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Face au désastre global, construisons un « double pouvoir » !

De quoi le Covid-19 est-il le nom ? De la globalisation 

par Philippe Hervé

 

Membre de la Rédaction de ReSPUBLICA, Philippe Hervé analyse régulièrement pour le journal – et ce depuis 2008 – les développements de la crise du capitalisme monétaire : retrouvez ses textes dans le livre Dans quelle crise sommes-nous ? (voir notre Librairie militante, sur ce site).

Le Covid-19 est l’une des terribles conséquences, avec le réchauffement climatique, de ce dispositif mondial de « distanciation »  des rapports de production mis en place à la fin des années 1970. Ce dispositif hyper complexe, trop sophistiqué, à l’architecture archi baroque, était en fait fragile, très fragile. Il vient d’exploser sous nos yeux. Le coronavirus a contaminé un corps économique malade, déjà terriblement déprimé depuis la crise systémique de 2007-2008, et qui survivait difficilement en redoutant chaque hiver. La réalité concrète est implacable : ce dispositif créé par le capitalisme financier pour continuer malgré tout à imposer sa loi était programmé pour mourir jeune. C’est fait !

L’étincelle mettant « le feu à la plaine » aurait pu être une crise financière ou une guerre régionale de grande ampleur. Ce fut une crise sanitaire, que beaucoup craignaient d’ailleurs depuis l’épisode du SRAS en 2002-2003, en Chine également. Mais cette crise particulière est d’autant plus terrible que rien n’était prévu pour y faire face. Aucune stratégie, aucune tactique n’était programmée. Une guerre est parfois prévisible, une crise financière peut être limitée en partie, mais celle-ci, avec cet arrêt universel de la production, est totalement inédite. Aujourd’hui, plus de 3 milliards d’humains sont confinés chez eux sans travailler. On pourrait parler de lock-out général sur la planète. Ce caractère fulgurant est particulièrement déstabilisant pour nos dirigeants politiques et encore plus, peut-être, pour l’hyper bourgeoisie transnationale.

Le monde d’aujourd’hui n’est pas né de nulle part : il est le résultat d’une impossibilité de continuer l’exploitation du salariat et de poursuivre le dispositif des rapports sociaux hérité de la guerre froide. Des années 1960 aux années 1980, le capitalisme a été confronté à une de ses plus graves crises. Une lutte de classe d’une puissance inouïe a secoué l’Europe et l’Amérique du Nord en ces temps-là. Pour résoudre cette contradiction, vers la fin des années 1970, le capitalisme financier international a passé un accord, un deal historique, avec la Chine populaire de Feng Xiaoping : la classe ouvrière mondiale serait donc à partir de cette période progressivement décentralisée et cantonnée sous contrôle autoritaire en Asie, bien loin des métropoles occidentales pour éviter les confrontations violentes ayant amené Mai-68 en France ou le « Mai rampant » italien. La mise en place de ces « circuits longs – les productions manufacturières exigeant des parcours de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres, entre les matières premières de base et les produits finaux -, semblait être la solution définitive pour la survie du capitalisme financier. Bref, cela ressemblait à une sorte de « fin de l’histoire ». Le capitalisme envisageait après 1990 une victoire définitive et une domination sans fin sur le monde. Mais, il s’agissait d’une victoire passagère et historiquement déstabilisante au profit de la Chine populaire, porteuse dans son code génétique d’un chaos programmé.

 

Après quatre siècle d’évolution et de mutation, le capitalisme en est arrivé à son stade ultime, la financiarisation mondialisée. Ce dispositif d’exploitation planétaire est le résultat de l’évolution des rapports sociaux. Ce n’est pas un choix volontaire mais la résultante d’une lente évolution dialectique. Il est, en fait, la seule chance de survie du capital. Illustrons par une image : le capitalisme est une sorte d’automobile dont la boîte de vitesse est dépourvue de marche arrière ! Ceux qui pensent que le capitalisme peut revenir « à l’épisode précédent », c’est-à-dire à celui des années 1950 ou 1960, lorsque les bourgeoisies nationales « à la papa » géraient leurs prés carrés nationaux, l’époque des de Gaulle, Adenauer et consorts, se trompent. Ce capitalisme d’hier est depuis longtemps parti aux poubelles de l’histoire, victime qu’il fut de ses contradictions. Il sera donc illusoire de vouloir « relocaliser » usines ou services en conservant la domination du capital. Bref, comme disait Marx « l’histoire ne repasse pas les plats ».

Il faut bien comprendre que pour le moment le capital mondialisé ne dispose pas de plan B. Désemparé, il peut se montrer extraordinairement dangereux. D’autant plus que la Chine populaire, avec à sa tête le Parti communiste, peut sortir grand vainqueur de cette situation explosive. Le capitalisme occidental dirigé par les USA via des organisations telles que l’OTAN ne tolérera pas une sorte de victoire « à la loyale » des oppositions entre systèmes politiques. D’où d’immenses dangers de confrontations militaires. Déjà, l’état-major de l’US Army a alerté sur le danger des « déstabilisations politiques » que pourrait entraîner cette crise sanitaire, déstabilisations que les États-Unis ne pourraient tolérer. Avec un leader tel que Trump, tout est possible… surtout le pire.

Ne nous y trompons pas, même si la crise sanitaire proprement dite est jugulée en quelques mois (en étant très optimiste), ses conséquences seront ravageuses, en particulier pour les classes populaires. Les milliers de milliards de dollars injectés dans le système monétaire ne provoqueront qu’hyper-inflation, chômage et misère. Les « héros » d’aujourd’hui, caissières, livreurs, routiers, infirmières, éboueurs… ex « gilets jaunes » d’hier que l’on éborgnait il y a peu, seront les premières victimes de l’effondrement économique qui est le programme de « l’après-confinement » de nos dirigeants. Aucune confiance, aucune volonté d’union nationale ne doit être à l’ordre du jour dans le camp populaire !

 

Dans cette situation historique, il n’y a que deux voies, ou bien la mutation du capitalisme vers une barbarie totalitaire pour défendre son dispositif coûte que coûte, alors que celui-ci a fait défaut de manière définitive, ou bien les forces populaires ont la capacité de le renverser. Si la « révolution passive » de la domination du capital, comme disait Gramsci, l’emporte – c’est-à-dire que la multitude désarmée s’en remet pour son malheur aux ordres de réorganisation, dans la misère et la pénurie, à l’État incompétent et violent – le niveau d’oppression sera cette fois d’une ampleur inédite. La situation serait particulièrement difficile en France car policiers nationaux et municipaux, gendarmes, forment une véritable armée de plus de 300 000 hommes. N’oublions jamais que la France est le pays le plus policier du monde en termes de nombre de fonctionnaires des corps répressifs par rapport à la population. Ils ont d’ailleurs permis à l’État de « tenir le coup » en réprimant certains samedis plus de 400 manifestations de « gilets jaunes » au même moment dans le pays… Une prouesse incroyable et unique au monde ! Le danger est que le contrôle exceptionnel des citoyennes et des citoyens pendant le confinement ne devienne en fait la règle permanente pour imposer à tous l’effondrement du niveau de vie des classes populaires et des classes moyennes. 

