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En ce début 2019, dans quelle situation sommes-nous et quelle est notre ligne stratégique ?

par Évariste

 

Nous avançons petit à petit d’une part vers des inégalités de plus en plus monstrueuses (1) et d’autre part vers une crise paroxystique (2). C’est d’abord un constat mais aussi un espoir !

Vers la crise paroxystique

Constat car nous ne sommes pas du tout sortis de la crise économique et financière de 2007-2008 car les causes sont toujours là et donc produiront les mêmes effets. Et si la date du prochain krach n’est pas connue, son inéluctabilité l’est pour tous ceux qui sont sortis des pensées magiques (tant du néo ou du post-keynésianisme que du marxisme vulgaire et dogmatique déjà réfuté par Marx de son vivant !).

Espoir car en plus de la future crise économique et financière, d’autres crises se surajoutent à celle-ci (crise laïque, crise démocratique, crise sociale, crise écologique). Et c’est la conjonction de ces crises qui va nous engager dans une crise paroxystique. Et comme l’histoire nous le montre – et comme nous l’expliquons dans les conférences du Réseau Education Populaire -, les grandes transformations sociales et politiques ne peuvent intervenir que dans une crise paroxystique.
Or, lors d’une crise paroxystique, ce ne sont jamais les organisations et leurs chefs qui déclenchent le processus révolutionnaire mais une partie du peuple mobilisé et auto-organisé. Mais une fois le processus engagé, il faut une organisation politique pour effectuer la bifurcation au bon moment et de la meilleure façon, conformément à une ligne stratégique démocratiquement constituée. Tout cela pour dire que la bifurcation révolutionnaire n’est jamais inéluctable et qu’elle est le produit d’une action humaine adéquate et demande donc de construire préalablement une théorie, une ligne, une stratégie et d’avoir conquis une nouvelle hégémonie culturelle par des campagnes massives d’éducation populaire refondée, campagnes massives souchées sur les luttes sociales de la période.

On voit donc bien tout le travail à réaliser pour être prêt au bon moment.

Bien sûr, nous n’en sommes pas encore là car de multiples conditions de la révolution citoyenne ne sont pas encore réalisées. Mais là est l’enjeu. Là sont les tâches de l’heure.

Prendre la mesure du mouvement des gilets jaunes

L’irruption du mouvement des gilets jaunes dans notre pays nous fait avancer dans cette voie car ses exigences d’égalité, de démocratie et de justice sociale et fiscale contrecarrent radicalement la marche du mouvement réformateur néolibéral tout en ringardisant toutes les organisations associatives, sociales et culturelles, syndicales de lutte et politiques de transformation sociale et politique, sans exception aucune.

Devant la criminalisation de l’action des gilets jaunes organisée par Macron, Philippe et Castaner (plus de 2 000 blessés graves chez les gilets jaunes à cause de directives scandaleuses de la place Beauvau et du manque de formation des policiers ! (3)

L’irruption des gilets jaunes a pour conséquence d’aggraver la crise de ces organisations elles-mêmes, qui devront donc se refonder si elles ne veulent pas vivoter dans l’entre soi et disparaître du cercle des organisations efficaces. Prenons un seul exemple parmi tant d’autres. Est-il crédible de vouloir l’extension de la démocratie dans la société pour une organisation politique ou syndicale dont les procédures internes sont plus proches de la démocrature que de la démocratie ?

Car telle est bien la situation. Les raisons de la colère sont là. On les présente régulièrement dans les différentes initiatives où nous sommes invités à le faire.
Mais les organisations politiques et syndicales ne sont pas, loin s’en faut, à la hauteur des enjeux soit parce qu’elles sont peu influentes dans le mouvement, soit qu’elles sont bureaucratisées à l’extrême, soit les deux à la fois. Même si des parties importantes des syndicats CGT et Sud se joignent au mouvement des gilets jaunes – ce qui explique d’ailleurs le renforcement du mouvement -, cela se fait ici mais pas là.

