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SUD-Éducation 93 : l’aboutissement logique et programmé d’une stratégie « indigéniste »

par Évariste

 

De l’antiracisme à la racialisation

Le stage organisé par SUD-Education 93 les 18 et 19 décembre indigne et choque, par le détournement opéré des mots et pratiques syndicales, bien éloignés de l’antiracisme qu’il prétend défendre. Le mieux, est de parler de choses factuelles, et de regarder à la fois le programme, la sémantique politique choisie, et les intervenants.

On y apprend ainsi que le programme commence par « qu’est-ce qu’un-e élève racisé-e ?» avec l’intervention de Nacira Guénif et Marwan Mohammed. La première est bien connue pour être l’une des vitrines « scientifiques » des Indigènes de la république et certains vont même jusqu’à raconter qu’elle est l’auteure des discours et écrits d’une grande partie de l’organisation raciste. Une erreur de casting isolée ? pas du tout ! Peut-être une volonté de faire vivre un espace de débats avec des contradicteurs ? encore raté ! La seconde plénière de la journée, autour de « l’islamophobie dans l’éducation nationale, enjeux et débats » est animée par Marwan Muhammad , ancien directeur du CCIF (le sulfureux collectif de lutte contre l’islamophobie, qui distille davantage l’islamisme politique que la défense contre le racisme anti-musulmans). Cet ami de Ramadan, l’est aussi des mouvements associatifs très contestés : sa présence sur « Al-Kanz », site internet controversé ou encore ses liens avec Barakacity – qui derrière des actions dites humanitaires prône un islam rigoriste, ne laisse que peu de place au doute. Le responsable de cette ONG, Idriss Sihamedi, avait fait scandale lors de son passage à la télévision début 2016, quand après des demandes répétées de ses contradicteurs pour savoir s’il condamnait Daech ou le soutenait, il finissait par lâcher les propos suivants : «  S’ils tuent des gens, s’ils brûlent des gens dans des cages. Je vais pas vous dire oui. S’ils tirent sur des femmes enceintes. Je vais pas vous dire ‘non je condamne pas’. Donc je pense que oui. Mais je suis gêné de la question.»  Décidément tout ce petit monde se connaît bien, et ce n’est pas la présence d’un-e membre « du cercle des enseignant-e-s laïques » qui changerait la donne. Et pour cause, ce cercle, qui est un collectif  de professeurs de « différentes disciplines est composé d’Anaïs Flores (histoire-géographie), Paul Guillibert, (philosophie), Caroline Izambert (histoire-géographie), Florine Leplâtre, (lettres) et Jérôme Martin (lettres) ». Tout ce petit monde a publié avec Jean Baubérot un « Petit manuel pour une laïcité apaisée » aux éditions La Découverte. La boucle est bouclée, avec la volonté de toujours tenir un double discours.

Les autres intervenants sont tous du même acabit : Fatima Ouassak du « Front des Mères », a un style et une pensée aussi bien à elle : « Parents noirs, arabes et musulmans, parents habitant les quartiers populaires, êtes-vous sereins quand vous confiez vos enfants à l’école le matin » écrivait-elle dans un texte publié cet été, sur le site « contre-attaques »1 dont nous laissons nos lecteurs se faire une opinion par eux-mêmes. Cet article a été repris sur une série de sites dont l’objectif politique n’est plus à démontrer. Il faut dire que son premier texte, signé avec Diariatou Kebe évacuait le combat antiraciste sur la question raciale, où le monde serait séparé entre blancs et non-blancs. Exit les classes sociales, et quoi de mieux que pour lutter contre le racisme, que de faire l’amalgame entre origine réelle ou supposée, ethnie d’appartenance réelle ou supposée et religion. Cette essentialisation poussée à son comble conduit aujourd’hui à des discours racialistes qui font froid dans le dos. La présence, au passage, de Pierre Tévanian qui en 2011, lui aussi proche des Indigènes et l’un des initiateurs d’un appel en 2011 contre Charlie Hebdo après une attaque au cocktail molotov, et d’Omar Slaouti, membre du NPA, va permettre à tout ce petit monde de se retrouver sous le prétexte d’une formation syndicale.

Gouvernement et extrême-droite soufflent sur les braises

Cette offensive « indigéniste », qui va du simple relativisme culturel au racisme et à l’antisémitisme caractérisés, profite sans doute aux luttes de pouvoir au sein des organisations, où les adhérents se voient être pris au piège. Mais si l’incendie a été allumé par le choix du bureau de SUD-Education 93 qui en porte la responsabilité, il n’est pas le fruit du hasard et on doit aussi dénoncer ceux qui soufflent sur le feu pour le propager dans le mouvement social, telle la Fondation Copernic dans son communiqué du 22 novembre en défense de SUD-Education 93 sous couvert de défense des libertés syndicales.
Il faudrait être bien naïfs ou aveugles pour s’étonner par ailleurs des tentatives d’instrumentalisation de la situation par le gouvernement d’un côté, et de l’autre l’extrême-droite traditionnelle, l’occasion était trop belle ! Le premier, qui s’en prend davantage aux libertés syndicales qu’à l’idéologie sous-jacente et en même temps clairement affichée lors de ce stage, n’aidera pas les militants laïques et de classe. L’antiracisme radical ne peut pas non plus refuser de questionner et de combattre le racisme d’État. La seconde, qui défend un programme et des idées basées également sur la discrimination et le racisme. Il faut alors, dans cette période, à la fois s’opposer au gouvernement pour la liberté des défenses syndicales et notamment du droit à la formation syndicale, et s’opposer radicalement à l’extrême-droite traditionnelle qui n’attend que ça pour diviser le peuple.

Une fracture qui peut devenir une rupture dans Solidaires, et ailleurs !

Dans Solidaires, l’incendie reste pour le moment invisible en dehors, car aucune organisation n’a communiqué publiquement son désaccord même si quelques communiqués de fédérations (SUD-PTT ou SUD-Santé) ont été discrètement diffusés provoquant au sein même des différents secrétariats une exacerbation des tensions. La volonté d’imposer une ligne dans Solidaires sur la question de l’islamophobie, d’un anti-racisme détourné, ou de fréquentations avec le PIR, ne date pas d’hier : plusieurs responsables syndicaux, minoritaires et ayant abandonné depuis un petit moment le syndicalisme d’entreprise ou d’administrations, s’amusent à faire de la politique en profitant du temps syndical pour relayer ces positions en interne… et  aller jusqu’à désormais les imposer, en prenant le risque d’une implosion de Solidaires.

Ce qui se déroule n’est pas limité à SUD-Education 93. On pourrait montrer que depuis des années les idées du différentialisme et du communautarisme progressent chez les personnels de l’enseignement et de la recherche, depuis le lynchage dont a fait l’objet le directeur de l’IUT de Saint-Denis, Samuel Mayol, jusqu’à l’invitation de Houria Bouteldja pour un « séminaire d’études décoloniales » à l’université de Limoges qui n’a été annulé qu’au nom de l’ordre public et non du caractère inacceptable des idées de l’invitée2.

Plus généralement, comme l’a souligné Thomas Guénolé dans une tribune parue dans Libération (« La France insoumise n’a pas de temps à perdre avec Valls et Bouteldja »)3, l’espace médiatique offert à des groupuscules ou des pratiques groupusculaires du PIR pose un véritable problème :

« Les grands médias doivent d’ailleurs s’interroger. Quand un groupuscule aux thèses racistes ne pèse rien dans la population réelle, ne sont-ils pas irresponsables de lui donner une si vaste publicité ? Quand Manuel Valls est réduit à une place objectivement marginale dans le paysage politique, n’est-il pas anormal de lui donner une exposition médiatique aussi massive ? ».

Si cette exposition est certes anormale, il il ne faut cependant pas la sous-estimer tout en la combattant. On assiste donc, en spectateurs désabusés, à une ligne de relativisme culturelle et de non-mixité raciale, incarnée par le mouvement indigéniste, et de l’autre, un ancien premier ministre représentant du libéralisme. Faudrait-il se contenter de ce non-choix, avec d’un côté un mouvement social de transformation sociale et de combat forcement accolé aux fréquentations sulfureuses et ayant comme lubie la lutte contre l’universalisme, et de l’autre un partisan de l’universalisme dans les mots et pourtant destructeur des conquis sociaux et ennemi du monde du travail ? Ce détournement de la laïcité ne peut être accepté et représente un véritable danger.

Ce cirque n’a que trop duré, dont les militants de classe antiracistes et laïques se sentent davantage prisonniers de jour en jour. Il est donc temps de réagir.

Que peut faire le mouvement social antiraciste et laïque ?


Nous pensons que cette question est centrale, et ceci à plusieurs niveaux. Un prochain texte sera publié plus spécifiquement sur « nos responsabilités dans les organisations ». Dans un premier temps, il convient aux laïques et antiracistes, de s’organiser dans leurs organisations et syndicats, mais aussi de réfléchir de manière transversale à être plus forts. Il faut multiplier les initiatives d’éducation populaire, il faut multiplier les rencontres, passerelles entre nous, et se préparer à mener un combat d’ampleur pour lier combat laïque et social, sur des bases réellement antiracistes et donc universalistes.

