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Les Communes de Paris : l’émancipation anticipée

par Évariste

 

Réactiver la mémoire populaire

On célèbre souvent les grandes lois de la IIIe République de 1880 à 1910. Rappelons-nous cependant qu’elles ont été anticipées par les Communes insurrectionnelles de Paris. D’abord celle de de 1792, puis celle de 1871. Nous remercions notre ami Francis Daspe d’une part et Maurice Dommanget et l’Internationale des travailleurs de l’Enseignement (ITE) et leur document de 1928 (transmis par notre ami Robert Duguet) pour leur aide. Sans eux, nous n’aurions pas pu faire cette chronique tellement nous avons pioché dans leurs contributions !

Rappelons-nous aussi que ce sont toujours les classes dominées qui ouvrent la voie à l‘émancipation. Quelquefois avec le soutien de la petite bourgeoisie intellectuelle. C’est d’ailleurs pour cela que les classes dominantes aujourd’hui font de grands efforts pour faire oublier, dans la conscience du peuple, ceux qui ont ouvert la voie. Encenser les lois de la IIIe République de 1880 à 1910 en faisant tout pour faire oublier les Communes insurrectionnelles qui l’ont permise est une insulte à la mémoire. Voilà pourquoi nous devons combattre l’oligarchie capitaliste aujourd’hui mais aussi la petite bourgeoisie intellectuelle lorsqu’elle prête main-forte à l’oligarchie, soit en s’alliant directement avec elle soit en étant un soutien indirect. S’allier directement avec l’oligarchie capitaliste par exemple en nous faisant croire que l’on peut enrayer le recul de la laïcité ou de tout autre principe républicain en s’alliant avec Macron, Blanquer dans leurs différents comités Théodule visibles ou invisibles. S’allier indirectement avec l’oligarchie capitaliste en soutenant la gauche identitaire, communautariste, intersectionnelle, décoloniale, racialiste dont le seul but est de contraindre les classes populaires à remplacer le primat de la lutte des classes par le primat des identités sans apporter un plus au combat émancipateur.

Les républicains féministes, antiracistes et anticoloniaux n’ont pas attendu les années 1980 et la gauche « woke » étasunienne et leurs amis en France dans la cité et dans les universités pour mener les batailles féministes, antiracistes et anticoloniales. Même quand ils furent minoritaires dans le camp républicain. Rappelons à cette occasion que la première condamnation de l’esclavage date de la Révolution française, avant que Napoléon Ier ne revienne dessus, puis que la Révolution et la IIe République de 1848 ne l’abolissent à nouveau !

Rappelons le combat des républicains sociaux contre la colonisation en Algérie et en Indochine jusqu’à la Chambre des députés contre l’opportuniste Jules Ferry ; par exemple Camille Pelletan, l’ami de Rimbaud sur le célèbre tableau Un Coin de table  de Henri Fantin-Latour au Musée d’Orsay ou encore Georges Charles Frédéric Hyacinthe Périn, député de l’extrême gauche républicaine à l’Assemblée. D’où le surnom donné à Jules Ferry, « Ferry le tonkinois ».

Rappelons que la première organisation métropolitaine antiraciste fut la Société des amis des Noirs pendant la Révolution française.

ReSPUBLICA se situe dans cette lignée et voilà pourquoi nous estimons que la gauche « woke », et donc la gauche identitaire française sont des usurpateurs, tant dans la vie militante qu’à l’université. Nous devons les dénoncer uniquement par des débats argumentés et en utilisant la liberté d’expression car nous y sommes prêts même si ce sont eux qui refusent le débat argumenté préférant les invectives, les injures et le terrorisme intellectuel. Jamais, nous n’agirons comme eux dans des dénonciations placardées avec noms et adresses dans l’université ou dans les réseaux sociaux, surtout après la décapitation de notre martyr Samuel Paty, jamais en instituant comme à l’université et dans la société une police de la pensée (par exemple en interdisant physiquement et militairement la tenue théâtrale des Suppliantes d’Eschyle).