La CFDT est devenu le premier syndicat. La CGT, Solidaires, les enseignants de la FSU, FO reculent et comme les causes du recul ne sont pas traitées, les mêmes causes produiront les mêmes effets jusqu’à une période de refondation syndicale inéluctable mais toujours pas à l’ordre du jour.

La droite néolibérale (En marche, LR et l’extrême droite) conserve, malgré le développement des crises noté ci-dessus, plus de 70 % des suffrages exprimés. La « révolution par les urnes » semble donc aujourd’hui un mirage. Raison de plus pour comprendre le mouvement des gilets jaunes.

UE-Zone euro : sortir des pensées magiques et de la confusion

Sur l’Union européenne (UE) et la zone euro, la grande majorité du syndicalisme de lutte, des organisations politiques de la gauche de transformation sociale et politique, est sur la ligne du plan A, c’est-à-dire qu’ils sont sur la croyance que l’UE et la zone euro sont réformables de l’intérieur. Alors qu’il suffit d’analyser le fonctionnement et les traités de l’UE pour voir que tout cela a été construit pour empêcher toute politique progressiste même la plus modérée, comme nous le montrons dans les conférences du Réseau Education Populaire

Même Manon Aubry, nouvelle tête de liste de la FI, qui définit les candidats FI comme de futurs parlementaires de combat pour nous « libérer des traités » et pour « protéger nos libertés », présente le plan A comme une période de négociation et l’éventuel plan B comme un moment de désobéissance. On est loin du plan A/B initial dans lequel le plan A était un moment de désobéissance et de négociation concomitante et le plan B, la sortie si la négociation échoue. Quand on sait avec le Brexit qu’une négociation dure deux ans, qu’il faut près de 18 mois pour alimenter une nouvelle monnaie, on voit bien qu’en réalité, la FI fera campagne sur le plan A.

Restent de petites organisations aujourd’hui peu influentes qui sont directement pour un plan B de sortie immédiate à froid sans lien avec les conditions matérielles qui le permettent. C’est une vue idéaliste.

Nous avons déjà dit que nous n’étions ni favorable au plan A qui est une impasse puisque cela empêche toute politique progressiste, ni au plan B réalisé à froid, estimant qu’il ne peut pas y avoir de politique progressiste dans l’UE et la zone euro.

Nous estimons une sortie possible (le plan C) uniquement à chaud, au moment d’une crise paroxystique, crise paroxystique qui semble en formation (voir ci-dessus). Mais même si la crise paroxystique arrive, ce qui est probable, encore faut-il partir du « réel pour aller à l’idéal » (position matérialiste) et non vouloir aller vers l’idéal sans se préoccuper du réel (position idéaliste), qu’un bloc historique soit en mouvement et enfin qu’une organisation ou plusieurs soient alors à la hauteur des enjeux sur le plan de la ligne et de la stratégie. Que de chemin à parcourir pour s’y préparer ! Mais il n’y a pas d’exit heureux (voir l’article publié dans cette même lettre …)

Éviter les impasses et les pensées magiques

Encore faut-il surmonter les impasses directes (de type « républicain des deux rives » par exemple) et les pensées magiques (de type revenu universel par exemple).

Nous avons déjà exprimé dans de nombreuses conférences publiques que l’idéalisme du revenu universel ne peut se concrétiser ni dans un rêve sans réalité ni dans la suppression de la sécurité sociale et de toutes les prestations sociales (position de Milton Friedmann dans « Capitalisme et liberté » en 1962).

