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ReSPUBLICA, le journal de la gauche républicaine

n°597 - vendredi 12 septembre 2008

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Prochain numéro: Lundi 15 septembre.

1 - chronique d'Evariste

1 - La visite du pape et notre "accueil"

Nous avons droit à la visite en France de Joseph Ratzinger, qui se fait appeler Benoît 16, bref, le pape actuel.

Ancien membre des jeunesses hitlériennes et ancien chef de la gestapo de la foi, pompeusement nommée congrégation pour la doctrine de la foi mais anciennement dénommée le saint-office (l’inquisition), Ratzinger a entre (nombreux) autres condamné la quasi-totalité des théologiens de la libération, mais aussi déclaré que le procès et la condamnation de Galilée par l’inquisition étaient « rationnels et justes ».
« Le pape qu’il nous faut », c’est ce qu’avait déclaré Christine Boutin, Ministre du logement et de la ville, égérie des anti-avortement et des anti-pacs, pour saluer sa désignation. Disons plutôt le pape qu’il lui faut, et qu’il faut aux intégristes et aux traditionalistes, lui qui n’a de cesse depuis trois ans de faire rentrer au bercail tous ceux qui n’ont jamais digéré Vatican 2. Il a ainsi rapatrié l’abbé Laguérie, ancien de saint-Nicolas-du-Chardonnet et célébrateur des obsèques du milicien Touvier, qui s’était fait virer de la fraternité sacerdotale saint pie 10 (le groupuscule du schismatique Lefebvre). Juppé lui avait offert l’église saint Eloi à Bordeaux, affectation retoquée en justice (décision sans effet d’ailleurs…), mais suite à sa réintégration dans le giron vaticanesque avec un beau hochet (l’institut du bon-pasteur, qui n’a pas de compte à rendre à la hiérarchie française), l’archevêque de Bordeaux, le cardinal Ricard, a du manger son chapeau et lui donner officiellement saint Eloi pour y faire la messe à la mode de 1962, et... baptiser une fille de Dieudonné, avec Le Pen dans le rôle du parrain.
C’est donc ce Ratzinger, plus vieux pape « élu » depuis près de trois siècles, qui vient faire un tour à Paris (les 12 et 13 septembre, mais il n’ira pas à la fête de l’Huma) et qui se rend ensuite à Lourdes (du 13 au 15 septembre) à l’occasion du 150e anniversaire des hallucinations d’une gamine, Bernadette Soubirous.
Bien entendu, si cette visite n’était que pastorale et n’était financée que par ceux qui admirent ce triste sire, il n’y aurait rien à redire.
Mais ce n’est pas le cas, et les laïques ont de quoi se mobiliser ! Et donc de quoi souhaiter la malvenue à Joseph Ratzinger !
Aussi ridicule que cela puisse paraître, le pape est aussi considéré comme un chef d’état. Facile donc de mélanger le politique et le religieux, de jouer sur les deux tableaux.
Officiellement, le pape effectuera une visite apostolique. Mais les services de l’Etat seront largement mis à contribution pour l’organisation de sa visite, et... les contribuables paieront. La préfecture des Hautes-Pyrénées a même ouvert un site dédié à la visite du pape à Lourdes.
Pire, contrairement à Tenzin Gyasto (qui se fait appeler dalaï-lama) il aura droit à une cérémonie de bienvenue à l’Elysée, suivie d’un entretien avec Sarkoléon et d’une rencontre avec les « autorités de l’Etat ». Après quoi il prononcera un discours qui fera sans aucun doute les grands titres des médias du service public.
Dans le contexte actuel de pilonnage de la laïcité par Sarkozy et son gouvernement, cela devient critique. Ce contexte, les lecteurs de Respublica le connaissent bien (le livre « La République, les religions, l’espérance », la commission Machelon, le discours de Latran, le discours de Ryad, les vœux au corps diplomatique, etc.), inutile donc de développer.
Sarkoléon et le panzerkardinal ont d’ailleurs parfois des convergences de vue troublantes : « Partout en France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances, il est bien préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête, comme "seule religion", celle de la violence, de la drogue ou de l’argent » dit le premier, « les personnes pauvres des banlieues urbaines ou de la campagne ont besoin de sentir la proximité de l’Eglise, que ce soit à travers l’aide pour les nécessités les plus urgentes, ou la défense de leurs droits et la promotion commune d’une société fondée sur la justice et sur la paix. Les pauvres sont les destinataires privilégiés de l’Evangile » répond le second.
Bafouant le principe de séparation, le président de la République joue même les VRP de luxe en déclarant « qu’un homme qui croit est un homme qui espère », et que « l’intérêt de la République c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes qui espèrent ». Et comme il faut bien penser aux générations futures, il ajoute que « dans la transmission des valeurs et l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

Ensemble, à celui qui dit de la laïcité que « ce courant de pensée souhaite que la vie publique ne soit pas touchée par la réalité chrétienne et religieuse. Une telle séparation, que je qualifierais de “profanité” absolue, serait certainement un danger pour la physionomie spirituelle, morale et humaine de l’Europe », souhaitons lui la malvenue, demandons qu’aucun fond public ne finance sa visite, exigeons le respect et défendons la loi de 1905 !

