Chronique d'Evariste
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Le 23 septembre, il faudra amplifier le mouvement !

par Évariste
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Plus facile à dire qu’à faire, bien sûr… Mais il faut comprendre que sans amplification du mouvement de grève et de manifestation, aucune avancée significative ne sera possible.
D’ailleurs, le gouvernement ne s’y est pas trompé : en annonçant des chiffres bien en dessous de la réalité pour les manifestations, il espère minimiser l’événement1. La stratégie du gouvernement consiste en effet à faire croire que les français ont compris la nécessité de cette réforme et qu’ils ne peuvent que se résoudre à l’inéluctable. La question des retraites, nous dit-on, serait une question purement arithmétique dont la solution figure sur une calculette. Loin de relever de lois naturelles et nécessaires, la question des retraites est en fait éminemment politique, qui dépend de choix et d’arbitrages.

Cette première mobilisation a tout de même forcé Sarkozy à lâcher du lest. C’est ainsi qu’on a pu entendre quelques déclarations sur les carrières longues et poly-pensionnées. Mais ces annonces restent très vagues. Elles devraient faire l’objet d’amendements de la part du gouvernement, amendements dont on ignore, pour l’heure, le contenu.Par ailleurs, le gouvernement a demandé l’application de la procédure d’urgence dans les discussions parlementaires2 ce qui ferme toute possibilité à un travail parlementaire sérieux. Il faudrait au minimum un report du débat parlementaire afin de laisser du temps à la négociation avec les syndicats.

Mais le résultat des négociations apparaît, à l’heure actuelle, comme des plus incertains. Ainsi rien ne laisse penser que le gouvernement va se pencher sur la question des retraites des personnes qui ont eu une carrière discontinue, et qui sont, en très grande majorité, des femmes. Or, il y a plus d’inégalité dans la retraite entre les hommes et les femmes qu’entre les catégories d’actifs.

Il faut durcir le rapport de force

Les syndicats accordent une place importante aux mesures d’âges. Or, sur ce sujet, Sarkozy ne semble pas encore prêt à céder. Il faut par conséquent durcir le rapport de force et mobiliser encore plus largement. De ce point de vue, l’annonce d’une nouvelle journée d’action le 23 septembre va dans le bon sens (même si une date plus rapprochée eut été préférable car, d’ici le 23 septembre, le texte aura quitté l’Assemblée Nationale pour le Sénat). Si la mobilisation est beaucoup plus importante le 23 septembre, le mouvement social pourra alors envisager la possibilité d’une grève générale. C’est là le seul moyen de faire reculer Sarkozy qui pense déjà à sa future campagne présidentielle et qui, par conséquent, joue gros sur ce dossier. Sans un mouvement de grande ampleur, il sera très difficile de lui arracher quoi que ce soit.

La question qui se pose actuellement n’est pas de savoir si les syndicats sont prêts à durcir le rapport de force. Il ne s’agit pas de sonder les reins et les coeurs de tel ou tel dirigeant syndical suspecté de ne pas y croire, mais au contraire de tout faire pour qu’il y ait un maximum de gens dans la rue le 23 septembre. La situation est favorable : la grande majorité du peuple est hostile à cette réforme régressive, et l’on sent bien que les travailleurs sont prêts à passer de cette hostilité de principe à une action résolue pour contrer ce nouveau mauvais coup porté à leurs droits.

  1. 80.000 manifestants à Paris selon la police - contre 270.000 pour la CGT - alors que la préfecture a demandé de scinder le cortège en deux, ce qui ne se fait qu’au dessus de 150 à 200.000 manifestants. []
  2. Il n’y aura qu’une seule lecture par assemblée []
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Retraites : "il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience"

par Bernard Teper
Secrétaire National de l'Union des FAmilles Laïques
Portail des médias de l'UFAL : www.ufal.info

Source de l'article

L’utilisation de cette citation de Jean Jaurès dans “Etudes socialistes” se justifie par l’importance de la contre-révolution néolibérale opérée par la gouvernance mondiale (patronat des firmes multinationales, dirigeants des firmes multilatérales et régionales, G7 et administration étasunienne) depuis le Consensus de Washington en 1979, dans toutes les activités humaines mais principalement dans le domaine de la protection sociale.
L’ampleur du processus de démantèlement de la protection sociale solidaire réalisé en France par les différentes réformes régressives depuis 43 ans en général et depuis 23 ans sur le dossier des retraites nous impose deux constats :

  • que toute petite amélioration concrète, même si elle est toujours “bonne à prendre” ne résoudra en rien l’étendue du désastre créé,
  • qu’à la contre-révolution néolibérale orchestrée par le turbocapitalisme, il faut préparer une révolution républicaine visant à instituer les neuf principes républicains bafoués par le turbocapitalisme. Et en ce qui concerne la protection sociale, instituer le principe de la solidarité : “à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens” en remplacement du principe néolibéral “à chacun selon ses moyens”.

Donc il faut répondre avec comme pratique centrale les mobilisations à front large, mais tout en ayant en tête l’espoir que seule peut porter une nouvelle radicalité.
Une des faiblesses de l’actuel front large contre la réforme régressive des retraites provient du fait qu’une partie des opposants utilisent le même paradigme de pensée que les “réformateurs” du gouvernement. Il convient de dire que pour certains, c’est en toute bonne foi, et que cela touche bien sûr les sociaux-libéraux mais aussi une partie de la gauche antilibérale et altermondialiste.
Et que pour les sociaux-libéraux, il ne faut pas seulement avoir en tête les partis politiques mais aussi le monde associatif et surtout mutualiste.

Il ne suffit pas de défendre le système de répartition contre la capitalisation
Deux marqueurs de cette confusion peuvent être rappelés :

  • la croyance que le recul progressif de la Sécurité sociale au profit des régimes complémentaires (des firmes multinationales assurantielles et bancassurantielles, des instituts de prévoyance des amis de Guillaume Sarkozy et des mutuelles) n’a pas d’influence sur le niveau de solidarité de la protection sociale,
  • la croyance qu’il faut simplement défendre le système de répartition contre la capitalisation.

Et cela pour deux raisons :

  • l’ensemble des complémentaires santé ont partie liée depuis la construction de l’Union nationale des organisations complémentaires de la Sécurité sociale (UNOCAM) lors de la contre-réforme régressive de Douste-Blazy en 2004. La Fédération nationale de la mutualité française jouant le rôle d’apprenti-sorcier et de cheval de Troie de ses compagnons dans l’UNOCAM ;
  • la politique néolibérale ne porte pas au remplacement de la répartition par la capitalisation mais à l’accroissement de la partie en capitalisation, avec le maintien d’une majorité de la retraite en répartition, mais selon le mode du revenu différé avec neutralité actuarielle1. Donc le slogan “défendons la répartition contre la capitalisation” est un slogan erroné et démobilisateur.

Pire encore, la retraite par répartition selon le mode du revenu différé avec neutralité actuarielle augmente les inégalités sociales de retraites par rapport aux inégalités sociales existantes lorsque les salariés sont sous la coupe d’un employeur.
Cela est vrai pour la très grande majorité des chômeurs, des précaires mais aussi des femmes. En fait cela fait beaucoup de monde, plus de la majorité des salariés. Par exemple, les inégalités de revenus entre hommes et femmes sont de 22 % pour les salaires et de 38 % à la retraite ! Et cela malgré les mesures de charité institutionnalisée comme la majoration de la durée d’assurance (MDA) permettant à toute femme ayant eu des enfants d’avoir deux années de cotisation “gratuites” par enfant élevé.
Le fond de l’affaire est qu’un système de profonde inégalité, même mâtiné d’un peu de charité plus ou moins institutionnalisée, ne résout pas les injustices générées par le système lui-même. Arrêtons donc de demander toujours plus de charité, ce que font la droite néolibérale, la gauche social-libérale et une partie de la gauche antilibérale !
Et comme Galilée qui après sa rétractation pour sauver sa tête aurait dit : “Et pourtant elle tourne” en parlant de la rotation de la Terre autour du Soleil, nous pouvons dire dans l’affaire des retraites : “et pourtant, la base du système solidaire existe déjà” !

