Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
A la une
Rubriques :
  • A la une
  • Chronique d'Evariste
  • Histoire
  • 1917
  • lettre 856
  • Révolution Russe

Que nous apprend la Révolution russe de 1917 pour aujourd’hui et au-delà ?

par Évariste

 

Centenaire de la révolution russe

Le débat central de notre période est bien celui dont on ne parle malheureusement jamais, à savoir les conditions de la révolution. Sans ce débat, nous pouvons alterner des enthousiasmes populaires suivis par des déceptions et éventuellement par de la résignation voire du fatalisme. Dit autrement, à force de perdre, on perd aussi l’espoir de la victoire. Et alors, se développe une ribambelle de pseudos-alternatives sectorielles et sectaires (chacune avec un gourou à sa tête, parlant bien, surdiplômé, sans jamais appeler à modifier les rapports de production pour le plus grand bien du mouvement réformateur néolibéral).

Et comme nous célébrons le centenaire de la Révolution russe, nous pouvons commencer l’exercice par la question qui donne son titre à l’article. D’abord parce que chaque révolution doit beaucoup à la précédente. Tous ceux qui ont lu l’historien Albert Mathiez savent l’influence de la Révolution française et de la Commune de Paris sur la Révolution russe. Eh bien, profitons-en pour étudier enfin sérieusement les apports de la Révolution russe de 1917 aux suivantes.
Il n’y a pas plusieurs révolutions russes en 1917 mais une seule du 8 mars au 7 novembre (dans notre calendrier grégorien). C’est un bloc intelligible en soi.

Pour le comprendre, encore faut-il comprendre ce qui se passe dans les 50 années qui l’ont précédé. D’abord, l’abolition du servage en 1861 rend paradoxalement la vie plus difficile à de nombreux  paysans dans les conditions du rachat des terres. L’industrialisation massive sous emprise étrangère développe la masse des ouvriers qui sont plus de trois millions à l’aube de la Première guerre mondiale. Puis, des luttes sociales et politiques de différente nature aiguisent les débats dans un foisonnement de débats culturels et politiques. Et, enfin la création du Parti Ouvrier Social-démocrate de Russie (POSDR) et enfin du parti bolchevik. Si on rajoute les conséquences de la première guerre mondiale en Russie à commencer par la défaite de Tannenberg dès septembre 1914, et les luttes de libération nationales contre le tsarisme, on a les ingrédients pour comprendre les enchaînements jusqu’au début de 1917.

Les grands principes à retenir

Item 1 : Début 1917, les esprits étaient gagnés à une nouvelle hégémonie culturelle historique post-tsariste

La période 1861-1916 fut la période d’un travail culturel intense, de luttes sociales et politiques de toutes natures, de débats intellectuels et populaires enflammées. Sans ce travail incluant une sorte d’éducation populaire refondée, il n’y aurait pas eu de déclenchement révolutionnaire.

C’est donc l’item indispensable sous-estimé (pour ne pas dire plus !) aujourd’hui par les responsables politiques et syndicaux.

Par ailleurs, comme l’a prédit Kautsky en 1902 repris par Lénine1, la théorie du maillon faible que constitue la Russie a fait son apparition.

Item 2 : le déclenchement du processus révolutionnaire est l’œuvre du mouvement autonome des masses ouvrières de Pétrograd.

Comme à chaque processus révolutionnaire ou à chaque grande avancée sociale(1936 par exemple), ce n’est jamais une décision des dirigeants des organisations qui déclenchent le mouvement social mais bien un mouvement autonome des masses. Nous sommes là dans la suite de l’item1. Voilà qui disqualifie tant le gauchisme que les pratiques politiques actuelles dans la plupart des organisations de gauche et d’extrême gauche.

Par ailleurs, la majorité des ouvriers ont au début du processus révolutionnaire soutenu de façon rationnelle le double pouvoir puis toujours aussi rationnellement ont soutenu les bolcheviks à la sortie de l’été. La radicalisation progressive des ouvriers (par le contrôle ouvrier par exemple) est un des facteurs importants à comprendre dans cette phase et correspond à une prise de conscience que pour défendre la révolution,il ne fallait plus de partage de pouvoir avec les classes possédantes tant ces dernières étaient intraitables et refusaient toutes leurs revendications sociales et que dès que les forces contre-révolutionnaires reprenaient le pouvoir (1905-1906, répression en Finlande et en Ukraine, etc.), la répression était terrible.

