n°877 - 28/05/2018
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Les différents Mai 68

par Évariste

 

Il y eut un mouvement étudiant, un mouvement de la jeunesse étudiante et ouvrière, un mouvement ouvrier et une aspiration de type libertaire. Il y eut très peu de convergence des luttes sociales et politiques. Mais nous avons pu vérifier une loi historique tendancielle à savoir que si une avancée sociale et politique ne s’effectue que dans une crise paroxystique, ce n’est jamais selon un affrontement ordonné et prévu à l’avance.

Avant d’analyser la séquence française, il faut rappeler que cette séquence française doit être pensée dans le contexte international  qui a beaucoup influencé la séquence française et que les différents Mai 68 ne peuvent être analysés que par rapport au passé, la guerre de trente ans (1914-1944), la période de la reconstruction, mais aussi l’avenir dans  la projection des Mai 68 dans les années 70 et le passage au modèle politique néolibéral qui a permis, dès 1983, à l’oligarchie de reconstituer les taux de profits qui ont été largement impactés par la baisse des taux de profits dans l’économie réelle. Malheureusement aucune organisation n’a été capable de penser cette complexité, de la clarifier puis d’en faire une bataille culturelle gramscienne. C’est-à-dire de lier les combats politique, économique et culturel.

I – Le mouvement étudiant

Il faut commencer par noter que les mouvements étudiants de 1967-68 ont été précédés par une forte massification de l’Université. Elle mettait alors pour la première fois des étudiants des classes populaires avec des étudiants des couches moyennes intermédiaires et supérieures.

La grande bourgeoisie avait un besoin de plus de cadres et techniciens mais elle n’a pas été capable d’empêcher une crise de l’emploi qui menaçait donc les étudiants. Par ailleurs, la contradiction éclata entre les objectifs annoncés par l’université (esprit critique, égalité, etc.) et le fait que l’on préparait les étudiants à servir servilement les intérêts de l’oligarchie capitaliste. Puis, l’ordre moral et sexuel devenait étouffant. En dernier lieu, les étudiants, étant coupés du cycle de production, ils avaient donc tendance à l’idéalisme philosophique et donc à ne répondre aux abstractions de l’oligarchie que par des abstractions contradictoires sans appréhender complètement le réel.

Notons également, l’importance des luttes de libération nationale (Vietnam, Algérie) et anti-impérialistes qui ont largement politisées l’ensemble de la jeunesse dans les années qui ont précédé Mai 68.

Devant la mobilisation d’une forte minorité des étudiants, le gouvernement prend trois décisions : laisser intervenir contre les étudiants de gauche les fascistes du mouvement « Occident », violer la franchise des locaux universitaires, et faire intervenir la police avec brutalité.

Sur ce dernier point, au lieu d’appliquer la règle bourgeoise de « séparer la gauche du centre puis de frapper la gauche », elle décide de frapper le mouvement dans son entier. Cela a radicalisé les étudiants ! Et obligé Pompidou de reculer dès le 11 mai.

Mitterrand et le camp socialiste critique l’action du gouvernement envers les étudiants sans analyser au-delà la séquence du moment. Le PCF par son secrétaire à l’organisation Georges Marchais fustige le mouvement étudiant et focalise, par une attaque odieuse, sur Daniel Cohn-Bendit dans un éditorial de l’Humanité du 3 mai 1968 :

« De faux révolutionnaires à démasquer »

