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Chronique d'Evariste
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  • Crise du capitalisme
  • lettre 813

Comment les gérants du capital préparent-ils la présidentielle de 2017 ?

par Évariste

 

Les trois partis du système (LR, PS et FN) se préparent activement à la présidentielle de 2017. C’est normal d’abord parce qu’ils sont favorables soit au statu quo institutionnel, soit au renforcement de la puissance présidentielle. Ensuite parce que LR et le PS sont aux affaires pour gérer le capital et parce qu’ils aspirent soit à rester au pouvoir, soit à y accéder avec le même objectif. Jusqu’ici, le mouvement réformateur néolibéral qui a pris le pouvoir politique en 1983 en France jouait de l’alternance sans alternative entre le PS et LR dès que le peuple était mécontent. A chaque alternance depuis 1983, chaque gouvernement a fait pire pour le peuple que le précédent. Mais l’oligarchie capitaliste savait que leurs intérêts seraient toujours promus à chaque alternance. Ils n’écoutaient donc pas trop le contenu des campagnes électorales du PS ou de LR dans la mesure où pour les néolibéraux, la formule de Pasqua s’applique à savoir que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Quant au FN, il attend en embuscade comme tous les partis d’extrême droite en période de crise que le patronat donne le feu vert à une alliance entre la droite et l’extrême droite comme au tout début des années 30 dès qu’il estimera que l’alternance centre gauche et centre droit ne permet plus l’intensification des politiques d’austérité, intensification absolument nécessaire à la survie du modèle réformateur néolibéral. Car le problème n’est pas de savoir s’ils sont gentils ou méchants ou s’il faut changer un méchant président par un gentil, mais bien de comprendre que la formation sociale capitaliste a des lois tendancielles qui l’obligent de baisser la masse salariale pour continuer à faire fonctionner le système. Dit de façon analogique, si on veut envoyer une fusée sur la lune et la faire revenir sur terre, il faut tenir compte des lois de la gravitation universelle et de la relativité générale.

Toujours avoir en tête la cause principale

Depuis la fin des années 60 et du début des années 70, l’innovation technologique n’arrive plus à maintenir des taux de profits importants dans l’économie réelle pour faire fonctionner correctement la formation sociale capitaliste. A quoi bon investir pour un capitaliste si le taux de profit s’écroule. Les autres moyens d’augmenter le taux de profit ont atteint leurs limites : l’intensification du travail par les cadences est arrivé au maximum avec l’explosion des suicides et des nouvelles maladies professionnelles, une troisième guerre mondiale pour purger du capital permettant la reconstruction n’est plus possible vu le niveau des armements, les délocalisations ont été largement effectuées. Pendant quelque temps, les BRICS (pays émergents : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud) donnaient l’impression avec des taux de profit et de croissance élevés qu’ils avaient trouvé la solution. Mais aujourd’hui, ils sont repris par les lois tendancielles elles-mêmes. Ayant tous les pouvoirs au niveau des Etats, des multinationales, des associations multilatérales (OMC, FMI, BM), des associations régionales (ALENA, Union européenne, ASEAN, etc.), et l’oligarchie capitaliste ont donc financiarisé l’économie mondiale pour avoir des taux de profits à deux chiffres. Mais pour générer de tels taux de profits, il faut financer la spéculation financière internationale et donc, entre autres, augmenter les dividendes (ils ont triplé dans la période), diminuer les impôts des riches et des entreprises (taux nominal baissé de 45 à 33 % et, avec les niches fiscales et l’évasion fiscale légale appelée optimisation fiscale, les multinationales paient moins de 8 % d’impôts), diminuer ou faire stagner l’investissement dans les entreprises et in fine baisser la masse salariale. La déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires a donc été suivant le mode de calcul de 8 à 9,3 % du PIB. Sur fond de crise systémique, une crise paroxystique est intervenue en 2007-2008, menaçant l’ensemble du secteur bancaire et financier mondial après la chute de Lehmann Brothers le 15 décembre 2008. L’oligarchie capitaliste a trouvé une solution provisoire : elle a fait financer les dettes privées bancaires de toutes les banques par de l’argent public. Ce qui a provoqué en retour la crise de la dette publique. Et là, plus d’échappatoire, seule la baisse de la masse salariale peut la financer. Avec en plus, le carcan de la zone euro qui fonctionne comme le bloc-or des années 30 !

Nous n’oublierons jamais la loi El Khomri

La loi scélérate El Khomri n’est que le dernier pan nécessaire pour « casser » la résistance salariale. Avec la loi El Khomri, c’est le bouleversement de la hiérarchie des normes. Un simple accord d’entreprise (c’est-à-dire principalement dans des lieux où le rapport de force est le plus faible, notamment dans les petites et moyennes entreprises) pourra légalement déroger à un contrat de travail, à un accord de branche, à une convention collective, à la loi. Pire, dans les entreprises sans syndicats, le patronat pourra obtenir une signature via le mandatement par un syndicat complaisant !

Manipulations en tout genre et criminalisation de l’action syndicale

Mais tout cela ne passe pas aussi facilement. La loi El Khomri est rejetée par 68 % des Français. 54 % soutiennent les mouvements de grève. 56 députés de gauche ont souhaité déposer une motion de censure contre le gouvernement Hollande-Valls. Les gérants du capital sortent alors les « méthodes traditionnelles » pour tenter de salir le mouvement social en essayant de focaliser l’actualité uniquement sur les « casseurs » afin de ne plus parler de la loi El Khomri elle-même. Tout l’arsenal a été sorti par l’équipée Hollande-Valls-Cazeneuve-Taubira-Urvoas. Comparution immédiate pour les « jeunes casseurs » pris sur le fait mais comparution renvoyée aux calendes grecques pour les violences policières, même si les vidéos de ces actions font le tour du net. Dans ce dernier cas, est-ce que la hiérarchie policière a été inquiétée, que nenni ! La stratégie du désordre est organisée par la hiérarchie policière qui laisse des « casseurs » faire leur œuvre sans intervenir pour que les médias puissent avoir leurs images. Quel n’a pas été l’étonnement à Paris d’une manifestation arrivant à quelques centaines de mètres de la place de la Nation par le boulevard Voltaire de voir déjà une bataille rangée sur la place de la Nation, dont on peut comprendre qu’elle n’avait rien à voir avec la manifestation. Inutile de dire que les médias n’ont pas rapporté cela de cette façon. Et puis, certains ont dit leur étonnement de voir certains supposés « casseurs » exfiltrés par la police elle-même en leur sein d’une façon sympathique. Sans compter la criminalisation de l’action syndicale commencée sous Taubira et continuée sous Urvoas. Comment expliquer que les Goodyear aient été condamnés à de la prison ferme alors qu’il ne restait plus que la plainte du Procureur de la République, les deux cadres « séquestrés sans violence » ayant retiré leurs plaintes ? S’il n’y a plus d’injonction individuelle de la place Vendôme, il reste les injonctions collectives…

