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De la contestation à l’action

par Évariste

 

À lire les journaux, à regarder les chaînes de télévision ou à discuter avec ses collègues et amis, les sujets d’indignation ne manquent pas : inégalités entre hommes et femmes, loi travail XXL, sélection accrue à l’université, politique du logement, budget de la Sécurité sociale, etc. Mais pourquoi avons-nous l’impression de ne pas arriver à additionner tous les mécontentements pour construire un mouvement large ?

Des contre-réformes en pagaille

Pas un jour ne se passe sans qu’une attaque antisociale ne soit annoncée : la loi travail XXL et sa casse du Code du travail est dans toutes les têtes, avec notamment la fin du Comité d’entreprise et du CHSCT tels qu’ils l’étaient ou la réforme de la procédure de licenciement, ainsi que la baisse et le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif. La contre-réforme sur le Code du travail est pourtant à l’image de ce qui se fait actuellement : une contre-réforme qui s’inscrit dans une continuité idéologique, bien préparée depuis le début de l’inversion de la hiérarchie des normes, marquée par le modèle réformateur néolibéral​ et une technicité faussement juridique qui plonge les salariés dans le brouillard quant à sa compréhension, et un chantage à l’emploi qui continue. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la contre-réforme, elle aussi, de l’Assurance chômage va dans le même sens, à savoir réduire les droits des assurés sociaux​. On pourrait donner le même exemple avec la contre-réforme de la sélection accrue à l’université ou bien le budget 2018. Tous ont en commun la volonté de privilégier les plus riches, en accentuant la concurrence entre salariés et plus globalement de casser des conquis​ sociaux, qui bien qu’imparfaits, tendaient à rétablir une égalité sur des bases de solidarité et de redistribution de richesse. Devant l’intensité et la multiplicité des attaques, il est difficile de réagir, et les réflexes de repli – à savoir des luttes défensives ou corporatistes – ainsi que la hiérarchisation des priorités pour chacun conduit à briser toute unité du mouvement ouvrier. Il ne suffit pas d’additionner pour obtenir une colère à la hauteur des attaques.

 

Une mobilisation syndicale étiolée

S’il faut reconnaître au gouvernement une certaine habilité pour mettre dans sa poche certains syndicats, il faut aussi voir que la stratégie portée par les responsables nationaux des syndicats revendicatifs laisse pantois. Avant la prochaine date de manifestation​, le 16 novembre 2017, il est nécessaire de prendre le temps de regarder ce qu’il s’est passé dans cette séquence. Après la loi travail ou loi El Khomri de 2016, les militants et sympathisants qui s’étaient mobilisés de manière importante à l’époque, se sont retrouvés éprouvés dans une nouvelle séquence qui s’ouvrait avec le gouvernement Macron. Tout le monde savait que la réforme allait être d’ampleur, toucher de nombreux pans du Code du travail et la période estivale a été une caricature du dialogue social : des organisations syndicales plongées dans la torpeur des cabinets ministériels, déconnectées de la base, qui discutaient de ce qui était la ligne rouge infranchissable dans une réforme, en se disputant la place d’interlocuteur privilégié du gouvernement. Si la CGT a adopté une position offensive dès le début et que Solidaires n’a pas participé à ces « réunions de travail », la première journée d’appel en septembre a déçu très vite, militants compris. Les journées saute-mouton, les appels sectoriels – comme pour la fonction publique -, les manifestations folkloriques… étaient toutes les conditions d’une stratégie perdue d’avance. Aucune manifestation nationale unitaire du mouvement revendicatif syndical et soutenue par les organisations politiques ne s’est tenue : au lieu de cela, les organisations ont défendu un pré carré et refusé de mener une vraie campagne nationale unitaire, qui dépassait de sombres communiqués de presse qui ne respireraient ni la combativité ni l’espoir. La prochaine journée de mobilisation – le 16 novembre – n’a que peu de chances d’être couronnée de succès à partir du moment où la même recette que les précédentes est utilisée : pour gagner, il faut des revendications claires, des organisations structurées et en ordre de bataille, une campagne d’éducation populaire refondée et l’envie populaire.

 

Antiracisme : des repères brouillés

L’espoir que représentait et représente toujours La France insoumise se fragilise. L’après manifestation contre le coup d’État social n’a pas été suivie de grandes initiatives et la stratégie très médiatisée autour de Mélenchon trouve ainsi ses limites, malgré la présentation d’un contre-budget qui a remis au centre des débats l’investissement, la redistribution des richesses et la lutte contre les paradis fiscaux. Les synthèses de la consultation des membres des groupes d’appui de la France insoumise, construites autour de 4 axes et allant même jusqu’à appeler à l’auto-organisation doivent-elles rester lettre morte face à l’activisme désordonné des parlementaires du mouvement ? Elles ont en tout cas été totalement parasitées par l’action néfaste de la députée Danièle Obono. Ses dernières déclarations, qui ne sont pas une surprise (elle fut signataire de l’Appel des Indigènes de la République​), viennent de franchir toutes les limites acceptables, y compris pour une partie d’indécis : son soutien affiché  à sa « camarade »​ H​ouria  B​outeldja du Parti des Indigènes de la république –  organisation politique réactionnaire raciste et antisémite -, dans un​  dérapage somme toute​ contrôlé.  Le communautarisme, qui a depuis longtemps caractérisé les pratiques des partis de gauche dans la gestion des collectivités locales n’a pas épargné le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, qu’on a jadis connu plus ferme comme défenseur de la laïcité. La campagne des législatives donnait des indices de ce clientélisme.  Le communautarisme affiché de la députée Danièle Obono débouche sur un soutien,​ lors de son interview à Radio J, à Houria Bouteldja, porte-parole des indigènes de la république. Considérer  H​ouria B​outeldja comme une « camarade » est une insulte à l’ensemble du mouvement antiraciste, qui doit se ressaisir : il n’est pas possible de continuer à fricoter avec les indigènes de la république, qui n’ont rien à envier à l’extrême droite traditionnelle.  Il suffit de lire livre d’Houria Bouteldja « Les blancs, les Juifs et nous ».  Nous le disons clairement : il n’y aura de victoire du peuple qu’à  la condition d’une​ clarification, et grâce à  la ​défense  des positions universalistes, alliant combat laïque,  combat ​ social et  liés à un  antiracisme  radical ​ de manière globale. Les marqueurs politiques ont leur importance et il ne faut faire preuve ni de naïveté ni de laxisme face aux dérives racistes, y compris de « camarades » qui se revendiqueraient de la « gauche de la gauche ». Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs réagit sur cette affaire, notamment dans une lettre adressée au président de la Licra datée du 6 novembre 2017 :