Le salaire et la retraite comme salaire socialisé lié à la qualification

Dans la retraite par répartition avec le mode du revenu différé avec neutralité actuarielle (le montant total des retraites doit être égal aux cotisations versées), le droit est lié au montant des cotisations effectuées : “j’ai cotisé donc j’ai des droits afférents à mes cotisations”.
Dans la retraite par répartition avec le mode du salaire socialisé lié à la qualification, le droit est lié à la qualification : “j’ai une qualification donc j’ai un droit” ! Dans ce cas, la retraite socialisée de chaque salarié n’est pas liée au montant des cotisations qu’il a versées.
Prenons quelques exemples :

  • A la création de l’Agirc (retraites complémentaires des cadres du privé), si les cadres avaient opté pour le revenu différé avec neutralité actuarielle, ils auraient dû attendre longtemps avec des années de retraites insignifiantes. Mais ils ont opté pour la retraite lié à la qualification et dès la première année, ceux qui n’avaient pas cotisé ont touché leurs retraites plein pot financées par les actifs ! Cela n’a pas entraîné de catastrophe et c’est pourtant la fin du monde que nous annoncent la droite néo-néolibérale, les médias et les bonnes âmes de “gôche” toujours prêtes à faire croire qu’elles ont compris l’enjeu !
  • Le statut des fonctionnaires règle la retraite par une moyenne sur les 6 derniers mois de traitement et donc pas sur le montant des cotisations mais sur la qualification acquise. Voilà d’ailleurs pourquoi il faut défendre la retraite des fonctionnaires et demander que ce système soit étendu par une harmonisation par le haut et non par le bas, comme suggéré par les différents populismes abrutissants !

Bien évidemment, dans ce mode du salaire socialisé lié à la qualification, la hiérarchie des salaires et retraites (qui devient donc, comme le dit Bernard Friot - en particulier dans L’enjeu des retraites -, un salaire continué) doit être délibérée. Par exemple de 1 à 3, de 1 à 4 ou de 1à 5. Dans l’esprit du Conseil national de la Résistance, la délibération devait être celle de représentants élus des assurés sociaux. Rappelons que la dernière élection à la Sécu a eu lieu en 1983 sous le gouvernement Mauroy, que le gouvernement Rocard a décidé de ne pas les reconduire et que le gouvernement Juppé a supprimé de la loi cette mesure du Conseil national de la Résistance…
De plus on cesserait de réclamer plus de charité pour les femmes qui subissent une injustice qui n’a jamais été résolue par les mesures de charité, fussent-elle institutionnalisées. Nous aurions alors la base d’un féminisme républicain qui tournerait le dos au féminisme essentialiste demandant systématiquement des compensations charitables qui ne résolvent jamais l’injustice !
Idem pour les chômeurs et les précaires. Leurs retraites ne seraient pas liées aux trimestres de cotisations mais à leur qualification.
La base du projet de révolution républicaine qui porterait le dépassement du capitalisme existe déjà ! Ceci est d’importance car beaucoup de militants et d’organisations souhaitent souvent réinventer l’eau chaude ! Dans cette perspective, la base du mode de formation du salaire et donc de la retraite, mais aussi de la libération du salarié de la valeur travail et de la subordination à un employeur existe déjà! Et c’est heureux! Car comme le disait Antonio Gramsci, le neuf ne peut surgir que s’il préexiste déjà ici et là! On n’a jamais connu de transformation sociale créée ex nihilo n’en déplaise aux “gauchistes”, ces malades infantiles du communisme si on m’autorise la reprise modifiée d’un titre d’un livre de Wladimir Ilitch Oulianov alias Lénine !

Eh oui, suppression de la valeur travail qui institue la soumission et organise le salaire comme la somme nécessaire à la production et à la reproduction de la force de travail. Eh oui, suppression de la soumission du citoyen à l’employeur par le contrat de travail. Eh oui, suppression du syndicalisme d’adaptation qui “cherche un repreneur” lorsque l’entreprise est en difficulté, comme si la servitude volontaire était l’apanage du syndicalisme ! Eh oui, suppression des employeurs remplacés par des entrepreneurs qui dirigeraient l’entreprise dans ses objectifs et sa stratégie mais qui n’auraient plus la possibilité de soumettre le salarié à l’employabilité et au salaire lié à l’emploi !
Bien évidemment, le lecteur verra bien là qu’il est nécessaire d’aller plus loin pour construire un projet émancipateur et que ce sera l’objet d’autres articles. Mais la piste est tracée et l’espoir peut renaître autour de ce projet crédible qui s’appuie sur le neuf déjà existant !
Mais attention, même certaines organisations antilibérales et altermondialistes pensent qu’ils peuvent construire l’avenir uniquement en promouvant le système à prestations définies versus le système à cotisations définies. Le premier est meilleur que le second mais n’est pas à la hauteur des enjeux comme l’est le salaire (et donc la pension) socialisé lié à la qualification. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres même dans certains secteurs de la gauche antilibérale et altermondialiste.
C’est pourquoi, à l’instar de Jean Jaurès, nous devons avoir le courage “de chercher la vérité et de la dire…” Et “de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques”.

  1. Le revenu différé avec neutralité actuarielle correspond au processus visant à ce que, pour chacun, la somme des retraites obtenues soit égale à la somme des cotisations payées. []
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Luc Chatel ne « lâche » pas les enseignants-stagiaires : dans sa grande largesse, il leur laisse leurs nuits pour préparer leurs cours…

par L'Union des FAmilles Laïques

La réforme de la masterisation des concours, que l’Ufal n’a cessé de dénoncer, est appliquée cette année. L’une des conséquences de cette réforme est la suppression de l’année de stage. Les fonctionnaires-stagiaires affectés dans le second degré ont donc écopé dès la rentrée d’un service à temps plein. A l’instar de leurs collègues chevronnés, les stagiaires certifiés doivent ainsi assurer 18h de cours par semaine, et les stagiaires agrégés, 15h. S’ajoutent à ces heures de cours des journées consacrées à la formation pédagogique, dont la répartition dépend du pilotage local, c’est-à-dire des dispositifs mis en place par les recteurs au niveau académique. Cette formation pédagogique, réduite à sa portion congrue, ne s’inscrit plus, en effet, dans un cadre national : certains recteurs ont opté par le « filage » (ces journées sont réparties sur toute l’année scolaire), d’autres pour le regroupement, ce qui oblige à recourir à des étudiants pour remplacer les stagiaires. Cette organisation du travail des stagiaires est en elle-même inique : quel temps leur reste-t-il pour préparer leurs cours, pour corriger les copies, pour observer leur tuteur faire la classe et échanger avec lui ? Tel est l’étrange paradoxe de cette contre-réforme : un jeune professeur a encore moins de temps qu’un professeur expérimenté pour faire face aux multiples tâches inhérentes au métier… Il y a là déjà de quoi dégoûter les meilleures volontés.
Mais il y a pire. Dans une circulaire adressée aux recteurs le 25 février 2010, le Ministre de l’éducation nationale précisait que le service des fonctionnaires-stagiaires ne pouvait excéder ce volume horaire. En d’autres termes, il n’était pas question qu’ils fassent des heures supplémentaires. Comment les choses se passent-elles sur le terrain ? De nombreux stagiaires ont découvert avec stupéfaction le jour de la pré-rentrée que leur service allait bien au-delà d’un temps plein. Certains se sont retrouvés avec des services allant jusqu’à 20h de cours par semaine. Dans certains établissements, l’administration a même usé de méthodes d’intimidation pour que ces jeunes professeurs acceptent leur service sans broncher, alors que le droit était pourtant de leur côté. Les chefs d’établissement peuvent en effet miser sur la docilité de stagiaires dont la titularisation dépend pour une grande part de leur avis. Certains d’entre eux ont, du reste, annoncé d’emblée la couleur en conseillant aux stagiaires de s’abstenir de faire grève cette année.
Les propos de Luc Chatel qui a récemment prétendu « ne pas lâcher les stagiaires » apparaissent, à la lumière de cette rentrée chaotique, presque comiques. Car nous avons désormais sous les yeux la vérité cyniquement comptable de cette contre-réforme, que la communication du ministre ne parvient plus à masquer : la masterisation des concours ne sert en définitive qu’à faire des économies de postes en se servant des stagiaires comme bouche-trous. 

