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Chronique d'Evariste
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Pourquoi le combat social et le combat laïque ne doivent-ils faire qu'un ?

par Évariste

 

Face à un mouvement réformateur néo-libéral utilisant successivement la droite néolibérale et la gauche solférinienne tout aussi néolibérale, la confusion règne. Une partie de ceux qui se disent adversaires du néolibéralisme  de droite ou de gauche croient pouvoir le vaincre en ne globalisant pas les combats et en développant l’idée d’un consensus autour d’un socle limité de revendications pour, disent-ils, rassembler plus en rendant taboues toutes les idées qui fâchent. Ainsi ont fonctionné l’altermondialisme, les comités anti-libéraux, le Front de gauche et l’extrême gauche communautariste, entre autres. Le premier a perdu son caractère propulsif, les deux suivants ont explosé, la dernière se marginalise… C’est ce que nous appelons le processus de décomposition de la gauche de la gauche. Comme dans les années 30, cela a renforcé l’extrême droite nauséabonde. Bien sûr, les comportements qui en sont la cause sont multiples :

  • Abandonner la classe populaire ouvrière et employée qui réagit en s’abstenant à 60 %, rendant tout processus de transition par les urnes illusoire.
  • Croire que l’on peut faire l’économie de gagner la bataille de l’hégémonie culturelle via une éducation populaire refondée, pour aller plus vite vers la transformation sociale et culturelle.
  • Croire qu’il est possible de gagner les grandes luttes sans refonder les organisations syndicales revendicatives et politiques elles-mêmes.
  • Croire qu’on peut combattre le néolibéralisme en pactisant avec ses alliés indispensables (le communautarisme par exemple).
  • Croire qu’il est possible d’aller vers un post-capitalisme en s’appuyant sur des thèses de l’adversaire (comme le revenu universel par exemple).
  • Conserver des thèses qui ne fonctionnent plus dans un monde globalisé néolibéral (comme les politiques keynésiennes par exemple).
  • S’imaginer que les gourous de l’école qui ont tué la pédagogie par le pédagogisme et le projet scolaire de transmission des connaissances par le socle de compétences peuvent être des alliés.
  • Incapacité de comprendre que la Sécurité sociale peut-être une base d’appui d’un déjà là pour construire un modèle politique post-capitaliste.
  • Difficulté de lier la résistance au projet néolibéral de tuer les services publics à la projection d’avenir de services publics refondés dans le cadre d’un modèle politique global.
  • Incapacité de comprendre que, sans une vigoureuse politique de réindustrialisation de la France sur un mode de transition écologique, il n’y aura pas d’avenir social et politique face au mouvement réformateur néolibéral.
  • Incapacité de lier nos projets de lois sur l’immigration avec ceux de lois sur la nationalité (comme pendant la Révolution française avec ses quatre modes d’acquisition de la nationalité).
  • Difficulté à comprendre qu’il faut combattre le nationalisme et le communautarisme mais que les travailleurs ont besoin de la nation et de l’internationalisme.

Nous réaffirmons que l’entièreté des principes de la République sociale sont indispensables au processus de luttes victorieuses et au processus d’une révolution citoyenne. Aucun de ses dix principes (liberté, égalité, fraternité, laïcité, démocratie, solidarité, sûreté, universalité, souveraineté populaire, développement écologique et social) ne peut être écarté. Ils sont comme les doigts de nos mains. Lors d’un meeting ouvrier, Jean Jaurès expliquait que la bataille laïque de la séparation des églises et de l’Etat permettrait en fait de rassembler le prolétariat en évitant qu’il soit divisé entre catholiques et non catholiques. Les communautaristes de la gauche de la gauche n’ont pas encore compris que, pour l’avenir de la France, le communautarisme anglo-saxon est un puissant diviseur du prolétariat du pays. Ils oublient que le capitalisme et son mouvement réformateur néolibéral développent en même temps la dérégulation de l’économie, les délocalisations, les licenciements boursiers, la destruction de toutes les protections sociales et politiques mais aussi l’individualisation des citoyens sans protection en sous-traitant le lien social aux communautés ethniques et religieuses.
Voilà pourquoi les néolibéraux de droite et de gauche, mais aussi quelques municipalités dirigées par des élus de la gauche de la gauche, ont pactisé avec les communautarismes catholique, juif ou islamiste. Et tout cela est cohérent avec la loi El Khomri et toutes les lois qui ont attaqué la Sécurité sociale de 1967 à nos jours.
Voilà pourquoi il faut articuler le combat social et le combat laïque et plus généralement articuler les 10 principes de la République sociale pour retrouver le chemin de l’émancipation contre le néolibéralisme et contre l’extrême droite. Les communautaristes de la gauche dite radicale qui croient pouvoir faire l’économie de la lutte contre les obscurantismes religieux en viennent, contre leur gré, à aider à la survie du capitalisme en divisant le peuple dans sa lutte sociale et politique.

Ecole publique
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Le « Manifeste pour l’École de la Sixième République » : Lumières et zones d'ombres

par Jean-Noël Laurenti

 

Paul Vannier est secrétaire national à l’éducation du Parti de Gauche. Francis Daspe est responsable de la commission éducation du Parti de Gauche et secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée. Ce Manifeste a été rédigé avec la collaboration des membres de la Commission Éducation du Parti de Gauche et publié aux Éditions du Croquant en juillet 2016 .

Par comparaison avec tant de programmes éducatifs qui paraissent régulièrement, parés de bonnes intentions, et en même temps lénifiants, allant globalement dans le sens des politiques qui depuis un demi-siècle travaillent à détruire l’école républicaine, il y a plaisir à lire ce Manifeste, qui analyse précisément et sévèrement les évolutions récentes et réaffirme des principes qui, pour n’avoir pas le clinquant de la nouveauté, fondent indispensablement l’école de la république, et de la république sociale.

L’ouvrage commence par un tableau critique du quinquennat de François Hollande, ou comment, en matière scolaire, les promesses se sont traduites en fait par une politique de destruction : c’est l’émiettement de l’institution scolaire d’État et sa mutation en école territoriale, livrée aux inégalités, au bon vouloir des élus locaux et des conseils d’administration, aux intérêts privés ; une « école du socle » où les savoirs disciplinaires sont réduits à un saupoudrage, dilués dans une « interdisciplinarité » qui ne peut les remplacer ; le tout sur fond d’austérité malgré l’« enfumages des 60 000 postes ». Emblématiques de cette orientation, la prétendue « réforme des rythmes scolaires », dans laquelle l’organisation des activités périscolaires, avec les moyens du bord, désorganise le temps scolaire lui-même tout en ouvrant la porte aux intérêts privés, ou bien la toute fraîche et toujours contestée réforme du collège, qui met en cause les grilles horaires et donne aux établissements un pouvoir de décision non négligeable sur les contenus enseignés ; le principe directeur étant l’adaptation de l’élève à la société, et même au « bassin d’emploi local », et nullement l’émancipation de l’individu. Tout cela s’accompagne de la dégradation du statut des enseignants : le gel de leurs traitements entraîne la baisse de l’attractivité du métier et donc du niveau des candidats aux concours. Ces enseignants dévalués, désormais « profs de socle », c’est-à-dire « profs de rien ou profs de tout » dans des établissements devenus autonomes, se trouvent de plus en plus sous la coupe des chefs d’établissements invités à mettre en pratique le new public management.