  1. http://contre-attaques.org/magazine/article/l-ecole-381 []
  2. Voir http://www.ufal.org/laicite/propagandes-communautaristes-a-luniversite-un-danger-pour-la-republique/ []
  3. http://www.liberation.fr/debats/2017/11/24/la-france-insoumise-n-a-pas-de-temps-a-perdre-avec-valls-et-bouteldja_1612285 []
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Comment faire gagner le mouvement social anti-Macron ?

par Philippe Champigny

 

Il s’agit ici de gagner contre les politiques libérales et non de « gagner » le leadership de l’opposition. Face à la guerre de classes amplifiée par Macron, le mouvement syndical revendicatif est confronté une nouvelle fois à cette question. La multiplication des journées d’actions ne suffit pas (18 en 2 ans1). Mais, il n’est pas complètement exact de dire que « les organisations ont défendu un pré carré et refusé de mener une vraie campagne nationale unitaire ». Solidaires, qui avait un stand sur le passage de la manifestation de la France insoumise, a proposé à l’ensemble des composantes du mouvement social de se rencontrer le 4 octobre2. Si elle s’est retrouvée être la seule composante syndicale nationale à participer à cette tentative, on peut se poser la question du « pourquoi » ? L’injonction faite de participer avec armes et bagages, mais sans aucun débat à la marche de la France insoumise du 23 septembre, n’a pas aidé. La FI devrait aussi balayer devant sa porte, d’autant que ce sont les salariés qui se déclarent proches de la CGT (51 %) et de Solidaires (53 %) qui ont le plus voté pour Mélenchon. Mettre nos difficultés sur le dos de la Charte d’Amiens est un contre-feu qui évite de s’interroger sur ses propres pratiques. Par ailleurs, il n’y a pas de recette magique. Une manifestation nationale3 ne garantit pas plus un succès qu’une grève générale d’un jour. Là encore c’est dans un cadre de construction de la lutte dans la durée qu’une telle manifestation peut devenir déterminante.

Est-il utile de rappeler que le mouvement syndical gagne sur un enjeu national lorsque la grève se généralise et permet d’occuper les entreprises et la rue de façon durable (36, 68, 95) ? Le problème est, qu’en dehors des incantations gauchistes, la grève ne se reconduit pas pour l’instant, même si certaines équipes syndicales y travaillent.

Un contexte post-électoral difficile

Il est toujours difficile de mobiliser juste après une séquence électorale (présidentielle ; législatives) aussi prégnante dans la vie politique en France. Il y a une certaine légitimité dans les têtes. Il n’est donc pas inutile de rappeler le score de Macron au premier tour. Score qui a bénéficié d’une crainte d’un duel Fillon-Le Pen au second tour. Il n’est pas inutile de rappeler le nombre de votes blancs et d’abstentionnistes du second tour. Il serait utile de rappeler qu’être élu ne donne pas les pleins pouvoirs et que cela donne l’obligation de travailler pour le bien commun. Il y a à travailler sur la représentation de l’élu-e : pas un-e chef-fe, mais un représentant et un délégué. Cela peut aussi se faire en lien avec les pratiques explicitées de fonctionnements horizontaux des structures syndicales, associatives, politiques et un projet pour une République sociale. Évidemment en lien avec la démonstration rationnelle de la nocivité de ces contre-réformes. Encore faut-il une campagne d’opinion qui donne les armes du combat social.

Une éducation populaire insuffisante

Les organisations syndicales ont-elles fait le maximum dans ce domaine ? Localement et parfois unitairement, oui. Sur l’ensemble du territoire, sans doute très insuffisamment. Parler d’éducation populaire, c’est non seulement faire de la formation syndicale des adhérent-e-s et des salarié-e-s dans les entreprises, mais c’est aussi organiser des réunions dans les quartiers populaires (dans les facs etc.) pour essayer de toucher les parties du salariat qui sont en dehors du syndicalisme (TPE, précaires etc.). La classe bourgeoise dispose des principaux relais médiatiques. Les « réseaux sociaux » ne suffisent pas à toucher les plus exploité-e-s. Rien ne remplace l’échange direct, les exemples concrets pour faire prendre conscience de la gravité et de la violence des contre-réformes Macron. Deux exemples de croyances4 à déconstruire : ces « réformes seraient un mal nécessaire » et « les référendums d’entreprises seraient une bonne idée ». Toutes les politiques qui ont été demandées par le Medef n’ont pas fait reculer le chômage :

– Quel recul du chômage grâce aux ENCA (emplois nouveaux à contraintes allégées) de 1986 demandés par Yvon Gattaz (père de l’actuel Gattaz du Medef) ?

– Qui se souvient des accords de branches de Fillon en 2004 ? Du « Nouveau pacte pour l’emploi » de Borloo en 2005 ?

– Doit-on rappeler le bouclier fiscal de Sarkozy ainsi que sa baisse de l’impôt sur la grande fortune, sans compter les allègements des cotisations sociales en 2007 ?

– Sans oublier le CDD « à objet défini » – ancêtre du contrat de chantier de Macron – de Sarkozy en 2008 ?

– Des mesures Rebsamen en 2015, avec réduction des instances représentatives, allègement de la loi sur la pénibilité, doublement de la durée des CDD, etc.

– Enfin la loi El Khomri avec la négociation au niveau de l’entreprise pour le temps de travail etc.

– Faut-il parler du CICE, du Pacte de responsabilité et du million d’emplois promis par le fils Gattaz ?

En Allemagne, les accords Hartz qui sont dans la même veine, ont surtout augmenté la précarité et le nombre de travailleurs pauvres.

« En Argentine et au Brésil, la réforme du Code du travail est la copie conforme de celle qu’on nous présente en France. Avec un objectif, la baisse du coût du travail pour des salariés payés, en moyenne, quatre fois moins que chez nous. » Phillipe Martinez, secrétaire général de la CGT, L’Humanité du 9 novembre 2017.

Donc le prétexte de la compétitivité en France est un leurre, puisque des salarié-e-s payé-e-s 4 fois moins cher sont quand même attaqué-e-s dans leurs droits. En clair, le capitalisme actionnarial ne s’arrêtera jamais de lui-même dans sa recherche de la baisse du coût du travail et de l’augmentation des dividendes versés aux actionnaires.

Les référendums d’entreprise sont initiés par les patrons, la question posée aussi. Elle ressemble souvent à un chantage à l’emploi. Le choix est entre accepter des reculs sociaux ou la fermeture de l’entreprise. C’est ce qu’on appelle « voter avec le pistolet sur la tempe »…

L’unité ne se décrète pas, elle se construit… ou pas

Souvent le reproche est fait aux syndicalistes qu’il y aurait trop de syndicats5. Il y aurait des progrès à faire sans doute. Mais en prenant en compte le réel. Aujourd’hui, il y a des désaccords majeurs entre l’axe CGT/Solidaires/FSU et l’axe CFDT. Les uns combattent le libéralisme tout en développant des axes de transformation sociale (CGT/Solidaires/FSU), les autres s’en accommodent très bien (CFDT). La situation de FO étant flottante (contre le libéralisme, mais pour le statu quo).

L’unité incantatoire se fait au prix de contenus revendicatifs pauvres et de mobilisations sans cesse freinées. Il suffit de se rappeler la position de la CFDT après la mobilisation unitaire et encourageante de la fonction publique du 10 octobre 2017 : on ne parle pas des ordonnances Macron, on se revoit le 24 octobre, pour finalement s’opposer à toute mobilisation. En effet la CFDT trouve des points positifs aux ordonnances Macron. Cette direction confédérale trouve toujours un os à ronger dans les projets gouvernementaux (des places symboliques dans les conseils d’administration)… Sans doute est-ce surtout une place de premier de la classe qu’elle cherche. Pas certain que le capitalisme financier ait besoin de la CFDT, tant il se sent tout puissant.

L’axe CGT/FSU/Solidaires a la responsabilité d’impulser les initiatives de façon unitaire envers les salarié-e-s. Cela peut faire bouger les choses au sein de FO, et même dans certains secteurs CFDT, UNSA, CFTC, CGC… Pour autant, il y a encore un bout de chemin à faire pour que le patriotisme d’appareil soit relégué au placard. Là encore, parlons de ce qui fonctionne : les stages intersyndicaux CGT/FSU/Solidaires femmes6 organisés depuis 20 ans devraient inspirer d’autres initiatives co-organisées. La convergence de services publics qui localement permet une articulation salarié-e-s/usagers/élus est aussi une dynamique qui mériterait d’être mieux intégrée dans les syndicats et les unions interprofessionnelles. Dans les exemples unitaires ancrés dans le réel et la durée, on peut rappeler l’inter-organisation des retraité-e-s, appelée groupe des 9. Groupe des 9 qui rassemble syndicats (sauf la CFDT) et associations de retraité-e-s. Il faut encore signaler l’intersyndicale anti-FN…

Les initiatives unitaires locales doivent également être valorisées, relayées et multipliées au sein des unions départementales. L’unité se fera au « sommet » quand elle sera massive à la base, car c’est bien l’unité des travailleurs dont il est question et non d’unité d’appareils. Mais pour cela il faut construire une pensée professionnelle et interprofessionnelle et des mobilisations partagées dans la durée. Cela va bien au-delà d’un tract et cela prend du temps.