Item 3 : le déclenchement du processus révolutionnaire est toujours lié aux luttes sociales.

C’est le 18 février(en calendrier Julien) qu’est déclenché la grève à l’usine Poutilov , principale entreprise de Petrograd. Et tout s’enchaîne ensuite.

Item 4 : jamais un processus révolutionnaire se déclenche sans une mobilisation féminine et féministe de masse

C’est le 8 mars (en calendrier grégorien soit le 23 février en calendrier julien) qu’est enclenchée, à l’occasion de la  journée internationale des femmes, la grande manifestation des femmes qui envahit le centre de Pétrograd  et qui enclenche le processus révolutionnaire qui va entraîner l’abdication du tsar. Les revendications sont d’abord sociales (le salaire féminin est moitié de celui des hommes, etc.) mais aussi féministes. Pas l’inverse. A méditer aujourd’hui.

Item 5 : jamais un processus révolutionnaire ne se déclenche sans des contradictions exacerbées antagoniques au sein des classes dirigeantes

C’est le 26 février (en calendrier julien), que deux régiments de soldats se joignent  aux grévistes. Il y aura d’autres cas plus tard.

C’est également une alliance d’une aristocratie moderniste contre la vieille aristocratie, et de la bourgeoisie, soutenue par les mencheviks et les socialistes révolutionnaires (SR) qui prend le pouvoir le 2 mars.

S’ouvre la période du double pouvoir entre le gouvernement provisoire et le soviet de Petrograd à majorité menchevik et socialiste révolutionnaire.

Plus tard, après avoir réprimé les manifestants en juillet et pourchassé les bolcheviks, le gouvernement est surpris par une tentative de putsch, le 27 août. C’est une tentative de coup d’Etat d’extrême droite contre le gouvernement bourgeois cette fois-ci. Et l’Etat n’est plus capable de se défendre contre le coup d’Etat du général Kornilov.

C’est le soviet de Petrograd qui met fin à l’action de ce général réactionnaire. Lénine comprend alors que  la période du double pouvoir peut prendre fin et il n’y a plus qu’à « ramasser l’État à terre » … et à convaincre la majorité du soviet (Trotski est élu président du soviet le 1er septembre) et la majorité du bureau politique du parti bolchevik, ce qui ne fut pas la tâche la plus facile.

Item 6 : Le passage par une période de double pouvoir est une nécessité et donc il faut penser ce processus

Lénine comprend vite que le soutien populaire n’est possible que si on ne soutient pas le gouvernement provisoire et que l’on développe  le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets ». Et que donc, il fallait  essayer de devenir majoritaire dans les soviets ce qui fut fait début septembre 1917 permettant ainsi de créer un comité politico-militaire au sein du soviet.

Item 7 : Vivre le réel n’implique pas de le comprendre. Et ce qui est nécessaire est de le comprendre !

Les SR, les mencheviks et au début la majorité du bureau politique des bolcheviks voulaient aller vers leur idéal sans avoir compris le réel qui était pourtant devant leurs yeux. Toute chose étant différente par ailleurs, comme leurs équivalents aujourd’hui !  Lénine, lui a compris le réel géopolitique, le conflits des impérialismes, la Russie maillon faible,  la colère de la majorité du peuple paysan(qui organise la réquisition des terres de façon sauvage pendant la période du gouvernement provisoire), l’état d’esprit des soldats, l’incapacité des généraux russes de faire une guerre efficace pour différentes raisons, le fait que la guerre renforçait l’oligarchie capitaliste, les ressorts politique des ouvriers et le fait qu’il n’y a plus d’Etat russe fin août en Russie. Et surtout, ayant étudié la révolution française et la commune de Paris, il a corrigé dans ses propositions les erreurs des révolutionnaires précédents.

D’où ses mots d’ordre : tout le pouvoir aux soviets, la terre aux paysans, sortir de la guerre, etc.

