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Appel à la mobilisation dès le 5 décembre 2019

par Évariste

 

ReSPUBLICA est de tous les combats pour défendre et promouvoir les services publics, principal outil de cohésion et de justice sociale.

Tous les conquis sociaux sont aujourd’hui attaqués par le mouvement réformateur néolibéral au service du capital. Tous les services publics sont soumis à la privatisation des profits et à la socialisation des pertes. Le président Macron en est le grand ordonnateur et le MEDEF le seul bénéficiaire. Après la forte mobilisation des hospitaliers du secteur santé du 14 novembre qui a vu pour la première fois de notre histoire au coude à coude tous les métiers de l’hôpital – les ouvriers, les paramédicaux, les médecins, les chefs de service, les personnels administratifs –, le dispositif macronien ne répond toujours pas aux besoins des citoyens et de leurs familles. Pire, il se prépare à organiser la plus grande baisse des retraites jamais réalisée dans notre histoire par le régime de retraites par points qui vise à transformer le service public des retraites comme la variable d’ajustement nécessaire à la croissance des dividendes pour le plus petit nombre. Le plus grand nombre que nous sommes devons réagir !

La bataille des retraites devient donc la mère de toutes les batailles qui doit faire reculer Macron et le Medef, car nous avons la possibilité de lier la mobilisation sur les lieux de production aux blocage des flux par la proposition des salariés de la RATP et des cheminots de tenter une grève reconductible. Une partie grandissante des gilets jaunes a décidé de converger vers le mouvement du 5 décembre. Il convient donc pour le plus grand nombre,que tous les travailleurs de toutes les branches rejoignent ce mouvement unitaire.

En considérant les 200 milliards de niches fiscales et la captation de 60 % des richesses produites en France par seulement 10 % de la population et l’enrichissement inacceptable d’une poignée de profiteurs, le financement et l’amélioration du système actuel de retraite sont largement réalisables.

Il s’agit là d’une véritable lutte entre les propriétaires du capital, leurs représentants au gouvernement et à l’Élysée, et le reste de la population qui refuse de voir son avenir par le spectre de la paupérisation.

Personne n’est dupe sur les impacts des réflexions de M. Delevoye et sur leurs traductions dans une hypothétique loi, les pensions vont baisser drastiquement (entre 20 et 30 %) et l’âge de départ en retraite sera en recul permanent.

Pour nous, pour le plus grand nombre, les droits de base du départ en retraite doivent s’appuyer sur un taux de remplacement de 75 % minimum, un âge de départ à 60 ans sans décote et un départ anticipé jusqu’à 5 ans pour les travaux pénibles. Démarrons cette lutte d’ampleur le 5 décembre 2019, pour le maintien du modèle actuel et son amélioration. Une victoire dans ce domaine aura des conséquences positives pour l’ensemble des services publics en lutte.

Compte tenu de la faiblesse de l’écoute du gouvernement et de l’Élysée face aux revendications du monde du travail, Respublica soutiendra le mouvement syndical qui entrera fortement dans la lutte pour peser lourdement sur l’économie et les pouvoirs publics.

De nombreux syndicats ont décidé de revendiquer toutes les actions décidées par les assemblées générales de grévistes dans cette lutte (la liste ci-dessus n’étant pas exhaustive).

Donc, dès le 5 décembre 2019, comme de nombreux travailleurs et retraités du pays, nous vous engageons à entrer dans une lutte pour le maintien et l’amélioration du régime général et des régimes spécifiques de retraite.

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La « politique d’identité » et sa globalisation

Entretien autour de l’ouvrage La dictature des identités

par Laurent Dubreuil, Cornell University

 

Entretien avec Jean-Noël Laurenti, membre de la Rédaction de ReSPUBLICA.

