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Qui a peur du prolétariat majoritaire ?

par Évariste

 

Est-ce qu’un changement social et politique émancipateur est aujourd’hui possible sans l’action du prolétariat (ouvriers, employés, couches moyennes en voie de paupérisation) majoritaire dans le pays ? D’autant que les intérêts de la grande bourgeoisie ne peuvent se maintenir, dans la crise paroxystique du capital sans l’abaissement continu des droits et des moyens du prolétariat et que ce dernier est aujourd’hui majoritairement hostile à l’offre politique démocratique.

Et comme la convergence entre le mouvement des ronds-points des gilets jaunes et le mouvement social syndical n’a pas eu lieu fin 2018-début 2019, la classe populaire est aujourd’hui divisée.

Mais alors comment se maintiennent les élites bourgeoises au pouvoir alors qu’elles sont sociologiquement minoritaires ? Une seule réponse possible : par une stratégie de type aïkido dite stratégie du choc qui leur permet d’utiliser chaque élément de la crise multidimensionnelle pour accroître les injustices sociales et les violences mais aussi avec l’aide d’une partie importante des intellectuels et des médias dominants, de faire décroître de façon rapide les principes de la République sociale, et donc des droits et libertés du citoyen et en saccageant le cœur de la république sociale que sont les services publics, la sécurité sociale et l’école !

Alors que la France était le deuxième pays du monde fin des années 50, nous sommes aujourd’hui le septième. Par exemple nous voyons, tous les jours, malgré le dévouement des personnels, l’incapacité du système de santé français d’être à la hauteur des enjeux face au Sars Cov-2. Résultat, l’abaissement, bien plus fort que chez nos voisins, des richesses produites nous fait craindre un désastre social pire qu’ailleurs. La bureaucratie politique néolibérale (et non l’administration !) boursouflée par ses campagnes médiatiques mensongères, continue sa triste besogne.

Les injustices et les violences économiques et sociales

En déformant le partage de la valeur ajoutée au profit du profit et au détriment du salaire (9 points de PIB sur près de 40 ans !), les élites bourgeoises organisent la violence économique en multipliant les actes pour enrichir les plus riches et appauvrir les plus pauvres.

En remplaçant petit à petit le principe de solidarité (à chacun selon ses besoins en finançant selon ses moyens) par le principe de charité (chacun organise sa protection sociale selon ses moyens et attend Godot en lieu et place de l’alternative), en supprimant petit à petit l’universalité des prestations pour la transformer en assistance pour les plus pauvres, la solidarité s’estompe.

En déniant au plus grand nombre, le principe d’égalité d’une République sociale, en accentuant la concurrence entre la Sécurité sociale et les assurances privées (complémentaires santé par exemple)

En refusant la possible satisfaction des besoins sociaux essentiels à tous les citoyens et donc aussi à la majorité prolétaire, en désocialisant un nombre croissant de prolétaires par un accroissement massif du chômage (en cumulant les 5 catégories de l’Insee, le cap des 7 millions de chômeurs et des 10 millions de pauvres sera atteint au cours de l’année 2021).

La marche vers une démocrature et les violences répressives

Les élites bourgeoises augmentent simultanément le volet répressif par un processus continu qui transforme la démocratie en démocrature en limitant les libertés publiques

Après le processus de suppression de la démocratie sociale ouvert par les ordonnances gaullistes en 1967 et par la multitude de suppression des conquis sociaux (ordonnances Juppé, lois HPST, assurance-chômage, suppression des CHSCT, diminution des heures syndicales, baisse continue des retraites depuis 1993, santé à plusieurs vitesses selon les capacités financières, branche des accidents du travail et maladies professionnelles malmenée, soutien étatique des syndicats acceptant la récession, etc.), ce sont les libertés publiques qui connaissent un processus incessant de recul – derniers en date, les décrets du début décembre 2020  – honteusement justifié par la majorité des élites intellectuelles et médiatiques.

Y concourt la transformation d’une police qui change une fois de plus de nature : loin d’être au service des citoyens elle favorise des milices privées pour défendre les intérêts des élites bourgeoises (voir à ce sujet notre précédent article).

La bataille fait rage au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle

Mais ce n’est pas tout ! Les élites bourgeoises ne s’appuient pas uniquement sur le pouvoir économique, sur le pouvoir politique, sur les forces de répression massives de leurs milices publiques et privées mais également sur une caste intellectuelle et médiatique qui tente de conserver son hégémonie culturelle sur le prolétariat. Si une minorité des élites intellectuelles voient d’un bon œil la résistance des catégories populaires, la majorité d’entre elles sert, avec une constante servitude volontaire, l’ordre social et politique souvent en faisant mine de produire des pensées magiques qui cachent l’essentiel et permet donc de maintenir l’ordre social établi (revenu universel de base, monnaie hélicoptère, accord de Paris pour le climat accompagnant l’augmentation de l’émission des gaz à effet de serre, poursuite de la privation des profits et de la socialisation des pertes des services publics (projet Hercule d’EDF et Clamadieu pour le gaz au moment où cet article est écrit), préparation de la fusion de l’État et de la Sécurité sociale, simulacre et mascarade des conventions tirés au sort tentant de masquer l’arrivée en démocrature, sous-estimation scandaleuse car volontaire de la crise sociale qui s’annonce, etc.

Mais ce n’est pas tout ! La caste intellectuelle et médiatique favorise la division du peuple en favorisant les cécités croisées que ce soit celles des partisans de l’universel abstrait soit celles de la gauche identitaire !

Que font les adeptes de l’universel abstrait  ? Ils ânonnent l’universalité des principes en oubliant les conditions objectives concrètes de cette universalité, c’est-à-dire qu’ils oublient les phénomènes d’interdépendance des différents combats. Un exemple parmi tant d’autres : se dire laïque sans combattre les reculs des conquis sociaux des gouvernements français de ce siècle. Depuis la Révolution française, la lutte sociale et la lutte laïque ont été concomitantes. Elles reculent en même temps et elles avancent en même temps. Jamais l’une sans l’autre. D’où l’importance de l’esprit de convergence et de liaison des combats émancipateurs : démocratiques, laïques, sociaux, écologiques, féministes et anti-racistes.

Que font les adeptes de la gauche identitaire ? En prenant prétexte de la diversité des discriminations (classiste, genrée, raciste, etc.) – ce qui est juste –, ils participent à l’invisibilité des catégories populaires majoritaires dans la lutte des classes. La visibilité de la classe populaire, la visibilité des représentants issus de cette classe, est pourtant indispensable pour retrouver le chemin de l’égalité et de l’émancipation. Cette gauche identitaire se satisfait de la visibilité des porte-paroles des minorités visibles ou des discriminations genrées. De plus, elle assure une mansuétude coupable, contre les intérêts de la majorité des citoyens musulmans de notre pays, avec l’islamisme politique (par exemple, soutien hier à Tariq Ramadan puis à la manifestation du 10 novembre 2019 initiée par les pro-intégristes de la confrérie des Frères musulmans).

Face à ces cécités croisées se renforçant l’une l’autre, l’universalisme concret d’une République sociale que nous défendons est un universalisme de la praxis, un universalisme qui prend en compte les conditions objectives et subjectives des citoyens et de leurs familles et pas seulement les réalités formelles et qui dans sa pratique montre son opposition concrète dans les faits et non seulement en parole à tous les adversaires des principes de la République sociale (liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, universalité des principes, souveraineté populaire, sûreté, développement écologique et social). Sans cela, l’intellectuel dit « engagé » est un imposteur !

