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Chronique d'Evariste
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Zone euro : le plan C entre dans le débat

par Évariste

 

Le 18 janvier 1957, Pierre Mendès-France déclarait à l’Assemblée nationale : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement  »une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale. » Sa critique cinglante des traités de Rome montre le caractère prémonitoire de son analyse de ce qui fut la première pierre de l’ordolibéralisme dans la construction européenne.
Quant à ceux qui allaient constituer plus tard « les alters », ils n’ont vu la menace qu’en 1986, lors de la signature de l’Acte unique européen. D’autres membres de l’Autre gauche française actuelle ont même voté oui à Maastricht en 1992. Il a fallu le célèbre édito d’Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique de décembre 1997, intitulé « Désarmer les marchés », la création d’Attac et, plus tard, la bataille pour le non au traité constitutionnel européen (TCE) pour coaguler le non de gauche du 29 mai 2005 : 31,3% des voix exprimées. Ce non de gauche était plus important que le non de droite et d’extrême droite, mais aussi plus important que le oui de gauche. L’Autre gauche a donc fantasmé sur la possibilité d’un débouché politique de ces 31,3 % des voix. Errare humanum est, perseverare diabolicum ! Ce non de gauche au TCE ne correspondait à aucun oui pour une ligne et une stratégie cohérentes. Ces 31,3 % se sont déchirés autour de « mots magiques » qui structurent la multitude des organisations existantes. Les nostalgiques des impasses révolutionnaires d’hier ont développé un néo-gauchisme, les porteurs de solutions simplistes totalement idéalistes se sont comportés comme les messies d’une nouvelle alliance, les escrocs promoteurs du communautarisme anglo-saxon comme nouveau paradis de la révolution ont fait florès dans l’Autre gauche, tandis que d’autres se transformaient en syndics comptables pour protéger leur volume d’élus par des alliances à géométrie variable. Conséquence : le vote populaire des ouvriers et des employés pour le non de gauche se réfugie alors dans l’abstention et les responsables de l’Autre gauche française perdent totalement le lien avec les couches populaires qui avaient constitué la majorité des 31,3 % des voix.
Puis, en 2012, l’espoir suscité par les 11 % de Jean-Luc​ Mélenchon à l’élection présidentielle a été de courte durée. D’aucuns ont cru que ce rassemblement « à deux chiffres » pouvaient être un nouveau point de départ vers la reconstitution de la coagulation des 31,3% du non de gauche de 2005.​
Près de 70 % des ouvriers et des employés (qui représentent 53 % de la population française) se sont abstenus lors des élections de 2014 et 2015. Le débat s’est alors rétréci à l’intérieur des couches moyennes supérieures radicalisées (2 à 3 % maximum de la population) et des couches moyennes intermédiaires (24 % de la population). A partir de là, la messe était dite.
Dans ce monde étroit, le débat sur la zone euro fait florès entre les adeptes du plan A et ceux du plan B. Dans un premier temps, au sein de l’Autre gauche française, les adeptes du plan A étaient hégémoniques. On peut résumer leur position de la façon suivante : par une mobilisation massive du peuple, véritable tsunami européen, il est possible de construire un avenir progressiste au sein de l’Union européenne et de la zone euro. L’accord grec sur le mémorandum austéritaire du 13 juillet 2015 en Grèce a fait voler en éclat cette hégémonie fondée sur l’idée d’un « euro social » dans une « autre Europe ». Seule la direction du PCF est restée sur le plan A (avec néanmoins le soutien des principaux partis de l’Autre gauche européenne, comme Syriza, Podemos, le Bloc de gauche au Portugal, Die Linke en Allemagne).
En effet, la plupart des autres organisations françaises optaient pour l’adoption d’un plan B de sortie de l’euro à froid. Ou plutôt de l’un des plans B possibles : par retour à la monnaie nationale, par transformation de l’euro en monnaie commune, par adjonction de monnaies nationales parallèles.
Mais là où cela se complique, c’est que pour certains, ce plan B pourrait n’être qu’une menace pour négocier le plan A tout en étant prêt à ladite sortie. Pour les autres, il s’agit d’abandonner le plan A et de passer directement à un plan B.
On peut résumer la position des premiers (dont le PG dans sa position du congrès de Villejuif du début juillet dernier) de la façon sivante : dans la négociation avec la direction ordolibérale européenne, il faut avoir deux fers au feu, ces deux fers étant préparés : le plan A (on reste dans l’euro) et le plan B (on sort de l’euro). On choisit la solution en fonction des négociations, tout en annonçant clairement qu’il ne peut être question de rester dans la zone euro avec des politiques d’austérité.
Pour les autres, il faut tout de suite aller convaincre « les masses » de sortir de l’euro demain matin à 8h 30 avec l’une des trois variantes notées ci-dessus (retour à la monnaie nationale, remplacement de l’euro par la monnaie commune, monnaies nationales parallèles). Pour ceux-là, seul le plan B doit être proposé au peuple.​
Une autre variante B déclare que ce problème est tellement important qu’il faut abandonner tous les autres combats pour faire l’alliance souverainiste gauche-droite ou gauche-droite + extrême droite. Cette dernière variante est une variante de soumission à la droite, voire à l’extrême droite, et on n’a jamais vu dans l’histoire une sortie progressiste à froid dans ce type d’alliance. Le Conseil national de la Résistance a certes eu une sortie progressiste, mais ce fut grâce au rapport des forces favorable créé par la Résistance et l’axe PC-CGT durant la 2e Guerre mondiale. Excusez du peu !​
Pour l’instant, nul n’est prolixe pour dire ce qu’il y a dans son plan B au-delà des généralités ci-dessus​.
Les partisans de la transformation de la monnaie unique en monnaie commune (Lafontaine, Lordon, etc.) utilisent le mot « monnaie commune » comme un magique « Sésame, ouvre-toi ! », alors que la monnaie commune, c’est simplement le SME du début des années 80, qui a eu le succès que l’on sait ! Les autres donnent à la décimale près la hauteur de la dévaluation nécessaire pour ensuite entrer au paradis, mais ensuite ? Et bien sûr, chacun prépare son sommet européen du plan B. Sommet européen pour s’éloigner du débat au sein du peuple, sans doute. Un sommet européen du plan B a déjà eu lieu en Grèce cet été, un autre a eu lieu les 10 et 11 octobre dernier à Barcelone, un autre est prévu en novembre (avec cette fois-ci Oskar Lafontaine, le PG, etc.). En fait, chaque groupe européen fait son propre sommet européen du plan B.
Voilà pourquoi nous ne participerons pas à l’hallali contre Tsipras et Syriza, même si nous estimons que la signature de l’accord du 13 juillet ouvre la voie à une politique austéritaire encore plus forte. D’abord, parce que les 25 députés sortants qui ont fait en Grèce la campagne gauchiste d’Unité populaire ont été laminés car ils étaient coupés du peuple. Il ne sert jamais à rien d’avoir raison contre le peuple. Il est toujours préférable d’être « dans le peuple comme le poisson est dans l’eau » et faire alors son travail d’éducation populaire. Puis, parce le soutien populaire dont bénéficiait Tsipras, et qui a été clair le 5 juillet 2015 lors du référendum, se basait sur une contradiction insurmontable : refuser l’austérité dans le cadre de la zone euro. Et ce n’est pas au dernier moment, sans préparation, que l’on peut infliger au peuple grec la double peine de politiques d’austérité doublées d’un effondrement économique et social supplémentaire provoqué par une sortie de la zone euro dans les pires conditions.1

