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L’euro : les six positions en présence

par Évariste
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Depuis que s’est ouverte la crise de l’euro, le pourtant nécessaire débat contradictoire et théorique se résume à une floraison de textes et de discours qui sont autant de monologues d’économistes et dirigeants politiques, syndicaux et associatifs. Beaucoup de militants se bousculent pour entendre ici et là, et notamment dans les universités d’été, les « stars » de ce faux débat dans des réunions qui se terminent uniquement par une mesure de l’applaudimètre sur des présentations courtes. Quant à la formation économique et politique nécessaire pour que les militants tranchent cette importante question, elle n’est délivrée dans aucune grande organisation, chacune ayant défini sa position au niveau de sa direction nationale, sans débat démocratique interne. Triste temps !

Avant de présenter rapidement les six positions en présence, précisons quelles sont les quatre conditions d’un débat démocratique, issues des idées de Condorcet, en effet quasiment partout absentes.

- Condition 1 : Toutes les positions doivent être connues de tous les citoyens (pour une élection politique républicaine) ou par tous les adhérents pour prendre une position organisationnelle, via tous les canaux médiatiques existants (télévision publique, radio publique, sites internet, textes écrits, utilisation de toutes les formes de l’éducation populaire : conférences traditionnelles, conférences interactives, ciné-débat, théâtre-forum, conférences populaires sans conférenciers, etc.) ;
- Condition 2 : il doit y avoir un débat raisonné entre toutes les positions (impliquant toutes les formes de l’éducation populaire ci-dessus);
- Condition 3 : tout sujet important doit être tranché par le suffrage universel sur le sujet proprement dit et non pas être « noyé » dans une motion « fourre-tout » ;
- Condition 4 : les citoyens ou les militants doivent, même après le vote, pouvoir agir en cours de mandat si les élus ne respectent pas des promesses qui n’ont engagé que ceux qui y ont cru, si le débat raisonné n’a pas eu lieu.

Ainsi, dans le simulacre de débat auquel prétendent participer les acteurs économiques, sociaux ou politiques, six grands types de positions se dégagent à leur lecture ou à leur écoute. On peut distinguer deux positions pro-capitalistes, présentes à droite et à gauche, et quatre positions anti-libérales, largement présentes « à gauche de la gauche », dont une se veut celle d’une gauche de gauche.

► À tout seigneur tout honneur, la première position est celle de l’oligarchie capitaliste, qui, comme nous l’expliquons constamment dans ReSpublica, installe depuis plus de cinquante ans en Europe un carcan ordolibéral, que chaque Traité successif n’a fait que parfaire, en faisant reculer toujours un peu plus la démocratie, notamment via l’instauration de l’euro, l’un des instruments de développement des politiques d’austérité. Rappelons que dans son discours du 18 janvier 1957, Pierre Mendès-France dénonçait déjà le processus antidémocratique contenu dans le Traité de Rome, vu comme une première pierre pour installer ensuite les politiques néolibérales (voir notamment la fin du discours) !
Cette première position est celle de la quasi-totalité de la droite politique, mais aussi de la direction du PS, d’EELV, du PRG et du Modem. Mais aussi des directions syndicales, telles celles de la CFDT, de la CFTC, de l’UNSA et de la CGC. Cette position, qui unit libéraux et social-démocrates, propose de résoudre la crise en allant vers un fédéralisme budgétaire et monétaire sans démocratie et sans souveraineté populaire.

► Une deuxième position est celle des extrêmes droites nationales-populistes et nationales catholiques, dont l’organisation phare est le FN. Cette position est basée sur la souveraineté nationale (non à l’Union européenne et à l’euro), mais exclut la souveraineté populaire. Elle ne remet pas en cause les fondamentaux du capitalisme et souhaite même les perpétuer avec des formes de plus en plus autoritaires (fascisme, nazisme, etc.) comme l’histoire nous l’a montré.