Dans sa dernière intervention télévisuelle, François Hollande a menti : quand il a voulu comparer l’augmentation du chômage sous Sarkozy à l’augmentation du chômage depuis 2012, il a fait la manipulation suivante : il a chiffré l’augmentation des chômeurs sous Sarkozy en additionnant les catégories A, B et C du chômage, et l’augmentation depuis 2012… de la seule catégorie A.

Et encore, il n’a pas compté les catégories D (les chômeurs en stage ou en formation) et E (contrats aidés dont la grande majorité deviendront chômeurs à la fin de l’aide) !

Qui est responsable des 60 % d’ouvriers et d’employés qui ne votent plus ?

Alors que François Mitterrand a été élu le 10 mai 1981 grâce aux près de 80 % d’ouvriers et d’employés qui ont voté pour lui, avec l’équipée Hollande-Ayrault-Valls, c’est 60 % d’ouvriers et d’employés qui s’abstiennent. Voilà la vraie raison du fait que les gauches ne font pas plus aujourd’hui de 35 % des votants. Mais pour les gérants du capital, c’est toujours la faute des autres et jamais d’eux-mêmes. Voilà pourquoi se prépare une campagne de culpabilisation des électeurs qui oseront ne pas voter dès le premier tour pour le candidat solférinien responsable de cette politique de mépris du peuple. Ces électeurs seront désignés comme responsables d’une deuxième occurrence du syndrome dit de 2002, portant élimination de la gauche dès le premier tour! Disons-le tout net, en 2002, le principal responsable de l’élimination de Jospin dès le premier tour est la politique de Jospin lui-même et personne d’autre !

Que faire ?

Voilà pourquoi, il est impératif aujourd’hui de faire « la double besogne », c’est-à-dire articuler des revendications immédiates avec le combat pour un nouveau modèle politique alternatif sans lequel les lois tendancielles du capitalisme agiront de la même façon : ce n’est pas avec le solipsisme, avec le seul volontarisme, avec des recettes néo-keynésiennes ou encore avec des slogans magiques que l’on résoudra la crise systémique ni qu’on évitera une prochaine crise paroxystique, car c’est inhérent au capitalisme lui-même. On ne sait pas quand elle interviendra et sous quelle forme mais on sait qu’elle interviendra. Nous sommes donc bien dans une bataille complexe que seule l’éducation populaire peut clarifier. Articuler l’intensification des luttes sociales, la suppression du fossé entre les partis de gauche et les couches populaires ouvrières et employées (53 % de la population française dont 60 % s’abstiennent ) pour faire vivre une alliance avec les couches moyennes intermédiaires (24 %), mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle via la multiplication des initiatives d’éducation populaire, la lutte contre la désagrégation communautariste voulue par le mouvement réformateur néolibéral et ses «  idiots utiles », devient un impératif.
Et répétons-le : hasta la victoria siempre !

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Elections législatives en Espagne le 26 juin

Un deuxième tour pour sortir du match nul du 20 décembre

par Alberto Arricruz

 

À l’issue de plusieurs mois de tractations en vue de former un gouvernement après les élections du 20 décembre dernier en Espagne, et le délai prévu par la Constitution – pourtant étiré à la limite – étant épuisé, les Espagnols sont appelés à retourner aux urnes le 26 juin prochain. Ce qui se joue ce jour-là : la possibilité d’une victoire de Podemos, allié cette fois aux communistes d’IU (et reconduisant ses alliances avec plusieurs organisations progressistes régionales).

Ça commence il y a cinq ans, avec les Indignés

Il y a cinq ans, à partir du 15 mai 2011, le mouvement des indignés (El 15M) envahissait la Puerta del Sol de Madrid et les places des villes de toute l’Espagne. Les partis politiques installés, à commencer par le parti socialiste alors au pouvoir, furent surpris par l’ampleur inconnue depuis quarante ans de ce mouvement, par son caractère soudain et éruptif. Une génération entière décidait de se mêler de politique, dénonçait l’austérité désastreuse sous injonction européenne que le gouvernement socialiste engageait en tournant le dos à ses promesses, rejetait le TINA « There Is No Alternative », vomissait la corruption généralisée et l’économie du bétonnage et de la spéculation financière.
Ces centaines de milliers de jeunes, avec la sympathie de l’immense majorité de la population, scandaient qu’il est possible de résister à cette politique : « Si Se puede ! Oui, c’est possible !» ; ils affichaient aussi leur rejet de la classe politique, partis et syndicats confondus, en inventant le slogan « No nos representan ! Ils ne nous représentent pas ! ». La réponse des deux partis, PP et PSOE, qui s’alternaient au pouvoir depuis quarante ans, se partageant bon an mal an 80% des suffrages : « si vous n’êtes pas satisfaits, vous n’avez qu’à vous présenter aux élections ! »
Ils avaient raison : en novembre de la même année, en pleine mobilisation des indignés, en pleine explosion des mouvements sociaux de résistance nés de cet élan – dont l’emblématique PAH, réseau de lutte contre les expulsions des logements -, le PP obtenait la majorité absolue au Parlement et pouvait installer le gouvernement le plus rétrograde, le plus dur contre les catégories populaires et les libertés, que l’Espagne aura connu depuis la fin de la dictature fasciste en 1977.
Cinq ans plus tard, Podemos, parti politique créé à partir de janvier 2014 par des activistes du mouvement des indignés, est en mesure de disputer la place de première force politique aux prochaines élections. Le gant jeté par le PPSOE – présentez-vous aux élections – a été ramassé. Depuis mai 2015, les maires des plus grandes villes sont issus du mouvement des indignés, avec l’appui de Podemos : Madrid, Barcelone, Valence, Saragosse, Saint-Jacques de Compostelle, La Corogne, Cadiz… Imaginez les maires de Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, etc. issus des mouvements sociaux et n’appartenant à aucun des « grands » partis : c’est ce type de séisme qui s’est produit en Espagne.

