part du travail dans le total des facteurs de production utilisés, travail et capital).

Si les pouvoirs publics n’investissent pas dans l’entreprise, si les actionnaires ne sont que des rentiers, les travailleurs deviennent progressivement majoritaires. À l’inverse, si les pouvoirs publics investissent dans un secteur stratégique, par exemple l’énergie, les entreprises restent sous contrôle public. Il s’agit d’un choix du pouvoir politique qui détermine les secteurs stratégiques pour l’intérêt général. Car l’intérêt des travailleurs d’une entreprise donnée ne se confond pas avec l’intérêt général.

Quel financement pour le « contrôle de la nation » ?

Les aides publiques aux entreprises s’élèvent aujourd’hui au total à 170 milliards d’euros.
Il s’agit d’une contribution publique à fonds perdus à l’accumulation du capital privé, contribution directe quand il s’agit d’aide à l’investissement. En effet, l’outil de production résultant, bien que financé par des prélèvements sur les richesses crées par le travail, appartient en totalité au capital !

Le principe « fonds public, propriété publique », c’est-à-dire l’apport de fonds par des prises de participation au capital, et non par des subventions ou des exonérations de charge, permettrait aux pouvoirs publics et aux collectivités locales d’assurer que « ces vastes organisations de travailleurs, qui, devenues maîtresses du capital, s’administrent elles-mêmes », soient « sous le contrôle de la Nation », conformément au projet socialiste de Jean Jaurès, sans dépenses supplémentaires.

De même, la « Caisse de Sécurité Sociale et Économique», avec ses caisses primaires, ses caisses régionales, sa caisse nationale, financée par la cotisation, contribuera, en prenant des participations, à la diversification des formes de propriété et de contrôle.
[…]

Des licenciements vers le plein emploi

En effet, avec la socialisation, les acteurs économiques, en particulier les travailleurs, co-détermineront la politique des entreprises : politique industrielle, emploi, salaires.
Et si un groupe multinational voulait fermer un site en France, il devrait restituer aux travailleurs de la filiale, copropriétaire du site, mais aussi aux pouvoirs publics et aux collectivités locales s’ils ont apporté des fonds, leur quote-part de la valeur de liquidation des bâtiments, machines, stocks….
Et s’il abandonne ses parts, le site appartient mécaniquement aux propriétaires restant ! De quoi y réfléchir deux fois…

De plus, les travailleurs, qui possèdent déjà une part de l’entreprise, peuvent assurer la continuité de l’activité si elle est viable, sans les actionnaires, avec éventuellement le concours de la Caisse de Sécurité Économique et Sociale.
Par exemple, les travailleurs de Sea France, reprise en scop en 2012, auraient déjà été propriétaires d’une partie des ferries, et n’auraient pas eu besoin de louer leurs propres bateaux à Eurotunnel…
« M. Mittal ne peut pas produire d’acier sans nous. Mais, nous, nous pouvons produire de l’acier sans M. Mittal. » Syndicaliste de Florange, Arcelor-Mittal, 2011

Rapport de force : le socialisme dans un seul pays, une utopie réalisable

Quel rapport de force politique ?

Cette transition nécessite une « grande loi de transformation sociale », qui ne peut être le résultat que d’un rapport de force social, à l’instar de l’abolition des privilèges féodaux en 1789. Comme la proposition de socialisation progressive représente une alternative identifiable et opérationnelle au capitalisme, elle contribue par elle-même à ce rapport de force, en incarnant un projet de société, et une perspective pour les luttes sociales.

Elle peut fédérer au delà de la gauche de transformation, car elle fait résonance à des préoccupations du mouvement chrétien et du mouvement gaulliste, de part leur filiation avec les forces du CNR et le projet de « troisième voie » alternative à la fois au capitalisme et au communisme d’ État. Cette proposition fait également résonance avec la tradition autogestionnaire, celle du mouvement des coopératives, et l’écologie politique, qui sont attachés à la diversification des formes de propriétés.

Elle fait également écho aux traditions du monde du travail, du syndicalisme CFTC, CFDT et CGT, et à cette aspiration à la reprise en main de l’outil de production par les salariés qui émerge spontanément des luttes sociales pour l’emploi.

Le rapport de force politique n’est donc pas hors de portée. Un de ses principaux handicap est peut être à l’intérieur de la gauche de transformation elle-même, dans le « tabou de la propriété » qui règne à gauche. Après s’être opposé au courant anarcho-syndicaliste qui donnait la primauté à la conquête du pouvoir économique par les travailleurs en occultant la nécessité de la conquête du pouvoir politique, la gauche de transformation a donné à l’inverse la primauté à la conquête du pouvoir politique au détriment de la conquête du pouvoir économique « de l’intérieur » des entreprises.

