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Chronique d'Evariste
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  • lettre 875

Ce ne sera pas pour demain matin 8h 30 !

par Évariste

 

« Partir du réel pour aller vers l’idéal » ne veut pas dire aller directement vers l’idéal sans analyser correctement et comprendre le réel. Voilà la principale idée à développer aujourd’hui. Et comme « l’histoire n’est que l’histoire de la lutte des classes », sans oublier la relation de l’homme et de la nature, il convient d’y revenir.

Sur le plan économique international, la période est marquée par un niveau jamais atteint de la dette publique et de la dette privée, niveau bien supérieur à celui qui préexistait au krach de 2007-2008. Les nouvelles réglementations bancaires et financières adoptées après le krach autorisent cette croissance des dettes pour former des bulles financières bien plus importantes que les dernières fois.

Comparer le prochain krach par rapport au précédent sera comparer un tsunami à une simple tempête… C’est d’ailleurs pour cela que la Réserve fédérale étasunienne engage le relèvement des taux bancaires, diminuant d’autant les capacités de remboursement des crédits et augmentant de fait la probabilité de crise économique et financière. C’est aussi pour cela que le dispositif macroniste accélère le mouvement réformateur néolibéral, pour sauver le capitalisme. Gérant du capital, Emmanuel Macron ne peut pas faire une autre politique que celle qu’il entreprend pour tenter d’augmenter les taux de profit dans l’économie réelle avant la prochaine crise économique et financière. Il lui faut diminuer fortement la masse des salaires directs et socialisés avec toutes les conséquences sur les anciens conquis sociaux. D’où la loi Travail, les réformes de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle, de la SNCF, d’où CAP 2022 dont les annonces arriveront dès mai 2018, la réforme des retraites qui vient de démarrer sans que les grandes organisations en prennent la mesure (après le – 20 % sur les retraites actuelles de la loi Balladur de 1993, voilà le – 20 % sur les retraites de 2040 dans la loi prévue par M. Macron pour 2019) .

L’attaque frontale, massive et touts azimuts du dispositif macroniste permet de rendre totalement désuètes les pratiques, les fausses alternatives, des idéalistes européistes de la gauche de la gauche, radicale ou pas. Du revenu universel à la croyance dans une possible modification de l’Union européenne de l’intérieur (plan A) en passant par les manifestations syndicales saute-mouton qui mobilisent de moins en moins dans la même séquence (même avec l’unité syndicale !) ou encore tous  les ersatz du capitalisme vert, tout cela est à remiser sur l’étagère des pensées d’hier qui ne correspondent plus à la période que nous vivons. Et ce que nous vivons est le réel.

Mais croire un instant que ce sont les idéalistes des pensées magiques qui sont la solution, c’est tomber de Charybde en Scylla ! Croire en la sortie de l’UE et de la zone euro demain matin à 8h 30 (plan B) ou penser possible le paradis grâce à une création monétaire massive pour financer des revenus ou des salaires dans le cadre du capitalisme sans penser les transitions réelles, les politiques économiques et industrielles ainsi que les réalités anthropologiques, ce sont des impasses sympathiques mais des impasses tout de même.

Qu’observe-t-on des formations sociales au cours des  2 500 dernières années ? aucun changement historique, aucune transformation sociale et politique, aucune grande avancée culturelle, sociale et politique n’a eu lieu en dehors des conditions de possibilité de ces changements. Ces conditions sont connues:

– pas changement en dehors d’une crise paroxystique chaude de quelque nature qu’elle soit -économique, sociale, écologique ou politique (notamment les sorties de l’euro et de l’UE, comme tous les autres changements majeurs) ;

– pas de changement sans une victoire préalable d’une nouvelle hégémonie culturelle via une éducation populaire refondée sous différentes formes ;

– pas de changement sans un projet global incluant une globalisation des combats. Aujourd’hui, cela veut dire pas de changement sans liaison des combats démocratiques, laïques, antiracistes, féministes, sociaux et écologiques sans en oublier un seul. Tous ne doivent pas se contenter de slogans invocatoires mais s’incarner dans des lieux concrets : organisations associatives, syndicales, politiques ;

– pas de changement sans rassemblement du peuple : alors que la situation actuelle, qui voit s’affronter les tenants du syndicalo-syndicalisme, refusant de mettre la marche du 5 mai 2018 dans l’agenda des luttes, et ceux (syndicalistes, citoyens éclairés et militants politiques) qui pensent que la convergence des luttes syndicales et politiques est nécessaire, est une aide précieuse pour le dispositif macroniste !