2015, de la déferlante médiatique anti-Podemos à la percée électorale

Les dirigeants de Podemos semblaient pourtant ne pas affronter les élections du 20 décembre 2015 sous les meilleurs auspices. Inquiets de voir les sondages donner à Podemos jusqu’à 30% des suffrages, l’establishment politico-médiatique, sous la houlette du groupe de presse PRISA, propriétaire notamment du quotidien « de référence » El Pais et de la radio Cadena Ser, avec l’appui des médias d’État et de la presse poubelle, déclenchait dès janvier 2015 une campagne médiatique de dénigrement hystérique. Les ragots les plus délirants étaient relayés jusqu’en une de El Pais, du jamais vu, et les principaux dirigeants étaient soumis à des successions d’accusations personnelles particulièrement violentes (réussissant à faire jeter l’éponge à Juan-Carlos Monedero, l’une des principales figures de Podemos).
En même temps, se montait de toute pièce une alternative à Podemos : le parti Ciudadanos, petit parti de droite catalan antinationaliste créé en 2007, était appelé à devenir le « Podemos de droite » comme l’a souhaité Emilio Botin, président de la banque Santander. Porté au pinacle par El Pais, voyant son dirigeant le jeune loup Albert Rivera invité sans discontinuer sur des plateaux télé complaisants (à l’opposé de ce qu’y subissaient les dirigeants de Podemos), bénéficiant de sondages merveilleux les plaçant à 25% contre 15% pour Podemos, recevant des financements généreux (d’origine encore inconnue), Ciudadanos était la solution face au constat de la fin de cycle politique du bipartisme, le moyen de vendre du renouvellement mais pour que rien ne change vraiment.Résultat le 20 décembre au soir : le PP reste premier parti avec 28%, mais perd plusieurs millions de voix, le PSOE fait son plus mauvais résultat depuis 1977 avec 21%, presque à égalité avec Podemos qui obtient 20,5% et cinq millions de voix ; Ciudadanos obtient 13%. Gardez ces résultats à l’esprit : quelques jours avant, les sondages donnaient encore Ciudadanos à 23% et Podemos à 13% (c’est beau la science entre les mains des empires médiatiques).

Le refus de la coalition PSOE-Podemos par le noyau dur
du PSOE

La composition de la chambre des députés – où la loi électorale a favorisé le tandem PP-PSOE – crée une situation sans précédent : l’addition des droite PP et Ciudadanos n’atteint pas la majorité rêvée par Mme Merkel et l’oligarchie. Le PSOE, dont le secrétaire général, en poste depuis 18 mois, était promis au sacrifice dès le lendemain du scrutin, peut accéder au pouvoir malgré son résultat historiquement mauvais, mais à la condition de s’allier avec Podemos et IU (qui n’obtient que deux députés malgré un million de voix) et de négocier l’appui ou l’abstention des partis nationalistes catalan et basque.Cette manœuvre – le soutien des partis nationalistes basque et catalan – est un grand classique de la politique espagnole : le PP et le PSOE se sont successivement appuyés sur eux (avec contreparties) pour accéder au pouvoir.
Mais voilà que, quelques jours seulement après le scrutin, le conseil fédéral du PSOE (où était prévue la défenestration du secrétaire général Pedro Sanchez, mais impossible de débarquer quelqu’un qui pourrait devenir président du gouvernement) pose des conditions, dictées par l’ancien « boss » Felipe Gonzalez – devenu l’homme des conseils d’administration des grands groupes où il a siégé, il a repris du service dans l’urgence face au danger Podemos. Condition centrale imposée à Sanchez : interdiction (c’est écrit noir sur blanc dans la résolution) de parler à Podemos tant que ce parti maintient sa proposition de référendum d’autodétermination en Catalogne, et pas question de demander le soutien des nationalistes basques et catalans.
Le PSOE abandonne là son propre programme tel qu’il le défendait deux ans plus tôt, et adopte le discours de la droite nationale : la frontière se voulant infranchissable entre les partis « constitutionnalistes » d’une part – PP, PSOE, Ciudadanos – et ceux qui voudraient « rompre l’Espagne » – dont Podemos, oubliant que Podemos propose un référendum en Catalogne mais appelle à y voter contre l’indépendance. Peu importe en fait la vraisemblance de ce nouveau positionnement, il s’agit de couvrir sous un discours politicien usé le choix stratégique de rester dans le cadre de la politique économique et sociale d’austérité, d’obéir à Merkel et « aux marchés ».
Podemos répond en proposant, avec ses alliés catalans, valenciens et galiciens et avec IU, la constitution d’un gouvernement de coalition, sur la base d’un programme de progrès luttant contre la politique d’austérité, et dont la répartition serait proportionnelle aux résultats obtenus par les différents partis : le président du Conseil serait donc Sanchez, et le vice-président serait Pablo Iglesias, secrétaire général de Podemos. Réaction immédiate du PSOE : on nous insulte ! (sous prétexte que Pablo Iglesias n’aurait pas « mis les formes », c’est que les dirigeants du PSOE ont du mal à avaler de devoir parler d’égal à égal, ça ne leur était jamais arrivé !)
Le secrétaire général du PSOE, Sanchez, tente alors la voie de l’accord avec Ciudadanos, signant solennellement un accord de gouvernement – mais évidemment c’est loin de faire le compte en députés. Cet accord prévoit explicitement la poursuite des politiques qui ont plongé l’Espagne et l’Europe dans la régression économique et sociale, mais ce choix stratégique est enrobé d’autres mesures et d’une terminologie destinée à pouvoir le baptiser « gouvernement de progrès ».
Des négociations croisées sont lancées (publiques mais aussi par des canaux secrets), le PSOE finit par s’asseoir avec Podemos – et IU – mais pose comme condition de venir avec Ciudadanos à toutes les négociations. Pendant ce temps, Ciudadanos explicite sa stratégie : faire adhérer le PP à cet accord pour construire la grande coalition. Mais le PP, dirigé par Mariano Rajoy, a décidé dès le 20 décembre au soir de jouer la répétition des élections. Rajoy ne bouge pas ; il a bien compris que la condition de la grande coalition, appelée de leurs vœux par les forces du capital qui tiennent la commission européenne, c’est que sa tête roule sur le sol. Son pari est donc qu’avec un nouveau scrutin, le PSOE perdra encore (et virera Sanchez) et le PP reprendra des voix passées à Ciudadanos, ce qui permettra à Rajoy de monter la grande coalition mais en se maintenant à sa tête.
Le but de la manœuvre du socialiste Sanchez était de forcer la main de Podemos en exerçant le bon vieux chantage : si Podemos ne soutient pas le gouvernement PSOE sur la base du programme avec Ciudadanos, alors il permet au PP de rester au pouvoir.
Le pilonnage médiatique autour de cette ligne aura été à son comble durant quatre mois, tandis que pendant ce temps-là le PSOE donnait à la droite la majorité au bureau du Parlement, puis tentait de faire reléguer le groupe de Podemos au pigeonnier de l’hémicycle pour cacher à la télé le changement radical sorti des urnes. Le poids des manœuvres tactiques et médiatiques du PSOE – qui en a une bonne expérience –, quelques faux pas de débutants des dirigeants de Podemos dans ce contexte et la montée en épingle des différences d’approche au sein de ce groupe dirigeant auront soumis Pablo Iglesias et son parti à une énorme pression, une expérience nouvelle assurément
Podemos a répondu en lançant un référendum interne : sur 150 000 participants (plus forte participation aux votes internes depuis la création de ce parti), 92% a dit non au soutien d’un gouvernement Sanchez/Ciudadanos, et oui au maintien de l’offre de gouvernement de coalition de progrès.