Voilà pourquoi, nous devons réactiver la mémoire populaire de la lutte de ceux d’en bas contre leur oligarchie dans une globalisation de toutes les luttes sociales, laïques, démocratiques, écologiques, féministes, antiracistes et anticolonialistes mais en surdéterminant cet ensemble par le primat de la lutte des classes sans lequel aucune émancipation n’est possible.
C’est ce que nous essaierons de faire par visioconférence le 31 mars 2021 à 18 h 30, en débattant sur les conditions nécessaires par nous mettre à la hauteur des enjeux, sur inscription préalable  sur les adresses banalisées de nos outils : ReSPUBLICA evariste@gaucherepublicaine.org ; Réseau Éducation Populaire reseaueducationpopulaire@gmail.com ; Combat laïque-Combat social, fédérer le peuple combatlaiquecombatsocial@gmail.com.

L’action émancipatrice des communes insurrectionnelles

En 1792, la commune insurrectionnelle de Paris alliée aux fédérés montés à Paris de toute la France engage le 10 août 1792, prélude à la création de la première République le 22 septembre 1792.

En 1871, les fédérés prennent le contrôle de la Commune de Paris par les urnes. Comme par hasard, ce ne sont pas les dates principales de commémoration de la majorité de l’actuelle petite bourgeoisie intellectuelle.

La loi de 1905 ? Rappelons qu’elle n’est que la troisième tentative pour séparer les églises et l’État. Les deux premières fois, ce fut par la Révolution française après l’action de la Commune insurrectionnelle et les fédérés de 1792 (décret du 18 septembre 1794 et du 21 février 1795) et par les fédérés de la Commune de Paris de 1871 (décret du 2 avril 1871). Voilà pour le combat laïque.

La démocratie, les libertés publiques, d’association, de réunion, de manifestation, de presse, de religion furent omniprésents en 1871. Là aussi, il va falloir se remettre à l’ouvrage tant ces droits sont devenus limités et avec une répression de plus en plus féroce. Ne prenons qu’un exemple relevant de la démocratie, un tiers des élus au Conseil communal de Paris sont des ouvriers. Sans commentaires puisque qu’aujourd’hui, la classe populaire ouvrière et employée majoritaire dans le pays n’a pratiquement plus d’élus, ce qui ne semble pas émouvoir la majorité de la petite bourgeoisie intellectuelle préférant les débats entre associés-rivaux tels Macron et Le Pen ou tels Mediapart et Valeurs actuelles !

Ce n’est qu’à partir de la Ière République que des mesures sociales sont prises pour les sans-culottes et les paysans pauvres. Idem pour les ouvriers et les employés sous la Commune de Paris de 1871. Durant cette dernière, Francis Daspe nous rappelle que la commission Travail animée par Léo Frankel jette les bases de la démocratie sociale. Par exemple, les fédérés, par le décret du 16 avril 1871, permettent la remise en exploitation par l’association coopérative des salariés des ateliers abandonnés par leurs patrons. Autre exemple, dans chaque mairie d’arrondissement un double registre est ouvert : un premier sur lequel les chômeurs inscrivent leurs demandes de travail, un second sur lequel les employeurs notent leurs besoins. Mais là, la Commission Travail engage une politique de développement des travailleurs associés (idée reprise ensuite par Jean Jaurès) et non de subordonner l’embauche aux nécessités du profit capitaliste ou des dividendes comme aujourd’hui. Les salaires sont augmentés. Par le décret du 27 avril 1871, la Commune met fin au système d’amendes et retenues sur salaires qui constituaient la forme la plus outrancière de l’arbitraire patronal. Francis Daspe fait la remarque suivante : à la demande des boulangers de Paris, la journée de travail ne peut plus commencer avant 5 heures du matin. Dans la même veine, un règlement dans l’atelier de réparation d’armes du Louvre réduit la journée de travail à 10 heures. Les délégués d’ouvriers sont par ailleurs associés aux décisions prises par la direction de l’entreprise. À la suite d’une enquête sur la confection des habits militaires confiée à des entreprises privées et qui avait révélé de nombreux abus, la Commune opte pour une révision des marchés conclus et les confie de préférence aux associations ouvrières. Un salaire minimal est également fixé.