Grand Orient de France
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Les Francs-maçons du Grand Orient de France accouchent de la mixité aux forceps

par Nicolas Gavrilenko

Le dernier Convent1 du Grand Orient de France qui s’est tenu le 2 septembre a donné une courte majorité aux tenants de l’égalité homme-femme au sein de leur obédience.

Il leur aura fallu 150 ans !

Ce débat surréaliste empoisonnait la première obédience maçonnique française depuis des décennies2. Surréaliste, car si les francs-maçons sont souvent considérés comme étant aux avant-postes de l’histoire, force est de constater que sur la question de la mixité homme-femme, ils arrivent largement après la bataille. Surréaliste, surtout, puisque le Grand Orient de France connut des périodes où il était le fer de lance des principes républicains issus des Lumières, y compris du combat féministe. Ainsi, cette obédience porta le combat en faveur de la contraception et du droit à l’IVG. Comment expliquer un tel paradoxe ? Lorsque le courant conservateur, arc-bouté sur la tradition, devint majoritaire au cours des années 70, les francs-maçons attachés à la mixité préférèrent aller travailler dans les obédiences mixtes. Quant aux autres, ils créèrent au sein du GODF le CLIF (Comité pour la Liberté d’Initier les Femmes), continuant ainsi le combat en interne. Mais les conservateurs restèrent sourds à leurs arguments.
Une première brèche a été ouverte il y a quelque temps quand il a fallu trancher sur le cas d’un frère devenu… soeur ! Le Grand Orient de France n’ayant pas osé résilier son adhésion, cette soeur est devenue par conséquent la première femme membre à part entière de cette obédience.3.
La deuxième brèche, qui s’est avérée décisive, a été ouverte par des loges qui, ayant initié des femmes, ont fait valoir que rien dans le règlement général de l’obédience ne l’interdisait. De fait, il n’y est nullement écrit que la masculinité constitue une condition nécessaire pour être initié. Considérant que le silence de la loi vaut permission, la justice interne leur a donné raison. Le camp conservateur tenta alors le tout pour le tout en se réclamant de la tradition orale contre les règles écrites dans la Constitution de l’obédience. Fétichiser une coutume immémoriale qui n’est écrite nulle part, c’est là une stratégie qui est toujours utilisée par les rétrogrades de toute espèce. Cette fétichisation de la tradition orale est, par ailleurs, anti-républicaine. Dans une République, en effet, la Constitution prévaut sur tout le reste, y compris le droit coutumier. Cette position n’était plus tenable. Elle a volé en éclats lors du dernier Convent.

Une mixité qui reste à la discrétion des loges

Il est à noter que la décision d’initier des femmes restera à la discrétion des loges qui demeurent souveraines. Il faut être précis : le Grand Orient de France n’a pas voté en faveur de la mixité mais en faveur du principe de la liberté des loges. Ainsi, celles qui le souhaitent pourront initier des femmes, les autres pourront continuer à les refuser. On peut à cet égard déplorer qu’il ait fallu tant de subtilités juridiques pour rendre possible l’application d’un principe dans lequel toute personne soucieuse d’égalité peut se reconnaître. Ne soyons pas amer : il faut se réjouir qu’une page se tourne. En outre, il y a tout lieu de penser que, d’ici quelques années, le rapport de force deviendra favorable aux partisans de la mixité, et ce de façon mécanique, puisque nombre de francs-maçons et de francs-maçonnes travaillant actuellement dans des obédiences mixtes et aspirant à une Franc-Maçonnerie unifiée vont très certainement rejoindre le Grand Orient de France. Mais ce combat ne sera définitivement gagné que le jour où aucune loge ne refusera d’initier une personne au motif de son sexe.

  1. Convent : équivalent maçonnique d’une assemblée générale []
  2. Ce débat dure en fait depuis près d’un siècle et demi. La première femme initiée dans une loge du GODF fut Maria Deraisme… en 1882 []
  3. Les femmes initiées dans d’autres obédiences -féminines ou mixtes- étaient jusque-là reçues par certaines loges du GODF et admises dans ses débats mais n’en étaient pas membres de plein droit []
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Un nouvel élan pour la première obédience maçonnique de France ?

par Zohra Ramdane

Un événement important vient de se produire au Grand Orient de France : les loges qui le souhaitent pourront désormais initier des femmes. Cette heureuse décision qui marque le refus de segmenter l’humanité ne manquera pas de renforcer la première obédience maçonnique de France. Cela suffira-t-il à lui redonner l’influence qu’elle a perdue depuis les années 70 ?

Il en est du Grand Orient de France comme de toute autre organisation politique, syndicale ou associative : cette obédience subit aussi les effets du rouleau compresseur néolibéral. Cette idéologie est tellement hégémonique qu’elle parvient à imposer l’idée qu’il n’y a pas d’alternative politique possible voire même que la seule politique qui vaille est la “politique des choses” au sens où l’entend Jean-Claude Milner, autrement dit la négation même de la politique. Rien d’étonnant, dans un tel contexte, que le Grand Orient de France se soit dépolitisé et ait donc perdu de son influence.

A ses débuts, la Franc-Maçonnerie française était aux prises avec l’histoire. Née au siècle des Lumières, porteuse d’un projet politique inédit et cohérent, elle fut fortement impliquée dans la Révolution française. Un siècle plus tard, durant la deuxième partie du règne de Napoléon III, elle devint un lieu de rassemblement pour les républicains anti-bonapartistes. Elle contribua très largement à l’instauration de la Troisième République et à l’édification de ses grandes lois sociales, scolaires et laïques. Au temps de l’Occupation allemande, nombre de maçons s’engagèrent dans la Résistance. Mais depuis l’adoption de la loi Veil en 1975, force est de constater que le Grand Orient de France n’a plus d’influence, que ce soit par ses travaux ou par l’action d’un nombre significatif de ses membres.
Dénué de tout projet politique, de plus en plus perméable à l’opinion dominante, le Grand Orient de France, à l’instar de l’intelligentsia, a renoncé à défendre le modèle social français. L’Obédience s’est ainsi progressivement coupée du mouvement social1. Elle s’est transformée en une organisation conservatrice dont on ne parle plus que dans la rubrique « Faits divers » et qui constitue un excellent marronnier journalistique. Son accroissement numérique (ses effectifs sont passés de 30.000 membres en 1990 à 50.000 membres aujourd’hui) est moins un signe de “bonne santé” que le symptôme d’un devenir “club à l’anglaise” et d’un recrutement de plus en plus ouvert à des personnes de moins en moins politisées.
Malgré cette période de perte d’influence et de combativité, le Grand Orient de France reste encore attractif. Même si les lois de 1884 et de 1901 ont permis à d’autres lieux d’association d’exister, même si beaucoup d’organisations politiques et syndicales font bien mieux que le Grand Orient de France en matière de réflexion et d’action, il n’en reste pas moins que la démocratie interne fonctionne, tantôt pour le meilleur et tantôt pour le pire. Peu d’organisations peuvent s’en prévaloir : combien de personnes quittent les organisations où elles militaient après avoir découvert que la démocratie interne était juste un affichage ? Fort de son rituel et de deux siècles de fonctionnement, le Grand Orient de France est encore un lieu où une démarche philosophique, progressive, démocratique et humaniste est possible.