 

Jean-Noël Laurenti : Dans votre livre La dictature des identités (collection le Débat, Gallimard, 2019), vous avez analysé et dénoncé le phénomène de la politique des identités, de plus en plus prégnant aux USA, et qui commence à se manifester en France, comme l’a montré récemment l’affaire des Suppliantes d’Eschyle1)Lire à ce sujet la réaction de Sorbonne Université : https://www.sorbonne-universite.fr/newsroom/presse/reaction-lannulation-de-la-piece-de-theatre-les-suppliantes-deschyle et  l’ouverture et le préambule de la représentations de la pièce : https://www.demodocos.fr/2019/06/05/ouverture-et-preambule-a-la-representation-des-suppliantes-deschyle-au-grand-amphitheatre-de-la-sorbonne-le-21-mai-2019/, dont une représentation a été empêchée sous l’accusation de « blackface ». Pouvez-vous résumer en quoi consiste ce phénomène ?
Laurent Dubreuil : « Politique d’identité » est la traduction que je préfère pour l’expression identity politics, qui se conceptualise d’abord dans le champ militant américain au cours des années 1970. Comme le signale la juxtaposition des deux termes (identity et politics), il s’agit de refonder une pratique politique sur l’identité particulière. L’argumentation du tract signé en 1977 par le collectif Combahee River, et qui fait circuler le syntagme en question, est assez claire. Au lieu d’attendre que, par exemple, les femmes noires lesbiennes soient émancipées via la libération d’une catégorie générale (comme la classe ouvrière), on ferait mieux de poser d’abord les problèmes spécifiques et concrets que rencontrent des individus en situation d’oppression. Dès ses débuts, la politique d’identité consiste donc à promouvoir le particulier à l’encontre d’un certain universalisme (en l’occurrence celui du marxisme orthodoxe).

Mais, de manière intéressante, les premières formulations de cette identity politics, dans les années 1970 et au début des années 1980, mettent également en garde contre le risque du « fractionnement » ou de l’« isolationnisme » qui serait charrié par un identitarisme trop poussé. Or cette dernière forme d’identité politique prend le pas lors de la montée du « politiquement correct » aux États-Unis (à la fin des années 1980 et au début de la décennie suivante). On se détache plus franchement du contexte révolutionnaire qui était à l’origine du concept et des demandes au nom des « identités » commencent à se faire entendre assez bruyamment dans le débat public, via les campus mais pas uniquement. S’y allient un fonds de puritanisme traditionnel et l’usuelle défiance vis-à-vis de tout pouvoir central que l’on trouve aux États-Unis. En d’autres termes, ce deuxième âge de la politique d’identité, pour n’être plus restreint à des formes de militantisme révolutionnaire, demeure un produit très américain, et peu « exportable ». Une vaste critique, de droite comme de gauche, révèle alors les impasses de cette conception, qui reflue hors de la scène publique, mais se réfugie dans d’autres lieux-clés (comme les forums Internet).

L’âge actuel de notre identity politics entretient des liens symboliques et concrets avec ces époques antérieures, bien que la situation actuelle soit désormais tout autre : la catégorie d’identité a été largement élargie, le « foyer » américain n’est plus qu’une circonstance (ladite politique devenant d’emblée une forme globalisée), l’opposition est affaiblie.

Le premier point de ce que je nomme la politique d’identité 2.0, telle qu’elle est configurée et entretenue par la logique des réseaux sociaux électroniques, consiste dans la définition de chaque identité par une blessure, un « trauma », une oppression, une « victimisation ». Ainsi, l’identité politique devient indissociable d’une plaie forcément inguérissable, sous peine de disparition ou de renoncement à soi. En d’autres termes, l’affirmation identitaire contemporaine, tant qu’elle se maintient, est vouée à perdre sa visée émancipatrice. La perspective d’une libération est alors un simple simulacre et on passe au niveau d’un déterminisme social et (souvent) quasi génétique. La question n’est plus qui je suis ou puis devenir, mais ce que je suis, chaque identité se trouvant définie d’avance par un faisceau d’attributs, d’expériences, de sentiments, de pensées supposés communs à un groupe donné, selon ses porte-paroles autoproclamés.

