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Le 7 novembre, relançons la campagne de liaison du combat laïque et du combat social

Pour changer les choses, il faut fédérer le plus grand nombre 

par Évariste

 

Pourquoi relancer en ce moment une campagne en faveur de la liaison du combat laïque et du combat social ? Au cours des deux années passées, ReSPUBLICA vous a informés du lancement d’un appel dans ce sens puis des réunions qui en ont découlé. Aujourd’hui à nouveau nous relayons l’initiative de l’association « Combat laïque Combat social – Fédérer le peuple », soit une réunion à Paris au Palais du Luxembourg le samedi 7 novembre de 9 h à 17 h 30. Disons-le d’emblée, il ne s’agira pas d’un énième colloque dont on ressort mieux informé… jusqu’au suivant, dans la douce chaleur de la bien-pensance.
La caractérisation de la situation,les témoignages et les analyses devront déboucher sur des propositions d’action définies par des militants prêts à engager dans leurs environnements respectifs – politiques, syndicaux, associatifs – une campagne qui sera longue. À l’heure des plus grandes confusions intellectuelles, il faudra évaluer les alliances et les appuis possibles, réévaluer nos formes d’action.

L’urgence vient de ce que nous sommes entrés dans une crise globale multidimensionnelle, comme l’indiquait notre chronique de rentrée « Se préparer à la force des choses ».

Incapables de sortir de la crise économique et financière ouverte en 2007-2008, les trois derniers présidents de la République n’ont réussi qu’à faire pire que celui à qui chacun succédait. La crise sanitaire ouverte par le virus Sars-Cov-2 s’accompagne d’une crise sociale terrible qui va s’approfondir encore et accentuer le mécontentement croissant du peuple. Mécontentement sans débouché démocratique puisque la majorité du peuple des ouvriers et employés pratique l’abstention et que la gauche, n’y voyant sans doute qu’un lumpenprolétariat informe, ne parle qu’aux couches moyennes intermédiaires et supérieures – qui votent, elles, mais sont majoritairement conquises par le néolibéralisme !

Dans ces colonnes, nous avons souvent critiqué la dictature de la tactique, le « bougisme » et évoqué la nécessité d’un « bloc historique » majoritaire qui lie les couches populaires ouvrières et employées à une fraction des classes moyennes conscientes de leurs véritables intérêts, bloc – pour continuer avec Gramsci – constitué grâce à une « hégémonie culturelle » à bâtir d’une part grâce aux luttes sociales et politiques et d’autre part grâce à une éducation populaire refondée.

Voilà en d’autres termes référant à notre grande Révolution, ce que veut signifier le slogan « Fédérer le peuple ». Or tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître les divisions de la société : les analystes parlent de communautarisme, d’archipélisation…

Le discours de Macron : un impensé social !

 

Si le président Macron a eu raison de nommer l’islamisme comme un adversaire contrairement à de nombreux responsables et dirigeants syndicalistes et politiques de gauche, il se refuse à penser les causes du développement de ce phénomène alors que le sécularisme progresse y compris chez les personnes de culture musulmane. Pire, il y a chez lui un impensé social. Car on ne dira jamais assez, le recul de la République (destruction des services publics de toute nature, destruction des lieux de sociabilité, etc.) dans les quartiers populaires est l’une des causes importantes du communautarisme.

De plus, le président Macron préfère utiliser le terme « séparatisme », gêné qu’il est par celui de « laïcité face aux communautarismes », si diversement employé pour le louer à droite ou le honnir dans des fractions de la gauche. Nous ne sommes pas dupes de cette opération électoraliste d’un gouvernement qui, depuis les gilets jaunes, reste dans la grande peur de la violence du peuple. Car pourtant, suivant un principe séculaire de gouvernement, la division n’est-elle pas depuis des décennies entretenue par les politiques néolibérales ? Division entre les assistés des politiques sociales, du filet de sécurité, et le bas des classes moyennes travailleuses qui se sentent moins soutenues. Division dans l’accès à l’emploi, dans le logement entre les nationaux et les autres. Division par la ségrégation spatiale. Division de la jeunesse du fait de systèmes scolaires concurrents. Division du salariat par le management et la casse du code travail. Division entre les divers croyants ou supposés croyants ou incroyants en raison du clientélisme, d’avantages matériels octroyés sous couvert d’une loi de 1905 dévoyée et souvent violée par une jurisprudence insidieuse et dans l’oubli du Serment de Vincennes de 1961 ; en raison de la complaisance envers un cléricalisme résurgent et surtout depuis l’apparition du terrorisme en raison d’amalgames racistes honteux.

Soyons clairs, entendu dans l’acception de Jaurès, le terme de laïcité est pour nous central pour l’émancipation, mais nous ne saurions nous ranger dans le camp de ceux qui croient à une large union des laïques incluant ceux qui sont compatibles avec la macronie néolibérale qui a largement développé les communautarismes ! Car si le gouvernement souhaite la laïcité contre les communautarismes, il faut combattre les lois anti-laïques (Debré, Guermeur, etc.), il faut supprimer la séparation des 5 départements hors laïcité (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle, Guyane, Mayotte) et il faut enfin appliquer la loi de 1905 qui n’est toujours pas appliquée tant dans la police des cultes que par l’acceptation des néolibéraux du financement public des cultes au mépris de la loi de 1905 par les baux emphytéotiques, la suppression de la différence entre cultuel et culturel, etc. N’oublions pas le financement récent par de l’argent public dans la construction des cathédrales catholiques, des temples évangéliques, des mosquées et des structures religieuses juives. Avec bien sûr, à la clé, l’austérité pour les prestations sociales !

Alors que penser de la critique des communautarismes religieux ? C’est nécessaire à condition de les critiquer tous ! Mais en même temps lier la laïcité à un antiracisme radical !