La seconde partie énonce les « principes et propositions pour l’École de la Sixième République ». Cette partie commence par des « éléments de méthode » fort pertinents : il est rappelé que l’école ne peut être la solution aux maux de la société (illusion qui autorise à crier haro sur elle), qu’on ne peut changer la société en changeant l’école, mais que changement de système et reconstruction de l’école vont de pair. Les auteurs mettent aussi en garde contre les mesures miracles et les formules faciles (revenir au « lire, écrire, compter » en ajoutant « cliquer ») ou les impasses (l’opposition entre les « pédagogistes » et les purs nostalgiques de l’école d’autrefois). Encore mieux venue la mise en garde contre « le phénomène d’inversion », qui consiste en ce qu’une mesure apparemment bénéfique peut être mise en œuvre dans un sens qui aggrave le délitement du système scolaire ; « l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions » : cette récupération de revendications démocratiques par un pouvoir de classe, qui les retourne contre leurs visées initiales, n’a rien de surprenant ni de nouveau, mais les discours dominants font évidemment le silence dessus et l’on doit savoir gré aux auteurs de la dénoncer.

Viennent ensuite des éléments programmatiques. « Une École républicaine » implique une restauration de la carte scolaire qui garantisse la mixité sociale, ce qui requiert un rôle actif de l’État, notamment en matière de logement, de transport et d’urbanisme. Celui-ci doit également intervenir en « initi[ant] un plan national de construction et de rénovation des établissements scolaires en d’éducation prioritaire ». Il doit aussi s’assurer que les dépenses engagées pour les élèves soient équivalentes quelle que soit la région, ce qui finalement n’est que « l’enjeu d’une politique d’aménagement du territoire garante de l’égalité de traitement de tous les enfants ». Ces propositions vont évidemment à l’encontre de la décentralisation, cheval de Troie de l’ultra-libéralisme que les auteurs proposent pudiquement de « réinterroger » : il en découle naturellement la réaffirmation du « cadrage national contre [l’]éducation territoriale », l’abolition des fourchettes horaires, l’abrogation de la réforme du collège, la réaffirmation des diplômes nationaux délivrés par l’État ainsi que des concours.

Le chapitre « Une École républicaine » ne fera pas non plus plaisir aux partisans du laisser faire et aux défenseurs des intérêts privés Pour assurer l’égalité et lutter contre la pauvreté, les auteurs préconisent par exemple la gratuité des cantines, avec la « mise en place d’un service public national des cantines associé à une politique agricole et d’aménagement reposant sur le développement de l’agriculture biologique et la mise en place des circuits courts dans le cadre d’une planification écologique ». Autre solution proposée, le développement des internats. L’égalité, c’est aussi bien entendu une véritable lutte contre l’échec scolaire, au rebours du fatalisme « déterministe », avec entre autres l’organisation d’études dirigées et d’aide aux devoirs financées par la suppression du crédit d’impôt sur les services du même genre délivrés par des organismes privés.

Le chapitre « Une École laïque et indépendante » est également radical : abrogation du concordat en Alsace-Lorraine, par exemple, interdiction dans les établissements publics de tous les signes d’appartenance religieuse, même non ostentatoires, fonds publics réservés à l’école publique avec l’abrogation des lois Debré et Carle, développement de l’enseignement public sur tout le territoire. Là encore, il est rappelé que l’État a le pouvoir de décider de la construction d’établissements publics éventuellement contre la volonté des collectivités locales. La laïcité, c’est également la neutralité des programmes ; à ce propos, les auteurs critiquent justement l’idée d’un enseignement spécifique du fait religieux, puisque celui-ci a sa place dans les programmes d’histoire depuis l’antiquité (ajoutons « dans les programmes de français » ; ajoutons aussi : « étant entendu que ces disciplines doivent retrouver leur substance ainsi que la place qui leur revient »). Cela étant, un autre apport du chapitre est de souligner que la laïcité n’est pas simplement l’indépendance vis-à-vis des religions, mais aussi de tous les intérêts privés et des idéologies qui l’accompagnent ; de ce point de vue, les auteurs fustigent très légitimement l’invasion de l’école par « une nouvelle religion : la culture de l’entreprise », propagée avec la bénédiction du ministère, à travers des partenariats avec les grands groupes du CAC 40 et le Medef.

Le chapitre « Une École de la citoyenneté » va encore à l’opposé de l’air du temps : « enseignement civique », oui, disent les auteurs, et encore étendu à toutes les filières sans le laisser au bon vouloir des établissements, mais non enseignement moralisant : formation au droit du travail, par exemple. Apprentissage également de la citoyenneté dans les établissements, reconnaissance du droit syndical pour les lycéens. Tout cela s’oppose explicitement à l’« injonction à l’engagement » (quel engagement ? avec qui ? pour quoi ? après quelle délibération critique ?), ce fleuron du « socle commun », des nouveaux programmes couplés avec la réforme du collège, et de la morale bien-pensante qui animait les Onze mesures pour une grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République de Najat Vallaud-Belkacem. Des pages sont également consacrées au rôle des parents (comme « porteurs d’une conception du service public et les garants de l’intérêt général ») et à la lutte contre le harcèlement.

Dans le chapitre « Une École du savoir », l’opposition est frontale avec la politique suivie depuis le ministère Savary des années 1980. La référence est évidente à Condorcet, qui sera cité dans la conclusion de l’ouvrage : « L’École est le lieu de la transmission du savoir… Contre tous les obscurantismes, [le savoir] est libérateur… L’École doit transmettre le savoir, sans intérêt autre que l’émancipation de celui qui doit savoir. » Non des savoirs éclatés en compétences de « socle », mais le savoir organisé rationnellement, acquis méthodiquement à travers les disciplines, avec accès offert à tous à la culture, y compris les cultures antiques. Il ne s’agit pas d’un culte exclusif de l’intellectuel et de l’abstraction, puisque cela n’empêche pas les auteurs de réclamer la revalorisation des voies professionnelles et technologiques. À l’école primaire, « promotion de l’éducation cuturelle, artistique et sportive », non pas avec les dérives indigentes ou mercantiles des « activités périscolaires », mais avec le recrutement de professeurs fonctionnaires d’État. Dans cet ensemble, de nouvelles disciplines, telles que le codage informatique, ont leur place à condition de s’y intégrer judicieusement et non comme des « gadgets ». Au passage est refusé le dénigrement historiciste des connaissances qui, les taxant d’encyclopédisme « bourgeois », entendait en priver les enfants, et donc particulièrement les enfants d’origine populaire : on ne rappellera jamais assez que c’était cela qui faisait le fond du rapport Bourdieu-Gros de 1982, lequel poussait le fatalisme jusqu’à légitimer les déterminations sociales dans les cursus suivis par les élèves. Deux autres tartes à la crème du discours angélique sont évoquées : les notes, dont les auteurs soulignent l’utilité pédagogique, et le redoublement, dont il est rappelé que le décri a en fait des raisons budgétaires et dont il est préconisé « une pratique équilibrée et raisonnée ». Enfin est proposé l’allongement de l’obligation scolaire de trois à dix-huit ans (mot d’ordre qui prête à discussion car, si la scolarisation précoce est sans conteste nécessaire, il ne faut pas oublier que, par le « phénomène d’inversion » dénoncé précédemment par les auteurs, l’allongement de la scolarité de quatorze à seize ans a servi d’argument au ralentissement des apprentissages et à la baisse des ambitions pour les élèves, et que ce serait donc peut-être d’abord la qualité de l’enseignement et son efficacité, avec pour conséquence la revalorisation des diplômes, qui serait à restaurer).