Présentation du plan C

Résumons notre position :
1) nous pensons qu’avoir le lien avec le peuple est une nécessité. Mais avoir le lien avec le peuple, c’est d’abord avoir le lien avec les couches populaires ouvrières et employées ! Et le lien avec les couches populaires, ce n’est pas un supplément d’âme, c’est le cœur du problème ! Et donc ce devrait être le cœur des actions militantes !
2) La formation sociale capitaliste dans laquelle nous sommes fonctionne avec des lois tendancielles et il faut les connaître pour pouvoir agir dessus, car on ne peut pas combattre ce qu’on a pas compris. Faisons une analogie : si on veut envoyer une fusée sur la Lune ou sur Mars, il faut connaître les lois de la physique : loi de la gravitation universelle, théorie de la relativité généralisée, etc. Une fois ces lois connues, on peut étudier comment les utiliser, comment les contrer, etc. Tout cela pour dire que pour construire un monde nouveau, il faut connaître les lois de fonctionnement et de développement du monde existant, car les seules volonté et persuasion ne suffisent pas. La formation théorique culturelle, économique et politique à un marxisme dialectique du XXIe siècle est indispensable. Elle doit s’accompagner d’un travail et des débats nourris sur la République sociale comme modèle politique alternatif. On n’avance pas sans savoir vers quoi on avance ! Voir nos livres sur http://www.gaucherepublicaine.org/librairie.
3) Ensuite et ce n’est pas le moindre, il faut élaborer une ligne, une stratégie, des tactiques. C’est le rôle des partis politiques. Mais oublier les points 1 et 2 ne permet pas de passer directement au point 3. Et aujourd’hui, la plupart des organisations oublient l’un des points 1 et 2 ou les deux.
4) Le plan A qui vise à prévoir des politiques progressistes dans le cadre de l’Union européenne et de la zone euro est une impasse car les traités européens de l’UE et la zone euro sont construits comme des carcans justement pour que les politiques progressistes soient impossibles.
5) Travailler à un plan B de sortie de la zone euro uniquement avec la volonté de convaincre est une idée hors sol. Tous ceux qui prônent cette idée le font à partir de considérations uniquement techniques et solipsistes avec des supposés néo-keynésiens de relance par la demande, solution que la crise du profit rend aujourd’hui inopérante. Tout simplement parce que le carcan de la zone euro et des traités de l’UE ne permettent plus son déverrouillage à froid. C’est trop tard ! Mais aussi parce notre adversaire n’est pas l’euro, mais la dynamique du capital. L’euro n’est là que pour soutenir la dynamique du capital. Se tromper d’adversaire principal, c’est accepter les leurres promus par l’hégémonie culturelle capitaliste.
6) Ce que nous appelons avec une pointe d’humour le plan C relève, pour nous, de la nécessité de partir de l’analyse du rapport dialectique entre d’une part la dynamique du capital, qui déterminera les fenêtres à partir desquelles le basculement peut s’opérer, et d’autre part la capacité organisationnelle et populaire de produire l’alternative une fois la fenêtre ouverte. Pour le dire autrement, c’est lors d’une crise paroxystique que les possibilités de sortie de l’euro sont ouvertes, à condition que le peuple mobilisé et ses organisations soient, à ce moment-là, en situation de « renverser la table ». Il faut donc se préparer à cette éventualité et non croire que tout cela va se réaliser par une simple campagne de conviction déclenchée par les couches moyennes supérieures radicalisées.
Voilà pourquoi nous devons susciter dans l’Autre gauche le débat entre les plans A et B, qui ne permettent pas, selon nous, la transformation sociale et politique, et le plan C, qui est, pour nous, la seule perspective possible de transformation. Mais qui n’est pas un long fleuve tranquille, tout simplement parce qu’elle demande de nombreuses conditions nécessaires qui ne se réalisent pas en claquant des doigts. Et elle demande un débat global pour y parvenir. Le plus tôt sera le mieux !

  1. Nous avons résumé notre position dans une chronique d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/grece-syriza-garde-le-pouvoir-avec-un-electorat-modifie/7396787 . Pour voir les autres chroniques d’Evariste : http://www.gaucherepublicaine.org/author/evariste-9. []
Combat social
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Quand les chemises tombent, les masques aussi

par Guillaume Etiévant

 

Les salariés d’Air France qui ont arraché la chemise de deux cadres dirigeants ont dévoilé bien plus que leurs torses. Ils ont ce faisant contribué à mettre en lumière la tragédie des plans sociaux qui s’imposent aux salariés. Ils ont aussi divulgué la mascarade du « dialogue social » entre « partenaires sociaux ». Quelques semaines après le vote de la loi Rebsamen sur le dialogue social et les annonces du rapport Combrexelle qui va donner lieu à une nouvelle loi début 2016, le conflit à Air France tombe bien mal pour le gouvernement.

D’une chemise, l’autre

L’acharnement politique et médiatique contre les syndicalistes et les salariés d’Air France s’explique en partie par les millions de dépenses publicitaires, dont la compagnie arrose les grands médias du pays. Il est également dû à la gêne de l’État quant aux choix très contestables qu’il fait pour maximiser les remontées de dividendes et dont il n’a pas intérêt à tenir la population informée. De fait, la part minoritaire de l’État dans Air France (300 millions d’euros) ne pèse pas grand-chose face à son rôle d’actionnaire majoritaire d’ADP (Aéroport de Paris) dont il détient 5 milliards d’euros du capital. Pour augmenter les profits des aéroports et donc les remontées de dividendes, l’État favorise en effet activement les concurrents d’Air France, quelles que soient leurs pratiques et l’origine de leur financement. Il multiplie notamment les autorisations de décollage et d’atterrissage pour la compagnie Qatar Airways. Il y a quelques mois François Hollande a même été jusqu’à décorer la chemise du patron de Qatar Airways, Akbar al-Baker, de la médaille d’officier de la légion d’honneur. Et ce sont les salariés d’Air France qui payent le prix de ces choix. Quant aux 66 millions d’euros de CICE (Crédit impôt compétitivité emploi), que les contribuables français ont, bien malgré eux, versés à Air France en 2014, ils n’ont, force est de le constater, aucunement été utilisés pour l’emploi.