Alors que penser de la critique des intégrismes religieux ? Nous estimons que c’est une nécessité pour ouvrir la voie à l’émancipation. À condition de combattre tous les intégrismes et pas d’oublier l’intégrisme catholique ou évangélique comme le fait la droite, l’extrême droite et la gauche néolibérale et ne pas oublier les intégrismes islamistes comme le font des dirigeants syndicaux et politiques de gauche ! À condition aussi que la liberté de culte soit garantie à tous les cultes catholique, protestante, juive et musulmane. À condition de considérer aujourd’hui que l’une des tâches de la République est de protéger la grande majorité des musulmans et des musulmanes qui vivent sur notre territoire des intégrismes islamistes ! Fustiger le séparatisme plutôt que les communautarismes, sert le président Macron à agir contre l’intégrisme salafiste mais pas contre l’intégrisme de la confrérie des Frères musulmans ! Ce qui permet aux dirigeants religieux proches de cette dernière confrérie de saluer le projet macroniste! Voilà pourquoi on jugera sur pièces lorsque le texte juridique sera présenté.

D’une façon globale, rechercher l’émancipation nous impose d’avoir un discours holistique et pas de « séparer » les combats. C’est-à-dire qu’il faut privilégier la transversalité des combats et favoriser une vision générale et centripète face aux visions « séparées » et centrifuges. Il faut agir sur toutes les causes en même temps. Supprimer quelques mosquées salafistes sera aussi efficace que la prohibition de l’alcool aux États-Unis. Le processus vers la République sociale est à ce prix : celui d’agir sur toutes les causes y compris les causes sociales et républicaines. D’autant que les couches populaires sont les plus attachées à la laïcité, comme elles sont attachées à la démocratie, au pouvoir d’achat, à la justice sociale, aux services publics et à toutes les sécurités (sécurité sociale, santé et sécurité publiques, etc.). Voilà pourquoi les responsables des organisations syndicales et politiques de gauche feraient mieux de refaire du lien avec les couches populaires ouvrières et employées plutôt que de s’écarter d’elles avec un discours pour le moins ambigu sur la laïcité. Alors que les contradictions grandissantes du système nous rapprochent du moment où il faudra choisir pour notre avenir entre les « jours heureux » et la poursuite d’un modèle capitaliste néolibéral de plus en plus violent et injuste, il faut changer de stratégie et nous disons : « pour changer les choses, il faut fédérer le plus grand nombre ; pour fédérer le plus grand nombre, la liaison du combat laïque et du combat social est un point de passage nécessaire, indispensable, urgentissime !

Aujourd’hui donc, priorité au social avec une campagne pour la refondation et l’élargissement de la Sécurité sociale, des services publics, du droit des travailleurs vers la démocratie partout y compris dans les entreprises et lutte implacable contre les inégalités sociales. Sans cela, toute volonté laïque sera vouée à l’échec !

Et priorité au principe universel de la laïcité comme seul ciment possible pour ce bloc historique en soi majoritaire. La priorité au social doit aller de pair avec l’écosocialisme, la priorité au principe universel de la laïcité doit aller de pair avec un anti-racisme radical et un féminisme conséquent.

Venez en discuter lors de la rencontre organisée par l’équipe « Combat laïque Combat social – Fédérer le peuple » qui aura lieu le samedi 7 novembre 2020 de 9 h 30 à 18 h dans les locaux du Sénat. Les règles sanitaires obligent à une procédure d’inscription préalable. Il suffit d’adresse sans tarder un courriel d’intention à combatlaiquecombatsocial@gmail.com pour recevoir une confirmation, en fonction de l’ordre d’arrivée des demandes, et le programme détaillé.

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Pourquoi tant de haine pour le peuple ?

par Bellon André

 

La crise politique que nous traversons n’est pas qu’une crise de régime un peu plus grave que les autres. Elle exprime une inquiétude sur le sens des mots, sur la nature même de la vie publique, sur les relations sociales. Elle concerne en fait le devenir de l’humanité au sens de la capacité de l’humain à maîtriser son propre destin.

La période appelée moderne, celle qui s’est exprimée à partir des Lumières, est fondée sur une confiance en l’humain. Elle perpétuait cette pensée du poète Térence : « Je suis un humain ; je considère que rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». L’individu est à la fois un être libre -le citoyen-, et un membre du corps social – le peuple –.

Si les attaques contre les Lumières ne sont pas neuvesi, toute une école de pensée qu’on appelle postmoderne a remis en cause l’idée d’autonomie du sujet politique au travers d’une critique de la raison et d’une valorisation des identités particulières. Par ailleurs, au nom de la technique, des « lois » économiques, des défis, en particulier écologiques, des nécessités de la mondialisation, les citoyens sont appelés à se soumettre aux experts dans la perspective d’un gouvernement mondial autoproclaméii.

L’invasion de l’expertocratieiii dans la vie publique se conjugue avec un attrait pour le tirage au sort dans le choix des représentants du peuple.

Les citoyens ne sont évidemment pas portés à défendre la caricature de démocratie que sont actuellement les institutions françaises et européennes. Mais cela ne justifie en aucune façon la propagande destinée à faire croire que la crise de la démocratie résulte de l’emploi du suffrage universel. Bien au contraire, celui-ci est systématiquement dévoyé par les institutions et les partis politiques.

Le tirage au sort n’est pas un aménagement technique de la démocratie. C’est une délégitimation du suffrage universel comme outil d’expression de la volonté des citoyens. C’est aussi un instrument au service des experts qui y voient le moyen de justifier leur pouvoir en encadrant les tirés au sort. C’est une marche vers l’enterrement pur et simple de la démocratie comme gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, achevant un renversement politique et philosophique majeur.

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la Convention citoyenne pour le climat.

 

Un nouvel avatar des anti-lumières ?

Les inquiétudes quant aux risques qui pèsent sur la planète sont justifiées et assez largement partagées. Cela ne justifie en aucun cas le refus du débat contradictoire et les attaques contre le suffrage universel.

Il est frappant de voir comment des figures de l’écologie prennent position contre la volonté du peuple. Ainsi Cyril Dioniv déclare-t-il « Se pose aussi le problème de l’opinion… Les politiques se réfugient toujours derrière cet argument… ils ont besoin de contenter la majoritév». Ainsi, le climatologue François-Marie Bréon clame-t-il que « les mesures qu’il faudrait prendre seront difficilement acceptées. On peut dire que la lutte contre le changement climatique est contraire aux libertés individuelles et donc sans doute avec la démocratievi ». Ainsi l’astrophysicien Aurélien Barreau affirme-t-il que, face aux questions climatiques, il faudra prendre des « mesures coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuellesvii ». Ils sous-entendent donc, sans avancer d’arguments, que la démocratie ne peut pas donner les réponses adaptées aux défis.