Le panorama des nouvelles élections

Sanchez refusant cette coalition, de nouvelles élections sont dès lors inévitables. Podemos s’y engage en renouvelant ses alliances avec les forces progressistes souverainistes en Catalogne, Pays valencien et Galice, et surtout en parvenant à un accord pour présenter des listes communes avec IU.
« Izquierda Unida » (gauche unie), l’organisation bâtie en 1986 autour du vieux parti communiste (et qui a servi de modèle au Front de gauche français) est désormais dirigée par le jeune député Alberto Garzon, ami de Pablo Iglesias. La certitude d’être devant la possibilité historique de battre le PP ensemble a évidemment joué un rôle moteur pour parvenir à cet accord, malgré l’opposition très forte d’une partie de l’appareil de IU (durant la campagne électorale antérieure, IU avait construit toute sa propagande contre Podemos).
Les bases de Podemos et de IU ont approuvé massivement cet accord, qui enclenche une dynamique nouvelle pour la nouvelle élection : la possibilité du « sorpasso », c’est-à-dire de devenir première force politique devant le PP. Le scrutin du 26 juin sera bien un deuxième tour, pour résoudre le « match nul » entre les forces anciennes du bipartisme et la nouvelle offre politique.
Il est probable qu’aucune liste n’obtiendra la majorité absolue à la Chambre des députés. Le PP, grâce au système électoral, est presque assuré de la majorité absolue au Sénat, maintenant que la direction du PSOE vient pratiquement de la lui garantir en refusant l’offre de Podemos de faire des listes communes au Sénat – et en interdisant à plusieurs fédérations socialistes de poursuivre les discussions en ce sens avec Podemos, pourtant déjà presque conclues. Il faudra alors chercher des alliances, et Podemos a déjà proposé aux socialistes de les rejoindre dans un gouvernement de coalition.

Reste à voir avec qui le PSOE entendra s’allier. Et, dans le développement de la crise interne promise à ce parti par la vieille garde de Felipe Gonzalez et son porte-flingue la présidente andalouse Susana Diaz, il faudra voir comment réagiront ceux qui ne veulent pas de la « pasokisation », c’est-à-dire aller jusqu’à leur sacrifice pour garantir aux forces conservatrices d’Europe qu’un gouvernement progressiste ne s’installe pas en Espagne. Car l’Espagne n’est pas la Grèce ni le Portugal, à Bruxelles et à la City ils le savent !
Le PP, mais aussi Ciudadanos et le PSOE, vont mener une campagne intense et très agressive contre la nouvelle coalition électorale baptisée «Unidos Podemos (Unis, nous pouvons) ». Ils clament « vous voyez, ils disent qu’ils sont transversaux, qu’ils ne se retrouvent pas dans le clivage gauche-droite, mais en fait ce sont les vieux communistes de toujours, ceux qui font peur ! » Les médias dominants cherchent à masquer le véritable enjeu du scrutin en le réduisant à une sorte de dispute de la première place à gauche, tandis que le PP verrait sa victoire déjà garantie (c’est le sens des sondages publiés, tous largement manipulés comme on l’a vu dans tous les scrutins depuis 2014). De son côté, la presse poubelle cherche à inventer des scandales contre Podemos, aidée par une cellule spéciale de la police montée par le ministre de l’Intérieur en toute impunité, tout en tentant désespérément de cacher les énormes scandales de corruption qui inondent le PP.
Ceux qui, en France, interprètent les évolutions politiques espagnoles en parlant d’union de la « gauche radicale » font preuve d’une grande myopie et ne font que reprendre les arguments des forces conservatrices. Podemos prétend unir les victimes de la crise et les citoyens indignés sans les distinguer entre ceux de gauche et ceux de droite, il entend rassembler « celles et ceux qui manquent », qui ne votent pas, ou qui ont voté PSOE ou PP, pour construire la majorité citoyenne de changement.
Podemos s’appuie pour cela sur l’indignation, celle qui a explosé au grand jour le 15 mai 2011, quand les Espagnols, qu’ils se croient de droite ou de gauche, se sont aperçus qu’ils n’étaient pas indignés chacun dans leur coin mais qu’ils étaient les plus nombreux ! Ce mouvement des indignés, cette clameur inattendue de la société civile, est une force en mouvement contre la résignation et le TINA There Is No Alternative. Les candidats de Podemos sont jeunes chômeurs (50% de chômage pour les jeunes en Andalousie), ouvriers, enseignants, représentants de toutes les catégories populaires, mais aussi juges, policiers, il y a même l’ancien chef d’État-major des armées. Ils sont les représentants et les porte-parole de cette insurrection citoyenne qui s’est levée en Espagne en 2011, et qui monte à l’assaut du gouvernement, maintenant qu’avec Podemos ce qui paraissait impossible en décembre encore est désormais à portée de main.
Rendez-vous dimanche 26 juin, à Madrid.