 

La riposte ne peut venir que d’une prise de conscience par le peuple de sa force et de sa capacité autonome de mobilisation et d’action. Dire que Macron et Philippe sont incompétents, cette évidence n’a pratiquement aucun intérêt pour la suite des événements. C’est participer au « spectacle » sans plus. Devant l’incurie des gouvernants pour les petits problèmes comme pour les énormes catastrophes, il faut que dans les prochains mois et les années, émerge enfin un « double pouvoir ». Tant sur le plan sanitaire, alimentaire, scolaire, logistique, entrepreneurial, sécuritaire, etc, il faut que se construisent patiemment et rigoureusement des initiatives concrètes et pertinentes permettant aux citoyennes et citoyens de… tout simplement « s’en sortir ! » au quotidien dans le marasme à venir.
Par exemple, sur le dossier des éventuelles nationalisations d’entreprises, sans la mise en contrôle par les salariés de ces entités, le seul résultat serait de confier la gestion aux trusts monopolistes qui nous ont amenés à la situation actuelle. L’émergence de ce « double pouvoir » est la condition, et la première étape indispensable à un changement de paradigme. Il permettrait de sortir de la passivité et de la sidération qui sont les meilleures alliées de l’hyper-bourgeoisie qui nous gouverne. Des comités de quartiers, de villes et villages, d’entreprises, d’écoles … doivent être capables de se substituer aux défaillance de l’État et des structures monopolistiques. C’est par cette expérience pratique que l’on pourra avancer vers une sortie du désastre. Ce « double pouvoir » doit se faire sur la base d’une alliance de classe la plus large possible, de tout ceux qui ont à souffrir de l’incurie de nos gouvernants et qui seront spoliés. Ouvriers, chômeurs, employés, professions libérales, petits entrepreneurs, professions intellectuelles et artistiques, bref tout le peuple français dans sa réalité et sa diversité doit devenir autonome par rapport à l’État. Car si le dispositif du pouvoir reste ce qu’il est, le pire est pour demain.

 

Sans ce « double pouvoir », aucune solution politique alternative ne peut émerger. Si par contre celui-ci existe, tout est possible !

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Comment construire le « tous ensemble et en même temps » dans le mouvement social ?

Retour sur la lutte contre la contre-réforme des retraites

par Philippe Champigny

 

Il n’est pas de sauveur suprême,

Ni Dieu, Ni César, ni Tribun,

Producteurs sauvons-nous, nous-mêmes,

Décrétons le Salut Commun…

Des points positifs

Malgré un démarrage du mouvement marqué par la stratégie de la tension du gouvernement  (utilisation disproportionnée des grenades et des gaz lacrymos surpuissants), alors que les violences policières contre les manifs contre les lois travail ou celles plus récentes des gilets jaunes, étaient dans toutes les têtes, il y a eu trois mois de grèves, manifs, blocages – même temporaires -, de campagnes de tracts et d’affiches ou de vidéos, de retraites aux flambeaux, de réunions publiques, d’organisation de comités de grève locaux, etc.

Certes tout cela de façon très inégale sur le territoire, mais il aura fallu le coronavirus pour suspendre le mouvement.

Une grève bien préparée dans certains secteurs : RATP, SNCF et dans une moindre mesure ailleurs : Éducation, Culture…

Des comités de grève professionnels et interprofessionnels, des intersyndicales locales, capables de prendre moult initiatives sans attendre les consignes « d’en haut », tout en s’intégrant dans les dispositifs départementaux, régionaux et nationaux. Ce mouvement a multiplié, dans la durée un travail local, y compris en direction de certains quartiers populaires. Et ce malgré deux sessions de vacances scolaires (hiver et février). Défi peu évident, tant l’impact de la « trêve des confiseurs » ou des vacances impactaient jusque-là les possibilités de la poursuite d’une lutte d’une telle ampleur.

Localement, des gilets jaunes ont pu s’intégrer dans certains comités de grève et de lutte. Des liens nouveaux se sont tissés : des militants de la RATP ont souvent témoigné de leur surprise de voir des profs participer activement aux piquets de grève à 4 h 30 du matin devant les dépôts de bus.

Des équipes qui ne se connaissaient pas (ou mal) ont pu construire des relations de confiance, de solidarité et d’amitiés qui transcendent les étiquettes syndicales.

Les débats autour des retraites, avec parfois la découverte du film La Sociale, ont participé à commencer à se réapproprier des questions de fond : la Sécurité sociale, la répartition des richesses…

De ce point de vue, et jusqu’au coronavirus, ce mouvement a gagné la bataille de l’opinion. Pour autant, le blocage du pays via la grève générale n’a pas eu lieu.

On peut s’exonérer de toute réflexion, en déclarant qu’une fois de plus, les directions nationales ont trahi…

Si la colère des grévistes en reconductible est légitime et demande des réponses, les postures incantatoires d’avant-gardes autoproclamées – dont certains militants n’étaient eux-mêmes pas en grève reconductible – n’ont aucun intérêt pour généraliser la grève. Y compris parce que certains se cachent derrière l’absence d’appel de leur « confédération » pour ne pas se mettre en grève…

Rappelons que la grève générale ne se décrète pas. Elle se construit toujours par la dynamique des grévistes qui tournent dans les ateliers, les services etc. La tâche des équipes nationales étant d’amplifier, de faire converger, d’organiser la synchronisation. Alors pourquoi cela n’a pas été le cas ?

Si nous voulons réussir la prochaine fois, il faut partir du réel. La question de la responsabilité des équipes nationales est à examiner. Mais à notre avis il existe des problématiques plus complexes, auxquelles des réponses doivent être apportées.