Sa stratégie s’est centrée sur la maîtrise publique du crédit aux entreprises, une fiscalité incitative, une réglementation sociale plus contraignante, c’est-à-dire sur l’action sur les entreprises « du dehors » comme le disait Jean Jaurès. Après l’échec de la propriété d’État et du communisme au XXe siècle, devant la difficulté à « nationaliser les multinationales », la question de la propriété, et plus largement, celle du travail, a progressivement perdu de sa centralité dans la gauche de transformation à partir de la fin du XXe siècle.
Ce mouvement peut aujourd’hui s’inverser.

Quel rapport de force juridique ?

Il s’agira sans doute d’un des terrains de la résistance de la bourgeoisie rentière à la socialisation progressive.
Une des questions qui se posera est la conformité de cette loi à la constitution, en l’occurrence au droit de propriété, issu de la Déclaration des Droits de l’Homme qui a valeur constitutionnelle : Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité (Article XVII).
Ce texte a été la base de la bataille sur les indemnisations lors des nationalisations de 1981.

Mais la socialisation progressive ne prive pas les propriétaires de leur propriété. Elle restaure au contraire dans leurs droits ceux qui en sont injustement privés, car les biens nouveaux créés par la combinaison du travail et du capital sont aujourd’hui injustement accaparés par une des parties. Dans l’absolu, c’est nous qui serions légitimes à réclamer une juste indemnité pour l’expropriation passée, mais cette expropriation était alors conforme à la loi. La socialisation progressive n’est pas une atteinte au droit de propriété. C’est une extension du droit de propriété, dans l’esprit de la déclaration des droits de l’homme !

C’est une extension de la République, la République Sociale. La bourgeoise rentière, en particulier par l’intermédiaire de la commission européenne, pourra aussi arguer que la socialisation progressive est une « entrave à la concurrence libre et non faussée ». En effet, les entreprises socialisées ont un avantage compétitif en n’ayant pas à rémunérer la totalité de leurs capitaux propres (ce qui est d’ailleurs un des buts recherchés). Mais c’est un droit des propriétaires légitimes de ces capitaux, les sociétés de travailleurs…

Quel rapport de force économique ?

Les entreprises socialisées seront toujours en concurrence sur le marché mondial, dans un monde dominé par le capitalisme financier, et le mécanisme de cotation en bourse des entreprises.

Les entreprises socialisées pourront-elles résister à la pression des marchés financiers ? Oui. En effet, le bénéfice distribué par action étant inchangé par la socialisation (seules les actions « privées » sont rémunérés, tout le bénéfice distribué leur revient) les actions des entreprises de droit français, soumises à la loi sur la socialisation, n’ont pas de raisons objectives d’être significativement sous cotées par rapport aux autres actions en tant que placement. Cela ne signifie pas que cela n’entraînerait pas néanmoins de baisse des cours, car une partie de l’accumulation du capital échappe aux actionnaires.

Mais une baisse des cours n’a pas de conséquences autres pour une entreprise que le risque de prise de contrôle hostile, or pour les entreprises socialisées, la société de travail en détient une part incessible qui échappe à toute prise de contrôle. Et une baisse des cours facilitera à l’inverse la montée au capital de la Caisse de Sécurité Économique et Sociale et la substitution des capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés.
[…]

Prévenir l’apparition de nouvelles formes de domination

Il serait illusoire de croire que la suppression de la domination principale, la domination de classe, celle des possédants sur les travailleurs, suffirait pour se prémunir de toute forme de domination.
Comme le constatent souvent les praticiens de la santé au travail, des cas de comportements de domination, de harcèlement, de comportement claniques, existent partout, y compris dans des directions élues d’associations à but non lucratif ou dans des coopératives.

Les entreprises socialisées n’en sont pas protégées par leur seul principe.
En effet, comme le soulignait Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites. Pour qu’on ne puisse point abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Les entreprises socialisées peuvent aussi être tentées d’exploiter des positions dominantes vis à vis de leurs sous-traitants ou de leurs clients, par intérêt corporatiste. C’est pourquoi, pour que le pouvoir des représentants des « sociétés de travailleurs » trouve des limites, il est important que des formes multiples de propriété et donc de contrôle coexistent : travailleurs certes, mais aussi pouvoir publics, collectivités locales, Caisse de Sécurité sociale et Économique, afin d’éviter ce que Jaurès appelait la « verrerie aux verriers, simple contrefaçon ouvrière de l’usine capitaliste. » (République et Socialisme, 1901)

C’est pourquoi également il est essentiel que des syndicats, indépendants des instances syndicales dont peuvent être issus les dirigeants des « sociétés de travailleurs », assurent la représentation et la défense des « travailleurs associés » vis-à-vis de leur direction, fût-elle élue par eux.