Item 8 : dans la phase de double pouvoir impérative, il faut refuser le gauchisme

Le gauchisme se défini par plusieurs croyances:

-le peuple est spontanément révolutionnaire

-on peut énoncer une vérité en étant coupé des masses au lieu d’être avec elles

– une théorie du changement est inutile (pas besoin de formation massive des militants et encore moins d’éducation populaire refondée)

– la présence de militants disciplinés, liés aux masses et qui priorisent les décisions prises démocratiquement, n’est pas nécessaire

Item 9 : La prise du pouvoir est une chose, l’exercice du pouvoir en est une autre.

Si les premières mesures, refusées par le gouvernement provisoire et ses alliés, mais prises par le pouvoir révolutionnaire – la réforme agraire, l’arrêt de la guerre, les droits sociaux, politiques et féministes pour les femmes (sur proposition d’Alexandra Kollontaï), etc. -correspondaient aux nécessités de la période, très vite, des choix critiquables ont petit à petit entraîné le « communisme de guerre »… Même si, avec une guerre civile soutenue par les pays impérialistes occidentaux, il fut difficile d’y échapper.

Par exemple, l’incapacité d’articuler le parti bolchevik avec le pouvoir des soviets et avec l’Assemblée constituante dès les premiers mois du pouvoir révolutionnaire a fait entrer la Russie dans une spirale dont elle n’a jamais pu sortir. L’incapacité de construire durablement un bloc historique (tel que l’a conçu plus tard Antonio Gramsci) travaillant par phases et ruptures de phase [faire une note ??] a entraîné le délitement du soutien populaire à la Révolution. L’incapacité de penser l’articulation du mouvement d’en bas et du mouvement d’en haut a aussi été préjudiciable. Manquait le système d’organisation sociale et politique que représente le principe de laïcité. Puis la création de la Tchéka sans développer le droit à la sûreté. Etc.

Tout ceci est important car tout cela est intégré dans la mémoire des travailleurs et des citoyens. Et donc aujourd’hui, il convient de préparer le chemin de l’émancipation en tenant compte des erreurs du passé et nous ne pouvons plus faire l’économie de proposer un modèle politique global qui tiennent compte tant des nécessités de la prise du pouvoir que de celui de l’exercice du pouvoir.

 

 

 

  1. Le centre de la révolution se déplace d’Occident en Orient. […] Le nouveau siècle débute par des événements qui nous font penser que nous allons au-devant d’un nouveau déplacement du centre de la révolution, à savoir: son déplacement vers la Russie. […] La Russie, qui a puisé tant d’initiative révolutionnaire en Occident, est peut-être maintenant sur le point d’offrir à ce dernier une source d’énergie révolutionnaire. Karl Kautsky, « Les Slaves et la révolution» [1902], cité dans Lénine, La Maladie infantile du communisme (Le «Gauchisme») [1920], Œuvres, t.31, p.16-17. []
Europe
Rubriques :
  • Europe
  • International
  • République
  • catalogne
  • Indépendance
  • lettre 856
  • Podemos
  • PSOE

La crise catalane espagnole : théâtre, actrices et acteurs, style et scénario, machinerie sous la scène

Vers le scrutin du 21 décembre – chronique n°1

par Alberto Arricruz

 

La revendication séparatiste catalane n’a jamais quitté la scène en Espagne, depuis le 18ème siècle. Tout au plus a-t-elle été étouffée, durant quarante ans au 20ème siècle, par le pouvoir fasciste de Franco, l’un des régimes les plus criminels de son temps.

De 1701 à 1714, la guerre de succession d’Espagne a opposé Louis XIV aux autres puissances européennes, après que le dernier Habsbourg d’Espagne, descendant de Charles Quint, soit mort sans laisser d’héritier. Au bout de 12 années harassantes de guerre en Europe, les grandes puissances ont négocié des compromis dont on peut encore voir les résultats : Gibraltar britannique, les possessions françaises en Amérique cédées à l’Angleterre, le Roussillon et Franche-Comté revenant à la France

Aux sources du « catalanisme »