Comme toujours lorsque progresse l’union des forces ouvrières et démocratiques, les groupuscules gauchistes s’agitent dans tous les milieux. Ils sont particulièrement actifs parmi les étudiants. À l’université de Nanterre, par exemple, on trouve : les « maoïstes » ; les « Jeunesses communistes révolutionnaires » qui groupent une partie des trotskystes ; le « Comité de liaison des étudiants révolutionnaires », lui aussi à majorité trotskyste ; les anarchistes ; divers autres groupes plus ou moins folkloriques. Malgré leurs contradictions, ces groupuscules – quelques centaines d’étudiants – se sont unifiés dans ce qu’ils appellent « Le Mouvement du 22 mars Nanterre » dirigé par l’anarchiste allemand Cohn-Bendit.
Non satisfaits de l’agitation qu’ils mènent dans les milieux étudiants – agitation qui va à l’encontre des intérêts de la masse des étudiants et favorise les provocations fascistes – voilà que ces pseudo-révolutionnaires émettent maintenant la prétention de donner des leçons au mouvement ouvrier. De plus en plus on les trouve aux portes des entreprises ou dans les centres de travailleurs immigrés distribuant tracts et autres matériels de propagande.
Ces faux révolutionnaires doivent être énergiquement démasqués car, objectivement, ils servent les intérêts du pouvoir gaulliste et des grands monopoles capitalistes…Cependant, on ne saurait sous-estimer leur malfaisante besogne qui tente de jeter le trouble, le doute, le scepticisme parmi les travailleurs et, notamment, les jeunes. D’autant que leurs activités s’inscrivent dans le cadre de la campagne anticommuniste du pouvoir gaulliste et des autres forces réactionnaires. De plus, des journaux, des revues, des hebdomadaires – dont certains se réclamant de la gauche – leur accordent de l’importance et diffusent à longueur de colonnes leurs élucubrations. Enfin et surtout parce que l’aventurisme gauchiste porte le plus grand préjudice au mouvement révolutionnaire.
En développant l’anticommunisme, les groupuscules gauchistes servent les intérêts de la bourgeoisie et du grand capital… il faut combattre et isoler complètement tous les groupuscules gauchistes qui cherchent à nuire au mouvement démocratique en se couvrant de la phraséologie révolutionnaire. Nous les combattrons d’autant mieux que nous ferons toujours plus connaître les propositions du Parti et sa politique unitaire pour le progrès social, la démocratie, la paix et le socialisme.
Georges Marchais

Face à la position de Georges Marchais, le mouvement étudiant qui souhaitait en parole la révolution mettait à l’ordre du jour des slogans qui reflétaient les aspirations étudiantes . Par exemple : « il est interdit d’interdire », « Changer la vie », « chasser le flic qui est dans votre tête », « « Jouir sans entraves », etc. Tous ces mots d’ordre ne sont pas exempts de confusion et de contradiction notamment parce qu’on était loin de l’analyse matérialiste du réel et donc sans aucune chance d’aller vers l’idéal. Cette même confusion advint également ultérieurement lors de la poussée altermondialiste. Et ce mouvement étudiant donna d’une part les cadres futurs des organisations syndicales et politiques de gauche mais aussi les futurs cadres du social-libéralisme et du macronisme.

L’importance prise par Daniel Cohn-Bendit et le mouvement des 142 (devenu « mouvement du 22 mars » le 29 mars) est inversement proportionnel aux autres organisations syndicales et politiques des étudiants qui n’ont, eux, pas compris le mouvement étudiant dans le présent du dit mouvement.

II – La jeunesse étudiante et ouvrière

Mai 68 procède aussi d’une rencontre rarement étudiée entre la jeunesse ouvrière et une partie de  la jeunesse étudiante. Nous ne pouvons pas ici relater tous les faits de fraternisation réalisés dans la jeunesse en général. Cela s’est fait sous différentes formes. D’abord avec la participation de nombreux jeunes ouvriers dans les rassemblements étudiants et dans les manifestations. Mais aussi dans l’établissement de longue durée des étudiants en condition ouvrière dans les usines. Ce mouvement de fraternisation a été freiné voire empêché par l’action de la puissante CGT prenant à la lettre la position de Georges Marchais noté ci-dessus.

Mais c’est la partie de Mai 68 qui a été la plus politique et la plus révolutionnaire. C’est cette rencontre qui a permis ce grand mouvement historique et qui a poussé le plus loin possible la séquence de mai 68.

C’est dans ce mouvement-là qu’a resurgi la nécessité de « la double besogne » de la Charte d’Amiens reprise par Jean Jaurès à savoir l’articulation des revendications immédiates avec le processus de large transformation sociale et politique. Et c’est cette « double besogne » que la CGT d’alors a refusé lors de l’entrevue Seguy-Chirac. Prenons un exemple. La CGT n’a même pas demandé l’annulation des ordonnances de De Gaulle de 1967 qui tournaient le dos à la Sécu du Conseil national de la Résistance(CNR), Sécurité sociale qui était la pointe avancée du programme du CNR  voulue par la direction de la confédération CGT d’alors !!