« La notion vraie et le respect absolu de la liberté sont ce qu’il y a de plus rare en ce monde : nous sommes ainsi faits que nous nous sentons bien débarrassé du joug que si nous l’avons mis sur la tête d’un autre. L’histoire de plus d’un syndicat ouvrier contient de ces entraînements et de ces méprises. […] Les hommes se grisent vite du plaisir de faire sentir leur force. Les syndicats doivent toujours se rappeler à eux-mêmes, doivent toujours rappeler aux travailleurs que la seule vraie force, c’est le droit, et que le droit est en autrui comme il est en eux. » Jean Jaurès, La dépêche de Toulouse, 24 juin 1888

  1. Et non du seul fructus (aussi appelé « propriété lucrative ») auquel on réduit parfois abusivement le droit de propriété. Les salariés propriétaires sont donc propriétaires de l’actif de l’entreprise au même titre que les actionnaires : propriétaires des bâtiments, des machines, des stocks, de la trésorerie… La gestion de l’actif est assurée par la direction élue majoritairement par les propriétaires. Mais s’il veut fermer un site en France, un groupe devra restituer aux salariés leur quote-part de la valeur de liquidation des bâtiments, machines, stocks… De quoi y réfléchir à deux fois. []
  2. Voir http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/une-grande-reforme-de-la-securite-sociale-son-extension-a-la-securite-economique/7396511 []
  3. Selon une étude suisse, «The Network of Global Corporate Control », un noyau de 50 sociétés, essentiellement financières, contrôle une grande partie des 43060 sociétés transnationales étudiées. Il s’agit d’une concentration sans précédent du pouvoir économique par une caste oligarchique. Les sociétés par actions disposent déjà de la personnalité morale, tandis que les salariés d’une entreprise n’ont actuellement aucune existence juridique collective. []
  4. Les fonds propres (ou capitaux propres) d’une société sont la différence entre ce que la société possède (bâtiments, machines, titres, prêts, stocks, trésorerie..) et ce qu’elle doit (endettement). C’est la valeur comptable de la société. […]. []
  5. La bourse ne finance pas les entreprises du Cac 40 : les apports en capitaux sont inférieurs aux dividendes versés, auxquels il faut rajouter les rachats d’actions (source : étude annuelle « Profil du CAC 40 », cabinet Ricol, Lasteyrie & Associés). []
  6. L’endettement moyen des entreprises du CAC 40 est en baisse sur longue période (source : idem ci-dessus). En ce qui les concerne, le recours au crédit se limite donc pour l’essentiel au renouvellement des emprunts arrivés à échéance. Ce besoin de refinancement permanent rend néanmoins les entreprises dépendantes des marchés et des agences de notations qui influent sur les taux d’intérêt. []
  7. « […] de nos jours les grandes et moyennes entreprises obtiennent fréquemment, en de nombreuses économies, une capacité de production rapidement et considérablement accrue, grâce à l’autofinancement.
    Il serait donc radicalement faux de voir soit dans le seul capital, soit dans le seul travail, la cause unique de tout ce que produit leur effort combiné ; c’est bien injustement que l’une des parties, contestant à l’autre toute efficacité, en revendiquerait pour soi tout le fruit.
    Il peut être satisfait à cette exigence de justice en bien des manières que suggère l’expérience. L’une d’elles, et des plus désirables, consiste à faire en sorte que les travailleurs arrivent à participer à la propriété des entreprises, dans les formes et les mesures les plus convenables
    . » Vatican II, Encyclique « Mater et Magistra » Jean XXIII, 1961. []
  8. Hors amortissement des frais d’études, qui est une opération comptable pour augmenter artificiellement les bénéfices à court terme. []
  9. Apport de capitaux par émissions d’actions nouvelles (augmentation de capital). []
  10. Exemple : M. le comte avait au départ 1000 actions et 100 vaches. Il y a aujourd’hui 200 vaches, dont 150 à M. le comte et 50 à la société des travailleurs (25% du cheptel). M. le comte a toujours ses 1 000 actions, la société des travailleurs à 333 actions de travail (333 = 25% du total des actions, soit 1000 + 333 =1333 actions). []
  11. Par définition du salariat, un salarié est un travailleur qui met pendant un certain temps sa force de travail à disposition d’un employeur propriétaire de l’outil de travail, en échange d’un salaire. Le temps de travail est le « temps pendant lequel le salarié est soumis aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles » (définition du code du travail). Un travailleur isolé qui est son propre employeur est par contre un travailleur indépendant (auto entrepreneurs, professions libérales…). Les travailleurs propriétaires de leur outil de travail sont des associés et non des salariés. []
  12. Patrick Pelata, intervention au colloque « Soigner le travail », Sénat, décembre 2011. []
Rubriques :
  • Bonnes feuilles
  • Economie
  • Protection sociale
  • ReSPUBLICA
  • lettre 787

Une grande réforme de la Sécurité sociale : son extension à la sécurité économique

"Penser la République Sociale pour le XXIe siècle". T. II

par Bernard Teper

 

NDLR – Extrait abrégé des pp. 219 à 240 de Penser la République Sociale pour le XXIe siècle. II – Du salariat aux travailleurs associés (Eric Jamet éditeur, 2015). Pour une présentation graphique de ce qui suit, voir aussi le diaporama associé :  Sécurité Economique et Sociale.