Retrouver le chemin des Jours heureux

Au-delà de l’abrogation des textes El Khomri et Macron, cette unité a donc besoin de se construire sur des axes programmatiques unifiants (liste non limitative) :

• Des axes transversaux universels : laïcité, féminisme, antiracisme radical, écologie sociale…
• La redistribution des richesses (par les salaires et l’impôt), la réduction du temps de travail avec les embauches correspondantes ;
Une protection sociale à 100 %7. (100 % pour le remboursement des frais de santé ; 100 % financée par les cotisations sociales, 100 % autogérée par les salarié-e-s via leurs élus syndicaux) ;
• Poser la question de la propriété du travail et des moyens de production, donc de la place des salariés dans la gestion des entreprises. Finalité de la production et du travail ? Propriété d’usage ? Socialisation ? SCOP ? Il semble que des milliers de patrons de PME vont partir à la retraite. Le mouvement syndical revendicatif ne devrait-il pas imposer aux pouvoirs publics d’aider financièrement les projets de reprise construits par les salarié-e-s de ces PME ? L’idée à remettre à l’ordre du jour est que ce sont les salarié-e-s qui produisent la richesse et que donc cette richesse produite doit leur appartenir. Et que les choix de production doivent aussi être débattus avec les salarié-e-s8 ;
Plus globalement, la question de la politique industrielle en France (en lien avec les questions écologiques et sociales) mériterait d’être envisagée ;
Quelle réponse à la précarité et au chômage? Une nouvelle branche de la Sécurité sociale qui sur la base d’un financement via des cotisations sociales, garantisse le revenu si l’activité de l’entreprise diminue ? Ou la formation si le/la salarié-e- recherche ou a besoin une nouvelle qualification ?9

Voilà des pistes de colloques et de stages intersyndicaux, qui, à l’instar de ceux du féminisme intersyndical, de l’intersyndicale anti-FN ou du mouvement unitaire des retraité-e-s, pourraient être des axes de (re)construction d’un syndicalisme qui ne se contentera pas de s’opposer aux multiples attaques du capitalisme libéral, mais serait à l’offensive et porteur d’espoirs et d’alternatives pour le salariat.

 

1 Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, dans L’Humanité du jeudi 9 novembre 2017 : « On ne lâchera rien sur les ordonnances, votées ou non ».

2 Lettre du 27 septembre 2017, Cécile Gondard-Lalanne et Éric Beynel, co-délégués généraux Solidaires national.

3 Là encore annoncer une manifestation d’un million de personnes sur les Champs-Élysées, alors qu’aucune rencontre n’a eu lieu, relève plus du coup médiatique que de la construction d’une campagne unitaire.

4 Sondage Harris interactive « Les Français et la réforme du Code du travail », 9 octobre 2017.

5 Même si c’est croquignolet, quand cela vient d’organisations politiques qui brillent,  comme chacun sait, par leur grand sens de l’unité et de la recomposition… sous leur bannière !

6 Lire l’excellent livre Toutes à y gagner. Vingt ans de féminisme intersyndical CGT/FSU/SOLIDAIRES, Éditions Syllepse.

7 Lire l’incontournable livre d’Olivier Nobile et Bernard Teper Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIème siècle.

8 Lire l’excellent livre de Bernard Teper Penser la république sociale pour le XXIème siècle.

9 En plus de l’ouvrage de Bernard Teper, on peut aussi lire « En finir avec les luttes défensives » de Bernard Friot dans Le Monde Diplomatique de novembre 2017.

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Religion, violence et radicalisation

par Jean-Noël Laurenti

 

Mezetulle1 a publié une série d’articles sur le sujet brûlant « Religion et violence »  : les religions portent-elles en elles la violence, et si oui certaines plus que d’autres ? ou bien au contraire la violence religieuse est-elle un dévoiement de la religion authentique ? Ce débat en rejoint un autre qui a gardé toute son actualité depuis deux ans : le terrorisme djihadiste découle-t-il d’une radicalisation de l’islamisme, ou bien est-il simplement l’expression d’une révolte radicale dont l’islamisme ne serait que l’habillage, somme toute secondaire, et par conséquent innocent ? Dans ces débats, les positions peuvent être multiples et nuancées. Tentons une synthèse, en ne perdant pas de vue ceci : l’état des sociétés et des rapports de classes jouent un rôle déterminant dans l’apparition et le développement des idées, religieuses ou autres, et celles-ci à l’inverse jouent un rôle dans l’évolution de ces rapports. Demandons-nous donc à chaque moment quels sont les intérêts de classe qui sont en jeu.

Premier point : les religions, qu’on le veuille ou non, consacrent et confortent l’ordre social établi car, selon le mot de Montesquieu, « il n’y en a aucune qui ne prescrive l’obéissance et ne prêche la soumission ». Même si des variantes peuvent exister qui entendent, au nom de la religion, critiquer l’état de choses existant (la théologie de la libération, par exemple), le principe général est « rendre à César ce qui est à César » et donc lui payer docilement l’impôt, l’ordre du monde ne pouvant être que conforme au dessein de la divinité. Cela à tout le moins, quand la religion n’intervient pas directement comme institution d’État et comme moyen de gouvernement dans les régimes théocratiques. L’affirmation même d’une transcendance, dont se réclame le fidèle, est une excellente propédeutique à l’obéissance et à la soumission : l’individu n’est pas censé agir selon un choix autonome en vue de son propre bonheur, mais pour obéir à une injonction supérieure, les mythes (qu’on songe au Jardin d’Éden ou à Prométhée) se chargeant d’illustrer le châtiment de l’homme révolté contre son créateur. Cela n’empêche pas le discours religieux, à l’occasion, de prendre la défense des pauvres, voire de dénoncer les abus des riches. Mais les pauvres ne sont intéressants que dans la mesure où ils restent pauvres, et ce discours ne s’accompagne pas, sauf exception, d’une analyse de classe et d’une doctrine politique qui proposerait de faire en sorte qu’il n’y ait plus ni riches ni pauvres.
Cette contrainte inhérente au principe religieux devient facilement violence ouverte. De ce point de vue, les monothéismes, selon la thèse défendue par Jean-Pierre Castel2 pourraient bien être plus violents que les autres, chacun s’estimant obligé d’assurer le triomphe de son Dieu sur les autres. L’enrôlement des populations sous une bannière religieuse est alors un excellent moyen de justifier les guerres, derrière lesquelles se nichent des motifs beaucoup plus matériels. Mais cela ne signifie pas que les autres religions ne portent pas en elles la violence. La solidarité entre religion et ordre politique existait dans l’antiquité, comme le montre le procès de Socrate, accusé non pas de ne pas croire à la divinité, mais de ne pas reconnaître précisément les dieux de la cité, et les persécutions contre les chrétiens, motivées par le fait qu’ils ne reconnaissaient pas les dieux de l’Olympe.
Mais en même temps qu’elles punissent, les religions proposent pour la plupart une consolation, la promesse d’une récompense dans l’au-delà. L’affirmation de la transcendance, menaçante pour l’individu qui ne se conformerait pas ici bas à l’ordre voulu par elle, devient alors promesse d’un bonheur à venir qui permet de supporter les misères actuelles, c’est-à-dire l’exploitation, l’aliénation, les inégalités et les violences ouvertes ou rampantes inhérentes à la société de classes. Sur ce point, les religions sont bien, selon le mot de Jaurès, « la vieille chanson qui berçait la misère humaine », et jouent pleinement leur rôle d’idéologie : un système de pensée destiné à légitimer l’ordre établi et à le rendre plus supportable à ceux qui en font les frais.
Ajoutons deux remarques.
D’abord, il est vain de vouloir distinguer une religion des riches et une religion des pauvres, et c’est s’aveugler que de vouloir en conclure que l’une est bonne et l’autre mauvaise. De deux religions, que l’une recrute ses fidèles plutôt chez les riches et l’autre plutôt chez les pauvres n’empêche pas que toutes deux, on l’a vu, ne concourent à l’aliénation des uns et des autres (car dans la société de classes, les exploiteurs sont aliénés comme les exploités, sommés qu’ils sont de jouer sans relâche leur rôle d’exploiteurs sous peine de disparaître : il faut donc qu’eux aussi soient conditionnés à l’obéissance). Le christianisme à ses débuts était la religion des pauvres, et il a joué par la suite le rôle que l’on sait.
Ensuite, ce que nous disons des religions peut s’appliquer plus largement à certaines doctrines philosophiques ou écoles de pensée. Le stoïcisme, en affirmant que tout ce qui arrive est le résultat d’une raison divine, participait à sa manière à la consécration de l’ordre établi, au point que sous l’Empire romain il avait fini par devenir une sorte de philosophie officielle. L’épicurisme lui-même, malgré sa réputation d’impiété et le fait qu’il refusait les valeurs transcendantes au profit de la recherche du plaisir, proclamait que pour être heureux il fallait de se contenter de peu et qu’il convenait se désintéresser de la politique : à ce titre, il aboutissait à l’acceptation à l’ordre établi. De nos jours, certaines doctrines à la mode, qui prêchent des modes de vie sains, épurés, en matière de diététique par exemple, ne sont pas loin d’une idéologie de la privation qui rejoint l’ascèse religieuse.