Prenons un exemple, la défense de la laïcité et du féminisme ne peut sombrer dans l’essentialisme et le communautarisme mais ne doit pas non plus s’appuyer sur un discours de l’universalisme abstrait. Pour nous, partisans de l’universalisme concret, nous devons rejeter ces deux cécités croisées.

Tout cela est vrai aussi bien en France qu’ailleurs ! On l’a vu avec le Hirak algérien , les « printemps arabes » et plus généralement dans beaucoup de pays du monde. Et partout se développe contre les partisans de l’universalisme concret de la gauche laïque et sociale, en plus de l’extrême droite populiste, de la droite installée, de l’extrême centre macroniste, de la gauche identitaire, de la gauche de la lâcheté, celle qui critique de son Aventin de salon, la gauche sociale en préparant de fait un deuxième tour à la présidentielle extrême droite contre extrême centre macroniste voire l’union des droites. Comme si l’émancipation pouvait s’atteindre sans lier combat laïque et combat social et luttes sociales et luttes politiques ! Comme toujours, la majorité des élites bourgeoises intellectuelles ont une poutre dans l’œil qui les empêchent de « voir » le prolétariat ouvrier et employé éloigné du centre des métropoles et même des banlieues proches par le phénomène de gentrification qui organise les ghettos sociaux, qui détruit la mixité sociale (d’abord dans l’école puis dans les quartiers). Leur poutre dans l’oeil doit aussi les empêcher de comprendre qu’agir sur les conditions concrètes et réalistes de la transformation sociale et politique est tout bonnement indispensable pour engager un processus d’émancipation. Certains intellectuels considèrent, dans ce moment de crise systémique et multidimensionnelle du capital, la politique comme un salon bourgeois où l’on cause, comme le dit Habermas !

Et comme c’est le mouvement qui crée la pensée (et non l’inverse), la conscience (qu’elle soit de classe ou réactionnaire) se détermine en grande partie par son attitude lors des mouvements sociaux, qu’ils soient animés par des organisations syndicales ou par des gilets jaunes. La conscience ne se crée donc pas dans l’entre-soi bourgeois hors du débat argumenté en contact avec les différentes classes et catégories de la population. Voilà pourquoi la majorité de la petite bourgeoisie intellectuelle, vivant dans les métropoles, a beaucoup parlé des gilets jaunes sans les connaître, sans lire les études sérieuses, à partir des images des chaînes d’info continue du samedi, pourquoi elle n’a que rarement eu des contacts avec les gilets jaunes des ronds-points qui, eux, se sont déployés principalement en zone rurale et périurbaine.

Effectivement, la ségrégation spatiale qui s’amplifie en France et dans le monde n’aide pas à permettre des débats argumentés entre les différentes classes de la population. D’où l’importance grandissante des sciences sociales pour nous.

Autonomisation des sciences sociales d’une part, débat argumenté au sein des mouvements sociaux et politiques d’autre part

Pour nous, partisans laïques de la République sociale, nous avons bénéficié des penseurs et des acteurs de l’histoire du 17e siècle à nos jours sur tous les combats sur les principes de la République sociale que nous avons cité plus haut : des philosophes, des femmes et des hommes politiques et syndicalistes, sur les combats autour des universaux concrets démocratique, laïque, social, écologique , féministe.

Aujourd’hui, notre rôle est d’aborder la difficulté de la période qui est de se battre contre les cécités croisées de ceux qui défendent un universel abstrait et de ceux qui veulent transformer la gauche en gauche identitaire et indigéniste.

Pour cela, nous avons d’abord besoin pour les raisons énoncées plus haut, de sortir les sciences sociales de trois dépendances :

1) une dépendance de l’ordre social établi ;

2) une dépendance essentialiste par la couleur de peau ou par le genre et donc de soutenir une autonomisation des sciences sociales de tout essentialisme. Nous rappelons ici que pour nous une caissière de supermarché est d’abord une employée prolétaire, membre de la classe populaire ouvrière et employée qui peut en plus subir des discriminations de genre ou des discriminations racistes. Et dans ce cas, c’est l’action de la lutte pour la laïcité et l’égalité qui permet la lutte contre le sexisme et le racisme. Et non pas l’invisibilité des classes populaires.

3) une dépendance de l’histoire écrite uniquement par les vainqueurs.

Pour cela, nous avons, entre autres, à notre disposition les études sur les classes populaires, sur les transformations du travail, sur la protection sociale, sur la crise des partis politiques et du mouvement ouvrier, sur l’immigration, sur la question nationale et sur la montée des revendications identitaires.

Dans la même veine que le travail sur l’histoire populaire américaine d’Howard Zinn face aux histoires des États-Unis des vainqueurs, nous avons aujourd’hui Une histoire populaire de la France avec comme sous-titre «  De la guerre de Cent Ans à nos jours » de Gérard Noiriel aux éditions Agone (829 pages, 28 euros). L’auteur y reprend la critique la gauche identitaire formulée par Nedjib Sidi Moussa : « cette gauche assigne à résidence identitaire les individus qui voudraient s’émanciper de toute appartenance confessionnelle ou raciale », en proposant de « remettre les antagonismes de classes au cœur des analyses ». Et dans sa postface il revient sur le mouvement des gilets jaunes. Mais grâce à ce livre, vous verrez comment les paysans et les artisans ont pu dire leur souffrance au nom de Dieu au 16e siècle, puis comment les classes populaires ont pu se révolter au 17e siècle, comment la résistance s’organise contre l’esclavage, comment la « guerre des farines » fut le premier combat contre le libéralisme, l’apprentissage de la démocratie par le bas au 18e siècle, etc. Et ce livre montre contrairement à ce que raconte la gauche identitaire, il y a toujours eu des républicains antiracistes et anti-colonialistes et que la lutte des classes traversait le camp républicain.

Si donc nous sommes pour l’autonomie de la recherche en sciences sociales, nous pensons que cela peut aller de pair avec le fait qu’un chercheur en sciences sociales puisse aussi débattre et discuter au sein du mouvement social et politique avec des acteurs de ce dernier. Marx, Engels, Jaurès, Gramsci, Durkheim, Marc Bloch, Bourdieu et beaucoup d’autres étaient de ceux-là. Dans la séquence actuelle, cela n’est pas gagné !

Crise sanitaire
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Politique de vaccination : l’inversion des priorités ?

par Frédéric Pierru

 

La France rencontre de nombreuses difficultés pour enclencher une véritable vaccination de masse. Une nouvelle fois, la pandémie de Covid-19 met en lumière les failles du gouvernement et les problèmes structurels qui empêchent la France de faire face à cette crise sanitaire. Plus qu’une pandémie de SARS-COV2, nous pouvons parler, à la suite de Richard Horton, de syndémie [1]. Ce concept signifie que les facteurs socio-économiques et l’état de santé des populations sont étroitement intriqués et qu’ils se renforcent mutuellement, aggravant ainsi les inégalités de santé et les conditions socio-économiques des classes sociales concernées. Par Frédérick Stambach, médecin généraliste rural à Ambazac, Julien Vernaudon, praticien hospitalier gériatre aux Hospices Civils de Lyon et Frédéric Pierru, politiste et sociologue, chercheur au CNRS (article initialement publié par LVSL).