°
°      °

Le principe

La proposition de Caisse de Sécurité Économique à l’ambition de répondre à un objectif concret fédérateur : « La garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaire pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes ». Ordonnance de 1945 sur la Sécurité sociale

En synergie avec la socialisation progressive, la Caisse de Sécurité Économique supprimera la précarité. Elle permettra d’assurer la sécurité de l’activité de production pour l’ensemble des acteurs (salariés, travailleurs non salariés, entreprises, entrepreneurs) par mutualisation du risque, selon le même principe que la Sécurité sociale et par un système de cotisations des entreprises dont la double assiette sera la valeur ajoutée nette (c’est-à-dire les richesses produites)1 et les profits non réinvestis dans l’appareil productif. (L’intérêt de cette double assiette est de pouvoir avoir un taux élevé sur la part des profits non réinvestis dans l’appareil productif sans pénaliser l’investissement productif.) Cette Caisse organisera donc par la loi une solidarité économique entre les entreprises, grandes et petites, face aux variations d’activité.

La Caisse de Sécurité Économique se substituera aux employeurs pour financer la baisse du temps de travail en cas de baisse de commandes, et assurer le maintien des salaires, ainsi que la continuité du contrat de travail et de la rémunération en cas de graves difficultés économiques ou de disparition de l’entreprise.

L’assiette du financement de la protection sociale sera donc proportionnelle à l’activité (valeur ajoutée nette), en contrepartie de maintien des effectifs en cas de baisse d’activité, en particulier pour les petites entreprises qui, parfois, ne survivent pas à une baisse temporaire de commande. En contrepartie, le recours au contrat à durée déterminé sera fortement pénalisé, et nous interdirons les licenciements boursiers.

En cas de suppression de poste, la Caisse de Sécurité Économique assurera le maintien de la rémunération, à l’image de ce qui existe actuellement, par exemple pour les enseignants, et qui sera étendu à l’ensemble des travailleurs. Elle étendra le principe fondateur de la Sécurité sociale, tel qu’il est déjà appliqué à la maladie et la maternité, à l’ensemble des situations où les travailleurs sont dans l’incapacité d’assurer leurs moyens d’existence par le travail pour des raisons indépendantes de leur volonté, en application du préambule de la constitution de 1946 (« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »)

La Caisse de Sécurité Économique apportera aux entreprises des fonds propres, obtenus par mutualisation, sans le besoin de recourir à des fonds extérieurs privés. En tant qu’institution collective des travailleurs, elle sera donc propriétaire d’une part des entreprises, comme le proposait Jaurès.

Elle fournira également des financements longs, par le crédit à taux bas ou nul pour les TPE/PME. En association avec la socialisation progressive, elle éliminera progressivement les capitaux privés des entreprises pour leur substituer des capitaux socialisés, ce qui assurera donc la sortie du capitalisme par la disparition des rentiers en tant que classe.

Les caisses seront dirigées par des représentants élus des salariés (comme cela était le cas pour la Sécurité sociale jusqu’en 1963), élus sur liste syndicale, qui disposeront d’une majorité de sièges aux conseils d’administration des caisses. Des représentants des collectivités et des employeurs sont également associés à la gestion des caisses.

Outre sa finalité première, « la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaire pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes », la Caisse de Sécurité Économique et Sociale aura comme effets induits :

  • de faire reculer l’insécurité des personnes et des biens en assurant une rémunération aux personnes sortant de détention, comme à tout citoyen, et ainsi limiter les motifs économiques de la récidive et de la délinquance.
  • de favoriser les créations d’emploi, particulièrement pour les artisans et les PME, en limitant au salaire net effectivement versé le risque économique que représente une embauche en CDI pour les employeurs, et en protégeant les entreprises contre les aléas du marché.
  • de favoriser, plus généralement, la prise de risque entrepreneuriale (création d’entreprises, innovations, nouvelles activités, nouveaux produits…) grâce à la limitation du risque économique par la sécurité apportées par la Caisse de Sécurité Économique.
  • de permettre à tous de bénéficier des mêmes possibilités d’accès aux loisirs, à la culture, et aux vacances que les salariés des grandes entreprises qui disposent d’un Comité d’Entreprise, grâce aux activités proposées par le Comité d’Établissement de leur caisse départementale de rattachement.
  • de permettre une simplification et une efficacité administrative accrue, la Caisse départementale de Sécurité Économique et Sociale étant à terme un « guichet unique » pour toutes les questions relevant du travail, regroupant les fonctions actuellement assurée par les chambres de commerce et d’industrie, de la Sécurité sociale, et de Pôle emploi.
  • d’améliorer l’adéquation entre l’évolution des qualifications des travailleurs et les besoins de l’économie, la Caisse assurant le financement de la formation continue et sa maîtrise d’œuvre.