Vous avez dit « dialogue social » ?

Pourtant, là n’est pas la principale explication de l’acharnement médiatique et politique contre les syndicats et les salariés d’Air France. Ce que n’a pu supporter le pouvoir en place, c’est que soudain, ce lundi 5 octobre, comme l’a à juste titre relevé Jean-Luc Mélenchon, la question sociale est revenue sur le devant de la scène. Avec cette question, le patronat, et le gouvernement qui défend à la lettre ses intérêts, espéraient bien en avoir fini pour de bon. Depuis des années, un rouleau compresseur idéologique assène à la population l’idée qu’employeurs et salariés auraient des intérêts communs, qu’ils pourraient paisiblement s’asseoir autour d’une table, et déterminer ensemble les meilleurs choix pour tous, aboutissant à des accords « gagnant-gagnant » débouchant le plus souvent sur la destruction de l’emploi et du droit du travail, la baisse des salaires, la précarisation généralisée.

C’est ce qu’ils appellent la « démocratie sociale ». Curieuse « démocratie » que celle où le patron (et donc l’actionnaire qui lui donne les ordres) a droit de veto sur l’ensemble des revendications des salariés. Étranges « partenaires sociaux », dont l’un risque tous les jours le licenciement décidé par l’autre. Étonnant « dialogue social », dans lequel les propositions rejetées par les représentants des salariés sont mises en œuvre malgré tout. Elles seront même au-dessus du code du travail et s’imposeront à lui ; c’est en tout cas la volonté du rapport Combrexelle1. La fable du « dialogue social » s’est développée et répandue à grand renfort d’études et de rapports (Terra Nova, Institut Montaigne, etc.) rédigés par des « experts » qui n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise et qui, par ignorance, par bêtise et, le plus souvent, par volonté idéologique, nient en bloc le rapport de classe au fondement de la relation actionnaires/ salariés.

Cette mascarade se renforce par les humiliations médiatiques à répétition contre les syndicalistes qui organisent des grèves et démontrent ainsi que le dialogue dans l’entreprise n’existe pas réellement, mais qu’il y a au contraire une confrontation d’intérêts divergents. De Jean-Marie Cavada dans les années 1990 à David Pujadas aujourd’hui, le procédé est toujours le même : ridiculiser et culpabiliser les syndicalistes ; ne jamais remettre en cause les agissements ni la représentativité du Medef ; ne jamais s’étonner que les négociations nationales interprofessionnelles se déroulent dans les locaux du Medef, à partir de textes rédigés par le Medef, et validés dans des réunions bilatérales avec le gouvernement, alors même que ce syndicat patronal ne représente qu’une part infime des entreprises françaises.

Si Manuel Valls a parlé « d’agissements de voyous », de « violence inqualifiable et inadmissible dans notre société », et exigé « des sanctions lourdes à l’égard de ceux qui se sont livrés à de tels actes », ce n’est pas seulement à cause de son habituel mépris des salariés, c’est aussi qu’il ne supporte pas que sa mise en scène si adroitement montée puisse s’effondrer. Soudain, les médias sont obligés de laisser apercevoir que derrière l’ambiance tamisée des négociations lors desquelles les délégués syndicaux font de leur mieux (malgré de maigres moyens, encore dégradés par les dernières réformes) pour limiter la casse, il y a des millions de salariés qui n’en peuvent plus et n’ont pas conscience de la force qu’ils constituent.

Un moment utile

Grâce aux salariés d’Air France, nous avons vu des syndicalistes et des élus d’un CCE (Comité central d’entreprise) à la télévision. Nous avons aperçu des syndicalistes dans leur confrontation avec leur direction, pour essayer de sauver des emplois. Nous avons aperçu, un instant, les salariés être plus forts que les patrons, car plus nombreux. Bien sûr, ça n’est qu’un moment, seulement quelques images, qui n’empêcheront nullement la direction d’Air France d’aller au bout de ses nuisibles intentions. Et pourtant c’est utile. Car l’unique possibilité, un jour, de renverser l’ordre capitaliste des choses, c’est que les salariés prennent, par leurs actes, conscience de leur force collective. Tout au long du 20e siècle, le socialisme parlementaire n’a rien détruit du système qu’il prétendait briser de l’intérieur. Il l’a au contraire favorisé, développé, sécurisé. Les prédictions de Jaurès ne se sont jamais réalisées, les socialistes n’ont jamais permis aux classes populaires d’investir le pouvoir. La social-démocratie n’a jamais transposé sur le terrain politique le combat de classe qui se joue dans l’entreprise. Elle a, au contraire, effectué le mouvement inverse, et transcrit dans l’entreprise les évolutions de la démocratie politique. A peine arrivé au pouvoir au début des années 1980, le Parti socialiste s’est rallié aux idées libérales et a, dans le même mouvement, commencé à considérer que les intérêts des employeurs et des salariés étaient communs. Alors que la négociation collective avait parfois permis d’obtenir des acquis sociaux qui pouvaient se généraliser (par exemple la troisième semaine de congés payés suite à l’accord Renault de 1955), on inverse peu à peu son rôle et elle devient aujourd’hui un outil puissant de réduction des droits. Seuls les salariés peuvent renverser cette donne, en se considérant non pas seulement comme des consommateurs, mais comme des producteurs. Si les salariés s’arrêtent de travailler, le profit disparait et le monde capitaliste s’arrête de tourner. Comme le disait Jules Cazelle, président de la commission de grève des menuisiers en 1879 : « les patrons s’inclineront devant nous, car nous sommes les producteurs et quand les bras ne se mettent pas au travail, le capital tombe »2.

L’air de rien

De nombreux salariés, derrière leur téléviseur, ont esquissé de larges sourires en voyant ces deux dirigeants d’Air France ramenés à ce qu’ils sont. De pauvres types. De riches bourgeois n’ayant pas une once de dignité, capables même de défendre le travail des enfants et de louer l’emprisonnement des syndicalistes de Qatar Airways3. Des gens capables de briser des vies, des familles entières, l’air de rien, en passant, sans aucune conscience. Bref, ceux que Sartre appelait des salauds, ceux qui croient ne pas choisir, ne pas avoir le choix, alors qu’ils sont pleinement responsables de leurs actes. Oui, voir cette direction soudain humiliée, ça donne de l’espoir. Pas grand-chose ; une petite étincelle. Dans la période, c’est déjà beaucoup. Alors merci aux salariés d’Air France.