Ces quelques principes d’analyse de classe, principes dénués d’originalité, mais qu’il est toujours bon de rappeler, nous permettent d’appréhender le phénomène djihadiste ou le développement du salafisme en Europe, de façon dialectique et en évitant les simplifications erronées. Dire, par exemple, que la jeunesse embrigadée dans le salafisme l’est par révolte contre l’état des choses, qu’à ce titre l’aspect religieux de cette révolte est secondaire, voire excusable, est le plus sûr moyen de se cacher le danger, puisque les religions, on l’a vu, n’ont aucune visée révolutionnaire et même, quand elles sont militantes, militent au contraire pour la réaction : de fait, nul n’a connaissance que l’islam politique ait la moindre sympathie pour la république et encore moins pour la république sociale. C’est à peu près comme si l’on disait que le Front National devient plus démocratique parce qu’il fait depuis plusieurs années un score considérable dans les milieux populaires. Dans un autre sens, traiter le développement de l’islam politique sur un plan seulement idéologique, ne voir dans le djihadisme qu’une mode sectaire lancée par une conjuration de groupes étrangers, se lancer dans des débats théoriques pour savoir si la violence islamique prouve le caractère intrinsèquement violent de l’islam, voire l’opposer sur ce point aux autres religions (faux problème puisque, on l’a vu, toutes les religions sont violentes en puissance ou en acte, à des degrés divers), c’est faire fi du terreau social sur lequel s’est construit son succès.
De ce point de vue, le débat entre Gilles Kepel3 et Olivier Roy4 pourrait bien se réduire à un faux débat et les deux chercheurs être simultanément dans le vrai : dans son livre Terreur sur l’Hexagone, Gilles Kepel, tout en analysant les diverses étapes du développement international du salafisme et du djihadisme, et donc en se situant au niveau politique, ne manque jamais, quand il retrace le parcours de djihadistes notoires, de relever les données sociales qui les ont menés là : père absent (où l’on retrouve les problèmes de la condition féminine), parcours scolaire catastrophique (où l’on retrouve les problèmes de l’école libérale, qui non seulement ne combat pas l’échec scolaire, mais le multiplie), chômage, délinquance et trafics divers5, prison… Son analyse n’est aucunement incompatible avec celle d’Olivier Roy qui met au premier plan ces facteurs sociaux. Dans un précédent article6, nous avions montré comment le libéralisme, en désespérant la jeunesse, fournissait un terreau tout trouvé pour l’islamisme. Radicalisation de l’islamisme et radicalisation des individus se rencontrent et se confortent.
Le paradoxe, dira-t-on, est qu’à ces individus révoltés l’islamisme n’offre aucune perspective d’émancipation, au contraire. Sans revenir sur son caractère totalitaire, on n’oubliera pas que son développement a pour origine la conjonction entre la stratégie antisoviétique des États-Unis en Afghanistan et les orientations réactionnaires de la monarchie saoudienne, le tout entrelacé avec les intérêts pétroliers : rien de libérateur là-dedans. Mais c’est toute l’habileté de l’idéologie que de s’appuyer, pour défendre l’ordre établi, sur l’adhésion enthousiaste de ceux qui sont le plus opprimés. C’est par le même processus que les propagandes bellicistes (pensons à 1914) ont pu envoyer à la guerre, la fleur au fusil, ceux qui avaient le plus intérêt à ce que la guerre n’ait pas lieu.
Ce paradoxe, aussi vieux que la société de classes, paraît une nouveauté quand on compare le djihadisme avec les terrorismes des années 1970-1980, celui de la bande à Baader ou des Brigades Rouges. Ceux-ci, comme le remarque Alain Bertho7 prétendaient travailler à la libération de la l’humanité ; ils s’inséraient dans une époque où il était admis que le monde actuel pouvait être changé pour un monde meilleur. Or depuis la chute du bloc soviétique, le discours dominant a proclamé la fin des idéologies, voire la « fin de l’histoire ». Les épigones actuels de Baader et des Brigades Rouges n’ont plus alors pour perspective que leur propre mort. Par un retour en arrière qui n’est qu’un aspect de la réaction généralisée mise en œuvre par le néolibéralisme, le paradoxe d’antan reprend du service : l’embrigadement idéologique des opprimés au service du système qui les opprime.

Fin de l’histoire, autrement dit fin de la lutte des classes ? Un coup d’œil sur les conflits sociaux, sur les révoltes, sur les émeutes urbaines, sur les fermentations qui font proliférer le djihadisme même, montre qu’il n’en est rien. Fin des idéologies ? ceux qui la proclament arguent de l’échec du bolchevisme et du stalinisme, pour en inférer la fin du marxisme (comme si celui-ci s’identifiait à ceux-là) et plus général de toute doctrine d’émancipation républicaine et sociale fondée sur une analyse de classe. Celle-ci, au contraire, n’a rien perdu de sa pertinence. Après les coups de boutoir des gouvernements d’obédience libérale qui ont patiemment œuvré à la démolition des organisations ouvrières, il reste à en reconstruire de nouvelles, à travailler, comme l’ont fait les militants il y a un siècle et demi et sans doute selon des procédures différentes, pour que la révolte diffuse se clarifie par les instruments de l’analyse politique, elle-même en rupture avec l’idéologie dominante, et pour qu’elle se constitue en mouvement d’émancipation.

  1. http://www.mezetulle.fr/ []
  2. http://www.mezetulle.fr/violence-monotheiste-jean-pierre-castel/#_ftn2 []
  3. http://www.liberation.fr/debats/2016/04/14/gilles-kepel-il-faut-ecouter-les-preches-du-vendredi_1446225 []
  4. http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/24/le-djihadisme-une-revolte-generationnelle-et-nihiliste_4815992_3232.html []
  5. où l’on retrouve l’économie parallèle et le marché de l’illégalité, conséquence du dogme libéral du « trop d’État » : http://www.fayard.fr/le-marche-fait-sa-loi-9782842055851 []
  6. http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/le-liberalisme-porte-en-lui-le-terrorisme-comme-la-nuee-dormante-porte-lorage/7398305 []
  7. https://www.bastamag.net/Il-faut-etre-clair-un-monde-a-pris-fin-il-n-y-aura-pas-de-retour-en-arriere#nb156-1 []
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« Ni DUI ni 155 » : Tentative de lexique pour la crise catalane espagnole

Vers le scrutin du 21 décembre – chronique n°2

par Alberto Arricruz

 

Suite de l’article du 15 novembre (chronique n°1, à retrouver ici).

Ces dernières semaines, la Catalogne espagnole mais aussi Madrid ont connu des manifestations géantes, « contre la DUI », « contre le 155 », et bien entendu « ni DUI ni 155 » …

Comment dépasser le moment de sidération que peuvent provoquer ces mots d’ordre magnifiquement abscons scandés par des centaines de milliers de personnes, apportant une couleur surréaliste à la crise ? Les nouvelles élections au Parlement catalan en vue (le 21 décembre), un petit lexique s’impose.

DUI

Le 6 septembre dernier, la (très courte) majorité de députés indépendantistes (alliance improbable de l’extrême gauche trotskyste libertaire de la CUP et des vieux partis catalans bourgeois)forçait l’organisation d’un référendum unilatéral d’indépendance, au cours d’une séance du Parlement catalan où ces partis démontraient avec éclat leur mépris de la démocratie parlementaire.