Les antécédents historiques

« Toutes les grandes révolutions ont été faites dans le monde parce que la société nouvelle, avant de s’épanouir, avait pénétré par toutes les fissures, par toutes ses plus petites racines, dans le sol de la société ancienne. » Jean Jaurès, Discours des deux méthodes, 1900

La Caisse intempéries du bâtiment et travaux publics (BTP), créée en 1946, se substitue aux employeurs pour verser les salaires en cas d’intempéries. Elle verse également les congés payés.
Elle est financée par mutualisation du risque sous la forme d’une cotisation des employeurs. La Caisse de Sécurité Économique est une forme d’extension à l’ensemble des branches du principe de la Caisse du BTP, pour parer à l’insécurité due aux « intempéries économiques ».

La Caisse de Sécurité sociale et économique est aussi une extension du système mis en place à la Libération dans la branche IEG (Industrie Electrique et Gazière), la CCAS, (Caisse Centrale des Activités Sociales). La CCAS (initialement CCOS) a été crée en 1947 sous l’impulsion du ministre communiste et ouvrier électricien Marcel Paul. Contrairement à une idée répandue, la CCAS n’est pas le « CE d’EDF ». Il s’agit d’une organisation de branche, qui couvre 157 entreprises, y compris des filiales de groupes étrangers en France. Elle a près de 700.000 ayants droit (actifs, retraités et leur famille). Il s’agit de l’organisation des travailleurs de la branche, gérée par eux, qui assure des activités mutualisées : accès pour tous à des centres de vacances, aux loisirs, à la culture, mais aussi formation, restauration collective, et assurances. Elle est associée à des structures locales, les CMCAS.

Dans la République sociale, cette organisation de travailleurs des IEG, très avancée, obtenue de haute lutte à la Libération, mais limitée à une branche où le rapport de force était plus favorable (les IEG), sera étendue à l’ensemble des travailleurs. La Caisse de Sécurité sociale et économique sera une « super CCAS » étendue à toutes les branches, et assurant à tous les travailleurs, y compris ceux des petites entreprises et les travailleurs disponibles (ie temporairement sans emploi), l’accès aux mêmes droits. Ce sera « l’association de tous les travailleurs associés. ».

A noter également que le principe de financement des retraites qui a existé jusqu’en 2004 à EDF-GDF, la « contribution d’équilibre », est aussi étendu dans la République Sociale à l’ensemble des travailleurs. A EDF-GDF, il n’y avait pas de « retraités » à proprement parler jusqu’en 2004, mais des agents actifs et des agents inactifs, dont les revenus étaient versés en fonction de leur qualification, au même titre que les agents actifs, avec un financement par les recettes de l’entreprise comme pour les actifs, donc sans cotisation assise sur les salaires. Sa limite était son périmètre restreint à une seule branche, sans mutualisation inter-branches, qui faisait reposer sur une seule branche le financement des retraites des agents inactifs de la branche, alors que le ratio entre actifs et inactifs était élevé dans la branche IEG. Dans la République sociale, la mutualisation sera étendue entre les branches.

Le principe de financement des retraites décrit plus haut est donc une extension de ce principe à l’ensemble des travailleurs et des entreprises, et la continuité du rêve de Marcel Paul et du CNR.

La Caisse de Sécurité Économique et Sociale est aussi la déclinaison du projet de Jean Jaurès, tel que décrit par Philippe Chanial (« La république, la question sociale et l’association », Annales de la recherche urbaine n° 89) :

Dès 1886, Jaurès dépose sur le bureau de la Chambre une proposition de loi relative à l’organisation générale des caisses corporatives de secours, de retraite et de coopération pour les travailleurs des diverses industries. L’inspiration associationniste de cette proposition est explicite. Jaurès se revendique de l’héritage de 1848. La fonction de ces sociétés, à la différence du système allemand, n’est pas seulement une fonction de protection.
En même temps qu’elle pourvoit au strict nécessaire, cette proposition « tourne les yeux de tous les travailleurs vers cet idéal d’indépendance économique […] que nos maîtres de 1848, avaient si présent, si lumineux au cœur et à l’esprit, l’émancipation définitive des travailleurs par l’association et le capital collectif ».
La fonction essentielle de ces caisses de retraite consiste à préparer les ouvriers à la pratique de l’association et à leur permettre la constitution d’un patrimoine collectif. Grâce à ce capital collectif, géré par les ouvriers eux-mêmes, ces sociétés démocratiquement élues et leurs conseils pourront réaliser leur mission véritable, devenir les « banquiers naturels des associations ouvrières », bref contribuer à financer graduellement l’appropriation collective, c’est-à-dire associative, des moyens de production.

Les modalités pratiques

Nous allons décliner ci-dessous une forme opérationnelle de la Caisse de Sécurité Économique et Sociale, car il s’agit d’une réforme concrètement applicable sous forme d’une loi. Il ne s’agit pas de simples déclarations théoriques, mais de vastes projets précis et pratiques, avec une forme juridique et économique définie. Diverses variantes des modalités pratiques proposées ci-dessous sont donc possibles.

La Caisse comprend des caisses départementales, régionales, et une nationale comme la Sécurité sociale actuelle, dont elle est une extension du principe. L’ensemble forme la Caisse de Sécurité Économique et Sociale.