► La troisième position est celle qui, à gauche, pense qu’il est possible de construire une Europe sociale avec l’Union européenne actuelle et avec l’euro. Son discours appelle simplement à une réorientation politique, économique et monétaire, qu’elle pense obtenir grâce à des mobilisations populaires larges qui entraîneraient le changement de politique dans le même cadre européiste. C’est la position actuelle des directions d’Attac et de nombreuses organisations altermondialistes, de la direction du PCF et de plusieurs organisations politiques du Front de gauche. C’est une position largement présente également dans le mouvement syndical revendicatif.
Cette position néglige le carcan des traités (règle de l’unanimité pour les principaux changements, politique économique gravée dans le marbre, hiérarchie des normes s’opposant à la plupart des principes républicains de la République sociale, etc.). Elle néglige le fait que tous les leviers sont au mains de l’oligarchie qui ne les lâchera que sous la contrainte. Elle néglige le fait que l’Union européenne a obtenu une telle régression de la démocratie que cette dernière ne peut plus jouer son rôle. Elle néglige la question stratégique et des alliances de classe nécessaires, tout comme le nécessaire travail d’éducation populaire auprès des citoyens, notamment des couches populaires ouvriers et employés, et des couches moyennes intermédiaires.

► La quatrième position est celle de la démondialisation par la sortie raisonnée, à froid, de l’euro, voire de l’Union européenne, dans un cadre national (position Sapir, MPEP, etc.), avec pour certains, des nuances internationalistes, comme chez Lordon. Ce dernier propose de remplacer la monnaie unique par une monnaie commune (l’euro pour les relations externes de la zone euro, et des euros-francs, des euros-marks, des euros-x pour les relations intra-zone, etc.). Cette position néglige comme la précédente la capacité de violence et la réactivité de l’oligarchie, néglige la question stratégique et des alliances de classe et celle du travail d’éducation populaire.

Elle se développe néanmoins, grâce à ses intellectuels stars, dans la gauche du PS, dans Attac et dans le mouvement alter, dans le Front de gauche et dans le mouvement syndical revendicatif. Les conditions matérielles expliquent largement ce succès : l’évidence grandissante de l’échec (annoncé) de l’oligarchie à sauver l’euro de Maastricht pour cause de non-convergence des intérêts nationaux favorise hors des directions la prise de conscience de l’illusion européiste.

 ► La cinquième position qui est celle de la direction du PG s’appuie sur les analyses de la position précédente (carcan de l’UE et de l’euro), mais veut rester « internationaliste » et développe à cet effet une stratégie de la désobéissance européenne: : le succès dans le cadre de l’UE de politiques nationales réorientées contre l’austérité susciterait des soutiens extérieurs, notamment des pays du Sud de l’Europe, qui permettraient d’imposer cette réorientation au niveau de l’UE tout entière. Simplement, si la possibilité de la désobéissance européenne doit faire partie de l’arsenal stratégique, elle n’est pas à elle seule l’entièreté de la question stratégique. Elle suppose d’abord que les forces populaires puissent faire plier l’oligarchie nationale, ensuite que le pas de côté anti-austérité réussisse, même problème que pour la position précédente, puis enfin que les soutiens populaires à l’extérieur soient suffisants pour faire plier les autres oligarchies nationales. Tout cela fait beaucoup.

► La sixième position est celle de l’implosion de l’euro, c’est-à-dire d’une sortie à chaud de la monnaie unique lors d’une crise graveà laquelle l’ensemble des citoyens éclairés doit se préparer pour en sortir dans une démocratie refondée sur la base de la souveraineté populaire. Cette position, défendue par l’économiste Michel Zerbato dans son dernier ouvrage et que nous défendons dans le journal ReSpublica, repose sur l’analyse de l’euro comme instrument du type bloc or des années 30, fait pour imposer la casse des salaires, via la mise en concurrence des modèles sociaux nationaux. Et comme ledit bloc or, il ne peut qu’imploser, tôt ou tard, selon la capacité de résistance des salariés.
Cette position est présente de façon minoritaire dans le mouvement syndical revendicatif, dans le Front de gauche et à Attac. Elle critique l’attentisme des autres positions antilibérales, car elle estime qu’il n’est plus possible de déverrouiller le carcan de l’Union européenne et de la zone euro depuis l’Acte unique de 1986 et les traités de Maastricht (1992) et de Lisbonne (2008). La gestion de la crise de la dette et de l’euro montre clairement que l’oligarchie a réussi à prendre toutes les manettes et qu’elle voudra se maintenir coûte que coûte, y compris par la violence que nous voyons déjà poindre.