Quant aux stratégies des « républicains des deux rives » qui utilisent l’idée du CNR, ils oublient que le CNR historique s’est constitué à chaud entre des républicains réunis sur une même rive dans le cas d’une crise paroxystique avec un projet commun (qui s’appellera moins d’un an après « Les Jours heureux »). Rien à voir avec ceux qui clament un CNR à froid, avec une souveraineté nationale qui s’opposerait à la souveraineté populaire, dans une situation qui n’est pas encore paroxystique, qui ne rassemble pas dans l’action laïque, démocratique, sociale, écologique, les éventuels partisans du CNR à froid, qui n’a pas de projet global commun (impliquant toutes les grandes questions à l’ordre du jour) ; leur seul point d’accord serait alors la souveraineté, ce qui deviendrait une surplombance sans effet, ne répondant en rien à la question « la souveraineté pour quoi faire ? ».

Pas de cheminement vers l’émancipation sans clarification à gauche

Dans l’histoire de la gauche française, tous les rassemblements ont fédéré le peuple grâce à la liaison des combats laïques et sociaux – auxquels il faut ajouter plus fortement qu’hier les combats féministes, anti-racistes, démocratiques et écologiques. Jamais une avancée laïque ne s’est faite sans avancée sociale et vice et versa. Voilà pourquoi toutes les velléités des combats laïques apolitiques sont vouées à l’échec. Mais parallèlement, la gauche ne peut renverser la table si elle compose un tant soit peu avec les diviseurs de la gauche : ceux qui pratiquent les pensées dites décoloniales et indigénistes voire racistes, qui remplacent la lutte des classes par la lutte des races et des communautés entre elles.

Dans l’histoire de la gauche française, celle-ci s’est développée sur une base internationaliste et jamais sur une base mondialiste qui rejette la nation, position malheureusement assez fréquente à gauche en ce début de XXIe siècle. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui défendent en même temps la division du peuple avec le communautarisme, l’indigénisme, la pensée dite décoloniale, véritable cheval de Troie dans la gauche française du mouvement réformateur néolibéral. Car dans le mot internationalisme, il y a le mot nation. L’internationalisme de la République sociale se caractérise pour nous par trois items :

  • il recherche à court terme une organisation du monde fondée sur des accords et des échanges entre des États-nations pratiquant la démocratie ;
  • Il développe une solidarité entre les prolétaires de tous les pays ;
  • Il pratique la lutte des classes à l’intérieur de son État-nation.

En effet, dans l’histoire, les développements économiques ont toujours démarré par une forme de protectionnisme. Une partie de la gauche et de l’extrême gauche est néanmoins favorable par principe au libre-échange, qu’elle soit socialiste, communiste, altermondialiste, corbyniste ou autre. Pour ceux qui sont favorables à des formes de protectionnisme, il y en a au moins trois formes :

– le protectionnisme de droite et d’extrême droite qui vise à défendre les intérêts de la classe dominante de son État dirigé par elle,

– le protectionnisme solidaire de droite comme de gauche qui vise à coupler le protectionnisme avec des accords bilatéraux avec d’autres États,

– le protectionnisme écologique et social qui vise à se protéger des écarts de niveau écologique et social entre pays mais qui utilise les taxes protectionnistes pour financer une montée en puissance des niveaux écologiques et sociaux des pays économiquement les moins favorisés. C’est notre projet !

Bien sûr, nous rajoutons pour mémoire l’impérieuse nécessité de la formation, du débat et de l’éducation populaire refondée, bases de la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle !

Nous voulons une alternative progressiste !

Pour nous, elle consiste à toujours développer les droits individuels et collectifs sur la base de la dizaine des principes de la République sociale : liberté, égalité, fraternité, laïcité, démocratie, solidarité, universalité, sûreté, souveraineté populaire, développement écologique et social. Pour cela, des ruptures sont nécessaires sur le plan démocratique, laïque, social et écologique. Et des exigences sont indispensables : dégager du marché la sphère de constitution des libertés (école, services publics, sécurité sociale), refonder l’Europe en déconstruisant l’Union européenne et en la reconstruisant ensuite, réindustrialiser fortement la France sous transition écologique, engager un processus visant enfin à l’égalité hommes-femmes notamment sur les salaires et les pensions, refonder le droits de l’immigration et de la nationalité selon les trois jus : sanguinis, solis, domicili, engager la socialisation progressive des entreprises (voir le livre en deux tomes sur la « République sociale au XXIe siècle » dans la librairie militante, dans la colonne de droite du site).
Avec la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Marx 1850, Jaurès 1901) comme moyen d’avancer.