La laïcisation de l’enseignement

La laïcisation de l’enseignement s’effectue par le décret du 9 avril 1871 sous la houlette du commissaire à l’Instruction publique, Edouard Vaillant, membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT). Les crucifix sont retirés (le 11 mai d’après Maurice Dommanget et l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement/ITE en 1928), les écoles congréganistes mises à la disposition des communes, le personnel religieux remplacé par des maîtres laïques. Les bases d’une école publique, gratuite et laïque pour les deux sexes sont ainsi posées notamment grâce à l’Education nouvelle, société se réunissant à l’école Turgot. Les programmes sont refondus en développant l’enseignement des sciences et des techniques. Francis Daspe précise : il s’agit d’instaurer un enseignement intégral combinant à la fois l’esprit qui conçoit et la main qui exécute. À cet effet, deux écoles professionnelles sont créées (dont une pour les filles). Le 22 avril, déclenche un appel à proposition pour définir l’enseignement intégral et professionnel. De cet appel, est créé la commission dite d’organisation de l’enseignement » avec les citoyens André, Dacosta, Manier, Ilama et Sanglier. Malheureusement les instituteurs n’étaient pas organisés. Les membres qui composèrent la commission de l’enseignement : Verdure, Lefèvre, J.B. Clément, J. Miot, Urbain, Courbet, Vallès, Leroy, n’étaient pas tous, loin s’en faut, des professionnels de l’enseignement. L’arrêté du 28 avril organise l’enseignement primaire et professionnel de façon uniforme dans les arrondissements. Le 13 mai (d’après Maurice Dommanget et l’ITE), la Commission de l’enseignement est chargée de l’inspection des écoles. La section des Grandes Carrières de l’Internationale (18e arrondissement) s’impatiente et vote une motion pour un décret portant l’instruction laïque et professionnelle à tous les degrés. Sur impulsion des blanquistes, Vaillant notifie le 14 mai, aux municipalités, contresigné par le Comité de salut public, de briser toute résistance congréganiste et divers récalcitrants qui refuserait l’instruction laïque, obligatoire et gratuite. Toujours d’après Maurice Dommanget et l’ITE, dans le 3e arrondissement, Arnaud, Demay, Dupont et Pindy assurèrent la gratuité des fournitures dès le 18 avril et les maîtres laïques dès le 23 avril. On sait que dans le 12e, l’école du faubourg Saint-Martin fut ouverte pour tous les enfants, nationaux ou étrangers, dès le 24 avril. Son directeur, un licencié en droit faisait tous les jeudis un cours public de « morale rationnelle et de droits politiques » ! Le citoyen Rama, délégué à l’enseignement au 17e arrondissement, membre de la commission d’organisation de l’enseignement, élabore un manifeste contresigné par Benoît Malon, adressé aux instituteurs et institutrices. Rama développe les raisons qui militent selon lui, en faveur de la neutralité religieuse à l’école. Il admettait « que dans tous les temps et dans tous les pays on a abusé, même de la meilleure foi du monde, de l’ignorance et de l’innocence de l’enfant pour lui inoculer par exemple, par la contrainte, par l’habitude des préventions, des sentiments d’injustice et de haines qui aboutissent à des désordres sociaux et à des guerres ».

C’est reconnaître le caractère politique de l’école, c’est admettre qu’il a été jusque-là un instrument entre les mains des classes dominantes.
Rama recommande aux maîtres :

1- l’emploi exclusif de « la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits quelles qu’en soit la nature : physique, morale, intellectuelle »

2- l’enseignement moral « dégagé de tout principe religieux ou dogmatique » est aussi éloigné de « l’esprit de domination »« l’esprit de servitude » ;

3- l’élimination des pratiques et images religieuses ;

4- la disparition de tout livre « contraire à la méthode scientifique et au sentiment de Concorde ». Cette dernière prescription rapprochée du considérant sur le rôle de l’école dans la préparation psychologique des guerres et des désordres sociaux nous permet d’insérer que Rama avait déjà en vue l’élimination des livres tendancieux, chauvin et autres.