III – La plus grande grève de l’histoire de France

Commençons par dire que  le nombre de jours de grève augmente année après année atteignant 4,2 millions dans le secteur privé en 1967. Sans même parler de la grande grève des mineurs de 1963, l’année 1967 et le début de 1968 sont marqués par un certain nombre de conflits très durs qui dénotent une situation explosive : Peugeot, Rhodiaceta, Saviem, etc. Avec en plus les ordonnances de De Gaulle de 1967 démarrant l’étatisation de la sécurité sociale. Ajouter à cela que l’impact de fraternisation de la jeunesse ouvrière et de la jeunesse étudiante  a donné du tonus aux jeunes ouvriers qui ont déclenché les premiers mouvements de grève dans les usines sans mots d’ordre de la Confédération CGT. Ce n’est qu’ensuite, avec des dizaines d’entreprises en grève  que la Confédération CGT a agit pour généraliser le mouvement de grève et porter des revendications salariales. Comme en 1789.Comme en 1917. Comme en 1936.Comme en juin 40. C’est une loi de l’histoire : C’est la base qui démarre les grands mouvements de l’histoire puis ce sont les organisations les plus structurés qui prennent en charge les mouvements sociaux et politiques. Et c’est devenu la plus grande grève de l’histoire de France par son ampleur. Dans cette période seule, seul le couple PC-CGT, encore sous influence de l’Union soviétique, était en mesure de conduire le mouvement après les phases de démarrage. Et l’Union soviétique a souhaité l’accord De Gaulle-PCF-CGT et ce fut la rencontre Séguy-Chirac qui ouvrait sur les accords de Grenelle. La décision géopolitique de l’Union soviétique a entraîné le PCF et la CGT d’alors à se servir de ce mouvement d’ampleur que pour provoquer un nouveau partage des gains de productivité sans remettre en cause Yalta. Certains se sont dit qu’il aurait été possible d’aller plus loin. Sans organisation révolutionnaire influente dans les masses populaires, aucune sortie du capitalisme n’était possible. Car si c’est toujours la base qui démarre les mouvements d’ampleur, il faut toujours des organisations syndicales et politiques pour les pousser ou pas le plus loin possible.

IV – La poussée sociétale libertaire : crise de la famille,
mouvement féministe, révolte de la jeunesse

Au sortir de la Seconde guerre mondiale la société française demeure encore, par beaucoup d’aspects, en retard idéologique par rapport au développement économique de la période de la reconstruction. Le modèle familial, le rôle des femmes, la jeunesse infantilisée par un ordre moral et sexuel d’un autre âge. Tout cela va exploser. Cette poussé libertaire a permis de rattraper le retard induit par la chape de plomb gaulliste sur le plan des mœurs et des problèmes sociétaux. Mais bien entendu, cette poussée sociétale libertaire n’était plus compatible avec la société gaulliste et le poids du catholicisme, mais toujours compatible avec le capitalisme.

Sans en nier l’impact durable, nous n’analyserons pas davantage ce Mai-là dans la mesure où il occupe abondamment la Une des médias actuellement, au détriment des trois précédents, occultés pour des raisons évidentes.

V – Comprendre la période dans une séquence longue

Isaac Joshua a de ce point de vue bien présenté la séquence. Nous lui empruntons son analyse. En France, la guerre a entraîné un violent recul du PIB (de 29 % en volume de 1913 à 1945) mais également énormément de destructions, d’usure et de non-renouvellement du capital fixe. De 1931 à 1945, le stock net de capital fixe aura chuté de 35%, le stock net d’équipements, de 41%. L’investissement en matériel des entreprises françaises ne retrouvera son sommet de 1929 qu’en 1950, tant nous partons d’un niveau dégradé à la fin du second conflit mondial ; entre 1930 et 1945, l’âge moyen de ce matériel s’est accru de près de 50 %1.