La philosophie des Lumières a, certes, conduit certains à des visions scientistes de la société ou même à des justifications du capitalisme. Mais il n’est pas sérieux de la résumer à cela. Comme l’évoquent d’ailleurs Jean-Marie Harribey et Pierre Khalfa répondant à une tribune de l’éthologue Pierre Jouventin et l’économiste Serge Latoucheviii, « comment demander à des philosophes dont l’objectif était de secouer la chape de plomb de l’absolutisme et de l’Église de prendre en compte les conséquences du développement du capitalisme industriel encore à naître et qui ne se manifesteront que plus d’un siècle plus tardix ? »

Considérer aujourd’hui que la souveraineté populaire appuyée par la raison n’est pas à même de préparer l’avenir est un a priori idéologique. L’exemple du référendum de 2005 qui a vu le peuple français se mobiliser pendant de longs mois sur un sujet technique compliqué et refuser le Traité Constitutionnel Européen prouve à l’évidence le contraire.

Le rejet des élus ne doit pas conduire à un rejet du suffrage universel

La vie politique, en France, se résume désormais, plus ou moins, à l’élection, tous les 5 ans, d’un Président de la République qui concentre tous les pouvoirs. La séparation des pouvoirs n’est plus qu’illusion. La justice n’a pas son indépendance théorique. Le Parlement ne sert pratiquement plus à rien, l’Assemblée nationale étant totalement soumise à l’exécutif depuis, en 2000, l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui transforme les parlementaires en féaux de la Présidence.

Les dirigeants et les médias qu’ils contrôlent tentent alors de faire croire que les citoyens se désintéressent de la politique. Combien de signes, depuis les bonnets rouges et les grandes manifestations pour les retraites jusqu’aux gilets jaunes, expriment au contraire l’aspiration des citoyens à une véritable démocratie ?

En réalité, les électeurs font avec les moyens du bord : abstention, vote blanc malheureusement considéré comme non exprimé, rejet des uns puis des autres, etc. Dans ce cadre, le rassemblement de tous contre le Front national apparait comme une manière artificielle de résoudre la question de la légitimité d’institutions devenues hors-sol.

Et la légitimité, bon sang !

Sur France infox, Jean-Michel Apathie, une des plus célèbres vestales de la conformité, a expliqué que les résultats du premier tour des législatives de 2017, pourtant marqués par un taux d’abstention exceptionnellement élevé, ne soulevaient aucun problème de légitimité. Encore un qui ne voit pas l’éléphant au milieu de la cour. Si l’on tient compte des blancs et nuls, plus de 52 % des électeurs n’ont voté pour aucun des candidats en présence. Déjà, le Président de la République n’avait obtenu que 18,3 % des inscrits au premier tour de la présidentielle en 2017. Quand donc y a-t-il un problème de légitimité ?

La légitimité est sans aucun doute une question sous-jacente, rarement exprimée et pourtant fondamentale. Déjà, le mardi 12 novembre 2012, au lendemain des manifestations qui avaient visé François Hollande la veille à Oyonnax, Jean-Marc Ayrault s’affrontait à Christian Jacob, chef de file UMP à l’Assemblée nationale, en l’accusant de « contester la légitimité » de l’élection de François Hollande. Il allait même plus loin en affirmant : « Vous êtes en train de faire croire qu’il y a une crise institutionnelle. Mais de quoi parlez-vous ? Remettez-vous en cause la légitimité de l’élection présidentielle au suffrage universel ? »

En fait, disons franchement que la présidentielle ne sélectionne pas un candidat en fonction de son programme ; tout au plus élimine-t-elle les autres, après une avalanche des sondages et par un vote plus ou moins forcé en faveur des rares personnes disposant des moyens médiatiques et financiers.

N‘en déplaise à ceux qui jouent le jeu des institutions d’aujourd’hui en espérant tirer les marrons du feu social, nous sommes face à une double Illégitimité : celle de la classe politique comme du jeu politique qui la soutient, celle des institutions européennes.

Qui inverse les responsabilités ?

Loin de se remettre en cause devant la contestation qui les touche, les principaux responsables politiques s’interrogent désormais sur la… légitimité des citoyens. Extraordinaire inversion qui conduit les élus –ou les non élus- à incriminer les électeurs.

La méthode est devenue systématique lorsque le résultat n’est pas celui qu’avaient défini les experts ou la presse aux ordres. Ainsi, en 2002, après l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle, sa femme déclare-t-elle que la défaite électorale de son mari était imputable… « aux électeurs » qui, « insouciants » qu’ils sont, « ont voté les yeux bandésxi ». Ainsi le vote des Français contre le TCE, considéré comme déraisonnable, est-il bafoué en 2008 par la ratification du Traité de Lisbonne. Ainsi, au soir des municipales de 2020 et devant le taux d’abstention exceptionnel (60 %), la plupart des commentateurs de télévision accusaient les citoyens d’insouciance coupable à l’approche des vacances d’été. Le mot « incivisme » fut même prononcé plusieurs fois. On confond l’effet et la cause pour mieux déverser un mépris éhonté pour le peuple.

Ainsi, le constitutionnaliste Dominique Rousseau explique-t-il qu’il est plutôt hostile au RIC parce qu’il permettrait de «  demander le rétablissement de la peine de mort ou l’instauration d’une préférence nationale ou l’enfermement préventif des pervers sexuelsxii ». Comme tous ceux qui balancent cette insulte, il ne prend même pas la peine de l’étayer. Ceux qui ont fait des réunions concernant la souveraineté populaire savent que, systématiquement et particulièrement s’ils défendent le RIC, ils se trouvent confrontés à des personnes critiquant la volonté des citoyens au nom de risques a priori, dont celui de voir rétablir la peine de mort. Je suis l’un des députés qui ont voté l’abolition et je m’en flatte ; j’ai souvenir qu’à l’époque, je n’ai eu ni avant le vote, ni après, de grandes manifestations hostiles, tout au plus des demandes d’explications. En fait je vois, dans ce type de réactions, la volonté de certains de légitimer leur haine de la souveraineté populaire et leur mépris de classe.