Les journaux dévoués à la Commune reproduisirent tout au long le manifeste du citoyen Rama. Il fut inséré au Journal Officiel et La Sociale souligna la sympathie qui lui inspirait.
La municipalité du 17e ne se contente pas de fixer publiquement les principes sur lesquels devaient s’étayer l’école nouvelle, elle adopta l’orphelinat que dirigeait Ferdinand Buisson et qui transférée à Compuis, devait acquérir par la suite, grâce à Robin, une célébrité mondiale.
Dans le 20e, la municipalité entra dans une voie neuve en en habillant et en nourrissant les élèves.

Nouveaux droits pour les femmes

Les salaires des institutrices sont portés à hauteur de ceux des instituteurs. Comme on aurait aimé que tous les salaires des femmes soient égaux aux salaires des hommes à égalité de diplômes et de capacités. Question à la majorité de la petite bourgeoisie intellectuelle d’aujourd’hui quant à ses priorités?

Une statistique, dressée par Allix, nous apprend que dans le 8e arrondissement, sur 6 251 garçons et filles de 7 à 15 ans, les écoles communales ne recevaient que 3 030 élèves dont tous les 271 enfants des asiles à partir de 3 ans ! Ce qui en dit long sur le réel de l’époque !

En décidant de verser une pension aux veuves de fédérés, et ceci qu’elles soient mariées ou pas, la reconnaissance de l’union libre est de la sorte actée et le droit des enfants naturels pleinement reconnu. Aux antipodes du code napoléonien, la Commune prend résolument cause pour les droits des concubines, des « filles mères » et des enfants illégitimes. Un décret du 13 mai 1871 autorise le président du tribunal civil à allouer une pension alimentaire à la femme demandant la séparation de corps. La Commune favorise la création d’emplois féminins.

Réquisition des logements vacants et saisies, orphelinats, actions humanistes et de solidarité

Afin de contribuer à résoudre la crise du logement, la réquisition des appartements vacants est décidée pour y loger les sans domicile. Il est interdit d’expulser les locataires. Une remise générale des loyers d’octobre 1870, de janvier et avril 1871 est votée afin de soulager les nombreux parisiens confrontés à une situation intenable.

La mise en place de bureaux d’assistances publique entièrement laïcisés permet de distribuer des secours aux indigents, notamment en organisant des cantines, des fourneaux économiques et des boucheries municipales. Signalons la fondation d’orphelinats sous l’égide des municipalités. On doit, semble-t-il, à l’initiative privée la création de l’orphelinat de la garde nationale, boulevard Victor Hugo (ancien boulevard Haussmann), dans un local aéré et sain contenant 300 lits. Les enfants, garçons et filles, étaient admis tous les jours, de deux heures à quatre heures, sur la présentation d’un certificat« non motivé » du sergent major constatant que le père appartient à une compagnie de la garde nationale. Le directeur Raymond, désireux de secourir l’enfance malheureuse, faisait appel d’une part à toutes les mères de familles ayant des vêtements, chemises ou souliers d’enfants sans usage, et d’autre part à « toutes les citoyennes de cœur » qui voudrait lui apporter leur concours pour « soigner et instruire » les garçons et filles confiés à ses soins.

La suspension de la vente des objets mis en gage au mont-de-piété est également décidée.

Deux décrets en date des 9 et 10 avril octroient des pensions aux blessés et veuves. Le produit de la vente du mobilier saisi dans la maison de Thiers sera affecté aux pensions des veuves et orphelins.

La Commune instaure également toute une série de mesures marquées du sceau de l’humanisme.