  1. Que je dénonce avec des confrères dans un ouvrage à paraître fin octobre aux éditions Syllepse : Le code du travail en sursis? Note de la Fondation Copernic, Emmanuel Dockès, Josépha Dirringer, Guillaume Etiévant, Patrick Le Moal, Marc Mangenot, éditions Syllepse, 2015. []
  2. Cité dans l’excellent recueil de textes Déposséder les possédants, La grève générale aux « temps héroïques » du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906), éditions Agone, 2008. []
  3. Voir l’enquête de Mediapart : http://www.mediapart.fr/journal/france/160315/le-pdg-dair-france-divague-sur-les-acquis-sociaux []
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Quelle violence à Air France ?

Compléments au texte de G. Etievant

par ReSPUBLICA

 

Avec « Quand les chemises tombent, les masques aussi », dans ce numéro, G. Étiévant nous donne un texte très bien fait et excellent quand il rassemble des faits habituellement dénoncés en ordre dispersé et ici ordonnés pour montrer que le masque « démocratie sociale » de la lutte des classes tombe, malgré les efforts de l’appareil idéologique que sont les médias de masse. Le masque tombe parce qu’il n’y a plus de grain à moudre : le dialogue social peut partager le bonus, mais pas la pénurie, là ce sont les lois de l’économie qui s’imposent, les lois d’un capitalisme en crise structurelle et soumis à la rentabilité financière immédiate. Ce sont elles qui conduisent l’État, en voie de faillite, à favoriser AdP au détriment d’Air France, qui n’est plus compétitive depuis longtemps. Ce sont elles qui font réapparaître la réalité de la lutte des classes.
Hélas, ce texte pèche ensuite sur l’analyse de cette réalité de classe. Il dénonce justement l’adhésion du PS au libéralisme, l’utilisation de la négociation collective contre les droits sociaux, la fiction d’intérêts communs entre patrons et salariés, etc., mais ne dit mot sur la cause profonde de ces évolutions, la crise du profit. En conséquence, il en reste à mettre en avant l’opposition patrons-salariés (c’est mieux que riches-pauvres, certes), se situant là au niveau de la lutte syndicale. Celle-ci est évidemment absolument nécessaire, mais elle reste une lutte de gestion de la contradiction du rapport social capitaliste qu’est la dualité du salaire : coût pour le capitaliste individuel et débouché pour l’ensemble. En période de crise, la lutte syndicale est une lutte de résistance, pas de renversement de l’ordre capitaliste, et en prétendant qu’elle peut l’être, ce texte tient fondamentalement, derrière la posture révolutionnaire, un discours qui relève de cette social-démocratie ou de ce socialisme parlementaire qu’il vilipende tant par ailleurs, un discours qui n’est pas près d’assurer le succès des prédictions de Jaurès.

Michel Zerbato

Deux citations à ajouter à ce dossier :

« On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. »  Bertold Brecht. (Cité par Michel Cialdella dans « Mais de quelle violence parle-t-on ? » sur le blog de la CGT Sécu-Urssaf Rhône-Alpes.)

« … tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours, est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité. » Jean Jaurès (Chambre des députés, séance du 19 juin 1906)

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Les leurres du statut de travailleur indépendant

A propos du dumping social dans le transport aérien low-cost

par ReSPUBLICA

 

L’actualité Ryanair

Le sévère rapport de 2014 du sénateur Éric Bocquet, « Le droit en soute : le dumping social dans les transports européens », se voit illustré une fois encore par l’actualité dévoilée par le journal Bastamag. L’Allemand  Erik Fengler ne travaillait pas directement pour la compagnie Ryanair dont il pilotait les avions sans rémunération fixe, avec un mois par an de congés obligatoires non payés, sans assurance maladie…  C’est pourtant contre elle qu’il porte plainte dans son pays d’origine.
Sur son contrat, c’est l’entreprise britannique d’intérim Brookfield Aviation International qui figure comme interlocuteur. Pour être engagé, le pilote a d’abord dû créer une entreprise à son nom, enregistrée en Irlande, Logic Aviation Limited, qui est censée être « un consultant indépendant » engagé par Brookfield Aviation International pour fournir les services de pilotage de l’intéressé à Ryanair, qualifié de recruteur final, mais non d’employeur.

En France, alors que des millions d’euros de subventions ont été versées  par les collectivités territoriales à Ryanair, entre autres compagnies aériennes à bas coûts, pour maintenir de l’activité sur les aéroports régionaux,  plusieurs condamnations  pour infraction au droit social et entrave à l’exercice du droit syndical ont déjà été prononcées, visant également Vueling et Easyjet et comportant de lourds dommages et intérêts aux organismes sociaux tels que l’Urssaf et Pôle emploi.

L’œil de la Rédaction : deux commentaires

Ce phénomène de substitution de faux indépendants est devenu d’une importance cruciale avec le phénomène d' »ubérisation » qui se développe à vitesse grand V (voir  mon article récent dans ce journal).
Il s’agit d’un vieux rêve de la droite ultra libérale qui a commencé en France en 1993 avec la loi Madelin, posant le principe de présomption de non salariat dès lors qu’un salarié inscrit est au registre des commerce et des sociétés. Acadomia, par exemple a notamment obtenu dans les années 2000 un arbitrage favorable de l’ACOSS et du Ministère, après un contrôle Urssaf, lui permettant de mettre à disposition des enseignants à domicile sous statut d’indépendants au régime micro-social, bien que soumis aux règles et contraintes de l’entreprise donneuse d’ordre. La réforme de l’autoentrepreneur de 2008 a carrément massifié le phénomène et s’est traduite par une vague d’embauches de faux salariés déguisés en indépendants low cost dans des domaines tels que l’enseignement à distance, les hôtels-cafés-restaurants, et depuis peu les professions réglementées (certes cela leur a valu quelques coups dans la gueule de la part des artisans taxis)… Clairement au vu de la réglementation, il s’agit de travail dissimulé car est présumé salarié tout travailleur soumis à l’aire d’autorité d’un employeur qui organise les conditions d’exercice d’une activité. Le problème est que c’est très difficilement contrôlable. L’enjeu est énorme, le commanditaire ne paye plus de cotisations sociales, n’est plus gêné par un contrat de travail, mais paye une prestation. Par ailleurs, la réforme de l’autoentrepreneur a organisé une évasion sociale monstrueuse par rapport aux travailleurs indépendants classiques en étendant massivement les taux de cotisation allégés du régime micro-social, tout en leur faisant calculer les cotisations non plus en référence au revenu professionnel mais au chiffre d’affaires déclaré. Le travailleur indépendant, lui, ne bénéficie plus de couverture sociale contre les accidents du travail, et les arrêts de travail. Ses droits à retraite sont calculés sur presque rien et donc ne valide quasiment aucun trimestre… Du coup, cela ouvre grand les vannes des dissimulations d’assiette. A noter que plus de 50 % des autoentrepreneurs français déclarent un chiffre d’affaire nul.
Et puis être salarié, c’est tellement has been. Vive le modèle de l’entrepreneuriat généralisé et du contrat synallagmatique en lieu et place du droit du travail et de ses règles d’ordre public.
Tout le monde s’y retrouve, sauf quand un accident survient, sauf quand l’âge de la retraite intervient, sauf quand un branquignol n’ayant jamais bricolé autre chose que des meubles Ikéa s’improvise électricien sans qualification. Le phénomène dit d’ubérisation ne fait que surfer à grande échelle sur ce dispositif et pourrait être le coup de grâce de la Sécu. Les seuls qui se sont érigés contre la réforme de 2008, c’étaient les administrateurs de l’UPA car les artisans ont très vite compris qu’une concurrence déloyale allait venir non plus du plombier polonais mais du faux plombier français précarisé mais tellement heureux d’être son propre patron.
A force de ne pas défendre le salariat ou de pontifier en disant que le salariat ne serait que la marque de l’aliénation du travailleur, on va finir par aider le vieux rêve néo-libéral et détruire le Droit social des travailleurs. (ON)