Ces attaques contre le citoyen sont, hélas, devenues monnaie courante. Bien pis, aujourd’hui, elles ne portent plus seulement sur le comportement de l’électeur, elles attaquent le principe même de la démocratie, la capacité du citoyen à participer à la décision publique et qu’il faut donc guider. Incivisme des citoyens ? Non, indécence de la classe dominante, d’une presse à la fois inculte et chienne de garde de la pensée officielle !

À bas le suffrage universel

C’est tout à fait logiquement que ces visions surplombantes aboutissent à attaquer le principe même du suffrage universel. Ainsi Thierry Pech, porte-parole de Terra Nova, l’icône du parti socialiste, déclare-t-il que « les populismes reposent sur une absolutisation du suffrage. Ni Bolsonaro, ni Orban, ni Poutine, ne sont le produit d’autre chose que des élections. En dehors des élections, point de légitimité à la presse, à la justice, aux corps intermédiairesxiii ». Un positionnement charmant, à mi-chemin entre la naïveté et le totalitarisme. Notons l’énormité du propos : la légitimité ne vient pas des urnes, elle vient des médias ou des corps intermédiaires, donc d’une caste bien fermée. Intéressantes pirouettes qui permettent d’attaquer le suffrage universel et non plus le système politique qui le détourne avec acharnement.

Grace à ce tour de passe-passe, la critique bien nécessaire des élus peut être inversée. Ils ne sont plus attaqués parce qu’ils ne respectent pas les volontés de leurs mandants, mais parce qu’ils seraient censés les respecter trop ! Cet invraisemblable déni de la réalité étant affirmé, il ne reste plus qu’à proposer de remplacer le suffrage universel par le fameux tirage au sort. Appuyée, depuis des années sur une propagande fort discutable et souvent mensongère – le système démocratique grec n’aurait été appuyé que sur le tirage au sort, la constituante islandaise aurait été tirée au sort, les irlandais n’auraient pu faire connaitre leurs aspirations que par le tirage au sort…xiv–, l’idée du tirage au sort progresse grâce à l’appui d’une fraction de l’extrême gauche. Elle ouvre à une classe dirigeante de plus en plus contestée par les citoyens une perspective pour contrôler l’expression populaire soupçonnée de toutes les bassesses.

C’est ainsi que la « Convention citoyenne pour le climat » a émergé comme une bénédiction pour le pouvoir en place. Elle lui permettait de se présenter comme « démocrate » à un moment où sa légitimité était fortement contestée ; elle faisait plaisir au mouvement écologique, ou du moins à une partie de celui-ci friande de symboles au rabais tels que Greta Thunberg ; elle détournait l’attention loin des résultats électoraux.

Ce qui est en cause, ce sont des institutions dans lesquelles le peuple n’est qu’un lobby parmi les autres. Ce qui est en cause, c’est la démocratie, c’est le dévoiement du suffrage universel, ce sont des élections qui ne permettent plus l’expression de l’intérêt général.

De quoi parlons-nous ?

On connaît l’objection classique : la démocratie n’a jamais été parfaite. C’est vrai, mais une société vit aussi en fonction des valeurs dont elle se dote ; si, dans le passé, l’humanisme, la foi en l’homme, la confiance dans le peuple ont été les référents, force est de constater qu’aujourd’hui notre société s’est fixée comme points de mire des non-valeurs telles que l’argent, la concurrence, l’apparence, la fascination pour toute technique. La démocratie est une recherche permanente, une construction de tous les instants. La nouveauté de notre époque est précisément de renoncer à la démocratie sans l’avouer franchement et de relégitimer subrepticement ainsi des formes aristocratiques de gouvernement.

Au-delà des réformes institutionnelles destinées à encadrer le suffrage, la bourgeoisie en France, en Europe et plus généralement dans l’espace occidental, cherche depuis longtemps des substituts au peuple et à ses représentants. Les citoyens sont sommés de se reconnaître dans une société civile où se mêlent associations progressistes et lobbies de toutes sortes (patronaux, sectaires, etc.). Les institutions européennes représentent la caricature de ces dérives aristocratiques avec une Commission expansionniste, des gouvernements irresponsables et des parlements européen et nationaux réduits à des lieux d’expression plus ou moins contrôlés. Au niveau international, les institutions qui prennent les décisions demeurent complètement hors de portée des citoyens (Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce…). Pourtant, elles sont les pourvoyeuses en chef des inégalités sociales constatées et de la violence d’un ordre économique qui met la planète à sac en exploitant les peuples.

Alors qu’il s’agit de reconstruire le citoyen autour du débat démocratique, le pessimisme vis-à-vis de l’humain sert d’alibi à la remise en cause des fondements de la démocratie. Le peuple et les citoyens ne sauraient être méprisés, manipulés, pris pour des demeurés analphabètes, sans que la démocratie ne soit méprisée elle aussi. Le suffrage universel doit rester l’outil fondamental de détermination dans la vie publique. La rupture avec l’ordre dominant ne peut se faire qu’au nom de la souveraineté populaire.

Et les conventions citoyennes ?

C’est au travers de cette ambition qu’il faut juger les fameuses « Conventions citoyennes », telle celle pour le climat.

Tout d’abord, dans la logique de trouver des substituts au peuple et à sa souveraineté, elles se veulent une nation en miniature. Cette idée est absurde car elle remplace une représentation politique par une représentation statistique, nécessairement idéologiquexv. En quoi des citoyens choisis sur la base d’une statistique sociologique représentent-ils la réalité politique du pays ? Engels était-il de droite et Doriot de gauche ? Et s’il est malheureusement vrai que les assemblées actuelles sont sociologiquement homogènes, cela est dû avant tout à l’absence de moyens financiers et de garanties professionnelles donnés aux candidats des couches populaires. Il y aurait beaucoup à faire en la matière, y compris face à la faillite des partis à gérer l’ascenseur social. Réaffirmons surtout que la démocratie, c’est le droit à la participation de tous et non de quelques-uns à la vie publique et qu’aucune sélection politique ne peut être faite avant un débat public et général. On se retrouve confrontés ici au pessimisme sur les capacités du citoyen à construire la volonté générale dans le cadre du suffrage universel. En ce sens, le tirage au sort rappelle le suffrage censitaire, cher à Sieyès.