Le point zéro du « catalanisme » est le siège suivi de la chute de Barcelone le 11 septembre 1714, dans un assaut commandé par un prince français contre les restes d’un corps militaire anglais retranché dans la ville. Le nouveau roi bourbon espagnol, installé par Louis XIV, abolît la principauté de Catalogne, priva ses nobles des privilèges dont ils jouissaient, et imposa à Barcelone des sanctions urbaines et économiques qui se prolongèrent plus de cent ans…

Trois siècles plus tard, les supporters indépendantistes du Football Club de Barcelone – le fameux Barça – hurlent passionnément « Indépendance » à la 17ème minute et la 14ème seconde de chaque match. Le 11 septembre de chaque année, la « Diada », devenue sous l’égide du gouvernement autonome catalan une grand-messe indépendantiste, met en scène la conviction des nationalistes catalans d’être occupés par les Espagnols.

Cette croyance puissante se construit, comme toute cette catégorie de sentiments, sur des bases fictionnelles modernes qui ont gagné le statut de vérités absolues dans les cœurs d’une bonne moitié de la population catalane.

Depuis des années, l’union de droite bourgeoise CiU (devenue PdeCAT) et le parti « gauche républicaine de Catalogne » ERC utilisent les pouvoirs très étendus de la « Generalitat » (gouvernement catalan) pour renforcer la légende catalaniste, la reconduisant dans une présentation mythique de la guerre civile (de 1936 à 1939) révisée en affrontement entre Espagnols fascistes et Catalans républicains.

Depuis la « transition démocratique » postfranquiste, la CiU (alias « parti des 3% » parce qu’il prend 3% des marchés publics en commissions occultes) du grand banquier Jordi Pujol a dirigé la Catalogne.

À la tête de la « Banque catalane » fondée par son père, Pujol en provoqua la banqueroute en 1982 mais échappa aux poursuites grâce aux pressions sur la Justice du gouvernement espagnol socialiste de Felipe Gonzalez. Tout en planquant près de 2 milliards d’euros en Andorre, Pujol dénonça en meeting la faillite de la Banque catalane comme étant un complot espagnol pour priver la Catalogne des outils de sa souveraineté. En 2014, cerné par les enquêtes anticorruption, Pujol avoua le montant de son magot ; mais en bon parrain, il a mis les fraudes au nom de son fils, en prison à sa place.

Après trente ans de présidence Pujol de la Generalitat puis une parenthèse de gauche, c’est son héritier politique Artur Mas qui a prolongé le pouvoir de la CiU en Catalogne. Fin 2015, il cédait sa place à son camarade Puigdemont – aujourd’hui réfugié à Bruxelles.

Le déclenchement du « Procés » indépendantiste

Pourquoi les souverainistes catalans, qui dirigent tranquillement la « Generalitat » et s’enrichissent sur elle depuis près de quarante ans, sont-ils devenus indépendantistes, au point de proclamer la république catalane et de risquer la prison ?

Le 15 juin 2011, une puissante manifestation du mouvement des Indignés – révolte massive de la jeunesse dans toutes les villes d’Espagne surgie le 15 mai précédent – cernait le parlement catalan, obligeant Artur Mas à rebrousser chemin car sa voiture était assaillie et à prendre l’hélicoptère.

Le gouvernement de droite catalaniste était à l’avant-garde des politiques d’austérité et de liquidation des acquis populaires, impulsant à toute vitesse la destruction des protections sociales et privatisant à tour des bras les hôpitaux – au profit de la société de son ministre de la santé. Dans la répression des Indignés et les expulsions des surendettés par milliers de leurs logements, la police catalane (Mossos) a excellé dans la violence mieux encore que la police espagnole.

Le parti socialiste au pouvoir à Madrid était profondément discrédité par le virage du chef du gouvernement Zapatero vers la politique d’austérité brutale réclamée par la commission européenne. Le PSOE s’alliait en 2011 avec le parti de droite PP pour imposer en une nuit la modification expresse de la constitution espagnole : le remboursement de la dette aux banques est devenu la première obligation de l’État, des gouvernements autonomes et de toutes les collectivités publiques d’Espagne.