  1. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater l’effondrement du nombre de ses membres ayant des responsabilités politiques, syndicales ou associatives. []
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Combat national et combat nationaliste

par Hakim Arabdiou

Il est une confusion que l’on retrouve parfois dans la mouvance de gauche en France, notamment chez certains universitaires et intellectuels -la plupart- inféodés aux intégristes musulmans, et qui accolent parfois l’épithète « nationaliste » aux islamistes palestiniens et libanais. Ce n’est pas innocemment qu’ils le font. Car ils connaissent la consonance sacrée que cela suscite chez les militants et les citoyens issus du Tiers-monde.

En effet, contrairement à l’Europe où le nationalisme a été synonyme de chauvinisme national ou ethnique, et dont la forme extrême a été le nazisme, le nationalisme dans les ex-colonies a très souvent été un nationalisme émancipateur.

Aussi, un combat national ne fait pas forcément de l’organisation qui le mène une organisation nationaliste. National et nationaliste sont par conséquent deux notions différentes. La première a trait à la nature de la lutte que mène une organisation politique donnée, à une période historique donnée de son pays.

Le Parti communiste vietnamien, qui fut l’initiateur et le dirigeant du Mouvement de libération nationale dans son pays, n’est pourtant pas nationaliste, mais internationaliste. Il en est de même de la participation du Parti communiste algérien à la guerre d’indépendance de l’Algérie. Le combat que mène actuellement le Hamas, le Djihad islamique et le Hezbollah est bien national. Mais cela ne fait pas d’eux des partis nationalistes, car leur projet de société postcolonial est théocratique et nettement en faveur des bourgeoisies musulmanes.

En revanche, le Fatah ou le Front de libération nationale algérien sont des partis nationalistes, car leurs projets respectifs sont ou ont été de nature nationale et démocratique ; et donc sans caractères de classes prononcés.

La nature des tâches fixées dans ces programmes vont (grosso modo) dans le sens des intérêts de la nation tout entière, et non à ceux d’une classe particulière. Leur objectif central vise ou a visé d’abord à consolider l’indépendance politique par une indépendance économique. Il s’agit ou s’agissait de rompre les liens de dépendance d’avec le système capitaliste international. Une lutte qui englobe un large spectre de classes et couches sociales, ainsi que des forces politiques qui les représentent. C’est ce que l’on nomme lutte anti-impérialiste.

Bien que cette volonté de rupture plus ou moins radicale n’anima pas une minorité d’anciennes colonies ou semi-colonies (ou protectorats) telles que le Maroc, la Tunisie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, etc., cette volonté n’existe pas moins à des degrés beaucoup moindre. Et pour cause, l’indépendance fit faire à ces pays en quelques décennies seulement des bonds en avant dans nombre de domaines, que des siècles ou des générations de colonialisme furent incapable de réaliser.

Combat international et combat internationaliste

Il existe là aussi la même confusion et pour les mêmes raisons évoquées plus haut, et qu’il est bon de lever. Un combat international n’est pas forcément un combat internationaliste. C’est le cas des islamistes et de la montée en puissance tout aussi dangereuse en Europe des partis populistes, qui ne sont rien d’autres qu’une variante, à peine édulcorée de l’extrême droite.

De même qu’un combat internationaliste n’implique pas qu’il ait des ramifications internationales.

Ainsi, un combat international renvoie à l’amplitude géographique de ce combat, tandis qu’un combat internationaliste est relatif à l’idéologie du prolétariat, qui est le communisme, plus précisément à la solidarité internationale prolétarienne, dite souvent internationalisme prolétarien.

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Mobilisation internationale contre le procès des deux non-jeûneurs d'Ain El Hammam

par Abderrahmane Semmar

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Hocine Hocini, 47 ans, et Salem Fellak, 34 ans, ces deux ouvriers Algériens, originaires d’Ain El Hammam, sortis de l’anonymat lors de leur arrestation pour non-observation du jeûne, bénéficient désormais d’une chaîne de soutien internationale qui s’est mobilisée contre leur procès prévu le 21 septembre prochain.

Surpris en train de boire de l’eau par des policiers qui ont immédiatement procédé à leur arrestation, auditionnés ensuite par le parquet, ces deux jeunes Algériens, dont l’un est de confession chrétienne, incarnent à présent le combat contre la violation des libertés fondamentales en Algérie.

Sur Internet, ACOR SOS Racisme, une ONG suisse, vient de lancer un appel de mobilisation afin de s’opposer au procès injuste de ces citoyens coupables, aux yeux de la justice Algérienne, de ne pas avoir respecté le Ramadan. A cet appel, de nombreuses organisations internationales ont répondu présentes pour garantir un soutien international à Hocine et Fellak qui risquent la prison à cause de leurs convictions personnelles !

Parmi les mouvements et les organisations qui apportent leur total soutien aux deux jeunes d’Ain El Hammam, on y trouve le Parti Ouvrier Populaire suisse, Les Jeunes Verts de Genève, le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (Maroc), Nouveau parti anticapitaliste - Section du Vaucluse, Fédération nationale de la libre pensée (France) et bien d’autres encore.

Tous ces mouvements et ces organisations rappellent à l’Algérie qu’elle a ratifié les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

D’autre part, les signataires de cet appel demandent aux autorités judiciaires Algériennes le respect des libertés fondamentales par la libération immédiate de Hocine et Salem. On le voit bien, l’Algérie, qui aurait pu se passer d’une telle publicité, renforce son image d’un pays intolérant et peu respectueux des différences religieuses.

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Religions, ONU soit qui mal y pense

par Marc SEMO

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L’anthropologue Jeanne Favret-Saada1 s’empare des dérives onusiennes sur le principe d’universalité.

Il était une fois la déclaration universelle des droits de l’homme. Ce texte - essentiel parmi les documents fondateurs du système des Nations unies tel qu’il s’est mis en place après la Seconde Guerre mondiale - reste en vigueur même si, dans la pratique, il n’a guère été respecté sinon par une minorité d’Etats de par le monde. Mais aujourd’hui, une majorité de pays membres de l’ONU refusent de reconnaître l’universalité des droits de l’homme.

«Depuis une douzaine d’années, la référence à des droits universels reconnus par tous les Etats a été graduellement marginalisée au profit d’une référence aux droits des “cultures, des civilisations et des religions, censés converger vers une paix perpétuelle grâce à la vertu miraculeuse du “dialogue”», écrit Jeanne Favret-Saada, anthropologue et psychanalyste, dans un livre court mais dense. L’auteure du célèbre les Mots, la mort, les sorts - livre désormais classique sur la sorcellerie dans le bocage berrichon - analyse avec une implacable rigueur les raisons d’une dérive amorcée au début des années 90, qui a culminé lors des conférences onusiennes contre le racisme de Durban 1 en 2001, où Israël fut le seul Etat cité nominalement avec une dénonciation du sionisme assimilé à un racisme et à l’apartheid. Celle de Durban 2, réunie à Genève en 2009, a été moins caricaturale. Mais les plus lucides des hauts fonctionnaires onusiens n’en reconnaissent pas moins qu’avec les rapports de force entre les 192 pays représentés à l’ONU, il serait aujourd’hui impossible d’adopter le texte de la déclaration universelle des droits de l’homme voté en 1948.

Le glissement commence en 1990 quand 57 pays de l’ONU regroupés dans l’Organisation de la conférence islamique (OCI) adoptent la Charte du Caire posant que «l’Ummah islamique dont Dieu a fait la meilleure communauté» constitue un modèle pour toute l’humanité. Et qu’en dernière analyse la charia (la loi islamique) reste «la référence suprême» pour l’interprétation des articles de ce texte fondateur. «Or ces droits universels de l’homme dans l’islam ne comportent pas pour l’individu le droit de professer la religion de son choix, de quitter sa religion ou de n’en avoir aucune», rappelle Jeanne Favret-Saada soulignant que ce précédent a ouvert la voie : «L’ONU n’a pas pu, ou pas voulu, contraindre l’OCI à adopter les normes qui fondent l’ordre international, de sorte que rien ne s’opposera par la suite à ce que certains Etats de l’OCI président les cessions du comité des droits de l’homme de l’ONU, fassent des rapports sur la situation de ces droits dans le monde ou exigent des sanctions contre tel ou tel pays.»