Évariste Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org

2 - combat laïque

1 - La laïcité ne doit pas plier devant Benoît XVI

SIGNEZ LE MANIFESTE

Le pape a le droit de venir en France. Loin de nous l’idée de nous y opposer parce que nous sommes laïques. Mais cet accueil officiel, sur un mode révérenciel et sur fonds publics, ne va pas de soi.

En tant que chef d’un État, Benoît XVI ne mérite guère l’enthousiasme d’une démocratie laïque et égalitaire. À la tête d’un petit État théocrate et patriarcal, il use essentiellement de son siège d’observateur permanent à l’ONU pour faire reculer tout programme en faveur de la planification familiale, des droits des femmes, de la lutte contre le sida, ou des minorités sexuelles. Souvent aux côtés des pires dictatures de l’Organisation de la Conférence islamique.

En tant que leader religieux, Benoît XVI est un pape ultraconservateur et liberticide. Sa vision du catholicisme, promue à travers des mouvements comme l’Opus Dei ou la Légion du Christ, est dogmatique, étroite, antiféministe, inégalitaire, hostile à un véritable œcuménisme et à l’esprit moderniste de Vatican II. Il n’y a vraiment pas là matière à révérence. Mais c’est l’affaire des croyants.

En tant que citoyens laïques, notre vigilance est ailleurs. Nous tenons à profiter de cette visite en France pour dire et redire notre refus de la « laïcité positive », un terme utilisé par Benoît XVI puis revendiqué par Nicolas Sarkozy, dans son livre « La République, les religions et l’espérance », et plus encore dans ses discours présidentiels de Latran et Ryad.

Comme l’immense majorité des Français, nous sommes attachés à la laïcité sans adjectif. C'est à dire à une laïcité qui distingue bien la sphère de la puissance publique de la société civile et de la sphère privée. Cette séparation tient sagement à distance le politique du religieux, dans l’intérêt des deux.

Nous refusons l’évolution de cette laïcité vers une religion civile à l’américaine, le subventionnement public des lieux de culte, ainsi que l’assouplissement de la vigilance envers les sectes.

Nous appelons au contraire à une vigilance vis-à-vis de tous les intégrismes. Cette vigilance passe par une revalorisation du lien social sur un mode laïque, un soutien aux associations de quartier luttant pour le vivre ensemble et la défense de l’école publique. Nous le disons sans détour : dans la transmission des principes de la République, le curé, le pasteur, le rabbin ou l’imam ne pourront jamais remplacer l’instituteur.

Nous ne pensons pas, comme le chef de l’État, que le plus grand mal des banlieues soit d’être devenues des « déserts spirituels », mais d’être devenues des ghettos souffrant d’un ascenseur social bloqué, de la flambée des prix immobiliers, du recul des services publics et du manque de mixité sociale.

Nous n’avons pas la prétention de croire, comme lui, que « Dieu est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme ». Mais nous sommes sûrs d’une chose, pour fondamentale qu’elle soit, la question spirituelle ne nous semble pas relever des missions du chef de l’État, dont le rôle est plutôt de s’occuper de la question sociale.

Si le catholicisme fait incontestablement partie du patrimoine culturel de la France, la France n’est plus la « fille aînée de l’Église » depuis quelques siècles déjà, mais une République séparée des Églises. Son objectif n’est pas de veiller à ce qu’un plus grand nombre de Français croient mais vivent mieux, toujours plus libres et plus égaux, ensemble. Telle devrait être la mission que se fixe un président de la République. Telle est notre espérance.

SIGNEZ LE MANIFESTE

 

Premiers signataires: André Bellon, ancien Président de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale - Gilles Bon-Maury, Président d'HES (Homosexualités et Socialisme) - Jean-Marie Bonnemayre, Président du CNAFAL - Alain CALLES, Ancien président du MRAP - Olivia Cattan, Présidente de Paroles de Femmes - Martine Cerf, Présidente d'Egale - Chahla Chafiq, Écrivaine - Antoine Détourné, Président du Mouvement des Jeunes Socialistes - Caroline Fourest, journaliste et essayiste - Christophe Girard, maire adjoint, Paris - Jean Glavany, Député, Président de l'Université Permanente de la Laïcité au PS - Bernard Graber, Secrétaire général de l'Union rationaliste - Catherine Kintzler, Philosophe, mezetulle.net - Samia Labidi, Présidente de AIME - Safia Lebdi, Présidente "Les Insoumis-es" - Jacques Miquel, responsable du CCMM Roger Ikor - Alain Néri, Député - Patrick Pelloux, président de l'Association des Médecins Urgentistes de France - Henri PENA-RUIZ, Philosophe, écrivain, ancien, membre de la Commission Stasi - Marie Perret, Professeur de Philosophie - Joseph Petitjean, président de l'ADLPF - Yves Pras, Président d'Europe et laïcité - Jean-Baptiste Prévost, Président de l'UNEF - Jean-Michel Quillardet, Ancien Grand-maître du GODF - Louis Roger, président de l'Union mondiale des Libres Penseurs - Yvette Roudy, Ancienne Ministre, Parlementaire honoraire - Gisèle Biemouret, Députée PS - Françoise Seligmann, Présidente d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme - Bernard Teper, président de l'UFAL - Jacques Testart, directeur de recherches honoraire à l'Inserm - Monique Vézinet, Secrétaire nationale de l'UFAL - Arlette Zilberg, Laïcité Ecologie Association