En novembre 2011, le PSOE est balayé aux élections et le très réactionnaire Mariano Rajoy, secrétaire général du PP, prend la tête du gouvernement. Fort de la majorité absolue au Parlement, il n’a pas besoin – pour la première fois depuis 1977 – des voix des partis de droite catalan et basque pour gouverner. Ce point est crucial : depuis 1982, le PSOE et le PP se sont succédés au gouvernement espagnol en négociant l’appui des partis nationalistes de droite basque et catalan, qui passaient de l’un à l’autre sans état d’âme.

Pour maintenir son capital électoral alors qu’il poursuit la politique d’austérité brutale des socialistes, Rajoy a essayé d’empêcher l’adieu aux armes du groupe terroriste basque ETA ; il a fait annuler des clauses essentielles du nouveau statut autonome de Catalogne, déclenchant l’indignation nationaliste.

Occuper le terrain en faisant monter la tension avec les nationalistes et indépendantistes permet de mobiliser les passions nationales, très ancrées dans toute l’Espagne, pour faire oublier la violence de sa politique et l’ampleur impressionnante de la corruption des élus du PP à tous les niveaux : 850 élus et dirigeants inculpés aujourd’hui (dont l’ancien secrétaire général du FMI), 12 d’entre eux morts juste avant de déclarer devant le juge, tous les trésoriers du PP mis en cause, le président Rajoy lui-même mis en cause pour corruption par le chef de la police antifraude, plusieurs dizaines de milliards d’euros détournés chaque année… La deuxième marche du podium de la corruption est assez disputée, entre le parti de droite « pujoliste » catalan et le parti socialiste notamment par sa branche d’Andalousie.

Cette stratégie de Rajoy est la chance que saisissent les dirigeants catalans, inquiets autant que lui de l’ampleur de la contestation sociale puisqu’ils appliquent la même politique violemment antipopulaire.

Le pari de la surenchère nationaliste sur la question territoriale est la réponse des castes gouvernantes au mouvement des Indignés et à l’impressionnante montée des luttes. Le surgissement surprise de Podemos aux élections européennes de 2014, puis la vague de victoires municipales des Indignés en 2015, ont renforcé le choix de la tension poussé par Rajoy depuis Madrid et par CiU et ERC depuis Barcelone : pour étouffer la contestation sociale, lançons les trains de la passion nationaliste l’un face à l’autre, et accélérons.

2016, l’accélération

Avril 2015 : les candidatures de rassemblement progressiste montées par Podemos emportent les municipalités de la majorité des grandes villes : Madrid, Saragosse, Saint-Jacques de Compostelle, La Corogne, Cadiz, Valence… Barcelone, dont le maire est désormais Ada Colau, leader du mouvement contre les expulsions : imaginez que le président du DAL devienne maire de Paris, par exemple.

Décembre 2015 puis juin 2016 : Podemos, en coalition avec le mouvement d’Ada Colau « En Comu », est le premier parti en Catalogne lors des élections législatives.

Pour rester au pouvoir, droite catalane et droite espagnole doivent accélérer. Les provocations et ultimatums s’enchaînent entre les dirigeants de la coalition au pouvoir en Catalogne et le PP à Madrid, jusqu’à l’annonce du « référendum » catalan du 1er octobre 2017, la répression de cette journée par le gouvernement Rajoy, la « déclaration unilatérale d’indépendance » (DUI) par Puigdemont – dont on ne saurait dire si elle a été émise ou pas, dans un numéro de contorsion verbale historique – puis la prise de contrôle de la Generalitat par Madrid, la fuite à Bruxelles de Puigdemont et l’entrée en prison de ses adjoints.

Panorama après l’accélération indépendantiste :

  • La Generalitat, gouvernement autonome catalan d’origine républicaine réinstallé par le gouvernement de transition d’Adolfo Suarez en septembre 1977 – donc avant même la rédaction de la nouvelle constitution – est de fait suspendue.
  • Le PP, parti ayant le moins de voix de tous les partis en Catalogne, gouverne la région.
  • La « République » catalane censée mettre à bas la Monarchie espagnole n’est même pas une tragédie, c’est une farce.