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Où est Willy au Sahara ?

Le Front Polisario et les droits des femmes

par Ilya U. Topper

 

Texte publié en espagnol dans El Confidencial et M’Sur, traduit par Alberto Arricruz pour ReSPUBLICA.

Depuis des semaines, nous scrutons un plan du désert, barré du hashtag #Maloma écrit en grandes lettres, pour voir si l’on y trouve enfin le visage du fameux acteur. Oui, nous parlons bien de Willy Toledo, l’un des acteurs espagnols les plus connus, défenseur de nombreuses causes dites « de gauche », en particulier la cause sahraouie.
Il a fini par se montrer. Juste un petit peu, mais assez pour qu’un reporter perspicace puisse l’attraper au vol : Alejandro Avila, qui se consacre depuis des semaines à suivre le sort de Maloma Morales, jeune sahraouie naturalisée espagnole, séquestrée depuis décembre par sa propre famille quelque part au sud des campements de réfugiés de Tindouf.
Son enlèvement s’est produit en décembre 2015, quand elle a quitté l’Espagne, où elle vit adoptée et majeure, pour aller rendre visite à sa famille biologique. Son billet était un aller-retour : elle n’a pas pu faire le voyage de retour. Ils l’ont jetée dans une voiture contre son gré et l’on emmenée, ainsi que le raconte son père adoptif, témoin de la scène.
Depuis, silence. Des promesses ont été faites par le Front Polisario, avec conseils de ne pas faire trop de bruit. Le gouvernement espagnol a fait discrètement des démarches – Maloma est citoyenne espagnole. Et un assourdissant silence a dominé du côté de cet important réseau d’Espagnols qui se définissent comme pro-Sahraouis.
« Cette femme veut être libre, mais elle est séquestrée. Je suis contre l’enlèvement », a manifesté Willy Toledo samedi dernier (cinq mois après) ; il l’a dit droit dans les yeux au Front Polisario. Enfin, façon de parler : il l’a écrit sur le mur Facebook d’un activiste pro-Sahraoui, donnant lieu à une forte dispute en ligne. Parmi toutes les personnes ayant pris part à ce fil de discussion, Willy Toledo y était – et c’est certainement l’aspect le plus frappant – pratiquement le seul à défendre, sans ambages et sans nuances et sans finir par se contredire, le droit d’une personne adulte à décider de ce qu’elle veut faire de sa vie.
Presque tous les autres qui prenaient par à la discussion en ligne, dans leur grande majorité Espagnols, défendaient une autre position : le droit d’un peuple à contrôler ses filles. Nombre d’entre eux ont dénoncé le fait que Maloma a vécu dix ans en Espagne avec sa famille d’accueil, pas encore d’adoption, sans contacts avec sa famille biologique, ce qui équivaudrait aussi à une séquestration. La rendre à sa mère, qui aurait souffert tant d’années sans voir sa fille, ne serait que justice, argumentent-ils.
Il faut relire plusieurs fois ce genre de phrases pour y croire : séquestrer une femme de 20 ans, majeure, la forcer à vivre avec sa famille, ne serait que justice puisque c’est ce que veut la famille. C’est une Espagnole qui le dit. La loi qui considérait les femmes comme mineures à vie, pour toujours soumises à l’autorité d’un homme de la famille, a été abolie au Maroc, mais pas en République arabe sahraouie démocratique (RASD). Ni dans l’esprit des Espagnols qui soutiennent la RASD.
D’autres sont allés jusqu’à se prévaloir d’une vidéo, filmée par la famille de Maloma – c’est-à-dire par ceux qui la séquestrent – où la jeune femme dit être bien et se trouver au Sahara par sa propre volonté. C’est aussi crédible, excusez-moi, que les vidéos de journalistes étrangers séquestrés par Daesh où ils disent se convertir volontairement à l’Islam. Si Maloma voulait vraiment rester au Sahara, pourquoi n’est-il pas possible d’organiser à Tindouf une rencontre pour qu’elle le dise de visu à son père adoptif et à son fiancé espagnol ? Ou bien au Consul espagnol d’Alger (qui a essayé de la rencontrer mais n’y est semble-t-il pas parvenu) ?
La vidéo diffusée est anonyme, mais y sont incrustées les lettres RASD, dans le but évident de susciter le respect que ce sigle mérite auprès des défenseurs de la cause sahraouie. Ce n’est pas une vidéo officielle : le Front Polisario reconnaît officiellement qu’il y a séquestration et appuie du bout des lèvres le droit d’une personne adulte à décider de sa vie. Voici la déclaration de Jadiyetou El Mohtar Sidahmed, membre de l’Union nationale des femmes sahraouies et de la délégation du Front Polisario en Espagne, publiée sur Facebook : « Nous nous efforçons de faire voir à la mère et à toute sa famille que doit prévaloir le droit légitime de Maalouma à sa liberté et à choisir de vivre où elle le décide ». Autrement dit : si la famille d’une femme « le voit », si elle comprend ce droit, alors la femme pourra être libre ; si la famille ne voit pas… alors on n’y peut rien.
Le blog « saharauiisdigital » va plus loin ; l’activiste Emhammed Ali al Ghasi y considère que Willy Toledo est mal informé et affirme que « le cas de Maloma adulte est moins grave que le cas de Maloma mineure ». Il accuse la famille Morales, qui a accueillie Maloma dans le cadre des fameuses « vacances solidaires » promues par le Front Polisario, d’avoir usé de subterfuges et mensonges pour retenir la petite fille en Espagne. Pourtant, force est de constater que le Polisario n’a jamais fait la moindre démarche légale pour éclaircir cela, ce qui aurait été son devoir si vraiment une famille sahraouie avait été en désaccord avec le séjour prolongé de sa fille en Espagne.
Mais tout cela est loin derrière lorsque Maloma, à 18 ans, décide de se faire adopter par la famille Morales et demande son passeport espagnol. La traiter aujourd’hui comme une fille sous l’autorité de sa famille biologique démontre que les défenseurs du Front Polisario et de la RASD avec toutes les lettres de l’acronyme, n’ont pas la moindre idée de ce qui signifie la démocratie, cette lettre D, la dernière des quatre.
Il est tout à l’honneur de Willy Toledo de s’opposer sans ambages à cette vision selon laquelle toutes les personnes Sahraouies, et tout spécialement les femmes, ne seraient que des pions d’une cause géopolitique, et que leurs droits individuels ne sauraient être défendus pour ne pas salir une cause supérieure, celle de la future indépendance (aussi chimérique soit cette perspective). Il est tout de même nettement moins honorable qu’il ne défende cette position que sur le fil de discussion d’un mur Facebook : on aurait pu espérer de lui, qui a donné tant de conférences de presse en faveur de la cause du Front Polisario, qu’il trouve un creux dans son agenda pour en donner une autre ; ou bien pour envoyer une lettre ouverte à la presse.