Un mouvement incomplet

Tout d’abord la réalité de la grève reconductible doit être analysée. La RATP était massivement touchée, mais les autres transports publics en région l’étaient-ils ? Côté SNCF, des secteurs clés comme les conducteurs ne doivent pas masquer l’hétérogénéité du niveau de mobilisation chez les autres métiers… L’Éducation et la Culture ont pu donner lieu à des mobilisations territoriales sérieuses mais très inégales. Les avocats, certes très médiatisés, ont eu tendance à privilégier leurs revendications. La Santé, submergée par sa destruction, a de grandes difficultés à penser l’intégration des usagers dans ses mobilisations.

Pourquoi les ports, les docks et les raffineries ont-ils attendus janvier pour s’engager quelques jours dans la grève ? Au moment où les « RATPistes » et cheminots s’essoufflaient… À la Poste, aux Télécoms, malgré les efforts des équipes Sud/CGT/FO, comme dans le privé, seuls les temps forts ont eu une certaine tenue…

Le mouvement social n’a eu de cesse de multiplier, souvent avec un certain succès, les initiatives hors temps de travail pour permettre aux non-grévistes de s’intégrer dans le mouvement : retraites aux flambeaux, « guérilla » sociale contre les députés et candidats aux municipales de LREM…

Cela n’a pas empêché une nouvelle forme de « grève par procuration »1.

Que l’intersyndicale nationale n’ait pas toujours été à la hauteur du timing nécessaire, certes oui. À la veille des vacances d’hiver, annoncer une date début janvier, ou le 20 février, annoncer le 31 mars n’est pas mobilisateur. Surtout vis-à-vis de celles et ceux qui avaient déjà beaucoup de journées de grève dans la musette… Le mouvement à la base a pu dépasser la difficulté de la « trêve des confiseurs » d’hiver, mais en février, phase de reflux du mouvement, l’appel au 31 mars était très insuffisant. Il aurait été utile de rappeler aux équipes que nous étions partis pour un marathon social tout en donnant des rendez-vous plus rapprochés. Et en mettant, dès l’appel au 5 décembre, clairement et unitairement sur la table la question du blocage de l’économie par la généralisation de la grève.

De ce point de vue, certaines coordinations, malheureusement parfois auto-proclamées et cache-sexe d’autres avant-gardes éclairées (ou pas), ont eu le mérite de proposer un calendrier plus combatif : la black-week contre BlackRock (16 au 21 mars).

Qu’est-ce qui a empêché les secteurs non-grévistes (ou uniquement sur les temps forts) de « déborder » ? De partir en grève quand les salariés de la RATP et de la SNCF donnaient le tempo ?

Alors que les réseaux sociaux permettent une circulation des infos beaucoup plus horizontale que les décennies précédentes…

Préparer « Tous ensemble et en même temps »

Il faut entre autres examiner les responsabilités syndicales. Si on parle des difficultés rencontrées par nos camarades dans le privé, comment oublier de parler de la CFDT2 ?

Électoralement, cette « conf » est la première organisation syndicale (OS) dans le privé. Elle soutient toutes les contre-réformes libérales depuis au moins 1995. Certes, elle n’est pas pour le recul de l’âge pivot (mais sans jamais engager le bras de fer) mais elle est pour la retraite à points… Ces éléments donnent une indication quant à la bataille idéologique qu’elle mène contre notre classe sociale3. Elle sème suffisamment de doutes et de confusions pour que nous ne puissions pas l’ignorer – même quand notre lectorat est très critique envers la CFDT. Un travail d’explication envers les équipes CFDT et plus globalement les salariés sur les reculs sociaux auxquelles cette OS a collaboré est un élément de clarification nécessaire.

Sur le plan idéologique, la CFDT valide totalement le libéralisme et l’individualisme – qui peut séduire les salariés , cette OS est un allié objectif du capitalisme (puisqu’elle a abandonné toute notion de lutte de classes et de socialisme autogestionnaire).

L’Unsa pèse moins lourd, mais elle n’a pas jamais appelé à la grève alors que certains de « ses » secteurs y étaient très engagés. Dans l’Éducation, où elle a un poids important4, elle n’a jamais été dans la lutte. Il est édifiant de consulter certains de ses sites pour y lire le nom des rubriques « Ma carrière », « Ma mobilité », etc… Tout est renvoyé à une individualisation des rapports sociaux. Tout cela entretient les illusions du « chacun pour soi » et du « chacun contre tous ».

Le CFTC pèse encore moins lourd. Mais elle a des implantations non négligeables dans certains secteurs du privé où elle aurait pu jouer un rôle intéressant. Ce qu’elle n’a pas fait.

L’intersyndicale (IS) nationale

CGT/FO/FSU/Solidaires + des syndicats étudiants et lycéens et, ponctuellement, la CFE-CGC.

La CFE-CGC a tardé à rejoindre l’IS nationale. Elle n’a pas réussi à mobiliser grand monde et sa participation a été assez aléatoire. Les organisations de jeunes ont souvent de grandes difficultés à mobiliser la jeunesse.

Le noyau dur reste CGT/FO/FSU/Solidaires. Un bilan contradictoire reste à faire au sein de ces OS par les militant-es elles/eux-mêmes. Espérons que cela sera possible et rendu public. Quelques remarques en attendant :

Le poids des uns et des autres n’est pas le même au sein de cette IS. Sur le plan électoral, en termes de réseaux militants, la CGT est nettement devant. FO dispose d’une implantation bien supérieure à Solidaires dans le privé (ne parlons pas de la FSU qui n’est présente que dans l’Éducation, Pôle Emploi et les Territoriaux). Par contre, en période de lutte, surtout dans le public, Solidaires et la FSU peuvent représenter une dynamique non négligeable.

Sur leurs organisations internes, leurs histoires, leurs cultures, ces OS semblent aussi très différentes. Les équipes nationales n’ont pas le même rôle. Pour certains, il s’agit de « dirigeants », pour d’autres plutôt « d’animateurs / coordinateurs ».

Là où toutes ces OS ont des faiblesses, c’est dans « l’interpro ». En France, dans le droit du travail, ce sont les syndicats professionnels qui se voient attribuer des moyens humains et non les structures interprofessionnelles.

Et là cela ne se bouscule pas au portillon. Certaines interpros ont su se donner des règles statutaires pour garantir un minimum de moyens, d’autres dépendent du bon vouloir des syndicats professionnels. Eux-mêmes en recul de moyens avec les lois travail et autres circulaires Macron. Donc peu enclins à donner des moyens. Le manque de moyens financiers des structures de base doit aussi être posé. La question du financement et de la répartition des moyens doit être débattue à tous les échelons du local au national.