Une montée de la radicalité significative mais encore minoritaire

L’analyse du réel montre la montée d’une radicalité significative. De Notre-Dame-des Lande (dont on néglige trop les contradictions internes) jusqu’à la lutte des cheminots en passant par des initiatives de renouveau syndical (comme celle du 4 avril à la Bourse du travail de Paris lançant la marche du 5 mai à partir d’une initiative Ruffin-Lordon en phase avec cette nouvelle radicalité).

Comme le dispositif macroniste a rompu avec la méthode hollandaise de passer des accords avec des syndicats complaisants contre les syndicats revendicatifs, un nouvelle contradiction traverse le monde syndical, non plus seulement celle entre les syndicats complaisants et les syndicats revendicatifs, mais entre trois pôles : les deux précités et la tentative de renouveau syndical radical (incluant des parties de syndicats CGT et SUD principalement) critiquant les manifestations saute-mouton qui organisent la démobilisation.

Mais pour l’instant, cette nouvelle radicalité, qui ne se définit pas par organisations entières, reste minoritaire bien qu’elle soit en progression. Cela entraîne donc des augmentations de tension au sein de chaque organisation syndicale, tensions qui à court terme se règlent par un renforcement de la bureaucratisation syndicale – ce qui n’est pas le moyen de sortir de cette contradiction par le haut.

Toujours pas de travail sur la « double besogne »

Pourtant elle devient plus nécessaire que jamais pour toutes les organisations politiques, syndicales, associatives et culturelles. Dès la charte d’Amiens pour le syndicalisme, dès sa théorisation par Jean Jaurès pour le parti de transformation sociale et politique, cette nécessité est apparue dans le débat. Mais la Charte d’Amiens est méconnue par ceux-là même qui en ont plein la bouche, de même que Jean Jaurès est méconnu, largement dénaturé, trahi et malmené par ceux-là mêmes qui disent perpétuer sa mémoire sans l’avoir lu entièrement (comme pour Marx d’ailleurs).

Rappelons que le terme de « double besogne » résume à lui seul la nécessité d’une part de répondre aux revendications immédiates des travailleurs et, d’autre part, de maintenir une cohérence entre ces revendications immédiates et un projet global de transformation sociale  et politique pour enfin œuvrer à la réalisation de celui-ci.
Pour nous, si le syndicalisme doit rester indépendant de tous les partis politiques (et vice-versa), ils doivent tous deux travailler à la double besogne. Alors ils pourront converger dans des actions communes pour porter l’estocade contre les néolibéraux, le patronat et l’oligarchie dans son ensemble.

Nous appelons donc les militants à prioriser cette double besogne quelle que soit leur appartenance organisationnelle. Pour l’instant, seule une contribution thématique signée par Danielle Simonnet pour le congrès du PG a vu le jour. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres.

Et pendant ce temps-là, les commentateurs commentent et interprètent sans alternative concrète

L’oligarchie capitaliste a ses commentateurs dans les médias. Ils ont leur rôle. Celui de renforcer l’hégémonie culturelle du mouvement réformateur néolibéral. Car pour l’oligarchie, la bataille pour garder l’hégémonie culturelle est une priorité. Eux savent que c’est une exigence de la lutte des classes. Alors que nous ne le savons plus !

En ce qui nous concerne, en dehors de certains responsables ou militants d’organisations encore trop peu nombreux, nous avons trop de commentateurs dans notre camp qui commentent ou interprètent sur le bien ou le mal mais sans proposer d’alternative globale et sont donc inopérants pour le mouvement social et politique. Soit ils sont en responsabilité dans des organisations, et là ils ne se maintiennent qu’au prix de l’application d’une loi tendancielle du capitalisme, à savoir la bureaucratisation toujours accrue des systèmes organisés. Soit ils sont des citoyens ou militants qui souhaitent se battre avec la peau des autres. Ils donnent des conseils sans jamais s’impliquer et « mouiller leur chemise » !