Photo by Hakan Nural on Unsplash

Une stratégie changeante

Le plan de vaccination initial élaboré par le gouvernement français, semble avoir progressivement monté en charge pour rentrer dans la vaccination de masse mi-février [2]. C’était d’ailleurs les éléments de langage qui circulaient début janvier : le « retard » français n’en étant pas un, mais bien la stratégie prévue [3].

Les disparités européennes ont rendu intenable cette position. Nos voisins italiens, espagnols et allemands, dépendant eux aussi de l’accord de l’Agence Européenne du Médicament (EMA), ont commencé à vacciner en masse dès l’autorisation de l’EMA obtenue le 21 décembre [4]. Les médias créent pour l’occasion une sorte d’« Eurovision » de la vaccination, mettant en lumière la singularité du cas français, bon dernier du classement des personnes ayant reçu au moins une dose du vaccin Pfizer-BioNTech. Sous pression médiatique et médicale, le gouvernement change brutalement de stratégie mais sans en avoir les moyens [5].

Sur le terrain, l’impression est désastreuse. Les centres de vaccinations sont montés dans la précipitation depuis début janvier, mais les doses de vaccins n’étant pas bien calibrées, les patients éligibles à la vaccination ne peuvent obtenir de rendez-vous dans des délais raisonnables. Pire, ce cafouillage pourrait obliger à décaler voire à abandonner la deuxième injection, pourtant indispensable selon les essais cliniques. Pour les soignants, il est difficile de soulager l’angoisse des patients et leur sensation d’être une fois de plus abandonnés. Les initiatives des professionnels de santé et des élus locaux fleurissent, mais les Agences régionales de santé (ARS) ne peuvent réaliser l’impossible en l’absence de vaccins suffisants. L’argument selon lequel il faudrait faire les comptes « à la fin » pour dénombrer les personnes vaccinées ne résiste pas dans le cadre d’une syndémie mondiale, qui plus est avec l’apparition des différents variants. Dans ce cas, précisément, c’est le nombre de patients vaccinés dès les premières semaines qui est crucial et pourrait éviter une nouvelle catastrophe.

Pour les soignants, il est difficile de soulager l’angoisse des patients et leur sensation d’être une fois de plus abandonnés.

La situation ressemble étrangement à l’épisode des masques au mois de mars 2020, lorsque le gouvernement incitait les Français à aller chercher des masques en pharmacie, alors que les pharmaciens n’en avaient pas, créant ainsi une pagaille et une tension bien inutiles dans les officines.

Un manque d’anticipation des contraintes

Depuis presque une année, nous savions que l’un des piliers de la sortie de crise serait la vaccination de masse. Or, nous savions également depuis plusieurs mois que les deux premiers vaccins disponibles seraient ceux de Pfizer-BioNTech et Moderna. Nous en connaissions les conditions de conservation et d’administration. La stratégie logique aurait donc été de monter les centres de vaccination courant décembre, pour pouvoir commencer à vacciner massivement dès l’autorisation de l’EMA fin décembre, ce que semblent avoir fait les pays voisins de la France.

Cette stratégie impliquait évidemment d’avoir anticipé, en commandant suffisamment de doses de vaccin dès le départ car, sinon, il est effectivement inutile d’ouvrir des centres de vaccination en nombre. Il existe un facteur limitant lié aux capacités maximales de fabrication et de livraison du laboratoire. Cependant, nous ne pouvons qu’être frappés par les différences entre pays : plus que le manque de doses c’est bien l’inégale répartition entre les pays et/ou la capacité des pays à les utiliser rapidement qui est en cause. Le calendrier de livraisons communiqué par le ministère indique qu’au 18 janvier plus de 2 millions de doses ont théoriquement sur le territoire français [6], pour 480 000 personnes ayant officiellement reçu au moins une dose à cette date. Un hiatus de 1,5 millions de vaccins [7].

Il est également troublant de constater que, dans le même temps, certains pays ont manifestement réussi à obtenir des millions de doses : les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël. Lorsque l’on se penche sur les différents tarifs, les pays qui ont reçu le plus de doses,et donc vacciné le plus de personnes, sont ceux qui payent le plus cher la dose de vaccin. Les pays de l’Union européenne payent entre 12 et 15,50 euros l’unité, contre environ 16 euros pour les États-Unis et la Grande-Bretagne et plus de 22 euros pour Israël [8]. Une question se pose immédiatement : le laboratoire priorise-t-il les livraisons en fonction du prix qu’il reçoit pour chaque dose ? Le marché du médicament étant un marché comme un autre, le contexte de libre-échange et de concurrence maximale entre les différents acteurs du secteur expliquerait cette priorisation, logique du point de vue d’un laboratoire privé.

Une question se pose immédiatement : le laboratoire priorise-t-il les livraisons en fonction du prix qu’il reçoit pour chaque dose ? Le marché du médicament étant un marché comme un autre, le contexte de libre-échange et de concurrence maximale entre les différents acteurs du secteur expliquerait cette priorisation, logique du point de vue d’un laboratoire privé.

Cette problématique aurait été absente si nous disposions d’un pôle public du médicament efficace.

De plus, les surenchères risquent de s’aggraver avec les tensions concernant l’approvisionnement [9]. Quoiqu’il en soit, il est parfaitement anormal que la puissance publique n’ait pas anticipé cette situation. Les responsables sont donc à rechercher au niveau de la Commission européenne pour la négociation, dont les contrats sont inaccessibles dans leur intégralité, et au niveau du gouvernement français.

Des causes structurelles profondes

Le gouvernement français, dans le droit fil de ses prédécesseurs, est probablement celui qui porte la plus lourde responsabilité pour au moins trois raisons. La première est qu’il peut être estimé responsable de nous laisser enferrés dans des traités européens qui empêchent toute réponse économique, sociale et environnementale d’ampleur et nous laisse désemparés face aux puissances financières et industrielles. Certains pays, comme l’Allemagne, s’en extirpent lorsque la situation et leurs intérêts l’exigent par exemple en commandant directement auprès du laboratoire [10].

De plus, le gouvernement est resté sourd aux protestations sociales contre sa politique économique, inscrite dans les traités européens, qui a accompagné, sinon accéléré, la désindustrialisation de notre pays. La France est ainsi le seul grand pays à ne pas avoir de vaccin « national », Sanofi ayant sacrifié sa recherche pour des raisons de rentabilité immédiate [11]. Si la France avait disposé d’un pôle public du médicament, nous aurions pu nous appuyer sur une recherche de pointe et des moyens de production rapidement réquisitionnables. Notre réponse à cette syndémie aurait été bien plus efficace, et moins anxiogène pour les citoyens.

Enfin, la communication du gouvernement continue d’être erratique et opaque – comme tout au long de la crise –, n’assumant jamais les multiples erreurs, pourtant manifestes sur le terrain : tests, masques, gel hydro alcoolique. Cela rend le gouvernement dorénavant inaudible et complique grandement la tâche des soignants. Le summum a probablement été atteint avec le « Ségur » qui fait actuellement l’objet d’une colère justifiée [12], puis la divulgation récente par la presse du recours à des officines privées, payées à prix d’or, pour élaborer la stratégie de vaccination au mépris des agences gouvernementales, avec un succès plus que discutable [13].

