Mode d'emploi

Soutenir et financer

Bien que le journal électronique soit rédigé par des contributeurs non rémunérés, nous devons faire face à des frais (notamment informatique). C'est pour cela que votre aide financière est la bienvenue pour nous permettre de continuer à vous informer sur les combats de la Gauche Républicaine et Laïque. Pour ce faire vous pouvez faire une adhésion de soutien en vous inspirant du barème ci-après et en nous envoyant sur papier libre vos Noms, Prénoms, Adresse et courriel à :

Les Amis de ReSPUBLICA
27, rue de la Réunion
75020 PARIS

Barème indicatif :
Chômeurs, RMIstes, Etudiants : 10 €
SMIC et au-delà : entre 25 € et 100 €

 
A la une
Rubriques :
  • A la une
  • Chronique d'Evariste
  • lettre 928

Les conditions du « plus jamais comme avant » !

par Évariste

 

« Il ne suffit pas d’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer » : ce pastiche de la 11e thèse sur Feuerbach écrite par le jeune Marx en 1845, résume pour nous le processus à accomplir qui doit démarrer dès le jour d’après la fin du confinement. Car ce type de tâche ne peut s’engager que lors d’une crise paroxystique qui dévoile l’aporie d’un vieux système qui n’est plus capable d’être dirigé par sa vieille oligarchie sauf à entrer de plain-pied dans une démocrature (1)Un type de gouvernement qui passe d’une démocratie à une quasi-dictature par une succession de reculs démocratiques, pour aboutir in fine à un simulacre de démocratie assumée en supprimant les derniers conquis démocratiques, laïques, sociaux et écologiques qui restent encore en fonctionnement.

Si nous « venons de subir d’incroyables défaites depuis des décennies », on pourrait utiliser la formule de Marc Bloch pour qualifier ces incroyables défaites d’« étranges défaites ». Non contents de dévoiler l’aporie du système politique actuel, si nous ne voulons pas simplement contester le système, mais bien nous saisir de ce processus constituant pour produire une bifurcation démocratique, laïque, sociale et écologique, il est nécessaire pour créer une pression efficace et efficiente de nous constituer autour d’une nouvelle ligne stratégique en rupture avec celle que nous avons utilisée hier.

Oui, il faut faire bloc mais sans ceux qui de près ou de loin participent au mouvement réformateur néolibéral (qu’il soit dans sa forme macroniste ou dans sa forme union des droites incluant l’extrême droite) et avec une autre ligne stratégique que celles qui nous ont confinés dans les grandes défaites de ces dernières décennies. Oui, il y a urgence car le mouvement réformateur néolibéral compte bien utiliser les crises actuelles (sanitaire, financière, laïque, démocratique, sociale, écologique) pour durcir encore la démocrature et supprimer l’entièreté des conquis sociaux. Oui, parce que la fenêtre du processus constituant est bien ouverte pendant cette crise paroxystique et ne le sera plus dans la séquence suivante. À trop attendre, nous ne pourrons que disserter sur la formule du général étasunien Douglas Mac Arthur : « Les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard ! ».

Et ne nous laissons pas leurrer par des proclamations du type de celle du chantre du capitalisme Patrick Artus (voir sa note du 30 mars 2020 https://www.research.natixis.com/Site/en/publication/hNRsI50ITmuQOkP9jW-8YQ%3D%3D?from=website) qui prédit la fin du capitalisme néo-libéral avec sa globalisation, sa concurrence fiscale, les délocalisations et la privatisation des profits de la protection sociale – même s’il souhaite la continuation du capitalisme sous une autre forme. Or la poursuite du capitalisme sous une autre forme ne peut être que le passage en démocrature avec restrictions des libertés publiques !

Gouverner, c’est prévoir !

