n°831 - 09/01/2017
Sommaire

A la une

Lutter contre le néo-libéralisme

Humeur

International

A lire, à voir ou à écouter

Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
A la une
Rubriques :
  • A la une
  • Combat féministe
  • Combat laïque
  • Combattre le racisme
  • Débats politiques
  • Elections
  • Extrême-droite religieuse
  • ReSPUBLICA
  • Jean-Luc Mélenchon
  • lettre 831
  • Peuple

Candidat du Peuple, candidat du 11 janvier

Lettre ouverte à Jean-Luc Mélenchon

par Soad Baba Aïssa

 
C’est avec plaisir que ReSPUBLICA, en ce début d’année de bien des possibles, présente ses Voeux militants à ses lecteurs, les remercie de leur fidélité, les encourage à suivre, fût-ce en les discutant, ses positions et à les propager.
Dans la ligne du “soutien critique” qui est le sien depuis l’origine, Evariste, aujourd’hui, cède la place à deux camarades de la Rédaction qui dans une longue adresse à Jean-Luc Mélenchon expriment l’espoir placé dans sa candidature tout en l’interrogeant sur des non-dits de sa campagne.
La Rédaction

M. Mélenchon, vous avez engagé la bataille de l’élection présidentielle de 2017, exceptionnelle par les possibilités historiques qui s’y présentent.

Le système politique s’écroule dans toute l’Europe, par l’effet de souffle de l’effondrement de la social-démocratie. Effondrement mérité : de Tony Blair à François Hollande en passant par Schröder, Gonzalez, Renzi, Clinton ou Djisselblom, la social-démocratie a trahi les classes ouvrières et les peuples, ralliant l’ultra-libéralisme et la destruction des acquis sociaux et démocratiques. Par cette trahison, la social-démocratie brouille profondément la notion de « gauche » et ouvre un boulevard à l’extrême-droite.

L’élection présidentielle française, façonnée pour le « moment populiste »

L’élection présidentielle de 2017 ne dérogera pas à la vague de fond qui, en deux ans, a parcouru la Grèce, le Portugal, l’Espagne, la Grande-Bretagne, les États-Unis puis l’Italie1…C’est le moment des grands chambardements, le « moment populiste », où l’élaboration conceptuelle d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, à partir de Gramsci, est devenue un outil pour repenser la stratégie des forces de progrès.

De Gaulle a manié en virtuose l’approche populiste, se proclamant au-dessus des partis et, par-delà les assignations de droite et gauche, s’adressant directement au peuple : « construisant du peuple » à partir des passions, du désir d’union dans la crise historique – pays envahi en 1940, pays en danger de coup d’État militaire dans le marasme des guerres coloniales en 1958. Il n’a pas rassemblé sur un programme, mais sur des affects – « une certaine idée de la France », « Je vous ai compris » …

De Gaulle avait compris après 1947 qu’il ne pourrait pas revenir au pouvoir dans le système parlementaire, lui dont le parti avait obtenu 38 % mais s’était trouvé marginalisé. L’élection directe du président de la République, tenant en ses mains l’essentiel des rouages de l’État, permet de gagner le pouvoir presque sans alliances ni accords de partis, là où même le plus important des partis politiques ne peut espérer le soutien que d’une minorité du pays. Ainsi, on a vu Jacques Chirac faire moins de 20 % au premier tour de l’élection de 2002, pour gagner avec 82 % des voix au second tour.

C’est donc le moment. Vous vous êtes affranchi des partis politiques moribonds qui prétendaient dicter leurs conditions, récupérant force et crédibilité auprès des gens. La dégringolade du PS ouvre aujourd’hui une possibilité inédite : des millions de Français se tournent vers votre candidature – nonobstant les médias aux mains de la caste au pouvoir, qui vendent le produit Macron.

L’éléphant qui occupe toute la pièce

Vous revendiquez les symboles révolutionnaires que sont le drapeau tricolore et la Marseillaise, trop longtemps laissés à la Réaction. Vous appelez à la réappropriation du Récit national. Vous vous affranchissez de la liturgie et des marqueurs identitaires surannés de la « gauche de la gauche », associés à la défaite et à la minorité perpétuelles.

Mais reste à mener une clarification sur un sujet politique majeur : celui du combat antiraciste en France, aujourd’hui contaminé par la grave confusion installée à gauche entre antiracisme et défense de l’Islam politique.

Dans votre discours de l’été 2015 au congrès du PG, vous n’avez pas parlé des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ; ni de l’immense rassemblement historique du 11 janvier, ni prononcé le mot « laïcité ». En octobre dernier, en clôture des journées de la France insoumise à Lille, vous n’avez pas parlé des terribles attentats islamistes de l’été, et pas une fois prononcé, là encore, le mot « laïcité » …

La conquête de l’espace public par les intégristes et les attaques contre la laïcité ne sont-elles pas devenues des questions politiques et sociales brûlantes ? La succession inouïe d’attentats en France et dans les pays voisins – en même temps que l’essor de l’E.I. et de Boko Haram en Afrique et en Orient – a sur la société française un impact profond et incontournable.

Le terrorisme islamiste et l’Islam politique ont partie liée, impossible de dire « ça n’a rien à voir avec la religion » ! Le fascisme est historiquement une invention européenne ; le fascisme espagnol, l’un des plus criminels du vingtième siècle, était clairement adossé à la religion catholique, et soutenu par l’Église – ce qui ne signifie pas que tous les croyants étaient pro-fascistes. Nous avons donc la capacité de reconnaître le fascisme quand nous l’avons sous les yeux, sans peur de stigmatiser les croyants : l’Islam politique, en France comme en Iran, en Afghanistan, en Arabie saoudite, en Turquie, en Algérie, en Égypte, en Palestine ou en Tunisie, c’est un fascisme.

Faire campagne en éludant la question du fascisme islamiste en France, c’est comme ne pas vouloir parler de l’éléphant occupant toute la pièce : ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas qu’il va cesser d’être là.

Le 11 janvier 2015 : présence performative du Peuple de France

La manifestation populaire la plus importante de ces dernières décennies en France n’a pas eu lieu pour contester une loi ou une politique, ni pour manifester l’adhésion à un programme : elle a uni le Peuple de France autour de l’immense émotion suscitée par les attentats de janvier 2015 – Charlie Hebdo et Hyper casher.

Le 11 janvier 2015, notre pays a connu, dans la totalité de ses villes, ses rassemblements populaires les plus massifs depuis 1945. Moment de recueillement, de révolte contenue et de refus du crime, il a uni en un cortège innombrable des personnes de tout âge, avec la participation massive des jeunes et une grande majorité de personnes qui ne manifestent jamais.

Le philosophe Maurice Blanchot a très bien décrit comment survient la « présence du Peuple », d’après les obsèques des victimes de la police au métro Charonne, en février 1962 :

« Je pense qu’à l’époque contemporaine il n’y a pas eu d’exemple plus certain que celui qui s’affirma dans une ampleur souveraine, lorsque se trouva réunie, pour faire cortège aux morts, l’immobile, la silencieuse multitude dont il n’y avait pas lieu de comptabiliser l’importance, car on ne pouvait rien y ajouter, rien n’en soustraire : elle était là tout entière, en s’imposant calmement au-delà d’elle-même. Elle était là comme le prolongement de ceux qui ne pouvaient plus être là. Je crois qu’il y eut alors un des moments où communisme et communauté se rejoignent. »

« On se sépara par la même nécessité qui avait rassemblé l’innombrable. On se sépara instantanément, sans qu’il y eût de reste, sans que ce soient formées ces séquelles nostalgiques par laquelle s’altère la manifestation véritable en prétendant persévérer en groupes de combat. »

« Le peuple n’est pas ainsi. Il est là, il n’est plus là ; il ignore les structures qui pourraient le stabiliser. C’est en cela qu’il est redoutable pour les détenteurs d’un pouvoir qui ne le reconnaît pas : ne se laissant pas saisir, étant aussi bien la dissolution du fait social que la rétive obstination à réinventer celui-ci en une souveraineté que la loi ne peut circonscrire, puisqu’elle la récuse tout en se maintenant comme son fondement. » (La communauté inavouable, Maurice Blanchot, Éditions de Minuit, 1984.)