Un autre aspect crucial consiste dans l’incessante prolifération de nouvelles identités, qui restent à découvrir — ce que symbolise le signe + dans la litanie des initiales de sexualités dites non-normatives : LGTBQIA+. On voit apparaître les « identités » les plus étonnantes : « identité » d’allergique aux arachides, « identité » de blonde, « identité » de premier enfant de la famille à faire des études supérieures (first generation), etc. La tendance est d’une transcription de toute réalité collective et privée en forme d’identité qui règlera d’avance ce que l’on est, fait, pense, dit.

Un troisième trait, absolument essentiel, est que la revendication politique d’identité n’est plus le seul fait d’un militantisme d’extrême-gauche ou de minorités. L’identitarisme devient dictatorial précisément parce qu’il est désormais autant de droite que de gauche, et que son approche s’impose peu à peu comme la seule forme (indiscutable) du débat politique. La soudaine émotion française en faveur de l’identité nationale relève du même mouvement. Idem pour la composante du trumpisme qui repose sur une description de l’identité blanche hétérosexuelle se prétendant la victime d’une confédération des « minorités » à son encontre.

Une dernière spécificité de notre identity politics consiste dans un fort souhait de censure, d’interdiction portée au nom de ce que je nomme les « identités navrées ». Le terrain électronique est le milieu idoine de ces initiatives de mise au silence, avec ses rituels de dénonciations outrées, ses demandes d’annulation ou d’excuses publiques, ses milices numériques appelant à une vengeance symbolique ou réelle, sa rumeur qui enfle (le buzz). De tels modes d’action se transportent à la vitesse de l’information sur le réseau électronique, et les identités reconfigurées, de ce fait, ne sont pas plus américaines que françaises. Le lieu principal de production identitariste reste les États-Unis, mais la logique est maintenant adoptée sur plusieurs continents et se développe avec ses formes locales.
Jean-Noël Laurenti : La politique des identités est une forme extrême de communautarisme, qui doit être mise en relation avec les phénomènes socio-économiques de ces dernières décennies. Quels liens peut-on établir entre elle et le capitalisme ultralibéral financiarisé ? En quoi les géants du web la servent-ils et en profitent-ils ?
Laurent Dubreuil : Pour commencer, je ne dirais pas que la politique d’identité actuelle est une forme extrême du communautarisme. La forme extrême de l’identitarisme en viendra à dissoudre les communautés elles-mêmes, qui finiront par être suspectes d’une coupable hétérogénéité. Dans les safe spaces — ces lieux sûrs et protégés pour que les membres de telle ou telle identité se retrouvent en pleine confiance —, certains propos sont bannis a priori selon des règles « évidentes » de non-agression. Dans un pareil lieu, certains individus, pourtant parties prenantes de telle identité, pourront soudain être considérés comme les pires ennemis. Pour prendre un exemple dont je ne parle pas dans mon livre, certaines militantes lesbiennes « radicales » sont actuellement dénoncées comme des transphobes par d’autres activistes LGBT. Le fractionnement identitaire ne renforce les communautés organisées que dans un premier temps. L’étape suivante sera une atomisation de sujets réifiés d’avance par les caractères officiels des identités standardisés dont ils doivent participer.