La loi convoquant le référendum le 1eroctobre prévoyait que, deux jours après la proclamation des résultats donnant la majorité au « oui », l’indépendance sous forme de République devrait automatiquement être proclamée. Avec 43% de participation et 90% de « oui » parmi ces votants, les dirigeants de la Generalitat se sont crus légitimes à proclamer l’indépendance…

Mais la Déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) a-t-elle été prononcée ?Le 10 octobre dernier,Carles Puigdemont, président du gouvernement autonome,la proclamait devant les députés du Parlement catalan, déclenchant l’explosion d’enthousiasme des milliers de manifestants rassemblés à l’extérieur. Enthousiasme qui dura… six secondes. Car après la phrase « j’assume (…) devant le Parlement et nos concitoyens, le mandat du peuple que la Catalogne devienne un État indépendant sous la forme d’une République », Puigdemont poursuivait : « nous proposons que le Parlement suspende les effets de la déclaration d’indépendance pour (…) un dialogue sans lequel il n’est pas possible de parvenir à un accord pour une solution. »

Puigdemont avait fait le pari que cette déclaration/suspension créerait une situation propice à la négociation entre indépendantistes et gouvernement espagnol, pour obtenir une autonomie élargie – et donc… pas l’indépendance.

Après les scènes choquantes de répression policière contre les votants au référendum, plusieurs poids lourds de la scène européenne ont été approchés par Puigdemont pour mettre en place une médiation : Jonathan Powell, ancien chef de cabinet de Tony Blair et spécialiste de la médiation des conflits, Heinz Fischer, ancien président autrichien, Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne et du gouvernement italien…et même Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne,

Rajoy s’y opposa, dictant la position du roi d’Espagne Felipe VI, et obtenant le soutien des institutions européennes. Après plusieurs jours de flottement, et alors qu’il aurait pu convoquer des élections qui auraient empêché l’intervention du pouvoir espagnol, Puigdemont faisait voter la création de la République indépendante de Catalogne par son Parlement le vendredi 27 octobre, et partait se réfugier à Bruxelles.

155

L’article 155 de la constitution espagnole prévoit la suspension des pouvoirs des institutions autonomiques au cas où ces institutions violeraient gravement la légalité.

Pour l’appliquer à la Catalogne, il fallait que le gouvernement catalan fasse la fameuse DUI. Problème : après la non-déclaration d’indépendance catalane le 10 octobre, Rajoy a dû réclamer à Puigdemont qu’il précise s’il avait ou non déclaré l’indépendance, lui promettant l’application de l’article 155 dans ce cas. Puigdemont répondait que, si le gouvernement appliquait l’article 155, il proclamerait l’indépendance…

Finalement, Rajoy convoquait le chef du parti socialiste PSOE et le chef du parti de droite Ciudadanos (concurrent du PP et né en Catalogne) pour accorder avec eux les conditions d’application de l’article 155.Sanchez, secrétaire général du PSOE, acceptait une application « modérée » de l’article 155 en échange de l’ouverture d’une discussion sur une réforme constitutionnelle, dans une commission parlementaire présidée par un socialiste.

Après quoi, Sanchez découvrait à la télé l’annonce par Rajoy d’une prise de contrôle totale de toutes les institutions catalanes par le gouvernement et l’incarcération des membres du gouvernement catalan à la demande du procureur aux ordres du PP. Rajoy a bien précisé que tout cela se faisait avec l’accord des socialistes. Quant à la commission parlementaire de réforme « arrachée » par Sanchez, le PP et Ciudadanos l’ont sabotée dès sa première séance.

Les ministres PP du gouvernement central assument toutes les fonctions du gouvernement catalan, alors que le PP est en Catalogne le parti le moins voté.Beau résultat pour le secrétaire général socialiste, élu par sa base en juin sur la promesse de virer Rajoy par une motion de censure, défendre le caractère plurinational de l’Espagne et s’allier prioritairement avec Podemos…

Generalitat

Au 13ème siècle, le roi d’Aragon réunissait annuellement une assemblée formée du clergé, de la noblesse militaire et la noblesse royale, les « Cortes catalanas ». Cette assemblée disposait d’une commission permanente, la « Diputacion del General », qui recouvrait les impôts appelés « généralités ». À partir du 14ème siècle cette instance, qui au fil du temps passa à s’appeler simplement « Generalitat », assuma des pouvoirs politiques et se dota d’un président et d’un exécutif.

Les Bourbons, vainqueurs de la guerre de succession d’Espagne, mirent fin à la Generalitat en 1716. Lors de l’avènement de la deuxième République espagnole en 1931, la Catalogne retrouvasa Generalitat. Suspendue entre 1934 et 1936 après (déjà) une première déclaration d’indépendance de la Catalogne, la Generalitat est à nouveau supprimée par Franco à l’entrée des troupes fascistes à Barcelone en février 1939.

Mais cette institution, devenue le réceptacle de la souveraineté catalane, se maintint en exil. D’abord présidée par Josep Irla après que le président Companys ait été livré à Franco par Pétain puis exécuté, la Generalitat passa à être présidée par Josep Tarradellas en 1954. C’est ce président qui fut rappelé en Espagne en 1977 pour y réinstaller la Generalitat le 17 octobre 1977, à l’initiative de l’audacieux président du gouvernement post-franquiste Adolfo Suarez.

Avant même l’adoption de la nouvelle constitution espagnole en décembre 1978, la restauration de la Generalitat, morceau historique de la deuxième République, trouva place dans la monarchie héritière de Franco, marquant de fait la fin du régime fasciste. La monarchie donnait à la Catalogne une place éminente et première dans la nouvelle Espagne, et y assurait le pouvoir à sa bourgeoisie traditionnelle afin de contrer le PSUC, branche catalane du parti communiste qui bénéficiait alors en Catalogne d’un enracinement semblable à celui du PCI en Italie.

Une des conséquences de l’aventure indépendantiste aura été de permettre à la droite revancharde post-franquiste, qui n’a jamais digéré l’initiative de Suarez en 1977, d’annuler l’autonomie de la Catalogne et de suspendre à nouveau la Generalitat –cette fois sans la dissoudre, mais en la gardant comme coquille vide puisque chaque institution de la Generalitat est dirigée par un ministre du PP depuis Madrid.

Il reste à voir pour combien de temps la Generalitat va être endormie : 38 ans, deux siècles… six mois ?

Piolin

Piolin en espagnol, c’est Titi en français : celui de Titi et Gros Minet.

Quand le gouvernement espagnol décida d’envoyer en Catalogne plusieurs milliers de policiers et gardes civils (équivalents des gendarmes) pour empêcher la tenue du référendum indépendantiste du 1er octobre dernier, 800 de ces policiers furent installés dans un paquebot amarré dans le port de Barcelone.

Ce que n’avait pas prévu le ministère de l’Intérieur en le louant, c’est que ce paquebot était décoré d’illustrations géantes de personnages des Looney Tunes : Titi et Gros Minet, Taz, Vil coyote, Daffy Duck ! Des personnages hauts de plusieurs étages impossibles à masquer, provoquant naturellement la risée générale.

De l’installation des forces de police dans un bateau de dessins animés à la fuite en… Belgique du président de la Generalitat en passant par la pantalonnade de la DUI suspendue et les multiples déclarations et discours de tous bords, la crise catalane fourmille d’épisodes et de personnages qui semblent tout droit sortis d’un film de Luis Garcia Berlanga. Ce cinéaste culte de la période franquiste, virtuose de la satire sociale et politique, a réalisé quelques chefs d’œuvre à l’humour grinçant qui ont inspiré tout le cinéma espagnol : avec un tel scénario, s’il était encore en vie il aurait réalisé le plus grand film de sa carrière.

Suivant le mot de Karl Marx disant que l’Histoire se répète une première fois en tragédie et une seconde fois en farce, la crise catalane de 2017 a tout d’une farce digne de Berlanga.

El Procés

En juin 2010, le tribunal constitutionnel, sur un recours du PP, censurait plusieurs articles clef du nouveau statut d’autonomie élargie de la Catalogne, approuvé par référendum en 2007 (avec moins de 50% de participation) sous l’égide du gouvernement catalan « tripartite » (PS catalan, ERC – gauche républicaine de Catalogne, parti historique – et la branche catalane de la coalition Gauche unie montée par le parti communiste).

Le tripartite, qui avait délogé le catalaniste de droite Jordi Pujol en 2003 après 23 de pouvoir sans partage (et de corruption dans une totale impunité garantie par le pouvoir central socialiste puis du PP), appela à une manifestation de protestation, confiant son organisation à une vieille association catalaniste : Omnium cultural. La manifestation fut un énorme succès à Barcelone, mais tourna rapidement à des slogans réclamant l’indépendance.

Quelques mois plus tard, le vieux parti CiU de Pujol, présidé par son héritier politique Artur Mas, gagnait les élections catalanes et obtenait l’appui de ERC pour revenir au pouvoir. Mas avait porté la revendication d’une « transition nationale » vers le « droit de décider », sans pour autant appeler à l’indépendance, mais capitalisant la frustration née au sein de la population de sensibilité catalaniste après la censure constitutionnelle.

Quand, en mars 2011, le mouvement des indignés éclata en Espagne, disqualifiant les vieux partis et les vieilles élites, le pouvoir de la CiU fut d’autant plus touché qu’il appliquait les politiques d’austérité et d’inégalités sociales les plus brutales du pays.