C’est bien le Peuple français qui était là, présence innombrable et performative, le 11 janvier 2015, faisant cortège funèbre partout en France pour accompagner Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Bernard Maris, parmi les 12 personnes assassinées à Charlie Hebdo.

Artistes anarchistes libertaires, anticléricaux insolents et anticapitalistes, ils étaient les représentants de la belle tradition française de rébellion, authentiques descendants de mai 68, conchiant la bienséance bourgeoise, hérauts de la grossièreté libératrice, blasphémant de révolte à chaque page de leur journal.

Des trois courants toujours déchirés du mouvement progressiste – réformisme, révolution, rébellion – c’est autour du courant le plus improbable, du plus radical par essence, que le Peuple de France a marqué sa présence souveraine : il s’est reconnu dans le courant de la rébellion, de l’insoumission, dimension décisive de la Révolution française et de tout le mouvement historique de libération humaine.

Disputer le sens du 11 janvier

Tous les faits politiques et sociaux ouvrent le champ de la dispute pour leur interprétation dominante. La lutte contre-hégémonique ne peut pas faire l’impasse sur la lutte pour le sens du 11 janvier, sauf à abandonner aux candidats de droite et d’extrême-droite la revendication de cet événement performatif essentiel pour la nouvelle identité nationale populaire.

Ceux qui, « à gauche », lisent le 11 janvier comme un rassemblement raciste de « catholiques zombies » – selon le mot saisissant de mépris d’Emmanuel Todd – ceux-là sont aveuglés par leur coupure sociale d’avec peuple français et leur incapacité à comprendre.

Les masses influencées par le conservatisme catholique ont pourtant occupé le pavé parisien avec la « Manif pour tous » : il n’est pas difficile de voir les différences essentielles d’avec le 11 janvier.

« Je suis Charlie » a exprimé le rejet conscient et massif, sans équivoque, de la doctrine défendue tant par le Pape (qui a justifié l’attentat) que par le « clergé » musulman installé en France à la main des monarques du Golfe persique et du pouvoir turc : ils veulent que leurs légendes soi-disant « sacrées » soient intouchables – donc qu’elles s’appliquent à tous (en l’espèce, le soi-disant caractère blasphématoire de dessiner « le Prophète »).

« Je suis Charlie », comme un nouveau « No pasaran », veut dire : « Je soutiens le droit à caricaturer librement, sans limites ni tabous imposés par la théologie. Je suis laïc, je ne reconnais aucun privilège aux religions et j’admire ceux qui risquent leur vie pour ça. »

Le 11 janvier s’est affirmée la France républicaine de la liberté, l’égalité et la fraternité, de la laïcité, universaliste, rassemblée non fanatiquement contre le fanatisme religieux.  Oui, le Peuple souverain du 11 janvier, c’est la France insoumise.

Reconnaître et saluer nos sœurs et frères de combat

Au-delà des troubadours subversifs et insoumis à qui le Peuple a fait cortège ce 11 janvier, qui sont nos sœurs et frères de lutte ?

Ce sont celles et ceux qui, de Tahar Djaout et Katia Bengana en Algérie à Chokri Belaïd en Tunisie, ont été assassinés par milliers par les islamistes depuis plus de vingt ans. Car c’est contre les peuples des pays dits « musulmans » que le fascisme islamiste, depuis la révolution iranienne de 1979, tourne la plus grande violence et assassine massivement, ce sont ces peuples qui payent le plus lourd tribut. Celles et ceux qui, dans ces pays, résistent avec un courage formidable, sont nos sœurs et frères, et devraient voir leurs noms en très gros caractères dans toutes les mobilisations de solidarité.

En France, nos sœurs et frères s’appellent Zineb El Razoui et Riss de Charlie Hebdo : Ils sont astreints à une « vie blindée », sous protection policière du seul fait de dire et dessiner librement leur refus du fascisme islamiste. Ce sont aussi des figures de la dénonciation de l’Islam politique telles Mohammed Sifaoui, Waleed Al Husseini (jeune Palestinien emprisonné par l’Autorité palestinienne pour crime d’athéisme), les « laïcarts » d’Ahmed Meguini, ou encore l’ex-élue socialiste Céline Pina, dénonciatrice des compromissions locales avec les intégristes, l’universitaire Samuel Mayol, exemple de courage face aux menaces et aux cabales, l’essayiste Djemila Benhabib… Et Caroline Fourest : marquée de l’opprobre commun aux islamo-gauchistes et à l’extrême-droite, menacée, elle mérite, quelles que soient les différences, la reconnaissance pour son engagement.

Elles et ils défendent, avec un vrai courage physique, le droit de penser, de dire, de se vêtir et d’aimer librement, rejetant l’oppression des religieux. Les reconnaître, les saluer, ne veut pas dire partager toutes leurs positions, diverses et parfois assez distantes des vôtres : c’est rassembler.

La guerre mondiale des femmes

L’influence islamiste entraîne une grave régression des positions féministes dans les mouvements progressistes. Justifier l’imposition du voile et la soi-disant « pudeur musulmane » dans nos sociétés, c’est l’abandon en rase campagne des femmes qui, d’Inde au Maroc en passant par l’Amérique latine, l’Arabie saoudite et la Turquie, se battent contre l’oppression machiste d’État.

Quand les femmes d’Ankara et d’Istanbul sortent manifester et affronter la brutale répression policière du fasciste islamiste Erdogan, elles portent mini-jupes, décolletés et chevelure libre parce que cette exhibition est en soi une revendication progressiste radicale. Elles le font avec un courage admirable. Elles sont l’avant-garde de la résistance au fascisme2.

Quand, de Kaboul à Istanbul et jusque dans les rues françaises, les intégristes font du corps de la femme leur champ de bataille (suivis de près par les clergés des autres religions qui guettent leur revanche), quand leur objectif politique et culturel est d’évincer les femmes de la rue et de l’espace public, de la citoyenneté, alors manifester le droit d’être femme, de se montrer femme avec la joie d’un corps indubitablement sexué, avec seins, jambes, chevelure libérée, le droit de sortir ainsi sans être agressée, le droit à être respectée comme femme libre : c’est redevenu une dimension incontournable de l’insoumission, presque cinquante ans après Mai 68.

Le succès de l’idéologie islamiste, ne l’oublions jamais, c’est l’aggravation concrète de la violence contre les femmes, c’est non seulement le prosélytisme du voile jusqu’au voilement intégral mais aussi la légitimation de l’insulte machiste et du viol, de l’excision, des mariages forcés, des crimes dits « d’honneur », du féminicide. La régression des droits des femmes, dans nos sociétés patriarcales, a été réengagée par l’expansion de l’islamisme, auquel les intégristes catholiques emboîtent le pas, et toutes les femmes de France l’expérimentent depuis des années : dans les transports publics, dans la rue, au travail, à l’école, dans la sphère privée…

Les femmes méritent bien autre chose que de voir la France, berceau de la laïcité politique – cette immense conquête populaire – plier devant les exigences du plus rétrograde des clergés.

N’est-il pas temps de reconnaître enfin que la bataille historique des femmes est centrale, qu’il n’y aura pas de libération humaine sans libération des femmes, sans une révolution contre le patriarcat, les intégrismes religieux et politiques ?

C’est aussi une des dimensions du 11 janvier : l’exigence des mêmes droits à l’égalité et à la liberté pour toutes les femmes, refusant qu’on laisse emprisonner des compatriotes dans un statut de « musulmanes » avec des droits dégradés pour elles.