Comme il était logique, la « guerre de Trente ans 1914-1944 » (expression utilisée pour montrer que les deux Guerres mondiales sont liées) a été suivie par un violent mouvement de rattrapage, au sens de « rattraper les Etats-Unis », mais également au sens de « rattraper son retard » par rapport à ce qui aurait pu avoir lieu si la tendance de long terme s’était prolongée sur sa lancée. A cette guerre de 30 ans a répondu un rattrapage de 30 ans (1945-75). Dès que les conditions du redémarrage de l’activité ont été réunies, une vague d’accumulation s’est gonflée, alimentée par la possibilité d’importer l’avance technique déjà acquise par les Etats-Unis, et par l’existence de nombreuses occasions rentables d’investir, elles-mêmes suscitées par l’élimination d’énormes masses de capital. L’âge moyen du matériel d’industrie français s’est ainsi réduit de moitié, passant de quatorze années en 1946 à près de sept ans au début des années 19702. Le renouvellement d’ampleur du stock de capital fixe, son rajeunissement massif et la diffusion accélérée des innovations ont poussé vers le haut la productivité du travail donc du capital, soutenant le taux de profit, entraînant une expansion accélérée. De 1950 à 1973, le taux de croissance annuel moyen du PIB français se situe 3,4 points au-dessus du taux de croissance annuel moyen de ce PIB sur la période 1870-1913, que nous pouvons considérer comme représentatif de la tendance de long terme du rythme de la croissance française d’avant-guerre3.

Un rattrapage qui s’est inévitablement accompagné de bouleversements sociaux qui n’ont pas eu, faute de temps, leur traduction dans une superstructure (institutions, mœurs, culture, etc.) demeurée figée, en décalage total avec une société profondément transformée. Une évolution qui aurait dû avoir lieu de toutes façons a été considérablement retardée par le choc de la guerre de 30 ans, puis réalisée à marches forcées. Obligeant ce faisant la « superstructure » à un ajustement réalisé avec un grand retard, et donc à grand fracas, dans la brutalité d’une explosion.

La bonne image ici est celle de la tectonique des plaques. Celle-ci nous apprend que les plaques continentales glissent l’une sur l’autre. Les poussées sont gigantesques, mais les forces de frottement s’y opposent. L’ajustement tarde à se faire, les forces s’accumulent en des endroits précis et toute la structure lâche d’un coup. C’est le tremblement de terre, qui provoque d’énormes dégâts, mais rétablit, pour un temps, l’équilibre.

VI – Montée en puissance du salariat et apparition des « partenaires sociaux »

Telle est la description que nous pouvons faire si nous suivons la montée en puissance du salariat. Celle-ci se fait aux dépens de la petite production marchande, une petite production qui est, pour l’essentiel, celle de l’agriculture. Or, la grande crise et les deux conflits mondiaux étaient des moments qui n’étaient guère favorables à la mobilité de la main-d’œuvre paysanne, des moments qui incitaient plutôt au repli sur l’exploitation. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de constater que les effectifs de l’emploi en agriculture sont à peu près les mêmes au début et à la fin de la guerre de Trente ans, passant de 7,601 millions en 1913 à 7,484 millions en 1946. Trente-trois ans sont passés sans pratiquement faire bouger le curseur. Par contre, dès la Libération intervenue, la voie est enfin libre, la croissance économique très rapide et, du coup, la demande de travail particulièrement élevée dans le monde des entreprises. Il s’agit alors de rattraper le temps perdu : de 1946 à 1968, l’emploi salarié s’accroît deux fois plus vite que le rythme auquel il s’était accru de 1913 à 1946. Cet emploi salarié représentait 55 % de l’emploi total en 1913 ; nous sommes à 77 % en 1968. A quelques points près, nous passons de la moitié aux trois-quarts4