Un renversement des priorités

Lorsque l’on regarde attentivement la séquence politique des dernières semaines, nous ne pouvons qu’être frappés par la concomitance de deux événements.

Tout d’abord, le manque d’anticipation concernant la vaccination, alors qu’il aurait été possible de préparer toute la logistique (transports, conservation, centres de vaccination) dès le mois de décembre, mais également de participer à la production du vaccin en réquisitionnant certains sites nationaux de production (comme cela est proposé par la CGT Sanofi [14]) puisqu’il était évident que des tensions allaient apparaître, là encore dès la fin 2020.

Le gouvernement semble préférer se protéger de sa population au moment-même où la priorité serait précisément de la protéger.

Mais cette impréparation est contemporaine d’un autre projet, qui semble avoir accaparé toutes les énergies gouvernementales : la loi sécurité globale. Ainsi, au lieu de prendre la mesure de la syndémie et d’en discuter démocratiquement avec les réponses appropriées(protectionnisme, relance, souveraineté, bifurcation de notre mode de consommation et de production), le gouvernement a utilisé les derniers mois de l’année 2020 pour faire passer une loi dont l’aspect sécuritaire n’est plus à démontrer et qui est bien éloignée des préoccupations immédiates des Français, et plus encore, de l’intérêt général. Cette loi paraît préparer l’arsenal législatif pour une répression policière inédite, comme pour se protéger d’une population que le gouvernement sait être très en colère et actuellement muselée,probablement pour anticiper un débordement social dans les mois à venir qu’il compte bien maîtriser, par la force s’il le faut [15]. Cette inversion complète des priorités est révélatrice des préoccupations qui règnent actuellement au sommet de l’État.

Le tableau général est peu reluisant : le gouvernement semble préférer se protéger de sa population au moment-même où la priorité serait précisément de la protéger, dans un contexte d’angoisse bien légitime. Pour terminer nous nous appuierons de nouveau sur les propos de Richard Horton [16] : les citoyens français ont besoin d’espoir. Pour cela, il faut poser le bon diagnostic : cette syndémie est le symptôme palpable qu’un cran a été franchi dans la dégradation de notre écosystème, du fait de notre mode de production et de consommation [17]. À partir de là, nous devons nous y préparer avec calme en mobilisant toute l’intelligence et l’audace dont regorgent ce pays. Toutes les solutions sont déjà à disposition mais, pour cela, il faudra travailler à changer de cadre de pensée et d’action.

 

Notes :

[1] Une syndémie se caractérise par des interactions biologiques et sociales très étroites entre conditions socio-économiques et état de santé, interactions qui s’intriquent et se renforcent mutuellement pour augmenter le risque pour certains groupes sociaux de voir leur état de santé et/ou leurs conditions socio-économiques se dégrader. Par exemple, dans le cas du SARS-COV2, les formes graves seront plus fréquentes chez les patients issus des classes sociales défavorisées, puisque cette population concentre les co-morbidités, appelées également maladies non transmissibles, comme le diabète,l’obésité, l’hypertension artérielle, les pathologies cardio-vasculaires ou respiratoires. Cela entraîne en retour une aggravation de l’état de santé initial (même après la « guérison clinique » de la COVID), ET de la situation socio-économique de départ. Cette réaction en chaîne rend les classes sociales concernées encore plus fragiles, renforçant ainsi le risque de développer de nouvelles pathologies qui viendront à leur tour accentuer les difficultés socio-économiques et la vulnérabilité aux prochains pathogènes, et ainsi de suite. Un cercle vicieux de la triple peine en somme. En conséquence la réponse à une syndémie ne peut être que globale : en prenant des mesures biomédicales et socio-économiques de grande envergure pour lutter contre les inégalités à l’intérieur des pays mais également entre pays.
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32000-6/fulltext

[2] https://www.mediapart.fr/journal/france/210121/vaccination-la-grande-pagaille

[3] https://www.liberation.fr/france/2021/01/02/vaccins-le-gouvernement-en-mode-auto-defense-perpetuelle_1810195

[4] https://www.ema.europa.eu/en/news/ema-recommends-first-covid-19-vaccine-authorisation-eu

[5] https://www.mediapart.fr/journal/france/210121/vaccination-la-grande-pagaille
7/8lvsl.fr

[6] ibid.

[7] https://fr.statista.com/infographie/23953/course-vaccination-europe-pays-nombre-personnes-vaccinees-doses-administrees/

[8] https://www.bfmtv.com/economie/vaccins-anti-covid-pourquoi-tous-les-etats-ne-paient-pas-le-meme-prix_AV-202101060316.html

[9] https://www.humanite.fr/le-scandale-de-la-penurie-de-vaccins-et-comment-sanofi-pourrait-aider-y-remedier-698778

[10] Ibid.

[11] https://www.leprogres.fr/sante/2021/01/13/covid-19-pas-de-moyens-pas-de-vaccin-regrette-la-cgt-sanofi-a-lyon

[12] https://twitter.com/InterUrg/status/1352677379408343041?s=20

[13] https://www.nouvelobs.com/vaccination-anti-covid-19/20210108.OBS38591/mckinsey-qui-conseille-le-gouvernement-sur-la-strategie-vaccinale-serait-paye-2-millions-d-euros-par-mois.html

[14] https://www.sudouest.fr/2021/01/13/covid-19-la-cgt-pour-la-requisition-des-outils-de-production-de-sanofi-pour-le-vaccin-8282034-3224.php

[15] https://www.mediapart.fr/journal/france/071220/securite-globale-une-vision-totalisante-de-la-securite

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COVID-19 : mettons aussi fin à l'épidémie d'âgisme !

Communiqué de l'Association des Jeunes Gériatres

par http://www.assojeunesgeriatres.fr/ Association des Jeunes Gériatres

 

La pandémie de Covid-19 continue à se répandre, avec un impact majeur sur l’ensemble de la population tant sur le plan sanitaire, psychologique, social, économique, culturel, politique et environnemental. Pourtant, au lieu d’appels à la solidarité et à une sortie de crise pensée à l’échelle collective, les déclarations âgistes se multiplient, émanant, de surcroît, de personnes qui ne connaissent pas le milieu de la gériatrie et de la gérontologie !

L’Association des Jeunes Gériatres (AJG) dénonce fermement l’ensemble des déclarations passées et à venir qui introduisent l’idée de discriminations à l’égard des personnes du fait de leur âge ou de leur lieu de résidence.

Les EHPAD et Unités de Soins de Longue Durée sont des lieux emplis de vie : cette vie compte autant que n’importe quelle autre !