Parler aux juifs de France

Il devient difficile de ne pas voir la terrible dégradation subie, en une vingtaine d’années, par nos compatriotes juifs des catégories populaires : impossible désormais pour eux de vivre dans n’importe quel quartier, de ne pas craindre pour leurs enfants dans les écoles publiques, de ne pas avoir peur dans les transports en commun… Obligation de chercher à se retrouver dans des ghettos, interpellation communautariste croissante…

Depuis l’assassinat crapuleux d’Ilan Halimi par le « gang des barbares », les juifs sont les seuls à avoir été ciblés dans des attentats parce que juifs (des exécutions d’enfants par Merah en 2012 à la tuerie de l’Hyper Casher, en passant par l’attentat du musée juif de Bruxelles). Cet état de fait honteux structure l’intense inquiétude de nos concitoyens juifs, inquiétude exploitée par les forces réactionnaires israéliennes et leurs représentants en France.

Il est temps de laisser aux Peillon, Cambadélis et autres Autain la honte de se vautrer dans le clientélisme électoraliste, relayant le discours communautariste fascisant du PIR, de Tarik Ramadan ou du CCIF, quand ils affirment que les « musulmans » seraient persécutés aujourd’hui comme les juifs l’ont été. Laissez-leur ce déshonneur.

L’élan identitaire suscité par la conquête des territoires palestiniens en 1967 a certainement contribué à éloigner du mouvement progressiste les nouvelles générations d’origine juive. Mais le soutien légitime à la lutte palestinienne a servi aussi, de manière opportuniste, à nombre d’élus locaux croyant séduire les jeunes générations d’origine immigrée qui « échappent » à leur influence, jusqu’à trop souvent glisser vers la validation complaisante – qui ne dit mot consent – du discours antisémite diffusé avec l’expansion du wahhabisme.

N’est-il pas temps qu’un représentant du courant progressiste français s’adresse aux juifs de France ? Qui mieux que vous, qui voulez unir le Peuple de France, et quel autre moment si ce n’est maintenant ?

La crise de la cohésion populaire nationale, enjeu de la lutte des classes

La Ve République vient tout droit de la guerre d’indépendance de l’Algérie. La reconnaissance de l’indépendance algérienne fut précipitée par la manifestation de masse de février 1962 après la mort de militants communistes tués par la police au métro Charonne ; mais le massacre par la police parisienne de plus de cent Algériens (supposément Français mais soumis au couvre-feu) en novembre 1961 n’avait pas suscité une telle réaction populaire. Maurice Papon, préfet de Paris à cette époque, a dû répondre en justice de ses crimes contre les juifs pendant la guerre, mais pas du massacre de 1961. Le FN de Mme Le Pen hérite directement des putschistes d’Alger et de l’OAS, menaçant de gagner l’élection présidentielle et de ramener la France au temps terrifiant du racisme d’État…

Notre pays est travaillé, depuis les guerres coloniales, par la nécessité de trouver, sur le territoire national, son unité en tant que Peuple, avec sa composante originaire de l’ancien empire colonial.

Gilles Kepel a bien décrit, dans ses derniers ouvrages, la généalogie des difficultés de la communauté immigrée issue des anciennes colonies africaines, et comment la succession des défaites et impasses des mouvements antiracistes a conduit de la marche de 1982 à l’émeute de 2005, pour laisser le terrain au développement de l’islamisme et du communautarisme. Le défaut de reconnaissance et de réparation symbolique par la République du colonialisme criminel, par exemple le silence officiel sur les massacres de Sétif le 8 mai 1945 et sur la répression sanglante de la manifestation des Algériens de Paris le 17 octobre 1961, sont pain bénit pour les communautaristes.

L’expansion religieuse a été pilotée et financée par les monarchies du Golfe persique (mais aussi par la Turquie d’Erdogan), qui imposent leur modèle moyenâgeux sur notre territoire. Elle a été favorisée par l’État et par trop d’élus locaux, croyant pouvoir contenir les jeunes en croyant que la religion leur fournirait des « valeurs morales »…

Résultat : de MM. Muhammad et Ramadan à l’imprésentable imam de Brest, les plus réactionnaires des islamistes passent, auprès des médias dominants et des responsables politiques et sociaux, pour représentatifs de tous les musulmans de France. Cette légitimation des extrémistes renforce en retour leur emprise idéologique sur nos concitoyens de culture musulmane, sommés de se conformer aux injonctions les plus rétrogrades.

Les islamistes ont parfaitement conduit la lutte sur le terrain de l’hégémonie culturelle : ils ont réussi à se saisir de la longue crise identitaire française pour bâtir une interpellation communautaire, un « Nous » contre un « Eux ». Mais c’est un « Nous » ouvertement réactionnaire, dont les ennemis sont la République, la laïcité, l’égalité, tout ce qui fait l’identité progressiste française.

Pourquoi leur influence va-t-elle, au-delà des cercles islamo-gauchistes, jusqu’au PS et une bonne partie de la droite ? « Accommodements raisonnables », la « laïcité apaisée »…. Est ainsi ensevelie, sous une novlangue pseudo-tolérante, une conception raciste et séparatiste de la société : peu importe que les populations cataloguées « musulmanes » se retrouvent à vivre, en pleine République, sous le joug d’un diktat religieux ultraréactionnaire, tout va bien du moment que celles et ceux qui se croient « classe moyenne supérieure » et « gens éduqués » ne sont pas concernés !

L’encadrement rétrograde d’une partie des couches populaires par la confrérie des Frères musulmans et l’islam wahhabite est un processus politique de la lutte des classes. Les forces dominantes du Capital ont obtenu un succès remarquable : elles ont divisé profondément le Peuple de France, et ont réussi, grâce à la pusillanimité de la gauche, à faire reculer les valeurs progressistes dans la culture – laïcité, antiracisme, droits des femmes.

Retrouver le combat antiraciste

En installant la défense de la « communauté musulmane » – plutôt que celle des concitoyens héritiers de l’immigration – comme revendication antiraciste3, nombre de militants, élus et journalistes « de gauche » abandonnent ouvertement le combat historique et séculaire de tous les progressistes dans l’Histoire : le combat contre l’oppression des religions.

Ils sanctifient la religion musulmane comme étant celle des classes opprimées par l’impérialisme et le colonialisme. Ils excusent et justifient ainsi le crime perpétré à Charlie Hebdo : conchier les curés et la religion chrétienne oui, mais conchier l’islam non.

Aujourd’hui, on entend que la laïcité et la loi contre les signes religieux à l’école seraient les preuves d’un « racisme d’État », tout naturellement, dans quasiment toutes les organisations antiracistes : quel désastre !

L’acceptation des positions et des mots d’ordre de l’islam politique comme relevant de l’antiracisme met en danger de mort tout le combat antiraciste de générations de militantes et militants, depuis les luttes contre les guerres coloniales jusqu’à aujourd’hui.

Tout cela nourrit en miroir l’influence du FN parmi les catégories populaires, sommées de s’identifier comme « blanches » et « racistes » car n’acceptant pas de voir mille voitures brûlées chaque Nouvel an comme un « rituel », refusant de voir leur rue, leur école, leur quartier, leur milieu de travail, leur vie quadrillée par des militants religieux proclamant leur détestation des femmes, des libertés et de la République. La question identitaire qui travaille la société française depuis cinquante ans ne se résout donc pas favorablement ; au contraire elle menace de glisser vers le pire.

En rejetant très clairement toute complaisance avec les islamistes, en les combattant comme une dimension essentielle du combat antiraciste lui-même, l’antiracisme peut être sauvé de son dévoiement actuel pour retrouver toute sa dimension salutaire, humaniste et universaliste.

Pour bâtir la nouvelle union populaire, combat social et combat laïque

Jean-Luc, vous avez le meilleur programme, vous êtes en capacité de représenter l’alternative à l’ultralibéralisme qui détruit nos sociétés. Mais si une élection était gagnée par celui ou celle qui défend le mieux les intérêts populaires, cela ferait longtemps que le président de la République serait un Insoumis ! Ce sont les passions qui sont décisives, comme le rappelait Chantal Mouffe lors d’un récent débat avec vous.