Or, l’environnement de petite production (paysannerie, artisanat, etc.) dans lequel le capitalisme a longtemps baigné a, dans le passé, atténué la portée de ses crises. En effet, l’hétérogénéité du milieu économique induit des comportements divergents qui diluent la déferlante. Au contraire, l’homogénéité de ce milieu fait que les agents économiques réagissent de la même façon et frappent tous dans le même sens, ce qui démultiplie l’impact initial. Nous pouvons donc dire que s’il y a prépondérance du salariat, cela crée une continuité des comportements qui déblaie le chemin pour le déferlement des vagues dépressives. Une telle prépondérance est un élément aggravant d’une grande portée dans la propagation et l’amplification des crises. La régulation fordiste a tenté de répondre au nouvel état des choses, un état où, qui dit consommateur, dit salarié. Pour éviter la transformation d’une défaillance passagère en dépression, il fallait soutenir la demande globale le temps que l’activité reparte. Avec le fordisme, il s’agissait, en somme, d’une réponse (temporaire) à l’actualité de la crise à dominante salariale. Ce qui passait par un rôle accru de l’Etat, par une place grandissante des transferts sociaux dans le revenu disponible des ménages, et enfin par l’affirmation d’un nouveau rapport salarial.

On le voit : pour répondre à la rapide généralisation du salariat, le fordisme était une nécessité. Mais cela n’a pas suffi à en faire une réalité. En effet, le patronat s’y est violemment opposé, rejetant tout particulièrement la concertation sociale ainsi que la gestion globale de l’économie sous la conduite de l’Etat. Or – il est frappant de le constater -, pour que ce modèle de concertation sociale se mette véritablement en place, il faudra attendre la grande négociation de 68, il faudra attendre les Accords de Grenelle. Il aura fallu 10 millions de grévistes pour que, brutalement, les pendules soient remises à l’heure, et pour qu’enfin, aux nouvelles exigences de l’économie, on fasse correspondre un nouvel espace de la négociation sociale.
En effet, le « projet de protocole d’accord » de Grenelle traite du SMIG, de la réduction de la durée du travail, de la formation, etc. Mais, pour ce qui nous concerne ici, le point essentiel est celui sur le droit syndical. Pour la première fois, dans le cadre d’un accord tripartite (syndicats, patronat, Etat), la section syndicale d’entreprise est reconnue, la liberté d’en créer garantie, ses moyens d’expression énumérés, les délégués syndicaux protégés, etc. Mais la portée des « Accords » va bien au-delà. Elle tient à leur existence même. Le patronat a toujours voulu imposer l’exclusivité de sa loi au sein de l’entreprise. Les 25, 26 et 27 mai 68, à Grenelle, la société a affirmé avec force sa primauté, celle d’une concertation sociale qui s’introduit dans l’entreprise et la réglemente. C’est à partir de là que l’on parlera, de plus en fréquemment, de « partenaires sociaux », à partir de là que les différents domaines de la vie d’entreprise seront autant de sujets de négociation collective. Mais exit « la double besogne » évoquée plus haut !

VII – Nos tâches

D’abord étudier les évolutions du temps long incluant les grands événements dont les divers Mai 68. Lier ce travail de mémoire avec l’analyse et la bataille actuelle. Très peu de débats sérieux ont eu lieu pour ce cinquantenaire de Mai 68. Alors que le mouvement réformateur néolibéral a, contrairement à notre camp, pris les bonnes mesures pour que l’oligarchie garde le pouvoir. Tant sur le plan de la bataille pour l’hégémonie culturelle néolibérale que sur les modifications de l’importance des classes sociales, de l’externalisation des coûts et des délocalisations qui ont supprimées les grandes concentrations ouvrières, des modifications de l’urbanisme, du changement des institutions, de l’éradication des conquis de 1945, de l’incorporation des demandes sociétales pour mieux combattre le social, le laïque et l’écologie refondée, etc.

Il nous reste à faire le travail que la majorité des militants rechignent à faire, à savoir faire une analyse critique, matérialiste, dialectique, du réel pour se préparer à la prochaine crise paroxystique, pour voir promues les conditions de la révolution avec la ligne politique, la stratégie et les organisations nécessaires.

Alors, on en débat quand ?