Or la 11e thèse sur Feuerbach de Marx le disait déjà : nous ne sommes plus dans un moment où il faut interpréter le monde mais bien s’engager pour sa transformation.

A bientôt si vous le voulez bien!

Combat féministe
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Selon Asif Arif, partisan du voilement des fillettes dès 7 ans, la laïcité n’a rien à voir avec les droits des femmes !

par Charles Arambourou

 

Source : http://www.ufal.org/laicite/selon-asif-arif-partisan-du-voilement-des-fillettes-des-7-ans-la-laicite-na-rien-a-voir-avec-les-droits-des-femmes/


On n’oublie pas ses amis. L’UFAL a déjà fait connaître Asif Arif, militant communautariste membre d’une secte musulmane (ahmadiyya)
qui encourage le voilement des petites filles dès 7 ans (plus tard, elles risquent de « se rebeller ») .

Avocat, il a commis un ouvrage sur la laïcité, certes approximatif, voire peu rigoureux (Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène en ont signé la préface : savaient-ils à qui ils avaient affaire ? On n’ose croire qu’ils partagent le communautarisme de l’auteur. On attend encore qu’ils s’en démarquent…), mais qui lui donne une apparence de respectabilité : ainsi, dans son tour de France pour la promotion du livre, il est accompagné de Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité, apparemment peu gêné de ce qui ressemble à une infiltration communautariste.

Or dans Politis, le 20 avril 2018, Asif Arif vient de signer un article avec Madjid Messaoudène, élu de la municipalité de Saint-Denis « en charge de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations ; militant pour l’égalité et contre les discriminations » (sic) : on va voir que les dyonisiennes ont du souci à se faire avec pareil « militant » ! Thème : « Le combat féministes et le combat laïque, s’ils peuvent s’articuler, sont fondamentalement distincts ».

Passons sur les arguments ahurissants justifiant pareille « distinction » : en 1905, figurez-vous, les femmes n’avaient pas le droit de vote, et d’ailleurs elles étaient majoritairement opposées à la séparation… Notre avocat a dû sécher ses cours de droit public, pour ignorer ainsi les principes de la démocratie représentative. Sa référence à l’étude du Conseil d’Etat antérieure à la loi de 2010 (dissimulation du visage dans l’espace public) n’est pas plus sérieuse : car depuis, la Cour européenne des droits de l’homme a statué différemment !

Quant à sa « lecture » de la loi de 1905, et plus généralement de la laïcité, elle est simplement inexacte et réductrice. Pour lui, la laïcité n’incombe qu’à l’Etat, et signifie sa neutralité (au sens de non intervention). Interdit donc aux pouvoirs publics de « militer » pour l’égalité hommes-femmes, par exemple : c’est au nom de tels principes qu’il s’en est pris à l’actuelle secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.

Le « statut » religieux « de la femme » ? C’est simplement contraire à la Constitution, M. Arif !

Selon Arif et Messaoudène, les citoyens qui « confondent » « lutte pour l’égalité femmes-hommes et laïcité » s’immiscent dans « les positions internes » des religions « relatives au statut de la femme ». On croit rêver : dans une République laïque, les religions pourraient ne pas respecter le principe d’égalité entre les citoyens, et assigner aux femmes un statut spécifique, donc discriminatoire ? Et nos faux naïfs de poursuivre : « L’angle biaisé de la laïcité (…) peut rapidement devenir un prisme stigmatisant » (le mot est lâché : « islamophobe » n’est pas loin !).

Donc celles et ceux (dont nombre de musulman.e.s) qui dénoncent les pressions sur les femmes et les petites filles pour leur imposer de porter le voile pratiquent la « stigmatisation » des musulmans : touche pas à mon « statut (religieux) de la femme » ! Et c’est co-signé par un élu de Saint-Denis « en charge de l’égalité femmes-hommes »

Rappelons une fois pour toutes que le principe de laïcité « [interdit] à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (Conseil constitutionnel, décision 2004-505 DC du 24 novembre 2004.). Parmi ces règles communes, figure le principe constitutionnel de l’égalité femmes-hommes ! Lequel est donc bien en rapport direct avec la laïcité. Alors pourquoi triturer ainsi le droit ?