  1. Les droits et obligations de l’assuré

  • Chacun, à sa sortie de sa formation initiale, s’il exprime le souhait d’occuper un emploi, est automatiquement affecté à la caisse de son département d’habitation, et signe un contrat de travail avec cette caisse.
  • La signature du contrat entre le travailleur et sa caisse de rattachement engage les deux parties. Par ce contrat, l’assuré (sur le plan social comme économique) exprime son souhait d’occuper un emploi et son acceptation de mettre sa qualification (en tant que redevable de l’investissement de la société dans sa formation) au service d’une communauté de travail, dans des conditions d’acceptation définies par la loi. En contrepartie la caisse lui est redevable d’une rémunération de 80 % du salaire correspondant à sa qualification dans sa convention collective de rattachement, si la caisse n’est pas en mesure de lui faire des propositions conformes aux conditions d’acceptations définies par la loi.
    Selon le code du travail, le salaire d’un salarié rémunère le temps de mise à disposition et non le travail fourni. Le salarié étant, au cours de sa vie active, soit à disposition de la caisse, soit à disposition d’un employeur, il est donc rémunéré par l’un ou l’autre respectivement. Il s’agit donc d’une extension du droit existant, une forme « d’extension du salariat tout au long de la vie ». À la situation de « privé d’emploi » (chômeur) se substitue donc un nouveau statut de « salarié disponible ».
  • En vertu du « droit à l’emploi pour tous », la caisse doit proposer un emploi correspondant à la qualification de l’assuré. Ce n’est donc pas à l’assuré de chercher un emploi, mais il lui est également possible de solliciter directement des employeurs.
  • L’assuré est sous contrat avec sa caisse de rattachement qui est son employeur de droit. Le statut de l’assuré qui occupe un emploi dans une communauté de travail est celui de «mise à disposition» au sens du code du travail.
  • Un salaire net de tout prélèvement est versé par l’employeur au salarié. Il ne peut être inférieur au minimum fixé par la convention collective pour le niveau de qualification de l’assuré, conformément au code du travail. Dans le cas d’une mise à disposition à durée déterminée, il est majoré de 20 %.
  • Nul n’est contraint de signer de contrat avec sa caisse de rattachement, et ce contrat est résiliable par les deux parties. Dans ce cas, les parties ne sont plus tenues à leurs obligations contractuelles respectives.
  • Chacun bénéficie d’une qualification mais nul n’est contraint en retour de mettre cette qualification au service d’une communauté de travail. Ainsi, en sortant de formation initiale, ou à n’importe quelle période de la vie active, chacun peut décider de ne plus mettre sa qualification au service d’une communauté de travail, par exemple pour élever des enfants. Dans ce cas, le contrat avec la caisse est rompu. Un nouveau contrat peut prendre effet à tout moment à l’initiative de l’intéressé (e).
  • La caisse peut également mettre fin au contrat si les obligations du bénéficiaire ne sont pas respectées, dans des conditions définies par la loi.
  • En cas de privation de liberté pour motif judiciaire, le contrat est suspendu, et reprend en fin de peine. Ainsi, toute personne privée de liberté à la garantie de pouvoir subvenir à ses besoins en sortant de détention, comme tout citoyen. Cette disposition contribue à diminuer à la source la troisième forme d’insécurité, l’insécurité des personnes et des biens.
  • Le contrat est maintenu lors de la cessation définitive d’activité, le bénéficiaire étant dispensé de ses obligations de mise à disposition de communautés de travail. Des cessations d’activité progressive (diminution progressive de temps de travail) peuvent être mise en œuvre dans des conditions définie par la loi, la caisse assurant le maintien de la rémunération.
    La caisse étant employeur de droit, le salarié bénéficie des droits attachés au contrat de travail : il bénéficie en particulier, y compris pendant les périodes où il est rémunéré par la caisse, du droit à la formation, du droit aux activités culturelles et sportives du comité d’établissement de sa caisse de rattachement. Ces droits sont ainsi étendus à l’ensemble du salariat, qu’il occupe un emploi ou non.
    Ces droits deviennent ainsi attachés à la personne tout au long de sa vie, et forment le nouveau statut des salariés tel que revendiqué par la CGT.
  • Le contrat stipule la durée hebdomadaire pendant laquelle le bénéficiaire souhaite mettre sa qualification au service d’une communauté de travail (temps plein ou temps partiel). La rémunération de 75 % correspond à cette durée au taux horaire conventionnel (par exemple elle est de moitié pour un souhait de mi temps).
  • Un travailleur qui ne souhaite pas mettre sa qualification au service d’une communauté de travail ne bénéficie pas des prestations de la Caisse de Sécurité Économique. Il peut selon ses souhaits :
    – ne pas avoir d’activité rémunérée s’il dispose d’autres moyens d’existence.
    – mettre sa qualification au service d’un employeur de droit public et avoir donc le statut de fonctionnaire, c’est à dire bénéficier également de la sécurité économique.
    – avoir une activité indépendante, sans être relié par contrat de travail à un employeur quelconque.
  1. Les travailleurs non salariés

Dans le cas d’une activité indépendante, les revenus sont issus de la vente de produits ou de prestations de service. Il s’agit donc également d’une activité à risque (l’insécurité commerciale), et ces travailleurs, chefs d’entreprises non salariés, artisans, commerçants, artistes, travailleurs indépendants de toute nature, doivent également bénéficier d’une sécurité économique, et la création d’activité de ce type doit être encouragée dans l’intérêt général.