L’arrivée au pouvoir à Madrid du parti de droite PP de Mariano Rajoy fin 2011 marqua la fin du dialogue entre le gouvernement central et le gouvernement catalan. Menacés de perdre leur pouvoir face à l’ampleur inattendue de la contestation sociale, la CiU et ses alliés montaient dans le train des revendications souverainistes, trouvant systématiquement un refus sans nuance de la part de Rajoy à Madrid, et provoquant des mobilisations dans la continuité de la manifestation de 2010 en Catalogne.

Omnium cultural et une autre association baptisée Assemblée nationale catalane, se voulant apolitiques mais de plus en plus arrosées financièrement par la Generalitat de Mas et ERC, chauffaient la revendication indépendantiste en réponse aux refus répétés de Rajoy d’entendre quoi que ce soit aux demandes catalanes.

C’est devenu alors comme un feuilleton : pour tenir tout le monde en haleine, il faut que l’épisode suivant aille toujours un peu plus loin que le précédent. C’est le « Procés », le processus qui de proche en proche a conduit le vieux parti CiU et son allié ERC sur le chemin de l’indépendantisme, pourtant nié en 2010 et encore en 2011, afin de surfer sur le sentiment populaire tout en l’attisant.

À l’arrivée, on a vu l’alliance inouïe de la vieille CiU et d’ERC avec l’extrême-gauche trotskyste de la CUP, leurs dirigeants risquant la prison pour avancer à marche forcée vers une République qui, une fois proclamée comme si elle était inéluctablement au bout du « Procés », s’est avérée pour ce qu’elle ne pouvait qu’être : un mirage creux.

Senyera

Mais le sentiment populaire poussé jusqu’à la revendication d’indépendance partagée maintenant par des millions de Catalans a aussi réveillé la revendication « espagnoliste » au sein de la société catalane elle-même, propulsant sur le devant de la scène un parti – à l’origine issu de la mouvance socialiste puis dérivant franchement jusqu’à la droite du PP – aujourd’hui en mesure de disputer la victoire aux élections catalanes : Ciutadans, devenu Ciudadanos en Espagne.

C’est qu’en attisant le ressentiment catalan antiespagnol, CiU et ERC ont approfondi les césures au sein même de la société catalane : entre bourgeoisie et classes moyennes « catalanistes » d’une part et ouvriers et couches populaires originaires de toutes les régions d’Espagne d’autre part, entre zones rurales et de montagne et « aire métropolitaine » de Barcelone où vit la classe ouvrière, entre une moitié de la société catalane qui se proclame passionnément non espagnole et l’autre moitié qui se voulait jusqu’alors catalane ET espagnole mais qui, sommée de choisir, choisi l’Espagne…

Entre ceux qui accrochent à leur balcon la « Senyera » (drapeau catalan) et ceux qui, depuis début octobre, ont commencé à accrocher dans les quartiers populaires de Barcelone des drapeaux espagnols, phénomène totalement inattendu et inédit qui marque la réaction épidermique de la classe ouvrière contre la dérive indépendantiste.

Et voilà le problème majeur de Podemos et des forces du changement en Espagne : Podemos a, dès sa naissance, proclamé son patriotisme espagnol, lui donnant un contenu hautement progressiste, disputant le drapeau et appelant à l’unité des peuples d’Espagne. C’est avec cette position et son identification comme anti-indépendantiste que Podemos a gagné en Catalogne les élections législatives du 20 décembre 2015 puis celles du 26 juin 2016. C’est en proclamant la primauté des revendications de justice sociale que Ada Colau, à la tête d’une liste de Podemos et alliés, a gagné la mairie de Barcelone au printemps 2015.

Mais la droite du PP et de Ciudadanos ont capitalisé, dans la crise catalane, le sentiment national espagnol et surfent sur cette vague, emportant le PSOE qui se voit privé d’espace et sommé d’adhérer au « camp constitutionnaliste », c’est-à-dire le bloc monarchique qui pense avoir trouvé – grâce aux abrutis de l’indépendantisme – la martingale pour étouffer la crise profonde du régime instauré en 1978.

Tout le travail de Podemos pour incarner un patriotisme espagnol progressiste et ne pas laisser le drapeau aux mains de la droite – au risque de se faire accuser de trahison par la majorité du petit monde militant de gauche – semble être effacé dans cette crise, où les non-nationalistes appelant à la raison paraissent pris entre le marteau et l’enclume des deux pôles opposés.

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La COP23 ou comment le pire risque fort d'être devant soi

par Michel Marchand

 

Ouverture et bilan de la COP23

L’ouverture de la COP23, sous la présidence de la République des Fidji, mais accueillie en Allemagne à Bonn, s’est déroulée dans la plus grande indifférence, du moins c’est ainsi que les habitants de la ville rhénane l’ont ressentie ignorant pour beaucoup d’entre eux la tenue même de cette conférence mondiale, exercice obligé qui aboutit chaque année à des décisions non suivies d’effets réels et à des recommandations qui seront reprises l’année suivante comme si de rien n’était. Chaque conférence est marquée  par les déclarations lénifiantes de dirigeants politiques dont les propos résonnent aussi creux que ceux proférés par les mêmes pour faire disparaître les paradis fiscaux.  Cette année Emmanuel Macron en fut la vedette incontestée avec son slogan « Make our Planet Great Again » et des envolées lyriques comme « le seuil de l’irréversible a été franchi », le dérèglement climatique « ajoute de l’injustice à l’injustice, de la pauvreté à la pauvreté ». La COP23 est perçue à ce stade comme un théâtre de marionnettes ou comme le résumait un observateur attentif « la planète brûle et les diplomates tournent en rond »

Rappelons pour autant quelques dates clés pour mettre tout ceci en perspective. Les deux grandes conventions internationales sur le climat et la biodiversité remontent au Sommet de Rio en 1992, c’était il y a 25 ans, le temps déjà d’une génération ! Au fil du temps, les conférences internationales sur le réchauffement climatique se sont tenues annuellement, la première (COP1) débuta à Berlin en 1995 puis trois autres marqueront les esprits : la COP3 à Kyoto en 1997 où fut adopté le Protocole contraignant du même nom qui visait à diminuer très modestement les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5,2 %  d’ici 2020, la COP15 à Copenhague en 2009 déclarée comme « sommet de la dernière chance » mais qui fut marquée par un échec retentissant aboutissant à une déclaration a minima refusant tout engagement contraignant, enfin la COP21 à Paris en 2015 qui se voulait une relance forte par l’adoption d’un accord international contraignant (il ne l’est pas) pour maintenir le réchauffement climatique en-deçà de la barre des 2°C, voire de 1,5°C (ce n’est pas atteint). L’année suivante, la COP22 à Marrakech mit en avant l’alibi « Trump » pour masquer l’absence de résultats probants sur les politiques climatiques, le bilan des contributions volontaires des États (et non plus les seuls pays industrialisés au temps du Protocole de Kyoto) mène la planète à un réchauffement de 3°C, sinon plus d’ici la fin du siècle. A cet échec, s’ajoute l’incapacité des pays industrialisés à honorer l’aide promise aux pays vulnérables, à la hauteur de 100 milliards de dollars par an, pour financer leurs politiques climatiques. Cette année, la COP23 ne déroge pas à la règle, c’est un coup pour rien, se limitant à la mise en place d’un dialogue (« Dialogue de Talanoa » qui signifierait en fidjien parler avec son cœur !) pendant un an pour clarifier la comptabilité et la transparence des réductions d’émissions de CO2 des différents pays, afin que les règles d’application de l’Accord de Paris soient adoptées lors de la COP24 qui se tiendra sous la présidence polonaise l’année suivante à Katowice, centre houiller de la Pologne, pays qui produit 84 %  de son électricité à partir du charbon. Certains n’hésitent pas à parler de mascarade et de faillite du processus onusien. Malgré tout, 20 pays dont la Grande-Bretagne, le Canada et le Mexique ont annoncé la création d’une alliance pour sortir du charbon, ce qui embarrasse singulièrement la chancelière allemande, Angela Merkel, dirigeante d’un pays où 47 %  de la production d’électricité dépend du charbon.

Pour mesurer l’opacité de la diplomatie climatique, il suffit de regarder les engagements des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre :

  • Chine (22 % des émissions de GES) : 60 – 65 %  par point de PIB d’ici à 2030 par rapport à 2005,
  • États-Unis (12 % des émissions de GES) : 26 – 28 %  d’ici à 2025 par rapport à 2005,
  • Union européenne (9 % des émission de GES) : 40 %  d’ici à 2030 par rapport à 1990,
  • Inde (6 % des émissions de GES) : 33 – 35 %  par point de PIB d’ici à 2030 par rapport à 2005, si aide internationale,
  • Russie (5 % des émissions de GES) : 25 – 30 %  d’ici à 2030 par rapport à 1990.