Mais je ne cherche pas seulement Willy. Je cherche aussi Marisa Paredes, Teresa del Olmo, Mercedes Lezcano, Gemma Brio : je les ai rencontrées brandissant des drapeaux du Front Polisario a Tifariti, face aux tranchées de l’armée marocaine, en avril 2004, il y a longtemps déjà. Je cherche tous ces metteurs en scène qui se sont rendus, année après année, au FiSahara, le festival de cinéma dont la prochaine édition aura lieu en octobre, je cherche Pepe Viyuela qui a présenté l’édition de l’an dernier. Je cherche mon ami Javier Corcuera, qui est membre du comité organisateur du festival. Offrir son nom pour une cause est facile, mais cela implique une responsabilité.
Quelques-uns, très peu, ont assumé cette responsabilité. L’association pro-Sahraouie de Cordoue (Acansa) a été la première à dénoncer l’enlèvement et à exiger la liberté pour Maloma de décider. La Fédération andalouse des associations solidaires avec le Sahara, Fandas, garde le silence : en théorie elle aurait fait un communiqué dans le même sens, mais on ne le dirait pas quand on visite sa page web. « Pas de remous » semble être la consigne.
Mais de tout ce que nous enseigne le cas de Maloma, le plus grave n’est pas le manque de conscience de ces citoyens espagnols qui peuvent agiter des drapeaux – ils sont si beaux ces drapeaux, si colorés – en scandant des slogans en faveur des Droits des Peuples, mais ne se montrent pas du tout intéressés dès qu’il est question de Droits de l’Homme.
Le plus grave, c’est que le cas de Maloma montre l’échec complet d’un projet politique, celui du Front Polisario, qui réclamait l’indépendance pour (c’est ce que nous avons cru ou ce qu’on nous a raconté) construire une société plus juste, plus libre, avec plus de droits que ce que les Sahraouis auraient sous le régime marocain.
Il était aisé de croire qu’un mouvement politique disposant du monopole de représentation des réfugiés sahraouis, fermement implanté et recevant de nombreuses aides internationales, serait capable d’organiser une société d’à peine 100 000 âmes selon les normes universelles des Droits de l’Homme. On a toujours considéré comme négligeable le fait que, malgré le D de démocratie dans RASD, il n’y ait pas d’élections, pas de séparation entre le mouvement politique et le gouvernement, pas de partis d’opposition, pas de presse libre. Mais qu’ils n’aient même pas, en quarante ans, fait la moindre tentative d’établir des lois qui garantissent l’égalité des femmes et des hommes, voilà qui est difficile à excuser.
Pourtant, on ne peut pas pas dire que le niveau du Maroc en matière d’égalité hommes-femmes soit difficile à dépasser. Depuis la réforme de 2004, la législation y reste en deçà de celle de la Tunisie et ne dépasse que de peu celles d’Algérie ou d’Égypte ; et l’application de cette législation est lamentable. Ça lui aurait coûté quoi au Polisario, d’écrire une loi qui reconnaisse sans réserve les droits des femmes ? Ça lui coûterait quoi de l’appliquer ?
Visiblement, ça lui en coûte beaucoup : le 21 avril, le gouvernement du Polisario a effectivement libéré Maloma et l’a ramenée aux campements de Tindouf, mais moins de 24 heures après ce même gouvernement l’a rendue à la famille sahraouie, sans que la jeune femme n’ait pu communiquer ave sa famille espagnole, « cédant ainsi face au pouvoir de la tribu de Maloma », écrit le journaliste Alejandro Avila. Si, après 40 ans de pouvoir, un gouvernement ne peut pas garantir la liberté de mouvement d’une femme, quelque chose ne marche pas.
Si un cas similaire s’était produit au Maroc, je ne sais pas si les autorités auraient réagi de façon très différente. Mais ce qui est certain c’est qu’une campagne de dénonciation se serait déployée dans la société civile marocaine, conduite par des organisations féministes, des activistes, la presse progressiste. Ce qui ne marche pas au Sahara, c’est qu’il n’y existe pas de société civile. Elle n’y a jamais été construite ; il n’y a pas eu de volonté de la construire. Toute activisme ne doit y avoir pour seul objectif que l’indépendance ; pas les Droits de l’Homme.
À moins, bien entendu, que les femmes ne comptent pas dans les Droits de l’Homme.
Ce n’est pas une situation inédite, pour sûr. Il se passe la même chose, depuis des décennies, en Palestine, où les défenseurs de la cause nationale tentent de faire taire toute dénonciation de la répression patriarcale sous prétexte qu’une telle dénonciation fait du mal à la cause et qu’il vaut mieux ne pas laver le linge sale en public : il faut donner l’image de l’unité dans la lutte.
Mais cette injonction à toujours reléguer les droits des personnes – c’est-à-dire les Droits de l’Homme – derrière les droits d’un peuple, d’un drapeau, mène à l’échec. Si, pendant 40 ans, une organisation politique réprime les libertés des individus sous prétexte de la liberté du peuple, elle éduque des générations entières dans l’ignorance de ce qu’est la liberté. Si enfin ils parviennent à l’indépendance, ils n’auront plus aucune liberté à défendre. Ils auront perdu ce pour quoi ils se seront sacrifiés.
Si le Front Polisario veut la liberté pour le peuple sahraoui, il doit commencer par là. Il doit libérer Maloma.