Ainsi, « la gauche de la gauche » fait fausse route et n’est toujours pas en situation de devenir « une gauche de gauche », capable de mobiliser les couches populaires ouvriers et employés (53 % de la population) dans une alliance avec les couches moyennes intermédiaires (24 %), de tenir compte du phénomène de gentrification des couches sociales sur le territoire (renforcement des couches populaires en zones périurbaines et rurales). On ne peut pas construire un modèle alternatif au capitalisme, sans développer « la stratégie de l’évolution révolutionnaire des trois regards » (politiques de temps court, de temps moyen et de temps long pensé comme un bloc dialectique), sans globaliser les combats car un seul type de lutte ne peut pas entraîner les autres par un effet domino, sans revenir à la lutte des exploités contre les exploiteurs au lieu de s’en tenir à celle des pauvres contre les riches. Cette position s’inscrit dans une dynamique anti-capitaliste claire.

C’est bien dans le débat entre ces six positions que le mouvement social et politique doit entrer, car continuer les monologues ou le débat à deux ne résoudra rien.

Débats politiques
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En quoi la gauche de la gauche fait-elle fausse route ?

par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire.
Auteur avec Michel Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette ».
Auteur avec Catherine Jousse et Christophe Prudhomme « Contre les prédateurs de la santé ».

http://wwww.reseaueducationpopulaire.info

 

NDLR - Cet article a fait l’objet de nombreux commentaires et amendements des membres de la Rédaction de ReSpublica, que l’auteur remercie ici.

Plus de 30 ans de politiques néo-libérales, d’intensification des politiques d’austérité, ont induit la croissance sans fin du chômage, de la précarité, de la pauvreté de masse, voire de la misère, la fin de l’espérance que nos enfants aient une meilleure vie que leurs parents, depuis 2012 la baisse de l’espérance de vie en bonne santé et de l’espérance de vie des femmes. Soit un recul sans fin des principes de la République sociale que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la souveraineté populaire, la démocratie, la solidarité, le droit à la sureté, l’extension du champ du droit social grâce à la marche vers l’universalité des droits et des prestations, le développement écologique et social, etc.
Il y a plus de 50 ans déjà, Pierre Mendès-France nous mettait en garde contre le traité de Rome et la construction ordolibérale de ce qui est devenu l’Union européenne ! Et l’oligarchie engrange pour elle toujours plus de surplus malgré les crises. Bien qu’elle soit un « colosse aux pieds d’argile », elle renforce son pouvoir à chaque phase.
Et si on se posait la question de savoir si notre ligne politique, si notre ligne stratégique, sont à la hauteur des enjeux ? Si on se posait la question de savoir si dans la lutte des classes, nationale et internationale, nous avancions avec détermination ?
Nous avons avancé mais pas assez vite pour prendre l’oligarchie de vitesse au moment des crises. D’autant que la périodicité de ces crises s’accélère.
Bien sûr, nous avons digéré l’analyse de la mondialisation néolibérale avant les organisations qui n’avaient que la nation comme horizon (avec néanmoins 20 ans de retard sur l’oligarchie…) Mais le reste ?
Même Jacques Généreux a écrit au sujet de la ligne politique : « …en 2017, je suis convaincu que nous ne passerons pas de 11 % à 22 % en négligeant à nouveau la précision et la crédibilité de notre projet de sortie de crise. Coincé entre une droite qui récupèrera mécaniquement un part de son électorat sur les décombres de la débâcle socialiste et un FN qui exploitera pleinement les sentiments antieuropéen et antipolitique, le Front de gauche ne sera pas sauvé uniquement par l’antifascisme ou par l’écosocialisme, mais par sa capacité à offrir à tous un boulot, un salaire décent et un toit. À défaut, nous aurons tout le temps pour faire des colloques sur nos utopies créatrices puisque nous ne gouvernerons pas… »

Notre lecture de cette appréciation ne dévalorise à nos yeux (ni aux yeux, nous le pensons, de Jacques Généreux !) l’antifascisme et l’écosocialisme mais les rend inopérants si on ne déploie en même temps et en priorité la « …capacité à offrir à tous un boulot, un salaire décent et un toit ». Ce qui suppose une analyse juste de la crise, sans quoi la ligne et la stratégie ne peuvent que conduire dans des impasses.