Organisations signataires: ProChoix - Union des FAmilles Laïques (UFAL) - Laïcité Ecologie Association, Paroles de femme - Les Insoumis-es - CCMM Roger Ikor - Fédération française des Centres LGBT - Comité IDAHO (International Day Against Homophobia) - An Nou Allé (association des noirs LGBT de France) - Quazar, cultures et libertés homosexuelles - Planning familial des bouches du rhône - TJENBÉ RÈD ! Mouvement civique pour l'action & la réflexion sur les questions noires, métisses & LGBT - Couleurs Gaies, le Centre LGBT de Lorraine Nord

Voir cet article sur son site d'origine

L'Union Des FAmilles Laïques www.ufal.org

ProChoix la revue pour le droit de choisir, dirigée par Caroline Fourest et Fiammetta Venner
www.prochoix.org

2 - La dangereuse raison antilaïque de Benoît XVI

Le 12 septembre 2006, le pape a eu l'idée innocente de faire état à l'Université de Ratisbonne de sa lecture récente du " dialogue " qui eut lieu en 1391 entre un empereur byzantin et un persan lettré sur le Christianisme et l'Islam. Après avoir cité les paroles aimables que l'Empereur prononça sur Mahomet, Benoît XVI a rappelé à son auditoire l'" argumentation " impériale: " Ne pas agir selon la raison (...) est contraire à la nature de Dieu (...) Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi, doit être capable de bien parler et de raisonner correctement et non d'user de la violence ".

C'est que le " thème " choisi par le pape pour sa conférence était: " Foi et raison ". On n'a pas besoin d'être un grand théologien pour supposer que, d'après le pape, l'islam sépare la foi de la raison et adore un Dieu irrationnel qui provoque la violence, tandis que le christianisme unit foi biblique et raison grecque.

Le pape aurait pu utilement assurer que son Église excluait (désormais) la violence militaire et la conversion forcée. Mais au lieu de se contenter d'exposer les vues pacifiques de son Église, il a opposé sa religion à une autre.

On ne peut que s'inquiéter d'un tel " dialogue entre religions ", lorsque l'une d'entre elles juge que l'autre est par nature réfractaire au dialogue, pour se désoler le lendemain d'avoir été mal comprise... Les guerres de religions ont fait dans l'histoire des ravages, au nom précisément d'un Dieu qui se plaint du Dieu de l'autre, jugé inapte au dialogue. Et aujourd'hui, des musulmans modérés soulignent que le pape a fait le jeu d'islamistes empressés de se reconnaître dans le portrait flatteur dressé par l'empereur Manuel II.

Mais la conférence du pape est inquiétante aussi par son dogmatisme doctrinal, s'agissant du rôle que le chef du Vatican entend faire jouer à la " raison de la foi " dans le monde d'aujourd'hui.

Benoît XVI assure que le christianisme a récupéré " le meilleur " de la rationalité grecque. C'est sans doute pourquoi il ignore l'injonction contenue dans le Poème de Parménide de juger selon sa raison, au lieu de croire aux opinions issues des conventions. Il oublie également l'invention de la Cité qui est un espace commun et public, égalitaire et symétrique, lieu de débat et principe d'auto-organisation de l'ordre politique. Quant à l'exhortation de Socrate, dans le Phédon de Platon, à ne pas devenir " misologue ", en prenant en haine la raison, elle est évoquée par le pape de façon tronquée. Le pape omet en particulier de mentionner le lien que Platon établit entre " misologie " et " misanthropie " - le mépris des raisonnements et la perte de confiance en l'humanité.

L'intérêt, d'après le pape, de la raison grecque est " l'analogie " qu'elle établit entre la pensée humaine et le logos divin. Contre un Dieu absolument impénétrable, le Dieu de Benoît XVI, héritier en cela des grecs, n'est pas excessivement distinct de notre raison qui nous éclaire sur le bien et le vrai... Un esprit laïque ne devrait-il pas être rassuré par ce Dieu qui semble, somme toute, inoffensif? Quel inconvénient un " homme simplement homme ", seulement éclairé, comme Descartes, par sa lumière naturelle, verrait-il à ce qu'un homme de religion estime que son Dieu " s'est montré comme logos "? Aucun. L'ennui est que la thèse aux apparences " humanistes " du pape a un revers: si Dieu n'est pas hors de toute raison, il faut dogmatiquement admettre que notre raison est un " miroir du divin "!