Par ailleurs, ces conventions sont encadrées par des experts censés éclairer le débat. Qui décide de l’objectivité – concept peu scientifique – des experts informant les heureux tirés au sort ? Ainsi Thierry Pech, déjà évoqué, était, avec Laurence Tubiana, un des deux coprésidents du « comité de gouvernance » de la Convention climat. Pourquoi n’importe qui ne demanderait-il pas à être entendu comme cela se fait lors des réunions publiques ? En quoi une démocratie électorale construite au plus près des citoyens, à partir des communes et des quartiers, ne permet-elle pas une information contradictoire ? On nous répond généralement que les tirés au sort votent à la fin. Ça ne répond pas à la question de leur représentativité politique. Et quel est le sens d’un vote après un tel huis-clos ?

De plus, grâce à ces experts, elles poussent au consensus. Stéphane Foucart, journaliste du Monde, faisant un bilan de la Convention citoyenne pour le climat, fit cette analyse charmante plus marquée par un enthousiasme naïf que par la philosophie des Lumières : « ce qui s’est produit dans ce cénacle est, en miniature, ce qui devrait plus ou moins se produire dans la société si la disputatio y fonctionnait idéalement… La convention le montre : ce qui clive le plus la société devient plutôt consensuel dès qu’on se donne la peine de le discuter sur une base factuelle, et sans a priorixvi ». Un analyste sérieux peut-il sérieusement penser que la société est aujourd’hui consensuelle quant aux solutions face aux questions climatiques ? Face aux défis écologiques les constats communs n’empêchent aucunement la nécessité des débats tant sur les causes que sur les perspectives. Bien au contraire. Stéphane Foucart ignore d’ailleurs, ou feint d’ignorer, que des choix ont été faits qui gomment les divergences, au nom d’une prétendue objectivité, par exemple quant à la « base factuelle » qui a été utilisée au sein de la convention climat.

La démocratie, processus éducatif, n’est pas faite pour nier les conflits, mais pour les résoudre. Elle est la solution pour construire collectivement et contradictoirement le contrat social qui est notre bien collectif.

Certains ont également prétendu que le tirage au sort n’était qu’un complément au Suffrage universel. C’est un peu comme dire que les lois sécuritaires sont là pour aider la liberté.

Encore une fois, on confond l’effet et la cause. Le dévoiement de l’électeur ne justifie pas sa suppression, mais au contraire sa révolte pour reconquérir son droit électoral. Lorsque l’historien républicain Claude Nicolet déclare : « si on regarde aujourd’hui ce qui se passe… le bilan est ruineux et presque effrayant », il affirme une épouvante. Mais aussitôt, il indique son optimisme en ajoutant : « Il faut, par tous les moyens à notre disposition, agir d’abord pour libérer le peuple de ce qui l’empêche de savoir, de comprendre et de vouloir librement. Chacun de nous peut et doit agir, à la mesure de ses forces, sur un plan ou sur un autre. Chacun de nous doit agir en fonction de ses forces, sur un plan ou sur un autrexvii ». C’est cette volonté que chacun de nous doit affirmer au sein de notre collectivité politique qu’on appelle le peuple.

Réaffirmer l’humanisme

Il y a quelques années à Paris, je vis, place de la République, des banderoles qui annonçaient : « Quelle place de la République voulez-vous demain ? ». L’envie me prenait de noircir « place de la » car j’eusse préféré qu’on me demande « Quelle république voulez-vous ? ». Au fond, c’est un peu ça la démocratie participative. On déplace les problèmes. On parcellise la volonté des citoyens vers des questions annexes. En fait, on cherche une démocratie sans peuple. La confiance en l’humain et la participation de tous sont la base de la reconstruction démocratique. Lorsque j’entends dire que le peuple est vulgaire, violent, incompétent, je me demande toujours si la personne qui exprime cette idée est consciente que le peuple, c’est aussi elle-même. Trop d’entre nous se voient en guides du peuple, se plaçant ainsi au-dessus de lui au lieu d’accepter d’en faire partie.

La souveraineté populaire, c’est l’affirmation d’une confiance dans le citoyen comme dans le peuple en tant qu’être politique. La démocratie, c’est l’affirmation que la volonté collective doit en émaner, c’est le retour à cette immanence. C’est donc un combat contre tous ceux qui œuvrent pour le retour de la transcendance en politique et pour un gouvernement mondial dirigé par les experts.

Le suffrage universel est la traduction de ces principes. Qu’il soit dévoyé par des institutions qui lui laissent son apparence en supprimant son efficacité ne justifie pas qu’on le discrédite et qu’on lui cherche des remplaçants. Bien au contraire, le combat pour les principes humanistes est plus que jamais à l’ordre du jour. Élire une Constituante au plus près des citoyens est un moyen pour redynamiser la liberté du citoyen et la souveraineté du peuple.

 

i Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIe siècle à la guerre froide, Gallimard 2010.

ii Jacques Attali, par exemple, va jusqu’à proposer de « profiter » des grandes pandémies pour mettre en place un gouvernement mondial, L’Express, 3 mai 2009.

iii Les experts sont évidemment nécessaires pour éclairer la prise de décision, mais leur compétence ne saurait leur accorder le pouvoir de trancher le débat public.

iv Un des fondateurs du mouvement Colibris.

v We demain le 12 août 2019.

vi Libération, 29 juillet 2018.

vii L’Express, 10 octobre 2018.

viii Pierre Jouventin et Serge Latouche « L’homme peut-il se reconvertir de prédateur en jardinier ? », Le Monde, 30 juillet 2019

x Lundi 12 juin 2017

xi Sylviane Agacinski, Journal interrompu, Paris, Le Seuil, 2002

xii Libération, 12 mars 2019

xiii France Culture, 5 novembre 2018

xiv Le tirage au sort n’a existé qu’à Athènes, sur un temps assez court, pour des fonctions secondaires et seulement au sein d’une classe dirigeante assez restreinte, excluant les femmes et les esclaves ; la Constituante islandaise n’a pas été tirée au sort ; en Irlande, était-il besoin de citoyens d’un panel tiré au sort pour découvrir que les questions en débat étaient l’avortement et le mariage homosexuel ?

xv Les CSP (catégories socioprofessionnelles) sont une représentation de la société parmi d’autres, donc discutable. Il y eut par exemple des débats assez longs dans les années 70 sur la définition des ouvriers et des employés, citons celle des conducteurs de train. Sur l’idéologie des nomenclatures, voir par exemple Economie et Statistique N°20, février 1971.

xvi Le Monde, 4 juillet 2020.

xvii Le peuple inattendu, Préface, André Bellon et Anne-Cécile Robert, Ed. Syllepse, 2003.