Qu’en déduire sur la stratégie ?

Nous savons depuis longtemps que l’oligarchie néolibérale marche sur une jambe de droite et une jambe de gauche. N’empêche que lors des municipales de 2014, une partie importante du Front de gauche se trouvera dès le premier tour avec la gauche solférinienne sans contrepartie notoire (postes de permanents, marge de manœuvre politique, compromis sur la ligne, etc.)

Non pas que nous défendions la ligne de l’extrême gauche sectaire qui refuse toute alliance politique pour un rassemblement populaire mais nous voyons bien que la ligne de plus grande pente de la majorité de la « gauche de la gauche » n’est que le partage des postes d’élus ! Cela n’est pas acceptable, nous y reviendrons.
Ceux qui font ce choix soutiennent généralement que les municipales ne sont pas une élection importante et que ce qui compte, c’est de passer devant la gauche solférinienne aux européennes ! Triste analyse quand on sait l’importance de la cohérence politique pour les vote des citoyens !
Nous avons déjà dit, et nous y reviendrons, nos critiques sur les politiques économiques prônées par les directions des grandes associations altermondialistes et la plupart des partis politiques.
Mais si nous faisons nôtre la thèse ci-dessus de Jacques Généreux, il convient d’aller au bout du chemin et de connaître le chemin lui-même. Nous ne prendrons pas les pouvoirs sans les citoyens, sans les travailleurs. De deux choses l’une :

- Soit notre ligne politique et notre ligne stratégique sont bonnes et alors il faut se demander pourquoi les couches populaires ouvriers et employés qui représentent objectivement 53 % de la population n’y adhèrent pas. Pourquoi lors de la présidentielle de 2012, le vote Front de gauche a été choisi en cinquième préférence (après l’abstention, la gauche solférinienne, le FN et l’UMP) ? Si le 11 % de Jean-Luc Mélenchon furent une étape importante (comme l’a été l’apport d’Attac sur l’analyse de la mondialisation néolibérale dans la période 1998-2005), le passage futur de 11 % à 22 % n’aura rien d’automatique et nous considérons que pour cela, il faut modifier les lignes politique et stratégique.

- Soit nous estimons que les lignes politique du Front de gauche méritent pour le moins une cure de jouvence, et alors il faut dire sur quoi nous devons les faire évoluer. Il convient alors de revisiter les fondamentaux de la gauche de la gauche et de voir ce qui la sépare de la gauche de gauche et pour cela proposer des réponses aux questions que se posent les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires.

Partir des aspirations principales et en venir ensuite aux politiques nécessaires pour assurer la cohérence d’ensemble

Les aspirations principales des salariés sont la lutte contre le chômage et la précarité, l’amélioration du pouvoir d’achat, une protection sociale solidaire, une école d’enseignement et d’ascenseur social, des services publics, un logement décent partout et pour tous, etc.
• Ce n’est pas la diminution de la durée hebdomadaire de travail ! Non pas que nous soyons hostiles à cette idée mais cela ne fait pas partie des aspirations principales. D’autant que la gauche solférinienne a déjà diminué les salaires avec les 35 heures, un comble !
• Ce n’est pas la décroissance, dont nous pourrions montrer que ce n’est qu’une revendication principale des couches moyennes supérieures radicalisées ! Cette revendication empêche la réflexion sur un projet anti-productiviste orienté vers un développement écologique et social.
• Ce n’est pas la parité hommes-femmes pour les élections politiques. Ce n’est pas une revendication des couches populaires car il y a bien longtemps, et c’est bien ce que masque la revendication paritaire, que les couches populaires ont été expropriées des postes élus. Depuis quand une femme de la bourgeoisie représenterait-elle les femmes des couches populaires ? Cette mise à l’écart des postes élus de ces femmes, qui sont la majorité, n’est-elle pas la plus scandaleuse ?
Cette revendication empêche toute avancée sur l’égalité entre hommes et femmes (22 % sur les salaires, 38 % sur les retraites, pauvreté grandissante dans les familles monoparentales, arrêt d’une politique massive de construction de crèches collectives et familiales, refus des gardes publiques à domicile, arrêt de création massive de centres IVG et de planning familial, sexisme dans les orientations scolaires, refus d’aller plus loin dans la lutte contre les violences faites aux femmes, etc.)