L’essor commun en France des deux fascismes, l’islamiste et celui d’extrême-droite, remet au cœur des enjeux, en termes nouveaux et singuliers, la crise longue de l’identité nationale française. Le 11 janvier, le Peuple de France a donné les clefs pour rendre possible le nouveau rassemblement populaire. Des clefs progressistes, des clefs pour rassembler et unir, « construire du peuple » : il faut s’en saisir.

Empêcher la victoire de l’extrême-droite et gagner l’élection présidentielle française de 2017 est crucial pour notre peuple et, compte tenu de l’importance de la France, essentiel pour tous les peuples du monde.

Pour cela, nous croyons que vous ne devez pas permettre plus longtemps que cette campagne installe une opposition catastrophique entre le combat social – que vous portez seul face aux autres candidats, tous acquis aux politiques d’austérité ultra-libérales – et le combat laïque, dont les termes resteraient aux mains de Valls ou Fillon voire Le Pen tandis que vous apparaîtriez – même à votre corps défendant –trop timoré face à l’islam politique. Le combat laïque est central pour toute avancée sociale, il est structurant de toute politique de libération humaine en France et dans le monde.

Vous pouvez incarner auprès des Français la passion d’une certaine idée de la France, de l’égalité citoyenne et du vivre ensemble, unissant dans le même souffle l’engagement social et l’engagement laïque, dans cette unité exigée passionnément par le Peuple insoumis le 11 janvier 2015. Candidat du Peuple, candidat du 11 janvier.

 

  1. On pourra sans doute parler de Printemps occidental à la suite du Printemps arabe, inspirateur en 2011 du mouvement espagnol des Indignés – titre du pamphlet de Stéphane Hessel, lui-même inspiré du programme de la Résistance française… []
  2. Lire les articles dans M’Sur de Ilya Topper, journaliste installé à Istanbul, lors des manifestations de 2013 : http://msur.es/fr/2013/08/10/topper-revolucion-minifaldas/ et http://msur.es/fr/2013/06/02/arde-estambul/ []
  3. La revendication de pénalisation du blasphème à l’islam était ouvertement portée il y a déjà 15 ans par Mouloud Aounit du MRAP, tête de liste PCF aux régionales en Seine-Saint-Denis. []
Lutter contre le néo-libéralisme
Rubriques :
  • Combat social
  • Lutter contre le néo-libéralisme
  • associations
  • lettre 831
  • privatisation de l'action sociale

Contrat à impact social : rentabiliser la misère

par La Brique, journal local de critique sociale

 
Lire dans ce numéro le texte d’humeur de Ch. Dulieu qui illustre le processus à l’oeuvre. Voir aussi le texte du Collectif des association citoyennes sur http://www.associations-citoyennes.net/?p=7662. 

Le « contrat à impact social », nouvel outil de financement pour les associations, arrive en France. L’État ne veut plus assurer ses missions sociales ? Pas de soucis, les banques et les multinationales sont déjà en embuscade pour couvrir les besoins des miséreux.ses. Une main sur le cœur, l’autre dans la caisse, la finance s’attaque au social et recycle la misère en pognon.
La Sauvegarde du Nord, géant associatif du département, a été choisie pour expérimenter un des trois premiers « contrats à impact social » de France. Ce contrat implique un nouveau montage financier invitant un investisseur privé à financer un projet social. Cette expérimentation concerne le pôle de prédilection de l’association : la protection de l’enfance. Avec ses foyers d’accueil et ses 600 agents, la Sauvegarde est un acteur incontournable pour assurer le suivi socio-éducatif des familles et des gamin.es en difficulté. Quand la situation l’exige, le travailleur social peut préconiser un placement en foyer, définitif ou temporaire, afin d’imaginer plus sereinement des solutions. Or, comme l’explique très tranquillement le directeur de la Sauvegarde dans une courte vidéo de présentation ((« Christophe Itier, la sauvegarde du nord – contrat à impact social », www.youtube.com, consulté le 15 septembre 2016)) : « Un placement coûte 60.000 euros, alors qu’un accompagnement dans la famille, seulement 3.000 euros ».  Avant d’ajouter une touche sociale et solidaire et de mixer le tout : « Au-delà de l’enjeu humain, car il s’agit de retirer un enfant de sa famille, […] il y a un enjeu économique, […] la collectivité fera des économies subsantielles et nous éviterons des drames humains ». La Sauvegarde redécouvre les vertues de la prévention grâce aux contraintes économiques… ou comment faire passer l’obsession de la rentabilité pour un nouvel humanisme.

Le « contrat à impact social » qui lie la Sauvegarde, le département et les financeurs fixe comme objectif de prévenir… enfin, d’économiser une « cinquantaine de drames humains » par an pendant trois ans. La stratégie est donc d’embaucher un « commando de travailleurs sociaux », dont le but est d’éviter les placements en foyers en intensifiant l’accompagnement socio-éducatif au sein de la famille. Le coût de de cette opération « commando » est estimé à 1.4 million d’euros, et l’économie espérée pour la collectivité de 4 à 6 millions. Présenté comme ça, il faudrait être fou pour ne pas crier au génie. D’autant plus que le financement est assuré par le privé. Les deniers publics ne servent qu’à rembourser l’investissement de départ, avec en prime un petit bonus en cas de réussite du projet. Ici, le bénéfice net, pour les charitables financeurs, peut atteindre 6 % de la mise de départ. On comprend mieux pourquoi la BNP s’est positionnée sur le projet : ruée sur le social, pourvu qu’il soit lucratif ! Et les gosses, maintenus coûte que coûte dans leur famille pour « tenir les objectifs », permettront aux actionnaires de trinquer entre philanthropes.

L’associatif est pauvre ! Non, on l’appauvrit !

Au-delà de faire du profit sur le dos des plus vulnérables, ce type de contrat modifie radicalement l’essence même du travail social. Olivier, éducateur et délégué syndical SUD de la Sauvegarde, anticipe, face à l’entrée du privé dans le secteur social, le basculement idéologique qui menace toute la dynamique associative : la perte de sens de leur propre action. Depuis janvier 2002 ((Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.)), les associations du secteur médico-social sont sommées d’évaluer leurs activités et la qualité de leurs prestations. Ici la mue qui s’annonce est radicale. De travailleur.ses de terrain, les agents deviennent de simples exécutants chargés d‘atteindre des objectifs chiffrés décidés par d’autres. Dans le cas de la protection de l’enfance, les éducateurs.rices contraint.es par la logique du chiffre ne peuvent plus se fier uniquement à leur expertise pour faire le choix, difficile mais parfois indispensable, du placement en foyer. De plus, la logique même de ces contrats est d’intervenir rapidement et intensément, alors que l’accompagnement d’une famille est un processus long et complexe. Qui se sentira coupable si un drame arrive ? L’éducateur.trice sous pression ou les décideurs responsables de la grille des indicateurs et des objectifs à atteindre ? On a bien une petite idée…

Dans le département, baisse de financements publics oblige, le nombre de places en foyer est en forte diminution. L’hémorragie n’est d’ailleurs pas prête de s’arrêter, la disparition de 700 places dans les années à venir vient tout juste d’être annoncée par la conseil général du Nord. Les placements en foyer doivent donc mathématiquement diminuer faute de place. Cette règle d’or explique la soudaine passion des élites politiques et associatives pour la prévention. Le problème, c’est qu’il n’est alors plus question d’envisager des solutions adaptées au réel. C’est aux professionnel.les du social de faire entrer le réel dans les solutions qu’on leur laisse. L’action associative est sommée de mettre de l’huile dans les rouages du désengagement des pouvoirs publics.

La solidarité, la protection sociale, ou encore l’organisation collective des citoyens seront bientôt de vains mots dans ce secteur. Asphyxiées financièrement, déjà soumises à la course aux subventions et aux appels à projet, les associations sont les nouvelles proies faciles de la logique marchande. Le « contrat à impact social » est la dernière étape d’un chantage bien connu. Soit t’acceptes le fric et les conditions qui vont avec, soit tu changes de métier.