« Monsieur le Président,

Une dépêche m’apprend que vous m’interpellez. Je vous réponds aussitôt. Permettez-moi en premier lieu de vous féliciter pour votre élection à la tête de la Licra. Soyez assuré que vous me trouverez toujours à vos côtés dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Dans l’exercice de votre mandat, ne manquez jamais d’en appeler à ma mobilisation sur cette cause centrale de l’humanisme dont je me réclame. Au cas précis, je vous confirme que je suis en totale opposition politique avec le PIR depuis son origine, et sachez que celui-ci me le rend bien. Je ne crois pas que l’action de cette organisation et de sa principale porte-parole participe à la lutte contre le racisme et pour l’égalité entre les êtres humains. A preuve, la phrase que vous citez qui est une déclaration antisémite avérée. Je condamne une telle déclaration comme je condamnerai tout ce qui attribue à un groupe humain un choix politique du seul fait de son appartenance religieuse ou ethnique supposée. Cette sorte d’assignation est à mes yeux caractéristique du racisme. Dans le cas particulier du racisme antisémite, elle renvoie à une longue tradition meurtrière dont il faut toujours craindre les résurgences et tout faire contre ce qui y concourt. Dans l’espoir que ma réponse conforte votre détermination et vous assure de la mienne, je vous prie de croire, monsieur le Président, à ma parfaite considération et à ma fraternité d’engagement contre le racisme et l’antisémitisme.

Jean-Luc Mélenchon »

Nous devons aussi ne plus accepter de certaines municipalités à direction communiste (une minorité heureusement !) mais aussi de structures communistes (là encore peu nombreuses mais bien réelles), des complaisances avec le communautarisme et l’islam politique. Notre détermination sans failles, qui est première, à combattre l’extrême droite et l’ensemble du mouvement réformateur néolibéral ne doit pas se concrétiser par des « yeux fermés » dans notre propre camp. Car c’est une des conditions d’une transformation sociale et politique. Sinon, nous laissons libre champ au mouvement réformateur néolibéral et à la peste d’extrême droite, malgré le rejet du peuple des politiques d’austérité. 

 

Former les militants : une urgence !

Qu’il s’agisse d’expliquer une réforme et les conséquences concrètes et pratiques ou qu’il s’agisse d’organiser un débat, en somme de convaincre mais aussi de structurer, organiser et agir, les bonnes volontés individuelles ne remplacent pas une vision globale. Pour convaincre il faut savoir utiliser les bons outils : réseaux sociaux, prises de parole, rédactions de tracts ou d’écrits… mais aussi connaitre les contre-réformes patronales et gouvernementales, savoir les décrypter pour mettre en avant les points importants. Il faut aussi refonder l’éducation populaire comme moyen d’action et « instruire pour révolter », comme l’écrivait Fernand Pelloutier. Les lieux de débats, d’idées, de rencontres, qui permettent de se former et de construire des alternatives sont essentiels. Réfléchir à ce qui se fait dans chacune de nos organisations, ce qui se fait de manière transversale – comme le fait le Réseau Éducation Populaire – et impulser des stratégies de formation est une priorité pour également structurer les mouvements et savoir mener une campagne. Pour gagner, il faut de l’énergie, de la volonté, mais aussi des structures et des membres qui sont conscients des enjeux pour réagir et préparer les luttes – en les animant, impulsant, en étant dedans, et en sachant répondre à la demande sociale du peuple. Mais la campagne de formation et d’éducation populaire refondée doit être massive et considérée comme une des grandes priorités de la période.​

 

Travaillons tous ensemble au changement de logiciel de l’action militante

Comment réagir pour sortir de l’isolement des actions ? Les organisations, syndicales et politiques, doivent clarifier leur stratégie et donner davantage de pistes, en sortant des habitudes du quotidien. Pas facile de déconstruire pour réfléchir à ce qui marche ou ce qui ne marche pas, entre fonctionnement des organisations et nouvelles formes de luttes, mais aussi pour revenir parfois aux fondamentaux : l’exemple de la grève, qui est minoritaire à certains endroits, doit nous replonger dans un effort de conscientisation profonde des collègues pour sortir de l’agitation et l’indignation militante pour construire une contestation commune. Les organisations doivent pouvoir proposer des perspectives dans lesquelles nous pouvons nous retrouver ; à l’inverse, nous devons donc faire en sorte dans les organisations d’être les premiers acteurs de ce changement, entre pragmatisme et utopie.

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Les Français en attente d’une laïcité mieux défendue : Aux laïques d’ouvrir de nouvelles perspectives

par Pierre Hayat

 

Longtemps les laïques ont pensé qu’il suffirait de veiller à ce que les religions n’interviennent pas dans « la sphère publique », pour que soient garanties la liberté de conscience, l’égalité des droits, la souveraineté populaire. Mais il apparaît aujourd’hui que le sort de la laïcité est lié à celui de la société. Lorsque la République cesse d’être sociale et que des forces de gauche trahissent l’idée laïque, les franges réactionnaires des religions exercent une pression toujours plus forte sur la société, fragilisant les superstructures juridiques et politiques censées garantir la laïcité. C’est alors que la loi de 1905 pourrait être officiellement minée « au nom de nouvelles exigences sociales », c’est-à-dire du fait de nouveaux rapports de forces que des religieux auront imposé dans la société. Comme tout principe politique émancipateur, le principe laïque de séparation n’est pas un acquis définitif, qu’il suffirait, comme par magie, d’invoquer pour qu’il continue à exister.