La justice se situe au cœur des préoccupations visant à l’émergence d’un monde fraternel fondé sur de nouvelles bases. Pour une justice accessible à tous, la gratuité des actes judiciaires et la  suppression de la vénalité des offices sont votées. Une arrestation par la police supérieure à 24 heures, sans qu’elle soit validée par la décision d’un juge, est prohibée. C’est l’invention d’une période limitée de la garde à vue. Toute perquisition non autorisée par un juge est considérée hors la loi. Des efforts sont envisagés pour humaniser la prison.

D’autres actes concrets mais relevant davantage du champ du symbolique sont adoptés pour signifier l’ouverture d’une ère nouvelle. Le 6 avril 1871, deux guillotines entreposées à la prison de la Roquette sont brûlées devant la mairie du 11° arrondissement pour témoigner de l’horreur de la peine de mort. La colonne Vendôme, décrite comme un symbole du militarisme fondé sur la force brutale et de la négation du droit international, est détruite. Les conseils de guerre et de l’armée permanente sont abolis.

À suivre : Seconde partie – Action culturelle et éducation politique des masses

 

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Les combats inachevés des Communardes

par Monique Vézinet

 

« … il est vrai, peut-être que les femmes aiment les révoltes. Nous ne valons pas mieux que les hommes mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues. » Louise Michel, La Commune (éd. La Découverte, 2015, p. 167)

Cette remarque de Louise Michel ouvre à propos de la période de la Commune un questionnement plus général sur les rapports au travers de l’histoire entre les femmes – quelles femmes ? – et leur protestation contre l’ordre établi – en défense de leurs droits propres ou plus généralement en soutien des hommes ? – . Le terme de révolte interroge aussi sur les formes éventuelles de violence qu’elles déploient en ces occasions et sur celles qu’elles subissent.

En ce 150e anniversaire du 18 mars 1871, il faut souligner que les racines de la révolte sont bien antérieures à cette date : la situation des travailleuses (dont beaucoup à domicile) est particulièrement misérable et, par ailleurs, avec la guerre l’implication féminine n’a pas attendu cette date pour prendre les formes qui vont se développer sous la Commune proprement dite : le 4 septembre 1870, devant l’Hôtel de Ville, les femmes sont présentes lors de la proclamation de la République, et le 8 au même endroit, une manifestation menée par André Léo et Louise Michel réclame des armes pour lutter contre les Prussiens. En octobre le droit de participer aux postes avancés des combats pour porter aide aux blessés ne leur est pas davantage accordé… Cependant dans les arrondissements où sont créés des comités de vigilance, les femmes y participent (Louise Michel à Montmartre). Présentes encore, Louise Michel et André Léo le 22 janvier 1871 quand les plus militants des membres de la Garde nationale tentent d’occuper l’Hôtel de Ville et d’instaurer un gouvernement révolutionnaire.

Le siège de Paris affecte en priorité les femmes et les enfants des classes les plus pauvres. Le restaurant coopératif La Marmite fondé par Eugène Varlin et Nathalie Lemel offrait nourriture mais aussi initiation au socialisme. Dans les nombreux clubs et sociétés populaires qu’elles fréquentaient – et où d’aucuns pensaient qu’elles ne venaient que pour se réchauffer – les femmes purent aussi se frotter aux idées progressistes.

L’historienne britannique Marisa Linton dans une remarquable étude traduite en français en 1997 (1) ne se contente pas des écrits des principales protagonistes ou commentatrices (Maria Deraismes) de la Commune, mais pour avoir travaillé sur les archives peut écrire :

« Ce serait faire erreur que de présumer que le sens donné à la Commune par Elizabeth Dmitrieff, Louise Michel ou André Léo, entre autres femmes instruites sachant s’exprimer, était nécessairement le même que pour les femmes des classes ouvrières, lesquelles constituaient la grande majorité des femmes qui apportèrent leur soutien à la Commune. Les problèmes qui préoccupaient surtout ces dernières étaient en effet de nature très concrète. Ainsi, le droit de vote n’avait pour elles que peu d’importance par comparaison avec des questions comme le droit des femmes au travail, à un salaire honnête, à l’éducation et à une protection sociale pour elles-mêmes et pour leurs enfants en cas de besoin. Peu nombreuses étaient celles qui se souciaient des théories complexes portant sur la lutte des classes. Moins nombreuses encore étaient celles qui s’intéressaient beaucoup aux droits des femmes. »