 

Ce phénomène a commencé dès la fin des années 70 avec des licenciements pour transformer les salariés en artisans/TPE devenus sous-traitants et non soumis au droit social des salariés (ce que sont beaucoup d’entrepreneurs individuels aujourd’hui). Selon moi, il n’a rien à voir avec un quelconque vieux rêve néo-libéral, c’est l’adaptation du capitalisme en crise qui cherche des sphères de profit autres que la production industrielle, l’idée générale étant, pour le capital des pays développés, de développer des entreprises sans usine, c’est-à-dire du capital qui fait de l’argent sans production, sur le modèle du cycle commercial A-(M)-A’ ou financier A-A’ en lieu et place du cycle industriel A-M…{Prod}…M’-A’. Il s’agit de faire du profit en achetant non plus la force de travail, mais le produit du travail, sous forme de commission, comme aux origines pré-capitalistes quand le marchand bourgeois achetait les marchandises à l’artisan de métier, qui savait produire. Puis le marchand a regroupé les artisans dans la manufacture, fourni donc le lieu, les moyens de production, a d’abord nourri et blanchi le producteur immédiat puis lui a acheté sa force de travail, le tout développant la productivité du travail et sa profitabilité. Plus de métier, avec l’industrie le savoir faire est dans l’organisation du travail et la machine. Aujourd’hui, l’innovation numérique permet un retour à ce capitalisme pré ou para-industriel, mais il faut bien voir que ça ne concerne que les services (éducation, taxi, etc.), qui utilisent des moyens de production qu’ils ne produisent pas. Et ces moyens de production (bagnoles, ordinateurs, etc.) sont toujours produits industriellement, dans les pays à bas salaires, principalement d’Asie, malgré le rêve de la robotisation totale. Aujourd’hui, dans le cadre de la mondialisation, le capital des pays « avancés » (…vers le gouffre) profite en captant via les circuits commerciaux et financiers globalisés, la richesse créée par les salariés des pays à bas salaire.
On va ainsi vers une société duale, une société de pays sous-développé, avec d’un côté une petite bourgeoisie mondialisée (les classes moyennes-supérieures, pour qui on tégévise Bordeaux et Toulouse ou néo-aéroportise Nantes) qui suit la bourgeoisie dans son mouvement, et de l’autre une petite-bourgeoisie nationale (salariée ou pas), qui vit avec des miettes minimales que lui laisse la redistribution, se débrouille avec les monnaies locales, etc. Tout ça n’a rien de nouveau, mais ça s’accélère. Bien sûr il faut résister, défendre les salariés et le droit social, mais il faut bien voir que ce n’est qu’un combat de court terme, difficile, parce que les syndicats sont totalement délégitimés et les politiques aussi, et que ça se fait avec l’approbation de la population (71 % des Français accepteraient l’idée de la nécessité des réformes structurelles). Pour penser sérieusement la situation à terme, il faut d’abord comprendre que dans la société capitaliste les salariés sont aliénés parce que leur production leur apparaît comme extérieure, qu’il leur faut l’acheter pour se l’approprier (c’est quand même fort de café) et qu’ils se fourvoient en croyant que l’individualisation marchande leur permet de se réapproprier leur vie : ils gagnent peu mais travaillent pour eux, ils paient la santé, la retraite, l’école, mais ils paient pour eux, ça leur va. Ce ne sont donc certainement pas les fariboles proudhono-keynésiennes qui ne vont pas à la racine des difficultés du capitalisme qui pourront en résoudre les difficultés, elles ne font que tenter de le perpétuer. La société se délite, e la nave va… (MZ)

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Pour une commémoration offensive de la Sécurité sociale, pousser plus loin le projet du Conseil national de la Résistance

par l'UFAL (Union des FAmilles Laïques)

 

Les 4 et 19 octobre 2015, l’ensemble des citoyens attachés aux conquêtes de la classe ouvrière et aux valeurs de la République sont appelés à commémorer les 70 ans de la création de la Sécurité sociale par les membres du Conseil National de la résistance. Meurtrie et dévastée par la guerre, humiliée par l’occupation nazie et par ses propres turpitudes vichystes, la France sut trouver en 1945 chez une poignée de résistants la force d’ériger de la plus éclatante des manières son propre rétablissement moral. Le programme du Conseil National de la Résistance, intitulé « Les Jours Heureux », reste à ce jour un acte d’héroïsme patriotique qui n’a d’égale que l’audace de son contenu tant sur le plan économique que social.

Conformément au projet du CNR, Ambroise Croizat et Pierre Laroque mirent en œuvre un plan de Sécurité sociale porté par une formidable mobilisation militante qui permit en 1946 et 1947 de créer les caisses prévues par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 « visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail avec gestion appartenant aux représentants des assurés et de l’État et une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

70 ans plus tard, la Sécurité sociale entendue au sens large verse annuellement pour plus de 500 milliards d’euros de prestations sociales, essentiellement les salaires et les allocations des retraités, des soignants, des parents et des chômeurs ; elle contribue ainsi au quart de la richesse nationale et représente jusqu’au tiers du revenu disponible des ménages. Les organismes de Sécurité sociale ont été, conformément au souhait du Conseil National de la Résistance, organisés en un service public autonome et indépendant de l’Etat. En conséquence la Sécurité sociale devrait être le lieu d’exercice de la démocratie sociale, grâce à laquelle les assurés sociaux devraient disposer des leviers de gestion de la politique sociale du pays.