Un sondage OpinionWay a été réalisé les 4 et 5 octobre sur cette question de la place des religions dans la société. Ce sondage a été rendu public en exclusivité par le journal La Croix du 11 octobre 2017 sous le titre : « La place des religions dans la société n’inquiète pas les Français ». En première page, on peut lire : « Des réseaux laïques dénoncent, ces temps-ci, une influence grandissante des religions, en particulier de l’islam, dans la société… Une position que ne partagent pas les Français selon un sondage inédit. »

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Mais si l’on regarde de près les réponses à ce sondage, on aperçoit que La Croix fait dire aux Français autre chose et même le contraire de ce qu’ils pensent. Il est ainsi demandé : « Diriez-vous que les religions occupent de plus en plus de place dans les modes de vie des Français ? » 35 % répondent Oui et 64 % Non. On notera que le sondage ne demande pas si les religions occupent de plus en plus de place « dans la société française », mais dans le mode de vie des Français. Qu’importe ! La Croix fait comme si cette autre question avait été posée aux sondés. Du coup, le journaliste prétend que, contrairement à ce qu’imaginent « plusieurs réseaux laïques », pour les Français, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de « l’influence croissante des religions dans la société ».

Pour donner plus de crédit à son affirmation, La Croix cite largement Philippe Portier, le nouveau pape d’une prétendue « laïcité ouverte », désormais ouvertement concordataire par son hostilité déclarée à ce qu’il nomme « la laïcité séparatiste », c’est-à-dire au principe de séparation, clé de voûte du principe de laïcité. D’après Portier, « dans l’ensemble de la société, la sécularisation se poursuit, et l’affirmation des appartenances religieuses régresse ». Outre que la seconde assertion manque d’évidence au commun des Mortels, Portier omet de préciser que les « réseaux laïques » ne prétendent pas que la sécularisation régresserait uniformément dans la société française. Ils soutiennent plutôt que les pressions et les intimidations des religions augmentent, alors que dans leur majorité les Français ne se reconnaissent pas dans une religion. Ils estiment qu’il y a là un défi lancé à la démocratie.

En revanche, La Croix est très discrète sur la réponse à une question, seulement posée aux 35 % des sondés qui ont répondu positivement à la question : « Diriez-vous que les religions occupent de plus en plus de place dans les modes de vie des Français ? » A ceux-là, on leur a demandé : « Est-ce une bonne chose (que les religions occupent de plus en plus de place dans les modes de vie des Français) ? » La réponse à cette question est négative à 62 %. Mais elle n’a bizarrement pas intéressé La Croix qui s’est bornée à préciser : « avec un pic chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (81 %) ». Ainsi, l’art de La Croix consiste à ignorer que les personnes interrogées sont défavorables à plus de place des religions, pour laisser entendre qu’au fond du fond, les Français seraient favorables, ou indifférents, à plus de place des religions dans la société…

Le sondage contient une autre question qui sollicite explicitement un avis, adressée celle-ci à l’ensemble des personnes interrogées : « Faut-il tenir compte des demandes des religions dans chacun des lieux suivants: l’hôpital, l’école, les entreprises, les services publics, le sport ? » La réponse à cette question est elle aussi sans ambiguïté : Non à 81 % à l’hôpital, 87 % à l’école, 89 % dans les entreprises, 89 % dans les services publics, 90 % dans le sport. Ces réponses très nettes à une question très claire voire abrupte, rejoignent les préoccupations des laïques, s’agissant des demandes excessives des religions à tous les niveaux de la société. Elles s’opposent à la pseudo laïcité « post-séparatiste » de Portier et aux autruches qui font politiquement le nécessaire pour ne « pas voir le problème ». Mais La Croix évoque à peine ces réponses, sauf pour signaler que les jeunes sont un peu moins nombreux que leurs aînés à souhaiter que l’on ne tienne pas compte des demandes des religions. Par exemple, 82 % des 18-24 ans, contre 89 % de l’ensemble des sondés, souhaitent « que l’on ne tienne pas compte des demandes des religions dans les services publics ». Ce décalage suffit à Philippe Portier pour apercevoir « clairement une planète jeune », sortie de l’orbite des vieux séparatistes ! Cela n’empêche pas non plus La Croix d’en appeler à un débat sincère et sérieux avec les « réseaux laïques »…

Quant à la question : « La laïcité est-elle suffisamment défendue ? », la réponse est Non pour 57 % des sondés (62 % des 35-49 ans). La Croix cite à propos de cette réponse ce commentaire d’un responsable d’OpinionWay : « Cela exprime un attachement extrêmement fort à ce principe (…) La laïcité est bien inscrite dans le patrimoine des Français ». Nous partageons volontiers cette appréciation: la laïcité est effectivement l’héritage culturel et politique majeur des Français d’aujourd’hui, quels que soient leurs origines et leur âge. Et, comme disait Jacques Derrida, un héritage est à s’approprier et à perpétuer de façon critique, en saisissant les nouveaux enjeux et en innovant. En l’occurrence, il s’agit pour la laïcité républicaine d’aujourd’hui et de demain de se placer non seulement sur le terrain juridique et scolaire mais également social, et de puiser ses objectifs dans les luttes concrètes de l’antiracisme radical, du féminisme, de l’écologie, des droits sociaux, de la démocratie.

Cet article a également été publié par l’UFAL, sur son site internet.

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Trois films recommandés pour des ciné-débats

par Jean-Jacques Mitterrand

 

” Inspecteurs du travail, une rencontre “

Le film de Jean-Pierre Bloc diffusé en juin 2016 par Médiapart comme un web-documentaire ressort actuellement en salles, qu’elles soient cinématographiques ou non, sous l’impulsion du mouvement associatif.

Le réalisateur Jean-Pierre Bloc a voulu libérer de toutes contraintes hiérarchiques ces inspecteurs du travail afin qu’ils puissent s’exprimer le plus ouvertement possible sans risque de tomber dans l’obligation de réserve et sans risque de poursuites juridiques. Ils sont toutes et tous sous mandats syndicaux et parlent librement de leurs expériences propres.

Pour Jean-Pierre Bloc ; le film est monté comme un grand récit choral organisé en séquences puisque pour lui « La mise en scène de la parole peut être un objet cinématographique. »

« Inspecteurs du travail, une rencontre » reste d’une actualité entière. Ces Inspecteurs qui nous parlent à visage découvert nous démontrent que le code du travail n’est pas une notion théorique et que les ordonnances Macron visant à le détruire sont en préparation depuis plusieurs années.