Tout cela est évidemment en rapport avec l’enrégimentement de la vie que produit actuellement le capitalisme mondialisé, communicationnel et technologique. Les réseaux sociaux somment chacun de s’identifier en permanence et d’agir comme il faut et selon. Vu le type d’algorithmes utilisés par les entreprises commerciales de la Toile, l’intérêt est de vous reprogrammer de manière assez simple, afin de vous fournir ensuite les produits dont votre identité a besoin. La politique d’identité des années 1970-90 n’avait guère recours au Web, mais la forme nouvelle est particulièrement adaptée au système de quadrillage de la parole et des comportements publics que promeut Facebook par exemple. À cela s’ajoute le choix, sur Internet, du soliloque ou du monologue comme modes privilégiés d’intervention, ainsi que la logique de meute que constituent les listes de followers, soit (littéralement) l’ensemble des suiveurs. Enfin, il est maintenant de notoriété publique que la gestion des alertes d’informations, des notifications, des updates a été sciemment mise en place pour manipuler les mécanismes psychiques du « cerveau de la récompense », décrits par la psychologie expérimentale, en particulier dans le cas de l’addiction. J’ajoute que les études disponibles sur l’effet psychique d’une immersion quotidienne (plus de trois heures par jour) dans les réseaux sociaux établissent que la dépression et l’agressivité tendent à s’y renforcer. Cela, je pense, n’est pas directement recherché par les géants du web, mais ce mal-être généralisé ne peut qu’entretenir le cercle vicieux des identités fondées sur la blessure.
Jean-Noël Laurenti : Pensez-vous que l’Union Européenne, par l’affaiblissement des États-nations, soit un terrain favorable, voire complice, à la montée de la politique des identités ?
Laurent Dubreuil : À un niveau mondial, on peut sans doute interpréter l’essor des identités comme une tentative de réorganisation politique à grande échelle. Nous vivons de plus en plus sur deux plans : l’un est électronique, interconnecté, mondialisé ; l’autre est le cadre d’exercice du pouvoir local (nation, confédération, union, …). La percolation du niveau mondialisé vers le niveau localisé est un effet qui va prendre de plus en plus d’importance. Dans ce contexte, on peut imaginer un retour des États-nations, mais ressaisis depuis une logique identitaire, ce qui n’augure de rien de bon. Le soutènement théorique et pratique de l’Union européenne dans sa forme actuelle est éminemment compatible avec une identitarisation généralisée, moyennant quelques éléments de couleur locale pour maintenir le pittoresque. Il ne faut jamais oublier que la réalité de la politique d’identité contemporaine est d’accroître le contrôle absolu sur tous les aspects de la vie ; ce dessein n’est pas étranger à la structure bureaucratique, et donc anti-démocratique, de l’Union.

Jean-Noël Laurenti : Il est de bon ton de dire que l’humanité vit une époque complètement nouvelle, par rapport à laquelle les outils d’analyse que l’on connaissait jusqu’ici (le marxisme, par exemple) sont dépassés. Peut-on dire effectivement que l’idéologie de la politique des identités représente un courant radicalement nouveau ?

 

Laurent Dubreuil : D’un certain côté, comme je le dis dans La dictature des identités, et en lien avec l’argumentation que je donnais déjà dans Le refus de la politique, ce que nous connaissons aujourd’hui n’est jamais que la mise à jour du pire de la politique, qui ne date pas d’hier : identification des amis et des ennemis, réifications des individus et des groupes en fonction de mobiles partisans, régence extrême sur les corps et les âmes, distribution arbitraire des prébendes et des droits, etc. Les nouveautés de la politique d’identité du vingt-et-unième siècle ne sont donc que relatives et point absolues. Mais la massification de la politique identitaire, sa capacité à également affecter des positions réputées fort différentes sur l’axe droite-gauche, son extraordinaire pénétration dans les esprits interconnectés sont des phénomènes d’une ampleur et d’une urgence assez inédites.

Jean-Noël Laurenti : Pour ReSPUBLICA, le combat laïque est étroitement lié avec le combat social. Quels rapports établiriez-vous entre l’émergence de la politique des identités et les mises en cause de la laïcité ?
Laurent Dubreuil : On touche ici aux déclinaisons locales (et plutôt françaises) de la politique d’identité. La discrimination envers des populations issues d’Afrique du Nord, la méfiance vis-à-vis d’une pratique « voyante » de l’Islam sont indéniables en France. Mais du moment où musulman devient une identité navrée au sens contemporain (ce que porte, dans la pratique, la défense ordinaire contre « l’islamophobie »), on crée une catégorie opérante qui, comme toute autre identité proclamée, empêchera en fait le combat social pour l’égalité, au profit d’un maintien paradoxal de la stigmatisation qui sera à « compenser » par l’obtention de passe-droits ou de faveurs particulières. Le contexte mondial de l’islamisme s’y articulera volontiers. Dans le même temps, on assistera à la revendication des « racines chrétiennes » de l’Europe (comme si l’Europe n’existait pas avant le baptême de Clovis), et ainsi de suite.