C’est que les pratiques soutenues par Asif Arif et la secte ahmadiyya, au nom de leurs « croyances religieuses », bafouent directement, et l’égalité femmes-hommes, et la laïcité. Le voilement des petites filles dès 7 ans, c’est du mauvais traitement à enfant, et une négation de sa liberté de conscience (Convention internationale des droits de l’enfant, art. 14). Aller solliciter le droit républicain pour défendre ce genre de contrainte, ce n’est pas beau ! Surtout quand on ne connaît qu’approximativement ce droit… Au moins, grâce à l’UFAL, Asif Arif aura eu l’occasion de faire quelques révisions, et Madjid Messaoudène d’éclairer sa lanterne.

Annexe

LES APPROXIMATIONS JURIDIQUES D’ASIF ARIF SUR LA LOI DU 11 OCTOBRE 2010 « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public »

Asif Arif se contente d’appuyer son argumentation sur une étude du Conseil d’Etat du 25 mars 2010, (avant l’élaboration de la loi du 11 octobre 2010), qui concluait « qu’une telle loi ne pouvait se fonder ni sur la laïcité, ni sur la dignité des femmes, ni même encore sur l’égalité femmes-hommes. »

C’est ignorer que la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), par un arrêt SAS c. France du 1er juillet 2014, s’est prononcée quelque peu différemment du CE français sur le sujet.

En effet, contrairement à ce que semble croire Maître Arif, et à ce que soutenait le Gouvernement français, la CEDH a considéré que la loi de 2010 restreignait bien la liberté de manifester sa religion et relevait de l’art. 9-2 de la Convention européenne des droits de l’Homme : celui justement qu’on invoque en matière de laïcité.

La Cour a certes écarté la quasi-totalité des arguments présentés par la France : la sûreté (ou sécurité) publique ; « le respect du socle minimal des valeurs d’une société démocratique et ouverte », à savoir : l’égalité entre les hommes et les femmes ; la dignité des personnes ; les exigences minimales de la vie en société. Elle a considéré notamment qu’aucune de ces trois valeurs ne correspondait explicitement aux « buts légitimes » motivant des restrictions aux libertés fondamentales admises par la Convention (art. 8-2 et 9-2).

Cependant, elle a admis que, « dans certaines conditions » (dont elle a vérifié la réalité) « les exigences minimales de la vie en société » (le « vivre ensemble », selon la France) « peuvent se rattacher au but légitime que constitue la « protection des droits et libertés d’autrui ». Au terme de son examen méthodique, la CEDH a conclu que « la restriction litigieuse » de la liberté de manifester sa religion « [pouvait] donc passer pour « nécessaire », « dans une société démocratique », et dit clairement qu’il n’y a pas eu violation de la Convention.

Ajoutons que la Cour a, depuis, encore élargi le contour de « la protection des droits et libertés d’autrui ou [de]la protection de l’ordre au sens de l’article 9 § 2 de la Convention ». Elle s’est en effet dite « prête à accepter » que la « valeur » de « l’égalité entre les sexes », puisse lui être rattachée (Affaire Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse, 10 janvier 2017). Du grain à moudre pour les militants de l’égalité femmes-hommes… donc de la laïcité !

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"Territoires disputés de la laïcité" de Gwénaële Calvès : Pour mieux comprendre, débattre et agir

par Pierre Hayat

 

L’administration pénitentiaire doit-elle servir aux détenus des aliments halal ou casher, ou simplement proposer une alimentation alternative à la viande ?
Une auto-école peut-elle, pour des raisons religieuses, réserver une salle à un public exclusivement féminin ?
Un élève en voyage scolaire souhaite prier le soir. Quelle réponse de l’encadrement éducatif ?

Ce sont là trois des 44 questions (plus ou moins) épineuses examinées dans Territoires disputés de la laïcité, de Gwénaële Calvès, auxquelles la professeure de droit public, spécialiste de la laïcité, apporte des réponses éclairantes. Quel laïque ne souhaite pas être instruit sur des cas embarrassants, dans les combats qu’il mène pour la laïcité ? Et lequel se désintéresse des arguments juridiques qui s’opposent autour de la loi scolaire du 15 mars 2004 et de l’affaire Baby Loup ? Ces deux polémiques figurent en bonne place dans la première partie du livre intitulée « Mutations de la laïcité », la seconde traitant les questions adressées à l’auteure « par des personnes réellement confrontées à des interprétations du droit de la laïcité ».