La vaccination prioritaire des personnes les plus vulnérables n’est pas un privilège, mais une nécessité absolue pour l’ensemble de la société, sur une base :

  • Épidémiologique : les personnes âgées sont celles qui sont le plus hospitalisées, qui décèdent le plus des conséquences de la maladie ou qui ont le plus de conséquences fonctionnelles secondaires.
  • Éthique : les personnes âgées sont des citoyennes et des citoyens comme les autres. La pandémie les marginalise d’autant plus que nombre d’entre elles se sont largement auto-confinés. Pour les plus vulnérables d’entre elles qui résident en EHPAD, cela a eu un impact particulièrement significatif sur de nombreux domaines de leur vie, médicale, sociale, fonctionnelle et psychologique1.
  • Solidaire : les personnes actuellement âgées ont largement contribué à l’émergence de la Sécurité Sociale. Ce système rappelle à chaque personne les valeurs fondamentales de fraternité et de lutte contre les vulnérabilités afin de permettre une société inclusive, sans discrimination basée sur l’âge, le sexe, le milieu social, la maladie… Affirmons notre altérité, notre interdépendance à autrui, dans un projet de société où l’on a le souci des personnes les plus vulnérables, que l’on sera probablement un jour.
  • Économique : Prévenir des cas, c’est ainsi réduire la pression hospitalière. C’est une mesure efficiente sur un plan médico-économique. Éviter des formes graves, les décès et les coûts d’hospitalisation contribuera de plus à l’allègement des restrictions sanitaires.

Face à cette « syndémie »2, l’AJG appelle, l’ensemble de la société française à penser une méthode solidaire de sortie de crise qui tienne compte de la complexité des enjeux :

Même si la vaccination contribuera à endiguer la crise, les mesures de limitation maximale de la circulation virale ne peuvent s’envisager qu’au coût social minimal efficace pour l’ensemble de la population, sans distinction d’âge.

En cela, l’AJG renouvelle une demande formulée précédemment par la SFGG, d’étendre la vaccination aux personnes qui interviennent auprès des personnes vulnérables au domicile comme en EHPAD.

L’AJG est convaincue que ces mesures contribueront à une sortie de crise sans stigmatiser la part la plus âgée de la population.

L’AJG appelle l’ensemble des professionnels de santé au respect de la déontologie et à lutter contre l’âgisme.

1 Piccoli M, Tannou T, Hernandorena I, Koeberle S. Une approche éthique de la question du confinement des personnes âgées en contexte de pandémie COVID-19 : la prévention des fragilités face au risque de vulnérabilité, Ethics Med Public Health. 2020 Jul- Sep;14:100539. doi: 10.1016/j.jemep.2020.100539

2 Horton R, Offline: COVID-19 is not a pandemic, The Lancet, 2020; 396(10255):874. doi: 10.1016/S0140-6736(20)32000-6

 

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« Dissolution de la mission parlementaire sur la gestion de la crise : la démocratie bâillonnée ? »

Tribune

par Collectif

 

Plusieurs intellectuels et médecins s’inquiètent de la dissolution de la mission parlementaire dédiée à l’examen de la gestion de la crise de Covid-19 (tribune initialement publiée dans Marianne).

Alors que se dessine un troisième confinement « serré », la majorité présidentielle ne trouve rien de mieux que de dissoudre la mission parlementaire dédiée à l’examen de la gestion de la crise de Covid-19. Elle argue que la raison d’être de la mission, ayant rendu son rapport en décembre 2020, aurait disparu. Nous sommes habitués aux contorsions de cette majorité de parlementaires recrutés sur CV lorsqu’elle, elle doit justifier, volens nolens, les injonctions élyséennes. Son seuil de tolérance est pourtant très élevé : il faut, par exemple, la remise sur le métier de l’article 24, pourtant poussé par Beauvau et voté par l’Assemblée nationale, de la loi sur la « sécurité globale », pour que le novice se rebiffe, comme jadis « le cave ». Las, l’argument de la majorité présidentielle tombe à plat : c’est le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand lui-même qui, mettant sur pied cette commission, avait déclaré que cette dernière durerait autant que la crise du Covid-19.

Ce pouvoir ne cesse de remettre en cause les principes de la démocratie parlementaire et les libertés publiques. La liste des mesures que certains avocats et défenseurs des droits de l’Homme ont sévèrement jugée, certaines ayant été même censurées par le Conseil Constitutionnel, donne le tournis : loi sur la sécurité intérieure, loi relative à la protection du secret des affaires, loi Avia contre « la manipulation de l’information », réforme du droit d’asile et de l’accueil des mineurs étrangers, loi sur la « sécurité globale », fichage des opinions philosophiques, religieuses et politiques, court-circuit et entraves systématiques des droits du Parlement, état d’urgence permanent, définition de la stratégie de crise au sein d’un « comité de défense sanitaire » couvert par le secret-défense, etc.

La Macronie contre le parlement ?

Que n’aurait-on dit si Marine Le Pen, accédant à l’Élysée en 2017, eût présidé à cette funeste litanie de « réformes » ? Les mêmes qui, aujourd’hui, s’offusquent des protestations des oppositions, seraient vent debout face au « fascisme » rampant ! La majorité présidentielle argue, à l’appui de ses proclamations démocratiques, de dispositifs du type tirage au sort d’un panel de citoyens ou encore de « concertations » avec les représentants des groupes parlementaires – après le « grand débat » dont on attend encore les synthèses promises et la « convention citoyenne pour le climat » dont on sait ce qu’il est advenu des préconisations. Mais ce sont là des gadgets !

Ainsi, par exemple, on apprenait que le groupe de citoyens tirés au sort et destinés à « éclairer » la campagne de vaccination serait à parts égales composé de pro- et d’anti-vaccins. Mais alors, ce n’est plus un tirage au sort ! De même, on sait que les « concertations » organisées par le Pouvoir ne sont que des mises en scène médiatiques qui ne sauraient aucunement remplacer la délibération parlementaire. Cette dernière pourrait être éclairée par des institutions existantes, des « corps intermédiaires », mais, là encore, soit elles ont été supprimées par l’Exécutif (Observatoire de la pauvreté, MIVILUDES), soit elles ne sont pas saisies (Conseil Économique Social et Environnemental), soit elles ne sont pas écoutées (Défenseur des Droits, Haute Autorité de Santé).

Dans aucun pays occidental, l’on assiste à une telle mise sous le boisseau des droits du Parlement et des libertés publiques.

Il semble donc que la Macronie n’accepte les contre-pouvoirs que lorsqu’ils sont en ligne avec l’Élysée ou ne procèdent que de lui. Car, sinon, il ne s’agirait que de « débats stériles » et de « polémiques gratuites lancées par une opposition qui ne sait que s’opposer sans rien proposer », selon les formulations aussi creuses que récurrentes des porte-parole de la majorité. À ces polémiques, il conviendrait impérativement de mettre un terme au nom de l’efficacité face à la guerre virale. Perte de temps et d’énergie que tout cela ! Au surplus, les contre-pouvoirs institutionnels auraient la fâcheuse tendance à alimenter les aigreurs d’un peuple de « 66 millions de procureurs ». Après la neutralisation du Parlement, la dissolution du Peuple souverain au nom de la démocratie d’opinion ?

Dans aucun pays occidental, l’on assiste à une telle mise sous le boisseau des droits du Parlement et des libertés publiques. Aucun. En Allemagne, une telle dérive concentrant tous les pouvoirs aux mains d’une poignée d’individus serait impensable. Il en est de même dans le pays berceau de la démocratie parlementaire, la Grande-Bretagne. Autant dire que le modèle dont s’inspire Emmanuel Macron se situe davantage en Asie qu’en Europe ou même aux États-Unis. Certains proches du pouvoir ne s’en cachent pas en privé, comme l’a rapporté l’économiste Gaël Giraud. N’a-t-on pas entendu, médusé, sur une radio du service public, un grand généticien aux sympathies politiques transparentes, faire le « constat » que la « démocratie contestataire » (sic) française n’était pas aussi efficace qu’une dictature à la chinoise pour lutter contre la pandémie ? On se souvient aussi du Ministre de la Santé, Olivier Véran, sommant les députés de l’opposition, par trop critiques, de quitter… l’Hémicycle. Quel symbole, inimaginable dans un autre pays de démocratie parlementaire !