L’identitarisme, donc, n’est pas forcément religieux, même s’il offre l’occasion stratégique de transformer une foi (forcément personnelle) et une institution cultuelle (par définition collective) en expressions d’une identité religieuse circonscrite. Cela dit, l’éloge prophylactique d’une identité « bâtarde », « judéo-grecque » contre l’identité islamiste, ainsi que le propose Philippe Val dans Cachez cette identité que je ne saurais voir, me paraît également malvenue. Ou, de façon similaire, opposer à l’identité musulmane une « identité française » qui serait fondée sur la laïcité, c’est faire une erreur assez grossière, et entrer dans un jeu dangereux, puisque, je le répète, les identités ne sont pas discutables. Les programmes politiques le sont, en revanche. J’aimerais, de ce point de vue, que la laïcité en France ne soit ni un trait identitaire, ni une relique du passé, ni une loi dont on annone la date fatidique (1905 ! 1905 !) comme on répéterait l’année de naissance de Jésus ou celle de l’Hégire, mais un projet, toujours vivant, inachevé.
Jean-Noël Laurenti : Quels sont les comportements des intellectuels vis-à-vis de la politique des identités ? La mise en question de l’universalisme, accusé d’avoir été la justification idéologique du colonialisme, n’aboutit-elle pas à un relativisme généralisé qui lui-même permet de justifier le communautarisme ?
Laurent Dubreuil : L’universalisme a souvent été un particularisme grandiloquent : l’universalisme qui « oublie » les femmes dans l’édiction de ses droits, l’universalisme qui maintient l’esclavage ou propose la ségrégation, etc. Dans l’empire colonial français, l’universalisme officiel s’est accommodé d’une myriade d’exceptions, rejetant la quasi-totalité de ses « indigènes » hors de la citoyenneté. Même après 1962, « l’universalisme à la française » (ce qui, déjà, est une bien curieuse expression) a créé des « emplois réservés » pour les Harkis et leurs descendants, a longtemps traité différemment les habitants des DOM-TOM en favorisant leur installation en métropole pour des emplois médiocres. Les exemples sont nombreux, qui montrent que la légende d’un universalisme sans faille est non seulement inexacte mais qu’elle a aussi permis des traitements différenciés. On peut donc mener une critique justifiée de l’universalisme sous deux angles : d’une part, la doctrine n’a presque jamais été à la hauteur de ses proclamations ; d’autre part, son instrumentalisation de l’universel arrive tôt ou tard à une éradication des expériences non-conformes. Je souscris à cette critique.

Toutefois, l’équation : république = universalisme = colonialisme = racisme qui est implicite dans l’indigénisme actuel est fausse, scandaleuse. Le colonialisme et le racisme s’accordent à merveille avec bien des régimes. La République française, entre la fin du dix-neuvième siècle et la Seconde guerre mondiale, abandonne largement la doctrine d’assimilation (universaliste) pour ses colonies et favorise ce que Lyautey nomme le « développement séparé ». Les indigénistes reprennent le mythe universaliste, ignorant ses accrocs et ses contradictions, tel qu’il leur a été livré par les hérauts de la République. Est-ce si étonnant ? Après tout, l’identitarisme, comme l’universalisme, a la fâcheuse tendance d’extrapoler à partir d’un cas particulier. Du moins l’universalisme peut-il être élargi par la revendication extrême de sa logique apparente — alors que l’exacerbation du particularisme n’aboutit qu’à une rigide ostension du spécifique.