Des conflits d’une acuité inédite traversent la laïcité contemporaine. Ils s’inscrivent dans un contexte politique nouveau, depuis les massacres commis au nom de Dieu en janvier 2015 par des fanatiques se réclamant de l’islam. G. Calvès souligne la tentation d’instrumentaliser la laïcité à des fins d’exclusion ainsi que sa contre-instrumentalisation à des fins communautaristes. Raisonnant en juriste sur des cas réels et concrets qui lui ont été soumis, elle montre aux lecteurs non initiés que le droit de la laïcité n’est ni clos sur lui-même ni figé. Le droit de la laïcité évolue, à l’image du droit en général. Selon les situations analysées, on saisit sur quels fondements l’état actuel du droit permet d’apporter une réponse assurée et, à l’inverse, pourquoi la jurisprudence est indécise et fluctuante.

Les questions gravitent autour d’un enjeu : la délimitation à établir entre la « sphère publique » soumise à l’obligation de neutralité, qui relève juridiquement de la laïcité, et la « sphère sociale », qui n’en relève pas. G. Calvès précise que la première ne se réduit pas à l’autorité publique, mais s’étend à l’ensemble des services publics. La « sphère sociale », quant à elle, renvoie à l’espace public ouvert à tous, où les individus produisent, échangent, consomment, se rencontrent librement. Elle insiste sur l’autonomie des associations, « emblème de la faculté d’auto-organisation de la société civile, aussi subventionnées soient-elles et indépendamment de l’étroitesse de leur liens avec la sphère publique », auxquelles l’obligation de neutralité laïque ne saurait, en principe, être opposée.

Une fois saisi ce principe de délimitation, il reste à comprendre pourquoi les frontières censées séparer paisiblement ces deux « sphères », sont instables dans les zones frontalières. C’est qu’aujourd’hui, écrit Gwénaële Calvès, « les contours même de la laïcité sont âprement disputés ». G. Calvès ne propose pas un nième mode d’emploi d’une laïcité pour les nuls. Son propos n’est pas de livrer dogmatiquement un prêt à penser à partir de réponses lisses, mais au contraire de fournir au lecteur des outils pour réfléchir à ce qui se joue dans chaque cas, et de comprendre comment les incertitudes et les disputes juridiques formalisent un état social, politique et culturel. L’analyse éclaire sur les intérêts et les normes en jeu, à travers les arguments juridiques. On saisit en quoi les polémiques qui ont conduit à la loi du 15 mars 2004, et celles autour de la crèche Baby Loup, ont mobilisé les principes laïques de liberté de conscience et de neutralité, d’une façon apparemment concurrentielle. Mais il ne s’est pas seulement agi de cela : les deux querelles ont révélé d’autres enjeux et ont fait naître des polémiques nouvelles. À propos de la crèche Baby Loup, les tribunaux se sont prononcés sur le licenciement d’une puéricultrice qui refusait de retirer son « voile islamique ». G. Calvès montre que les cinq décisions de justice de 2010 à 2014 ont impliqué des approches franchement différentes de la laïcité : considérée comme neutre, mais aussi comme caractéristique d’une « entreprise de tendance », et comme émancipatrice de l’emprise du religieux dans la vie sociale. Et, à propos des signes religieux à l’école, on observe que depuis la loi du 15 mars 2004, les tribunaux administratifs tiennent mieux compte de la spécificité de l’école laïque, comme lieu d’instruction et d’émancipation à l’égard de toute forme d’appartenance. Pareille complexité confirme, dans un contexte nouveau, ce qu’une longue tradition laïque a constamment soutenu : la laïcité ne se limite pas à la neutralité de l’autorité publique et ne saurait en conséquence se résumer à des interdictions, aussi justifiées soient-elles.