Dans son imprévision criminelle le gouvernement macronien n’a pas prévu la gestion de crise, obnubilé par la privatisation des profits et la socialisation des pertes contre les services publics et la sécurité sociale ! (2)Voir le texte de Frédéric Pierru et André Grimaldi intitulé « L’hôpital, Le jour d’après »paru dans Le Monde diplomatique. Car s’il l’avait fait, nous aurions eu les lits nécessaires avec ou sans réanimation, les personnels médicaux et paramédicaux en nombre et en qualité suffisants, les tests qui nous auraient permis d’appliquer la stratégie sud-coréenne de dépister toute la population et de ne confiner que les testés positifs, avec des masques de protection FFP2 et chirurgicaux pour tous! Au lieu de cela, nous avons été forcés au confinement généralisé comme au lors de la grande peste ! Avec comme conséquence une terrible future crise sociale, économique et financière. Le confinement généralisé n’est pas la méthode la plus efficace mais elle est la seule qui nous reste vu l’imprévision criminelle de nos dirigeants. Il ne s’agit pas d’erreurs ou d’incompétences, mais de choix politiques, ceux liés au capitalisme.

Trois dates méritent qu’on s’y arrête : le 29 février, c’est la priorité donnée au 49-3, le 7 mars, c’est l’incitation de Macron à des sorties théâtrales, le 12 mars, c’est le oui au premier tour de l’élection municipale ! Et une mesure qui n’est pas venue, celle de l’interdiction de payer des dividendes à l’oligarchie ! Alors que le manque de protection des salariés et les atteintes à leurs droits, c’est « en veux-tu, en voilà » par ordonnances !

Propositions mises en débat raisonné

Dans ce moment paroxystique, il faut une réponse à l’ensemble des crises existantes énumérées ci-dessus. Et pour cela, nous avons un modèle politique alternatif au modèle néolibéral, c’est celui de la République sociale, vocable né lors de la Révolution de 1848, utilisé lors de la Commune de Paris, puis lors du retour de la République avec Jean Jaurès et ses camarades. Ce modèle ressurgit lors des événements de 1936 puis fut la matrice et la pointe avancée du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) publié le 15 mars 1944.

Ce modèle reste, pour l’instant, la seule option politique alternative – à adapter aux conditions du XXIe siècle bien évidemment – qui soit évolutive, basée sur la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Karl Marx 1850, puis Jaurès, Gramsci, etc.), avec l’extension de ses principes constitutifs, de ses ruptures nécessaires et de ses conditions indispensables dont celle de la socialisation progressive des entreprises (3)Une proposition d’actualisation a été mise en débat dans l’ouvrage Penser la République sociale au XXIe siècle que vous trouverez dans la Librairie militante de Respublica.. L’utilisation de ce modèle politique alternatif nous permet de penser « la double besogne » (lier les revendications immédiates au modèle politique vers lequel on souhaite tendre) dont parle tant la Charte d’Amiens du syndicalisme que la pensée jaurésienne dans le champ politique. Il s’agit de commencer à repenser et construire une société post-capitaliste.

La crise sanitaire due au virus Sars-Cov-2 doit nous amener à mettre la priorité sur les points suivants :