  1. Isaac Johsua, Une trajectoire du capital. De la crise de 1929 à celle de la nouvelle économie, Syllepse, pp. 50, 51, 53. []
  2. Isaac Johsua, Une trajectoire du capital…, ouvrage cité, p. 58. []
  3. Isaac Johsua, Une trajectoire du capital…., ouvrage cité, p.57. Données en volume. []
  4. Pierre Villa, Un siècle de données macro-économiques, INSEE, 1994. []
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Nouvelle-Calédonie : la République coloniale de Guylain Chevrier

par Monique Vézinet

 

On peut s’étonner que le Comité Laïcité et République ait cru bon de reprendre dans son bulletin de mai un texte de Guylain Chevrier, paru dans Atlantico et intitulé « Nouvelle-Calédonie : Macron évite habilement les pièges… mais ne règle rien » . Cet « historien » – par ailleurs vice-président du CLR – illustre en effet dans cet article comment, à partir de la défense de la  laïcité (qui n’a aucune pertinence stricto sensu dans la question néo-calédonienne) on en vient à brandir la menace d’un communautarisme, facteur de violences à l’image de celles de la grotte d’Ouvéa en 1988.  Voilà le citoyen de métropole averti par des citations prises sur Europe 1, si la République ne s’affirme pas sur ce territoire et que le non l’emporte au référendum de l’automne 2018,  il y a risque insurrectionnel de la part de la minorité indépendantiste !
La visite récente du chef de l’Etat et l’absence de prise de position de celui-ci sont le prétexte à cette incroyable proposition : « …comme si la Nouvelle-Calédonie n’était pas avant tout encore à ce jour française, et donc dans une République dont le président est le chef et dont il est censé défendre selon notre constitution l’intégrité territoriale… ». Et d’ailleurs quel coupable message de faiblesse à l’égard des métropolitains issus de l’immigration, ajoute-t-il [1]!
Outre la grossièreté du procédé de chantage[2], on ne peut s’empêcher d’évoquer d’identiques raisonnements qui ont fleuri du temps de l’Algérie française ; dans les développements de l’article sur les facteurs géo-stratégiques, on pourrait presque substituer essais atomiques et pétrole saharien à zone maritime dans le Pacifique et  nickel…

Que la Nouvelle-Calédonie soit juridiquement une « collectivité territoriale française » et non une colonie, comme l’affirme notre historien hyper-laïque ne change rien à l’affaire, il y a bien eu un processus de colonisation depuis 150 ans, avec violence et expropriations, il doit le savoir. Et  les Nations-Unies ne font pas de sémantique, réitérant  la nécessité « d’un acte libre, équitable et authentique d’autodétermination » tel que prévu par les accords de Nouméa, alors que leur Comité spécial de décolonisation (C24) suit la régularité du processus électoral sur place.

Dernière remarque à propos de la défense de la Constitution française invoquée à propos de « l’intégrité » du territoire »  : dans quel temps historique vit G. Chevrier ? ignore-t-il la complexité du peuplement des trois provinces calédoniennes en tentant d’ethniciser le camp « loyaliste » et le camp « indépendantiste » ? par hantise du multiculturalisme,  refuse-t-il de voir ce que la culture kanak du dialogue, de la terre comme propriété commune du groupe, par exemple, porte en elle de principes universalisables ? de plus voudrait-t-il  rayer de notre droit tout à la fois le référendum de novembre 1988, la loi organique de mars 1999 et loi constitutionnelle de février 2007 ? ne veut-il pas voir les tentatives de l’ex-colonisateur pour limiter la portée des accords de Nouméa, maintenir une colonie de peuplement et rogner le « corps électoral spécial »[3] ?

La notion de République est brandie en étendard, mais laquelle ? la République coloniale d’hier ? ou une République française qui croit à la promesse d’un « destin commun », veille au respect d’engagements négociés tant avec le peuple kanak qu’avec les descendants des colons et ratifiés dans le cadre national ?

Mieux encore, une fois la question institutionnelle réglée ou en attendant qu’elle le soit, ne vaut-il pas mieux s’intéresser aux enjeux sociaux et environnementaux qui conditionnent le devenir du territoire calédonien et de ses habitants ? Car s’il y a un passif de la colonisation, là comme ailleurs, c’est dans les inégalités sociales et dans les atteintes à la nature qu’il est le plus visible. Pour les forces progressistes de la métropole qui veulent utilement soutenir les forces progressistes de Kanaky, la véritable question est d’identifier celles-ci sur la base des réalités locales.
Il nous faudra prochainement y revenir.