Par ailleurs, même si le discours public est interpro, on constate une absence de « culture interprofessionnelle » et des replis corporatistes ou localistes. Un « gauchisme corporatiste » du quotidien sévit hélas, y compris à la « base », dans des structures et équipes syndicales portant par ailleurs un discours très « radical »… Certains secteurs – en particulier les services publics – auraient pourtant tout à gagner à mobiliser de façon professionnelle et interprofessionnelle (les autres secteurs sont aussi les usagers) pour avoir une chance de gagner…

C’est une erreur centrale du syndicalisme ! Il suffit de constater les files d’attente aux permanences juridiques et syndicales (parfois assumées par les seuls retraités). Les salariés du privé (TPE/PME), les précaires, les intérimaires, les travailleurs sans papiers, ils sont des millions à ne pas bénéficier d’une section syndicale d’entreprise. Par ailleurs, la mobilité/précarité imposée par le patronat demande l’invention de structures plutôt liées aux bourses du travail ou unions locales qu’à un seul syndicat professionnel… Comment espérer mobiliser « le privé », si le syndicalisme de lutte est aussi absent de ces secteurs ?

Pour enfoncer le clou, il est utile de rappeler la faiblesse des implantations syndicales dans le privé. Quelques données rappelées par S. Béroud et J. M. Pernot dans le Monde diplomatique de mars 20205 :

  • 11 % de syndiqués en France.
  • Dans le privé en 2017, seuls 30,7 % des établissements ont au moins 1 délégué syndical. 37,6 % en 2005.
  • Des équipes épuisées par des négociations sans fin à propos de la mise en place des CSE, et avec moins de moyens qu’avec les anciennes structures DP, CHS-CCT… (une perte entre 30 et 40 %).
  • Des petits noyaux militants absorbés par la multiplication des réunions avec les DRH. Souvent ces équipes ont à peine les moyens de faire passer l’information aux salariés.
  • Un recours massif aux intérimaires dans l’automobile (30 à 50 %).
  • De plus en plus d’adhérents isolés qui n’ont pas de structures pour échanger, débattre construire une intervention syndicale.

Après l’expérience des gilets jaunes, d’autres réseaux locaux se sont aussi construits. Espérons qu’ils déboucheront sur des formes d’organisations interprofessionnelles. Il serait bon de recenser les expériences créées localement : syndicat multi-entreprises de l’UL CGT Malakoff ; syndicat des Précaires de Solidaires Isère etc.

S. Béroud et J. M. Pernot pointent aussi la question des surendettés : en 2018, 25,7 % étaient des chômeurs, 28,6 % étaient des actifs en CDI. Là encore des solidarités locales, en complément des structures humanitaires, restent à imaginer.

D’autres points faibles du syndicalisme méritent d’être identifiés. Même dans les secteurs où les statuts existent encore, le patronat est à l’offensive via le management. Tout ce qui permet de fonder une identité collective des travailleurs est traqué. Réorganisations, ventes multiples des entreprises, sous-traitances en cascade, tout ce qui précarise et déqualifie les salariés est pensé et organisé. La question de l’organisation et du sens du travail doit être un axe transversal du travail syndical. Les combats contre la souffrance au travail et la pénibilité permettent de commencer à défaire les nœuds.

Même les lieux et les temps pour manger ensemble ou faire une pause ensemble disparaissent. On pourrait y ajouter certaines formes de télétravail.

Des initiatives interprofessionnelles sont sans doute à imaginer : barbecues/repas partagés devant les boîtes et/ou les zones commerciales/industrielles. Réoccuper de façon conviviale les ronds-points comme l’ont fait les gilets jaunes. En un mot, (re)créer du lien social pour mieux combattre l’isolement et l’individualisme libéral.

Le plus important est aussi de reconstruire une pensée réellement transformatrice en termes d’émancipation et de redistribution des richesses. Nous sommes frappés de voir tant de réseaux militants découvrir les bases de la Sécurité sociale en France au travers d’une projection du film La Sociale.

Et qu’il faut revenir de ce point de vue aux principes de fonctionnement des anciennes bourses du travail (Fernand Pelloutier), bourses du travail qui faisaient de l’éducation populaire ce que les UD et les UL ont fait jusque dans les années 80… L’éducation populaire et la formation syndicale sous toutes ses formes (conférence traditionnelle, interactive, sans conférenciers, controverse populaire, débat théâtral, ciné-débats, débats multiformes, etc.)  sont directement liées au maintien du lien social.

De quoi Macron est-il le nom ?

Comme les gilets jaunes, la lutte syndicale contre la contre-réforme des retraites s’est focalisée contre Macron et son gouvernement. Cela fait deux grands mouvements qui globalement épargnent les propriétaires des moyens de production et le capitalisme financier (en gros les patrons, actionnaires, capitalistes, exploiteurs..) et ne visent que « le gouvernement » représenté par « le parti des DRH » (les macronistes et leurs variantes). Ce qui veut dire aussi que les éventuelles réponses seront financées par nos impôts et non par une réduction des dividendes…

Le macronisme est sans doute d’une nature différente de la classe politique de 1995. Ces DRH qui retrouveront une place au chaud des grosses entreprises, s’ils/elles ne sont pas réélu-es, ne craignent pas une défaite électorale. Et le capitalisme financier n’aura aucun mal à les remplacer par des clones politiques. C’est une des raisons qui explique pourquoi, contrairement à d’autres périodes politiques (Ecole publique, Juppé en 95, CPE), ils ne lâchent rien, sauf si l’économie est bloquée (voir certaines concessions faites aux gilets jaunes). Il n’est pas exclu que dans l’inconscient collectif des salariés et des syndicalistes beaucoup aient cru qu’un « remake » de 95 suffirait. Grève massive dans les transports collectifs plus quelques secteurs et « grève par procuration » pour les autres6.

Mais si l’on pousse le raisonnement un peu plus loin, la question est de savoir pourquoi la bourgeoisie financière fait-elle appel à ce parti des DRH, plutôt qu’à l’ancienne classe politique7 ?

Ce capitalisme est défensif comme nous l’écrivons dans Respublica. La crise financière accélérée par le coronavirus explique-t-elle ce besoin de finances à piquer les milliards de la protection sociale, la santé, les services publics, etc. ? Cela est important à vérifier, car cela nous permettrait de mieux évaluer le rapport de force nécessaire à construire. Car, si certains croient au Père Noël, à savoir que le capitalisme va s’effondrer de lui-même… Nous pensons nous que la bête blessée n’en est que plus dangereuse et que non seulement elle compte faire payer le krach boursier au peuple travailleur et qu’elle n’hésitera pas à avoir recours à des formes de totalitarismes, si elle le juge nécessaire.