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Organisation de l’État : une nouvelle étape vers l'autoritarisme et le démantèlement.

par Jean Claude Boual

 

Dans une discrétion totale, le gouvernement modifie l’organisation des services déconcentrés de l’État dans les départements. Par un décret du 14 août 2020, les Directions départementales interministérielles (DDI) sous la responsabilité du Premier ministre depuis leur création en décembre 2009 deviennent « des services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’intérieur. Elles sont placées sous l’autorité du préfet de département. » Il s’agit :

a) des directions départementales des territoires (DDT), et dans les départements du littoral directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), dont les missions recouvrent les domaines suivants :

  • habitat et renouvellement urbain, dans son volet construction : agréments des programmes de logements sociaux, suivi de l’application de l’Article 55 de la loi SRU…
  • urbanisme : coordination de l’association de l’État lors de l’élaboration des documents de planification des collectivités, avis réglementaire de l’État sur ces documents, instruction des permis de construire et d’aménager relevant de la compétence du Préfet,
  • environnement (risques, forêt, chasse, biodiversité, publicité) : élaboration et mise en œuvre des plans de prévention des risques naturels, instruction des dossiers « loi sur l’Eau » et mise en œuvre des contrôles associés,
  • agriculture : appui et conseil aux agriculteurs pour l’instruction de la politique agricole commune (PAC) ,
  • éducation et sécurité routières.

Dans les départements d’outre-mer, il n’existe pas de DDTM.

b) les directions départementales de la Cohésion sociale (DDCS) ou directions départementales de la Cohésion sociale et de la Protection des populations (DDCSPP) suivant l’importance démographique du département, dont les missions recouvrent :

      • la politique sociale, du logement, de la politique de la ville,

      • de la jeunesse (accueil collectif des mineurs, politiques éducatives territoriales…),

      • des sports (comités départementaux des différents sports…),

      • de la vie associative,

      • et, le cas échéant, de la protection des populations.

Dans les départements les plus peuplés, ces fonctions sont partagées entre trois directions eu lieu de deux, les missions réparties entre ces trois directions sont les mêmes.

Ces directions nées de la réforme de l’État en 2009, ont été composées à partir de plusieurs services déconcentrés de ministères différents. Elles avaient donc naturellement été rattachées au niveau national au Premier ministre et placées au niveau départemental sous l’autorité du préfet, comme représentant de l’État, mais pas comme agent du ministère de l’intérieur.

Bien que subordonnées au préfet du département, ces directions dépendaient pour leurs moyens des directeurs régionaux chargés des BOP (Budget Opérationnel de Programme) et donc indirectement des ministères.

Au plan départemental, une analyse trop rapide pourrait laisser penser que ce nouveau rattachement ne modifie pas la position des DDI, puisqu’elles sont déjà sous l’autorité du préfet représentant de l’État dans le département et qu’il dispose pour ses fonctions des services déconcentrés de l’État. Mais c’est très différent pour un service, d’être au plan local sous la responsabilité du représentant de l’État et en liaison avec le ministère chargé du domaine d’intervention du service,et d’être sous les ordres du préfet, intégré au ministère de l’Intérieur. Le préfet, bien que représentant de l’État (formellement de tous les ministres), est hiérarchiquement rattaché au ministère de l’Intérieur dont dépend sa carrière et pas au Premier ministre comme le voudrait la logique interministériel. Ce qui domine dans ses fonctions et donc dans son travail, ce sont les prérogatives fondamentales du ministère de l’Intérieur : police, ordre public sous toutes ses formes, tutelle des collectivités locales, contrôles de toutes natures. Les DDI seront donc intégrées dans ce type de missions avec un rôle de police dominant (installations classées, police de l’eau etc.)

Cependant, si les implications de ce changement de tutelle ministérielle ne sont déjà pas négligeables, leurs significations politiques et administratives sont lourdes.

Premièrement, dans la forme, comme dans le fonds, cette décision n’a rien d’isolée et d’arbitraire. Elle ne relève pas d’une simple volonté d’un ministre conjecturalement influent d’étendre le champ de son ministère, mais d’un mode de gouvernement réfléchi, faisant l’objet d’une stratégie mise en œuvre depuis des années et théorisée avec le gouvernement actuel dans le rapport CAP 20221. De plus en plus au niveau national le mode de gouvernement s’effectue autour du monarque Jupiter/Macron avec deux ministres, l’Intendant de la Ferme générale (le ministre des Finances) pour les questions de budget et le Lieutenant général de la Police (ministre de l’intérieur) pour le maintient de l’ordre public et les autres affaires intérieures de l’État ; les autres ministres étant là pour la décoration et la propagande, y compris le premier ministre pour « amuser la galerie ». Au niveau locale (régional et départemental) des préfets proconsuls traitant sans discrimination et sans compétences particulières de toutes les questions : il n’y a plus qu’un seul ministère présent sur le terrain, le ministère de l’Intérieur.

Deuxièmement, les Direction départementales Interministérielles – DDI – ne sont plus interministérielles, mais sont rattachées à un seul ministère. Elles vont donc travailler dans le cadre des compétences de ce ministère, les taches et missions pour les autres ministères (Travail, Écologie, Logement, Transports…) seront secondaires et aléatoires en fonction des priorités fixées par l’Intérieur.

Troisièmement, leurs missions qui relèvent de divers ministères (Écologie, Solidarité et travail, Éducation pour la jeunesse…) sont donc subordonnées au ministère de l’intérieur dont la mission première est le maintient de l’ordre public. Autrement dit , si nous prenons l’exemple des DDT et DDTM, dont les missions relèvent pour l’essentiel du ministère de l’Écologie, cela signifie que l’écologie est aujourd’hui subordonnée au maintient de l’ordre. Les actions envers les dérèglements climatiques, la transition énergétique, le biodiversité dont le gouvernement parle beaucoup n’est jamais que subsidiaire. En clair le message envoyé par cette décision est, l’écologie n’est ni une priorité, ni digne d’une politique publique en dehors de l’affichage et de la propagande. Si les manifestations pour la transition écologique, les mobilisations citoyennes, sont toujours possibles , ce qui compte c’est le maintient par la force de l’ordre capitaliste néolibérale.