Pour le pape, si la foi est fondée en raison, c'est que la raison s'est mise à l'écoute du divin. Cette infaillible circularité doctrinale appelle une conclusion politique: " Une raison qui est sourde face au divin (...) est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures. "

Il ne faut donc pas s'étonner que le dogmatisme du pape ne se porte pas seulement sur l'islam. Il vise aussi la Réforme du seizième siècle accusée de considérer la foi comme " un élément inséré dans la structure d'un système philosophique ". Aux protestants, il est ainsi reproché de ne pas avoir compris que la philosophie doit demeurer la discipline ancillaire de la théologie. Pas question donc pour le pape d'admettre une religion morale de type kantien car celle-ci dénie à la foi " l'accès à la totalité du réel ". Pas question surtout de reconnaître à la rationalité scientifique une autonomie par rapport aux dogmes de sa religion. Ce n'est pas à partir d'une spiritualité et d'une morale ouvertes à tous les hommes, qu'ils aient ou non une religion, que les résultats de la science et de la technique peuvent selon lui être discutés, mais sur la base de la dogmatique vaticane, " comme par exemple la foi dans la divinité du Christ et dans la Trinité de Dieu ".

Pour le pape, la " pathologie " qui menace la Vraie Raison et la Vraie Religion est la morale laïque, lorsque " le sujet décide, sur la base de ses expériences, ce qui lui paraît religieusement soutenable, et (que) la 'conscience' subjective devient en définitive l'unique instance éthique ". La " raison " du pape se présente comme le remède violent à la maladie laïque de la liberté de conscience et du respect des itinéraires spirituels de chacun.

Le discours du chef du Vatican fournit la preuve par l'absurde de l'impérieux besoin de plus de laïcité en France, en Europe et dans le monde. À travers l'exigence laïque, s'affirme l'idéal concret d'une vie politique indépendante de l'humeur, des intérêts et des dogmes des chefs religieux, d'une liberté de conscience partout préservée, et d'une raison critique qui ose examiner, douter, essayer, objecter et se corriger elle-même.

N.B. Les citations sont tirées du texte intégral de la conférence tel qu'il figure sur le site du Monde, dans la traduction de Sophie Gherardi.

Pierre Hayat

3 - Un pape pour le "choc des civilisations"

Nous vivons un mélange des genres entre religion et politique très significatif avec la visite de Benoît XVI. La débauche ostentatoire des moyens officiels mis à disposition, l’occupation agressive de l’espace public, le harcèlement médiatique télévisuel, tout fait sens. Ici, le moyen, c’est le but. Le pape et le président ont en commun une stratégie de reconfessionnalisation institutionnelle de la société française.

Les deux hommes s’inscrivent à ce sujet dans la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington, bréviaire de la diplomatie des Etats-Unis. Ils tirent de la religion la légitimité à agir pour la domination d’un prétendu "Occident". Dans cette perspective, la République laïque fait obstacle. Un changement de cap est nécessaire. Le discours de Latran de Nicolas Sarkozy l’a proclamé sous le nom d’une "laïcité positive".

Cela devrait se traduire par une pseudo "modernisation" de la loi de 1905. Dès lors, juste avant la visite du pape, son premier ministre, le cardinal Bertone, s’est réjoui : "Certains éléments font espérer une évolution de cette laïcité rigide qui fit de la France de la IIIe République un modèle de comportements antireligieux. " Qu’est-ce que cette "laïcité positive" ?

Une reformulation par Benoît XVI de la revendication de l’Eglise romaine à être reconnue comme acteur officiel de l’espace public ! Voici le postulat du cardinal Ratzinger : "La foi n’est pas une chose purement privée et subjective. Elle est une grande force spirituelle qui doit toucher et illuminer la vie publique. " Nicolas Sarkozy l’a officialisé : "J’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité (...) qui ne considère pas que les religions sont un danger mais plutôt un atout. " C’est ce que demandait le pape : "Un Etat sainement laïque devra logiquement reconnaître un espace dans sa législation à cette dimension fondamentale de l’esprit humain. Il s’agit en réalité d’une "laïcité positive" qui garantit à tout citoyen le droit de vivre sa foi religieuse avec une liberté authentique, y compris dans le domaine public. "

Le domaine public, voilà l’enjeu pour le pape : "L’hostilité à toute forme d’importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n’est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme. " Joseph Ratzinger avait prévenu : "Une telle séparation, que je qualifierais de "profanité’’ absolue, serait certainement un danger pour la physionomie spirituelle, morale et humaine de l’Europe. " Car, pour le pape, "l’Europe est un continent culturel et non pas géographique. C’est sa culture qui lui donne une identité commune. Les racines qui ont formé et permis la formation de ce continent sont celles du christianisme. "

La vision est plus large encore. C’est l’Occident qui est en cause. "L’Occident est menacé depuis longtemps par le rejet des questions fondamentales de la raison et ne peut en cela que courir un grand danger", déclare le pape. Nicolas Sarkozy partage ce credo. Le "premier risque" dans le monde, a-t-il déclaré trois mois après son élection, c’est celui d’une "confrontation entre l’islam et l’Occident". Foin de la réalité étatique de l’ordre international, et tant pis pour cinq millions de musulmans français. Bien sûr, cette thèse ne proclame une identité que pour mieux désigner des adversaires.