NOTES
1. Entre 2010 et 2017, les bénéfices cumulés des entreprises du CAC 40 ont augmenté de 9,3 % et les dividendes de 44 %. Sur la même période, les impôts versés par ces entreprises ont baissé de 6,4 % et leurs effectifs ont diminué de 20 %. Par ailleurs, la déconsommation affecte tous les secteurs sauf l’alimentaire et le « made in France ».
2. Eric Jamet Editeur va bientôt publier trois livres :  «  Dans quelle crise sommes-nous ? » ; une entrée dans la pensée de Marx et d’Engels aujourd’hui ; un livre qui expliquera quelles sont les différentes pistes pour sortir de l’euro, à partir d’un savoir souvent ignoré les militants sur le fonctionnement des transactions bancaires aujourd’hui. Nous lancerons alors une nouvelle campagne politique suite à la sortie de ces trois livres.
3. Nous publions dans ce même numéro de ReSPUBLICA trois textes qui font réfléchir sur l’utilisation de la violence.

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Textes pour faire réfléchir sur la violence 

par ReSPUBLICA

 

« Il y a trois sortes de violence. 

La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Ainsi s’exprimait Dom Helder Camara.

« Monsieur le Ministre de l’Intérieur, nous ne sommes pas, nous ne pouvons pas être les dupes de l’hypocrisie sociale des classes dirigeantes. […] Ce qu’elles entendent par le maintien de l’ordre, ce qu’elles entendent par la répression de la violence, c’est la répression de tous les écarts, de tous les excès de la force ouvrière ; c’est aussi, sous prétexte d’en réprimer les écarts, de réprimer la force ouvrière elle-même et laisser le champ libre à la seule violence patronale.

Ah ! Messieurs, quand on fait le bilan des grèves, quand on fait le bilan des conflits sociaux on oublie étrangement l’opposition de sens qui est dans les mêmes mots pour la classe patronale et pour la classe ouvrière. Ah ! les conditions de la lutte sont terriblement difficiles pour les ouvriers ! La violence, pour eux, c’est chose visible […]

Oui, la violence c’est une chose grossière, palpable, saisissable chez les ouvriers : un geste de menace, il est vu, il est retenu. Une démarche d’intimidation est saisie, constatée, traînée devant les juges. Le propre de l’action ouvrière, dans ce conflit, lorsqu’elle s’exagère, lorsqu’elle s’exaspère, c’est de procéder, en effet, par la brutalité visible et saisissable des actes. Ah ! Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui continueront la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. Cela ne fait pas de bruit ; c’est le travail meurtrier de la machine qui, dans son engrenage, dans ses laminoirs, dans ses courroies, a pris l’homme palpitant et criant ; la machine ne grince même pas et c’est en silence qu’elle broie […].La même opposition, elle éclate dans la recherche de responsabilités. De même que l’acte de la violence ouvrière est brutal, il est facile au juge, avec quelques témoins, de le constater, de la frapper, de le punir ; et voilà pourquoi tout la période des grèves s’accompagne automatiquement de condamnations multipliées.

Quand il s’agit de la responsabilité patronale – ah ! Laissez-moi dire toute ma pensée, je n’accuse pas les juges, je n’accuse pas les enquêteurs, je n’accuse pas, parce que je n’ai pas pu pénétrer jusqu’au fond du problème, et je veux même dire ceci, c’est quel que soit leur esprit d’équité, même s’ils avaient le courage de convenir que de grands patrons, que les ingénieur des grands patrons peuvent être exactement comme des délinquants comme les ouvriers traînés par des charrettes devant les tribunaux correctionnels, même s’ils avaient ce courage, ils se retrouvaient encore devant une difficulté plus grande parce que les responsabilités du capital anonyme qui dirige, si elles sont évidentes dans l’ensemble elles s’enveloppent dans le détail de complications, de subtilités d’évasion qui peuvent dérouter la justice […]Ainsi, tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours, est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité. »

Ainsi s’exprimait Jean Jaurès face au ministre de l’intérieur Clemenceau !