En effet les Communardes sont d’origines fort diverses même si la présence en très grand nombre des femmes du peuple est une caractéristique marquée. Selon Françoise Bazire (sur le site des Amis de la Commune de Paris) :

  • Elles sont de tout âge : la plus jeune a 14 ans, la plus ancienne 71 ans.
  • Elles viennent de partout, ce sont surtout des provinciales. Seulement 10 % sont natives de Paris et 12 % sont étrangères, essentiellement belges. Les Russes et les Polonaises forment également un bon contingent. Elles sont souvent très politisées.
  • Avoir des enfants a sans doute été un obstacle à l’engagement de ces femmes (seulement 15 % sont notées comme mère de famille).
  • Ce sont d’abord des femmes du peuple : les Communardes travaillent massivement. Seules 15 % sont sans profession.
    Les ouvrières dominent avec plus de 53 % de couturières et ouvrières de l’habillement, de blanchisseuses. Tout le petit peuple féminin est représenté, parfois le plus misérable.
    La petite bourgeoisie artisanale et commerçante est représentée, surtout des très petits commerces.
    Enfin les professions intellectuelles (institutrices, femmes de lettres, journalistes) sont nombreuses.

Si au 18e siècle la plupart des émeutes auxquelles ont participé les femmes étaient liées à la disette, la marche des femmes sur Versailles en octobre 1789, destinée à ramener Louis XVI à Paris et à donner du pain au peuple, a presque son pendant le 5 avril 1871 avec la tentative de marche sur Versailles de femmes ayant pour mission d’infléchir le gouvernement national à la clémence et d’éviter l’effusion de sang, sortie que les dirigeants de la Commune ne soutinrent pas. D’autres pourtant, note Marisa Linton, utilisent leur autorité et leur courage pour encourager les hommes à se battre et, comme on le sait, après avoir tenté d’endosser l’uniforme, s’organisent pour appuyer les combattants : le 11 avril est créée l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, dont les principales dirigeantes sont Nathalie Lemel et Élisabeth Dmitrieff – cette dernière arrivant de Londres avec les yeux de Marx. L’Union proclame :

« … nos ennemis, ce sont les privilèges de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères,

nous voulons le travail pour en garder le produit, plus d’exploiteurs, plus de maîtres,

toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes, constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes. »

 

Ambulancières, infirmières ou cantinières, présentes sur les barricades, les femmes ne furent donc ni éligibles ni électrices, mais elles participent aux sections de l’Internationale, sont actives dans les clubs où elles obtiennent la mixité et, dans certains quartiers, sont associées, à la gestion municipale.

Sont mis en discussion le besoin de crèches pour les mères qui travaillaient et de mesures sociales leur permettant de ne pas abandonner l’enfant qu’elles allaitaient.

Selon Marisa Linton : « Si l’égalité politique n’était pas un problème pressant pour ces femmes, une forme d’égalité sociale, en particulier à l’intérieur du mariage, était néanmoins à l’ordre du jour. » D’où leur intérêt pour l’union libre qui fut de fait admise par une décision de la Commune du 10 avril, prévoyant au bénéfice des veuves des gardes nationaux un droit à pension, qu’elles soient mariées ou non. Une clause supplémentaire concernait les enfants « reconnus ou non », désormais protégés.

Mais surtout leur importaient leurs droits en tant que travailleuses. La concurrence féminine ne fut pas toujours bien vue par les ouvriers masculins et ce n’est que le 21 mai que la Commune proclama le principe du salaire égal : « Considérant… que le travail de la femme est égal à celui de l’homme », la Commune déclarait qu’il convenait de payer les maîtresses d’école autant que leurs collègues hommes. Ce jour-là aussi les déléguées ouvrières des diverses corporations devaient se réunir pour constituer leurs chambres syndicales… au moment où les troupes versaillaises pénétraient dans Paris.