Pour moi, donc, la critique de l’universalisme doit s’appliquer intégralement à la critique de l’identitarisme. Par ailleurs, nous ne devons pas renoncer à « dire du mal » de la République colonialiste, sous prétexte que l’argument pourrait ensuite être recyclé par « le camp adverse ». Obtempérer à ces incitations partisanes ne permettrait aucun dialogue intellectuel, aucune proposition de pensée. Enfin, qu’il soit clair que le régime présent et futur des identités autoritaires n’est pas relativiste car il insiste en permanence sur le départ des bons et des mauvais, des victimes et des coupables, des orateurs autorisés et des méchants à censurer.

Notes de bas de page   [ + ]

Combattre le racisme
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Pour combattre la politique de Macron, fédérons le peuple au lieu de le diviser

Lettre d'Ali Algul, délégué syndical CGT au Carrefour Bercy

par Ali Algul

 

Nous serons tous d’accord à la CGT pour dénoncer le tournant de Macron. Sous prétexte de concurrencer le RN, celui-ci s’est lancé dans une politique inouïe d’attaques contre les immigrés. Ainsi ont été annoncées la restriction de l’accès à l’aide médicale d’État, l’ouverture de nouveaux centres de rétention, etc.

Reprenant les mots de Le Pen, Edouard Philippe affirme vouloir « reprendre le contrôle de notre politique migratoire » et Macron décide de s’exprimer dans le journal d’extrême droite Valeurs Actuelles… À ceci s’ajoutent les provocations ouvertement racistes des Républicains, du RN (Dijon…).

Aucune hésitation : cette politique doit être combattue, l’unité la plus large doit être construite pour mettre cette politique raciste en échec. Et la CGT a un rôle décisif à jouer dans la construction de ce rassemblement.

Unité antiraciste !

C’est dans ce contexte que l’appel « Stop à l’islamophobie » a été publié, dans la foulée de l’émotion suscitée par l’attaque de la mosquée de Bayonne par un lepéniste fanatisé.

Je constate que ce texte ne dit pas un mot de la politique de Macron rappelée ci-dessus. Pas un seul mot… C’est un premier désaccord.

Je constate aussi que ses initiateurs s’appuient sur ces événements dramatiques pour mettre en avant une « lutte » à mener contre l’islamophobie. Cette expression est largement rejetée, y compris à gauche en raison de ses ambiguïtés, parce qu’elle disqualifie le droit à la critique des religions. Je préfère dire qu’il faut combattre la discrimination antimusulmane, expression plus claire. Côtoyant moi-même de nombreux immigrés kurdes, je mesure combien l’hostilité à l’islam peut être légitime et ne peut en tout cas être assimilée à du racisme.

Enfin, ce texte dénonce des « loi liberticides » – on ne peut que comprendre qu’il s’agit de permettre la pénétration religieuse dans les établissements scolaires et donc d’un appel à abolir la loi du 15 mars 2004 portant interdiction des signes religieux à l’école. Or cette question fait l’objet d’un large débat à gauche (je suis pour ma part favorable à préserver l’école de toute pression religieuse). Choisir d’ouvrir ce débat dans un tel texte, c’était faire le choix de la division.

Bref, ce texte est une reprise des conceptions « indigénistes » et pour cette raison même ne peut être le socle du large rassemblement antiraciste, à l’évidence nécessaire.

La signature de ce texte par le secrétaire général de la CGT est donc une erreur manifeste. Elle ne peut qu’encourager la propagation de conceptions anti-laïques et divise les travailleurs selon leurs croyances.

On comprendra aussi, que dans ces conditions, je me suis abstenu de participer à la manifestation du 10 novembre. Le déroulement de cette manifestation, dont l’ampleur est restée limitée pour les raisons décrites ci-dessus, la reprise de thématiques que ne peut partager un cégétiste, confirment que l’appel à manifester de la part de la CGT était erroné.

Pour autant, un autre appel, strictement délimité sur les questions essentielles, celle du racisme dont est victime la population immigrée et les responsabilités de Macron, centré sur notre terrain traditionnel – celui des questions de classe comme la régularisation des salariés sans papiers, la défense et le renforcement de tous les services publics au service de tous – reste nécessaire.