Démocratie bâillonnée ?

C’est que l’« élite stato-financière » a été biberonnée à la Ve République et à sa claudication au profit de l’Exécutif. Ces déséquilibres institutionnels ont été amplifiés par le néomanagement : l’Efficacité justifierait la concentration accrue des pouvoirs au profit d’individus qui pensant « être tout » veulent – par altruisme certainement – éclairer le chemin de « ceux qui ne sont rien ». Le management veut des citoyens libres… d’obéir comme l’a souligné l’historien Johann Chapoutot. Ce mélange d’institutions déséquilibrées, d’autoritarisme managérial et de mépris de classe est détonnant, voire dynamiteur des principes fondamentaux de la République : liberté, égalité, fraternité. À cet égard, la crise du Covid-19 semble davantage être un prétexte plutôt qu’une cause du régime d’exception dans lequel nous sommes peu à peu plongés.

La France devient une anomalie démocratique.

On dira que nous exagérons ; qu’il est outrancier d’accuser de telles visées un pouvoir démocratiquement élu et qui « présente » bien. On pourrait opposer l’alerte de George Orwell : ce dernier nous a prévenus que la prochaine fois que les fascistes reviendront, ils ne porteront ni uniformes ni bottes, mais des imperméables et des chapeaux melon. Non, en effet, nous ne sommes pas dans un régime fasciste. Mais nous en dévalons dangereusement la pente, pour cette simple raison : à chaque estocade portée à la démocratie parlementaire et aux libertés publiques, ce pouvoir légitime un peu plus la vision du monde du Rassemblement National. Quand on pense détenir la Vérité, on se croit autorisé à jeter par-dessus bord Montesquieu, et c’est bien ce qui inquiétait ce dernier. La démocratie est l’organisation pacifique du dissensus, raison pour laquelle l’agora parlementaire est son berceau et son écrin. N’en déplaise à l’Exécutif, le désaccord n’est pas une pathologie ; c’est notre condition démocratique. Il ne faut donc pas s’étonner que, dans ce climat délétère, certains sondages annoncent pour 2022 un second tour Macron/Le Pen aussi serré que le confinement qui vient.

La France devient une anomalie démocratique. Il est plus que temps que les froggies – comme se plaisent à nous surnommer les Anglo-Saxons qui, eux, ne transigent pas avec les prérogatives des assemblées élues – bondissent hors de la casserole où elles sont en train de cuire à petit feu.

 

  • Signataires :

Françoise Acker, sociologue

Paule Bourret, sociologue, cadre de santé

Raphaël Briot, praticien hospitalier, anesthésiste réanimateur

Didier Brisebourg, animateur de l’Association pour une Constituante (Hyères)

Patrick Chemla, psychiatre, chef de pôle, Centre Antonin Artaud, Reims, membre de l’Union syndicale pour la psychiatrie (USP)

François Cocq, essayiste

Alain Damasio, écrivain

Marie-José del Volgo, maître de conférences praticien hospitalier honoraire Aix Marseille université

Jean-Pascal Devailly, praticien hospitalier, médecine physique et de réadaptation

Patrick Dubreil, médecin généraliste

Alexandre Fauquette, sociologue

Frédéric Favarel, conseiller municipal et communautaire de Bezons (95)

Riva Gerchanoc, Présidente de Combat laïque Combat social – Fédérer le peuple.

Delphine Glachant, psychiatre, présidente de l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)

Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie, Université Aix-Marseille

Claudine Granthomme, Combat laïque combat social fédérer le peuple (Clcs-flp)

Laurent Heyer, anesthésiste-réanimateur, praticien hospitalier

Eric Jamet, éditeur

Marie Kayser, médecin généraliste

Matthieu Lafaurie, médecin

Patrice Leguerinais, militant associatif

Philippe Lévy, professeur des Universités, Praticien Hospitalier

Arnaud de Morgny coordonnateur Île-de-France pour la Gauche Républicaine et Sociale

Anne Perraut-Soliveres, cadre supérieure de santé et chercheuse

Matthieu Piccoli, médecin, patricien hospitalier

Frédéric Pierru, sociologue et politiste, CNRS

Pratiques. Les Cahiers de la médecine utopique

Gilberte Robain PH PhD Chef de service APHP Paris

Nicole Smolski, Praticien hospitalier anesthésiste réanimatrice honoraire

Jean Scheffer, ancien praticien hospitalier chef de service Albi

Frédérick Stambach, médecin généraliste rural à Ambazac, engagé dans la défense du service public hospitalier

Bernard Teper, Co-animateur du Réseau Éducation Populaire (REP)

Richard Torrielli, Médecin, ancien anesthésiste réanimateur du CHU de Bordeaux, membre d’Action Praticiens Hôpital

Julien Vernaudon, médecin gériatre

Frédéric Viale, essayiste

Jean Vignes, militant syndical et associatif

Ecologie
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Adieu à la nature ?

Pour renouer avec le vivant…

par Rachel Haller

 

La syndémie due au Covid et ses restrictions ont révélé un besoin de nature chez la plupart de nos concitoyens : depuis le confinement, avoir un extérieur ou un jardin est devenu un critère de bien-être beaucoup plus important, de même que l’accès à un parc ou à une forêt à proximité. Mais, au-delà des bienfaits reconnus de la nature sur la santé psychique, cette crise a permis aussi pour certains d’entre nous de prêter davantage attention aux autres espèces avec lesquelles nous cohabitons. Depuis leur fenêtre, certains ont pu durant l’année écoulée faire l’expérience d’observer le retour du printemps. La Ligue de protection des oiseaux qui avait lancé un comptage participatif durant le premier confinement a ainsi reçu plus d’un demi million d’observations. S’émerveiller devant le spectacle de la biodiversité, c’est exactement ce qu’appelle de ses vœux le philosophe Baptiste Morizot pour qui la crise écologique que nous affrontons est aussi une « crise de la sensibilité au vivant ». Dans notre mode de vie (majoritairement urbain) et de pensée occidental, nous vivons désormais coupés du vivant, nous ne savons plus reconnaître les espèces qui nous entourent, et par conséquent nous ne sentons plus appartenir à cette grande communauté qu’est le monde vivant. Or, ne faudrait-il pas, pour construire un monde soutenable, comprendre que nous faisons partie de ce tout et que nous sommes interdépendants les uns des autres ? Cette démarche nécessite de remettre en question le concept de nature.