  • Sur les politiques de santé : en préalable, le retour à la définition de la santé de l’OMS en 1946, à savoir non seulement l’absence de maladies mais le bien être physique, mental et social.
    En pratique, sanctuarisation (y compris financière) et développement des services publics en général et de la santé et de la Sécurité sociale en particulier. Il s’agit là de refonder les services de santé et de Sécurité sociale autour des trois conditions révolutionnaires (démantelées par le mouvement réactionnaire de 1967 à nos jours) : financement séparé par le salaire socialisé de cotisation sociale ; gestion par les assurés eux-mêmes comme entre 1945 et 1967 et non par le le privé ou l’État ; application du principe de solidarité « à chacun selon ses besoins financés selon ses moyens ». Et comme la double besogne, ce sont aussi les mesures immédiates, il convient d’opérer tout de suite pour le système de santé en général, l’hôpital, les centres de santé et Ehpad publics en particulier, le rattrapage du manque de financement des dernières années. Sans oublier de remettre sur pied une gestion de crise prévisionnelle pour toute pandémie ultérieure disruptive (4)Voir les ouvrages de Frédéric Pierru et, dans notre Librairie militante, deux ouvrages sur la santé en général et sur la Sécurité sociale..
    Or c’est tout le contraire que s’apprête à faire le dispositif macronien. Il suffit de lire la note de Laurent Mauduit et de Martine Orange dans Médiapart qui précise le plan concocté par la Caisse des dépôts et consignations à la demande du président Macron.ou la suppression de 598 postes et de 174 lits présentée le 4 avril dernier par le directeur de l’ARS du Grand Est dans une interview au journal l’Est républicain ! Il s’agit en fait, pour lui, de profiter de la crise sanitaire pour accélérer « la marchandisation de la santé et sa privatisation rampante ».
  • Concernant le service public en général, sur le plan militant, nous vous invitons à créer dans vos territoires des comités de promotion des services publics que vous pouvez rattacher à la Convergence nationale Services publics. (5)Site de la Convergence : https://www.convergence-sp.fr/ et contact : convergenceservicespublics@gmail.com
  • Ne pas oublier les principes laïques ! Dans un communiqué du 23 mars 2020, le conseil scientifique créé pour « éclairer la décision publique » dans la crise sanitaire. considère le « soin pastoral » promu par les structures religieuses comme « essentiel dans toute réponse à une crise épidémique » et donc propose la « création d’une permanence téléphonique nationale d’accompagnement spirituel inter-cultes » (6)Voir le communiqué de l’UFAL. On est bien loin de la célèbre formule de Victor Hugo « je veux l’église chez elle, et l’État chez lui » !
  • Sur l’économie : là où la question de la production industrielle est posée au travers de la réorientation de la production vers les besoins sanitaires (ex. des appareils respirateurs plutôt que des voitures), il est important de d’imposer le pouvoir des salariés dans les entreprises. Socialisations, réquisitions et/ou relances d’usines fermées, sont autant d’opportunités de poser la question de ce qu’on produit, comment – dans une cohérence écologique sociale et démocratique – et d’imposer la démocratie dans les entreprises. (7)Voir la proposition de socialisation progressive des entreprises l’ouvrage cité ci-dessus : Penser la République sociale.
  • Concernant la rupture écologique, pour ne pas se satisfaire de demi-mesures, rappeler, dire haut et fort que nous ne sommes pas dans l’ère de l’anthropocène mais bien dans celui du capitalocène. (8)L’Anthropocène définit une nouvelle ère géologique, succédant à l’holocène dans laquelle l’Homme a acquis une telle influence sur la biosphère qu’il en est devenu l’acteur central.
    Face à l’émergence du concept d’Anthropocène, une perspective critique a récemment émergé. Désignant sensiblement la même réalité phénoménologique que l’Anthropocène, le Capitalocène est un concept qui prend comme point de départ l’idée que le capitalisme est le principal responsable des déséquilibres environnementaux actuels. Nous ne serions donc pas à « l’âge de l’homme » comme le sous-tend le concept d’Anthropocène, mais bien à « l’âge du capital ».

Reste pour reprendre l’idée du « double pouvoir » qu’il est nécessaire de s’appuyer principalement sur les mesures d’entraide et d’auto-organisation populaire sans chercher l’homme providentiel. On a eu « un homme idéal et providentiel comme président de la République en 2017 », cela nous suffit, non ?

Les « jours d’après », on ne pourra pas faire comme avant. Reprenons le rôle de citoyennes et de citoyens qui nous a été confisqué depuis des années. Que ce soit pour les Retraites, la Santé ou l’ensemble des Services Publics, mais aussi pour les processus de socialisation. Dès maintenant, reprenons les initiatives : relançons, d’abord virtuellement, puis tout de suite une fois le confinement levé, et en fonction des précautions sanitaires, les réunions publiques, syndicales, les comités de grève, les intersyndicales interprofessionnelles. Rediscutons ensemble des moyens de faire tomber le capitalisme, en préparant des mobilisations à la hauteur. Développons nos contacts ! Et celui établi entre nous !