Les pays de l’OCI alliés avec les «non alignés» disposent d’une majorité automatique, y compris au sein du Conseil des droits de l’homme, qui a remplacé, en 2006, une Commission des droits de l’homme par trop déconsidérée à cause de ce genre d’errements. Là, comme dans le reste des institutions onusiennes, ils se battent pour faire passer des motions, sanctionner «la diffamation des religions», oubliant que le droit de critiquer la religion comme celui de blasphémer, demeurent des libertés essentielles dans un monde laïc. Ce transfert progressif vers les religions de l’universalité de la déclaration des droits de l’homme inquiète.

  1. Jeanne Favret-Saada L’Olivier, Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU, 86 pp., 10 €. []
Laïcité
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Face à la montée des réactions, développons les solidarités croisées

par Regroupement « Féminisme et Laïcité » (RFL)

Source de l'article

Le prochain congrès du NPA en novembre portera notamment sur trois questions : la crise et nos réponses ; les perspectives politiques et nos politiques d’alliance ; la question des religions et de l’émancipation. Le texte qui suit est une contribution du regroupement « féminisme et laïcité » (RFL) sur le dernier thème. Le regroupement RFL est né au sein du NPA dans la foulée des débats ouverts par la candidature, dans le Vaucluse, d’une militante portant un foulard musulman lors des élections régionales 2010. Cette candidature a révélé une conception du féminisme, de la laïcité et de l’intervention dans les quartiers populaires, de l’internationalisme et de la démocratie au sein du NPA, avec la quelle nous étions en désaccord. C’est, d’une certaine manière, le profil politique du NPA et son projet d’émancipa­tion qui est en jeu dans cette discussion. Ce texte est le fruit d’un échange entre militant.e.s, membres ou non de la direction nationale du NPA.

Divisions et solidarités à l’heure de la crise capitaliste

Le renforcement, en Europe, de courants xénophobes, de nationalismes identitaires et de mesures discriminatoires est à prendre très au sérieux. Avec l’aggravation prévisible de la crise sociale, il peut conduire à des pogromes où les populations dites musulmanes (mais aussi les « ROMS »), désignées comme boucs émissaires, seront les premières visées. Ce n’est pas un cliché que de dire et redire que nos gouvernants veulent à tout prix diviser les exploités en opposants entre eux les victimes du racisme (arabes, noirs, juifs, chinois…), travailleurs « nationaux » et immigrés, employés stables et précaires, fonctionnaires et salariés du privé, salariés et chômeurs, hommes et femmes, anciennes et nouvelle générations … C’est une donnée majeure de la situation.

En effet, même si cette volonté de diviser pour régner est l’heure de la crise capitaliste vieille comme la lutte des classes, il n’y a ici rien de routinier. La question prend une importance toute particulière à l’heure où la mondialisation capitaliste vide de son contenu la démocratie politique (fût-elle bourgeoise) et dissout les espaces de citoyennetés. A l’heure où le néolibéralisme s’attaque aux solidarités conquises dans les combats d’hier, aux droits collectifs que sont les retraites, la sécurité sociale, la santé ou l’enseignement publics … A l’heure d’un grand tournant historique où les bourgeoisies européennes veulent véritablement démanteler les acquis sociaux de l’après-guerre.

Il est vital, dans ce contexte délétère, de consolider les solidarités croisées ; en étant, par exemple, tout à la fois antiraciste, féministe et laïque.

Le féminisme n’est pas seulement un acquis, c’est un combat et un projet d’émancipation

Depuis 30 ans, on assiste à une contre-offensive systématique des courants religieux les plus réactionnaires contre les acquis féministes. Cela s’est traduit par une alliance ouverte entre les conservateurs protestants anglosaxons, le Vatican et les représentants des pays musulmans dans les conférences internationales sur les femmes ou la démographie, contre le droit à l’avortement, contre le libre choix de sa sexualité, etc., dans le contexte de l’offensive néolibérale.

En France, cette vague de fond réactionnaire a pris toute son ampleur au tournant du siècle. En tant que partisan.e.s d’un féminisme « luttes de classe », nous sommes donc amené.e.s à défendre une orientation qui tout à la fois s’inscrit dans une perspective féministe anticapitaliste, antiraciste et internationaliste. Nous luttons non seulement pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines (travail professionnel, répartition des tâches domestiques et parentales, vie politique, sexualité etc.) mais également contre toute éducation sexiste qui construit et reproduit la division sociale et sexuée du travail dans toutes les sphères de la société et produit des normes morales et sexuelles différenciées pour les individu.e.s en fonction de leur genre ou leur sexualité. Cette lutte en faveur de la mixité va de pair avec la reconnaissance du droit à l’auto-organisation des femmes mobilisées pour leur émancipation, avec la lutte pour l’égalité entre hétéros et homos et contre les discriminations contre les minorités sexuelles.

Cette compréhension de la lutte féministe est contradictoire avec les « dogmes » religieux monothéistes qui défendent un modèle « complémentaire » des sexes fondé sur l’assignation prioritaire des femmes à la maternité, le rejet de l’homosexualité comme « contre-nature » et pour lesquels seule la sexualité dans le cadre du mariage est « licite ». Cette prescription est une source permanente d’inégalités entre les garçons et les filles et d’une hypocrisie sans nom. En effet, qui va contrôler (et comment) la « virginité » des jeunes hommes ? La transgression de ces normes a de plus lourdes conséquences pour les filles au point que certaines attendent le dernier moment pour parler d’une grossesse non désirée ou sont conduites à recourir à la chirurgie pour reconstituer leur hymen et leur réputation ! Il ne s’agit pas ici de préconiser un modèle sexuel qui ferait obligation à tout jeune d’avoir des rapports sexuels à tel ou tel âge. Chacun, chacune, doit pouvoir faire sa propre expérience, en fonction de ses choix personnels. Cela implique pour nous une dénonciation en profondeur des préjugés religieux qui corsètent la vie des jeunes et des jeunes femmes en particulier.

De même, le port du foulard ou du voile musulman ne peut être banalisé. Sur le plan individuel, le port du foulard peut prendre des sens multiples. Certaines ont choisi de le porter en signe de résistance ou par adhésion politico-religieuse tandis que d’autres sont contraintes de le faire sous la pression de leur famille ou de leur quartier, etc. Mais quelles que soient les motivations individuelles (très diverses), le foulard (et bien plus encore le voile intégral) n’est pas un vêtement comme un autre. Cacher la chevelure et le corps des femmes a le même sens dans toutes les religions monothéistes : le corps des femmes doit être caché à tous, sauf au mari, car il est censé susciter des désirs incontrôlables de la part des hommes. Dans cette vision de la sexualité, les femmes sont présentées soit comme de dangereuses séductrices, soit comme totalement asexuées, les hommes étant toujours assimilés à des êtres faibles incapables de résister à leurs « instincts ». Dans un pays où le droit à l’avortement est sans cesse remis en cause, où la victoire contre l’ordre moral catholique date d’une génération à peine et n’est toujours pas stabilisée en Europe, cela ne peut être ressenti que comme une « régression » par de très nombreuses et nombreux féministes.

C’est pourquoi le choix d’une candidate portant un foulard musulman était une grossière erreur.

Ce refus de banaliser le voile s’accompagne d’un rejet tout aussi clair de notre part de cette nouvelle loi contre la « burqa », loi de circonstance destinée à faire diversion par rapport aux remises en cause sans précédent des droits sociaux des travailleurs et chômeurs des deux sexes, qui constitue une atteinte à la liberté religieuse et à celle de circuler librement dans l’espace public. Nous sommes résolument contre mais ce n’est pas par ce type de loi qu’on peut garantir la dignité des femmes. Ici, comme à chaque fois, il s’agit de lutter contre la ségrégation des sexes dont est porteur le voile intégral, de nous opposer aux attaques gouvernementales et de mener de front notre combat féministe.