Quatrièmement, comme toujours le transfert est décidé et le décret publié en plein mois d’août, juste avant la rentrée sociale. La crise sociale, économique, morale et le discrédit du gouvernement dans l’opinion public en raison notamment de sa gestion calamiteuse de la pandémie de la Covid-19, laissent entrevoir une rentrée difficile pour la population avec un fort mécontentement. Le chômage va augmenter vertigineusement, le pouvoir d’achat est en berne en raison des politiques salariales restrictives et des choix gouvernementaux en faveur du capital et des actionnaires. La contestation des politiques environnementales et écologiques sont de plus en plus fréquentes, et les résultats électoraux aux élections municipales ont montré une forte sensibilité pour les questions écologiques (même si souvent elle est accompagnée de beaucoup de confusion). Il est donc urgent et prudent d’anticiper les éventuelles mobilisations sociales et de « serrer les boulons » avant. Quoi de plus efficace que de confier la question sociale et la question environnementale et écologique au ministre de l’intérieur qui dispose en directe des forces de l’ordre (police et gendarmerie), sans arbitrage préalable éventuel. La répression en directe en fait. Notons également que le Président de la République nomme de plus en plus des préfets issus directement du secteur privé, sans qu’ils aient aucune connaissance ou pratique de l’administration, mais qui seront parfaitement capables de faire les choix politiques en faveur de leur secteur d’origine, l’intérêt général n’étant pas (plus) la priorité.

L’article 2 du décret met en place un Comité technique des DDI auprès du ministère de l’Intérieur, ce qui signifie que l’organisation des services comme la gestion des personnels (avancement et promotion, notation, rapports hiérarchiques etc) seront du ressort de ce ministère, les préfets n’auront plus à terme (en fait assez rapidement) à prendre l’avis des « ministères d’origines » des agents. Les DDI deviennent de fait des services internes à la préfecture et non plus des services interministériels déconcentrés.

Enfin , le rapport aux collectivités locales et aux élus pour les missions des services concernés vont inévitablement se modifier. Certes leur interlocuteur étatique sera toujours le préfet, comme avant, mais celui-ci dispose des administrations techniques sans filtre, les personnels de ces administrations relèvent uniquement de lui au titre du ministre de l’Intérieur auquel leurs services sont rattachés et dont ils dépendent. Il peut donc hiérarchiquement leur fixer ses priorités pour leurs missions quotidiennes.

Si nous rapprochons cette décision de deux projets en cours de discussion au parlement, la loi dites trois D, « Décentralisation, Déconcentration, Différentiation », et la loi dite « D’accélération et de Simplification de l’Action Publique » (loi ASAP), c’est bien l’égalité et l’unité de la République qui sont remises en cause, avec un autoritarisme et une restriction des libertés encore accentués. Le gouvernement a fait adopter un amendement au code de l’environnement qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation préalable et qui est un monument hypocrisie dans la mesure où il commence par affirmer le droit à l’information et par la suite renforce les secrets des affaires et de fabrication afin que l’information soit la plus réduite possible : « 2° L’article L.125-2 est ainsi rédigé

« Art I L 125-2-1 Toute personne a un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels elle est soumise dans certaines zones de territoire et sur les mesures de sauvegarde qui la concernent.Ce droit s’applique aux risques technologiques et aux risques naturels prévisibles.

« Dans ce cadre ne peuvent être ni communiqués, ni mis à la disposition du public des éléments soumis à des règles de protection du secret de la défense nationale ou nécessaires à la sauvegarde des intérêts de la défense nationale ou de nature à faciliter des actes susceptibles de porter atteinte à la santé, la sécurité et la salubrité publique ou encore dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à des secrets de fabrication ou au secret des affaires.»

 

Annexe

Décret n° 2020-1050 du 14 août 2020 modifiant le décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 relatif aux directions départementales interministérielles.

Publics concernés : administrations centrales et services déconcentrés de l’Etat dans les départements ; leurs agents et interlocuteurs.

Objet : modification de l’autorité ministérielle de rattachement des directions départementales interministérielles. Entrée en vigueur : le décret entre en vigueur le lendemain de sa publication .

Notice : le décret modifie l’autorité ministérielle dont relèvent les directions départementales interministérielles en indiquant qu’il s’agit de services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’intérieur. Le décret prévoit également que le comité technique compétent pour évoquer les questions intéressant ces directions est institué auprès du ministre de l’intérieur. Références : le décret et le texte qu’il modifie, dans sa version résultant de cette modification, peuvent être consultés sur le site Légifrance (https://www.legifrance.gouv.fr).

Le Premier ministre, Sur le rapport du ministre de l’intérieur,

Vu le décret n° 2009-1484 du 3 décembre 2009 modifié relatif aux directions départementales interministérielles ;

Vu le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 modifié relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l’État ;

Vu l’avis du comité technique des directions départementales interministérielles en date du 23 juillet 2020 ;

Le Conseil d’État (section de l’administration) entendu,

Décrète :

Article 1 L’article 1er du décret du 3 décembre 2009 susvisé est remplacé par les dispositions suivantes : « Art. 1.-Les directions départementales interministérielles sont des services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’intérieur. Elles sont placées sous l’autorité du préfet de département. « Le ministre de l’intérieur assure la conduite et l’animation du réseau des directions départementales interministérielles, en y associant les ministres concernés et dans le respect de leurs attributions respectives. »

Article 2 L’article 11 du même décret est remplacé par les dispositions suivantes : « Art. 11.-Un comité technique des directions départementales interministérielles est institué auprès du ministre de l’intérieur. Ce comité est compétent pour l’examen des questions intéressant ces directions, dans les conditions prévues au titre IV du décret n° 2011-184 du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l’Etat. « Un arrêté du ministre de l’intérieur établit la liste des organisations syndicales de fonctionnaires aptes à désigner des représentants et fixe le nombre de sièges de titulaires et de suppléants attribués à chacune d’elles, proportionnellement au nombre de voix qu’elles ont obtenues lors des consultations organisées en vue de la constitution des comités techniques des différentes directions départementales interministérielles. »

Article 3 Le ministre de l’intérieur et la ministre de la transformation et de la fonction publiques sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 14 août 2020.