L’arnaque sociale

Le discours est bien rodé, c’est la criiiise ! L’austérité une fatalité inévitable. Heureusement, les réductions budgétaires de l’État sont compensées par la philanthropie patronale. Le « contrat à impact social » en est l’incarnation. Ici c’est le privé qui allonge l’argent et la collectivité ne rembourse que si le projet réussit. De plus, l’impact social jugule des dépenses de santé publique futures. C’est simple comme un JT de TF1, ce serait donc tout bénef’ pour le contribuable. L’excellent travail du Collectif des Associations Citoyennes (((Le Collectif des Associations Citoyennes regroupe sur son site tous les documents nécessaires pour comprendre le danger des Contrats à impact social et il travaille à diffuser l’information parmi les acteurs concernés.)) analyse en profondeur les expériences du même genre dans d’autres pays, ainsi que celles qui débutent en France. Il en dévoile les vrais bénéficiaires. Ces contrats entre le privé, l’État et un opérateur de terrain nécessitent un intermédiaire financier, donc des banques. Il faut également un évaluateur… indépendant à n’en pas douter, c’est-à-dire l’un de ces milliers de cabinets d’expertise et d’audit qui pullulent à mesure que s’imposent les impératifs d’ « évaluation ». La rémunération de ces intermédiaires privés ainsi que le retour sur investissement prévu en fin de contrat pour le financeur finissent par constituer une coquette somme. Le coût final du projet explose, allant jusqu’à doubler avant même que ce dernier n’ait commencé. Pourtant, les mêmes continuent à rabacher la même rengaine : « Le privé est plus efficace et moins coûteux que le public ». Le Sénat lui-même, qui n’est pourtant pas réputé pour être un repaire de gauchistes, a démonté cette prétendue supériorité du privé ((« Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? », rapport de la commission des lois du Sénat, 16 juillet 2014.)). Qu’importe, cet argument massue qui a accompagné la privatisation de tous les services publics permet de siphonner l’argent d’un secteur jusqu’à maintenant épargné.

Transformer le secteur médico-social en business menace directement la diversité du milieu associatif. Surtout, l’introduction d’une logique de rentabilité fait disparaître les projets les moins rentables au profit des plus lucratifs, c’est-à-dire un minimum de risques et pour un maximum de profits. Par ailleurs, les objectifs et les indicateurs fixés pour plaire aux financeurs produisent des projets hors sols déconnectés des réalités de terrain. De plus, il n’existe pas de bon indicateur. Il finit toujours par pervertir le sens de l’action en devenant un objectif à atteindre. Mais qu’importe, si les associations veulent survivre, elles devront se plier aux méthodes du privé. La concurrence effrénée entre structures associatives amène aussi à la concentration du secteur et aux « fusions-acquisitions » bien connues du secteur privé. Les petits sont avalés par les gros, seuls à même d’être compétitifs sur le marché de la subvention. Récemment, la Sauvegarde du Nord a phagocyté une association spécialisée dans la réinsertion des ados (( « Sauvegarde du Nord et l’adssead fusionnent au 1er janvier 2015 », www.lasauvegardedunord.fr, consulté le 28 septembre 2016.)). Bref, la marchandisation du secteur social donne une bonne raison d’exister aux damnés de la Terre, ils deviennent monnayables et constituent une nouvelle source de profit pour le secteur privé.

Les nouveaux humanistes : mi-social, mi-entrepreneur,
100 % carriériste

Si la Sauvegarde a été choisie pour expérimenter le premier « contrat à impact social » de France, ce n’est pas le fruit du hasard, mais bel et bien grâce à la volonté d’hommes de convictions tel que Christophe Itier et André Dupon, respectivement directeur général et président de l’association. Le curriculum vitae des deux gusses en dit long sur leur conception du social. André Dupon a occupé pendant trois ans la présidence du mouvement des entreprises sociales (MOUVES) dont l’objectif est de « mettre la performance économique au service de l’intérêt général » (( Page d’accueil de www.mouves.org, consulté le 20 septembre 2016.)). L’engagement de cet homme est total puisqu’il est également le président exécutif de Vitamine T, autre mastodonte associatif, œuvrant pour la réinsertion par le travail, crée par… Pierre de Saintignon, lui-même ancien directeur de la Sauvegarde. On patauge dans le marécage des notables lillois. Ceux-là même qui multiplient les casquettes dans les conseils d’administration, se les passent, se les échangent, sans oublier les copains et la famille ((« Pierre de Saintignon : si vous aviez raté un métro. », La Brique, Harry Cover, 5 novembre 2015.)). Bref, la clique à claques n’est jamais très loin lorsqu’il s’agit de se faire du fric !

Christophe Itier, quant à lui, est l’étoile montante de « l’économie sociale et solidaire ». En 2010, Il décroche le poste de directeur général de la Sauvegarde à la suite d’un audit qu’il réalise dans l’asso pour le compte du cabinet Deloitte ((Plus grand cabinet d’audit au monde.))… c’est plus facile de se faire embaucher quand on a soi-même recommandé le profil à rechercher. Il devient ensuite président de SOWO qu’il crée en 2014, club de dirigeants du travail social qui voue un culte à la transformation entrepreneuriale du milieu social. Quand Dupon quitte la présidence du MOUVES en juillet 2016, c’est tout naturellement Itier qui le remplace. Le bonhomme aime apparaître comme un messie en prêchant, en substance, qu’on peut se la jouer façon abbé Pierre tout en modernisant le modèle associatif. Selon ces apôtres de la réforme du secteur médico-social, l’efficacité économique est le remède à tout. Elle crée de l’emploi, de la croissance, de la richesse tout en gérant la misère sociale. Avec une telle vision, rien d’anormal à ce qu’Itier se passionne pour le mouvement « En marche » de Macron, au point d’en devenir le référent régional et d’utiliser les locaux de la Sauvegarde pour organiser le premier rendez-vous des macronistes. Ce cher Macron dont la philosophie pourrait être résumée par cette sentence  caractéristique du gars bien né, et passé par la Banque Rotschild  : « Ce qui est le plus efficace économiquement est presque toujours le plus juste socialement » ((Édito de Macron, du 26 Avril 2016, pour la nouvelle section « contrat à impact social » du site du ministère de l’économie.)). Avec de tels penseurs, soyons assuré.es que la Sauvegarde ne perdra « presque » pas son âme. On comprend mieux l’appétit d’Itier et sa bande pour l’action associative façon « contrat à impact social ».

Ces premières expérimentations en France sont faites à petite échelle, il ne s’agit que de la première étape. Les exemples anglo-saxons font froid dans le dos : retours sur investissements allant jusqu’à 15 % par an (( Certains contrats s’étalant sur sept ans, le retour sur investissement suffit à doubler le budget du projet.)),  financeurs qui détalent dès que le projet s’égare et laissent les pots cassés – et la facture – aux pouvoirs publics. Le credo déjà bien connu des partenariats public-privé – socialisation des pertes et privatisation des profits – s’enracine dans le secteur social.  Désormais, les marginaux, les exclus, les précaires et autres « improductifs » produisent de la croissance ! La boucle est bouclée, la misère sociale produite par le capitalisme devient rentable ! Soyons sûrs que Macron, Itier et les autres « entrepreneurs du social » tenteront de nous faire gober cette révolution. Aux associations de ne pas manger de ce pain-là, et de  refuser le chantage à la survie. Aux professionnel.les de défendre le sens de leur action. D’abord, parce que les alternatives à ces mic-macs douteux existent, comme en témoignent les centres de santé communautaires auto-gérés dans des pays en crise comme la Grèce. Ensuite parce que le pognon existe : si les multinationales veulent faire dans le social, elles peuvent commencer par rapatrier les milliards d’euros planqués dans les paradis fiscaux ((Entre 60 et 80 milliards pour la France  et 1000 milliards à l’échelle de l’Europe. Il ne s’agit que des estimations basses fournies par le gouvernement et l’UE.)).