Mais qui sont ces Inspecteurs du travail aux avant-postes d’une guerre sourde et intense où le patronat cherche à détruire toutes normes sociales, à briser la protection des travailleurs, à renforcer la subordination économique, à restreindre la sécurisation juridique.

Ce film est l’occasion de  comprendre la régression sociale et le recul des libertés que nous prépare le régime de M. Macron en adaptant l’Homme aux nécessités du rendement et de l’économie de marché et non plus en adaptant le travail à l’Homme, c’est à dire en protégeant le travailleur.

C’est aussi le moment de mieux connaître ce métier qui a pour tâche de défendre le droit du travail donc l’ordre public social, Ces inspecteurs-trices que nous voyons le font avec passion.

« Inspecteurs du travail, une rencontre », réalisateur JP Bloc, France, 97 minutes, production : Sahira films

Jean-Jacques Mitterand

 

« Mémoires d’un condamné »

La réalisatrice Sylvestre Meinzer  dit : « Jules Durand est une figure libre. Une figure de la résistance, de la revendication, une image de martyr mais sans étiquette. Il n’y a rien qui l’enferme, aucun discours officiel, aucune histoire certifiée qui la limite. » En effet, il  ne subsiste étrangement aucun élément du dossier judiciaire non plus que du dossier psychiatrique de cette affaire qui reste pourtant particulièrement proche des mémoires localement.

« C’était trop peu pour faire un film », ajoute-t-elle. Pourtant elle l’a réalisé avec obstination en allant rencontrer, dans le Havre d’aujourd’hui, ceux qui habitent où Jules Durand  a habité, travaillent où il a travaillé, interrogeant la mutation spatiale et sociale d’une ville, et la transformation d’une profession depuis un siècle.

Une séquence implacable

Juillet 1910 : Jules Durand est élu à 30 ans secrétaire du Syndicat ouvrier des charbonniers du port du Havre. De sensibilité libertaire, militant contre l’alcoolisme, il dénonce la façon dont les patrons encouragent celle-ci et la précarité d’un métier où la force des bras est exploitée avec brutalité.

18 août : début de la grève des charbonniers.

11 septembre : Jules Durand est inculpé pour complicité « morale » d’assassinat à la suite d’une bagarre d’ivrognes (où il n’était pas présent) se terminant par la mort d’un charbonnier non gréviste.

Après 8 semaines d’instruction, le 25 novembre, la cour d’assises de Rouen condamne Jules Durand à la peine capitale. Même après remise partielle de peine et libération, l’homme est brisé et perd la raison.

En raison de la guerre et malgré une mobilisation internationale, il ne sera innocenté qu’en 1918 par la Cour de cassation mais il ne sera pas fait justice des faux témoignages.

Jules Durand meurt à l’asile d’aliénés de Sotteville-les-Rouen en 1926.

Le film ne tente pas de reconstitution mais donne la parole à Me Henri Langlois pour évoquer le procès et à  Marc Hedrich, juge d’instruction au Palais de Justice du Havre, qui replace clairement l’affaire dans le contexte d’une justice de classe violente.

Dans un montage subtil, la tragédie individuelle d’un homme condamné à la guillotine, puis à la folie puis à l’oubli, se  trouve et relayée par l’histoire collective, dans toute son actualité. Les témoignages filmés avec beaucoup de sensibilité sont probablement la partie la plus originale de « Mémoires d’un condamné ».

Car, comme le dit Johann Fortier (secrétaire général des dockers CGT), alors que du temps de Durand, on était confronté à la mécanisation, aujourd’hui les emplois sont menacés par l’automatisation. Ces « évolutions », des dockers mis en retraite anticipée depuis les années 90 en témoignent dans ce qui est une des plus fortes scènes du film. La modernisation, ils la comprennent, mais pourquoi est-ce toujours sur les mêmes que tombe la fatalité ?

Un très beau film donc, qui évite de ne jouer que sur la corde de l’indignation rétrospective mais qui peut alimenter, au-delà des milieux syndicaux,  la compréhension de l’exploitation et les révoltes d’aujourd’hui.

« Mémoires d’un condamné ». Un film documentaire de Sylvestre MEINZER. France – 2017 – Couleur – 1h 22.
Distribution LARDUX FILMS 
Partenariats et réseaux : Sandrine Floc’h  06 84 79 94 79  – sandrine.floch73@gmail.com

Monique Vézinet

 

“Atelier de conversation”

Dans le cadre de la BPI (Bibliothèque Publique d’Information) au Centre Pompidou  des personnes venant des quatre coins du monde se rencontrent pour parler français.

C’est « l’atelier de conversation » ou réfugié-es,  étudiant-es, expatrié-es, apprenant notre langue parlent devant la caméra de Bernard Braunstein. Ils ou elles échangent sur la vie… confidences ou non-dits.

L’intérêt du film c’est l’Autre, ancien ou nouvel arrivant que l’on ne connaît pas et qui raconte un peu de son histoire. Elle/Il a les même tourments, les même joies, les même peines, les même colères que chacun d’entre nous pourrait avoir et pourtant ils/elles sont étrangers, d’un autre pays. Ils où Elles arrivent de Chine, d’Inde, de Syrie, des Etats-Unis, d’Afghanistan… Leurs  différences devraient nous effrayer et pourtant Ils-Elles parlent d’objectifs communs. Ici, le temps d’une conversation,  les frontières sociales et culturelles s’effacent,

Film de Bernard Braunstein,  Autriche-France-Liechtenstein ,72 minutes, présenté à Cinéma du réel.

Jean-Jacques Mitterrand

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L’art à l’école : un témoignage

La culture, facteur d’éducation et d’ouverture

par Jane Lacascade

 

« Le but de l’Education est la création d’une culture… A partir des vocations qui sommeillent dans l’élève. »  Pasolini dans L’école sans fétiches.

Des principes à l’application

L’enrichissement culturel de l’élève est un facteur de progression dans sa scolarité mais aussi dans sa formation : la culture est un vecteur diachronique, transdisciplinaire qui saisit et questionne l’élève dans sa globalité sans le saucissonner dans les disciplines enseignées. Il est  donc indispensable de lui donner un soutien culturel et de susciter sa curiosité envers les différentes expressions artistiques.