Notes de bas de page   [ + ]

1. Un type de gouvernement qui passe d’une démocratie à une quasi-dictature par une succession de reculs démocratiques, pour aboutir in fine à un simulacre de démocratie
2. Voir le texte de Frédéric Pierru et André Grimaldi intitulé « L’hôpital, Le jour d’après »paru dans Le Monde diplomatique.
3. Une proposition d’actualisation a été mise en débat dans l’ouvrage Penser la République sociale au XXIe siècle que vous trouverez dans la Librairie militante de Respublica.
4. Voir les ouvrages de Frédéric Pierru et, dans notre Librairie militante, deux ouvrages sur la santé en général et sur la Sécurité sociale.
5. Site de la Convergence : https://www.convergence-sp.fr/ et contact : convergenceservicespublics@gmail.com
6. Voir le communiqué de l’UFAL
7. Voir la proposition de socialisation progressive des entreprises l’ouvrage cité ci-dessus : Penser la République sociale
8. L’Anthropocène définit une nouvelle ère géologique, succédant à l’holocène dans laquelle l’Homme a acquis une telle influence sur la biosphère qu’il en est devenu l’acteur central.
Face à l’émergence du concept d’Anthropocène, une perspective critique a récemment émergé. Désignant sensiblement la même réalité phénoménologique que l’Anthropocène, le Capitalocène est un concept qui prend comme point de départ l’idée que le capitalisme est le principal responsable des déséquilibres environnementaux actuels. Nous ne serions donc pas à « l’âge de l’homme » comme le sous-tend le concept d’Anthropocène, mais bien à « l’âge du capital ».
Brèves
Rubriques :
  • Brèves
  • ReSPUBLICA
  • Enseignement supérieur et recherche
  • lettre 928

« Retrouver prise » : Une proposition d’Assises de la Refondation le 20 septembre

par Jean-Louis Bothurel

 

Il n’y a plus guère de doutes qu’il est nécessaire de commencer dès aujourd’hui à organiser une mobilisation civique et sociale importante pour exiger des comptes sur la façon dont nos sociétés ont été rendues particulièrement vulnérables à l’épidémie de Covid-19 par la destruction des institutions sociales, la poursuite exclusive des intérêts du capital et la transformation du monde en terrain expérimental de la concurrence libre et non-faussée. La situation illustre dramatiquement l’importance d’institutions d’intérêt général travaillant dans le temps long et en bonne intelligence avec le corps civique, comme l’hôpital et la recherche publics ; l’importance aussi de mécanismes de protection sociale garantissant un maillage contre les conséquences économiques et psychologiques du confinement ; l’importance enfin d’un aménagement du territoire et d’une politique agricole par bassins, résiliente face aux chocs comme celui que nous vivons. Les appels à « préparer l’après » en ce sens se multiplient, pour ne pas laisser le champ libre à un gouvernement dont on sait qu’on ne peut rien attendre de lui si ce n’est un nouveau tour de vis ordolibéral.

Mais dans la temporalité particulière du confinement, de nombreux citoyens et militants éprouvent une difficulté à se projeter vers un avenir précis, aussi faute de savoir quand et comment nous sortirons du confinement.