Un décret pris par Léo Fränkel le 16 avril prévoit la réquisition des ateliers abandonnés. Il charge officiellement les femmes de les organiser sous forme coopérative, prémices de l’autogestion, pour fabriquer des produits de première nécessité, rappelle Françoise Bazire :
« L’Union des femmes est le laboratoire social de la Commune. La répression de la Commune a raison de cet élan qui va animer, pourtant, nombre des mouvements féministes du siècle suivant.
Les femmes sont chargées de l’organisation du travail des ouvrières de tout corps d’état. Les comités d’arrondissement de l’Union des femmes sont en charge de recevoir les demandes d’offre de travail dans toutes les mairies.
 »

Si les revendications féminines en vue d’une instruction des filles égale à celle des garçons, et moins religieuse, ainsi qu’en faveur d’une éducation professionnelle, connurent un début de réalisation par la Commune, c’est bien tard encore, trop tard, le 22 mai 1871, qu’est créée une commission de citoyennes pour « organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles ». 

Quant aux garderies populaires, elles restèrent à l’état de projet mais Marie Laverdure débutait ainsi le mémoire qui en définissait le projet  : « L’éducation commence le jour de la naissance », et demandait des lieux gais et stimulants pour le jeune enfant, et aussi la possibilité de l’y soigner.

Bilan et comparaisons

Sur la prétendue « violence » des Communardes, les historiens ont réglé son compte à la légende des pétroleuses et l’usage des armes par les « barricadières » reste douteux. En revanche, on sait que la répression de la semaine sanglante compte 4 000 femmes sur 20 000 victimes et que plus d’un millier furent déférées devant des tribunaux. Pour l’historienne Odile Krakovitch (« Violence des communardes : Une mémoire à revisiter », Revue Historique, 297, 1997), les exagérations des accusateurs, trop souvent accompagnées d’une analyse d’irresponsabilité ou au contraire d’un tempérament dissolu voire hystérique, masquent « la peur suscitée par les femmes intervenant dans le champ politique, [faisant] en sorte d’anéantir à jamais chez elles toute velléité d’intervention dans le domaine public ». La répression fut particulièrement sévère pour celles considérées comme des « meneuses » et du côté des Fédérés eux-mêmes, pour la plupart les femmes outrepassaient visiblement leur rôle traditionnel (le 13 mai encore l’accès aux armes fut refusé à une délégation se rendant à l’Hôtel de ville, certains clubs leur furent fermés…). Le discrédit porté sur la parole des femmes, leur renvoi hors du champ politique, ne sont pas sans rappeler la situation sous la Révolution française(2).

Il faudra attendre l’amnistie générale de 1880 et le retour des déportés pour entendre les témoignages des protagonistes et que ceux-ci fassent leur chemin dans le mouvement qui se qualifierait désormais de féministes. Il n’est pas sans intérêt de noter comme le fait Marisa Linton que plusieurs des femmes qui avaient pris fait et cause pour la Commune (à commencer par Louise Michel) allaient ensuite se rapprocher des anarchistes et s’opposer au courant marxiste.

Restons pour conclure avec le point de vue désabusé de l’une d’elles, André Léo(3), commenté toujours par l’historienne britannique précitée. Dans un texte du 8 mai de son journal La Sociale, intitulé « La révolution sans femmes », celle-ci affirmait que, si c’étaient les femmes qui avaient déclenché la révolution du 18 mars, c’était elles qui avaient le moins à gagner de la situation économique qui prolongeait les souffrances du siège, d’autant qu’elles ne recevaient guère de concessions politiques ou sociales en retour. Elle met en cause, depuis 1789, « les inconséquences du parti révolutionnaire » qui leur avait donné « le titre de citoyennes, mais non pas les droits ». Voilà pourquoi tout au long de siècle qui a suivi la Commune les luttes pour les droits des femmes sont restées d’actualité. Et ne sont pas épuisées 150 ans plus tard !