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. », stipule le dernier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793.

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Il n’y a pas d'« exit » heureux

par Anonyme

 

Source : Le blog de Descartes –  http://descartes-blog.fr/2019/01/20/il-ny-a-pas-exit-heureux/

 

Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n’y a pas d’amour heureux.
(Louis Aragon)

La crise politique qui secoue aujourd’hui la Grande Bretagne doit être pour tous ceux qui souhaitent un retour à la souveraineté nationale et qui s’imaginent naïvement qu’un tel retour pourrait se faire dans la joie et l’allégresse un sérieux avertissement. Je suis d’ailleurs toujours surpris qu’on puisse trouver parmi les souverainistes des gens qui, aveuglés par une sorte de juridisme primaire, arrivent à oublier qu’en matière de souveraineté le droit cède à la politique, et qu’un acte politique d’une telle portée ne peut que revêtir une dimension tragique.

Comment ces gens-là voient-ils le Frexit ? Après un référendum qui aura approuvé une sortie de l’Union européenne, on commencera par déposer une lettre d’intention conformément à l’article 50 du Traité. On négociera ensuite sagement pendant deux ans, et à l’issue de cette période on signera avec l’Union européenne un traité équilibré et on récupérera toute notre souveraineté tout en gardant avec nos anciens partenaires des relations cordiales. Il ne restera alors plus qu’à déboucher le champagne.

Sauf que ça ne se passera pas comme ça. Ça ne peut pas se passer comme ça. Car il en va de l’UE comme de la Mafia : personne ne doit pouvoir quitter l’organisation et vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. Une telle situation condamnerait sans appel la construction européenne. Si le Brexit devait réussir, si la Grande Bretagne se portait mieux hors de l’Union européenne que lorsqu’elle en était membre, cela pourrait donner de très mauvaises idées à d’autres pays. Il est donc capital pour les institutions bruxelloises que le Brexit soit un échec, un désastre, une catastrophe. C’est la seule manière de cultiver cette peur qui est devenue aujourd’hui le seul moyen de maintenir les peuples coincés dans l’ensemble européen. Nous ne sommes plus liés par l’amour, mais par l’épouvante, comme disait Borges.

L’hypocrisie de l’article 50 apparaît dans cette affaire dans toute son étendue. Prévoir deux ans d’une négociation que l’une des parties a tout intérêt à faire échouer ne sert à rien, sauf à user la volonté du pays qui a décidé de sortir, de donner le temps à ses élites pour trouver un moyen de revenir en arrière, aux majorités de changer. Imaginer que Bruxelles pourrait négocier de bonne foi, que les bonzes de la Commission pourraient rechercher un équilibre juste entre les intérêts des pays de l’Union et ceux de celui qui va la quitter est absurde. Le but des négociateurs bruxellois sera de montrer que hors de l’Union, point de salut.

Et pour cela, ils peuvent compter sur la complicité des élites politiques du pays sortant, élites qui portent les intérêts du « bloc dominant », principal bénéficiaire de la construction maastrichienne. Peut-on compter sur ces gens, totalement acquis à l’Union européenne, pour négocier le meilleur compromis de sortie pour leur pays ? Pour rédiger et passer la meilleure législation permettant au pays de fonctionner après la sortie ? Ou seront-ils plutôt tentés par la politique du pire pour démontrer au peuple que la sortie est impossible, que l’Union européenne est l’horizon indépassable ?