C’est dans ce contexte de 4600 scientifiques réunis à partir du 20 mars par le collectif RogueESR ont proposé de prendre date à deux niveaux : « dès la fin du confinement » à l’échelon local et sectoriel, comme le proposent 18 syndicats et ONG dans un appel paru le 27 mars. Mais aussi, à moyen terme, le 20 septembre, pour une journée nationale de refondation dans laquelle les professionnels et les usagers secteurs d’intérêt social, c’est-à-dire en réalité l’ensemble des citoyens, seraient appelés à poser les jalons revendicatifs et programmatiques d’une reprise en main de notre destin commun, autour du combat social, démocratique et écologique. En réalité l’appel s’adresse à toutes et tous, au-delà des professionnels et usagers des services publics traditionnels, car les exceptions au confinement montrent bien que la médecine de ville, l’agriculture, la distribution des produits de première nécessité sont autant de secteurs vitaux qui doivent être placés sous la protection de la société entière. C’est en ce sens que tous les secteurs de la vie sociale sont invités à s’organiser, à produire leurs manifestes de refondation et, dans la mesure du possible, à se mobiliser le dimanche 20 septembre.

Cette proposition de « journée de la refondation » le 20 septembre n’est pas livrée clés en main car ses initiateurs ne s’arrogent pas de légitimité pour imposer un agenda au mouvement social. Mais puisque la recherche est, avec l’hôpital, une des institutions sur qui reposent les espoirs de succès dans la lutte contre le virus, il s’agit pour ces scientifiques, en responsabilité, d’aider à sortir collectivement de la temporalité du confinement, et de contribuer à construire cette échéance précise qui fait tant besoin. Le débat est ouvert : le 20 septembre, jour anniversaire de la bataille de Valmy, peut-il être le jour où le peuple se fédérera à nouveau contre une oligarchie en faillite et pour reprendre en main son destin ?

L’appel à retrouver prise peut être lu et signé ici : http://rogueesr.fr/retrouver-prise/

On en redonnera ici les dernières phrases :

Face à la gravité de la situation qui affecte nos vies, l’heure n’est pas aux mises en cause individuelles. Mais nous n’oublierons pas ce qui a permis que l’on en arrive là. Les morts de cette crise nous obligent. Et nous ne laisserons pas celles et ceux qui n’ont pas su la prévenir ou en réduire la portée, la résoudre par des mesures liberticides, ou mettre en place un énième plan d’austérité justifié par une dette que des politiques aveugles ont contribué à fabriquer. Le métier de scientifique ne consiste pas à aménager la crise ou climatiser l’enfer, ni à bâillonner la démocratie au nom du savoir expert.

Conscients des crises qui frappent notre société, nous appelons chacun et chacune à se mobiliser pour engager la refondation de notre monde abîmé. Ce printemps, dès la fin du confinement, nous nous engageons à repenser collectivement l’ensemble de nos institutions sociales, politiques et économiques et à poser les jalons d’une société conforme à nos aspirations et à nos besoins. Après l’été, nous convions l’ensemble des citoyens à des Assises de la Refondation, le 20 septembre 2020,  pour définir un programme visant à rompre de manière effective avec les politiques actuelles et à juguler les crises environnementale, sociale et démocratique qui menacent notre monde et nos vies. Nous devons à la jeunesse un horizon élargi, un avenir à nouveau ouvert.

Nous appelons tous les autres secteurs de la société à se joindre à notre démarche, et à écrire leur propre texte de refondation en adaptant ce paragraphe de conclusion.

Service Public
Rubriques :
  • Crise sanitaire
  • Service Public
  • lettre 928

Crise sanitaire : « À l’origine de tous nos maux, il y a la fin de la défense du service public » estime Philippe Batifoulier

par Viva

 

Interview de Philippe Batifoulier par Emmanuelle Heidsieck, parue initialement sur le blog Vivamagazine.

 

Face à la pénurie de lits de réanimation, de masques, de tests et de personnels soignants, le professeur d’économie à l’Université Sorbonne Paris-Nord, Philippe Batifoulier, spécialiste des questions de protection sociale et de santé, membre des économistes atterrés estime qu’il y a eu une volonté politique de sous-doter l’hôpital public, avec l’idée de développer les cliniques privées. En sortie de crise, il faudra selon lui questionner la fin de la défense du service public depuis les années 1980. « Dans cette crise, ce sont les régimes spéciaux si durement attaqués par la réforme des retraites qui sont en première ligne : les conducteurs de métro et de bus, les agents SNCF, les agents EDF, la police, la gendarmerie, les enseignants qui sont présents pour les enfants des soignants et qui assurent une continuité pédagogique à distance… et bien sûr, et en premier lieu, le personnel hospitalier ».