Notes

[1] G. Chevrier a un temps collaboré au journal Riposte laïque dont la dérive ultra-droitière et raciste est connue.

[2] Il faut aussi rappeler qu’en cas de majorité du non en novembre 2018, deux référendums supplémentaires peuvent être organisés à la demande du Congrès de la Nouvelle-Calédonie dans les deux et quatre ans qui suivent.

[3] Le gauchisme anticolonial illustré par Saïd Bouamama,  dont nous combattons les positions indigénistes, est cependant bien informé sur ce point : https://bouamamas.wordpress.com/2018/04/16/loeuvre-negative-du-colonialisme-francais-en-kanaky-une-tentative-de-genocide-par-substitution/

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Mexique des insoumis et Karl Marx penseur de l'écologie

par Bernard Teper

 

Le Mexique des insoumis d’Alexandre Fernandez

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Ce livre de 250 pages, sous-titré « La grande révolution de 1910 » édité par Vendémiaire, relate l’épisode révolutionnaire du Mexique de 1910 à 1920.
Pour qui s’intéresse à l’Amérique latine et aux politiques qui s’y établissent, aux relations avec les États-Unis en particulier et les grands pays européens en général, ce livre est indispensable car c’est la première grande révolution latino-américaine.
Après un demi-siècle d’affrontements armés, le dictateur Porfirio Diaz tombe dans une crise paroxystique. Première figure de la révolution Francisco Madero. L’armée de libération sud d’Emiliano Zapata et de Genevevo de la O entre en scène. Le Morelos, sous influence d’Emiliano Zapata devient une utopie concrète d’un socialisme agraire.
La contre-révolution appuyée par l’église catholique reprend le pouvoir avec la dictature du général Victoriano Huerta.
Pancho Villa entre en scène avec sa division del Norte. Il fut rejoint par Felipe Angeles en 1914.
La jonction du sud et du Nord permet la prise de Mexico par Pancho Villa et Emiliano Zapata. Les intellectuels zapatistes Antonio Diaz Soto Y Gama et Manuel Palafox jouent un rôle important. Venustiano Carranza et Alvaro Obregon (membre de la convention d’Aguascalientes, avec Pancho Villa et Emiliano Zapata) se retirent à Veracruz. Victoriano Carranza devient le nouveau président du Mexique. La constitution de 1917 est une nouvelle avancée pour le Mexique. Aux élections suivantes, Alvaro Obregon, soutenu par le mouvement ouvrier prend le pouvoir contre Carranza après avoir défait à quatre reprises Pancho Villa. Fort déclin des forces villistes et zapatistes.
Les assassinats et les retournements d’alliances sont légions comme c’est souvent le cas avec des forces militaires prenant le pas sur les forces politico-militaires. Par ailleurs, l’opposition entre le mouvement ouvrier en développement et les forces révolutionnaires paysannes majoritaires est un des grands points faibles de la révolution mexicaine.