Défendre la laïcité

S’il est vrai que les lois sur la laïcité ont été votées par une majorité républicaine… colonialiste et hostile au droit de vote des femmes, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ces lois représentent pour nous un acquis fondamental : la reconnaissance de la liberté de conscience, l’égalité de principe entre tous les citoyens quelles que soient leurs croyances et convictions, la gratuité de l’enseignement (primaire à l’époque) ; la scolarisation des garçons…  et des filles ; la séparation des Eglises et de l’Etat (arrêt du contrôle étatique sur le fonctionnement des religions et fin de leur financement par l’Etat ; les religions n’ayant plus non plus le droit d’interférer sur le fonctionnement de l’Etat). Toutes ces lois ont eu le mérite de porter atteinte aux privilèges de l’Eglise catholique et de définir un espace de citoyenneté indépendamment des appartenances religieuses des un.e.s et des autres.

A l’heure où Sarkozy porte atteinte à la laïcité en réaffirmant le primat du prêtre sur l’instituteur, en augmentant les financements des écoles privées etc., nous devons réaffirmer le plus clairement possible notre volonté d’unifier les exploités et opprimés des deux sexes, indépendamment de leurs appartenances religieuses. Or, présenter un ou une candidat.e (quelle que soit sa religion) affichant de manière ostensible son appartenance religieuse ne peut qu’obscurcir ce message. Nous pensons que les croyant.e.s ont toute leur place au NPA à trois conditions : qu’ils et elles prennent leur distance avec les pouvoirs religieux et s’opposent aux courants réactionnaires ; qu’ils mettent en cause ouvertement les discours officiels de leur religion sur la sexualité, les rapports femmes-hommes, l’homosexualité, le droit à l’avortement, l’apartheid sexuel, etc. ; que tous et toutes admettent qu’on ne fait pas de prosélytisme religieux dans les rangs du NPA et que ce n’est pas la religion qui nous réunit mais la volonté de lutter, ici et maintenant contre l’injustice sociale, le capitalisme et la volonté de promouvoir une autre société débarrassée de la loi du profit et de toutes les oppressions.

Cela signifie que l’on ne peut pas constituer des courants politico-religieux au sein du NPA.

Notre intervention dans les quartiers populaires

Cette conception solidaire et laïque du combat politique doit animer également notre intervention dans les quartiers populaires.

Les multiples formes d’insécurité sociale auxquelles sont confrontés les habitants des quartiers populaires sont aggravées par la répression systématique et la stigmatisation grandissante de certaines population (de culture musulmane notamment ou les « ROMS ») désignées comme boucs émissaires. Il est impératif et urgent d’en finir avec le racisme et son lot de contrôles au faciès, les occupations quasi militaires de certains quartiers populaires, les arrestations arbitraires, les discriminations à l’embauche ou au logement.

Ces quartiers ont besoin de services publics développés, dans les domaines notamment d’éducation, de santé, de logement, de la petite enfance, de transport et de culture ; d’avoir un travail pour chaque adulte ; d’avoir les conditions sociales, matérielles et pédagogiques d’une réelle égalité scolaire (rétablissement de la carte scolaire, augmentation des moyens pour l’Education nationale, fin des inégalités entre écoles de communes plus ou moins riches). Les jeunes ont besoin des conditions matérielles leur permettant d’étudier et de se former sans travailler à côté. Il faut construire des logements sociaux (1 million manquants), notamment dans les communes riches pour en finir avec la ghettoïsation des travailleurs ; rapprocher les personnes de leur lieu de travail ; mettre en place la gratuité des transports en commun et les développer ; (ré)implanter des centres de santé de proximité qui permettent l’accès aux soins pour tous et toutes ; mettre les formations qualifiantes et diplômantes au cœur de la lutte pour l’emploi ; interdire les licenciements et créer les emplois nécessaires à l’amélioration et à l’extension des services publics, contribuant à en finir avec le chômage dans des quartiers où il atteint le double du chiffre national et est aggravé pour les jeunes, les immigrés et tout particulièrement les femmes ; développer les lieux d’accueil pour les jeunes, leur permettre l’accès aux diverses activités culturelles ; rétablir et augmenter les subventions aux associations de terrain, favorisant leur intervention notamment dans les établissements scolaires sur des questions diverses, y compris : sexualité, contraception, avortement mais aussi violences faites aux femmes, sexisme, discriminations contre les LGBTI, etc.

Les militant.e.s du NPA sont présent.e.s dans de nombreux collectifs et associations intervenant dans les quartiers populaires. Nous devons y développer encore plus notre intervention et apporter notre soutien actif aux luttes pour l’emploi, la santé, le logement, l’accès à la culture, le partage des richesses. Le combat contre l’exclusion, le racisme et la propagande anti-musulmane fait aussi partie des urgences dans ces quartiers. Mais ce combat ne doit en aucun cas reléguer au second plan la question de l’oppression des femmes et les violences que subissent certaines d’entre elles ni le combat que de nombreuses habitantes mènent pour leur émancipation. Nous devons être aux côtés de toutes celles qui luttent contre l’oppression patriarcale sous toutes ses formes, y compris l’imposition du voile, aux côtés de tous ceux et de toutes celles qui luttent contre les conservatismes religieux.

Un internationalisme multidimensionnel

Dans nos combats politiques, il nous faut pleinement tenir compte de situations concrètes qui diffèrent suivant les pays ou les régions – mais aussi de tout ce qu’il y a de commun. Qu’elles prennent la forme du racisme, de la xénophobie ou du sectarisme religieux, les persécutions contre les minorités ne sont pas l’apanage des métropoles « post-coloniales », tant s’en faut : selon les lieux, ce sont des communautés chrétiennes ou musulmanes, chiites ou sunnites, les peuples indigènes ou les immigrés qui en sont les victimes. De même, les attaques contre les droits des femmes ont aujourd’hui un caractère quasi universel et le renforcement du sexisme est (presque ?) partout sensible.

Nous ne sommes malheureusement plus dans les années 1970, quand se développaient les courants de la théologie de la libération. Aujourd’hui, la montée des extrêmes droites et de la réaction religieuse se manifeste dans le catholicisme, le protestantisme, l’hindouisme, le bouddhisme… et non seulement dans l’islam. Elle est à l’œuvre aux Etats-Unis comme en Inde, au Proche-Orient comme en Europe. Elle nourrit de graves offensives contre le droit à l’avortement allant jusqu’à son interdiction totale (Nicaragua !). Elle pousse dans le monde musulman de plus en plus de femmes à porter le voile, ou le voile intégral.

De même, les attaques en cours contre la laïcité ont une dimension proprement internationale, ciblant son fondement même – la séparation des Eglises et de l’Etat – et non les aspects particuliers qu’elle prend dans tel ou tel pays. A l’initiative du Pakistan, la commission des droits de l’Homme de l’ONU condamne le blasphème au même titre que le racisme alors qu’une telle décision s’oppose à la liberté de conscience ou d’expression et que sa mise en œuvre conduit aux pires violences. Des tribunaux communautaires commencent à opérer dans des pays comme la Grande-Bretagne, ce qui (dans le cas de la charia en particulier) remet de fait en cause les protections et les droits dont bénéficient les femmes concernées. La laïcité est bien l’une des conditions – nécessaire bien que pas suffisante – d’une citoyenneté partagée, d’une loi commune et d’une démocratie politique.

Anti-impérialistes, nous luttons contre la mondialisation capitaliste, la politique de guerre menée par Washington, les visées dominatrices de l’Union européenne – contre notre propre impérialisme français. Nous refusons d’introduire une hiérarchie en les oppressions ou de jouer le jeu de la division en ne soutenant que certaines victimes au nom d’un « ennemi principal ». En Afghanistan, par exemple, nous défendons les femmes qu’elles soient victimes des armées de l’OTAN, des alliés de Washington ou des talibans. L’internationalisme exige que nous soutenions les luttes de toutes et de tous les opprimé.e.s et exploité.e.s dans le monde, non seulement contre l’impérialisme américain mais également contre les régimes réactionnaires locaux.