 

– L’heure est à la redécouverte des vertus de notre système de protection sociale, généralement considéré comme une charge. Quels atouts considérez-vous comme essentiels ?

On redécouvre le principe même de la protection sociale : les prestations permettent de survivre quand on est malade sans être obligé d’aller travailler ; cela émancipe du marché du travail. Il faut le dire : la Sécurité sociale à la française est le plus grand progrès de toute l’histoire sociale.

On le voit bien aujourd’hui : c’est la Sécurité sociale qui sauve des vies. Les innovations, le progrès médical sont nécessaires mais pas suffisants. La découverte des antibiotiques n’est décisive que grâce à la généralisation de l’accès aux soins après 1945. C’est l’accès aux soins qui est la valeur fondamentale.

– Manque de lits de réanimation, pénurie de masques et de tests, insuffisance de personnels… on paye des années de réduction des dépenses de santé, notamment à l’hôpital. Quelle est votre analyse de la situation ?

Dès les années 1980, émerge la thématique des charges sociales. Il y a cette idée que la dépense publique est mauvaise en soi et qu’on va essayer de la transmettre au secteur privé, donc d’individualiser la couverture des risques comme la maladie. On assiste alors et jusqu’à aujourd’hui à la montée de la défiance vis-à-vis de l’État : il y a ainsi une volonté politique pour que l’hôpital soit sous-doté, avec l’idée de développer les cliniques privées. On place l’hôpital public dans une logique de performance comptable avec la T2A et le tournant ambulatoire : on a invité les hôpitaux à ne pas garder les malades et ils doivent faire le contraire dans cette crise. Un hôpital sur la logique de rentabilité est incapable de soigner.

– Quelles doivent être les priorités au moment de la sortie de crise ?

À l’origine de tous nos maux, il y a la fin de la défense du service public. C’est ça qu’il va falloir questionner à la sortie de la crise. On applaudit à 20 h le service public, pas le privé. Actuellement, c’est la notion d’État gestionnaire qui est mise à mal, ce dogme selon lequel tout, même le service public, doit être géré comme une entreprise privée.

Cela devrait impliquer de déployer plus de ressources collectives en faveur du service public. Ce qui pose la question des impôts que les gouvernements se vantent toujours de réduire. Il faudrait repenser l’impôt en fonction de la justice sociale, prélever l’argent sur la richesse et sur le capital. Aujourd’hui, un tiers de la richesse va vers les actionnaires. Le président de la République a fait un éloge de l’État providence dans son discours du 12 mars et a annoncé, le 25 mars, un plan d’investissement pour l’hôpital. On verra si ces mots sont suivis d’effets. En tout cas, le minimum serait d’avoir conscience des priorités : ne pas alléger la fortune des plus fortunés comme il l’a fait mais augmenter le salaire des professionnels de santé.

Il y aura un après. La façon de penser sera radicalement différente. Certes, au moment de la crise de 2008, la prise de conscience n’a duré que quatre mois. Je pense que, cette fois, ce sera différent. Surtout quand on va commencer à voir les conséquences dévastatrices du système de santé des États-Unis pour nombre d’Américains qui n’ont pas de couverture et ne pourront se faire soigner pour des raisons financières.

En sortie de crise, on devrait faire le tri entre ceux qui servent la population et les autres. Il pourrait y avoir une revalorisation des salaires des premiers. Et c’est là qu’on retombe sur les régimes spéciaux si durement attaqués par la réforme des retraites. Ce sont des métiers en première ligne aujourd’hui : les conducteurs de métro et de bus, les agents SNCF, les agents EDF, la police, la gendarmerie, les enseignants qui sont présents pour les enfants des soignants et qui assurent une continuité pédagogique à distance… et bien sûr, et en premier lieu, le personnel hospitalier. Il peut y avoir une prise de conscience de la population.