L’expérience britannique montre comment les intérêts bruxellois et ceux du « bloc dominant » local se conjuguent pour produire un accord inacceptable – au point que les deux tiers des membres de la Chambre des Communes ont voté contre le gouvernement – tout en s’assurant que le pays ne soit pas préparé à une sortie « sèche » ce qui justifie la campagne de terreur contre cette éventualité. L’objectif, qui devient clair avec le temps, est de reporter la sortie sine die, le temps de trouver un « accord acceptable » – autant dire, jusqu’à la Saint Glinglin, puisque l’Union européenne ne proposera jamais quelque chose d’acceptable pour les britanniques – solution élégante qui permet de s’asseoir sur le résultat du référendum tout en faisant mine de le respecter.

Il ne faut pas se tromper : la sortie de l’Union européenne, c’est une guerre de libération. Bien sûr, une guerre feutrée, ou les armes ne sont pas des chars et des canons, mais des armes économiques. Imaginer que l’Union européenne hésitera à saboter l’économie, la santé, la cohésion territoriale du pays sortant au nom d’on ne sait quelle « amitié européenne » c’est se bercer de douces illusions. On l’a vu avec la Grèce. Dans les rapports internationaux – et, on a tendance à l’oublier, les rapports entre états européens sont des rapports internationaux – il n’y a pas beaucoup de place pour les sentiments ou les principes. Et si vous ne me croyez pas, regardez ce qu’ont été les discussions sur le Brexit. Menaces d’asphyxie économique, soutien ouvert ou déguisé aux indépendantismes en Ecosse et dans l’Ulster, campagnes sur une prochaine pénurie de médicaments ou de papier hygiénique – non, le ridicule ne tue pas – si le Brexit devait avoir lieu…

Ceux qui – et je me compte parmi eux – militent pour un retour à la pleine souveraineté de notre pays doivent prendre conscience que le Frexit – comme n’importe quel « exit » – ne sera pas, ne peut pas être un diner de gala. Bruxelles fera tout, y compris le pire, pour montrer que hors de l’Union point de salut. C’est pour les institutions européennes une question existentielle. Imaginer qu’on puisse récupérer les instruments de la souveraineté à travers un Frexit négocié, c’est aussi absurde qu’imaginer que Vichy aurait pu récupérer la pleine souveraineté en négociant avec le IIIème Reich. Cela n’existe tout simplement pas. Secouer le joug d’une domination est toujours douloureux, coûteux, tragique. Et ceux qui choisissent cette voie doivent être prêts à assumer le fait qu’à court terme du moins ils n’ont à proposer, comme disait Churchill, que du sang, de la sueur et des larmes. Comme tout choix véritablement politique, le choix du Frexit est nécessairement un choix tragique.

C’est là le point faible dans la médiatisation du projet souverainiste. Alors que le champ idéologique est dominé par des classes intermédiaires hédonistes qui tiennent avant tout à leur petit confort, il est difficile de parler d’effort et de sacrifice. Rien n’illustre mieux cette idéologie que le récent « tweet » de Ian Brossat, tête de liste du PCF aux élections européennes, qui décidément commence bien mal sa campagne. Voici ce qu’il écrit : « Quand on voit à quel point la Grande-Bretagne galère avec le Brexit, on se dit que l’idée d’une sortie de l’UE serait une folie pour la France. Pas d’autre choix qu’une transformation profonde de l’Union européenne ». Étonnant de voir un dirigeant communiste invoquer l’esprit de madame Thacher en proclamant « qu’il n’y a pas d’autre choix ». Mais surtout, que serait devenue la France si nos ancêtres, voyant à quel point les britanniques « galéraient » sous le Blitz, avaient conclu que combattre les Allemands était une « folie » ? On a envie de pleurer lorsqu’on pense que ce sont les héritiers du « parti des fusillés » qui tient ce genre de propos. Un parti qui se dit « révolutionnaire » mais qui craint les « galères ». A quand « la révolution sans effort » ?