Notes de bas de page

1 A télécharger sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5619722h.image.r=revue+historique.f30.pagination.langFR#
2 Voir le bel article de Dominique Godineau, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine » dans De la violence et des femmes, dir. par Cécile Dauphin et Arlette Farge, 1997.
3 Pseudonyme de Léodile Champseix, probablement passée sous silence par l’historiographie socialiste en raison de sa critique de l’Internationale.
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Venezuela : une vision partagée

L’Amérique latine, chasse gardée de Washington

par Lucho

 

J’invite nos lecteurs à lire l’entretien de Maurice Lemoine avec Jean-Baptiste Mendes, qui paraît dans le blog de Thierry Deronne, sur la situation du Venezuela et l’ingérence américaine qui se poursuit, malgré l’arrivée de Joe Biden :  « Joe Biden face au Venezuela, il fait la même chose que Trump en plus faux-cul ».
Maurice Lemoine est vraiment l’un des meilleurs (si ce n’est le meilleur) spécialistes d’Amérique latine. Lorsqu’il affirme des faits, ils sont toujours vérifiés, ce qui est chose rare aujourd’hui.

Joe Biden a prolongé le décret Obama classant la situation au Venezuela comme une menace pour la sécurité nationale, reconduisant de fait l’arsenal de sanctions américaines à l’encontre de Caracas depuis 2015. Maurice Lemoine, spécialiste de l’Amérique latine, dénonce pour Sputnik une attitude hypocrite qui asphyxie le pays.

« Le Venezuela, qui n’a jamais attaqué personne, n’est en rien une menace pour les États-Unis. » Maurice Lemoine ne mâche pas ses mots face à la prolongation des sanctions contre Caracas par Joe Biden au-delà du 8 mars. Selon la Maison-Blanche, la situation au Venezuela représenterait une « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis ».

Rien de nouveau du côté américain donc, malgré le changement d’administration. «En réalité, c’est la même chose en plus hypocrite, en plus faux-cul», dénonce Maurice Lemoine. John Bolton, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale, n’avait pas hésité à citer la doctrine Monroe, symbole ultime de l’impérialisme américain.

«Dans cette administration, nous n’avons pas peur d’utiliser [l’expression] “doctrine Monroe”», avait-il déclaré en mars 2019.

Si Joe Biden ne le dirait « pas comme ça », n’étant pas Républicain, ironise Lemoine, il n’en penserait pas moins. « L’Amérique aux Américains », disait-on en 1823 à Washington pour souligner que le continent américain entier devait être la chasse gardée des États-Unis. Utilisée au XIXe siècle contre les puissances coloniales européennes, l’expression pourrait être aujourd’hui employée face à la Chine et la Russie.

Mais les raisons de l’ingérence de Washington sont aussi très prosaïques. Le Venezuela détient les « premières réserves de pétrole au monde, des réserves d’or très importantes, des mines de coltan et d’un certain nombre d’autres produits miniers ». L’essor de l’influence chinoise en Amérique latine – Pékin étant notamment le premier partenaire commercial du Brésil – inquiète les Américains. Celle de Moscou aussi, alors que le vaccin russe Spoutnik V a été massivement commandé en Amérique du Sud. En janvier, le Président argentin Alberto Fernandez en recevait une injection et Nicolas Maduro lui a emboîté le pas le 6 mars.

Une manière de signifier à Washington qu’ils ne sont ni isolés ni dépourvus d’alliés, explique Maurice Lemoine. Et un signal qui se vérifie également dans le domaine militaire: « L’armée vénézuélienne est devenue une armée puissante grâce en particulier à l’achat d’armes et de systèmes d’armement à la Russie .» Ce qui a évidemment valu à Maduro des accusations.

« Ce que l’on oublie régulièrement, rappelle Maurice Lemoine, c’est que lorsque Chavez est arrivé au pouvoir en 1998, l’armée de l’air vénézuélienne avait deux types de chasseurs: des Mirages français et des F-16 américains. En cessant de lui livrer des pièces de rechange, Washington a poussé Chavez à acheter des Sukhoi russes .»



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