L’islam d’abord. Cette lecture d’un Occident menacé par l’islam, Benoît XVI l’a aussi exprimée de manière particulièrement provocante dans son discours de Ratisbonne en 2006. Au prétexte d’une réflexion sur la foi et la raison, le pape utilise un dialogue entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un savant perse sur "le christianisme et l’islam, et leur vérité respective". Il citait ainsi l’empereur chrétien : "Montre-moi donc ce que Mohammed (le Prophète) a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras sans doute rien que de mauvais et d’inhumain, par exemple le fait qu’il a prescrit que la foiqu’il prêchait, il fallait la répandre par le glaive. "

Cette référence très douteuse prononcée au lendemain de l’anniversaire des attentats du 11-Septembre est un programme politique. Et une mystification. Elle fait en effet l’impasse sur les siècles de violence impulsée par l’Eglise, des croisades à l’Inquisition en passant par les dragonnades, la chouannerie et la résistance à la loi de 1905.

Face au tollé soulevé par ce discours, Benoît XVI en avait minimisé la portée, prétextant d’une réflexion anodine. Pourtant, son secrétaire particulier, l’abbé Gaenswein, en confirmait un an plus tard la portée très politique : "Je tiens le discours de Ratisbonne, tel qu’il a été prononcé, comme prophétique. On ne peut pas éluder les tentatives d’islamisation de l’Occident. Et le danger pour l’identité de l’Europe, qui y est lié, ne doit pas être ignoré. " Tel est l’arrière-plan de la croisade du pape dans la France de Nicolas Sarkozy.

Le pape est bien un chef politique autant qu’un chef religieux. Toute l’Amérique latine progressiste en fait l’expérience amère dans sa lutte pour le droit au divorce ou à l’avortement et par la mise au ban de la théologie de la libération. L’Italie, l’Espagne et la Pologne le paient d’intrusions permanentes dans leurs élections.

La France ne sera pas épargnée si l’hébétude du spectacle clérical éteint la vigilance laïque. La laïcité prétendument positive est une tromperie. Elle rétablirait les privilèges de préconisation publique et de pressions privées de l’Eglise. C’est d’une laïcité étendue à de nouveaux domaines de l’espace public (hôpitaux, services publics, etc.) que la France a besoin. Plus que jamais : l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle !

Jean-Luc Mélenchon www.jean-luc-melenchon.fr

4 - Benoit XVI et la grenouille par qui arrive le blasphème

Le pape Benoit XVI a dénoncé le caractère blasphématoire d’une œuvre d’art exposée en Italie et figurant une grenouille crucifiée.

Symbole traditionnel de la météo ou animateur-vedette d’un célèbre show télévisé, le batracien appelé "grenouille" a aussi fait l’objet d’une sculpture réalisée par l’artiste allemand Martin Kippenberger (1953-1997). L’œuvre représente en effet l’animal supplicié qui tire la langue en tenant une chope de bière dans une patte et un œuf dans l’autre. Censée représentée l’auteur, elle s’intitule “autoportrait de l’artiste en état de crise profond”. Exposée au musée d’art moderne de Bolzano, dans le nord-est de l’Italie, au début de l’été, ce sont les élus locaux de la ville, le ministère italien de la culture puis le pape qui ont été pris d’un coup de sang.
En mai dernier, le président de la région de Bolzano, Luis Durnwalder, avait demandé au musée de retirer la sculpture présumée provocatrice "dans une région à 99 % catholique". Au mois de juillet Franz Pahl, un élu en état de choc, avait entamé une grève de la faim pour contester l’exposition de l’amphibien jugé blasphématoire dans le musée de sa ville. Aussi sous la pression d’élus locaux, l’œuvre exposée à l’entrée de la galerie a été transportée au troisième étage de l’établissement. La directrice du musée, Corinne Diserens, a néanmoins refusé de censurer cette production, évoquant une "instrumentalisation d’une œuvre à des fins politiques". D’autant plus qu’il était affiché une “note d’information” expliquant “la valeur artistique et le contexte où naquit l’ouvrage”. Sandro Bondi, ministre "berlusconien" de la culture, a jugé le 28 août que "non seulement cette œuvre blesse le sentiment religieux de nombreuses personnes qui voient dans la croix le symbole de l’amour de Dieu, mais elle offense aussi le bon sens et la sensibilité de ceux qui ne se reconnaissent pas dans ce symbole". Et de conclure : "Je serais heureux que les institutions publiques ou financées par le public n’exaltent pas uniquement l’art désacralisé, les provocations inutiles ou le non-sens". Enfin l’évêque de Bolzano, Wilhelm Egger, s’était entretenu de l’affaire "de la grenouille" lors d’une rencontre avec Benoit XVI qui passait ses vacances dans la région... Le Vatican avait alors immédiatement contacté au mois d’août le gouvernement régional, pointant dans son courrier la peine provoquée par cette représentation auprès des croyants qui "voient dans la croix le symbole de l’amour de Dieu".