L’ouverture à la culture et à l’art m’a toujours semblé le meilleur rempart contre le désespoir et la violence que l’adolescent  peut se  faire à lui-même plutôt que le sport.

L’œuvre d’art crée du sens et questionne, or c’est le sens qui est souvent absent de l’enseignement : à quoi serviront nos connaissances,  nos diplômes ? Pourquoi faire des efforts ? Avant qu’il ne soit soumis aux impératifs  de la production  dans une société de la marchandisation, le fait d’avoir exercé un œil critique devant une œuvre d’art, c’est-à-dire devant quelque chose de gratuit prépare le jeune à exercer cet œil critique dans sa vie de consommateur ainsi que dans sa vie de citoyen.

Le but essentiel  de l’Ecole est de former un homme capable de comprendre son temps, et d’anticiper sur ce temps pour se construire un futur,  or l’Art au-delà des professions, au-delà des classes sociales,  pour peu qu’on lui donne une place importante dans la scolarisation  est ce qui unit les hommes : Il est une projection et les créateurs qui traversent le temps peuvent être des modèles que la société n’offre que rarement :

L’Art est un langage et l’Ecole est un des lieux si ce n’est le seul lieu où l’on peut fournir les outils pour l’apprivoiser,  le rendre intelligible,  le plus tôt possible, dès la maternelle.

L’Art est un moyen de lutter contre l’élitisme : élitisme de l’accès au musée, au théâtre, à la littérature, à la musique ; Vitez disait « je veux un élitisme pour tous pour éviter un populisme pour tout le monde  c’est-à-dire pour personne ». Pour aimer et comprendre l’Art  il faut du temps, un lieu, une méthodologie d’approche,  aussi quel meilleur lieu que l’école qui enseigne des « savoir-faire » mais surtout du « savoir être » c’est-à-dire créer du sens ?                                                                                                                                                       

Comment faire entrer l’art à l’école ?

Créer des conditions d’immersion pour initier les élèves au théâtre, à la peinture, à la bande dessinée, à la musique, à l’architecture.

S’assurer que les élèves ont un accès direct aux œuvres d’art et que cela ne se fasse pas seulement dans les cours traditionnels de musique ou de dessin qui peuvent parfois ne pas les intéresser.

Elargir l’espace de créativité à la classe à l’établissement scolaire, à la ville.

Par exemple, pour les enseignants de toutes disciplines :

Certaines comme la philo, l’histoire, le français se prêtent mieux à l’éveil de la sensibilité et de la créativité de l’élève, mais, l’asymptote n’est-elle qu’une courbe mathématique ? L’astronomie, la physique ne sont-elles que des sciences précises et ne peuvent-elles donner matière à la poésie ? Un atelier fer doit-il ignorer les mobiles de Calder ?

La culture n’est pas « un supplément d’âme », elle est dans tout ce qui s’enseigne et le professeur doit être celui qui crée du sens à défaut de quoi il ne sera qu’un mauvais transmetteur de savoirs. La culture qui embrasse à la fois la connaissance des temps passés  mais aussi celle du temps de l’élève qui en est le témoin et parfois la victime.

Comment peut-il s’y prendre dans sa classe et dans son enseignement ?

-En ouvrant l’école  aux courants artistiques mais aussi aux mouvements sociaux sans  sous-estimer   la possibilité de compréhension de l’élève : ainsi à l’émigration des temps antérieurs   étudiés en cours fait écho l’émigration actuelle souvent mal comprise dans les familles, c’est le moment  de débattre autour de cette question pour tenter de changer le regard souvent malveillant sur ces « étranges étrangers  » en rétablissant les causes de leur exil. La tolérance aussi s’enseigne.

– En partant de sa culture : pour Shusterman, philosophe américain, il est urgent que les intellectuels prennent en compte les Arts populaires et en  élaborent une critique faute de quoi «  on risque d’avoir une division de plus en plus profonde entre la vie intellectuelle  et la vie culturelle vraie ». Les enseignants ont à prendre en compte la culture de l’élève,   de son environnement, l’apprécier, en faire la critique pour former son goût et lui donner l’inquiétude du Beau.

La présence de l’art à l’école passe donc par tous les professeurs qui ont à  intégrer  dans leur pédagogie quotidienne la culture de l’élève,  pour l’ouvrir  à une culture générale : l’art permet ce raccourci entre la petite Lucy née il y a 3,5 M d’années et les cosmonautes de 2001 de l’Odyssée de l’Espace

-En proposant à la classe soit seul soit avec l’équipe pédagogique une activité culturelle comme, un voyage, une visite d’expositions, un spectacle, l’élaboration de textes à partir d’un thème, la réalisation d’une  bande dessinée ou encore  une création théâtrale à partir de textes étudiés en classe ou à partir d’improvisations proposées par les élèves.

Ces projets préparés au cours de  l’année ont le mérite de donner une perspective aux élèves, de les enrichir, de travailler ensemble,  de s’exprimer et surtout  d’impliquer l’enseignant  dans l’activité qu’il propose, ce qui permet entre autre de transformer la relation enseignants/enseignés.

L’école comme lieu de culture et d’expression artistique

Il est important que l’école se signale comme un lieu de culture, dans le quartier, dans la  ville, en  accueillant des artistes, en s’ouvrant pour accueillir les parents d’élèves ou les habitants à des manifestations culturelles proposées par les élèves, par  les équipes pédagogiques . Ces manifestations  qui demandent une longue préparation ont le mérite d’impliquer toute la communauté scolaire et de créer ainsi des liens entre des intervenants qui n’ont que rarement l’occasion de se rencontrer sauf à l’occasion d’un problème ou d’une sanction (équipe de direction, service d’intendance  enseignants, intervenants extérieurs, élèves, etc.)