Développer la démocratie au sein du NPA

Pour le prochain congrès, il faudra voter sur 5 questions notamment :

  • Sur notre conception de la démocratie au sein du NPA pour éviter que ne se reproduise le coup de force opéré à l’occasion des régionales. La candidature dans le Vaucluse d’une militante voilée a été décidée sans aucun débat collectif national, choix qui avait pourtant une portée nationale ; le NPA a été sommé d’assumer cette décision, comme si la discussion était close avant même d’avoir commencé, alors que chacun.e savait que la question divisait profondément le NPA. Ce n’est pas comme cela qu’un parti démocratique doit fonctionner. La règle communément admise jusque là, c’est que le débat précède toujours la décision. Dans le cas présent, ce fut l’inverse. Nous savons que bon nombre de militant.e.s ont été consterné.e.s que soit imposée à toute l’organisation une candidate affichant un signe religieux, devenue pour certain.e.s un porte-drapeau ;
  • Sur la manière de sélectionner nos candidat.e.s aux élections ou à des postes de responsabilités qui les mettent en contact direct avec les médias ;
  • Sur le fait de ne pas banaliser le foulard islamique, etc. ;
  • Sur la possibilité ou non d’accepter l’adhésion de militant.e.s qui affichent de manière ostensible leur religion et portent un signe discriminatoire à l’égard des femmes ;
  • Sur notre conception de la laïcité.

Nous sommes nombreuses et nombreux à considérer que toutes ces questions ne doivent pas passer sous la table à l’occasion du prochain congrès, qu’il doit donc y avoir des votes clairs.

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L'islam et la laïcité : entre malentendu lexicologique et refus de voir plaquer un concept ressenti comme étranger (2ème partie)

par Dominique Gaurier

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Lire la 1ère partie

2 - Inventaire des pays musulmans qui s’affichent comme «laïcs»

On ne sera pas surpris de faire le tour des pays musulmans qui s’affichent comme laïcs en les comptant sur les doigts d’une seule main. Pourtant, beaucoup des mouvements qui visaient à se débarrasser de la tutelle coloniale, notamment dans deux des pays du Maghreb, Tunisie et Algérie, les revendications laïques étaient très présentes.

Actuellement, un seul pays peut réellement s’affirmer comme étant un Etat laïc, même si cela tend à devoir être de plus en plus nuancé : la République turque, depuis la révolution kémaliste, a toujours maintenu comme fondement de ses institutions la laïcité qui fait l’objet des trois premiers articles de la Constitution de 1982, quand bien même ce serait sous une forme un peu détournée depuis le coup d’Etat militaire de 1980 et l’on verrait aujourd’hui une volonté du parti au pouvoir, l’AKP, en atténuer la rigueur.

Certaines tendances propres à des régimes militaires du Moyen-Orient, en Syrie et en Irak, ont pu donner à penser, qu’à un moment, une forme de laïcité s’y développait, mais celle-ci est toute de façade, car non garantie par une Constitution qui renvoie toujours à la suprématie du Livre Saint de l’Islam.

De même, on a pu croire qu’en Tunisie, voire dans l’Algérie postcoloniale, une forme de laïcité a pu apparaître ; là aussi, il n’en est rien, et les Constitutions renvoient de même à cette loi divine supérieure qui surplombe les institutions. En Tunisie, le Bourguiba des débuts de l’indépendance a su tenir tête aux religieux traditionalistes pour imposer une certaine laïcité, notamment en tenant tête aux shouyoukh de la faculté religieuse annexée à la grande mosquée Zituna de Tunis, pour faire adopter dans la Constitution de 1957 les principes de liberté de conscience et d’expression.

Mais, au fil de longues années de régime autocratique, il a été conduit à faire bien des concessions aux milieux religieux conservateurs, ne serait-ce que pour les récompenser d’avoir apporté leur caution au régime, sans négliger aussi les ferments de type populiste, afin d’éviter de choquer les sentiments populaires restés fondamentalement conservateurs. Quel revirement quand on a vu ce même Bourguiba dire en 1975 dans un de ses discours : «Si le régime présidentiel est l’un des régimes démocratiques adoptés dans les pays occidentaux, il a ses sources profondes dans l’Islam. La législation islamique n’en reconnaît pas d’autre… Le président n’est autre que l’imam dont l’investiture résulte du suffrage de la communauté nationale. L’imam dans l’Islam occupe une place considérable, l’obéissance qui lui est due fait corps dans le Coran avec celle qui est due à Dieu et au Prophète»1 .

La Syrie, qui reste fondamentalement un pays à majorité musulmane sunnite, compte cependant quelques minorités chrétiennes, mais est dirigée par les membres d’un petit groupe considéré comme hérétique par la majorité musulmane, le groupe calawite, qui cultive une forme de religion de type gnostique et prend sa source dans un chiisme avec lequel il n’a plus de vrai rapport. C’est à cette bizarrerie conjoncturelle que la Syrie se doit d’être officiellement laïque et, d’une certaine façon, protège aussi ses minorités religieuses des excès qui sont courants dans les autres pays à majorité musulmane.

Mais nous sommes là très éloignés d’une laïcité à la française, acceptée et consentie largement par une majorité de la population : elle tient en effet beaucoup plus au caractère policier et militaire du régime, et continue de fonder l’idéologie du parti dominant sans partage la scène politique syrienne, le parti baâth. Il ne faut pas oublier que la famille Assad a entendu il y a quelques années se rattacher au chiisme duodécimain, la religion dominante en Iran. La même chose a pu être dite pour l’ancien Irak sous la gouvernance de Saddam Hussein, alors qu’aujourd’hui les différentes communautés religieuses reviennent à leurs vieux démons d’opposition, majorité chiite contre minorité sunnite, sans compter les Kurdes, qui ne sont pas des Arabes.

Autrefois alliée du pouvoir et rejetée aujourd’hui pour cela, le tout sur le dos des communautés chrétiennes qui subsistent encore et qui n’aspirent qu’à quitter des terres chrétiennes depuis le début du christianisme, la communauté sunnite au pouvoir semblait protéger mieux ces dernières, du fait que minoritaires, les sunnites avaient aussi besoin de prendre appui sur d’autres minoritaires et de donner l’impression à qui voulait bien le croire d’être un régime officiellement «laïc».

Le seul pays musulman, mais non arabe celui-ci à se déclarer officiellement laïc est donc la Turquie kémaliste. En effet, la laïcité est le fondement de la République turque fondée par Mustafa Kemal. En 1924, Kemal supprimait le califat, et en 1937, il faisait introduire dans la Constitution le principe de la séparation de l’Etat et de la religion. Le principe de laïcité a été par la suite constamment réaffirmé par les deux Constitutions suivantes en 1961 et en 1982.

Cependant, il y a loin de la laïcité à la française à la laïcité alla turca, car c’est l’Etat qui continue à contrôler les activités cultuelles par le biais de la direction générale des Affaires religieuses, rattachée au Premier ministre et dirigée par un religieux. Les imams sont payés par l’Etat qui participe aussi à la construction des mosquées, quand les alévis (entre 20/25% de la population), les juifs et les chrétiens n’ont aucun de ces avantages; d’autant qu’à partir des années 1970, l’Etat turc a confisqué des biens appartenant à des communautés chrétiennes (rappelons la fermeture du séminaire orthodoxe d’Istanbul depuis une quarantaine d’années. Des discussions seraient en cours pour une éventuelle réouverture, mais qui traînent de façon indéfinie). Enfin, les citoyens non musulmans ne peuvent jamais accéder à des postes d’encadrement dans la Fonction publique et dans l’armée, ce qui n’est pas sans poser de graves questions quant à une intégration future de la Turquie à l’Union européenne.Cette laïcité a donc failli à sa mission de traiter l’ensemble des religions et des non religieux de manière égalitaire.