Karl Marx, penseur de l’écologie par Henri Pena-Ruiz

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Ce livre de 288 pages, publié par les éditions du Seuil, est en fait un agrégat de 3 livres en un. Comme Umberto Eco dans « Le nom de la rose » qui produit un agrégat de trois romans philosophique, historique et policier, Henri Pena-Ruiz écrit en fait 3 livres en un.
D’abord, ce livre correspond tout à fait à son titre et prend à contre-pied tous ceux qui parlent de Marx et d’Engels sans les avoir lu. Une fois lu ce livre, le lecteur aura toutes les preuves que le productivisme est contraire à la pensée de Marx et que ce dernier lie le productivisme au capitalisme qu’il soit concurrentiel ou monopoliste d’État comme dans le stalinisme. Il propose d’ailleurs dans son livre un chapitre 6 intitulé « Bilans du capitalisme et du stalinisme » où il présente 4 exemples de chacun des deux systèmes productivistes pour montrer que ces deux systèmes sont également à combattre.
Il sera clair que Marx et Engels mettent en place des dialectiques de l’émancipation, dialectique dans les rapports de classe entre les hommes mais dialectique aussi dans le rapport des hommes avec la nature. Il met d’ailleurs en exergue une pensée de Marx dans les Manuscrits de 1844 : « le communisme, en tant que naturalisme achevé, est un humanisme, en tant qu’humanisme achevé un naturalisme ; il est la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme. ». Bref, pour Henri Pena-Ruiz, Marx « doit être délivré de ses caricatures, et son œuvre étudiée pour elle-même » (page 32). Il rend d’ailleurs un hommage à ceux qui ont déjà montré la place de l’écologie dans la pensée de Marx à commencer par Walter Benjamin mais aussi l’américain John Bellamy Foster dans son livre « Marx écologiste ».
Quand il précise clairement sa pensée écologique dans « Le Capital » page 182 (présenté dans le livre d’Henri Pena-Ruiz en page 158 et 159) : «  Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine des sources durables de fertilité…la production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». Ou encore «  Le capital ne s’inquiète point de la durée de la force de travail. Ce qui l’intéresse uniquement, c’est le maximum qui peut en être dépensé dans une journée. Et il atteint son but en abrégeant la vie du travailleur, de même qu’un agriculteur avide obtient de son sol un plus fort rendement en épuisant sa fertilité »(Le Capital page 260 noté dans le livre d’ Henri Pena-Ruiz page 166 et 167). On ne peut pas être plus clair.
Mais ce livre est aussi un manuel qui montre le lien chez Marx et Engels entre leur pensée écologique et leur pensée économique et sociale. Ce livre est une bonne entrée dans la clarification du complexe de la pensée des deux auteurs. La nécessité de la globalisation des combats est bien montrée dans ce livre. Le lien entre l’humanisme social et le naturalisme est partout dans ce livre.
Mais ce livre est aussi un manuel de philosophie où il montre que Marx, dès sa thèse de doctorat de philosophie jusqu’à son chef d’œuvre « Le Capital », s’appuie sur une lignée de penseurs qui de Démocrite et d’Épicure aux penseurs du 19ème siècle, ce qui fait de lui un philosophe avéré du lien entre le laïque, le social et l’écologie.
Henri Pena-Ruiz réhabilite Descartes et la figure légendaire de Prométhée aux yeux de ceux qui s’intéressent à la dialectique des hommes et de la nature. Du cousu main !
En conclusion, alors que la nécessaire globalisation des combats n’est pas encore suffisamment développée en ce début de 21ème siècle, ce livre permet d’entrer facilement dans une théorie de l’émancipation humaine qui pose d’emblée les bases philosophiques et économiques d’une écologie refondée. Lire ce livre ne donnera pas un supplément d’âme mais permettra à chaque lecteur, qu’il soit un citoyen éclairé ou un militant, des clés de compréhension qui manquent cruellement aujourd’hui.

Histoire
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Retour vers l’ancien régime

par Bellon André

 

L’art est souvent révélateur des pensées dominantes, surtout lorsque les choix sont faits par les dirigeants. L’Histoire de deux personnages valent d’être regardées de près car ils eurent leurs statues en bronze avant-guerre ; elles furent fondues par les allemands sous l’occupation ; ils ont aujourd’hui à nouveau leurs représentations statuaires à Paris, mais fort différentes d’alors (Voir l’image ci-dessous).

  • Le Chevalier de La Barre, jeune homme torturé puis supplicié pour avoir refusé de saluer une procession, puis réhabilité grâce à Voltaire, avait une statue représentant son supplice dans les chaines. Il a aujourd’hui un monument qui le représente assez fringuant. Exit les chaines et le supplice.
  • Le général Dumas, père de notre grand écrivain Alexandre, né esclave, mais devenu général grâce à la Révolution était représenté de façon altière, fusil de guerre à la main. Il est aujourd’hui ramené au statut d’esclave grâce à un monument qui ne représente que des chaines.

Cherchez les erreurs et surtout regardez dans quelle régression se situe la pensée dominante.



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