Tout travailleur exerçant une activité indépendante, s’il estime qu’elle ne lui permet pas d’assurer ses moyens d’existence, peut redevenir assuré, à temps plein ou à temps partiel, dès qu’il en exprime le souhait.

Si un travailleur souhaite créer ou reprendre une activité indépendante, il peut recevoir, sous réserve d’acceptation de la caisse, un revenu temporaire de 75 % du salaire correspondant à sa qualification, pendant la période de mise en place de son activité, avec un maximum de deux ans. Il est alors en quelque sorte « mis à la disposition de lui même » par la caisse, en tant que travailleur indépendant qui est son propre employeur.

  1. Les droits et obligations des employeurs

Rappelons que « l’employeur » est ici une communauté de travail, suite à la socialisation progressive.

Dans le cas d’une mise à disposition à durée indéterminée, la mise à disposition est subordonnée à l’accord des deux parties (l’employeur et l’assuré).

Dans le cas d’une mise à disposition à durée déterminée, sur demande d’un employeur, l’assuré affecté à l’emploi l’est par la caisse, en respect des conditions d’acceptation définies par la loi.

  • Un salaire net de tout prélèvement est versé par l’employeur au salarié. Il ne peut être inférieur au minimum fixé par la convention collective pour le niveau de qualification de l’assuré, conformément au code du travail. Dans le cas d’une mise à disposition temporaire, il est majoré de 20 %.
  • En cas de difficultés économiques (baisse prolongée de commandes, interruption d’activité pour force majeure…), l’employeur peut diminuer le temps de travail. Dans ce cas, sous réserve d’acceptation par la caisse, l’employeur verse le salaire correspondant au temps de travail réalisé aux salariés, qui reçoivent le complément de la caisse.
    Ces dispositions permettent une sécurisation de l’activité économique pour les employeurs, elles facilitent l’adaptation aux variations d’activité, elles facilitent l’embauche et limitent le recours aux suppressions d’effectif (celles ci n’étant plus que des « remises à disposition de la caisse », et non des licenciements, puisque la caisse est employeur de droit). Les licenciements sont donc de fait supprimés.
  • L’employeur est responsable de sa gestion et de ses investissements. Par la mise en œuvre de la loi sur la«socialisation progressive», les communautés de travail deviennent progressivement leur propre employeur, en proportions variables avec les autres parties prenantes.
  • Il peut être mis fin à une mise à disposition à durée indéterminée, ou de manière anticipée pour une mise à disposition à durée déterminée, dans des conditions définies par le code du travail. La caisse assure à l’assuré la continuité du contrat de travail et une rémunération de 80 % au minimum de son ancien salaire.
    Cette différence, fixée ici à 20 % (pour une même qualification), entre le revenu d’un salarié disponible et celui d’un salarié qui contribue effectivement à une communauté de travail, est déterminée par la loi, selon ce que la société estime être une juste reconnaissance d’une contribution effective à une communauté de travail par rapport à une disponibilité.
  • Les employeurs sont responsabilisés collectivement. La cotisation forfaitaire des employeurs du département diminue s’ils augmentent leurs effectifs, et augmente à l’inverse s’ils diminuent leurs effectifs. En effet, la contribution forfaitaire est une contribution d’équilibre au niveau de la caisse départementale, c’est à dire que les contributions des employeurs du département couvrent les dépenses de rémunération des salariés disponibles du département. Une péréquation est assurée par les caisses régionales et par la caisse nationale pour compenser les inégalités de territoires. La contribution forfaitaire est majorée en cas de recours à des mises à disposition à durée déterminée.
  • Les caisses sont dirigées par des représentants élus des salariés, élus sur listes syndicales, qui disposent d’une majorité de sièges aux conseils d’administration des caisses. Des représentants des collectivités et des employeurs sont également associés à la gestion des caisses.
  1. Le financement de la Caisse

Dans le salariat, la cotisation est du salaire socialisé. Dans la République sociale, les travailleurs sont des producteurs associés. La cotisation devient donc de la production socialisée, et non du salaire socialisé.

L’employeur verse à la Caisse de Sécurité sociale et économique une cotisation forfaitaire, proportionnelle dans son principe à la Valeur Ajoutée réalisée (chiffre d’affaires moins consommations intermédiaires), en lieu et place des cotisations salariales et patronales actuelles assises sur les salaires individuels. Cette cotisation est donc proportionnelle à l’activité, ce qui limite fortement l’insécurité liée à la contribution fixe actuelle.