La question attendue des méthodes pédagogiques est examinée dans le chapitre « Une École des personnels », qui au préalable, contre la dévalorisation et la précarisation dénoncées dans la première partie, affirme la nécessité de restaurer leur statut, avec les garanties (y compris l’âge de départ à la retraite) qui s’y attachent et qui sont indispensables à l’attractivité du métier. N’en déplaise aux potentats ministériels ou locaux, le « professeur dans l’école de la République », « fonctionnaire d’État », parce qu’il est amené à « fai[re] face, dans ses classes… à des situations très variées », doit disposer d’une entière liberté pédagogique. Mais en même temps, cela suppose qu’il connaisse les divers mouvements pédagogiques pour avoir à sa disposition « toute une palette d’approches ». Car, contrairement à ce qu’on reproche souvent à tort aux tenants de l’école de Condorcet, la nécessité d’une formation pédagogique n’est aucune niée. Au contraire, sa restauration à travers les ESPE, après la destructrice « mastérisation des concours » de Sarkozy, est saluée, et même elle est considérée comme insuffisante car le temps d’heures de cours hebdomadaire des stagiaires (un demi-service) reste trop lourd pour leur laisser de la disponibilité à cette fin, et surtout dans son contenu elle reproduit les « errements » des anciens IUFM : ces errements consistaient dans des « formes de formatage » des nouveaux enseignants, en clair l’injonction d’appliquer des doctrines pédagogiques dogmatiquement imposées, qui elles-mêmes aboutissaient à une manipulation de l’enfant, ou plus souvent à l’inefficacité puisqu’elles ne prenaient pas en compte l’enfant tel qu’il était dans une classe ou une situation données. À cette pédagogie qui dénigrait le savoir, les auteurs opposent une formation approfondie et surtout plurielle. Le chapitre se termine par des propositions de refonte du corps des inspecteurs, qui pourraient se transformer en « conseillers-formateurs » revenant régulièrement devant des classes (avec cette fois-ci une prudence qui laisse sur sa faim, les auteurs omettant de dire si la notation pédagogique des enseignants, et donc leur avancement selon leur « mérite », serait supprimée), ainsi que des propositions salariales pour restaurer l’attractivité du métier (là encore, la proposition d’une bourse d’un an, en master 1, pour préparer le concours de recrutement, est assez timide quand on se rappelle qu’autrefois un « pré-recrutement » digne de ce nom, celui des IPES, consistait à recruter à bac + 1 et à payer trois années durant des élèves fonctionnaires qui passaient le concours à bac + 4).

Le dernier chapitre, « une École des élèves », propose essentiellement de revenir sur des politiques néfastes : suppression des décrets Darcos et Peilhon sur la refonte du temps scolaire en primaire, réduction significative des effectifs des classes, refus d’une école qui, se méfiant au fond de la jeunesse, entend lui imposer un formatage comportemental (coup de patte explicite aux Onze mesures) et réaffirmation d’une « école… lieu du savoir » qui fait confiance à sa raison. La conclusion rappelle que cette conception de l’école est inséparable d’un « projet de société », celui de la Sixième République, que « si l’école ne peut pas tout… elle demeure cependant un lieu central du combat, « le terrain d’une lutte de classes et d’un combat contre l’idéologie dominante ». Conception dialectique fort juste, qui aboutit à dire qu’« à l’École aussi, vient le temps de l’insoumission ».

On doit remercier les auteurs de dire haut et fort ce que tant de citoyens républicains pensent tout bas ou confusément. On doit les remercier d’appuyer là où « ça fait mal ». Pour autant, on a eu l’occasion de le voir, ils restent prudents. Ainsi, dans leur rétrospective des politiques passées en matière scolaire, ils ne s’en prennent qu’aux ministères récents, ceux des années Sarkozy et Hollande. Or les évolutions qu’ils dénoncent, continues et programmées, datent au moins de la fin des années 1950, soit la période où la démocratisation inéluctable de l’école impliquait le risque de l’accès du plus grand nombre au savoir de l’élite et donc pour la bourgeoisie, à la fois pour des raisons budgétaires et idéologiques, la nécessité de réduire les contenus enseignés. De ce point de vue, il est inexact d’affirmer que le quinquennat Hollande marque « un tournant » (p. 15) : il marque seulement un pas de plus, un approfondissement, certes significatif. Le dénigrement du savoir, la conception comportementale de l’enseignement et les pédagogies officielles d’inspiration obscurantistes, la négation de la fonction émancipatrice de l’école et l’injonction qui lui est faite de viser à adapter l’individu à la société, déjà présents dans maints rapports des années 1960-70 ou dans la loi Haby de 1975, ont fleuri avec une vigueur particulière sous le premier septennat de François Mitterrand, puis à l’occasion de la loi Jospin de 1989, à laquelle préludait l’onctueux et sinistre rapport Bourdieu-Gros. En matière d’organisation et de statut des personnels, l’atomisation de l’institution d’État, l’extension des pouvoirs des chefs d’établissement ont connu un premier essor décisif durant la même période, avec le rapport Soubré de 1982 qui lança l’idée de « projets d’établissement ». La mise en question des horaires nationaux et l’expérimentation des fourchettes horaires datent également des années 1980. Dans cette évolution sur plusieurs décennies, la continuité était profonde, malgré des oppositions de surface, entre les ministères et de droite et les ministères socialistes, qui déjà faisaient la politique de la droite avec d’autant plus d’efficacité qu’ils bénéficiaient de la neutralité des citoyens de gauche. On comprend que les auteurs de ce Manifeste ne veuillent pas trop fouiller le passé, de peur de choquer ceux qui ont encore le respect des idoles ; par prudence, certes, mais aussi au risque de se priver d’outils d’analyse qui pourraient servir pour les situations à venir.

Une autre zone d’ombre demeure dans la série de mesures de tous ordres annoncées par le Manifeste : quelle attitude adopter à l’égard de tous ceux qui, dans l’administration du ministère de l’Éducation nationale, mais aussi dans l’administration en général, dans les collectivités locales, sur le terrain économique et social, dans toute la société, seront hostiles à ces mesures ? Elles remettent évidemment en cause, fort justement, la décentralisation : comment compter avec les gens de tous ordres à qui celle-ci, depuis des décennies, a conféré pouvoir, avantages et privilèges ? En matière de politique scolaire, on sait bien que les dossiers et les projets ne sont pas établis par les ministres, mais par les bureaux du ministère, dont les occupants demeurent, assurent la continuité et défendent leurs prébendes : les anecdotes ne manquent pas des pièges subtils et des sabotages discrets qui, dans les décennies dont nous parlions, ont fini par réduire à néant l’action de ministres trop volontaristes, dont le plus célèbre a été Jean-Pierre Chevènement. Cela relève d’un phénomène général tout simple, qui est la distinction entre le gouvernement et l’appareil d’État, et l’obstacle nécessairement opposé par le second au mouvement social. Gagner les élections, nommer un ministre si révolutionnaire soit-il, ce n’est pas conquérir le pouvoir, c’est à peine, selon le mot de Braque, se retrouver face aux difficultés qui commencent. Encore faut-il en être conscient.

On regrette donc l’absence de ce genre d’analyse et de précisions de la part d’auteurs qui se réclament du combat de classe. On regrettera de même d’autres concessions de langage, par exemple la référence sans autre commentaire à des « valeurs » républicaines (p. 62) alors que, on ne le répétera jamais assez, ce qu’on appelle « valeurs républicaines » ne sont pas des valeurs, sauf à renoncer à exister, mais des principes rationnels qui fondent le régime républicain et garantissent l’individu contre la tyrannie. De même, on s’étonnera de l’expression « culture commune » (p. 63) employée sans autre précision pour définir la culture apportée par l’École républicaine : la « culture commune » est précisément celle du « socle » que les auteurs stigmatisent avec raison. Le mérite ce qu’ils appellent « culture commune », dispensée par l’école républicaine, n’est pas d’être « commune », c’est-à-dire de rassembler les individus dans des communions d’ordre affectif (c’est l’école de la collaboration de classe voulue par le Medef et le Ministère), mais d’abord d’être culture, c’est-à-dire savoir (comme il est dit et réaffirmé partout ailleurs), dispensé à tous, ce qui fait de la république une collection de citoyens éclairés. Enfin, l’expression « projet de société », plusieurs fois employée, est hautement discutable. Sur le fond il est incontestable, on l’a vu, que la transformation de l’école va de pair avec la transformation de la société, et aussi que le combat à l’intérieur de l’école est un des terrains d’action pour la transformation sociale. Mais pour ce qui est de la formulation, la notion de « projet » est une notion entrepreneuriale, qui s’est répandue dans les domaines les plus divers, diffusée et acceptée dans la société comme il est naturel que l’idéologie dominante s’insinue sous les couleurs de l’évidence. L’expression « projet de société » a commencé à être employée par le parti socialiste à partir du moment où celui-ci a abandonné de plus en plus ostensiblement la référence au marxisme et à la lutte des classes. Que l’on parle de « programme », de « mesures », voire de « propositions », est pertinent, mais la transformation sociale à laquelle visent ces propositions n’est pas un « projet », alternatif à d’autres, sorti tout armé de l’esprit d’un certain nombre d’individus, si intelligents et si bien intentionnés soient-ils, comme l’étaient les projets du socialisme utopique : ainsi que le disait en substance Jaurès, c’est un mouvement qui sort du fond même des choses, qui découle du mode de production capitaliste, de ses contradictions et des errements auxquels il aboutit. Nous le voyons bien à l’heure actuelle où ses convulsions et l’incompatibilité exacerbée entre l’intérêt général et l’intérêt privé de quelques-uns nous mènent à la croisée des chemins ; ou bien bains de sang divers, cataclysmes climatiques et mise en péril de l’espèce humaine, ou bien organisation planifiée du travail ; c’est-à-dire, comme disait une autre, « socialisme ou barbarie ». Devant une telle alternative, il est difficile de parler simplement de « projet ».