La question des caisses de grève est à repenser en dehors de périodes de luttes interprofessionnelles8. Pour une lutte limitée à un secteur, la caisse de grève peut bénéficier du soutien de secteurs moins en pointe. Donc elle peut quasiment démarrer avec la lutte locale.

Par contre, pour des affrontements centraux contre la bourgeoisie, les caisses de grève doivent avoir été longuement abondées en amont9. Faute de quoi, elles pourront, certes, donner bonne conscience aux non-grévistes, mais ne verser que des sommes symboliques aux grévistes. La donne aurait peut-être été différente au moins pour les secteurs en pointe (RATP/SNCF…) si les caisses de grève avaient pu mieux aider les grévistes.

Il n’y a pas que la sphère syndicale10 qui doit se refonder, mais aussi les sphères politique et associative, ainsi que l’éducation populaire …

Le projet politique à court, moyen, long terme pour redonner des droits collectifs protecteurs. Pour sortir les services publics du marché… En Italie, en Allemagne et en France des libéraux parlent de « nationalisations ». Il est politiquement urgent de poser la question de la propriété des moyens de production de façon structurelle11 , mais aussi avec les faillites qui s’annoncent12. Sans doute faut-il creuser la piste des « socialisations », et non des « étatisations », qui permettraient une gestion démocratique des outils de production, sans que l’Etat puisse décider seul de reprivatiser. Pas question de socialiser les pertes pour plus tard reprivatiser les profits à venir.

Bon, il y a du boulot, camarades !

1 Voir les nombreux sondages témoignant d’un soutien au mouvement.

2 Nous parlons ici de l’orientation majoritaire de la CFDT. Pas des cédétistes qui ont été parties prenantes de la lutte.

3 Nous parlons du Salariat, mais aussi de toutes les autres formes de travail du peuple travailleur (prolétariat étant un peu trop mal perçu) : autoentrepreneurs, artisans, agriculteurs (enfin pas les patrons de l’agroalimentaire)….

4 Alors que la CGT Educ’Action, SUD Éducation et certains secteurs de la FSU, beaucoup plus faibles électoralement ont été des moteurs de la belle mobilisation de l’Éducation.

5 « La grève, malgré tous les obstacles », S. Béroud et J. M. Pernot, Le Monde diplomatique,mars 2020.

6 Même si l’article de S. Béroud et J. M. Pernot du Monde diplomatique indique que la grève était plus forte en 1995.

7 Même si certains macronistes sont souvent des membres de la vieille politique qui se sont recyclés ou qui avaient échoué dans l’ancien monde…

8 À ce sujet lire les écrits de Christian Mahieux : https://ceriseslacooperative.info/2019/12/31/caisse-de-greve/

9 Notons que seule la CFDT alimente sérieusement sa caisse de grève. Dommage qu’elle en ait oublié le sens !

10 Nous parlons ici du syndicalisme de lutte et de transformation sociale.

11 Voir le livre de Bernard Teper : Penser la République sociale pour le XXIe siècle (dans la librairie militante du site).

12 Des membres du gouvernement allemand, se posent la question de « nationaliser » des secteurs industriels outre-Rhin. Mais en restant dans le cadre de l’ordo-libéralisme ! Donc en réduisant encore plus drastiquement des budgets sociaux.

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La casse du siècle, Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent, éditions Raison d'Agir

par Philippe Champigny

 

Les éditions Raisons d’Agir viennent de mettre en téléchargement gratuit cet ouvrage. Et ce, pour contribuer à la réflexion sur le système de santé et pour manifester son soutien au service public.

On ne peut que féliciter cette maison d’édition pour cette démarche et les auteurs pour la qualité du travail argumenté et fourni.

Pour présenter ce livre donnons la parole à leurs auteurs : « Ce livre entend offrir une lecture historique et sociologique de la « crise hospitalière ». Cela à partir d’enquêtes empiriques au long cours, essentiellement quantitatives, voire ethnographiques, menées séparément par les 3 auteurs, par des entrées différentes (le financement de l’hôpital, l’organisation et les conditions de travail des soignants, les réformes de l’administration hospitalière ou encore l’impact des instruments de gestion sur les prises en charge), mais aussi à partir des travaux de sciences sociales qui tendent à se multiplier sur le sujet depuis une quinzaine d’années. »

Défenseurs du service public de santé, les auteurs resituent la casse de l’hôpital public dans un cadre qui aborde les problématiques en amont et en aval (virage ambulatoire, médecine de ville, déserts médicaux…). Le tout sans défendre le statu quo des élites mandarinales :

« Notre thèse est la suivante : l’analyse sociologique et historique des réformes hospitalières montre que la domination gestionnaire et austéritaire a tout autant conduit à cette situation de « crise » des hôpitaux que la domination mandarinale et de l’idéologie du « tout hôpital ». »

Après avoir abordé la construction historique de l’hôpital public en France, décrit les dégâts de la rationalisation du travail, pointé les illusions de l’autonomie des établissements et de la technophilie hospitalière, les auteurs nous éclairent sur les mobilisations qui s’intensifient malgré toutes les difficultés. La conclusion à propos d’ « UNE POLITIQUE À INVENTER » ouvre des pistes de contenus revendicatifs et de transformation de l’hôpital public.

Les militants engagés dans les luttes pour la défense des services publics seront frappés par la convergence des problématiques. Encore une fois citons les auteurs :

« À ce titre, l’Hôpital tout comme l’École, et donc leur personnel, connaissent les mêmes tourments : ils ploient sous le poids des attentes sociales et des exigences politiques, chargés qu’ils sont de résoudre la plus grande partie des maux d’une société secouée par la montée des inégalités. » Ce qui est dit là pour l’Hôpital et l’École, peut se décliner dans bien d’autres services publics.

Nous avons beaucoup de réflexions à notre disposition encore faut-il les connaitre, les confronter et collectivement décider des priorités.

« Les forces progressistes disposent d’une quantité de propositions et de réflexions. Tout bien pesé, le problème est plus politique qu’intellectuel : la santé doit enfin devenir un enjeu politique ».

Ce livre, accessible à toutes et tous, pourrait aussi servir de base à des formations syndicales interprofessionnelles, à des sessions d’éducation populaire ancrées dans des territoires en lutte pour défendre l’hôpital, la maternité du coin et au-delà… Car si les mobilisations professionnelles ou territoriales ont bien lieu, il nous reste à construire un TOUS ENSEMBLE ET EN MÊME TEMPS pour construire un service public de santé à la hauteur des besoins des usagers que nous sommes tous et toutes ! Sans se tromper d’objectif :

« Être radical, au sens étymologique, supposerait de remonter à l’amont de l’amont et d’admettre une bonne fois pour toutes que si l’hôpital peut soigner beaucoup de choses, il ne peut en revanche guérir les maux du capitalisme. »

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Coronavirus : « On aurait pu sans doute avoir un vaccin et / ou des traitements prêts… »

par npa2009.org

 

Interview du docteur Gérard Chaouat, immunologiste et chercheur CNRS, initialement parue sur le site Internet du NPA.