Est-il utopique que l’école puisse assumer cette tâche ? Non, mais à condition :

  • Que les  établissements  soient à taille humaine.
  • Que les équipes soient stables : administration et enseignants : l’équipe de direction devrait rester dans le poste au moins 5 ans pour établir une vie scolaire solide (ceci a été souhaité depuis 1968 par les inspecteurs de vie scolaire et prouvé dans les collèges expérimentaux).
  • Que le projet d’établissement inclue cet objectif dans ses priorités avec l’accord de toute la communauté scolaire : il s’agit d’une volonté éducative, élément majeur de tout établissement d’enseignement.
  • Que toute la place soit redonnée aux disciplines artistiques et au renouvellement de leur pédagogie d’avantage ouverte aux arts pour que  « Mozart ne soit pas assassiné » par ses jardiniers que sont les professeurs ; la vie professionnelle  se chargera assez vite de cette  sinistre tâche.
  • Que l’établissement ait un foyer socio- éducatif, élément qui favorise les projets les rencontres et crée du lien social.
  • Que les chefs d’établissement ne soient pas recrutés seulement sur leur qualité  de gestionnaire et leur potentiel d’autorité mais sur leur qualité de pédagogues et leur capacité  à prendre une marge de liberté par rapport aux textes et par rapport à la hiérarchie.
  • Que la vie scolaire de l’établissement soit harmonieuse et respecte  la démocratie et la justice : si l’Ecole est ressentie uniquement comme une institution punitive, l’élève sera réfractaire à toute pédagogie fût-elle la plus séduisante.

L’art, et par extension, la culture  qui sont plus particulièrement les outils privilégiés pour lutter contre les inégalités et le fatalisme « des élèves qui décrochent »  je les ai utilisés avec plus ou moins de succès tout au long de ma vie professionnelle

Comme professeur pendant 8 ans  à la fois en collège et en lycée, professeur de Lettres classiques,  il m’était facile d’intéresser les élèves aux différentes expressions artistiques et en particulier à l’expression dramatique par l’intermédiaire des textes étudiés en classe. En latin et en grec dont la grammaire est rébarbative, la civilisation riche de l’antiquité me permettait de faire voyager les élèves dans le  monde fantastique des dieux et des héros.

Au collège, avec des élèves de  6e et  de 5e :

-Préparer un spectacle à jouer devant d’autres élèves donne vie aux textes,   supprime le côté rébarbatif de la discipline  exigée pendant le cours  tout en rendant la classe plus solidaire.

– Se rendre au centre de documentation pour découvrir des livres sur  d’autres civilisations ou sur la peinture de la période étudiée en cours est une démarche « active » qui intéresse particulièrement les élèves.

– Faire soi -même la lecture à voix haute d’un texte comme l’Odyssée par exemple et continuer le récit d’un cours à l’autre rend les élèves attentifs et curieux d’entendre la suite : c’est un exercice qui peut leur donner le goût de la lecture.

-Travailler en équipe  sur un thème commun avec les professeurs d’autres disciplines pour élargir le champ culturel.

-Emmener les élèves au théâtre, au cinéma, aux expositions pour enrichir leur culture, rendre vivant l’enseignement reçu en classe mais aussi  pour les familiariser avec des lieux que certains parents ne fréquentent pas.

-Accueillir dans la classe des artistes.

 Au lycée   

En seconde,  les élèves ont  eu envie à partir de l’étude de certains de monter un spectacle à partir du thème : « La Guerre et l’Amour » ; en première : «  L’Homme et la Liberté ». Ils ont donc choisi des poèmes et nous avons réalisé à chaque fois un spectacle composé uniquement de poésies. La réalisation de ce projet  a énormément plu aux élèves qui se sont pleinement engagés  à la fois en tant qu’acteurs mais aussi en tant que techniciens du son et de la lumière.

J’ai pu expérimenter tout au long de ma vie professionnelle l’intérêt de cette démarche pédagogique à savoir :

  • Faire découvrir aux élèves les poètes  c’est leur faire connaître les questions que se posent  les hommes de tous les temps et de pouvoir en débattre : la vie, la mort, l’amour, la liberté, la violence et  aussi la résistance.
  • Faciliter leur prise de parole, leur donner de l’assurance en les faisant jouer dans un vrai théâtre devant un vrai public. (dans la petite salle du Théâtre Populaire des Flandres de Lille)
  • Leur faire éprouver les émotions, le travail des gens du spectacle et la fierté de la réussite à la fois devant  l’enthousiasme du public mais aussi  devant les critiques.
  • Rattacher l’enseignement purement théorique à une recherche appliquée est toujours payante en termes de résultats : attention des élèves, plaisir d’étudier ….
  • Favoriser la cohésion de la classe responsable de la réussite du projet  conduit jusqu’à son terme.
  • Faire du professeur, un membre de l’équipe au même rang que les autres et comme eux attaché à la réussite du projet, ce qui a pour effet de le désacraliser mais aussi de le rendre à la fois plus accessible, plus humain aux yeux des élèves sans pour autant lui enlever son autorité .

Ce type de démarche introduit le  plaisir,  la joie au sein de la classe qui devient d’autant plus réceptive à l’enseignement purement scolaire.

Si cette démarche conduite tout au long de l’année a eu des retombées positives sur l’enseignante que j’étais et sur les élèves, il n’en a pas été de même en ce qui concerne ma relation avec le chef d’établissement qui a tenté d’interdire la représentation sous  prétexte  que les poèmes étaient trop engagés.   L’Inspecteur d’Académie mis au courant non seulement ne l’a pas suivi mais a assisté à la représentation et lui a demandé de l’accompagner alors qu’il ne souhaitait pas le faire.

Il faut dire qu’on était en 1968 et que j’avais emmené les élèves de ma classe assister à un débat organisé par la Maison des jeunes alors que le proviseur interdisait tout rassemblement dans la cour du lycée ; j’estimais qu’ils étaient concernés et qu’ils avaient le droit de suivre les évènements en participant à un débat d’idées plutôt qu’en  s’impliquant dans des actes de violence. Ces élèves étaient spectateurs et acteurs d’un évènement social et culturel qui ne manquerait pas de les questionner et serait un moment fort de leur vie.

Nous n’avions pas le droit nous les professeurs de les tenir à l’écart mais  au contraire de les accompagner.

Je n’ai subi aucune sanction pour cette « désobéissance », ce qui est bien une preuve de la liberté de l’enseignant quand il agit selon ses convictions  dans l’intérêt de l’élève  et dans le respect de la déontologie.