Faillite d’un modèle économique et des appels depuis 45 ans

Depuis la signature de la Convention sur le climat en 1992, les émissions de CO2 n’ont cessé d’augmenter (54 %  en 25 ans). Une petite lueur était apparue lors de la COP22 : les émissions mondiales de CO2  s’étaient stabilisées les trois dernières années 2014, 2015 et 2016 (travaux d’un consortium scientifique Global Carbon Project). Si cette stabilisation constituait un signal positif, elle s’avérait en même temps loin du compte pour permettre d’atteindre les objectifs climatiques définis par l’Accord de Paris. En 2017, tout est reparti à la hausse, estimée de quelque 2 %  par rapport à l’année précédente1.  L’objectif de la COP21 (+ 1,5°C ou +2°C) n’est pas réalisable sans une révision plus importante à la baisse.

Et pourtant les mises en garde devant une telle évolution ne datent pas d’aujourd’hui. Le rapport du Club de Rome « The limits of Growth », publié en 1972, traduit incorrectement par « Halte à la croissance » était un premier signal indiquant l’effondrement du système planétaire sous la pression de la croissance démographique et industrielle. Le rapport fut largement critiqué, souvent à juste titre, accusé d’avoir adopté le point de vue des intérêts des pays riches au détriment des pays pauvres. Quarante ans plus tard, la dernière édition du rapport réaffirmait les mêmes conclusions : le franchissement des limites du système (ici l’expansion économique) conduit à un effondrement, défini par un processus qui implique une boucle de « rétroaction positive », c’est à dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. On peut donner deux exemples de ce type de processus : l’endettement avec la crise financière et la fonte du permafrost pour le réchauffement climatique. Malgré les critiques que l’on peut adresser au rapport Meadows (nom de son auteur principal), le constat reste valable et la meilleure réponse au caractère insoutenable de la croissance se trouve dans la thèse développée par Hervé Kempf dans son ouvrage publié en 2007 « Comment les riches détruisent la planète » : la croissance économique productiviste est inséparable des inégalités de richesse. Comme le souligne l’auteur, les inégalités sont un véritable moteur pour la croissance matérielle dans la mesure où elles stimulent un puissant désir d’imitation des plus riches chez les plus pauvres (le comportement ostentatoire).

Une seconde mise en garde, associant pays du Nord et pays du Sud, figure dans la Déclaration de Cocoyoc du 23 octobre 1974, texte radical sur le développement, la mise en cause de l’économie de marché, les rapports nord-sud et la nécessité de protéger l’environnement, au final à l’aspiration à un nouvel ordre économique mondial. Ce texte issu des travaux des Nations Unies suite à la Conférence mondial sur l’environnement de Stockholm de 1972 fut rejeté unilatéralement par les États-Unis. On peut retrouver cette déclaration dans l’ouvrage d’Aurélien Bernier « Comment la mondialisation a tué l’écologie ».

Au moment du Sommet de Rio en 1992, un premier appel cette fois des scientifiques (1 700 chercheurs) dressait un état des lieux inquiétant avec cette mise en garde « les êtres humains et le monde naturel sont sur une trajectoire de collision ».  Vingt cinq ans plus tard, la trajectoire n’a pas changé. Cette fois, ce sont 15 000 scientifiques qui adressent dans la revue Bioscience de novembre 2017 (cf. Le Monde, 14 novembre 2017) une « mise en garde des scientifiques à l’humanité : deuxième avertissement » à l’ouverture de la COP23, au moment où tous les indicateurs montrent une dégradation catastrophique sous la pression des activités humaines, plus exactement sous la pression d’un système économique mondialisé productiviste : les forêts disparaissent (130 millions d’hectares en 25 ans, l’équivalent de l’Afrique du Sud) essentiellement au profit de l’agriculture, les captures de pêches ont atteint leur maximum en 1996 à 130 millions de tonnes, les « zones mortes côtières , privées d’oxygène, se multiplient provoquées par le lessivage des engrais agricoles, la hausse des températures est régulière et les trois dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées, la biodiversité mondiale disparaît à une vitesse alarmante, les populations de poissons, d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et de mammifères ont décliné de près de 60 %  en 40 ans. Près de 80 %  des insectes volants ont disparu au cours des trente dernières années. Pour s’en rendre compte, il suffit de réaliser qu’il n’y a plus besoin de laver son pare brise  en circulant par une nuit d’été, ce qui était impensable  auparavant !

Bon constat mais mauvaises réponses

Si le constat ne peut être nié comme le montre les événements climatiques extrêmes et les pertes de biodiversité alarmante (les insectes forment la base des écosystèmes et sont extrêmement importants), on peut s’interroger sur les solutions proposées, comme la restauration de la biodiversité et les services rendus par la nature au travers des écosystèmes, la réduction du gaspillage alimentaire, la réorientation vers une nourriture moins carnée, la promotion de nouvelles technologies « vertes », l’orientation vers une économie moins porteuse des inégalités de richesse ou l’éducation des femmes pour la réduction du taux de fécondité afin de maîtriser la croissance démographique, voire déterminer à long terme la taille de population humaine « soutenable » ! On reste assez confondu par la pauvreté du diagnostic qui n’évoque à aucun moment les responsabilités du système productiviste actuel, les conséquences de l’accélération des accords de libre échange qui font passer le commerce et les profits avant la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement, en résumé le processus de croissance capitaliste. Comment interpréter un tel appel dans ses conclusions sinon de promouvoir un capitalisme « vert », traduction de la pensée onusienne qui est passée du concept de « développement durable » au Sommet de Rio en 1992 à celui « d’économie verte » vingt plus tard au second Sommet de Rio en 2012.

Et la politique d’Emmanuel Macron dans tout ça ?

Emmanuel Macron ne s’est pas trompé de cible en intervenant à la COP23, en s’emparant immédiatement de l’appel des 15 000 scientifiques, non pour en contester la situation alarmante mais pour mieux l’utiliser en mettant en avant certaines des solutions proposées : le marché du carbone comme politique de réduction des émissions des gaz à effet de serre, les investissements techniques visant au stockage de l’énergie, la sortie de la production des énergies fossiles, la mobilisation des financements régionaux, publics et privés pour la transition environnementale, la transformation de l’aide internationale pour marquer la solidarité collective à la transition climatique.

« Make our planet great again » devient un signe de ralliement du nouveau Président pour promouvoir une croissance « verte » qui s’avère incapable de modifier la trajectoire d’un système dominant responsable des effets dénoncés par des déclarations politiques péremptoires dont les envolées déclamatoires n’ont pour seul objectif surtout de ne rien changer. La réalité est évidemment autre et l’on peut se demander dans quelle galère Nicolas Hulot s’est engagé dans un tel gouvernement si l’on consent à lui accorder un quelconque crédit dans son engagement en faveur de la protection de l’environnement.

L’interdiction d’accorder tout nouveau permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures en France est salué par Emmanuel Macron comme une première pour un pays développé de prendre une telle décision pour son propre territoire. Nous en avons souligné la portée insignifiante puisque la production française d’hydrocarbures ne représente que 1  %  de la consommation nationale. Cette volonté affichée de vouloir sortir des énergies carbonées prend une autre tournure lorsque ce gouvernement accepte de signer le traité de libre échange avec le Canada, le CETA, porte ouverte à l’importation des hydrocarbures extraits des schistes bitumineux canadiens, et ceci à l’encontre de l’avis négatif émis par la commission mise en place par ce même gouvernement et chargée d’évaluer si ce traité de libre échange est climato-compatible. Le second renoncement de Nicolas Hulot a été de reporter l’engagement programmé de la fermeture de centrales nucléaires pour faire passer à l’horizon 2025 de 75 à 50  %  la part du nucléaire dans la production d’électricité.

Mais la véritable diplomatie climatique d’Emmanuel Macron, le cœur de son action politique est l’argent, la finance. Il ne peut s’empêcher de l’évoquer en affichant son soutien au financement du GIEC, malgré le retrait des Etats-Unis « pas un centime ne manquera au GIEC » clame-t-il, reprenant à son compte le type de propos amorcé par Nicolas Sarkozy et répété depuis lors à tout propos. Le second thème de cette diplomatie est la volonté du retour au marché mondial du carbone comme instrument permettant d’engager des politiques internationales de réduction des émissions de GES. Ce choix est celui de l’économie néolibérale, basée sur l’attribution de quotas d’émissions échangeables sur le marché, le prix de la tonne de carbone résultant de la confrontation de l’offre et de la demande. Emmanuel Macron veut instaurer un prix plancher du CO2  en Europe à 30 euros la tonne. Antonin Pottier dans son essai « Comment les économistes réchauffent la planète » montre comment la tentative d’avoir un prix mondial du carbone a été un échec et le marché carbone n’a jamais donné le moindre signal prix aux entreprises pour se lancer dans des investissements pour réduire les émissions de GES. Le marché du carbone a entravé pendant plus de 20 ans les négociations internationales sur les politiques climatiques et voilà que ce gouvernement veut reprendre à nouveau ce qui a été un échec pour les objectifs climatiques mais non évidemment pour le « business as usual ». La France va organiser à Paris, le 12 décembre, une autre rencontre, sous l’égide de la Banque mondiale, ce qui va constituer l’attente du monde de la finance si cher à Emmanuel Macron : comment mobiliser les financements publics et privés, et manipuler les cent milliards de dollars par an prévus par le Fonds vert pour l’aide aux pays les plus vulnérables afin de leur permettre de mettre en œuvre leurs politiques climatiques.