Mais le panorama est sombre aussi pour le système politique espagnol. L’équilibre des forces installé au cours de la transition démocratique – appelée souvent par Podemos « régime de 1978 », année d’entrée en vigueur de la nouvelle constitution – est totalement brisé :

  • Le PP, avec l’appui du Parti socialiste PSOE, a jeté en prison les dirigeants du parti historique de droite catalan, jusqu’alors un des piliers du système.
  • Le parti socialiste, qui était jusqu’en 2011 l’épine dorsale du régime de 1978, a entériné toutes les décisions de Rajoy – à qui il avait permis d’accéder au pouvoir à l’été 2016 après des mois de blocage. Pourtant le secrétaire général du PSOE Pedro Sanchez, viré par son appareil en 2016 pour avoir tenté de prendre le pouvoir en coalition avec Podemos et… les partis catalans et basques, avait gagné la primaire socialiste en juin en promettant notamment de virer Rajoy.
  • Le PP est lui-même concurrencé sur sa droite par le parti Ciudadanos, du catalan anti-indépendantiste Albert Rivera – qui a l’appui de l’ancien président du gouvernement et leader du PP José Maria Aznar.
  • Le gouvernement PP est privé de l’appui indispensable du parti nationaliste basque, sans qui il ne peut pas faire voter le budget – l’Espagne va aborder 2018 sans budget de l’État.
  • Le roi bourbon d’Espagne, changé en 2014 pour retrouver le prestige perdu de la monarchie, s’est positionné en opposition dure contre le mouvement catalan et avalise la suspension de la Generalitat, dont la restauration a été pourtant un acte fondateur du régime de 1978, et de la légitimation de la Couronne…

Le bloc monarchique formé par la Couronne, les partis PP, PSOE et Ciudadanos, ainsi que par l’appareil médiatique aux mains d’une oligarchie muée de franquiste à démocrate (voire « de gauche ») sous l’égide du propriétaire du groupe PRISA Juan-Luis Cebrian (dont le fleuron est « El Pais »), ce bloc s’est regroupé en pack pour renouveler sa domination, imposant une solidarité spectaculaire de ses différentes composantes, pourtant en rude compétition, autour du PP conduit par Rajoy.

Grâce à l’aventurisme irresponsable des catalanistes de droite convertis en indépendantistes pour sauver leur domination, alliés à la « gauche » indépendantiste-centriste d’ERC et à l’extrême-gauche indépendantiste qui se croit révolutionnaire de la CUP (qui menace en meeting les « traîtres » que sont Podemos et la mairesse de Barcelone Ada Colau), le bloc monarchique a trouvé l’opportunité historique de restaurer sa domination menacée par le mouvement des Indignés et les luttes sociales puissantes en Espagne.

Il le fait par une régression inédite des normes démocratiques, la prison pour des opposants politiques autrefois alliés, le retour en force des fascistes et des néo-nazis dans les rues grâce aux manifestations « patriotiques »…

Vers les élections au parlement catalan

En suspendant les institutions catalanes, Rajoy a annoncé la dissolution du parlement catalan et convoqué de nouvelles élections pour le 21 décembre prochain.

Mais les Catalans sont prévenus par le PP : ils doivent bien voter, c’est-à-dire pour ceux que Aznar appelle les « constitutionnalistes » face aux ennemis de la démocratie : PP, PSOE ou Ciudadanos. Si les indépendantistes gagnent encore, le pouvoir central annonce déjà qu’il gardera le contrôle de la Catalogne.

Après avoir tenté durant quelques jours de refuser la légitimité du nouveau scrutin, les partis indépendantistes ont décidé d’aller aux élections, avec l’espoir de gagner à nouveau.

Mais cette fois, CiU – qui s’appelle maintenant PdeCAT – et ERC ne renouvellent pas la coalition « Junts pel Si », qui avait raté la majorité au scrutin de septembre 2015 mais avait ensuite pu compter sur les députés de la CUP.

La CUP, après un très bon résultat en 2015 sur un discours anticapitaliste et la promesse de faire tomber le pouvoir de droite en Catalogne, était devenue la pièce manquante de l’aventure et le soutien décisif de cette même droite. La CUP va aux élections avec l’espoir de conserver cette influence.