Avec ces réserves, remercions les auteurs de ce Manifeste qui exprime la doctrine du Parti de Gauche, d’aller clairement à l’encontre de cette unanimité obscurantiste et bien-pensante qui caractérise les propositions pour l’école émanant des partis politiques en vue, tant de la droite que de ses pseudo-contradicteurs ou de ses idiots utiles.

 

Protection sociale
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La protection sociale à l’épreuve de l’égalité entre les femmes et les hommes

par Christiane Marty

 

Notre système de protection sociale a été mis en place au sortir de la Seconde guerre mondiale. Il répondait à l’objectif d’assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans les cas où ils se trouvent dans l’incapacité de travailler. Les causes d’incapacité concernées étaient la maladie, l’invalidité, l’accident du travail, la vieillesse et la maternité ; le chômage, qui n’était pas une préoccupation à l’époque, n’a été intégré que plus tard. Ce système s’est construit sur le statut de travailleur (plus restrictif donc que celui de citoyen) et sur la base du modèle de famille patriarcale, avec l’homme « gagne-pain » et la femme qui assure la gestion de la famille. L’ordonnance qui instaure la Sécurité sociale parle ainsi des travailleurs et de leurs familles[1]. L’homme, travailleur, émancipé, a des « droits propres », directs, à la protection sociale. La femme bénéficie de « droits dérivés » ouverts par le statut d’épouse et/ou de mère. C’est une logique de dépendance. Elle aboutit aujourd’hui à ce que de nombreuses femmes séparées ou divorcées, qui n’ont pas acquis de droits propres, se retrouvent sans couverture sociale adéquate, sans retraite hors du minimum vieillesse, et passent de la dépendance envers leur mari à celle envers les minimas sociaux. Même si le système de protection sociale a évolué au fil du temps, il reste inadapté, de diverses manières, au regard des mutations de la société, en particulier des modes de vie. Il doit se transformer de manière à associer étroitement les principes de solidarité et d’égalité entre les femmes et les hommes.

Un contexte d’offensive générale

Les politiques menées depuis les années 1980 dans le contexte de la mondialisation néolibérale ne cessent de porter des coups à la protection sociale. L’offensive se situe à la fois sur les plans économique et idéologique. La logique libérale vise à restreindre la couverture assurée par la solidarité nationale (santé, retraites, etc.) et financée essentiellement par les cotisations sociales, le but étant d’ouvrir ce vaste champ aux assurances privées et aux opportunités de profit. Ce qui est déjà largement à l’œuvre. Face à la baisse des pensions de retraite et des remboursements de soins, nombre de personnes – celles qui en ont les moyens -développent des « stratégies individuelles d’épargne », selon la formule consacrée, en se tournant vers des assurances privées pour compléter leur couverture sociale. On glisse ainsi d’une protection sociale conçue comme un droit universel – ou ambitionnant de l’être – à une assistance envers les plus pauvres, « un filet de sécurité ». Cette mutation s’appuie en parallèle sur un discours idéologique affirmant que chacun est responsable de son sort, donc, au choix, de sa pauvreté, de son chômage, etc. S’en suit une stigmatisation des personnes « assistées », qui sert à légitimer l’exigence croissante de contreparties aux allocations versées  – pressions pour faire accepter des emplois aux normes dégradées -, selon la logique du « workfare »[2]. Cette évolution signifie un recul des droits sociaux pour tous, qui touche plus durement les plus démunis, parmi lesquels les femmes sont majoritaires.

Il y a donc aujourd’hui un double enjeu : défendre notre système de protection sociale contre l’offensive libérale; mais en même temps le transformer pour assurer une égalité d’accès de tous et toutes aux droits à la protection sociale, adaptée aux évolutions des modes de vie. Il s’agit en particulier de passer d’une logique de dépendance des femmes vis-à-vis de leur conjoint à une logique d’égalité. Une protection sociale de haut niveau doit être un outil pour la réalisation des droits humains. C’est un vaste chantier qui ouvre des perspectives de réflexion.

Ce texte se propose de partir de l’exemple des retraites. Il montre en quoi la protection sociale porte une forte responsabilité dans la reproduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Il témoigne de la tendance générale au renforcement de la contributivité du système (voir ci-après), d’autant plus pénalisant pour les femmes. Dérouler le fil de ces inégalités permet de concevoir un modèle social garantissant de nouveaux droits favorables au progrès de tous.

Retraites : une pérennisation des rôles sexués à la source des inégalités

La protection sociale, et donc le système de retraite[3], ont été conçus il y a soixante-dix ans sur le modèle de l’homme soutien de famille, qui travaille à temps plein et sans interruption de carrière. Le mode de calcul de la pension a été basé sur cette « norme » de carrière. Quel que soit le régime de retraite, la pension dépend à la fois du salaire[4] et de la durée de carrière (durée de cotisation), avec une durée minimale définissant la « carrière complète ». Ce calcul défavorise les femmes car elles ont en moyenne des carrières plus courtes du fait des interruptions pour élever les enfants, et des parcours comprenant souvent des périodes à temps partiel. En outre, depuis 1993, un abattement très pénalisant est appliqué sur la pension si la durée de carrière complète n’est pas atteinte (décote de 5% par année manquante).

Au final, le système de retraites amplifie les inégalités qui existent dans la vie professionnelle entre les femmes et les hommes puisque le salaire moyen des femmes représente 75 % de celui des hommes, mais leur pension moyenne de droit direct ne représente que 58 % de celle des hommes (2011).

Ajoutons que ce modèle n’est pas non plus adapté à l’évolution des parcours professionnels qui voient se multiplier les entrées tardives dans la vie active et les périodes d’interruption du fait du chômage et de la précarité croissante de l’emploi.

Des dispositifs familiaux à double tranchant

Au fil du temps, des dispositifs ont été introduits dans le système de retraites – droits liés aux enfants, assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), pension de réversion – pour compenser les plus faibles pensions des femmes résultant de leur engagement familial, gestion du foyer et prise en charge des enfants. D’abord destinés aux femmes, la plupart sont aujourd’hui ouverts aux hommes pour respecter l’exigence européenne d’égalité entre les sexes. Ils continuent néanmoins de bénéficier majoritairement aux femmes, ce qui ne fait que refléter une réalité où d’une part, ce sont essentiellement elles qui assument la gestion familiale et d’autre part, elles vivent en moyenne plus longtemps.