Humeur
Rubriques :
  • Combat social
  • Humeur
  • ReSPUBLICA
  • associations
  • lettre 831
  • privatisation de l'action sociale

Petites Poucettes et mineurs isolés

par Christian Dulieu

 

Je vais vous raconter une petite histoire, celle du Pays où j’ai vécu et travaillé.

Il était une fois… des enfants. Pas de bol, peu de temps après leur naissance on les avait affublé du doux non de Cas Sociaux (pour les meilleurs) ou d’Inclassables (pour les pires). Allez savoir pourquoi ? Enfants mal nés, mal éduqués ? Soit dit en passant, j’ai bien failli y passer moi aussi, petit, sous l’étiquette d’Inclassable. Bon ! Passons…

Ces mômes sont placés en institution. Et ça coûte cher, 60.000 l’année, mais on a fait des progrès  et disons que globalement 60 % des gosses s’en sortent pas trop mal, même s’il y aurait beaucoup à dire sur les services rendus par ces institutions. Je sais de quoi je parle, je suis encore vice-président (hé oui !) du plus vieux Lieu de Vie de France, le ROC de Tonnac, à la lisière du Tarn et de l’Aveyron) dans lequel on a réalisé toutes les évaluations (mises aux normes,vtc. tout le saint Frusquin obligé), sans obtenir pour autant les résultats escomptés.

Par contre, c’est indéniable, un gosse hors les murs en “Prévention” coûte 3 à 6 000 l’année. Des petits bricoleurs ont donc conclu : foutons tous les gosses dehors, envoyons des “commandos ” éducatifs de choc (1 pour 20 à 40 gamins), dans les familles en difficulté, ou ailleurs ?

Conclusion : on met le gâteau sur le marché dans les mains du privé et comme la rentabilité est de 15% les Banques et Assurances rappliquent., et cela devient un Contrat à Impact Social. Précision ultime, si les résultats sont positifs, bingo ! S’ils sont négatifs l’ASE ne paie pas. Mais en gros on s’en tire autour des 5 %.

Cette saloperie a été inaugurée en novembre 2016, dans le Nord par un certain François Hollande. Tout ce que je vous dis là est vérifiable, en particulier par la (bonne) presse, le journal Lien Social entre autres (que nous avons créé avec des amis, à Toulouse dans les années 80).

J’ai donc mis en action le réseau militant du Nord. Ils prennent très au sérieux cette histoire de Contrat à Impact Social balancée en HDF (Hauts de France) pour servir de modèle transposable dans toutes les ASE (Aide Sociale à l’Enfance) de France.

Premiers touchés-coulés ? Les mineurs isolés étrangers. Ils vont coûter encore moins cher parce qu’ils végètent dans les Foyers de l’Enfance, où mieux, mais c’est plus cher, en MECS (Maisons d’enfants à caractère social). Ils n’ont pas de famille, pas de suivi éducatif approprié, rien….! Et en plus ce sont des enfants intelligents, volontaires et résilients. Placés en hôtel avec un éducateur de prévention pour 10 à 30 mômes (30, c’est le nombre de gosses que je suivais quand je bossais – mal – pour l’ASE en 1980) : taux de rentabilité prévisible, ce n’est plus du 5 % mais 10 à 15%.

Vous avez du fric à placer ? Rendement sans fin, parce que 1 000 autres gosses attendent aux frontières. Il suffit d’ouvrir le robinet. On va voir plein de propositions d’intervention fleurir et le pire avec les grosses associations du secteur dont les effectifs en “internat” baissent, soutenues par les banques et les compagnies d’assurance. Pour peu que la MAIF et les Banques Coopératives ne soient pas informées  du traquenard, et la boucle sera bouclée. C’est pas beau, le Social ?
Coïncidence ! Calais se trouve aussi dans la région… Nord et les mineurs isolés reviennent faute de mieux sur Calais.

En Haute-Garonne on a apparemment vu venir l’affaire. Le Réseau Educateurs sans Frontières attaque au plan juridique la situation des mineur(e)s isolé(e)s placés en hôtel pour tenter une jurisprudence…
À suivre. Je repars au combat, on n’est pas sérieux quand on a… 67 ans.

Il faudrait absolument mettre des journalistes sérieux sur le coup, outre toutes les personnes bienveillantes intéressées, et surtout des artistes, pour qu’ils viennent nous raconter la belle et étrange histoire du… des Petit(e)s Poucet(te)s.
Petites Poucettes parce que les filles, dans cette histoire, sont les  plus vulnérables, évidemment.

Christian DULIEU
travailleur social, ex directeur d’Institutions Sociales et Médico-Sociales,
ex directeur de Centre de Formation et ex Petit Poucet résistant.

International
Rubriques :
  • International
  • lettre 831
  • Venezuela

Se battre dans les cordes : les leçons de l'année 2016 au Venezuela

par Marco Teruggi

 

C’est décembre [2016], et contre tous les pronostics majoritairement défavorables, nous sommes toujours debout. Beaucoup, chez nos amis comme chez nos ennemis, prédisaient que nous ne passerions pas le premier semestre de l’année. En janvier 2016, les couloirs et les réunions bruissaient de la rumeur suivante : on nous donnait 6 mois, au-delà ce serait  le néant. Juin 2016 se profilait comme l’horizon indépassable de l’aventure révolutionnaire; on ne se projetait même pas en 2017. Or nous sommes toujours là, avec des projets pour l’année à venir qui sera, comme chaque année la plus difficile du processus révolutionnaire. Nous sommes là, certes,  mais dans quel état ? Poussés dans les cordes… Dans le contexte qui est le nôtre ce n’est déjà pas si mal. Nous serions KO si les choses en étaient allées autrement. Autant de coups assénés auraient dû nous faire plier ; certains diront que c’est le cas, mais je crois que non ; pas encore.

Je ne suis pas un optimiste invétéré. J’ai une vie  modeste, je loue une chambre dans une maison que nous partageons à plusieurs ; j’ai peu d’affaires personnelles : quelques livres, un service à maté, une valise de mon arrière-grand-mère ; et mes ressources suffisent à subvenir à mes besoins. Je ne me plains pas, je vis de ce que j’aime : écrire et militer. C’est un luxe. Le monde qui m’environne et à partir duquel je pense et j’agis, n’offre pas beaucoup de raisons d’être optimiste : nous sommes frappés, et même si nous restons debout nous sommes sérieusement amochés…

J’aime l’univers de la boxe ; j’y fais référence car la dynamique politique vénézuélienne me fait penser à une série d’assauts : certains servent à user et affaiblir, d’autres visent le KO. Mais beaucoup ont été donnés dans le vide, d’autres étaient aussi usant pour un combattant que pour l’autre et ne servaient in fine qu’à ennuyer le public, à l’éloigner du duel, comme s’il n’avait face à lui que deux boxeurs usant de trucs de catcheurs plutôt que cherchant à se battre à la loyale. C’est ce qui s’est passé cette année ; et s’il y a bien quelque chose de pire que d’être acculé dans les cordes, c’est de se battre face à des tribunes qui se vident. Comment faire revenir nos supporters ? C’est la question à mille €uros.

Le premier objectif de la révolution, annoncé au peuple et mobilisant des milliers de personnes, était de changer les règles du jeu. Les plus désarmés se sont fédérés autour d’un projet et d’un leadership et ont contribué à refonder la politique. Le problème, qui est devenu tendance, c’est que peu à peu certains  -d’aucuns diraient en quantité infinitésimale-  se sont transformés en ce que nous avions pour but de combattre ; un peu comme si la vague se retournait contre nous pour nous noyer. Je dis « nous » pour parler d’un mouvement de masse appelé chavisme, fait de passions contraires, de nuances de joie et de tristesse, de quartiers en ébullition et de bureaucrates addicts au dollar. Ce serait trop facile de ne voir le mal que chez l’autre. Il y a bien sûr des contradictions, et c’est avec elles que se construit le projet révolutionnaire. L’ennemi a voulu en tirer profit  pour mener le pays au bord de l’explosion et de la guerre civile. Il n’y est pas arrivé malgré l’importance des ressources mobilisées pour ce faire.