A lire, à voir ou à écouter
Rubriques :
  • A lire, à voir ou à écouter
  • lettre 928

M, le bord de l'abîme, Bernard Minier, XO EDITIONS

par Philippe Champigny

 

L’auteur de Glacé, Le Cercle, etc. nous livre là un thriller dont il a le secret. Les amateurs apprécieront.

Le plus marquant de cette fiction est qu’elle met en scène des technologies qui existent déjà ou qui sont en cours de développement. Au-delà des moyens de surveillance qui ne surprendront pas les acteurs du mouvement social, ce livre pose la question du rôle de l’Intelligence Artificielle (IA) dans notre présent et dans notre futur.

Allons-nous déléguer aux IA le soin de prendre les « meilleures » décisions à notre place ? Sous prétexte que ces IA apprendraient en permanence et garderaient une mémoire plus « rationnelle » que nous et qu’elles ne seraient pas soumises à nos émotions. C’est oublier qu’il y a toujours une idéologie qui sous-tend toute programmation et que l’apprentissage se fait au travers de nos biais, notre conscience et notre éthique. Rien de neutre dans tout cela.

Il y a là un risque de dictature, à côté de laquelle BIG BROTHER serait une plaisanterie, d’autant qu’elle se construit avec notre complicité.

Dans cette période de confinement sanitaire où le numérique va augmenter son emprise, il est urgent que les réseaux militants réfléchissent, se forment et agissent pour proposer des solutions alternatives aux citoyens soucieux de reprendre le contrôle sur la sphère numérique qui envahit notre sphère du travail et du privé…

Courrier des lecteurs
Rubriques :
  • Courrier des lecteurs
  • lettre 928

Chant des soignants

par ReSPUBLICA

 

À la suite du courrier des lecteurs et du poème de Marc Lacreuse paru dans notre dernier numéro de Respublica, nous vous proposons de pérenniser cette nouvelle rubrique des chants et poèmes dans ce moment historique si particulier. À vous de nous faire connaître ce que le mouvement social peut créer en ce moment. Vous connaissez sans aucun doute la partition, à vous de nous en proposer une version chantée !

 

Ami, entends-tu le pays qu’un fléau contamine ?
Ami, entends-tu la révolte d’un peuple qu’on confine ?
Ohé, infirmières, médecins, et aides-soignants, c’est l’alarme.
Ce soir le pays connaît le confinement et les larmes.

Voyez les urgences en état de souffrance,  camarades !
Où sont l’oxygène et les masques pour soigner les malades ?
Ohé, millionnaires, financiers et libéraux, politiques !
Ohé, saboteurs qui cassiez les hôpitaux, courez vite…

C’est nous qui tenons les réanimations pour nos frères.
La mort à nos trousses, le courage qui nous pousse, la colère.
Dans notre pays, on a supprimé des lits sans réserve.
Ici, nous, vois-tu, nous on soigne et on nous tue, nous on crève…

Ici chacun fait ce qu’il peut, avec peu, et sans trêve.
Soignant, si tu tombes, souvenons nous quand tu faisais grève.
Demain nous irons cheminer au grand soleil sur les routes.
Courage, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute…

Ami, entends-tu le bruit sourd du pays qui se lève ?
Ami, entends-tu le grondement de nos voix qui s’élèvent ?
Oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh…



Si vous ne souhaitez plus recevoir cette lettre, désinscrivez-vous en cliquant ici.

ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine est édité par l'association :
"Les Amis de ReSPUBLICA"
27, rue de la Réunion
75020 PARIS
Courriel : respublica@gaucherepublicaine.org
Site: gaucherepublicaine.org