La Sécurité sociale doit être considérée comme le plus extraordinaire joyau économique et social de notre pays et ce, malgré les attaques patronales qui n’ont cessé depuis sa naissance et malgré la remise en cause de grande ampleur dont elle fait l’objet depuis plusieurs décennies. Rappelons que le « trou de la Sécu » indéfiniment invoqué par les réformateurs n’est qu’un mythe : les quelque 10 milliards d’euros de déficits de la Sécu doivent être mis en regard des 20 milliards d’évasion sociale liés au travail dissimulé, des innombrables niches sociales et des dizaines de milliards de transfert des salaires vers les profits organisé par le mouvement réformateur néolibéral qui échappent au financement de la Sécurité sociale.

Comble de cynisme, les fossoyeurs entendent célébrer, eux aussi, les 70 ans de la Sécurité sociale. Un comité d’organisation des 70 ans placé sous l’autorité de la Ministre de la Santé propose un anniversaire dont le mot d’ordre officiel est d’occulter le projet du Conseil National de la Résistance au bénéfice de la révolution du numérique et de la lutte contre la fraude… des assurés.

Attachés à l’héritage du CNR et défenseurs des services publics, nous n’entendons pas nous laisser voler la commémoration de la Sécurité sociale par ceux qui organisent au quotidien sa destruction. Nous invitons l’ensemble des acteurs du mouvement social à manifester dans toute la France tout au long du mois d’octobre 2015 leur attachement à la Sécurité sociale telle que l’ont construite ses militants. Parmi les mots d’ordre que nous appelons à partager, il convient, en particulier de se prononcer haut et fort :

  • Pour une réhabilitation de la cotisation sociale et du salaire socialisé comme mode de financement central et sanctuarisé de la Sécurité sociale ;
  • Pour un droit à la retraite à 60 ans ;
  • Pour le maintien de leur salaire aux salariés en arrêt de maladie-maternité et en AT-MP, aux retraités, aux chômeurs, aux invalides ;
  • Pour un droit universel à un remboursement à 100% des soins prescrits délivrés par des soignants fonctionnaires et libéraux conventionnés et par des entreprises de médicaments et de matériel médical à but non lucratif, le tout financé par la seule assurance-maladie obligatoire ;
  • Pour des prestations familiales fortement revalorisées et indexées sur les salaires, dont des allocations familiales accordées sans condition de ressources, et un service public pour la garde des enfants encore non scolarisés et le périscolaire ;
  • Pour une réinvention de la démocratie sociale ayant fonctionné entre 1946 et 1967 avec gestion des caisses par les seuls assurés sociaux sans intervention patronale.

Le 10 octobre 2015

Les signataires :
Organisations : Parti de Gauche (PG), Réseau Education Populaire (REP), Réseau Salariat, Union des Familles Laïques (UFAL), Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)
Elus : Eric Coquerel (Conseiller Régional d’Ile de France), Riva Gherchanoc (Maire-adjointe à Montreuil déléguée à la santé et à l’égalité femmes/hommes), Danielle Simonnet (Conseillère de Paris, élue du 20ème arrondissement),
A titre personnel : Sabrina Benali (Interne en médecine de l’AP-HP), Jean-Claude Chailley (Convergence Nationale des Services Publics), Bernard Coadou (Médecin, membre du collectif La Santé Un Droit Pour Tous), Philippe Gasser (Médecin Psychiatre), Daniel Ladurelle (collectif Isérois de défense du service postal public), Antoine Math (chercheur à l’IRES)

Agenda :

Table ronde organisée le samedi 17 octobre par l’UFAL et le Réseau Salariat. Programme et inscriptions

 

Un outil d’éducation populaire :

Un clip animé à l’occasion des 70 ans de la Sécurité sociale !

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Les salaires français en 2012 et 2013 : l'enfumage libéral !

par Pierre Mascomère

 

Comme chaque année l’Insee publie une note retraçant l’évolution des salaires pour l’année N-2 dans le secteur privé et les entreprises publiques. Ainsi, la note N°1565 Insee Première de septembre 2015 retrace l’évolution pour 2013, comme la N°1528 de décembre 2014 retraçait l’évolution pour 2012. Ces notes sont établies à partir des « dads », c’est à dire des déclarations, par les entreprises, des rémunérations effectivement versées à leurs salariés. Elles reflètent donc la stricte réalité.
Il s’avère que le salaire moyen brut réel, c’est à dire inflation déduite, a augmenté de +0,5 % après une baisse de -0,1 % en 2012. L’inflation représentant +0,9 % en 2013 contre +2,00 % en 2012.
Le salaire moyen net réel en 2013 a baissé de -0,3 %, il avait aussi baissé en 2012 de -0,4 % pour la première fois depuis longtemps. Une baisse donc pendant deux années consécutives. En termes de cotisations sociales salariales, qui jouent entre le salaire brut et le salaire net perçu par le salarié, on ne relève qu’une hausse du taux de cotisations salariales vieillesse de +0,1 % pour 2013.
La plus grande partie des médias avaient pourtant prétendu le contraire : les salaires 2012 augmentaient fortement, et de même pour 2013. Ces médias confondaient au passage le salaire dit de base, les augmentations des salariés stables en place chez le même employeur (ce qui ne représente que la moitié des salariés…) etc. A partir de ce postulat d’augmentation forte des salaires, ils vilipendaient « l’exception française », la « préférence des français pour le chômage » et rendaient les salariés français responsables de l’augmentation du chômage, voire de la crise elle même, du fait des augmentations de salaires « insensées » dont les salariés français bénéficiaient.

Dans ce concert, le quotidien Le Monde s’est particulièrement distingué. Pour 2012 (LM 06 09 12) « Les salaires du privé ne connaissent pas trop la crise » on lit en effet : « Les salaires du privé devraient augmenter en moyenne de 2,8 % en 2012 et de 2,9 % en 2013… Compte tenu de l’inflation ( de l’ordre de 2,1 % en 2012) les salaires du privé augmenteraient de 0,7 % en termes réels cette année…. » Et pour 2013 : ( LM 13 12 2013) « Salaires : l’exception française », Le Monde critique « l’absence de réactivité des salaires à la crise », en se servant abondamment des textes du COE Rexecode (l’Institut du Medef) pour étayer ses dires.On n’observe aucune mise au point ou excuse auprès des lecteurs après la parution des notes de l’Insee. Mieux, le journal Les Echos, par exemple, n’a pas jugé bon de commenter la note de décembre 14, « trop tardive » à ses yeux, comme raison officielle, mais surtout, bien différente de ses dires ou de ses articles. A ce jour Les Echos n’ont d’ailleurs pas encore parlé de la note sur les salaires 2013.
Si de nombreux médias ont bien cité la récente publication de l’Insee, aucun ne s’est pour autant préoccupé de la contradiction avec ses propos habituels sur le sujet. Un économiste bancaire libéral bien connu, Patrick Artus, déduisait, du fait « inquiétant » que les salaires continuaient à progresser malgré la crise que « les salaires français étaient les plus rigides de la zone euro » (Le Monde 1312013) ou « France : le dernier pays communiste » (Le Point 28082013).
Plus grave, une étude du CAE, Conseil d’Analyse Economique (N°5 d’avril 2013) organisme d’ « experts économiques » placé auprès du Premier ministre, n’observant pas « d’inflexion du salaire réel net moyen pour les salariés du secteur privé » en tirait la conclusion qu’il fallait flexibiliser le marché du travail et adosser clairement le financement de la protection sociale à une base fiscale. Pour s’interroger sur la pertinence de cette étude CAE, la note Insee d’octobre 2013 sur l’évolution des salaires 2011 titrait : « En 2011, les salaires ralentissent de nouveau en euros constants ».