La priorité des salariés des couches populaires, ce n’est donc pas la prise en compte de la mondialisation néo-libérale, de l’impératif écologique ou des discriminations (même si, bien sûr, ils en sont affectés), comme le souhaiteraient les directions des organisations altermondialistes. Car leur orientation masque la bataille sur les principes de la République sociale que nous avons énoncés au début de ce texte.

La gauche de la gauche doit se refonder en une gauche de gauche

Pour cela, il faut partir de la volonté populaire (et non seulement de la volonté des militants et responsables d’organisations) pour aller vers la volonté générale chère à Condorcet et à Rousseau. Et d’abord donner la priorité à l’éducation populaire. Sous toutes ses formes, pas uniquement celle de conférences (même si c’est nécessaire surtout dans une conception interactive) mais aussi en théâtre-forum, en conférence populaire (sans conférencier!), en ciné -débat, en action cinématographique. Ne pas abuser de la forme meeting de la société du spectacle qui n’attire que les convaincus. Rompre avec les interventions successives et répétitives des partenaires des collectifs qui n’intéressent que les « chefs » des organisations.
Voilà le débat que nous proposons pour sortir des apories (contradictions antagoniques dans une même pensée) et des impasses (lorsque les priorités affichées par un projet ne sont pas celles des couches sociales qui sont censées le promouvoir).
Viendra ensuite la cohérence d’ensemble qui demandera de considérer les fléaux du capitalisme que sont avant tout le chômage et la misère du peuple, c’est-à-dire les inégalités économiques et sociales.
Pour cela, il conviendra de penser comment aller vers les changements nécessaires des rapports de production pour une reprise du développement des forces productives, incluant de nouvelles formes de propriété (dans le prochain numéro du journal, nous préciserons des propositions concernant l’entreprise).

Et donc démasquer ces « illusions réformatrices » qui se résument à prendre aux riches pour donner aux pauvres, à sortir de l’euro à froid, ou à y rester en attendant Godot (voir l’éditorial d’Evariste dans ce numéro)… pour enfin penser la « sanctuarisation » de l’ensemble services publics + école + protection sociale (que nous appelons sphère constitutive des libertés), c’est-à-dire son indépendance totale du marché en termes de financement, mais aussi la transformation du salariat en un ensemble de communautés productives de travailleurs associés, etc.

Et que vive enfin la République sociale!

Maghreb et Moyen-Orient
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La gauche de la gauche prise à contre-pied par les suites des « révolutions » arabes

par Zohra Ramdane

 

Depuis longtemps la gauche de la gauche a abandonné la lutte des exploités contre les exploiteurs pour aboutir à la lutte des pauvres contre les riches, cette dernière ne menant nulle part.
Depuis bien longtemps, la gauche de la gauche a abandonné les couches populaires ouvrières et employées pour se circonscrire dans la lutte anti-discriminations.
Depuis bien longtemps, la gauche de la gauche a abandonné l’objectif de construire un nouveau modèle politique anti-capitaliste et se « vautre » dans un anti-libéralisme sans avenir (voir l’article de B. Teper dans ce numéro).

Depuis bien longtemps, la gauche de la gauche a aussi abandonné le principe de laïcité passant de l’islamo-gauchisme soit disant anti-impérialiste et altermondialiste (soutien à Tariq Ramadan et aux Frères musulmans) vers une incompréhension de la poussée laïque en cours en Algérie, en Tunisie, en Égypte, etc.1

Or cette gauche de la gauche est prise à contre-pied. Petit à petit, elle voit surgir une gauche de gauche refusant en même temps les dictatures militaires et les communautarismes et autres intégrismes religieux, tous deux soumis aux politiques néolibérales (tous les gouvernements islamistes ont accepté les plans d’ajustements structurels proposés par le FMI, la Banque mondiale, les États-Unis et l’Union européenne). C’est ce que nous avons précédemment appelé le « double front » (voir les éditos  La nouvelle donne… et L’actualité valide…) .