Société
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Qui sont les nuitdeboutistes ? Enfin une étude sérieuse !

par Gazette Debout

 

Voici une étude qui va remettre en question les analyses hâtives des détracteurs de Nuit Debout… C’est dans cette perspective que la commission Sciences Sociales Debout a mené une enquête sociologique, la seule aussi développée à ce jour, qui présente les occupants de la place de la République et leurs motivations. En voici un condensé.


L’âge d’abord. On constate que la tranche d’âge des nuitdeboutistes de République est très étendue, et surtout fluctue beaucoup d’une heure à l’autre (et même d’un jour à l’autre). Ainsi l’âge médian peut varier de dix ans d’une heure à l’autre. Évaluer l’âge des occupants de la place à un instant donné n’est donc pas pertinent. Notons que l’âge médian de l’ensemble des participants est de 31 ans.

L’étude permet également de modérer l’idée reçue selon laquelle l’origine géographique des occupants de République serait essentiellement Paris intra-muros. D’une part, 10 % d’entre eux ne sont pas issus de la région parisienne ; d’autre part, parmi les Franciliens, plus du tiers doivent franchir le périphérique pour rejoindre la place.
Parmi les participants vivant intra-muros, la plupart sont domiciliés dans l’est, principalement dans les XIe, XVIIIe et XIXe arrondissements. Les raisons expliquant ce phénomène pourraient être l’aspect pratique (ligne de métro et axe de circulation en direction de la place), mais aussi la tendance de gauche de ces quartiers.

Les participants de Nuit Debout sont des ados perturbés ? « Sans cerveau » ? Vraiment ? 60 % sont issus de l’enseignement supérieur (contre 25 % pour la population française), principalement des Sciences humaines. Ce niveau d’études va de pair avec certaines origines sociales et conforte le cliché selon lequel les participants incarneraient la « petite bourgeoisie ». Cependant, si l’on se penche sur leur activité, on constate que 40 % appartiennent à des secteurs en crise depuis vingt ans (artistes, journalistes, étudiants), que 20 % sont sans emploi (le double du taux national), ou encore que 24 % sont ouvriers et employés.

L’enquête s’intéresse aussi aux motivations des uns et des autres (précisons que les hommes représentent deux tiers de l’assistance). Les occupants de la place sont-ils là à cause de la décrépitude des partis politiques traditionnels ? Pas forcément, car seulement 17 % sont d’anciens encartés (un taux certes important par rapport à la moyenne nationale). Ont-ils participé aux grands mouvements sociaux par le passé ? Seulement une petite partie d’entre eux. Idem pour la piste des jeunes diplômés sans emploi et révoltés (façon Tunisie ou Espagne) : pas plus de 6 %.
La lutte contre la loi Travail semble évidemment au cœur du mouvement, un tiers des occupants de République ayant participé aux manifestations.
Si 22 % appartiennent à un syndicat, près de la moitié sont engagés dans une association (quelle qu’elle soit).
L’étude émet l’hypothèse que les participants se rendent aussi à République simplement parce qu’ils savent qu’ils vont y retrouver quelqu’un qu’ils connaissent (relations amicales ou professionnelles). Ou pour se tenir au courant de ce qu’il se passe. Ou pour passer une soirée agréable.
Par ailleurs, les résultats montrent que 20 % des personnes interrogées participent à l’une des commissions présentes sur la place.

Enfin, concernant l’assiduité aux différentes nuits, deux profils se dégagent : celui du nuitdeboutiste d’une seule nuit et dans son intégralité, et celui dont la présence est quotidienne (13%). L’étude révèle aussi que le taux de nouveaux venus est en augmentation.

Cette enquête fait référence et permettra peut-être de limiter les contre-vérités véhiculées par les opposants à Nuit Debout. La commission qui en est à l’origine s’inscrit dans une démarche sans prétention, elle souhaite avant tout nourrir notre réflexion. Une suite semble en préparation, nous sommes impatients de la connaître !

Urbain pour Gazette Debout.

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La gynécologue Danielle Gaudry et le Planning Familial : un combat historique pour l’obtention du droit à l’avortement

par 50-50 Le Magazine de l'égalité femmes-hommes

 

Danielle Gaudry, militante féministe, s’est engagée auprès du Mouvement Français pour le Planning Familial depuis le début des années 70. Elle participe aujourd’hui encore aux activités du MFPF bénévolement, et donne des consultations et des vacations salariées. Elle nous livre un témoignage historique sur ces périodes charnières pour l’émancipation des femmes et son regard sur les évolutions actuelles. (Propos recueillis par Charlotte Mongibeaux)

Pouvez-vous nous retracer la genèse de votre engagement auprès des groupes de femmes ?

J’ai été élevée en région parisienne dans une famille militante. Mes parents étaient instituteurs à l’école publique et j’ai véritablement grandi avec l’idée de l’égalité femmes/hommes. Mon frère faisait la vaisselle et toutes les tâches dites «féminines » autant que ma sœur et moi.

Lorsque que j’ai commencé mes études de médecine en 1967 à Paris, puis à Créteil, mon engagement politique s’est précisé avec les événements de Mai 68. J’ai participé à des groupes marxistes-léninistes au sein desquels j’ai été brutalement confronté au machisme ordinaire. A l’époque, il y avait une montée en force des groupes de paroles des femmes dans les quartiers. L’événement important qui a précipité mon engagement auprès de ces groupes fut la grossesse non désirée de ma colocataire. A ce moment-là j’étais chanceuse, j’avais trouvé un médecin qui prescrivait la contraception mais ce n’était pas le cas de tout le monde. Ma colocataire subit alors un avortement clandestin qui se passa très mal, elle dut être hospitalisée et eut de graves séquelles sur sa fertilité.