Ecrire « C’est décembre, et contre tous les pronostics majoritairement défavorables, nous sommes toujours là » est déjà en soi une victoire, un autre round où ils ont été inefficaces; le plus décisif de tous.

***

Faire le bilan à ce jour c’est le faire à un an de la défaite électorale la plus significative du chavisme, celle des élections législatives. C’est arrivé le 6 décembre 2015 avec un  résultat qui, même s’il était pressenti, a déjoué les pronoctics avec des chiffres inespérés. Les jours précédents on parlait de légères différences mais surtout pas de majorité qualifiée en faveur de la droite. L’annonce des résultats  fut une véritable douche froide : ils montraient que le chavisme, jusqu’ici gagnant de toutes les joutes électorales, pouvait perdre. Et perdre sérieusement. Cela a eu des conséquences sur les diagnostics postérieurs, sur le pessimisme des générations grandies dans cet univers de victoires permanentes, différentes en cela de celles des autres pays souvent confrontées à la déroute et à la résistance.

Une question surgit obligatoirement à un an des élections : avons-nous changé ? En réalité, je pense que non : ni chez les dirigeants, ni à la base du chavisme  -constitué des communes, du mouvement social, des intellectuels, bref tout ce qui n’est pas organiquement ou idéologiquement dépendant du PSUV , même s’il y a des liens-. Toute défaite implique un changement : Hugo Chavez parlait des 3 R. , révision, rectification et redémarrage. Cependant les 2 univers, constitutifs de l’indispensable unité, ont poursuivi  en terrain connu, ce qui s’est révélé finalement insuffisant. La sphère dirigeante a pu conserver le pouvoir malgré les assauts putschistes, et le mouvement communal/populaire a suivi son processus sectoriel et local. L’ordre révolutionnaire tendait à sa reproduction et non à son dépassement. La révolution dans la révolution n’a pas pu émerger.

Un approfondissement pouvait uniquement venir de la base du chavisme. Le problème à ce jour est qu’elle ne s’est pas assigné cet objectif et n’a donc pas construit les outils pour ce faire. Sans pression il n’y a pas de changement, sans commandement il n’y a pas d’obéissance, sans envie de débattre  -et d’organisation pour le faire- il n’y a pas de conquête. Le mouvement populaire vénézuélien, qui n’est pas la même chose que l’organisation populaire, a une dette historique au sein de ce processus. Car les lignes de front, la prise de pouvoir populaire sur l’ennemi ne seront pas impulsées par la sphère dirigeante ; et ce pour une simple raison : ce n’est pas son projet ; en tout cas pas celui d’une majorité. Chavez l’a vu, l’a dit et a laissé un plan minutieux et précis pour aider à avancer. Qui conduira le processus vers cet objectif ? Très peu, comme on peut le voir ; et sans rapport de force interne.

Ce schéma a permis malgré tout de rester dans les cordes, de supporter les crochets et de rendre quelques uppercuts. La tentative de coup d’Etat fin octobre en a été la preuve la plus flagrante : la droite en est restée désarticulée et sans force suite à sa course vers l’abîme. Après s’être rengorgée, elle est tombée dans le ridicule  (cf la  scène finale où Lilian Tintori s’enchaîne au Vatican!). Il faut le redire encore et encore, un des grands avantages du chavisme a été historiquement d’avoir face à lui la médiocrité de la droite,  son incapacité à construire une hégémonie, des leaderships solides, une unité pragmatique, etc…

Le problème fondamental a été et est toujours l’économie, cible de toutes les attaques, maillon faible du chavisme, autant dans les faits que dans les perspectives. Dans les faits parce qu’effectivement le processus révolutionnaire a retardé la transformation de l’appareil productif. C’est cette étape que devait mener à bien Hugo Chavez lui-même. Je ne juge pas à la légère : transformer des dispositifs construits durant un siècle au service exclusif de la rente pétrolière n’est pas chose aisée ; il s’agit de quelque chose de plus profond qui relève même du culturel. Des choses ont été faites, insuffisantes certes mais bien réelles : des expropriations, des nationalisations-clés  -l’industrie pétrolière par exemple-, des créations de nouvelles entreprises d’Etat ou communales, etc… Ce processus doit être étudié  minutieusement tant il est vrai que par manque d’expérience, de suivi, à cause de la corruption, ou d’une organisation verticale aux mains des militaires les résultats attendus n’étaient pas au rendez-vous. Côté perspectives, il n’y a pas lieu d’être optimiste : beaucoup de concessions ont été faites au patronat, à la banque et aux multinationales. Et c’est un des secteurs dirigeant du chavisme particulièrement en pointe qui a donné plus de pouvoir à ceux qui sont désignés comme les ennemis du peuple.

C’est donc sur le terrain de l’économie que se joue aujourd’hui la partie la plus complexe. Voilà pourquoi le débat politique ressemble plus à un match de catch et ses trucages : il faut évacuer toutes les menaces, les joutes verbales, les coups à la table et entrer dans le vif du combat, l’économie. Les inimitiés/amitiés sont floues, et quand la bourgeoisie essaie d’asséner un KO, les négociateurs chavistes sont plus préoccupés de chercher à terminer le match qu’à donner des coups…

***

Il y a une autre hypothèse à examiner : le problème ne réside pas dans l’appareil productif mais dans les mécanismes de distribution, c’est-à-dire dans cet entrelacs qui va de l’importation jusqu’à l’affectation des produits sur leur lieux de vente finale. C’est là le cœur de la guerre économique, et c’est là qu’intervient la corruption comme protagoniste de cette même guerre. S’il est possible d’augmenter les prix illégalement  de créer des pénuries, de monter des réseaux parallèles de distribution, d’accaparer des produits dans les ports et les grands centres de stockage, de surfacturer, de détourner des camions et de leur faire passer illégalement la frontière avec la Colombie, c’est parce que dans ce plan de déstabilisation il y a des éléments actifs de la Révolution. Cela conditionne un autre débat : qui peut mettre en œuvre et en toute transparence les mesures nécessaires et décisives, comme par exemple la nationalisation de secteurs clés de l’économie ?

Il n’y a pas d’autres remèdes que la prison pour punir la corruption. Même si cela implique de mettre derrière les barreaux des hommes-clés de la révolution. Alvaro Garcia Linera l’explique très bien : la corruption pervertit un des aspects majeurs d’un processus révolutionnaire : la force morale.

***

C’est décembre et des élections approchent : trois dans les deux ans qui viennent, dont l’élection présidentielle. La dynamique politique va reprendre le dessus avec ses candidats, ses campagnes ; pendant ce temps le contexte économique ne semble pas donner des signes d’amélioration, hormis sur les accords entre pays pétroliers qui laissent présager une augmentation du prix du barril. Ca fait trois ans d’augmentation des prix, de pénuries de produits de première nécessité, d’attaques sur la monnaie nationale… Cette crise n’est pas similaire à celles des pays du cône sud avec leurs cortèges de chômeurs, de mendiants, de faillites de commerces et d’entreprises, mais elle mine insidieusement la vie quotidienne, elle sape les avancées du chavisme.

Je disais que je n’étais pas un optimiste invétéré. Les tendances ne sont pas bonnes. Il nous faut récupérer la majorité perdue, retisser les fils de l’hégémonie politique et culturelle, ce qui  veut dire ne pas se contenter de démonstrations de rue massives dont est toujours capable le chavisme. Ca passe aussi, par exemple,  par la révision des stratégies de communication ; par  des changements au sein du chavisme, par  le rôle des mouvements populaires et d’une nouvelle architecture révolutionnaire qui permette un débat interne fructueux et créateur.