Sur cette base, une grande initiative nationale antiraciste demeure possible, pourvu qu’elle soit réellement unitaire.

Ouvrons la discussion

Pour ma part, jusqu’ici, je me suis abstenu d’ouvrir la discussion sur ces questions dans mon organisation syndicale. Je souhaitais en effet préserver la CGT d’un motif de division.

La signature du texte « Stop à l’islamophobie » par notre secrétaire général, sa participation démonstrative à la manifestation du 10 novembre, l’absence de la moindre réserve quant aux propos qui ont pu y être tenus, modifient la situation.

Au même titre que l’antiracisme, le rejet de l’obscurantisme, la défense de la laïcité, de l’unité des salariés font partie des valeurs que porte la CGT.

Discutons-en désormais !

 

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Pour un antiracisme radical laïque

par Zohra Ramdane

 

Le mouvement réformateur néolibéral ne peut que se féliciter de son alliance avec l’ensemble du communautarisme religieux. D’abord, cela permet à une partie de l’oligarchie de pouvoir vendre ses produits dans les monarchies pétrolières rétrogrades du Moyen-Orient. Mais ensuite, cela permet de diviser la gauche et de freiner la convergence sociale indispensable au rapport des forces. Jean Jaurès avait théorisé cela en disant que seule la laïcité est un ciment pour rassembler le peuple.
Quand des responsables d’organisations politiques et syndicales de gauche se mettent à la remorque de l’intégrisme de la confrérie des Frères musulmans, ceux-là même qui ont soutenu la Manif pour tous organisée par les intégristes catholiques ; quand on voit Macron vouloir construire « l’islam de France » autour de cette même confrérie des Frères musulmans, la boucle est bouclée. Qui n’a pas compris les liens entre la Manif pour tous, l’UOIF, le CCIF, la plateforme L.E.S Musulmans se discrédite dans la bataille sociale et politique.

D’autre part, on voit bien, pour le cas de la manifestation du 10 novembre dernier, que cette convergence ne satisfait pas non plus la plupart des responsables religieux concernés, comme le souligne Didier Leschi (président de l’Institut européen en sciences des religions) dans le Point : « La grande faute de la manifestation du 10 novembre n’est pas seulement d’avoir rassemblé les partisans d’une radicalité identitaire (entraînant même une foule à crier « Allahou akbar »), elle est de tenter de prendre en otage de cette dérive la grande majorité des responsables et des fidèles des mosquées. Car force est de constater qu’ils n’étaient pas présents dans leur force et diversité et au regard du nombre de musulmans en France. Ni l’islam subsaharien des foyers de travailleurs migrants, ni l’islam d’origine marocaine avec ses rites propres et sa volonté d’incarner un juste milieu, ni l’islam d’origine algérienne toujours meurtri par les dérives islamistes, ni l’islam d’origine turque, qui sait se manifester quand il le souhaite avec ses organisations puissantes et paraétatiques, n’étaient présents. »

Mais ce n’est pas tout. Le travail idéologique des identitaires racialistes et communautaristes qui ont investi des forces syndicales et politiques de gauche, vise à masquer le racisme anti-arabe et anti-noir pour ne voir que le racisme anti-musulman, ce qui rejoint l’opération idéologique menée par l’extrême droite du RN. Ils apportent une aide considérable au RN pour continuer son développement nauséabond et participent à la dédiabolisation de l’extrême droite française.
Par ailleurs, n’est-ce pas une victoire des « escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes » (reprise du titre du livre de Charb publié deux jours avant son assassinat) que d’avoir réussi à ce que le dictionnaire Larousse reprenne la définition qu’ils souhaitent, à savoir que l’islamophobie serait une « hostilité envers l’islam et les musulmans » ? Certains considèrent ainsi la loi de 2004 sur le port des signes religieux à l’école comme « liberticide » alors qu’une étude de l’IZA (Institute of Labor Economics) 1)« Behind the Veil: The Effect of Banning the Islamic Veil in Schools », Eric Maurin, Nicolas Navarrete H., septembre 2019. vient de montrer que cette même loi a eu un effet positif pour les femmes musulmanes sur leur niveau d’étude et qu’elle a contribué à réduire l’écart avec les élèves non musulmans.