Les  dispositifs familiaux permettent de compenser une partie des inégalités de pension entre les sexes, même s’ils restent loin de les supprimer. Ainsi, lorsqu’on les ajoute à la pension de droit direct, la pension des femmes passe à 72 % de celle des hommes (au lieu de 58 %). Ces dispositifs atténuent donc sensiblement les inégalités de retraite femmes-hommes. Mais ils sont à double tranchant car en visant à compenser ces inégalités, ils les entretiennent en validant et en figeant une division sexuelle des tâches parentales et domestiques, très néfaste aux femmes…Différents cas se présentent.

Certains dispositifs sont réservés au parent, mère ou père, qui diminue ou cesse son activité professionnelle pendant les premières années des enfants : c’est le cas de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et de la majoration de durée d’assurance (MDA) dans la fonction publique. Ce sont concrètement des incitations à se retirer du travail, partiellement ou totalement, ce qui est très préjudiciable à la carrière, au salaire et in fine au niveau de pension. Dans les faits, ces dispositifs concernent essentiellement les femmes. On en arrive ainsi à une aberration : l’attribution de droits familiaux complémentaires aboutit à dégrader les droits directs à la pension !

Si, à l’inverse, les droits familiaux attribués au titre des enfants sont accordés au père comme à la mère sans condition de cessation d’activité, alors que, dans la situation actuelle, ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge les tâches parentales (cette situation n’évolue que très lentement[5]) et qui sont pénalisées dans leur salaire et leur carrière, qu’il y ait eu, ou non, retrait de l’emploi[6], de tels droits ne compensent en rien la pénalisation subie par les femmes ; ils n’atténuent donc pas les inégalités. On est alors en droit d’en chercher la légitimité.

On doit même attribuer une mention spéciale au dispositif qui accorde à tout salarié, homme ou femme, ayant eu trois enfants une majoration de 10 % du montant de sa pension. Étant calculée en proportion de la pension, cette majoration rapporte deux fois plus aux hommes qu’aux femmes (COR 2008) dans le régime général : il contribue ainsi à augmenter les inégalités de pension entre les sexes[7] !

Enfin, dernière option, si des droits familiaux sont accordés aux seules femmes, ils signifient l’acceptation et la pérennisation par les institutions sociales des rôles sexués inégalitaires: ils enferment les femmes dans leur rôle d’épouse et de mère, et sont contraires aux aspirations à l’égalité.

Dilemme

Pour résumer, l’attribution de droits familiaux en complément des droits directs part du constat de la faiblesse des droits directs des femmes résultant de leur engagement familial ; il vise à réduire les inégalités de pension entre hommes et femmes. Pourtant, quelle que soit l’option envisageable, ces droits familiaux aboutissent à pérenniser les rôles sociaux sexués qui produisent ces inégalités, et/ou à dégrader les droits directs des femmes, alimentant là aussi ces inégalités. De tels droits sont structurellement contre-productifs ! Ce constat vaut pour la protection sociale dans son ensemble. Comment alors organiser la nécessaire réduction des inégalités entre les sexes sans recourir à des mesures ciblant les femmes, qui ne font que valider leur assujettissement ? Comment évoluer vers un modèle de protection sociale rompant avec le modèle patriarcal et mettant en son cœur le principe d’égalité ? La réponse passe non par un renforcement des droits familiaux mais par la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes dans l’accès aux droits propres. En ce qui concerne les retraites, il s’agit de réduire les inégalités dans les pensions de droit direct.

Améliorer la pension de droit direct des femmes

Bien entendu, cela suppose d’agir en amont de la retraite pour combattre les inégalités de carrière et de salaires dans la vie professionnelle : favoriser un partage égal entre femmes et hommes des tâches domestiques et parentales, lever les obstacles à l’emploi à temps plein des femmes ce qui implique de développer un service public d’accueil de la petite enfance et aussi de réduire pour tous le temps de travail, combattre la précarité de l’emploi, reconnaître la qualification des emplois dits féminins notamment dans l’économie du soin (care), etc. Pour ce qui concerne la constitution des droits directs, il s’agit d’en modifier les modalités pour ne plus pénaliser les femmes. Sont concernés la durée de la carrière exigée pour une pension à taux plein et le calcul du salaire de référence.

Les femmes ayant en moyenne des carrières plus courtes, elles atteignent plus difficilement la durée de cotisation exigée[8]. De plus, celle-ci ne cesse d’être allongée, ce qui les touche plus durement encore, comme l’ont dénoncé les féministes lors des mouvements sociaux s’opposant aux réformes[9]. Mettre en œuvre l’égalité d’accès aux droits directs implique de diminuer la durée de cotisation pour l’ajuster à une durée réalisable par tous les salariés, femmes et hommes. Cela implique également d’annuler la mesure qui a fait passer de 10 à 25 le nombre d’années sur lequel est calculé le salaire moyen de référence : cette mesure a fortement contribué à la diminution des pensions, en particulier celles des femmes. Il est pourtant possible d’adopter une règle qui ne pénalise pas les carrières courtes et donc ne discrimine pas les femmes. Le nombre d’années pris en compte pour le calcul devrait être fixé, non pas en absolu, mais en relatif par rapport à la durée de carrière réalisée[10]. De manière globale, la logique à mettre en œuvre, qui sera favorable à tous mais un peu plus aux femmes, consiste à renforcer le lien entre pension et meilleurs salaires obtenus au cours de la carrière[11].

C’est évidemment la logique opposée qui guide les réformes de retraites menées un peu partout depuis trente ans. L’orientation actuelle vise au renforcement de la contributivité du système de retraites[12] et donc, en parallèle, à la baisse du poids des mécanismes de solidarité dans le niveau de pension. Ces mécanismes incluent les droits familiaux, dont on vient de le montrer qu’ils sont à double tranchant mais qu’ils ne peuvent pas être supprimés ou réduits sans mettre en place des mesures pour renforcer les droits directs des femmes. Les dispositifs de solidarité incluent aussi la pension de réversion et le minimum garanti (fonction publique) ou contributif (montant plancher de la retraite de base), qui représentent une solidarité essentielle envers les faibles pensions. Latendance au renforcement de la contributivité dénature l’idée de protection sociale et aboutit à une pénalisation globale des pensions des femmes.

Envisager la protection sociale à partir de la situation de femmes

Partir des retraites des femmes et envisager un système de retraites qui s’appuie sur l’égalité entre les hommes et les femmes ouvre des voies pour améliorer la protection sociale dans son ensemble. Si les femmes ont en moyenne des carrières plus courtes, des salaires plus faibles et des périodes à temps partiel, c’est parce qu’elles assument l’essentiel de la gestion du foyer. Le modèle d’égalité femmes-hommes que nous souhaitons n’est pas celui où les femmes renonceraient à s’investir dans l’éducation des enfants, mais celui où les hommes s’y investiraient autant qu’elles ; un modèle où les services d’accueil des enfants seraient disponibles, abordables (voire gratuits) et de qualité ; où les femmes ne seraient plus incitées à travailler à temps partiel pour « concilier » vie familiale et professionnelle mais où, en contrepartie, le temps de travail serait réduit pour tous et permettrait une meilleure qualité de vie. Cela signifie que la référence de carrière professionnelle à considérer, si l’on souhaite faire évoluer notre modèle de société vers l’égalité, doit être plus proche de la durée de carrière des femmes que de celle des hommes.

Réduire la durée de carrière exigée pour la pension à taux plein répond également à d’autres réalités. Les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, du fait de l’allongement de la durée des études et des difficultés d’insertion. Ils arriveront de moins en moins à obtenir la durée de cotisation exigée, sauf à reculer toujours plus l’âge de départ. Il est donc urgent de faire évoluer la protection sociale pour offrir un meilleur avenir aux jeunes générations et couvrir de nouveaux projets de vie.

Ainsi, il serait envisageable d’aménager une possibilité de périodes d’interruption dans la carrière professionnelle pour raisons personnelles (éducation des enfants, congé sabbatique, formation, assistance auprès d’un proche, etc.). Cette période, sous forme d’un crédit accordé à tous et toutes, fractionnable, d’une durée à préciser (plusieurs années ?) serait validée pour la retraite. La « norme » ou la référence à retenir pour concevoir une réforme progressiste serait une carrière plus courte, c’est-à-dire, là encore, une référence qui se rapproche plus de celle des femmes que de celle des hommes.