Cependant, nous sommes toujours là, contre vents et marées. Ce que nous a légué Chavez est immense ; il s’agit ni plus ni moins que du plus important processus d’émancipation de cette ère politique sur le continent ; sans cela nous ne serions pas là où nous en  sommes. Aucun peuple n’est en capacité de supporter autant de coups s’il n’a pas opéré de transformation radicale. Jusqu’où peut-il résister ? C’est une « terra incognita » parsemée d’ hypothèses, de spéculations, de regards croisés de désirs, de colères et où se mêlent des héros, des traîtres, des camarades et des bureaucrates. Les analyses ne sont ni neutres ni objectives : ce que j’écris s’inscrit dans une perspective politique au sein de la révolution. Je fais le pari du développement du réseau communal, de la construction d’une organisation populaire nationale qui depuis le chavisme soit en capacité de créer les rapports de force qui permettront de redresser le cours des choses ; qui défende les acquis de la révolution et crée les tensions créatives ; qui tisse l’unité tout en créant les conditions du débat interne constructif. C’est à ça que nous nous attelons, chaque jour.

Après tout écrire et rester les bras croisés ne serait guère chaviste.

A lire, à voir ou à écouter
Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • Débats politiques
  • ReSPUBLICA
  • lettre 831

« Guerre contre les peuples – Réflexions politiques d’un mouvement citoyen »

par Bernard Teper

 

« Guerre contre les peuples – Réflexions politiques d’un mouvement citoyen » Ouvrage autoédité par le Collectif du Mouvement pour un Socialisme du 21e siècle (MS21), 181 pages, 5 €.

C’est un recueil de textes parus sur le blog du MS21 mais publiés par thèmes. L’intérêt de ce classement par thèmes est de permettre au lecteur de voir l’évolution de la pensée sur un thème donné d’un collectif citoyen au fur et à mesure du développement de l’actualité, évolution plus difficile à voir sur un blog. Par exemple sur la Grèce de la victoire électorale de Syriza en janvier 2015, puis du référendum jusqu’à la signature du mémorandum du 13 juillet 2015.

Différents sujets sont évoqués : la souveraineté et l’UE, les politiques d’austérité, la dette et l’euro, la désindustrialisation, la question écologique, le terrorisme, les attentats de 2015,la laïcité et la démocratie, la question internationale, le FN, l’éducation. A noter que le texte sur la COP 21 a déjà été publié dans notre journal Respublica car nous avions estimé alors que le satisfecit des médias néolibéraux étaient scandaleux. Partageant globalement la ligne directrice de l’ouvrage, nous n’utiliserons pas cette recension pour débattre sur les thèmes évoqués. Nous aurons l’occasion d’y revenir ensemble si le collectif le souhaite car ce livre est excellent pour lancer un débat profond sur ces sujets.
Nous pensons franchement que ce sont de bons textes pour l’éducation populaire et qu’il faut savoir les utiliser. Disons simplement que nous avons particulièrement apprécié la partie sur la désindustrialisation travaillé au sein de l’énigmatique « groupe Babeuf », bien que nous connaissions bien Jean-Pierre Escaffre. Et l’affirmation que « la laïcité et la justice sociale vont de pair. L’ultralibéralisme et la mondialisation s’attaquent à l’un et à l’autre » ou encore celle-ci « l’éloge de la consommation favorise la frustration. La frustration engendre la haine qui engendre la violence. C’est un autre projet de société qui doit être envisagé pour prévenir les dérives que nous constatons avec effroi. »
Nous partageons également l’idée de Joxe et de Badinter défendue dans l’ouvrage qu’il est préférable pour respecter les principes de la République sociale de capturer les terroristes et les juger comme cela s’est fait en Norvège avec l’attentat terroriste d’Anders Breivik (77 morts et 150 blessés) plutôt que d’éliminer et liquider les terroristes sans jugement. L’ouvrage note cependant que ce n’est toujours possible mais se demande si ce point ne devrait pas être étudié pour que cela soit possible.
Nous partageons aussi l’idée que « croire que l’exercice démocratique suffit à imposer la volonté populaire contre l’intérêt de l’oligarchie financière internationale pourrait bien relever d’une douce illusion. »

Nous souhaitons cependant de relever dans cette recension ce qui semble manquer dans ce livre. D’ailleurs, les auteurs sont convaincus de certains manques car ils écrivent qu’ils ne prétendent pas à l’exhaustivité en déclarant qu’ils n’ont pas abordés de nombreux sujets : « culture, féminisme, protection sociale, agriculture » (p. 8). Mais sans précision, on peut craindre que ces domaines, non étudiés à l’heure où nous écrivons, puissent être considérés par les auteurs comme secondaires. Ce point reste donc en question pour nous.

D’autres points n’apparaissent pas dans l’ouvrage. Par exemple, y-a-t-il une sortie de droite (comme le Brexit) et une sortie de gauche à l’UE et à la zone euro ? Pour nous, seule une sortie de gauche peut retrouver le chemin de l’émancipation.

Ou comme l’analyse du capitalisme et de ses lois tendancielles. Sans cette analyse fine, on risque de faire croire que seul le volontarisme politique suffirait pour réaliser l’alternative. Alors que nous croyons que, comme le montrent 2 500 d’histoire, les bifurcations économiques et politiques n’ont eu lieu que lors des crises paroxystiques qu’il convenait d’anticiper.

Ou comme la stratégie nécessaire pour parvenir à l’alternative. Nous avons compris que les auteurs refusent la stratégie du club « Terra Nova », estiment que la stratégie du « Front de gauche » qui a perdu près de deux millions d’électeurs par rapport à l’espoir du résultat de 2012 a conduit à son implosion. Mais les auteurs ne disent pas quelle est leur perspective stratégique pour s’engager sur le chemin de l’émancipation. Que pensent-ils des propositions d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, de la stratégie de Podemos, de celle de la France insoumise ou d’anciennes stratégies réactualisées pour le XXIe siècle?

En conclusion, c’est un livre à lire comme préalable à des débats indispensables. Par exemple, sur l’analyse du capitalisme et de ses lois tendancielles

Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • ReSPUBLICA
  • lettre 831

« Rue Barbès – Banlieue sud », par Jean Estivill

par Petit-Liot Camille

 

Au sirop de la rue Barbès d’Ivry, à ses mômes et leurs parents, à ce qu’elle était, à ce qu’elle est encore dans la mémoire de ceux qui y ont lampé leurs jeunesse, l’auteur de cet opus ne rend pas seulement hommage, il en rallume les feux.

Manu, le narrateur, historien, raconte ici sa jeunesse depuis son premier souvenir en couleurs : l’installation de ses parents dans cette usine où son père, républicain espagnol, enfilait son bleu de gardien. Cette rue sera aussitôt la sienne, ses règles dicteront bientôt son quotidien. Ces drôles à la personnalité bien trempée formeront sa bande, tout comme les nouveaux venus qui, peu à peu, une fois bien « reniflés », viendront en grossir les rangs.

La découverte des filles, les accrocs, les petites rapines, les moments de fraternité, ces bribes de vie jalonnent un récit enlevé, au style marqué par la langue de la « zone ». Ce tronçon de rue où claquent sans doute encore les éclats de rire des gamins qui ne pouvaient se douter des chemins que chacun emprunterait. Parmi eux, certains ne se sont pas vraiment rangés des voitures, formant par la suite la fameuse « bande de la banlieue sud ». Le charismatique Rodrigo, cet amateur de braquo dont la trajectoire de vie sert de clé de voûte au récit et qui fut accusé d’avoir enlevé une gamine sur la Costa del Sol… une image qui ne colle décidément ni au bonhomme ni à son code d’honneur, selon « Manu », le narrateur, son pote.

D’une charge émotionnelle indéniable, le lecteur pénètre un univers étrangement familier malgré la singularité des personnages de cette petite comédie humaine. Il faut bien toute la mémoire d’un historien pour rendre cette authenticité, et le talent d’un écrivain pour nous la rendre si proche.

Rue Barbès, banlieue sud,  roman de Jean Estivill
décembre 2016,  210 pages
Les impliqués Editeur
Commander le livre



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org