Cette cotisation forfaitaire est de 30 % de la valeur ajoutée brute environ (taux effectif actuel), soit 35,5% de la valeur ajoutée nette.
Plus précisément, les cotisations des entreprises seraient basées sur la double assiette, la valeur ajoutée nette (c’est-à-dire les richesses produites) et les profits non réinvestis dans l’appareil productif (L’intérêt de cette double assiette est de pouvoir avoir un taux élevé sur la part des profits non réinvestis dans l’appareil productif sans pénaliser l’investissement productif). Cette cotisation forfaitaire sur la VAN est aussi infiniment plus simple que le système actuel qui a une multitude de taux.2

Les dépenses supplémentaires nécessaires pour assurer « La garantie donnée à chacun en toutes circonstances » d’une rémunération de 80 % de celle correspondant à son niveau de qualification est de moins de 2% de la Valeur Ajoutée dans l’hypothèse de la situation de l’emploi actuelle. La plus grande partie de cette dépense proviendrait de la garantie de rémunération pour les moins de 30 ans, qui sont fortement touchés par la précarité et mal indemnisés aujourd’hui. Contrairement à ce qu’il peut sembler au premier abord, le financement d’une garantie de revenu pour tous n’est pas une difficulté majeure, d’autant plus qu’elle peut être mise en place progressivement, et que l’impact positif sur l’emploi de la Caisse de Sécurité Économique diminuera les dépenses de la caisse tout en augmentant ses recettes.

De même, le maintien des rémunérations en cas de baisse du temps de travail suite à une baisse d’activité ne pose pas de problème de financement majeur : au plus fort du ralentissement économique, en 2009, les dépenses pour le chômage partiel se sont élevées à moins de 400 millions d’euros en France, et 4,6 Mds € en Allemagne, ou ce système existe déjà de manière généralisée. Cela aurait représenté au maximum en France 0,3 % de la valeur ajoutée, en 2009 dans une situation exceptionnelle, c’est-à- dire que l’impact moyen de cette disposition sur le besoin de financement de la Caisse de Sécurité Économique est marginal. La suppression de la précarité pour les moins de 30 ans représente le besoin principal de financement.

  1. La contribution des caisses de Sécurité Économique et Sociale à la Socialisation des entreprises

La mise en place initiale du fonds de roulement (Fonds propres) des caisses est assurée par un prélèvement exceptionnel sur la trésorerie des grandes entreprises. En effet, le taux d’autofinancement des entreprises du CAC 40 est de 120 % et leur trésorerie s’élève à ce jour à 170 milliards d’euros, ce qui leur permet cette avance. En revanche, le taux d’autofinancement des PME n’est que de 50 %.

Ce capital est ensuite en partie réinvesti sous forme d’augmentation de capital dans ces entreprises, ce qui assure aux caisses la propriété d’une part du capital, et la restitution à ces entreprises de la trésorerie prélevée par cette opération comptable.

Les représentants des caisses exercent leur droit de vote correspondant en assemblée générale des actionnaires, et sont représentées au conseil d’administration le cas échéant.

Les caisses, dotées du statut d’établissement bancaire, peuvent utiliser l’effet de levier bancaire à partir de leurs fonds propres, et investir leurs fonds en apportant des fonds propres aux entreprises selon la politique décidée par les caisses. Elles peuvent également accorder des prêts aux entreprises de leur territoire.

Comme les caisses sont financées par la cotisation, il n’y a pas de risque de défaillance de caisse comme pour un système par capitalisation. Il s’agit d’un système de financement mutualisé : seule une faillite généralisée et soudaine de tout le système de production pourrait entraîner la faillite de la Caisse. Une éventuelle baisse importante de la bourse serait sans incidence pour la caisse : elle se traduirait par une baisse de la valeur de marché des actions détenues, mais celles-ci serait purement comptable car ces actions ne sont pas destinées à être revendues (à l’image des actions détenues par les entreprises, qui n’entraînent de moins-value ou de plus-value qu’en cas de revente).

Par l’ensemble de ces leviers, les caisses, organisations collectives représentatives des salariés, contribuent, avec les salariés des entreprises et les Pouvoirs publics, à la socialisation de l’économie.

  1. En moyenne, quand 10 € vont aux salaires super-bruts, 2 vont aux amortissements, 1 à l’investissement, 1 en profit non réinvestis. La valeur ajoutée nette est de 14 moins 2. []
  2. À noter que la commission économie du PCF est opposée à l’assiette Valeur ajoutée, celle-ci étant censée inciter à des externalisations.
    Au contraire, c’est le système actuel qui pousse à l’externalisation, car externaliser un salarié c’est aujourd’hui externaliser les « charges sociales » (assises sur les salaires) en même temps. Plus fondamentalement, cette opposition est l’expression d’un attachement au « salaire socialisé », c’est-à-dire au salariat, le salariat étant devenu « indépassable » idéologiquement à gauche suite au tabou de la propriété. []


Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org