Bonjour, peux-tu d’abord brièvement te présenter ?
Je suis immunologiste, chercheur CNRS dans une unité INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) en milieu hospitalier, retraité depuis 2009 mais directeur de recherches émérite, et, à ce titre, en temps normal, je vais tous les jours à mon labo.

Commençons par le commencement : CoVid ?
C’est un « nouveau » virus, pour l’homme en tout cas, puisqu’il était présent depuis longtemps chez le pangolin et la chauve-souris (la transmission vient plus probablement d’elle). La séquence du génome l’a démontré. Il n’est nul besoin d’imaginer un complot de l’armée US ou des laboratoires chinois. Des transmissions de ce genre se sont déjà produites : Ebola, le Sida où là encore les théories du complot ont surgi alors que les équipes de Pasteur en France et au Cameroun (entre autres) ont démontré le rôle des chimpanzés et/ou du singe vert. C’est un virus « émergent », comme l’a été en son temps (2002-2003) le SARS-CoV-1, responsable du SRAS, lui aussi un coronavirus. Ils appartiennent à la même famille, qui n’a rien a voir avec les virus de la grippe, mais ce coronavirus là est nettement plus contagieux que le SARS-CoV-1.

Tu parles de virus émergents. Était-ce « prévisible » ?
Oui, et je renvoie d’ailleurs à l’excellent article du Monde diplomatique de mars(1)Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020.. La multiplication des épidémies et pandémies à intervalles de plus en plus rapprochés est pour beaucoup d’éco-scientifiques liée à la mondialisation : transports aériens (qui nous mènent en quelques heures là où les caravelles prenaient des semaines) et réseaux routiers « désenclavant » les petits villages auparavant isolés – ce qui limitait la propagation – se surimposant à l’envahissement/destruction d’écosystèmes à des fins mercantiles, provoquant inévitablement la « confrontation » de l’homme à des virus avec lesquels il n’a eu aucun contact récent. Dans notre cas, la survenue d’une nouvelle épidémie à SARS était inévitable. D’où l’existence de réseaux d’alerte.

Mais était-ce prévisible, donc pouvait-on avoir une action préventive ?
Il est difficile de dire « oui » dans la mesure où les recherches ad hoc ont été stoppées avant d’aboutir. Un petit parallèle avec d’autres virus est utile. Pour la grippe, par exemple, on « prévoit » les mutations à venir, de sorte que l’on vaccine chaque année contre l’épidémie qui va survenir. Cela n’exclut pas une mutation inattendue. Ça a été le cas du H1N1 (2009-2010), mais l’existence d’équipes en alerte continue sur le sujet a permis de détenir très vite un vaccin, et de vacciner en masse. On sait que la mortalité en Europe et USA a été estimée au préalable de façon excessive, ce qui a nourri en 2010, et ensuite, les soupçons de collusion entre OMS et industrie pharmaceutique pour écouler une surproduction vaccinale.
Là, pour les corona, c’est un peu l’inverse. La structure des virus corona permettait d’envisager un/des déterminant(s) antigénique(s) commun(s) permettant le projet d’un « pan vaccin » anti-corona. Un des meilleurs spécialistes français à ce sujet, Bruno Canard, mérite d’être cité longuement : « On venait alors de lancer de grands programmes de génomique structurale sur les virus pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence. La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus. Un projet européen lancé à cette fin à l’époque a été suivi d’autres programmes. L’irruption du SARS-CoV en 2003 a illustré la pertinence de cette démarche. Cela nous a conduits à décrire une première structure cristallographique dès 2004. […] Je pense qu’énormément de temps a été perdu entre 2003 et aujourd’hui pour trouver des médicaments. En 2006, l’intérêt pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. Nous avons alors eu du mal à financer nos recherches. L’Europe s’est dégagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheurs de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Or, la science ne marche pas comme cela. Cela prend du temps et de la réflexion. […] J’ai pensé à tous les projets ANR (Agence nationale de la recherche) que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés. J’ai pensé à ce projet ANR franco-allemand, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de le redéposer tel quel un an après, et qu’on m’a finalement refusé faute de crédits. »(2) « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », lemonde.fr, 29 février 2020.

Tu veux dire que des projets de recherche sur des « pan vaccins » existaient et qu’ils n’ont pas été financés ?
Oui. D’abord, ça prend du temps de rédiger des projets et de les soumettre pour ne pas survivre qu’avec de maigres projets récurrents. Ensuite, il faut attendre et, en France, les projets retenus par l’Agence nationale de la recherche ne sont qu’une fraction des projets soumis, et c’est la même chose au niveau européen.
De plus, ces projets sont soumis en réponse le plus souvent à des « appels d’offres » qui correspondent aux sujets « en pointe », « prioritaires », à la mode ou « susceptibles de débouchés importants »… On voit ici, je vais y revenir, le danger de collusion public-privé…

Tu veux dire que les établissements français de recherche ne sont plus subventionnés comme « avant » ?
Oui. Quand j’ai démarré la recherche je fonctionnais très bien avec les seuls crédits d’État récurrents (normalement reconduits d’année en année). Puis sont apparus, à la fin des années 1970, les « actions thématiques programmées ». Mais elles représentaient une « cerise sur le gâteau ».
La situation s’est vite dégradée sous Chirac, puis Sarkozy et Hollande. D’abord, les crédits récurrents – hors grands instruments et programmes spatiaux – ont été rognés systématiquement, en dépit des promesses d’atteindre le niveau, défini par l’Europe, de 2 puis 3 % du PIB… Actuellement, un labo INSERM – favorisé par rapport au CNRS – ne fonctionne qu’à 25-30 % sur crédits récurrents, 15 à 20 % pour le CNRS. Puis sont venus les financements « privés », qui certes (ARC, LNFCC pour le cancer, legs à Pasteur ou à Curie) existaient déjà, mais une nouvelle ampleur a été donnée par Téléthon et Sidaction (« La recherche ne doit pas vivre de quêtes » reste un slogan d’actualité). Puis les fameux projets ANR.