Et ne croyez pas que c’est mieux ailleurs. S’il y a quelque chose qui réunit Bayrou et Marine Le Pen, Brossat et Hamon, Faure et Wauquiez, Dupont-Aignan et Jadot, Macron et Mélenchon, c’est la croyance que le salut viendra non pas de la reprise en main de nos affaires, mais de la « transformation profonde de l’Union européenne ». Transformation qui, bien entendu sera indolore pour tout le monde sauf peut-être pour le « 1% », c’est-à-dire, l’autre. Tous ces personnages communient dans le rejet de la « galère » que serait une sortie de l’UE. Et c’est logique : cette « galère » terrorise les classes intermédiaires, qui tiennent à leur statut et n’aiment l’effort que quand ce sont les autres qui le font. Remarquez, on a toujours le choix de voter pour l’UPR qui, elle, croit au « Frexit heureux » par la magie du droit…

C’est pourquoi le seul espoir du camp souverainiste est de construire un récit qui soit à la foi réaliste et mobilisateur. Inutile de raconter que demain on rase gratis, notre peuple sait très bien ce qu’il faut faire de ce type de discours. La sortie de l’Union européenne serait aujourd’hui, comme la Résistance hier, une aventure. Il est irresponsable – et peu crédible – de dire le contraire. On ne sortira pas de l’Union européenne en pantoufles. Alors autant avoir du panache et raconter le Frexit comme une aventure exaltante, et non comme une noce chez les petits bourgeois. La France populaire est prête à accepter des efforts et des sacrifices – elle en a fait beaucoup ces dernières années – à condition qu’ils soient justement repartis et surtout qu’ils aient un sens, d’où le besoin d’un « récit » d’avenir qui soit plus attractif que le darwinisme social qu’on nous propose. Un « récit » terriblement difficile à construire, dans la mesure où l’ensemble de l’establishment politico-médiatique est bien décidé à en empêcher l’émergence. C’est pourquoi le travail politique fondamental à mes yeux pour les progressistes aujourd’hui est la défense des jeunes pousses de ce « récit », contre tous ceux qui prêchent la soumission et la résignation comme moyen d’éviter les « galères ».

Tant pis si la lutte est cruelle.
Après la pluie, le temps est beau.

Descartes

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"L’asile en exil", par l'Observatoire Asile Marseille

par Michel Marchand

 

ReSPUBLICA a ouvert l’année 2019 par un numéro spécial (n° 892) consacré aux mineurs étrangers en danger et fait suite à trois témoignages sur l’accueil et les maltraitances départementales de ces enfants subies dans le Tarn (n° 884), à Marseille et à Quimper (n° 885).

D’une manière plus globale, voici un ouvrage « L’asile en exil. État des lieux de l’accueil des personnes en demande d’asile à Marseille ». Ce livre de plus de 300 pages a été élaboré à l’initiative du Réseau Hospitalité créé à Marseille en 2015 qui a impulsé à l’été 2017 la création d’un Observatoire Asile à Marseille pour avoir un espace critique permettant d’énoncer et d’échanger sur les problématiques liées au dispositif d’accueil des personnes en demande d’asile. L’ouvrage, fruit d’un travail collectif, présente un large panorama de la situation à Marseille entre septembre 2017 et mai 2018 . Il montre la détérioration des conditions humaines et matérielles de l’accueil qui entraîne la négation des principes d’hospitalité et la violation de droits fondamentaux. Les problèmes d’accès aux moyens de subsistance (nourriture), à la sécurité physique (un toit, un revenu) et à la santé caractérisent des formes d’abandon, de délaissement et de mise en danger de populations civiles particulièrement vulnérables au terme d’un exil et d’un périple éprouvants.