L’expertise des experts…

Evidemment le gouvernement, conforté, s’était empressé de continuer son action néo-libérale.
Un effet de « structure » joue de façon importante sur l’évolution en hausse du salaire moyen. Au delà de l’augmentation naturelle du nombre de cadres et de la baisse naturelle du nombre d’ouvriers, pour une entreprise donnée, les ouvriers et employés sont plus touchés que les cadres, quand il y a des licenciements. En conséquence, alors même que sa masse salariale diminue, le salaire moyen de l’entreprise augmente. C’est un aspect bien connu des syndicalistes. Et dans la période de crise, les licenciements sont fort nombreux.
Or le CAE indiquait que cet effet de « composition » ne représentait qu’un quart de la progression. Mais une étude de la Banque de France ( 2° trimestre 2013 N°192) montrait, au contraire, que « les changements de composition de la population active expliquait la totalité de la hausse de 2 % des salaires réels après 2008 » Les publications de l’Insee de décembre 2014 sur l’évolution des salaires 2012 et de septembre 2015 sur l’évolution des salaires 2013 étudient cet aspect et montrent bien que c’est la quasi intégralité de la progression du salaire réel qui est imputable aux effets de structure, infirmant ainsi les allégations du CAE et ridiculisant les propos des médias quant à la hausse des salaires en France et ses conséquences supposées.
Ce qui est particulièrement intéressant ici est de voir la formation de la « pensée unique ». Aucune excuse, aucune mise au point, auprès des lecteurs ou auditeurs, sur les propos tenus antérieurement et démentis en tout ou partie par des statistiques réelles. Même au contraire, on « oublie » ces statistiques et ces études sérieuses, et même incontestables, dès lors qu’elles ne vont pas dans le sens voulu. On ne craint pas de faire reposer toute une argumentation sur des éléments inexacts ou faussés. On n’informe surtout pas le public des réalités concrètes qui mettraient en péril leurs thèses libérales.
Et quand on parle de statistiques, qui pourraient être fort gênantes pour l’argumentation libérale habituelle, on ne fait bien sûr aucune liaison avec cette argumentation. Vous avez dit enfumage ?

Note – Sur le même sujet on lira entre autres : Michel Husson : Les salaires français sont ils trop rigides ? (AlterEcoPlus 120215 / Alternatives économiques mars 2015)

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Retour sur la notion de travail productif

Réponse à la réponse de Charles Arambourou

par Michel Zerbato

 

Quelques remarques ponctuelles suite aux échanges précédents.

Peut-on concevoir de rémunérer les êtres humains sans contrepartie, au sens de « travail productif », simplement parce qu’ils existent ?

Ben oui, on peut toujours tout concevoir ! Certes pas dans les paradigmes anciens, mais dans les nouveaux, on ne s’en prive pas.

« Il n’y a pas de marché du travail qui fixerait le salaire ». Erreur involontaire ?

Aucune erreur dans cette formule, ni volontaire ni involontaire. Je persiste et signe, car selon mon paradigme, certes ancien, il n’y a de marché du travail que dans la théorie néo-classique, c’est-à-dire dans l’idéologie de l’économie de marché : le marché du travail est une fiction néo-libérale qui a pour fonction d’expliquer le chômage par un mauvais fonctionnement de ce marché dû à une perturbation extérieure. Par exemple, quand les syndicats ou les politiques imposent un SMIC ou des cotisations sociales, un travailleur payé à un salaire supérieur à sa productivité devient inemployable et la rationalité économique impose à son employeur de l’exclure du marché. C’est dans le cadre d’un raisonnement en termes de marché du travail que le Code du travail produit d’autant plus de chômage qu’il est volumineux, que l’emploi demande de la flexibilité, etc.

Il n’y a pas de marché du travail chez Adam Smith (cf La richesse des nations) puisque le salaire y est politique : il est déterminé, je cite de mémoire, par « le rapport de forces entre ouvriers que les lois empêchent de s’associer et maîtres du travail que nul ne peut empêcher de dîner ensemble ». Cela me paraît assez moderne. Et dans le paradigme ancien de Marx, ça me paraît l’être tout autant, le salaire y étant tout aussi politique : la force de travail y est une marchandise bien particulière, dont la valeur d’échange est socialement déterminée (elle a « une dimension morale » écrit Marx, reprenant Ricardo), et le salaire, s’il en est le prix, a donc une dimension politique. Comme tous les autres prix en dépendent, il n’y a pas de prix de marché proprement dit. Le marché est une construction sociale, pas une donnée de la nature, et la politique y a sa part.

Tout travail humain (voire toute activité humaine) est intrinsèquement, « fatalement » disent les économistes, productif.

Ne réduisons pas les concepts aux mots. Dans le système capitaliste, et dans la dialectique matérialiste de Marx, productif prend plusieurs sens. Et il y a bien une « différence entre le travail au sens « anthropologique » (« L’humanité est la seule espèce qui produit elle-même ses conditions d’existence » Marx) et le travail au sens « économique » (« producteur de richesse »). »

Au sens économique, dans mon paradigme ancien, celui de Marx, le travail est productif de richesse (« l’ensemble des choses nécessaires et commodes à la vie » selon la formule d’A. Smith), c’est-à-dire de valeurs d’usage. De ce point de vue, le travail qui reproduit la force de travail en consommant de la richesse est donc un travail improductif (cf notamment les Théories sur la plus-value, où sur ce point Marx reprend Smith). Mais la production de valeurs d’usage dans le cadre marchand est aussi production de valeurs d’échange et de valeur tout court. Et là, le travail improductif de richesse peut être productif de valeur et de plus-value : en produisant le service qu’est le ravissement des oreilles du mélomane, le chanteur d’opéra travaille improductivement (ce service consomme de la richesse), mais ce faisant, il travaille productivement à la richesse (attention, changement de statut du mot) de son impresario si ce service a une valeur marchande et est source de profit.