La nature est une invention

Hérité du latin natura, le mot nature peut prendre trois sens en français : il peut soit désigner l’ensemble du monde physique, l’univers, soit les traits constitutifs, l’essence d’une personne ou d’un objet et enfin tout ce qui n’est pas l’être humain. C’est cette dernière acception qui est problématique. D’abord, à y regarder de plus près, bien rares sont les endroits du monde terrestre qui n’ont pas subis l’influence, même discrète, de l’homme, que l’on pense par exemple au parc national des Cévennes dont les paysages ont été façonnés depuis des siècles par l’agro-pastoralisme. Ensuite, ce « grand partage » entre l’homme d’un côté et la nature de l’autre a été remis en question depuis une trentaine d’années par les anthropologues français Philippe Descola et Bruno Latour. Pour ce dernier, la modernité est fondée sur la séparation entre le monde naturel, indépendant, constitué par des objets étudiés par la science, et le monde social, humain, régi par la politique1. Or, cette manière de voir le monde permet difficilement d’appréhender les nouveaux objets « hybrides » (trou dans la couche d’ozone, virus du sida, pollution des rivières…) et de trouver des réponses pour y faire face. Philippe Descola va plus loin en 2005 dans son ouvrage Par-delà nature et culture : remettant en cause l’héritage de Claude Lévi-Strauss (pour qui la prohibition de l’inceste est la condition du passage de la nature à la culture), il conteste le fait que la division entre culture et nature soit universelle. En fait, ce ne serait qu’une vision du monde ou « cosmologie » que l’Occident a voulu projeter sur les autres peuples. Pour le philosophe, notre cosmologie est le « naturalisme », une manière d’appréhender le monde qui n’attribue d’intériorité qu’à l’être humain et qui par conséquent considère les autres espèces comme inférieures à la nôtre, alors que dans d’autres cosmologie, comme l’animisme, l’âme humaine peut être équivalente à celle d’un animal.

Une conception du monde aux sources de la destruction et de l’injustice

Cette façon d’appréhender le monde en Occident a rendu possible et a amplifié les dommages causés par l’homme sur l’environnement : en considérant les ressources naturelles comme quelque chose d’extérieur à nous, nous avons considéré la nature comme à notre service et avons cru que nous pouvions indéfiniment puiser dans ses ressources et l’exploiter à notre guise. Elle est en outre une impasse pour penser les politiques de protection environnementales : « Que devient « protéger la nature », quand on aura saisi que la « nature » était une invention dualiste qui a contribué à la destruction de nos milieux de vie, et que « protéger » était une conception paternaliste de nos rapports au vivant ? » se demande Baptiste Morizot dans son dernier ouvrage Raviver les braises du vivant2. Tout récemment, l’historien de l’environnement Guillaume Blanc a en effet montré comment en Afrique les occidentaux, prisonniers d’une vision fantasmée d’une nature vierge sur ce continent, ont entrepris une politique « conservationniste » de la nature qui a eu des conséquences terribles sur les populations locales3. S’appuyant sur l’exemple précis du parc Simien en Éthiopie, son enquête dévoile comment des cadres coloniaux se sont reconvertis au sein des organismes internationaux tels que l’UNESCO, le WWF ou l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et ont imposé leurs exigences auprès des autorités locales, s’appuyant souvent sur des données scientifiques non sérieusement établies qui pointent comme coupables les habitants sur place qui pratiquent l’agropastoralisme. Ce sont pourtant des populations qui produisent leurs moyens de subsistance, ne possèdent pas de technologie et savent respecter l’équilibre de leur environnement : d’ailleurs, la notion de nature n’existe pas dans leur vocabulaire. Pourtant, elles sont exclues de leur milieu de vie pour préserver des paysages que des Occidentaux (munis d’équipements polluants et en ayant pris l’avion et un 4×4) viennent admirer. Durant le XXe siècle, au moins un million de personnes ont ainsi été chassées des aires protégées africaines, avec les conséquences que l’on peut redouter : plongée dans la précarité, liens sociaux brisés… Malheureusement, ce fléau du « colonialisme vert » dénoncé par Guillaume Blanc perdure toujours actuellement : il est pratique car en excluant à certains endroits du monde tout action de l’homme sur la nature, ce dernier s’autorise à la dégrader partout ailleurs. On constate donc que la politique des parcs nationaux menée en Afrique qui consiste à vouloir restaurer une nature dégagée de l’influence humaine est un trompe-l’œil : elle se fait au détriment des droits humains et ne permet pas de résoudre la véritable question qui est celle de bâtir un monde durable.

D’autres réponses possibles

Dès lors qu’il faut dépasser cette notion de nature, par quoi la remplacer ? Certains philosophes, comme Catherine et Raphaël Larrère proposent de continuer à parler de nature mais en changeant sa définition pour « un ensemble de relations, dans lequel les hommes sont inclus ». Bruno Latour quand à lui s’est attaché depuis quelques années à remettre au goût du jour la figure de Gaïa qu’il définit comme « une entité complexe comprenant la biosphère terrestre, l’atmosphère, les océans et la terre ». Mais, au-delà de ces débats philosophiques, ce dernier nous invite dans son dernier ouvrage Où suis-je ? à faire l’expérience dans cette période de notre appartenance au « vivant » : « Nous sommes confinés, non pas dans nos logements, mais dans ce que les scientifiques appellent la « zone critique ». Cette fine couche de sol et d’air, épaisse de quelques kilomètres à la surface du globe, est le monde construit depuis presque quatre milliard d’années par l’ensemble des êtres vivants, dont nous ne sommes qu’une espèce. Observer ce qui nous entoure, c’est prendre conscience de l’omniprésence du vivant et des interactions qui s’opèrent en permanence entre les êtres. Cela est vrai partout, que ce soit dans le centre des grandes métropoles ou à la campagne. Se situer dans le monde, en interaction et en interdépendance avec le reste du vivant, doit nous conduire à dépasser le clivage traditionnel entre le naturel et le culturel. » Il poursuit : « Si le monde est habitable, c’est grâce à des connexions qui prennent un caractère multiscalaire : l’oxygène de l’atmosphère provient d’organismes microscopiques vivant dans les océans à des centaines de kilomètres de chez nous, la richesse des sols dépend de la vie microscopique de ce qui se trouve sous nos pieds. […] Inversement, les séparations entre régions ou entre États-nations ne sont pas hermétiques. La globalisation économique nous avait déjà permis de saisir à quel point un lieu est toujours ouvert et connecté. Il s’agit de réinvestir cette idée, non pas à travers la question des circuits de production et d’échanges commerciaux, mais à travers celle des conditions d’habitabilité de la Terre. C’est à partir de cette compréhension que l’on peut vraiment se réapproprier le lieu où l’on est, et réfléchir à ce dont nous dépendons par nos habitudes de consommation, nos émissions de polluants, etc. C’est, au sens littéral, un atterrissage sur Terre. »4 Cet « atterrissage » doit selon lui nous conduire à déterminer de quoi nous dépendons, et à partir de là, quelles sont les activités qui nous semblent essentielles et celles dont on pourrait se passer ?