Le racisme contre les musulmans est à combattre mais la critique des religions et de l’athéisme doit rester libre, c’est cela la liberté de conscience ! ReSPUBLICA n’a pas manqué de le rappeler il y a peu en défense de Henri Pena-Ruiz 2) Voir ainsi l’article « Soutien à Henri Pena-Ruiz »..
Que beaucoup de militants de gauche ne comprennent pas que la confrérie des Frères musulmans est de même nature que l’Opus dei chez les catholiques, que le CCIF est de même nature que Civitas ou Sens commun, cela montre tout le travail qui reste à faire pour « renverser la table ».
Pour globaliser les combats et fédérer le peuple autour des luttes sociales et politiques, commençons par lier un antiracisme radical à la laïcité !

Notes de bas de page   [ + ]

1. « Behind the Veil: The Effect of Banning the Islamic Veil in Schools », Eric Maurin, Nicolas Navarrete H., septembre 2019.
2. Voir ainsi l’article « Soutien à Henri Pena-Ruiz ».
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Des affiches cubaines à voir au MAD

par Rachel Haller

 

Le Musée des Arts Décoratifs expose en ce moment et jusqu’au 2 février 2020 trois cent affiches produites par des artistes cubains. Longtemps méconnue, la production d’affiches de l’île commence tout juste à être dévoilée et vaut assurément le coup d’œil pour ses audaces graphiques.

Arrivée à Cuba à la fin du XIXe siècle, l’affiche cubaine prend son essor pendant la période révolutionnaire en raison de l’interdiction de la publicité : l’affiche devient alors politique et culturelle. Ce medium est en effet considéré par Fidel Castro comme une « manifestation visuelle de grand format mise à la portée du peuple qui ne fréquente ni musée ni galerie » et – contrairement à d’autres pays communistes – il laisse aux artistes une liberté totale au niveau du style. L’affiche est utilisée comme moyen de propagande par le pouvoir et ses institutions, notamment le DOR (Direction Orientation Révolutionnaire) et l’OSPAAL (Organisation de Solidarité avec les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine) ; c’est ainsi qu’on retrouve des productions ayant pour sujet Che Guevera ou d’autres figures cubaines, tout comme d’autres les leaders des mouvements révolutionnaires (dont Ho Chi Minh, Patricio Lumumba, Nelson Mandela). La majeure partie de l’exposition est cependant consacrée aux affiches de cinéma, un art promu avec beaucoup de moyens par le gouvernement cubain. On peut y retrouver avec beaucoup de plaisir des affiches de films (cubains, mais aussi français, japonais, russes….) imaginées par des artistes cubains (René Azcuy Cardenas, Niko, Eduardo Munoz Bachs ou encore Antonio Reboiro) avec chacun un style bien identifié (il faut cependant jouer aux devinettes car le texte espagnol n’est pas traduit !). Ces affiches ne se contentent pas de promouvoir les films : elles sont bien des œuvres d’art elles-mêmes et permettent de découvrir toute l’inventivité d’une génération d’affichistes qui, avec des inspirations européennes, a créé à l’écart du monde un âge d’or de l’affiche.

Alfredo Rostgaard, Nixon
OSPAAAL, 1972. Offset
© Collection La contemporaine


René Azcuy Cárdenas, En el cielo y en la tierra
Dirección : Julian Dziedzina, ICAIC, 1975. Sérigraphie
© MAD, Paris

 

« Affiches cubaines. Révolution et Cinéma » (commissariat : Amélie Gastaut) au Musée des Arts Décoratifs (107 rue de Rivoli, 75001 Paris), jusqu’au 2 février 2020, billet d’entrée à partir de 11 €.



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