Quelle politique alors ? Concevoir une autre pensée politique

Le mérite de l’Accord de Paris est d’avoir acté l’impossibilité de parvenir à une approche globale ; c’est à chaque pays de définir son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette approche n’offre aucune garantie que les États réaliseront bien leurs contributions volontaires (absence de tout processus contraignant), ni que celle-ci permet d’atteindre l’objectif fixé en-dessous de 2°C (ce qui est le cas). Chaque pays est renvoyé à ses propres responsabilités, essentiellement pour les pays les plus développés. Face à l’urgence rappelée par l’Appel des 15 000 scientifiques, il ne faut pas compter sur une pénurie des énergies fossiles disponibles, elles sont pléthoriques. A ce titre le Plan climat de Nicolas Hulot, mettre fin à la production française des hydrocarbures, est dérisoire vu ce que cela représente (1 %  de la consommation), par contre prendre la décision de signer l’Accord de libre échange avec le Canada ne l’est pas. Nous sommes sortis de la séquence électorale de 2017 et il convient d’en rappeler quelques points de repère : Emmanuel Macron n’avait pas de propositions relatives à l’écologie, François Fillon restait sur des options techniques et financières (capture et stockage du CO2, développement du marché carbone), Benoît Hamon présentait un programme dans le respect des institutions de l’Union européenne. Seul Jean-Luc Mélenchon proposant la « règle verte » donnait une orientation qui faisait sens par rapport à la contribution de la France aux enjeux climatiques. En ce sens l’un des points clés est de se réapproprier le principe fondamental de souveraineté nationale et de redéfinir le rôle de l’État pour être le garant de l’intérêt national afin qu’il lui soit permis, hors de tout assujettissement aux marchés financiers, de trouver les investissements à long terme pour s’engager dans une réelle transition énergétique. De manière qui peut sembler paradoxale, deux enjeux sont à prendre en compte, d’une part non seulement l’arrêt du processus de désindustrialisation de la France que nous connaissons actuellement mais la mise en place de la réindustrialisation du pays, d’autre part la réduction des inégalités et un partage des richesses pour stopper le processus de consumérisme mortifère. D’autres points sont tout aussi importants à mettre en avant : des politiques publiques hors du champ permanent de la concurrence érigée en dogme, une réorientation des politiques agricoles pour assurer sécurité et santé alimentaire, l’arrêt des traités de libre-échange et une redéfinition des règles du commerce international sur la base de l’équité, de règles de protectionnisme social et environnemental (cf. les principes de Déclaration de La Havane de 1948) et de « ne pas négocier des accords avec les pays qui ne jouent pas le jeu » (sic E. Macron). De telles remises en cause montrent que l’avenir du pays et celui de la planète ne passent pas par l’Union européenne.

Références

  1. Bernier (2012) Comment la mondialisation a tué l’écologie, ed. Mille et Une Nuits.
  2. Kempf (2007) Comment les riches détruisent la planète, ed. Seuil, Paris.
  3. Marchand (2015) COP21 : les raisons d’un échec programmé ou pourquoi la conférence sur le climat n’aura pas lieu. Respublica, 11 novembre 2015
  4. Marchand (2016) La COP21 : le climat devra s’adapter au marché ou comment on garde le logiciel qui a conduit au réchauffement climatique ? Respublica, 6 janvier 2016
  5. Marchand (2016) La COP22 et l’alibi « Trump » pour masquer l’absence de résultats probants sur le politiques climatiques. Respublica, 12 décembre 2016.
  6. Marchand (2017) Le projet de loi « Plan climat » de Nicolas Hulot. Respublica, 24 septembre 2017.
  7. Pottier (2016) Comment les économistes réchauffent la planète. ed. Seuil.

 

  1. Les concentrations de CO2 dans l’atmosphère (exprimées en parties par million), principal gaz à effet de serre sont passées de 344 ppm en 1984 à 403 ppm en 2016 (le niveau à l’époque pré-industrielle est estimé à 280 ppm). Le risque de déstockage massif du méthane (gaz à effet de serre 21 fois plus puissant que le CO2), lié à la fonte du permafrost se précise. []
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La novlangue libérale

par Philippe Champigny

 

Alain Bihr – Éditions Page 2 et Syllepse – 18 €.

Alain Bihr, professeur honoraire de sociologie, est un des anciens animateurs de la regrettée revue À contre courant. Marxiste libertaire, la rigueur de ses écrits impressionne régulièrement : Entre bourgeoisie et prolétariat, Du grand soir à l’alternative, Pour en finir avec le Front national, Les rapports sociaux de classe, le Dictionnaire des inégalités sont quelques exemples de sa foisonnante production littéraire.

Ce présent ouvrage est un travail de critique et de déconstruction de la novlangue libérale qui inonde les médias, les propos du Medef, des gouvernements et parfois même… les réseaux militants. À travers des chapitres qui peuvent être lus séparément mais qui sont cohérents entre eux, Alain Bihr met en lumière les techniques de manipulation des libéraux : l’inversion de sens (égalité, réforme..) et l’oblitération de sens (capital humain, charges sociales) qui ont pour but de priver les forces sociales, syndicales et politiques des outils d’une pensée subversive contre le capitalisme (financier ou pas).

Cet outil d’autodéfense intellectuelle doit être mis au service de toutes les forces militantes.

Protection sociale
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Vous avez aimé la T2A, vous adorerez la T3A !

par Bernard Teper

 

Système de tarification des hôpitaux venu des États-Unis, pays le plus dépensier mais l’un des plus inégalitaires, la tarification à l’activité (T2A) est le cheval de Troie du néolibéralisme dans les hôpitaux. Cette dernière permet la marche vers la privatisation et l’augmentation des taux de profits par la sélection des risques pratiqués, notamment par le secteur privé des cliniques. Cette T2A augmente les inégalités sociales de santé, mais est également inflationniste en termes de dépenses de santé car les hôpitaux doivent multiplier les actes pour survivre même si ces actes ne sont pas nécessaires. On a connu par exemple une période où les césariennes ou les violences obstétricales étaient pratiquées au-delà du raisonnable par les maternités privées.

Eh bien à en croire la nouvelle ministre de la santé dans ses interviews au JDD et sur RTL-LCI, une nouvelle tarification néolibérale va voir le jour à l’hôpital, couplée à de nouvelles politiques austéritaires (elle a déclaré que 30 % des dépenses de l’Assurance-maladie ne sont pas pertinentes !).

À part le fait qu’elle reprenne l’idée positive pour la chirurgie d’un tarif forfaitaire à la pathologie (incluant l’amont et l’aval) ce qui mérite discussion positive si on supprime les dépassements d’honoraires, tout le reste est dramatique pour la santé publique.

Suppression du tiers payant sous la pression lobbyiste des syndicats médicaux réactionnaires

Revenons à la nouvelle idée de la ministre de passer de la T2A à une sorte de T3A (tarification à l’activité et à la qualité) : l’introduction d’un nouveau « bonus qualité » chère à la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), affiliée au Medef, permet avec la sélection des malades rentables et l’instauration d’une médecine à plusieurs vitesses d’accélérer la privatisation hospitalière. Cette nouvelle usine à gaz va entraîner dans les DIM (services de codage des hôpitaux) la formation des super-codeurs pour mieux tricher et développer encore les primes et bonus pour les médecins par les rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP, dérivées des paiements à la performance anglo-saxonne dits P4P) dont les règles sont très critiquables. Bonus pour les médecins et demain sans doute bonus-malus pour les complémentaires santés !

Si on ajoute à cela, alors que nous manquons de lits d’aval derrière les urgences et les soins de suite et de rééducation (SSR), voire des lits publics pour les personnes âgées dépendantes, voilà la ministre qui veut supprimer des lits dans les hôpitaux !

Au secours !

Là comme ailleurs, nous devons, en plus des luttes sociales, de plus en plus organiser des initiatives d’éducation populaire refondée pour permettre le jugement citoyen raisonné. Car la solution de cette accélération du recul programmé des indicateurs sociaux de santé publique réside dans un surgissement du peuple usager de la santé. Les politiques austéritaires ont diminué l’impact des mobilisations des personnels de la santé (en dehors des lobbies médicaux et assurantiels) et les mobilisations sont souvent uniquement défensives sur les fermetures de services ou de maternités et hôpitaux de proximité. Restent donc les assurés sociaux comme possibilité de mobilisation offensive. En cela, pas d’alternative à une gigantesque campagne d’éducation populaire refondée. Alors, on travaille tous ensemble à cela !



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