Pour une remise à plat des prestations familiales

Réfléchir à une protection sociale rompant avec le modèle patriarcal nécessite d’avoir une vue globale sur la manière dont la société organise sa participation à la prise en charge des enfants. Or elle passe par différents canaux : la protection sociale à travers la branche famille de la Sécurité sociale, la fiscalité avec la réduction d’impôt liée au quotient familial et diverses prestations familiales dans le cadre de la politique familiale. Même si on entend souvent vanter la réussite de la politique familiale en France, l’ensemble est incohérent et illisible. On se perd dans l’empilement de mesures (prestation d’accueil du jeune enfant, complément de libre choix du mode de garde, complément de libre choix d’activité CLCA, allocation de soutien familial, etc.).

De plus, on peine en saisir la logique globale. Les allocations familiales étaient, jusqu’à récemment, de type universel. Pas complètement d’ailleurs, car un seul enfant n’y donne pas droit. Le gouvernement a instauré une dégressivité des allocations en fonction des ressources, initiant ainsi la rupture avec le principe majeur de la protection sociale, l’universalité des droits. Ensuite il existe des prestations attribuées sous conditions de ressources (comme l’allocation de rentrée scolaire). De son côté, le quotient familial, dispositif de l’impôt sur le revenu, accorde une réduction d’impôt par enfant d’autant plus forte que le revenu du foyer est élevé ! C’est une prestation en faveur des plus riches[13] ! Ainsi, en 2009, les 10 % des foyers les plus riches se sont partagé 46 % du total de cette réduction d’impôt,pendant que les 50 % de foyers aux plus bas revenus s’en partageaient seulement 10 %. Un plafonnement de cette réduction a été mis en œuvre depuis 2012, promu comme une mesure de justice sociale mais guidé par un objectif d’économies budgétaires. Concrètement, le plafonnement ne change pas grand chose au caractère régressif du quotient familial. Au final, les prestations universelles ne représentent qu’une petite part du budget de politique familiale.

Un congé parental à transformer

Par ailleurs, le congé parental incite concrètement les femmes à se retirer de l’emploi, avec ensuite de réelles difficultés à le réintégreret des conséquences en termes de carrière et de progression de salaires. En 1994, la mesure qui précédait le congé parental, l’allocation parentale d’éducation (APE) qui était ouverte à partir de trois enfants, a été étendue à deux enfants. Comme le développement de l’emploi à temps partiel, cette mesure était conçue dans un cadre de gestion du chômage, la main d’œuvre féminine enrôlée comme variable d’ajustement… On en connaît le résultat : le renvoi au foyer de nombreuses femmes. En trois ans seulement, le taux d’activité des femmes éligibles à l’APE a chuté de 15 points en passant de 70 % à 55 %. La réforme du congé parental en décembre 2013 est censée inciter aussi les pères à y recourir. Mais ses modalités en font douter. Comme l’analyse Hélène Périvier[14], ce congé ne peut être maintenu que si on en corrige le caractère sexué. Il doit donc être un droit individuel, non transférable entre les parents. Il faut le raccourcir de manière à limiter le temps d’interruption, toujours néfaste, et le rémunérer non par un forfait mais en proportion du salaire[15], en instaurant un plafond. Il faudrait en parallèle mener des campagnes pour inciter les hommes à s’investir dans l’éducation des enfants,et améliorer la qualité de l’emploi, notamment féminin.

Un objectif en cohérence avec l’émancipation

Que pourrait être une politique familiale et une protection sociale cohérentes avec l’affirmation de l’égalité et favorisant l’émancipation de chacun.e ? Et d’abord, quel objectif lui attribue-t-on ? Après guerre, la politique était nataliste, d’où des avantages financiers augmentant à partir du 3ème enfant (retraites, quotient familial, allocations). Il faut en finir avec cet objectif et refuser toute instrumentalisation des femmes. La politique familiale doit viser à permettre aux femmes et aux couples de choisir librement d’avoir ou non des enfants, sans laisser les contraintes matérielles ou professionnelles décider à leur place. Il s’agit d’organiser dans ce cadre l’aide de la société aux familles.

Politiques familiale et  fiscale : à chacune sa fonction

Le quotient familial est un dispositif familial inséré dans l’impôt. Alors que la progressivité de l’impôt sur le revenu répond à un critère de justice sociale, l’intégration du quotient familial dans cette progressivité rend le dispositif anti-redistributif, comme on vient de le montrer. Il est donc juste de le supprimer et d’envisager son remplacement dans le cadre d’une mise à plat globale des prestations familiales. Le principe rationnel suivant devrait être adopté : cesser de vouloir faire de l’impôt un outil de politique familiale et s’en tenir au principe : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». La fiscalité s’en tiendrait à considérer les ressources financières d’une personne pour définir sa faculté de contribuer. La progressivité de l’impôt, à renforcer, assurerait ainsi la redistribution verticale des plus riches vers les plus modestes. De son côté, la politique familiale s’occuperait d’apporter le soutien de la société aux charges familiales des ménages à travers prestations et services. Nul doute que cette séparation des fonctions rendrait à la fois la politique familiale et l’impôt plus lisibles, plus transparents et plus justes.

Les politiques en matière de protection sociale tout comme la fiscalité jouent un rôle important dans l’accès des femmes au marché du travail. Mentionnons encore la nécessité de remettre à plat le quotient conjugal qui impose conjointement tout couple marié ou pacsé : il constitue un frein à l’emploi des femmes et est lui aussi fortement inégalitaire. Seul un statut personnel de contribuable, tout comme des droits sociaux attachés à la personne, sont conformes à l’exigence de pleine citoyenneté.

Réaffirmation d’une démarche de droits universels

C’est le rôle de la politique familiale d’affirmer le droit pour tout enfant d’être pris en charge par la société, au moins partiellement, et de se voir assurer l’éducation, dans une démarche de droits universels. Or, comme présenté précédemment, l’objectif universaliste de la protection sociale recule insidieusement pour viser à fournir un simple filet de sécurité pour les plus démunis, avec le risque que celui-ci se réduise progressivement. Car à partir du moment où les prestations financées par tous ne bénéficient qu’à certains, le risque existe que la solidarité de ceux qui financent sans retour en vienne à se ramollir. Seule l’inconditionnalité des droits peut permettre des droits de haut niveau.

 Développement d’un service public de la petite enfance et de la dépendance

Dans la famille comme dans la sphère professionnelle, les activités de care sont essentiellement accomplies par les femmes, suivant des stéréotypes encore fortement ancrés. Une protection sociale visant à rendre effectifs les droits propres des femmes doit être articulée avec la création de services publics pour l’accueil des enfants et l’aide aux personnes en perte d’autonomie. Ils doivent permettre de décharger les femmes de ces tâches dans la sphère privée et de favoriser leur accès à un emploi à temps plein. En parallèle, le développement de ces services doit être bien autre chose qu’un simple transfert à la collectivité des activités assumées par les femmes. Il doit conduire à une prise de conscience au niveau sociétal de l’apport essentiel de tous ces métiers (aides-soignantes, aides à domicile, auxiliaires de vie, etc.). Leurs qualifications doivent être reconnues et les salaires revalorisés ; ils doivent s’adresser aux hommes comme aux femmes. Ces questionnements autour de la valeur des activités participent en outre fortement à la construction d’un nouvel imaginaire sur lequel baser la transformation sociale.

Promouvoir un État social émancipateur pour tous et toutes

Les exemples des retraites et de la politique familiale ne prétendent pas faire le tour des enjeux d’une protection sociale garante des droits des femmes. Mais ils permettent de dégager quelques principes et grandes lignes pour guider sa nécessaire transformation.