Pendant qu’en France, dans la gauche de la gauche des universités d’été, les « indigènes de la République » (ceux qui professent qu’il faut s’allier à l’islam et à l’islamisme, car c’est la religion des pauvres) multiplient les conférences, au Maghreb et au Moyen-Orient les gauches laïques tentent de construire un bloc majoritaire face aux islamistes et aux dictatures.

 En Algérie, notons  l’appel de Tizi-Ouzou « contre l’inquisition et pour la liberté de conscience » (relayé à Paris le 3 août, place du Trocadéro) pour soutenir les « dé-jeûneurs » poursuivis pour ne pas respecter les consignes du ramadan.
Pour Mohand Bakir en effet2, les Algériens non musulmans ne sont pas des citoyens comme les autres :
« L’appel de Tizi-Ouzou pour la liberté de conscience est une initiative politique de premier ordre. Elle place au cœur du débat public une question essentielle, celle de la confessionnalisation honteuse de l’État algérien. Une dérive qui découle de la compromission des courants dits de  ”la famille révolutionnaire” avec ceux de l’islam politique.
Depuis des années, cette islamisation rampante de l’État algérien se trahit épisodiquement par une dérive moralisatrice dans les rangs des services de sécurité. Les appareils de sécurité n’hésitent pas à s’en prendre sur délation à des non-jeûneurs, des Algériens qui pour des raisons qui les regardent ne sont pas concernés par l’observation du Ramadhan. Une inquisition est en train de s’installer au mépris des garanties de la liberté de conscience, de celle d’opinion et de la sacralité de la vie privée inscrites dans les lois en vigueur. »

On saluera dans le même sens la création à Paris, le 6 juillet dernier, du Conseil des ex-musulmans de France (sur le modèle de celui existant déjà en Grande-Bretagne) qui se donne parmi un ensemble d’objectifs laïques la défense contre les menaces et intimidations pour cause d’apostasie.

En Tunisie, la gauche laïque redouble d’intensité après les assassinats de ses deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, tandis qu’Ennahdha continue obstinément de rejeter les exigences de la majorité du peuple.

En Égypte, la gauche laïque a développé la contestation de l’ex-président Morsi qui n’avait fait que reprendre la politique économique et sociale de la dictature militaire. Comme l’écrit Mohamed Bouhamidi : « Toute l’action de Morsi a consisté à aggraver le rôle des facteurs externes et des pressions étrangères pour imposer les agendas des puissances étrangères, dont le djihad en Syrie. Négation des droits des minorités et de la diversité religieuse, concentration de pouvoirs pharaoniques, intelligence avec des puissances étrangères sur le sort du canal de Suez et du Sinaï, silence face au lynchage de chefs religieux chiites, incendies d’églises coptes, déclaration d’amitié et de fidélité à Shimon Pérès constituent quelques repères clés. »
Le même insiste justement sur les conditions de la démocratie : « Le monde arabe ne s’appartient pas, et dans cet espace, l’Égypte encore moins. Dans ces conditions, il est difficile de parler de démocratie. Quand l’essentiel des décisions de souveraineté vous échappe, que vaut la souveraineté du peuple, postulat primordial de l’exercice de la démocratie qui traduirait en actes et en réalité cette souveraineté ? Parler d’un président démocratiquement élu, comme si les élections pouvaient résumer et fonder la démocratie, est une grande erreur ou un leurre. »
Après les événements du 14 août, l’évidence des pressions néolibérales s’illustre dans ce pays : les Etats-Unis et l’Arabie saoudite après avoir collaboré avec le régime islamiste, constaté le refus du peuple et tenté la conciliation entre l’armée et le régime Morsi,  ne sont-ils pas prêts par défaut à un compromis avec la dictature militaire ?

Dans tous les cas de figure, nous ne pouvons que réaffirmer et préciser la stratégie du double front : refus de l’islamisme et du communautarisme, ici comme ailleurs ; refus des dictatures soutenues par l’impérialisme néo-libéral ; soutien dans tous les pays en question aux processus démocratiques en profondeur et aux gauches laïques.