Tu parais très critique sur la recherche sur projets…
Soyons clairs : jamais au Wellcome Research Institute ni au NIH (Bethesda, près de Washington, USA) on ne m’a demandé dans les années 1973-1974 puis 1980-1981 mon projet comme « exchange fellow » puis « visiting scientist », ni à mon retour sous Mitterrand et même Chirac au début. J’avais, attention – comme on l’a encore – une évaluation annuelle sur « rapport d’activité », et le labo était évalué tous les quatre ans, avec dépôt d’un nouveau projet pour reconduction ou fermeture. La recherche en réponse sur projets change tout. Hors thématiques que l’on ne peut abandonner (la recherche sur le Sida en est un exemple), ça donne beaucoup de définitions programmatiques par des technocrates… Or, comme disaient les manifestants au temps de « Sauver la Recherche », sous Fillon, « l’ampoule électrique n’a pas été inventée en faisant des programmes sur la prolongation de la vie et l’amélioration de la luminosité de la bougie ». Puis sont venues les fausses déclarations sur les budgets en augmentation, et en parallèle les coupes de postes… et l’arrivée des ­partenariats public-privé.

Le privé joue un rôle ?
Eh oui ! Merci Jospin, merci Allègre (et aussi Geismar), et la loi innovation recherche qui permet de créer des start-up à côté de son labo, mais aussi le crédit impôt recherche, don de milliards d’euros au privé sans retour vérifié, Cour des comptes dixit. Dans un certain nombre de cas, start-up et grosses boîtes pharmaceutiques deviennent de fait co-directeurs du labo… public.

Et les postes ?
Alors là, cata absolue : chute des postes, développement de la précarisation – très net en biologie mais pas que là –, d’où les premières manifestations sous Fillon, et la manifestation récente des collectifs de laboratoires.
Macron annonce une augmentation du budget recherche sur 10 ans…
D’abord, le compte n’y est même pas, comme le souligne le communiqué du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS). Ensuite, on a l’habitude de ces annonces. Tant qu’il n y aura pas de vote sur ça au Parlement, je resterais plus que sceptique… Pour moi, ce qui compte, c’est la situation actuelle qui est quasi catastrophique…

Alors, le virus ?
Bon, on aurait pu sans doute avoir un vaccin et/ou des traitements prêts… Mais ça, c’est un investissement sur l’avenir. Pas toujours à fonds perdus. Parfois oui. C’est comme les machines à amplification génique (PCR, Polymerase Chain Reaction) pour détecter le virus. En avoir un nombre apparemment surdimensionné aurait en fait permis un dépistage à large échelle et une stratégie à la coréenne. Alors, bon, comme dit Bruno Canard, des chercheurs vont être mobilisés en urgence sur un « crash program »… Trop peu, trop tard. Et là encore, avec œil du privé qui, depuis les années 1990, investit peu en vraie recherche, mais engrange les profits. Alors qu’on a refusé entre 2009 et 2019 d’investir dans des projets fondamentaux (j’ai pris Canard comme exemple, il y en a d’autres).
La recherche, comme les infra­structures hospitalières, est un investissement sur l’avenir et le public, pas une « short run », à flux tendu, avec personnel précarisé, pour profits immédiats. Une politique, disons-le, et on le voit à chaque crise, criminelle.

Notes de bas de page   [ + ]

1. Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde diplomatique, mars 2020.
2. « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », lemonde.fr, 29 février 2020.
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Le gouvernement est responsable du tri des patients dans les hôpitaux, qu’il l’assume !

Communiqué de l'UFAL

par UFAL

 

Face à l’afflux des patients atteints par les formes les plus graves de coronavirus, les services hospitaliers sont débordés. Certains sont d’ores et déjà obligés de faire le tri parmi les patients ; d’autres seront bientôt contraints de le faire. Le personnel hospitalier se trouve confronté à cette tragique nécessité : choisir qui il faut sauver et qui il faut laisser mourir.

Alors qu’il a contribué à ce désastre en amplifiant les politiques néolibérales de casse des services publics, le gouvernement cherche à se défausser de sa responsabilité.

Le ministre de la Santé a en effet saisi le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) pour qu’il rende un avis sur les critères de sélection des patients qu’il convenait de retenir. Il a interrogé en ce sens les associations de représentants d’usagers de santé à travers France Assos Santé. Sur le terrain, des chefs des services d’urgence ont annoncé qu’ils n’auraient désormais d’autre choix que de soigner en priorité les patients ayant le plus de chance de survie. Les patients atteints de comorbidités ou de plus de 70 ans ne seront plus placés sous respirateur et donc condamnés à mourir.

Il est inadmissible que la responsabilité de cette sélection incombe aux associations d’usagers et aux médecins, qui sont en première ligne. Ni l’éthique ni la déontologie médicale ne peuvent pallier la pénurie de matériels et le manque de lits dans les hôpitaux. Cette situation intolérable, déjà dénoncée par l’UFAL, est la conséquence prévisible de décisions politiques : depuis plus de 30 ans, les gouvernants, réforme après réforme, plan d’économie après plan d’économie, « réorganisation » après « réorganisation », ont cassé méthodiquement les services publics, dont l’hôpital.

Sous l’impulsion du Président Macron, le gouvernement a poursuivi cette politique. Il a fait la sourde oreille aux cris d’alarme et aux demandes des personnels soignants en grève depuis plus d’un an dont le constat était pourtant sans appel : « L’hôpital public se meurt », écrivaient encore 660 médecins en décembre 2019, qui menaçaient de démissionner et demandaient dans leur tribune « de réelles négociations pour desserrer la contrainte imposée à l’hôpital », car « la rigueur est devenue austérité, puis l’austérité, pénurie ».

Plutôt que chercher à se défausser de sa responsabilité, le gouvernement devrait avoir le courage de l’assumer, en disant haut et fort que les services de santé doivent sacrifier les plus âgés et les plus fragiles au nom du « dieu Marché ». Que le gouvernement assume les conséquences de son idéologie. Qu’il assume l’impossibilité de faire face à une pandémie autrement qu’en recourant aux méthodes de la médecine de guerre. Qu’il assume l’insécurité dans laquelle sa politique a plongé la population.

Le darwinisme appliqué à l’économie a maintenant atteint l’hôpital. Pour l’UFAL, la crise sanitaire que notre pays est en train de traverser doit être l’occasion d’enterrer les politiques néolibérales.