Ainsi, il est indispensable d’agir sur la source des inégalités et de privilégier le renforcement des droits propres et non celui de droits complémentaires ou dérivés. Ces derniers contribuent en effet à pérenniser les rôles sexués, au détriment de l’émancipation des femmes. Favoriser l’accès des femmes à un emploi à temps plein de qualité, condition de leur autonomie, signifie tout à la fois soutenir un partage égalitaire des tâches entre femmes et hommes, réduire pour tous le temps de travail, développer un service public d’accueil de la petite enfance, lutter contre la précarité qui caractérise souvent les emplois des femmes, reconnaître la qualification des emplois notamment dans le care.

Il faut réaffirmer le principe de l’universalité de la protection sociale contre l’offensive en cours qui vise à la privatiser. À l’opposé de cette orientation, la protection sociale doit évoluer en s’appuyant notamment sur l’égalité entre les femmes et les hommes pour penser et ouvrir de nouveaux droits. Elle doit être un outil pour le progrès social et la réalisation des droits humains.

 

Notes

[1] L’article 1er de l’ordonnance de 1945 indique ainsi que la Sécurité sociale est « destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent ». On peut noter que la maternité était prise en compte plus en tant que charges à couvrir par le travailleur que sous l’angle des conséquences du retrait d’emploi de la femme salariée.

[2] Voir notamment « Protection sociale, vers un nouveau modèle ? » Pierre Khalfa, dans Travail Genre et société, avril 2016.

[3] Pour une analyse des retraites intégrant la dimension de genre, voir « Femmes et retraites un besoin de rupture », C. Marty, http://www.fondation-copernic.org/index.php/2013/10/10/femmes-et-retraites-un-besoin-de-rupture/

[4] Elle est proportionnelle à la moyenne des meilleurs salaires obtenus dans la carrière : le nombre d’années sur lesquelles se calcule cette moyenne a augmenté en 1993 et est passée de 10 à 25 ans, ce qui pénalise fortement les carrières courtes, donc les femmes.

[5] Voir Femmes et Hommes, Regards sur la parité, 2012, Insee.

[6] Même sans cessation d’activité, avoir des enfants pénalise la carrière des femmes et, à l’inverse, favorise celle des hommes. En effet, aux yeux des employeurs, les femmes, même si elles n’ont pas d’enfant, sont toujours soupçonnées d’un moindre investissement professionnel et elles sont discriminées dans leur salaire et déroulement de carrière.

[7] Le caractère aberrant et injuste de cette majoration est connu depuis longtemps. En 2014,  le gouvernement l’a rendu imposable, ce qui ne remédie en rien à l’injustice envers les femmes.

[8] Voir « Femmes et retraites un besoin de rupture », déjà cité.

[9] Ce n’est pas le sujet de montrer ici en quoi consisterait une réforme juste et efficace des retraites. Voir Retraites, l’alternative cachée, Fondation Copernic, 2013.

[10] Le salaire moyen serait calculé sur un nombre d’années correspondant, par exemple, au quart de la durée de la carrière – ou moins encore -. Pour une carrière de 40 ans, le calcul retiendrait les 10 meilleures années de salaire. Pour une carrière de 20 ans, le calcul se ferait sur la moyenne des 5 meilleures années.

[11] Voir Lucy apRoberts et Nicolas Castel dans « Retraites : comment améliorer les droits des femmes ? », Notes de l’Institut européen du salariat, n° 32, juin 2013.

[12] La contributivité du système mesure l’ampleur du lien de proportionnalité existant entre le montant des cotisations versées tout au long de la vie active et le montant des pensions reçues tout au long de la retraite. Le terme renvoie à la définition des droits « contributifs », acquis en contrepartie de cotisations versées par l’assuré-e et son employeur. Les droits non contributifs, comme les dispositifs familiaux, la pension de réversion, le minimum de pension, sont des prestations dont le versement ne dépend pas d’une cotisation préalable.

[13] Le quotient familial, un coûteux privilège de classe, C Marty, http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/files/quotient-familial-marty.pdf

[14] Refonder le système de protection sociale, Bernard Gazier, Bruno Palier, Hélène Périvier, Sciences Po. les presses, 2014.

[15] Les hommes ayant en moyenne des salaires supérieurs aux femmes, une rémunération du congé parental au forfait est désincitative.

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Un candidat qui a prêté allégeance à l’Église peut-il présider l’Université de Strasbourg ?

par Michel Seelig

 

L’Université de Strasbourg est un fleuron du système d’enseignement supérieur et de recherche français, le cinquième établissement de notre pays, si l’on en croit le « Classement de Shanghai ». Or, il est envisagé l’élection au siège de président de l’UNISTRA, fonction loin d’être uniquement honorifique, d’un prêtre catholique.

Il n’est évidemment pas question ici de mettre en cause les capacités intellectuelles ni la moralité du candidat, Michel Deneken, spécialiste de christologie et d’ecclésiologie, ancien Doyen de la Faculté de théologie catholique. Il convient seulement de rappeler le statut de cette faculté et de ses membres.

La Faculté de théologie catholique de Strasbourg est une création de l’Empire d’Allemagne à l’époque où celui-ci avait annexé l’Alsace. Le 5 décembre 1902, une Convention est signée, entre le Vatican et le Gouvernement impérial, une Convention en vue de l’érection d’une Faculté de théologie. Elle précise que :

  • « la nomination des professeurs se fera après entente préalable avec l’évêque. Avant d’entrer en fonction, les professeurs auront à faire la profession de foi entre les mains du Doyen, selon les formes et règles de l’Église »
  • « Si la preuve est fournie par l’autorité ecclésiastique qu’un des professeurs doit être considéré comme incapable de continuer son professorat […] pour manque d’orthodoxie […], le Gouvernement […] prendra les mesures propres à faire cesser la participation dudit professeur aux affaires confiées à la Faculté ».

Cette Convention fut confirmée après le retour de l’Alsace à la France, en 1923, et reste ainsi toujours en vigueur.

« Je suis un fonctionnaire d’État » ne cesse de répéter Monsieur Deneken …actuel vice-président de l’UNISTRA et candidat à la présidence. Un fonctionnaire bien particulier, avec une double allégeance, à la France et au Vatican !

On est en droit de s’inquiéter de la « liberté » d’un président qui a prêté allégeance à l’Église, comme on peut craindre pour la liberté des recherches acceptées par l’université si doivent être exclus par principe les thèmes non approuvés par l’Église. On peut aussi redouter de voir s’installer durablement la confusion entre science et spiritualité comme ce fut le cas, le 19 septembre dernier, lors d’un colloque scientifique organisé en présence …du Dalaï lama. Ce colloque était organisé par le même Michel Deneken qui brigue aujourd’hui la présidence de l’université.

Ce post est publié conjointement sur le site de l’association EGALE.

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Surpopulation carcérale : construire ou faire évoluer les peines ?

par ReSPUBLICA

 

“Peut-on progresser en mettant la charrue avant les bœufs ?”, demande Pierre-Victor Tournier dans son blog à la suite de récentes annonce gouvernementales. S’appuyant sur la position de la FARAPEJ (Fédération des associations réflexion action prison et justice) qui suit :

Alors que la population carcérale atteint des records (69 675 personnes), le Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a remis au parlement, le 20 septembre dernier, un rapport sur l’encellulement individuel, intitulé « Pour en finir avec la surpopulation carcérale ». Si la FARAPEJ partage de nombreuses analyses qui sous-tendent le rapport (importance de l’encellulement individuel, nécessité de se pencher sur la vie en prison et sur la préparation à la sortie, nécessité d’une politique réductionniste), notre fédération ne peut pourtant valider les conclusions et préconisations de ce rapport. Alors que le rapport propose une analyse fine et précise de la situation – notamment une analyse des moyens d’une politique réductionniste – les conclusions soumises au parlement, dont les évaluations des besoins en places de prison, privilégient la construction.[…] Pourtant, dans le contexte de forte inflation carcérale que l’on connaît depuis quarante ans, c’est en s’interrogeant sur la place de la prison plutôt que sur le manque de places de prison qu’on pourra résoudre le problème à moyen terme. Toute solution qui prévoirait la construction de prisons, sans s’attaquer à l’inflation carcérale ni engager une politique réductionniste, serait vouée à l’échec car elle s’attaquerait au symptôme et non aux causes du problème.