D’autres protestations se sont fait entendre en Italie, celles d’amateurs d’art et de créateurs, et visent à soutenir non seulement l’exposition en question, mais aussi la liberté d’expression menacée dans cette affaire apparemment anecdotique. Exhibée sans problème à Londres, Venise, New York et Los Angeles, puis en 2004 au musée de Laguna Beach en Californie, dans le cadre d’une exposition intitulée “100 artistes voient Dieu”, la sculpture de l’artiste polyvalent M. Kippenberger a ainsi jeté l’anathème dans la ville de Bolzano où l’on tente visiblement de limiter la vie d’une grenouille au cadre stricte du bénitier.

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Nathalie Szuchendler egalibre.canalblog.com/

5 - Voyage du Pape : ça commence très mal !

Télécharger le numéro hors série de Golias sur la pape.

Le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat de Benoit XVI et interprète autorisé de ses positions, lors d’un entretien à La Croix préparant la venue du Pape en France évoque la « laïcité positive » qu’il entend promouvoir. Il fait ainsi directement référence à une expression choisie par le Président Nicolas Sarkozy, lors de son discours du Latran de décembre 2007 (voir à ce sujet le dossier de la revue Golias n°118).

Mgr Bertone s’en réjouit et approuve la « laïcité positive » prônée par le président français, soutenant que « c’est une évolution (de la laïcité) qui la rend plus saine » à la veille de la visite de Benoît XVI en France. Selon le cardinal italien, de tendance franchement intransigeantiste, « cela signifie seulement que cette laïcité n’est pas aveugle et qu’elle ne méconnaît pas le fait religieux », ajoutant surtout, point important, que « c’est une évolution qui la rend plus saine ». « Il faut maintenant que cette conception de la laïcité passe peu à peu dans les faits », poursuit-il.

En juillet dernier, le cardinal Bertone avait déjà évoqué la situation française où « certains éléments font espérer une évolution de cette laïcité rigide qui fit de la France de la IIIe République un modèle de comportements antireligieux ». Quant à son homologue français, le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, qui sera également du voyage en France, il a affirmé pour sa part vendredi que « la visite de Benoît XVI pourrait être l’occasion, de mettre à nouveau les pendules à l’heure » sur l’épineuse question de la laïcité.

Benoît XVI « mettra les pendules à l’heure sur la laïcité »

On se souvient des scandaleux propos du président français affirmant tout de go une supériorité, incongrue d’ailleurs, du prêtre sur l’instituteur. A présent, Benoit XVI (et déjà son secrétaire d’état Tarcisio Bertone) entendent faire savoir que le message a été reçu cinq sur cinq. Réponse du berger pontifical à la bergère française (si l’on ose ainsi qualifier le président de la République).

Réponse du berger (pontifical) à la bergère (française) !

L’expression même de « laïcité positive » est fort malheureuse car la laïcité en soi n’est ni positive ni négative, et si elle doit être qualifiée, elle serait plutôt négative en tant qu’elle traduit le refus d’une sujétion au spirituel, au confessionnel ou à l’autorité ecclésiastique. Sans doute veut-on insister par là sur les aspects en soi positifs des religions (quoi que l’on pense des négatifs) ce qui est assez incontestable.

La remise en cause d’un principe fondamentale de la culture française

En fait, derrière cette expression équivoque, il faut deviner une volonté de minimiser l’importance de la laïcité, de revenir sur le principe et sur ce qu’il entraîne. La volonté romaine de vouloir infléchir le sens de cette valeur fondamentale de notre république, en réponse à la main tendue par Nicolas Sarkozy lui-même, doit nous inquiéter. Il s’agit de faire prendre des vessies pour des lanternes et tout simplement de mettre en cause une valeur essentielle de notre patrimoine moral français. Ce qui relève d’une stratégie logique de la part d’un cardinal associé à la restauration intransigeante de Benoit XVI, ce qui ne veut pas dire moins dangereux, mais qui choque davantage dans la bouche et sous la plume d’élus de la République.

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Christian Terras www.golias.fr

6 - L’OCL déplore que l’Etat français reçoive officiellement le pape

L’Observatoire Chrétien de la Laïcité qui a déjà affirmé avec la plus grande fermeté son désaccord avec les thèses défendues par le président Sarkosy dans son discours du Latran redit son inquiétude alors que l’offensive en faveur d’une laïcité prétendue « positive » déferle dans les médias à l’occasion de la visite en France du pape Benoît 16. La laïcité telle qu’elle est définie dans la Loi de 1905 reste l’outil juridique actuellement indispensable dans une société multiculturelle et multiconfessionnelle, La Loi doit être respectée par tous à commencer par l’Etat Français. La séparation rigoureuse des Eglises et Institutions religieuses et de l’Etat est la garantie contre les tentations et tentatives communautaristes, la liberté de conscience des personnes et la démocratie fondée sur la voix des citoyens libres et responsables en dernier recours de leurs choix politiques.