C’est ce poids de la hiérarchie qui m’a donné l’envie d’être moi-même chef d’établissement pour agir plus librement et pour chercher avec une équipe  comment rendre l’Institution plus douce, plus apte à réduire les inégalités   et moins rébarbative aux yeux des élèves mais aussi aux yeux des parents «  j’étais réaliste , je voulais l’impossible » On était en 1968 !

Comme chef d’établissement

Faire de l’art un outil de développement de l’élève  est  facile si le chef d’établissement a construit avec tous les partenaires un projet où la culture et l’art sont envisagés comme les outils de formation et  d’éveil de  l’esprit  critique.

En  conclusion

Je pense d’après mon expérience qu’un établissement scolaire qui reconnaît que la culture est un élément essentiel non seulement dans l’acquisition des connaissances mais aussi dans la formation de l’élève verra la violence  baisser,  l’intégration des élèves dits « difficiles » s’améliorer, la vie scolaire s’apaiser, les inégalités se réduire.

Cette démarche pédagogique suppose :

* un travail en équipe   dont l’objectif commun est celui   de trouver  les outils pour réconcilier les élèves  avec l’école,  pour réduire les inégalités, pour  les  préparer  à être un homme, une femme  dont la richesse de l’apprentissage fera d’eux des citoyens libres et critiques capables de rentrer en résistance quand ils le jugent nécessaire.

* des enseignants chercheurs.

* une vie scolaire harmonieuse basée sur le plaisir d’apprendre.

* des éducateurs libres et engagés qui assument leurs choix.

Annexe : des exemples

1/ En collège  de 1968 à 1986

J’obtiens la direction d’un collège tout juste créé à Villeneuve d’Ascq.

 Ma première tâche a été de lui donner un nom,  j’ai donc proposé avec l’équipe éducative, sans suivre la voie hiérarchique,  le nom  de Rimbaud  or des noms avaient été  sélectionnés   parle Département en accord, je suppose avec l’Inspection académique ce que je ne savais pas.  Toute nouvelle dans la profession je ne connaissais pas les règles administratives et la lenteur de leur démarche….Le combat a été rude mais le collège a gardé son nom.

 Si je rapporte cette anecdote c’est qu’il me semblait que l’appellation d’un établissement scolaire pouvait préfigurer les intentions de l’équipe  qui l’animait ainsi que l’accueil qu’elle réserverait aux élèves : à la réflexion je voulais créer  une poétique  de l’Ecole : «  par les soirs bleus d’été j’irai par les sentiers….. »

Nous avons créé  le foyer  socio-éducatif, centre des activités culturelles et lieu commun à tous les membres de la communauté scolaire ainsi qu’aux intervenants extérieurs.

C’est au sein du foyer que le  club  théâtre animé par deux professeurs de langue et moi -même  a pu exister. Il a fallu pour cela aménager un local muni d’une scène dans le sous- sol du restaurant scolaire jouxtant la chaufferie…Les textes joués étaient des improvisations des élèves sur leur vie de collégiens, leurs inquiétudes, leurs joies, leurs émotions .Les textes étaient décapants car les adultes  étaient bien souvent caricaturés  mais leur regard nous remettait en question et leur permettait d’exprimer joyeusement des moments de leur vie et d’évacuer férocement leurs  ressentiments. Nous étions aidés et soutenus par la Scène nationale de Villeneuve d’Ascq « La Rose des Vents ».

 Toujours dans le domaine du théâtre, nous avons  invité Philippe Caubère qui venait de terminer le film sur Molière mis en scène par Ariane Mnouchkine : les élèves réunis dans la salle de sports ont pu lui poser  des questions sur son métier d’acteur, sur Molière et sur le théâtre.

 De nombreux échanges  culturels et linguistiques  étaient organisés chaque année par les professeurs.

 En arts plastiques, Dodeigne est venu parler de la sculpture et de ses œuvres tandis  que des peintres lillois de L’Atelier de la Monnaie (Majoub Ben Bella, Roger Frézin, Marco Slynkaert, Marie Thérèse Chevalier, Joel Lardeux) exposaient leurs tableaux dans la salle destinée au  théâtre mais aussi aux expositions.

Des fresques ont été  peintes par les élèves sur les murs extérieurs de l’établissement sous la direction de Jean-Pierre Faivre, peintre et professeur de dessin, pour toutes les classes du collège. Nous avons pris cette décision sans en avertir le Département qui ne nous aurait peut-être pas autorisé d’intervenir sur les murs pas plus que l’Inspection académique qui n’aurait pas vu d’un bon œil que les élèves soient transformés en peintres et les cours de dessin dédoublés, ce qui  était contraire aux textes. Les fresques de la totalité des trois bâtiments du collège sont donc  une œuvre collective des élèves. Le béton gris a pris toutes les couleurs de la palette et les murs se sont animés de personnages fantastiques sortis de leur imagination. Outre l’ambiance  colorée qui rendait le collège plus humain, les élèves s’étaient appropriés les bâtiments qui devenaient les leurs,  donc moins rébarbatifs.   Ils avaient surtout appris l’art et la technique de la fresque   en situation réelle avec pour maître un artiste.

Des élèves de sixième ont mené en compagnie d’élèves de l’Ecole d’Architecture dirigés par leur professeur Jean Patou, une enquête dans la ville sur les matériaux, mais aussi sur les sources et les dépenses  d’énergie liées à la  construction en cours de la Ville nouvelle .Cette recherche a abouti à la réalisation de maquettes  de logements,  à la construction d’une éolienne et à un  labyrinthe  dans la cour du collège. Et à une prise de conscience des élèves qui venaient de  trois villes différentes (Flers, Annales et  Ascq) qu’ils seraient dorénavant les habitants de  Villeneuve d’Ascq, celles-ci ayant fusionné. Grâce à cette expérience les élèves restaient connectés à leur environnement et à la transformation de celui-ci.

Une autre année toujours avec l’Ecole d’architecture les élèves ont réfléchi sur la notion  d’Espace et particulièrement sur celui du collège.  Ils ont choisi de transformer la cour en lui donnant du relief (il faut dire que les  bâtiments alignés autour d’une cour carrée étaient désespérément tristes et sans aucune fantaisie).