  1. Voir le texte d’Ahmed Halfaoui, ]
  2. ]
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Les héraults de l’islamisme reviennent…

par Mohand Bakir

 

Les islamistes1 seraient victimes de coups de force qui les spolieraient de « leurs victoires démocratiques ». Les François Burgat, Bernard Kouchner et autres Tarek Ramadan décochent déjà leurs plumes pour défendre « le droit démocratique des frères musulmans ». Essayons, par l’approche de la stratégie islamiste, de juger du sens et de la pertinence de ces affirmations et de l’engagement de ces héraults invétérés de l’islamisme. Faisons simple, restreignons nous aux fondamentaux :

L’islamisme et la démocratie

Les frères musulmans font le choix tactique d’investir les processus démocratiques pour instrumentaliser l’Etat au service de leur objectif stratégique de création d’émirats qu’ils regrouperont au sein d’un Califat théocratique. Toute leur littérature, depuis leur création, en atteste.

Le Djihad est un élément clef de la doctrine des frères musulmans. Ce concept implique et explique la création de groupes militaires en leurs seins. Les différences entres « modérés » et « fanatiques » sont celles-là même qui différencient dans les théories de la révolution sociale entre partisans de l’action de conscientisation de masse et partisans du rôle prééminent de minorités agissantes.

Avant d’arriver à exercer leur hégémonie sur une société, les islamistes avancent masqués. Ils mettent en œuvre leur stratégie de duplicité baptisée Ettaqiya. Au fur et à mesure que grandit leur influence cette Taqiya se trahit par la pratique d’un double langage, leurs véritables objectifs remontant progressivement à la surface.

Leur conception de la société exclut totalement la citoyenneté. Pour eux la société se stratifie :

· en croyants (les musulmans) qui dans la soumission bénéficient de droits politiques et s’acquittent de devoirs ;
· en dhimmis (protégés), les chrétiens et les juifs, ceux-ci s’acquittent d’impôts spécifiques et ne jouissent que de droits restreints, tout en étant soumis à de nombreux devoirs supplémentaires dont celui de s’effacer de l’espace public.
· en esclaves : en dehors des monothéistes, si le sort n’est pas la mise à mort, il est une réduction en esclavage.

La notion de citoyenneté est totalement absente de cette vision sociétale. La gouvernance y est l’affaire des gouvernants auxquels l’obéissance est religieusement fondée2.

L’appareil de pouvoir y est un quasi clergé (dans le cas des shiites il est clairement identifié) dont la fonction est autant la gouvernance que l’interprétation du dogme religieux. Ses structures mêlent aspects gestionnaires et cléricaux.

Les islamistes ont une vision belliqueuse du monde. Ils définissent deux espaces globaux, celui « de paix » qui s’étendent sur « les terres d’islam » et le reste du monde définit comme un « espace de guerre ». La croyance religieuse est annonciatrice d’une promesse d’islamisation mondiale qui précèderait la fin des temps, ils ne sont pas prêts à renoncer à ce bellicisme.

Quelle est la compatibilité de l’islamisme avec la démocratie ? L’islamisme récuse la démocratie comme une négation de la souveraineté divine.

L’islamisme dans les banlieues

L’islamisme ne reconnaît pas l’appartenance à des Etats-nations. La seule identité validée dans cette pensée est celle de l’appartenance à l’Oumma (communauté des croyants – musulmans -). Voilà qui explique leurs comportements dans les banlieues européennes, ils acquièrent la nationalité du pays d’accueil, l’investissent comme un cheval de Troie pour promouvoir un communautarisme musulman (communauté – Oumma) en double substitution aux identités des pays « d’accueil » et « d’origine ». La nationalité acquise est une arme au service de leur identité de croyant – musulman. Cette substitution identitaire a des manifestations vestimentaires, alimentaires et sémantiques. Les tenues djihadistes banalisées dans l’espace public, le hidjab érigé en étendard, l’ostentation du manger hallal en cause et la rhétorique du « Salam alikoum » en signe de ralliement.
D’autres courants avaient ce souci de se distinguer de la société, par exemple par des « chemises brunes », pour lui imposer à terme de se soumettre à eux. Plus la prise de conscience sera tardive, plus il sera difficile de faire face au danger.