En 2017, près de 4 000 personnes (adultes et mineurs) ont été enregistrées à la Préfecture de Marseille dont près de 1800 personnes en procédure Dublin. L’ouvrage montre à l’aide de schémas synthétiques les méandres administratifs des procédures de demande d’asile auprès de l’OFPRA, de la procédure Dublin pour renvoyer le demandeur d’asile vers le premier pays d’entrée dans l’espace européen, de la procédure pour les mineurs étrangers non accompagnés, du schéma de mise à l’abri des mineurs étrangers isolés, de la typologie des différents lieux d’hébergement (pas moins de 11 dispositifs !). Cet arsenal réglementaire constitue une « violence bureaucratique » à l’encontre de celles et ceux qui demandent protection. Les mots qui structurent l’ouvrage pour évoquer les conditions d’accueil sont le manque d’informations, les difficultés d’accès aux procédures, l’impossibilité organisée de répondre aux besoins, les personnes laissées à la rue, l’absence d’accompagnement social, l’humiliation, la faim, le recul des droits humains.

Une quarantaine de personnes exilées apportent le témoignage de ce qu’ils ont vécu ; leurs parcours, parfois de plusieurs années, sont tracés depuis le pays d’origine, la Somalie, l’Érythrée, la Syrie, l’Afghanistan jusqu’à Marseille. Les schémas d’hébergement pour un homme seul, une femme seule, une famille conduisent très souvent les personnes à la rue si elles se trouvent en dehors des « critères de vulnérabilité », eux-mêmes évolutifs et de plus en plus restrictifs. L’ouvrage apporte un éclairage révélateur et édifiant sur la situation des demandeurs d’asile, dépeinte non seulement par leurs témoignages propres, mais aussi par les membres des associations de soutien qui les accompagnent, souvent pour combler l’absence ou l’insuffisance institutionnelle.

Car pendant ce temps d’élaboration de l’ouvrage, les choses n’en sont pas restées là au niveau de Marseille et au niveau national. En novembre 2017, une soixantaine de mineurs étrangers isolés trouvaient refuge dans une église sur le Vieux -Port de Marseille en attente d’une solution d’hébergement. Faute d’accueil institutionnel plusieurs centaines de migrants trouvaient refuge dans des squats évacués en 2018. Entre février et mars 2018, un important mouvement de grève s’installait à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). A Marseille, les salariés de la Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) se mettaient en grève en avril, puis à nouveau en septembre 2018 pour dénoncer « les conditions de travail et d’accueil inacceptables ». En mars 2018, la Préfecture des Bouches-du-Rhône imposait de nouveaux « critères de vulnérabilité » rendant encore plus difficile les conditions d’hébergement des demandeurs d’asile. En septembre 2018, la nouvelle loi Asile et Immigration a été promulguée, accentuant la précarisation des personnes.
Les constats portés par cet ouvrage restent d’actualité en 2019 au moment de sa sortie.

Les auteurs n’en restent pas là, ils apportent des propositions pour un droit d’asile effectif et un accueil digne. Les préconisations concernent le dispositif d’accueil et l’accompagnement social des personnes, la procédure de demande d’asile comme la prise en charge des frais de voyage pour se rendre à l’OFPRA ou à la CNDA, l’allocation pour les demandeurs d’asile, l’accès à l’alimentation, l’accès à l’hébergement, l’accès aux soins et l’accompagnement des bénéficiaires de la protection internationale.

Au moment du Grand débat national voulu par Emmanuel Macron pour répondre aux revendications des Gilets jaunes et bien que le sujet de l’immigration ne figure pas (ou de manière très minoritaire) dans leurs « cahiers de doléances », voici donc un ouvrage sur l’immigration qui permet de se faire une opinion citoyenne sur la réalité de l’accueil des demandeurs d’asile à Marseille et en même temps probablement tout autant révélateur de la situation qui prévaut au niveau national.

L’asile en exil. État des lieux de l’accueil des personnes en demande d’asile à Marseille. 2017 – 2018. Ed. Observatoire Asile Marseille observatoireasilemars@gmail.com, prix 20 €. A la demande de l’Observatoire Asile Marseille, la publication (format pdf) est en accès libre sur son site internet à l’adresse suivante  http://www.observatoireasilemarseille.org/ou-trouver-le-livre/



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