G. Calvès reprend une question polémique qui traverse aujourd’hui le débat public : n’assistons-nous pas à une invasion de la laïcité-neutralité dans la société ? Mais à la lecture des cas examinés avec scrupule par G. Calvès, un lecteur laïque ne manquera pas de se poser cette autre question : n’assistons-nous pas à une invasion du religieux dans la société, qui défie la laïcité de la « sphère publique » ? Dans « les territoires perdus de la République », la laïcité peine à exister dans les faits : ni la liberté de conscience des individus, ni le bon fonctionnement des services publics ne sont correctement protégés. Sur fond de la législation actuellement en vigueur, G. Calvès rend compte des conceptions rivales de la laïcité. En vertu du principe d’égalité entre les associations confessionnelles et les associations laïques, elle soutient la légitimité pour une association qui en ferait la demande, d’être reconnue comme association de conviction laïque, sous réserve de répondre à des critères objectivement identifiables. Sur cette question, comme sur les autres, G. Calvès expose avec objectivité les points de vue différents du sien, donnant au lecteur les éléments pour juger par lui-même.

Ainsi, le sens de la laïcité est-il en débat dans l’espace public. La laïcité est-elle prioritairement assimilable à un idéal de concorde ? d’égalité des droits ? de souveraineté populaire ? de liberté personnelle ? de promotion de l’intérêt général ? d’universalité humaine ? d’instruction ? de non domination ? de non discrimination ? … Ces perspectives ne sont nullement exclusives les unes des autres. Elles confrontent la laïcité à elle-même et aux évolutions du monde. Elles permettent ses progrès. Mais on voit aussi ce qui oppose la Ligue de l’enseignement d’aujourd’hui, pour qui la laïcité est au service de la diversité sociale et culturelle, y compris à l’école publique, et une association d’éducation populaire pour qui la laïcité est un principe d’émancipation individuelle et collective, inséparable de la rationalité critique. Toutefois, la laïcité a une consistance juridique et une cohérence normative forgées dans l’histoire. Il y a imposture à s’autoriser de la laïcité pour soutenir des idéologies sociales et politiques, contraires aux idéaux qui l’ont portée historiquement. Gwénaële Calvès prend l’exemple du groupe raciste, qui « est nécessairement hors champ » de la laïcité : « de la laïcité, chacun a la vision qu’il veut, mais si elle n’est pas tournée vers la liberté et vers l’égalité, il ne peut s’agir que d’une tentative d’escroquerie. » On ne saurait mieux dire.

On finira par cette formule aujourd’hui récurrente dans le débat public : « C’est la République qui est laïque, pas la société », reprise par G. Calvès dans la perspective juridique qui est la sienne. Mais si l’on se place du point de vue de l’histoire et des enjeux présents, la formule ne convainc pas nécessairement. Si, en effet, la République française est constitutionnellement laïque, c’est qu’en France, la laïcité n’est pas seulement celle de l’État, mais des idéaux républicains de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sortent du cadre étatique. On ne peut non plus ignorer que depuis 1946, la République française est aussi une « république sociale », comme l’atteste encore aujourd’hui l’importance de ses services publics. Quant à la laïcité de l’État elle-même, elle aurait été impossible sans la sécularisation de la société. C’est pourquoi, tout en étant formellement exacte, la formule : « C’est la République qui est laïque, pas la société » nous paraît faire écran à la compréhension de la réalité française concrète, car elle ne tient pas compte des interférences objectives entre la société et la République. Elle semble également ignorer que la désécularisation d’une partie de la société, les pressions que la religion exerce de toutes parts et le retour en force du fanatisme religieux, fragilisent aujourd’hui l’édifice juridique de la laïcité, miné dans sa base sociale et culturelle.

Comme tout ouvrage véritablement scientifique, Territoires de la laïcité donne prise à la discussion critique, qui est un des précieux acquis d’une laïcité à faire vivre. Il faut savoir gré à Gwénaële Calvès d’avoir constamment sollicité dans son ouvrage l’intelligence de ses lecteurs.

Gwénaële Calvès, Territoires disputés de la laïcité. 44 questions (plus ou moins) épineuses, Paris, PUF, 2018.

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Ariane Mnouchkine : une idée collective du théâtre et de l'engagement

par ReSPUBLICA

 

Nous invitons nos lecteurs et lectrices à (ré)écouter l’émission de France inter du 22 avril “le grand atelier” avec Ariane Mnouchkine qui revient sur le Théâtre du Soleil et cette aventure humaine hors du commun, la laïcité, les migrants, l’action culturelle, etc.

 

Ariane Mnouchkine accueille les spectateurs à la Cartoucherie de Vincennes



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