Par ailleurs, la République turque n’a jamais été véritablement à l’aise avec la sécularisation, ne serait-ce que parce que son processus n’implique pas nécessairement l’évacuation de la religion de l’espace public. Le retour du religieux dans l’espace politique date du passage au multipartisme en 1946 et reste très mal toléré par les élites attachées au kémalisme, notamment dans les milieux de l’armée et quelques groupes de kémalistes de type militaro-fachiste, comme les fameux «loups gris».

C’est ainsi que l’on a pu voir se créer en 1973 une opposition qualifiée de musukmane modérée avec le Parti du salut national, de la prospérité, de la vertu et de la félicité (AKP), arrivé aujourd’hui au pouvoir. Ce parti, qui proclame son adhésion à la démocratie et au principe de laïcité, porte aussi certaines traditions patriarcales de l’Islam (levée de l’interdiction du voile islamique pour les femmes enseignantes, médecins ou fonctionnaires sur leurs lieux de travail et volonté de lever cette interdiction aussi pour les étudiantes dans les universités d’Etat, mais port du voile libre dans les universités privées).

Par contre, ce même parti semble bien peu disert sur la possibilité qu’auraient les femmes de ne pas se voiler sur la demande des hommes de leurs familles, avec une persistance également des crimes d’honneur surtout appliqués contre les femmes. Tant et si bien qu’aujourd’hui la société turque semble un peu écartelée entre une sécularisation qui avance de façon indiscutable, mais aussi où, comme aux USA, le religieux investit de plus en plus l’espace public, tout en rentrant dans un moule démocratique.

Quant aux autres pays, hormis les rares moments des débuts de l’indépendance, comme en Egypte, en Algérie, ou aussi ailleurs comme sous le régime du Shah en Iran, la laïcité a fait long feu. Certains pays l’ont dès le départ rejetée, comme la République libanaise, qui s’est construite sur une structure confessionnelle de l’Etat telle que définie par le pacte de 1943. La citoyenneté y est totalement tributaire de l’appartenance confessionnelle à l’une des communautés reconnues comme faisant partie du pays. Le problème est qu’aujourd’hui les rapports de proportionnalité qui existaient en 1943 ne sont plus pertinents aujourd’hui, notamment à raison d’un fort accroissement de la communauté chiite, désireuse de plus de participation aux structures du pouvoir et souvent utilisée comme fer de lance pour fomenter des troubles dans le pays, soutenue tantôt par la Syrie, qui pleure la perte d’une région qu’elle a longtemps considérée comme lui appartenant, tantôt par l’Iran, autre puissance régionale qui tente de promouvoir une révolution islamique à l’image de la sienne en 1979. Reste que certaines élites religieuses du pays, notamment le mufti de la République libanaise, le shaykh Hasan Khaled, avait dit en 1977 à l’occasion de l’anniversaire du Prophète : «La première réforme morale à laquelle nous aspirons (…) est l’abrogation du confessionnalisme politique à tous les niveaux (…). La religion ne peut être un motif de ségrégation et de division que chez les peuples arriérés incapables de saisir l’unité à travers la diversité des choses, des idées et des valeurs…»2.

Mais, aujourd’hui, verrait-on un responsable religieux de cette stature répéter ce propos ? On peut en douter. Peut-être faudrait-il dire un mot de l’Algérie. Il y a une petite particularité qui mérite d’être remarquée d’abord et qui remonte au temps où l’Algérie était terre française, c’est que jamais, je dis bien jamais, la loi de 1905 ne s’y est appliquée à l’Islam, car le pouvoir de la République entendait garder le strict contrôle sur les différents personnels des mosquées, dont on pouvait craindre qu’ils fassent la promotion d’idées malvenues. Un seul pays prétendu, mais à différentes vitesses en fonction des populations concernées !

Reste qu’au départ des débats au sein des Algériens soucieux de se défaire de la tutelle française, dans la plate-forme de la Soumman de 1956, sans y être précisément nommée, la laïcité semblait y être défendue, puisque l’objectif était «la lutte pour la renaissance d’un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale, et non la restauration d’une monarchie et d’une théocratie révolue. La révolution algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour instaurer une République démocratique et sociale, garantissant une véritable égalité entre les citoyens d’une même patrie et sans discrimination»3 .

Un peu plus tard, le programme de Tripoli en 1962 réclamait «l’ouverture rationnelle sur la science, les cultures étrangères et l’universalité de l’époque», quand la Constitution algérienne de 1963 posait que «la République algérienne assure à tous les citoyens sans distinction confessionnelle ou ethnique l’égalité devant la loi et garantit à chacun le respect de ses opinions, de ses croyances et le libre exercice des cultes». Plus d’un quart de siècle d’un pouvoir bureaucratique et militaire sous la férule d’un parti unique, sans plus aucune légitimité démocratique, malgré les incantations de départ, a révélé ses échecs lors des émeutes du mois d’octobre 1988.

Mais, dès le début des années 1970, une course s’était engagée entre les dirigeants du FLN et les islamistes pour la récupération d’un Islam traditionnel : de citoyens, les Algériens sont devenus des croyants, sous prétexte, disait en 1980 le ministre algérien des Affaires religieuses, qu’«avant d’être citoyen d’un Etat, le musulman est d’abord et avant tout un serviteur d’Allah»4 .

La politique d’arabisation, souvent menée en dépit du bon sens en Algérie, car faite par des Egyptiens qui ignoraient tout de l’arabe maghrébin, ont enseigné un arabe littéral, qui n’est pas compris du gros de la population, a servi aussi de prétexte pour islamiser les programmes scolaires et développer des enseignements religieux archaïques, tant dans le primaire que dans le secondaire. On a vu apparaître dès 1980 des instituts et facultés réservés aux enseignements religieux, en constant accroissement depuis la fin des années 1970 : en 1980, création à Alger de la Faculté de la chariaâ islamique, puis de la faculté des sciences islamiques à Constantine ; mais c’est aussi la promulgation du nouveau code de la famille en 1983, élaboré sur la base d’une directive du ministre de la Justice qui préconisait cela : les fondements sur lesquels ce code repose sont : le Coran, la tradition, le consensus, l’analogie, l’istihsân (ou équité, principe de préférence juridique), l’intérêt public et l’ijtihad (ou effort juridique) avec toutes ses conditions, afin d’«épurer la structure de la famille de tout ce qui n’est pas islamique».

En somme, c’est là un retour aux fondamentaux de la science juridique musulmane, mis en place aux VIIIe et IXe siècles de notre ère. Le résultat le plus tangible est que la femme est redevenue une mineure, soumise à la garde de son père ou de son mari. On peut douter que les combattantes de la révolution algérienne se soient battues pour ce résultat anachronique, mais le FLN, devenu «barbéfélène», a voulu, sans grand succès, donner des gages à la frange extrémiste afin de protéger ses prébendes.

Est-ce alors dire qu’Islam et laïcité sont absolument incompatibles ? Y aurait-il une forme de conception que l’on pourrait appeler «totalitaire» inhérente à l’Islam à raison d’un lien indéfectible entre les 3 D : din (religion), dunya (monde) et dawla (Etat) ? C’est là un point de vue qui a longtemps et souvent été partagé par ceux qui se sont attachés à l’étude de la société musulmane et de sa structure étatique et retenue aussi par beaucoup d’analystes occidentaux.

(A suivre)

  1. Cf. in La Presse, 25 mars 1975. []
  2. Cité in Mohammed-Cherif Ferdjani, Islamisme, laïcité et droits de l’homme, L’Harmattan, Paris 1991, p. 325. []
  3. Cité in Mohammed-Chérif Ferdjani, Islamisme, laïcité et droits de l’homme, op. cit., p. 322 []
  4. Cf. El moudjahid, 2 septembre 1980. []