Brèves
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Catastrophe sanitaire : vers des actions de groupe

par François Cocq

 

Parce que la sortie de confinement peut être l’occasion – ou non – de rompre avec le modèle qui nous amenés dans le mur, des initiatives vont devoir être prises à la fois pour jeter les bases d’un horizon émancipateur mais aussi pour évincer de la scène les responsables des catastrophes d’aujourd’hui qui prétendent pourtant rester aux manettes demain.
Dans cette perspective, je me permets de porter à votre connaissance une initiative que j’ai prise avec d’autres (citoyens, militants, gilets jaunes…) en lançant cette semaine l’association Corona victimes, complémentaire (et en lien) des autres initiatives similaires (celle du collectif de soignants Covid 19 qui a porté plainte contre Buzyn et Philippe devant la CJR, et celle de Bruno Gaccio qui aide au dépôt de plaintes individuelles).

Corona victimes (https://www.coronavictimes.fr/  s’adresse aux victimes, malades et impactés du coronavirus et permet des actions juridiques de groupe (Corona victimes s’est ainsi associée à la plainte de Covid 19 contre Buzyn et Philippe) en regroupant actuellement des dizaines de témoignages et de demandes de dépôt de plaintes.

Laïcité
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La « clériquine », le remède miracle plus fort que la chloroquine ? Le conseil scientifique préconise le « soin pastoral » !

Communiqué de l'UFAL

par UFAL

 

Non, ceci n’est pas un canular anticlérical ! Dans un communiqué du 23 mars 2020, le conseil scientifique COVID-19 instauré par le Président de la République pour « éclairer la décision publique » considère « le soin pastoral » comme « essentiel dans toute réponse à une crise épidémique ». Il recommande donc la « création d’une permanence téléphonique nationale d’accompagnement spirituel inter-cultes ».

Vous avez dit « scientifique » ?

Est-ce bien rationnel ? Il est vrai qu’en ces temps de confinement, on ne peut rouvrir le sanctuaire de Lourdes, et les processions de flagellants ne sont plus autorisées, pas plus que l’imposition des mains par les exorcistes de la « médecine islamique », ou l’enduction de salive des marabouts. On se gaussera à loisir qu’un comité supposé « scientifique » se mêle des croyances, forcément toutes particulières, d’une population qu’il s’agit de protéger ou de soigner dans son ensemble. Tout cela sent son Moyen Âge. Le président du comité, le professeur Delfraissy, est immunologiste : il y a du souci à se faire s’il mélange croyances particulières et universalité de la science ! Mais le plus grave n’est même pas là.

Toute instance de la République doit être laïque

Dans un pays dont 60 % des habitants environ se disent incroyants, ou détachés de leur religion d’origine, une instance officielle peut-elle, en temps d’épidémie, ne se préoccuper que des 40 % restants ? C’est déjà contraire à toute règle prophylactique… « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » (La Fontaine) : « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas » (Aragon). Un conseil institué officiellement par le Président d’une République laïque auprès d’un ministre se doit de respecter absolument la liberté de conscience, et de ne reconnaître aucun culte — principes constitutionnels. Le bricolage « inter-cultes », c’est le cléricalisme, qui prétend soigner avec la « clériquine » — autrement dangereuse que la chloroquine chère au professeur Raoult !

Six religions n’ont pas le monopole des convictions spirituelles ou humanistes

Pire, le conseil « scientifique » limite sa préconisation aux « représentants des principaux cultes ». Le terme de « représentant » des cultes est déjà insupportable dans une République laïque, qui ne connaît que leurs « responsables ». Mais surtout, qui donc sont ces « principaux cultes » ? M. Macron s’est adressé par visioconférence le même 23 mars à six d’entre eux : catholique, protestant, orthodoxe, israélite, musulman, bouddhiste. Tant pis pour les autres (hindouistes, pastafaristes, taoïstes, chevaliers Jedi…) Au moins le Président avait-il convoqué (fausse symétrie sans doute) quelques associations non confessionnelles : Obédiences maçonniques, Fédération nationale de la Libre-Pensée, Comité Laïcité République(1)On veut bien que les Obédiences maçonniques soient des « autorités morales », si elles se réclament de « l’étude de la morale ». Mais que venaient faire la FNLP et le CLR dans cette galère ? La FNLP a décliné.. Or ces « autorités morales » non religieuses sont par définition exclues du soin « pastoral » prêché par le comité scientifique…

Certes, nul ne nie l’importance des facteurs moraux et psychologiques dans la lutte contre une épidémie. Il appartient à tout culte, comme à toute association non confessionnelle, de s’organiser pour soutenir ses ressortissants. Mais au nom de quoi les responsables de quelques cultes monothéistes seraient-ils plus fondés que n’importe quelle autre association convictionnelle, philosophique ou humanitaire, à apporter ce soutien moral ? Et au nom de quoi se permettraient-ils de le faire à d’autres que leurs adeptes ? Les religions, comme toute autre conviction, sont affaires privées. Elles ne sont pas « d’intérêt général ». Un « conseil scientifique » de la République n’a en aucun cas à leur reconnaître le monopole de la vie morale et spirituelle.

Notes de bas de page   [ + ]

1. On veut bien que les Obédiences maçonniques soient des « autorités morales », si elles se réclament de « l’étude de la morale ». Mais que venaient faire la FNLP et le CLR dans cette galère ? La FNLP a décliné.
Courrier des lecteurs
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Je ne suis pas en guerre.

Un poème de Marc Lacreuse

par ReSPUBLICA

 

Non Président

Je ne suis pas en guerre

Je suis en colère

Avec mes frères humains je suis en colère

Contre toi et les tiens qui avez livré notre santé, notre éducation, notre science

Nos forêts, les peuples, nos fleuves et nos mers

Nos vies mêmes aux profits de vos profits privés

De vos fortunes incommensurables

Dévoreuses d’humanités, d’arbres d’air et d’eau

Je ne suis pas en guerre

Je suis en colère

Avec mes frères humains je suis en colère

Contre toi et les tiens qui ont minutieusement organisé et abondé le démantèlement même de l’espoir

Contre toi et les tiens qui avez le sang des pauvres, des ouvriers, du peuple simple sur les mains

Et dans l’or de vos coffres

Non Président je ne suis pas en guerre

Je suis en colère

Contre toi et les tiens

Fossoyeurs de vies

Et grands pourvoyeurs d’inégalités et de misère

Une colère terrible à laquelle vous ne pourrez échapper

Aujourd’hui ou demain

Lorsque nous serons venus à bout de cette peste  qui ne vous est pas totalement étrangère

Et que nous vous demanderons de rendre comptes

De vos politiques de seigneurs

Enfin

Non président je ne suis pas en guerre

Je suis en colère

Une colère qu’aucun confinement ne peut

Endiguer.

Ni aujourd’hui

Ni demain

 



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