Pour ce faire,  à partir de dessins des élèves, la cour a pris l’allure d’un vallonnement   de terres amenées de l’extérieur,  modelées et recouvertes de pavés. Là encore je n’ai demandé aucune autorisation : cette démarche  étant inscrite dans le projet d’établissement  avait été discutée par l’ensemble de la communauté scolaire,  ce qui me semblait suffisant pour engager ma responsabilité.

Par la suite j’ai mesuré le risque que j’encourrais : le mécontentement des enseignants qui traversaient une cour boueuse au début des travaux quand la terre  se déversait sous la pluie et,  pire encore, le risque que les élèves se servent des pavés comme projectiles….La cour n’était plus la cour carrée et maussade d’un collège, mais  des montagnes russes  qu’ils avaient conçues et confectionnées eux-mêmes sur lesquelles ils jouaient ou bavardaient en petits groupes.

Enfin les élèves se sont emparés d’un pré acheté  au départ pour  agrandir le collège : ils jouaient sous les pommiers et avaient creusé une mare  avant que la construction d’un nouveau bâtiment ne commence.

Le travail mené avec les architectes leur a donné le sens de l’espace dans des interventions appliquées  et ludiques surement plus profitables qu’un cours de dessin à la table et leur a permis de s’approprier  l’espace de leur collège.

C’est une  nouvelle preuve que le chef d’établissement a une grande liberté dés le moment où il prend la responsabilité de ses choix. Pour la petite histoire mon successeur s’est hâté de raser le tout et de faire effacer les  fresques,  usant lui-même, de sa liberté.

Ces manifestations culturelles qui ponctuaient l’année scolaire et faisaient l’objet de fêtes étaient attendues par les élèves qui les préparaient activement ; ils en étaient fiers, leurs parents y assistaient nombreux, elles ont créé une « culture commune » à l’’établissement, ainsi  ils n’étaient pas les élèves de n’importe quel collège mais  les élèves du « collège Rimbaud »

2/ En lycée de 1986 à 1998

Cette école située à Roubaix  avait un nom impossible : LTTEAA : Lycée technique Textile et Art  Appliqué,  avec les professeurs nous avons obtenu de le changer et de lui faire perdre son bégaiement  pour celui d’Ecole Supérieure d’Art  Appliqué et de Textile. Cette dénomination n’a pas été facile à obtenir, le maire ayant déjà choisi le nom d’un patron du textile !

Il s’agissait d’une école d’art où la culture était d’autant plus nécessaire que les élèves admis étaient pour la plupart  issus des classes moyennes et s’ils étaient attirés par les métiers d’art, ils n’avaient cependant pas un niveau culturel leur permettant de connaître les œuvres des artistes  ni  l’esprit critique pour les analyser.  Tout était donc à faire ;  les professeurs s’y employaient dans leurs disciplines d’autant plus qu’ils étaient pour la plupart des artistes et les équipes pédagogiques élaboraient des projets qui concernaient l’ensemble de la communauté scolaire. Comme :

  • Des voyages culturels préparés et présentés au retour à une section concernée ou dans une exposition ouverte au public.
  • Des participations aux salons  selon les sections de BTS.
  • Des visites d’expositions.
  • Des créations de bannières pour  « les Transculturelles » de Roubaix.
  • Des spectacles créés par les élèves, aidés des metteurs en scène du Ballatum Théâtre et représentés dans la ville.   Les  textes étaient choisis par les élèves à partir d’un thème. Quant aux décors et à la musique, les travaux étaient menés par les différentes sections selon leur discipline auxquels s’associaient  les ateliers textiles.

 On se souvient de :

 *Justine ou les infortunes de la vertu, défilé de mode autour des textes de Sade sur l’escalier de l’Hôtel de Ville de Roubaix.

*Alice, à partir « d’Alice au pays des merveilles »dans le patio de L’ENSAIT, afin de rapprocher les ingénieurs textiles des élèves d’Arts appliqués.

 *Révolutionnaires donc Folles, pour le bicentenaire de la Révolution, spectacle complet où les arts plastiques, dramatique et le textile s’entremêlaient : «  Femmes aux cocardes épinglées sur leur jarretière mais femmes dégradées à la fin de la révolution. » Outre l’intention de redonner toute leur place aux femmes qui étaient traitées de « folles »quand elles participaient à la Révolution , l’étude de cette période appliquée à l’expression dramatique a permis aux élèves de chercher une expression artistique et visuelle riche de retombées.
Les représentations étaient publiques, elles ont eu lieu dans une salle de spectacle de Roubaix : les spectateurs et les critiques étaient enthousiastes, les élèves ravis : le spectacle a fait l’objet d’un DVD et de nombreuses photos.
Un partenariat avec le Musée de Roubaix avait été établi dés mon arrivée,  les élèves y accédaient librement et y exposaient   leurs dossiers : cette démarche les familiarisait avec le musée dont ils pouvaient avoir des réticences à franchir le seuil et les mettaient directement dans le monde du travail en se faisant connaître des visiteurs.

*Dans l’EROA de l’ESAAT on se souvient de Pic de la Mirandole,  de François  Bourc, de Raoul Servais….

Pendant ces douze années, Il y a eu comme le disait René Char « toute la place pour la beauté.

 Cette démarche  a plusieurs objectifs :

Faciliter  l’accès pour tous les élèves  aux différentes expressions artistiques, développer leur esprit critique, leur  montrer qu’ils peuvent, eux aussi, s’exprimer « artistiquement ».

 Leur donner le goût de l’étude des arts appliqués par une méthode active de participation à des projets en complément des cours  théoriques.

En un mot les faire progresser dans leur apprentissage du « savoir-faire »  et en même temps du « savoir être »,

Mais aussi

  • Souder la communauté scolaire et en particulier mettre en relations les sections d’art avec les sections textiles, autrement dit les artistes et les techniciens par les projets où chacun peut apporter ses propositions, son imagination son talent.
  • Donner une visibilité de l’Ecole dans la ville et  par là une identité aux étudiants qui en sont issus.
  • Placer l’Ecole au niveau national à l’égal des Ecoles d’Arts Appliqués qui se font une concurrence féroce avec pour but la renommée de l’Ecole et par conséquent un excellent recrutement.

 



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