C’est pourquoi l’OCL déplore que l’Etat français reçoive officiellement le pape qui joue sur l’ambiguïté de sa fonction pastorale et du statut étatique du saint Siège. Ce statut étatique n’est qu’un reste anachronique des Etats pontificaux et monarchiques d’antan. L’Observatoire Chrétien de la Laïcité souhaite la disparition de cette exception, au demeurant peu conforme au message évangélique.

Par l’Observatoire Chrétien de la Laïcité

Jean Riedinger Secrétaire de l’Observatoire Chrétien de la laïcité

3 - à lire, à voir ou à écouter

1 - Opus Dei et consorts : enquête sur l'idéologie du pape

Les Nouveaux soldats du pape de Caroline Fourest et Fiammetta Venner - éd. du Panama - 316p., 20€.

Objet de controverses non seulement en raison de son coût et de la pompe qui l’entoure, mais aussi par ce qu’elle laissera sans doute entrevoir des conceptions du président Sarkozy en matière de laïcité, la prochaine visite du Pape Benoît XVI se doit néanmoins d’être appréciée avec du recul. En l’occurrence, non par le biais d’un anticléricalisme épidermique, mais à la lumière de la situation actuelle dans l’Eglise catholique, de son évolution théologique et, oserait-on dire, idéologique.

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C’est précisément ce que font, dans un ouvrage aussi sérieux que documenté, Caroline Fourest et Fiammetta Venner qui, évitant toute tonalité inutilement polémique, démontrent grâce à un large travail d’enquête que depuis le concile Vatican II, l’ouverture au monde régresse dans l’Eglise.

L’opinion généralement répandue, y compris en science politique, consiste à mettre systématiquement en équation les idées catholiques réactionnaires et la petite frange d’intégristes qui a suivi feu monseigneur Lefebvre jusque au schisme. Ce livre explique au contraire que c’est au cœur de l’Eglise romaine, avec l’appui des papes successifs depuis Paul VI et plus encore Jean Paul II, à leur initiative souvent, que s’est développé un mouvement de remise en cause des enseignements du concile.

Retour de balancier et contre-feux conservateur

Quelles sont les raisons du contre-feux conservateur ? Selon les auteurs, Paul VI déjà considérait que l’application de Vatican II était allée trop loin. Dans l’atmosphère de la fin des années 60, marquée par la guerre froide et le souffle des idées de 1968 (auquel n’est pas étrangère, en France, la gauche catholique imprégnant, entre autres, le PSU), la hiérarchie catholique reste obnubilée par la nécessité de la lutte contre le communisme.

Elle n’accepte pas la remise en cause de l’engagement politique ultra-réactionnaire de certaines églises, notamment latino-américaines, que représente la théologie de la libération. Elle s’inquiète de l’affaiblissement de ses capacités missionnaires face au développement des dénominations protestantes dans le tiers-monde et d’une manière générale, s’oppose à tout ce qui remet en cause la vision patriarcale et puritaine qui continue à s’exprimer depuis Rome sur les questions de morale.

Logiquement, Rome va donc chercher à susciter ou promouvoir des mouvements de religieux ou de laïcs ayant une colonne vertébrale doctrinale et des méthodes, capables d’amorcer un retour de balancier vers un catholicisme conservateur.

Caroline Fourest et Fiammetta Venner nous font donc découvrir trois de ces instruments de reconquête, qui actuellement encore, continuent à grignoter des positions d’influence dans le clergé et la société civile, avec le parfait aval du Vatican : la Légion du Christ ; l’Opus Dei et la mouvance traditionaliste.

Après lecture complète de l’ouvrage, la Légion apparaît bien comme la plus inquiétante et l’appui dont elle bénéficie, malgré l’implication avérée de nombre de ses prêtres dans des affaires de mœurs, surprend, comme il en dit long sur l’incapacité de l’Eglise à traiter dans la transparence un linge sale qui continue d’être lavé en famille, quand tout simplement la dénégation ne prends pas le dessus.

Autoritarisme, sexisme et mortification

Le livre est ensuite un très salubre effort pour établir avec précision la pensée, les méthodes et l’influence de l’Opus Dei, le mérite des auteurs étant de réfuter les fantasmes complotistes qui font de l’Opus une sorte de « franc-maçonnerie blanche » au sein de l’Eglise, tout en soulignant bien la nature autoritaire de l’Opus, son passé de collaboration avec le franquisme et Pinochet, ainsi que sa fascination pour la mortification et son sexisme.

La dernière partie du livre est elle aussi éclairante. Traitant du milieu traditionaliste (terme qui désigne les intégristes restés dans l’Eglise), Caroline Fourest et Fiammetta Venner expliquent avec justesse que le danger pour l’Eglise ne vient sans doute pas des intégristes qui ont choisi la dissidence, mais de ceux qui, après l’affaire des sacres de Mgr Lefebvre, en 1988, ont choisi de demeurer dans le giron du Vatican.