Le philosophe Baptiste Morizot quant à lui, propose de la même manière de restaurer notre attention au vivant pour nous permettre de considérer le vivant comme notre identité profonde et donc de nous inclure pleinement dans la lutte pour l’habitabilité de la terre qui héberge l’ensemble du vivant. Dans le hors-série de la revue Socialter (actuellement disponible en kiosque) qu’il a coordonné, il dresse des pistes philosophiques et concrètes pour « renouer avec le vivant ». Si nous émerveiller et nous sentir vivant constitue une première étape, le philosophe nous invite ensuite à défendre et à s’allier avec le vivant. Cela passe par différentes modes d’action : changer notre regard sur le vivant par la connaissance mais aussi par notre production culturelle (en particulier les documentaires animaliers), nouvelles techniques de préservation des espaces naturels, instauration de zones à défendre… Dans ses travaux, le philosophe cherche à repenser les relations avec l’humain et le reste du monde vivant. Partant d’un travail mené sur la cohabitation avec les loups5, il défend la possibilité d’établir des relations entre les humains et les autres vivants qui échappent aux modèles traditionnels (gestion, régulation quantitative, sanctuarisation) sous la forme de ce qu’il appelle une diplomatie. Cette diplomatie est à la fois une nouvelle forme d’attention et un mode de résolution des conflits avec les vivants qui est fondé sur la possibilité de communiquer avec eux, ce qui va à l’encontre de l’idée que le seul rapport possible avec le monde vivant est le rapport de force. D’autres peuples cultivent d’ailleurs depuis longtemps ce type de relations : les nomades Tozhu en Sibérie du Sud ont des relations avec des rennes qui sont à la frontière de ce que nous considérons comme relevant du sauvage ou de l’élevage. En effet, leurs rennes ne sont ni gardés, ni surveillés : ils évoluent librement et trouvent eux-mêmes leur nourriture. En quelque sorte, les éleveurs Tozhu coopèrent avec leurs rennes : chacun trouvant son intérêt dans cette relation (les éleveurs prélèvent le lait des rennes et ces derniers profitent des restes des humains). Ce genre d’exemple est un appel à bâtir davantage de réciprocité avec les vivants.

En guise de conclusion, s’il apparaît important de déconstruire notre vision de la nature (et on pourra à ce propos utilement visiter l’exposition « Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXe siècle » au musée d’Orsay dès que les musées rouvriront), on peut aussi s’imprégner d’autres visions du monde plus harmonieuses avec le vivant. Le Japon par exemple, dont le fond culturel est animiste, a depuis longtemps pensé la nature dans son rapport intime à l’homme. Là-bas, le dépassement entre nature et culture a pris la forme de la notion de « milieu » (fûdo) sous la plume du professeur d’éthique Watsuji6. Dans le milieu, les hommes et la nature forment un espace fluide dans lequel vivants et non-vivants cohabitent et négocient leurs existences. Cette vision se retrouve dans les productions culturelles comme les films d’animation d’Hayao Miyazaki. Ses œuvres sont autant d’odes à la nature qui invitent à respecter le vivant sous toutes ses formes et à vivre en harmonie avec lui. Si vous ne l’avez pas vu, Nausicaä de la vallée du vent, adapté du manga éponyme en 1984, imagine par exemple un monde post-apocalyptique dans laquelle la nature est devenue toxique pour se protéger de la pollution causée par les humains qui continuent malgré tout de se faire la guerre entre eux. Son héroïne Nausicaä y tente de ramener la paix, que ce soit entre les humains et avec la nature. Un conte plus que jamais d’actualité.

Le pont des nuages suspendus du mont Gyodo, Hokusai.

 

1 Cette idée est formulée dans son essai Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, La Découverte, 1991.

2 Raviver les braises du vivant : un front commun, Baptiste Morizot, Actes Sud et Wildproject, 2020.

3 Pour en savoir plus : lire l’ouvrage de Guillaume Blanc L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain (Flammarion, 2020) ou écouter son intervention sur France Culture.

4 Extraits de l’entretien de Bruno Latour paru dans Libération des 23 et 24 janvier 2021.

5 Les diplomates : cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Baptiste Morizot, Wildproject, 2016

6 Pour en savoir plus : « Catastrophes au Japon et complexité des relations homme/nature. De l’apport de la médiance… » Jean Lagane,  Amnis, 2014 [en ligne].

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Les classes populaires ont-elles vraiment perdu la partie ? Sept questions à Robert Castel 

Précédé de : « Dix ans de réflexions sur l’action des catégories populaires »

par Gérard Mauger

 

En 2012, le sociologue Gérard Mauger produisait le texte intitulé « Les classes populaires ont-elles vraiment perdu la partie ? » en questionnant les travaux d’un autre sociologue, Robert Castel. Nous reproduisons ce texte ci-dessous car il exprimait d’une façon claire l’état des questionnements d’alors de ceux qui, intellectuels ou militants éclairés, estimaient qu’il ne pouvait pas y avoir de bifurcation sociale et politique vers l’émancipation sans l’action consciente d’un bloc historique interclassiste autour des classes populaires.
Depuis, nous avons eu la décennie des mouvements sociaux syndicaux, l’élection de nouveaux présidents de la République, chacun étant pire que le précédent vis-à-vis du plus grand nombre, le phénomène massif d’abstention des catégories populaires et des jeunes, l’émergence du mouvement des gilets jaunes comme nouveau mouvement social, l’incapacité de la convergence populaire entre mouvements sociaux, le développement du populisme d’extrême droite et de l’extrême centre (« poison » français pour l’historien Pierre Serna dans son livre de 2019, L’extrême centre ou le poison français : 1794-2019) et du cancer de la gauche identitaire dont l’adversaire principal reste malheureusement la gauche laïque et sociale, les militances alternatives, etc.

De nombreux articles sont parus dans votre journal ReSPUBLICA sur cette période, mais il est intéressant de faire un retour en arrière et de relire le texte de 2012 de Gérard Mauger. Car cette même question taraude ceux qui ne sont pas partis sur les voies de garages du défaitisme ou de l’adaptation du système. D’autant que depuis, nous avons des analyses et des espoirs dans les mouvements sociaux qui peuvent créer un avenir alternatif à notre système qui s’éloigne de plus en plus de la démocratie, de la laïcité, du féminisme universaliste, des conquis sociaux, des avancées écologiques, de l’anti-racisme, etc.

Nous vous invitons à venir discuter avec nous pour éventuellement écrire un nouveau texte dont le titre pourrait être « Qu’il y a-t-il de nouveau pour permettre aux classes populaires de se relancer ? » .

La Rédaction de ReSPUBLICA

 

« Pourquoi la classe ouvrière a perdu la partie » : tel était le titre d’une contribution de Robert Castel à un numéro d’Actuel Marx paru en 1999 et réédité avec un post-scriptum dans La Montée des incertitudes [Castel, 2009, p. 361-378]. D’une certaine façon, les propos partout cités de Warren Buffett (qui fut, pendant un temps, l’homme le plus riche du monde) lui font écho : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner1 . » La classe des riches a gagné la partie, la classe ouvrière l’a perdue : si l’énoncé peut paraître provocateur, Robert Castel avertissait que son intention n’était « nullement provocatrice ». Il s’agit, en effet, d’un constat – celui de l’effacement relatif de la place et du rôle qu’a joué la classe ouvrière – et d’une tentative destinée à en rendre compte dans une perspective familière à l’auteur des Métamorphoses de la question sociale : celle de l’« analyse socio-historique des transformations internes du salariat » [Castel, 1995].

SUITE : lire le PDF LES CLASSES POPULAIRES ONT-ELLES VRAIMENT PERDU LA PARTIE ? SEPT QUESTIONS À ROBERT CASTEL

Avec l’autorisation de l’auteur. © La Découverte.



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