Vous avez alors commencé à pratiquer des avortements clandestins, dans quelles conditions se passaient-ils ?

Je n’étais qu’en deuxième année de médecine et je n’avais pas de connaissance des méthodes d’avortement ni de réseau dans les groupes féministes. Dans les groupes de femmes du Val de Marne, j’ai appris à poser une sonde stérile dans l’utérus pour ouvrir l’œuf et provoquer un avortement.

On amenait ensuite les femmes dans une clinique privée de Paris et les médecins étaient obligés d’intervenir pour empêcher de sévères complications. Ces avortements clandestins étaient gratuits et militants. On avait l’impression d’éviter alors des parcours plus dangereux, sachant qu’à cette époque les femmes utilisaient tout ce qu’elles avaient sous la main pour avorter : injection d’eau savonneuse, cintres, aiguilles à tricoter, produits toxiques.

A partir de 1973, les mouvements féministes se sont organisés au sein du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) et je me suis engagée au Planning Familial. Nous apprenions à faire des aspirations selon « la méthode Karman ». Nous pratiquions ces avortements dans des locaux prêtés au MLAC et parfois à domicile. Même si c’était illégal, nous pensions que c’était légitime, il fallait le faire et c’était important pour la libération des femmes.

Est-ce que ces pratiques étaient encore risquées à cette époque ?

Depuis 1920, l’article 317 prévoyait entre 1 à 5 ans de prison et de nombreuses sanctions à l’égard des médecins et des étudiant-e-s en médecine, comme la suspension de l’exercice de leur profession. Cependant, les années précédant le vote de la loi Veil, ces sanctions n’étaient pas appliquées. En 1972, durant «le procès de Bobigny»1, de grandes manifestations ont eu lieu en soutien à un médecin qui était accusé de pratiquer des avortements, et il ne fut finalement pas condamné.

Quel était donc l’état de l’opinion publique les années précédant la loi Veil ?

Au Planning Familial, on ne recevait pas seulement de femmes seules mais beaucoup de couples qui venaient à cause d’une grossesse non désirée ou d’une vie sexuelle minée par la peur d’une grossesse. Les hommes vivaient une culpabilité importante quand leur compagne était enceinte. A cette époque, le mouvement de libération des femmes était véritablement porté par des femmes et des hommes.

On était dans un environnement d’agitation sociale et de débats très porteurs, très forts. La presse relayait beaucoup et les mouvements militants n’étaient pas envahis par les partis politique, il y avait beaucoup de gens d’horizons différents. Trois événements importants ont bousculé l’opinion publique de l’époque : le « manifeste des 343 » composé de témoignages de femmes qui s’étaient fait avorter, puis l’agitation autour du procès de Bobigny dont nous parlions, et enfin un collectif de médecins, dont le célèbre docteur René Frydman, qui déclarait publiquement pratiquer des avortements illégaux.

La loi Veil était-elle satisfaisante par rapport aux revendications du Planning Familial ?

Bien qu’il y ait eu une volonté d’impliquer les structures associatives dans l’élaboration de la loi, le texte définitif était insatisfaisant. Tout d’abord, dans la loi de janvier 1975, la femme n’est pas considérée comme capable de prendre sa décision seule car on lui impose un entretien avec une sage-femme, une assistante sociale ou une conseillère conjugale pour la faire réfléchir. Les femmes qui venaient nous voir au Planning Familial vivaient cet entretien comme une autorisation à avorter, et nous étions donc opposés à cette procédure. Le terme était limité à seulement 10 semaines de grossesse et il faut se rendre compte qu’à cette époque il n’y avait pas d’échographie ni de test sanguin, on faisait juste des tests urinaires. Les mineures étaient obligées de demander l’autorisation à leurs parents, c’est-à-dire jusqu’à leur 21 ans. Enfin, le remboursement de l’avortement n’a été obtenu qu’en 1982.

Après le vote de la loi Veil, la résistance idéologique du corps médical était importante. Les médecins venaient souvent d’une génération où l’opposition à l’avortement était majoritaire. Nous avons dû être très actives/actifs dans les établissements et auprès des chefs de service pour faire valoir nos droits.

Quel regard portez-vous sur cette période charnière et l’évolution des droits des femmes ?

Mai 68 a joué un grand rôle dans le mouvement de libération des femmes. Ça a été un point de départ à partir duquel on a tout repensé en tant que femmes. L’analyse de la lutte des classes n’était plus suffisante et, comme on disait à l’époque et qui est toujours valable aujourd’hui, le prolétaire est exploité mais la femme du prolétaire est encore plus opprimée. C’est bien sûr une période où les droits des femmes ont beaucoup évolué, tant dans l’autorisation de travailler, d’ouvrir un compte en banque, d’hériter, sans oublier que l’autorité paternelle est devenue parentale en 1973. Même si les femmes ont toujours travaillé et participé à la société, cette fois-ci elles se défaisaient de la tutelle de leur père ou de leur mari. Ces lois ont suivi et non précédé le changement des mentalités et nous avions besoin de cette modification de la place des femmes dans la société.

Assiste-t-on à un recul des idées féministes pour lesquelles vous vous êtes battues ?

A propos de l’opposition à l’avortement, on a vu à partir des années 90 les mouvements catholiques s’organiser. Maintenant, ce sont les déclarations d’extrême droite qui vont dans ce sens mais pas uniquement, ainsi on voit que Valérie Pécresse souhaite réduire les budgets des associations de Planning Familial.

Malheureusement en Europe, on assiste à une remise en cause globale du droit à l’avortement. Certains gouvernements cherchent à légiférer et à donner un statut légal à l’embryon. Il y a actuellement des mouvements de régression. La crise économique, le retour du religieux, quel que soit la religion, fait que la population a tendance à se réfugier dans des modèles qui sont extrêmement traditionnels au niveau familial. Les gens de la Manif pour tous prônent la complémentarité des sexes et réduisent les femmes à leur rôle maternel. Au début de mon engagement militant, on n’était pas dans une société dans laquelle les femmes voulaient rester chez elles !

  1. Le procès de Bobigny en 1972:  1 femme mineure survivante d’un viol et 4 femmes majeures furent jugées pour avoir avorté. La mobilisation publique contre leur condamnation fut d’une ampleur inédite. []


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