P.-V. Tournier ajoute :

Nous regrettons, tout particulièrement,  que le Garde des Sceaux  n’ait pas été au rendez-vous du 15 août 2016  prévu dans l’article 20 de la loi du 15 août 2014 :  le Gouvernement s’était engagé à remettre un rapport au Parlement, dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, soit le 16 août 2016, « étudiant la possibilité de sanctionner certains délits d’une contrainte pénale à titre de peine principale, en supprimant la peine d’emprisonnement encourue, et évaluant les effets possibles d’une telle évolution sur les condamnations prononcées ainsi que ses conséquences sur la procédure pénale ».
Ce rapport d’évaluation de la contrainte pénale et de la libération sous contrainte que l’on nous promet désormais pour fin octobre, aurait bien évidemment dû précéder toute considération sur la nécessité de construire de nouvelles places de prison.  Sur la base du peu de statistiques  disponibles,  nous savons  que cette nouvelle sanction « dans la communauté » et cette nouvelle mesure de libération anticipée sont très peu prononcées par les juges, alors qu’elles avaient vocation à prévenir la récidive de par leur nature et de par la baisse de la surpopulation qu’elles devaient logiquement produire.
Il y a urgence à prendre les décisions qui s’imposent pour que la loi du 15 août 2014 soit enfin appliquée
.

NB – Inflation carcérale au 1er septembre 2016  : + 2 700 détenus en plus en un an  ( dont + 2 000 pour les prévenus),  surpopulation carcérale : 13 800 détenus en surnombre dont 1 439 dorment sur un matelas posé à même le sol. 39,5 % de l’ensemble des détenus bénéficient d’une cellule individuelle.

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Les primaires ne sont-elles pas illégitimes ? 

par Bernard Guibert

 
Si la Rédaction de ReSPUBLICA approuve cette dénonciation du déni de démocratie que constituent les primaires, elle ne partage pas forcément la position que semble prendre l’auteur à l’égard du choix du candidat de la droite…

Montesquieu ne dénoncerait-il pas un viol de “L’Esprit des lois”, la loi fondamentale, la Constitution?
La perspective qu’une fraction de la gauche envisage de détourner la primaire de droite – politiquement je l’approuve et le ferai sans état d’âme – dénature l’élection présidentielle “réelle” en la préemptant et  bafoue le caractère démocratique de l’expression de la souveraineté du peuple dans son intégrité puisque une “brigue privée” dirait Rousseau lui dicte à l’avance son choix en le rendant nul.
Non pas que au nom de la gauche dont je me réclame je ne me réjouisse pas de la possibilité de nous débarrasser de Sarkozy dont le quinquennat m’a fait honte pour mon pays, la France. À tel point que par pragmatisme je me tâte pour rejoindre cette résistance secrète.
Même les modalités concrètes de cette expression de la souveraineté populaire ne sont pas respectées par ces primaires.
D’abord elles bafouent le principe de “un homme une voix” pour tous les citoyens et non les seuls êtres humains vivant sur notre sol qui sont sensibilisés à la politique voire soient militants ou se sentent tellement faire partie de l’élite qu’ils prétendent  avoir la légitimité de faire le bien du peuple malgré lui et à son insu.
Ensuite le secret de l’isoloir est violé, en particulier dans les petits villages.
Puis, mais c’est une faiblesse de notre Constitution, elles court-circuitent les partis qui sont censés “contribuer à la formation de la volonté politique” puisqu’elles sont “ouvertes”. Ce court-circuit et la personnalisation du pouvoir anéantissent deux de leurs fonctions classiques: le choix des candidats, même ceux des législatives puisque, de fait, les candidats seront choisis en dernière instance par le Président; enfin le choix du moindre mal pour les candidats aveugle sur les programmes. Ainsi le moindre mal serait que Juppé triomphe aux primaires. Mais “l’économiste atterré” que je suis est épouvanté que le programme économique  très libéral  ne puisse qu’approfondir l’austérité qui fait le lit du FN, voire conduise à la guerre civile en France et à la destruction du rêve de Victor Hugo pour l’Europe. Bref il faut choisir entre la peste et le choléra. Encore que  puisque dans tous les cas on aura le choléra de la dictature  ultralibérale de l’oligarchie autant se consoler en évitant la peste de Sarkozy. Il ne leur reste plus que la fonction tribunitenne: Words, Words, words.
Enfin le plus grave est l’incitation à mentir et à déguiser cyniquement son opinion sur ce qu’est le bien public et que doit être la volonté générale. Or comme on sait que le même Montesquieu fait de la vertu le fondement sine qua non de la démocratie. Certes ce n’est pas interdit par la Constitution, très peu démocratique il est vrai. Mais c’est le symptôme que la France est en train de perdre son âme.
C’est pire que de violer juridiquement la Constitution.
Bref mettons un mouchoir sur notre intégrité morale et osons comme Lorenzaccio tuer le tyran.

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Le livre le plus important que j'ai lu en 2016

par Ghislain

 

Il s’agit de La Science voilée (éditions Odile Jacob) de Faouzia Farida CHARFI, physicienne tunisienne, professeure à l’Université de Tunis.

Dans son introduction elle nous dit : « Nous assistons en Tunisie à un affrontement entre deux orientations. L’une rétrograde, passéiste, avec sa “culture de mort”, sa violence, sa négation de l’autre et sa pensée unique, sa lecture exclusive du texte sacré. L’autre prônant le respect de la diversité et le droit de chacun à la différence, allant de pair avec les libertés de pensée, d’expression, de conscience et de croyance, la liberté d’accès à l’information, mais aussi la liberté de la recherche universitaire et la liberté de création. Chokri Belaïd, avocat et militant politique tunisien s’est résolument placé du côté des libertés le 23 janvier 2012, suite aux agressions visant des avocats, des journalistes, des universitaires venus soutenir la liberté de création et d’expression, lors du procès contre une chaîne de TV privée, accusée d'”atteinte aux bonnes moeurs et aux valeurs du sacré”. Il était l’un des avocats de cette chaîne de TV, dont le directeur et deux techniciens étaient poursuivis en justice suite à la diffusion le 7 octobre 2011 du film Persépolis de Marjane Satrapi. Le 6 février 2013 Chokri Belaïd est assassiné. »

Faouzia Charfi nous parle d’histoire pour éclairer le présent. Elle revient longuement sur le fait qu’ “il y a plusieurs siècles, dans le monde musulman, des savants-philosophes, astronomes, mathématiciens-ont largement contribué à l’héritage culturel de l’humanité… que l’islam n’était pas un obstacle au développement de la science”. Alors qu’en Occident la science moderne s’est construite contre le dogme établi il y a 4 siècles. Copernic a fait perdre à la Terre sa situation centrale puis vint Galilée, tous deux persécutés par l’Eglise.

Puis elle analyse la longue période de régression qui touche le monde arabo-musulman jusqu’à nos jours. Les obscurantistes ont deux attitudes vis à vis de la science (astronomie, évolution…) : la négation comme chez les créationnistes qu’on trouve chez les islamistes mais aussi chez les sectes évangélistes made in USA et la récupération chez les islamistes qui voient le big-bang dans un verset coranique qui parle du tonnerre par exemple.

Si je vous conseille ce livre c’est parce qu’il dépasse la sphère tunisienne et nous aide à comprendre notre monde actuel, ses luttes et ses enjeux.

PS 1 : le mieux que vous puissiez faire est de demander à votre bibliothèque de le commander.

PS 2 : évitez de passer par Amazon les libraires vous en seront reconnaissants !



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