La raison est simple : parce qu’ils ont le sens politique et celui du rapport de forces (c’est un héritage du politique d’abord et de la théorie du compromis nationaliste chez ces gens imprégnés de maurrassisme), les traditionalistes qu’on appelle « ralliés » savent que pour faire avancer leurs idées, il faut rester dans l’Eglise et non se marginaliser en la quittant.

Les auteurs ont dès lors raison de souligner que ce sont les intégristes proches du Front national (Bernard Antony ; Jean Madiran) et impliqués dans le combat politique nationaliste, qui ont choisi de rester fidèles au Vatican, tandis que les fidèles de Mgr Lefebvre, moins ouverts au compromis tactique, délaissent souvent l’action politique pour se réfugier dans le providentialisme.

Le livre raconte en outre les tractations qui ont abouti au retour dans le giron romain de la fraction la plus « idéologique » de la mouvance lefebvriste, laquelle a obtenu sans rien céder, une impressionnante série de concessions dont la plus choquante est sans doute l’autorisation de prière pré-conciliaire pour la conversion des juifs, restés pour eux le peuple déicide.

Fidèles à leur engagement qui consiste à examiner les fondamentalismes à l’œuvre dans les trois religions monothéistes, les auteurs nous donnent au final, un tableau de l’Eglise catholique qui conclut à la marginalisation du catholicisme libéral, à la mise entre parenthèses de notions conciliaires fondamentales comme l’œcuménisme et à la victoire (temporaire ?) du camp conservateur.

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Jean-Yves Camus Chercheur en science politique

2 - Les créationnismes. Une menace pour la société française?

Texte publié par l'UFAL

Les créationnismes. Une menace pour la société française ? par Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau, Syllepse, 2008, 136 pages, 7 €.

En 1992, le philosophe Dominique Lecourt s’excusait dans la préface de son livre L’Amérique entre la Bible et Darwin, de s’immiscer dans une « affaire de famille » américaine… Aujourd’hui, il faut mesurer les progrès parcourus par l’idéologie créationniste et les formes plurielles et souvent masquées qu’elle prend chez nous. Le petit livre de ces deux scientifiques nous y aidera. Précis et descriptif, il accumule les citations, les références aux sites et débouche sur l’affirmation que la laïcité (sans adjectif) est en France le meilleur garde-fou envers les attaques contre la raison.

Au point de départ donc, les Etats-Unis, où à deux occasions importantes le 1er amendement de la Constitution fut utilisé par la justice pour faire échec à l’enseignement des thèses créationnistes : en 1982 au procès de Little Rock et à Dover en 2005. Entre ces deux dates, le mouvement se diversifie : s’affirmant « scientifique », un courant du créationnisme – soutenu par les fondamentalistes chrétiens, et par Bush – a pris le tournant du « dessein intelligent ».
En Europe, particulièrement bien implanté en Allemagne et en Grande-Bretagne, le mouvement alerte le Conseil de l’Europe qui parvient, malgré les pressions du Vatican, à voter en 2007 une résolution qui en dénonce les dangers.
Et puisque nous nous interrogeons ici sur les positions de Benoît XVI, attardons-nous sur les pages consacrées au Vatican : alors que Jean-Paul II a pu sembler admettre la théorie de l’évolution, Ratzinger fait donner son ancien étudiant Schönborn, cardinal de Vienne, contre le darwinisme et « les courants matérialistes de l’évolutionnisme idéologique qui remettent en cause la foi chrétienne en la Création ». Relevons l’affirmation d’après laquelle « la résurrection du Christ est le point d’arrivée de l’évolution »…
L’ouvrage détaille les origines du créationnisme en France à travers plusieurs associations proches du catholicisme depuis les années 70 et surtout, fondée en 1995, l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP) qui réunit plusieurs scientifiques en poste, bénéficie d’appuis dans les médias (et de celui de Luc Ferry) et du financement de la fondation américaine Templeton. Dans la filiation de Theilard de Chardin, ces réseaux ont en commun de ne pas affronter la science mais de chercher à la redéfinir à la lumière de la « quête de sens ». Diffus, leur impact est difficile à apprécier. Ils croisent parfois les pas des Témoins de Jéhovah et de la Scientologie, des Orthodoxes de Russie et autres pays de l’Est, de certains musulmans ou encore de la « nébuleuse Yahya » (l’éditeur turc du luxueux Atlas de la Création envoyé dans les établissements français en 2007).
Pour éviter de leur ouvrir des portes, les auteurs concluent qu’il faut tout particulièrement veiller à ce que l’Etat ne se désengage pas de l’enseignement. J’ai particulièrement retenu ce propos d’un professeur SVT de lycée : « seul un enseignement de l’évolution accompagné (d’une) perspective épistémologique peut outiller les élèves intellectuellement. Ils peuvent ainsi se rendre compte de l’incurie du discours créationniste et comprendre que celui-ci est à l’opposé d’une démarche scientifique ». Education nationale, éducation populaire, laïcité, même combat !

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Monique Vézinet Secrétaire nationale de l'UFAL

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