Les dirigeants catalans de Podemos ont tenté de tourner le dos au parti « En Comu » d’Ada Colau pour s’allier avec les indépendantistes. Mais la direction nationale de Podemos, clairement anti-indépendantiste, a engagé directement un référendum auprès des adhérents en Catalogne, obtenant une participation record de plus de 15 000 votants et 72% pour s’allier avec le parti d’Ada Colau.

Le secrétaire général de Podemos en Catalogne a été viré, et la coalition « CatComu/Podem » sera conduite par Xavi Domenech. Avec son mandat de député au parlement espagnol dans le groupe de Podemos, Domenech a gagné une forte notoriété qui manquait aux têtes de file de la même coalition en septembre 2015.

Le PP espère faire un bon résultat, mais s’attend à rester lanterne rouge en influence électorale en Catalogne. Ciudadanos mise tout sur sa dirigeante catalane Inès Arrimadas, très soutenue par les médias, et croit pouvoir gagner le scrutin catalan.

Le PSOE présente son leader catalan Miquel Iceta, qui essaye de se décoller de l’image de menteur et de béquille du PP que risque de traîner le secrétaire général Sanchez. Iceta doit aussi faire oublier la vague de départs et de démissions provoquée par le soutien du PSOE à la politique répressive du PP.

Les partis du bloc PP/PSOE/Ciudadanos présentent l’enjeu comme se résumant à un vote anti-indépendantiste face à un vote antiespagnol, tentant de rejeter Podemos dans le camp d’en face. Les partis du bloc indépendantiste tentent de regagner l’élection, même de justesse comme en septembre 2015. L’extrême-droite montre son nez, espérant sortir de la marginalité électorale où elle est confinée depuis quarante ans.

La division entre ceux qui se sentent Catalans en excluant l’Espagne et ceux qui se sentent Espagnols (mais jusqu’à présent pas en excluant l’identité catalane) partage la société catalane en deux moitiés presqu’égales.

La logique de plébiscite est à l’œuvre. À l’exception de Podemos tous ont besoin d’augmenter encore la tension, malgré les dégâts déjà causés et les dangers qu’elle fait peser à la démocratie et à la paix civile.

Au cours des prochaines semaines, nous ferons une revue des projets politiques et des stratégies des acteurs de l’élection.

ReSPUBLICA
Rubriques :
  • ReSPUBLICA
  • lettre 856
  • OVH

À nos amis lecteurs concernant ReSPUBLICA n°855

par ReSPUBLICA

 

Internet, un outil incontournable ? La question peut paraître subsidiaire, mais regardons de plus près les dernières révolutions, y compris « le printemps arabe », qui se sont appuyées grandement sur cet outil, et notamment les réseaux sociaux. Il a fallu voir aussi la semaine dernière les répercussions concrètes de la panne géante de l’hébergeur français OVH, qui a occasionné pendant plusieurs heures l’arrêt de centaines de milliers de site internet et mails…dont ReSPUBLICA ! De nombreux lecteurs n’ont pas pu consulter le jour même les différents articles envoyés  dans la lettre n°855.
OVH, numéro un européen de l’hébergement de sites internet en Europe, utilisé par de nombreuses associations et organisations politiques, compte 22 centres de données dans 19 pays. Selon les dernières informations, deux centres présents en France – Roubaix et Strasbourg – ont « planté » sans cause de lien à effet, mais relançant le débat autour des outils numériques : quel contrôle des usagers ? quelle souveraineté numérique, et quelles alternatives possibles ? La privatisation globale des ex-PTT, devenue France Télécom, puis Wanadoo pour sa partie internet et enfin Orange, pose également de vraies questions sur des missions de service public confiés aux multinationales. La socialisation des moyens de production, mais aussi des services publics prend tout dans son sens. Comme nous marchons sur nos deux jambes, et que nous ne vivons pas en dehors des réalités, la plupart d’entre nous utilisent internet et leurs mobiles dans cet environnement capitaliste. Des solutions alternatives existent, ici et là, notamment pour les logiciels libres, mais la formation des militants aux nouvelles technologies, et encore plus à la prise en compte des immenses enjeux politiques de ces technologies , a été mise de côté par beaucoup.

Nous présentons donc nos excuses à nos lecteurs pour les désagréments rencontrés la semaine dernière.

 



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org