Jean Castex Par le Premier ministre :

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. La ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin

 

1 Voir à ce sujet : « CAP 2022 : les multinationales à l’assaut de l’État » par Jean Claude Boual, éditions Collectif des associations citoyennes septembre 2018.

Ecole publique
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Sortir l’Université de l’ornière

par un collectif

 

À l’Université, la rentrée prend des airs de cauchemar. Nous payons le fait qu’en dix ans, l’ensemble des instances locales de délibération et de décision, qui auraient été à même de réagir au plus près des problèmes à anticiper, ont été privées de leurs capacités d’action au profit de strates bureaucratiques. Le pouvoir centralisé de celles-ci n’a d’égal que leur incapacité à gérer même les choses les plus simples comme l’approvisionnement en gel hydroalcoolique et en lingettes. Le succès instantané du concept de « démerdentiel » est un désaveu cinglant pour ces managers qui ne savent que produire des communiqués erratiques jonglant entre rentrée en « présentiel » et en « distanciel ».

On sait pourtant à quelles conditions les universités, loin de devenir des foyers de contagion, auraient pu contribuer à endiguer la circulation du virus : des tests salivaires collectifs pour chaque groupe de travaux dirigés (TD), comme pratiqués à Urbana Champaign aux États-Unis ;  la mise à disposition de thermomètres frontaux ; une amélioration des systèmes de ventilation de chaque salle et de chaque amphi, avec adjonction de filtres HEPA et de flash UV si nécessaire ; l’installation de capteurs de qualité de l’air dans chaque pièce, avec un seuil d’alerte ; la réquisition de locaux vacants, et le recrutement de personnel pour dédoubler cours et TD, partout où cela est nécessaire. Les grandes villes ne manquent pas d’immeubles sous-exploités, souvent issus du patrimoine de l’État, qui auraient pu être très vite transformés en annexes universitaires. De brillants titulaires d’un doctorat capables d’enseigner immédiatement à temps plein attendent, par milliers, un poste depuis des années. Tout était possible en l’espace de ces huit derniers mois, rien n’a été fait.

De prime abord, on serait tenté d’attribuer ce bilan au fait que la crise sanitaire, inédite, a pris de court les bureaucraties universitaires, très semblables à celles qui, depuis vingt ans, entendent piloter les hôpitaux avec le succès que l’on a vu. Mais une autre donnée vient éclairer cette rentrée d’un nouveau jour : l’Université accueille 57 700 nouveaux étudiants, sans le moindre amphithéâtre ni la moindre salle supplémentaire, sans le moindre matériel, sans le plus petit recrutement d’universitaires et de personnel administratif et technique. Ces trois dernières années, le budget des universités a crû de 1,3 % par an, ce qui est inférieur à l’effet cumulé de l’inflation et de l’accroissement mécanique de la masse salariale, connu sous l’acronyme de GVT. D’aucuns se prévaudront sans doute de l’« effort sans commune mesure depuis 1945 » qu’est censée manifester la loi de programmation en discussion à l’Assemblée. Las : elle prévoit un accroissement du budget universitaire pour les deux dernières années de quinquennat de 1,1 % par an… Du reste, les 8,2 milliards € d’abondement sur dix ans du budget de l’Université proviennent des 11,6 milliards € qui seront prélevés dans les salaires bruts des universitaires, en application de la réforme des retraites.

Il y a quinze ans, les statistiques prévisionnelles de l’État annonçaient que la population étudiante allait s’accroître de 30 % entre 2010 et 2025, soit 400 000 étudiants en plus, pour des raisons démographiques et grâce à l’allongement de la durée des études. On aurait donc largement pu anticiper ces 57 700 nouveaux étudiants. Mais rien n’a été fait là non plus, hormis annoncer des « créations de places » jamais converties en moyens.

Le pic démographique n’est pas derrière nous ; nos étudiants sont là pour plusieurs années ; les gestes barrières pourraient devoir être maintenus durablement. Le ministère ne peut pas persévérer comme si de rien n’était, voire arguer qu’il est déjà trop tard. Face à cette situation désastreuse, nous demandons une vaste campagne de recrutement de personnels titulaires dans tous les corps de métiers, tout en amorçant les réquisitions et réaménagements de locaux, afin d’aborder la rentrée 2021 dans des conditions acceptables.

Parallèlement, si nous ne voulons pas être en permanence en retard d’une crise, un saut qualitatif est nécessaire. Nous demandons donc, outre un plan d’urgence pour 2021, la création rapide de trois universités expérimentales de taille moyenne (20.000 étudiants), correspondant à ce qui aurait dû être fait pour accueillir 57 700 étudiants dans de bonnes conditions. Cela requiert le recrutement sous statut de 4 200 universitaires et 3 400 personnels d’appui et de soutien supplémentaires, soit un budget de 500 millions d’euros par an.

Nous avons besoin d’établissements à taille humaine, structurés en petites entités autonomes, mises en réseau confédéral, le cas échéant grâce au numérique ; des établissements qui offrent à notre jeunesse maltraitée des perspectives d’émancipation vis-à-vis du milieu d’origine et de la sclérose intellectuelle qui frappe le pays ; des établissements qui permettent une recherche autonome, collégiale et favorisant le temps long, ce qui nous a manqué dans l’anticipation et la prévention de la pandémie. Pour cela, nous préconisons l’installation de ces trois universités dans des villes moyennes, hors des métropoles, en prenant appui sur le patrimoine bâti abandonné par l’État et sur les biens sous-utilisés des collectivités. En effet, celles-ci possèdent d’anciens tribunaux, des garnisons voire des bâtiments ecclésiastiques qui tombent aujourd’hui en déshérence. Réinvesti par l’université, ce patrimoine retrouverait une utilité sociale. Sur la base des dépenses de l’Opération Campus, la construction de ces pôles dotés de résidences étudiantes en nombre suffisant nécessiterait un milliard d’euros d’investissement, à quoi il faudrait ajouter cent millions d’euros de frais de maintenance et d’entretien. C’est le prix pour s’extraire du cauchemar.

Le virus se nourrit de nos renoncements. Pour sortir les campus de l’ornière, nous devons retrouver l’ambition d’une université forte, exigeante, libre et ouverte.

 



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