Comment le profit serait-il possible dans une économie marchande où, par définition, s’échangent des équivalents, s’il fallait rémunérer à sa valeur tout le travail, y compris domestique, celui de la reproduction de la force de travail. Le paradigme moderne selon C. Arambourou a plusieurs réponses : soit quelque part il y a un échange inégal, et ce paradigme redécouvre les proudhonneries anciennes (« la propriété c’est le vol »), soit, quel qu’en soit l’objet, le travail crée la richesse dans son paiement même, et on se demande alors comment il peut encore y avoir des oppositions d’intérêts.

Dire, comme Zerbato, que « les artistes comme les curés sont des luxes qu’il faut pouvoir s’offrir », c’est reprendre le paradigme capitaliste. Il ne suffit pas d’être matérialiste et révolutionnaire pour se libérer l’esprit.

Ce point confirme ce que j’ai précisé juste au-dessus : selon le paradigme moderne, la productivité est une « relique barbare du passé » (comme disait Keynes de l’or). Cependant, le progrès de l’esprit ne passe pas par la négation des acquis du passé : Einstein n’a pas rendu Newton  obsolète, et c’est parce que le capitalisme s’est développé sur la base de la production marchande préexistante que l’économie politique a dû et pu se poser des questions jusques là gérées par d’autres disciplines de l’esprit (philosophie, religion, etc.). Elle a ainsi établi la vérité éternelle que si des gens vivent sans participer à la production de leurs conditions matérielles de vie, si ces gens ont du pain sur la table et de la viande dans l’assiette (même au restaurant, et surtout au restaurant), c’est bien parce que d’autres les ont produites pour eux, d’autres qui ont une productivité suffisante pour entretenir des artistes qui vont décorer leur grotte ou des curés qui vont leur donner l’espoir d’une vie meilleure dans l’au-delà. Si c’est pas un luxe, çà !

La « valeur d’échange » appliquée au travail humain, c’est bien son aliénation par le capital.

Je n’ai jamais appliqué la valeur d’échange au travail, mais à la force de travail. Et c’est bien cette distinction qui, dans mon paradigme ancien, permet d’enraciner l’aliénation capitaliste dans le travail, dans la production capitaliste et dans son résultat. Suivons le Marx des Manuscrits de 44 : « Dans l’acte même de la production, l’ouvrier devient étranger à lui-même. […] Le travail est extérieur au travailleur, il n’appartient pas à son être. […] Sans doute, manger, boire, procréer, etc., sont des fonctions authentiquement humaines, toutefois, séparées abstraitement de l’ensemble des activités humaines, transformées en des fins ultimes et uniques, ce ne sont plus que des fonctions animales. » Pour Marx, le travail est l’essence de l’homme, ça le distingue de l’animal, « qui ne produit que lui-même, tandis que l’homme produit la nature tout entière », mais dans le rapport de production capitaliste, « le produit du travail asservit le travailleur ». Je ne connais pas de dénonciation plus moderne du consumérisme.

Ainsi, l’affirmation ci-dessus de C. Arambourou serait juste si, au lieu du travail, il avait parlé de la force de travail. C’est l’incapacité, ou le refus, de distinguer les deux, qui fonde le socialisme utopique en général et cette forme d’aliénation de l’esprit qui fait croire que l’on peut masquer sa propre erreur en l’attribuant aux autres.

Même dans la pire des sociétés productivistes et rationalisées par la logique du capital, il est indispensable qu’il y ait du « travail interstitiel », avant, après, en parallèle (voire en concurrence) avec le travail dit « productif » (en fait, « directement exploité »). [.] L’idéologie « productiviste » consiste précisément à nier cette nécessité, en fait pour éviter d’avoir à la rémunérer au titre du processus de production–exploitation.

En, effet, sans travail « interstitiel », pas de travailleur, pas d’exploitation ! La nécessité du travail domestique est une évidence, sans travail domestique au sein de la famille, pas de reproduction de l’homme (qui passe par celle de la société). Mais constater que la force de travail qui exerce le travail domestique n’est pas marchandisée, ce n’est pas en nier la nécessité, tout au contraire : c’est bien la disposition de la force de travail à un coût marchand moindre que la valeur de sa production qui explique le profit, c’est parce que le travail domestique est gratuit pour le capital qu’une plus-value est possible, même sur un travail salarié peu productif. Les gains de productivité plus ou moins continus ont permis  de socialiser toujours plus ce travail domestique, en réponse aux luttes sociales et aux besoins du capital. La valeur (marchande) de la FT s’en est trouvée accrue du montant des cotisations et impôts, ce qui a certes accru les débouchés (et fait le succès du keynésianisme des Trente glorieuses), mais aussi la part des salaires dans la valeur ajoutée et donc pesé sur le profit quand les gains de productivité sont devenus insuffisants. C’est pour cela que la crise du profit engendre les politiques d’austérité que nous subissons et qui visent à casser les salaires, socialisés d’abord, directs ensuite (c’est politiquement plus difficile), depuis que droite et gauche ont abandonné le keynésianisme pour le néo-libéralisme, sous l’empire des lois de l’économie.

Ce qui me paraît reposer sur une « essentialisation » de la création de valeur, limitée à la production de biens marchands, peut-être par fétichisation du modèle marxien du XIXe siècle (modèle herméneutique et non pas descriptif). Or aujourd’hui, l’informaticien comme la femme de ménage sont des rouages indispensables de la production, même « de vis et de boulons ».

Toujours la même incapacité à distinguer dialectiquement les concepts. Dans le paradigme certes ancien de Marx, la valeur au sens économique (unité de la valeur d’usage et de la valeur d’échange) ne peut concerner que les biens ou services marchands. Et ce n’est pas parce que l’essentiel du travail est aujourd’hui improductif et indispensable qu’il devient productif, son importance exprime simplement la formidable productivité du travail productif. Sans oublier qu’en Asie des enfants sont encore dans les conditions du siècle de Colbert et que leur travail nourrit l’affaiblissement de la valeur de la force de travail de ceux qui consomment leur production. L’improductif des uns est permis par la productivité des autres, ça reste vrai si on raisonne au niveau global, qui s’impose dans les conditions actuelles.

Quant à l’informaticien et à la technicienne de surface, ils sont totalement productifs s’ils travaillent dans une usine automobile, par exemple. La qualité de productif ou improductif n’est pas attachée au travail en tant que tel, mais aux rapports sociaux de production dans lesquels il s’exerce. En quoi reconnaître le travail interstitiel pour le marchandiser va-t-il améliorer ces rapports ? N’est-ce pas plutôt le comble de l’aliénation, puisqu’il s’agit de l’essence même du projet capitaliste : « Le travail ne produit pas seulement des marchandises ; il se produit lui-même et produit l’ouvrier comme une marchandise dans la mesure même où il produit des marchandises en général. » (Manuscrits de 44.)



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