  1. Courant politique qui considère les sociétés musulmanes comme perverties, il prône l’application de la Shari’a et le rétablissement du Califat. Composé de deux grandes écoles, celle des frères musulmans – Égypte 1928 – et celle du wahhabisme – péninsule arabique XXVIII-, les populations des pays musulmans sont les premières victimes des manifestations de violence de ce courant théocratique. []
  2. Les athées et les agnostiques sont non seulement bannis de toute citoyenneté mais ils sont aussi niés dans leur humanité. []
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Géothermie profonde versus gaz de schiste

par Thierry de Larochelambert
Chaire Supérieure de Physique-Chimie
Docteur en Énergétique
Chercheur à l'Institut FEMTO-ST
Vice-président d'Alter Alsace Énergies

 

NDLR - Notre ami le Pr de Larochelambert, qui a déjà fait profiter les lecteurs de ReSpublica de son expertise dans le passé, livre ici une comparaison très documentée sur ces techniques controversées.  Ses positions ne sont pas nécessairement celles de la Rédaction mais nous paraissent utiles pour alimenter le débat.

À travers le verrou de la fracturation hydraulique, la récente QPC (question prioritaire de constitutionnalité) transmise au Conseil d’État par le tribunal administratif de Cergy Pontoise le 21 mars 2013 à la demande de la compagnie pétrolière états-unienne Schuepbach [1] soulève indirectement la question de la géothermie profonde.
En effet, la compagnie texane remet en question la loi du 13 juillet 2011, en particulier son article 1er [2], interdisant la fracturation hydraulique en vue de la recherche ou de l’exploitation pétrolière ou des gaz de schiste(s) qui a conduit au retrait de ses permis de recherche sur le territoire français il y a deux ans.
Pour Schuepbach, cette loi serait anticonstitutionnelle au motif qu’elle serait « discriminatoire (atteinte au principe d’égalité) en ne concernant que la recherche d’hydrocarbures, liquides ou gazeux… » alors qu’elle serait autorisée pour la géothermie profonde [3].
Le 12 juillet 2013, le Conseil d’État, suivant la recommandation émise par son rapporteur public le 26 juin dernier, a transmis la QPC au Conseil Constitutionnel [4] qui devra se prononcer dans les trois mois suivants.

Entre-temps, les groupes de pression pétroliers et productivistes se répandent dans la presse à l’occasion du débat sur la Transition énergétique pour justifier le recours aux gaz de schiste [5][6], appuyés publiquement le commissaire européen à l’industrie Antonio Tajani [7], ex-porte parole de Silvio Berlusconi (ce qui relativise la qualité d’un tel appui) ; Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez [8] ; mais aussi malheureusement par le Ministre du redressement productif Arnaud Montebourg [9] – qui n’hésite pas à contredire régulièrement son Premier ministre et les ministres de l’environnement successifs Delphine Batho puis Philippe Martin – et par l’opportun rapport de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) des députés Christian Bataille (PS) et Jean-Claude Lenoir (UMP) [10].

Dans l’attente fiévreuse de l’arbitrage du Conseil Constitutionnel, il n’est pas sans importance de souligner les différences fondamentales entre ce qu’il est convenu d’appeler la fracturation hydraulique SGF (« shale gas fracking » ou gaz de schiste par fracturation) et la stimulation hydraulique EGS (« enhanced geothermal system » ou système géothermique amélioré), d’autant que le rapport de l’OPECST sus-mentionné entretient allègrement la confusion [11].

La présentation détaillée de ces deux technologies est donc indispensable pour clarifier certaines ambiguïtés et lever (ou non) certaines craintes qui se font jour jusque sur les sites internet de groupes opposés aux gaz de schiste [12].

1. La géothermie profonde, hier et aujourd’hui

Depuis la mise en service en 1913 de la première usine géothermique de production électrique de 250 kWe utilisant l’eau à 250°C de deux puits géothermiques à Larderello en Toscane (Italie) [13], l’utilisation directe de la géothermie haute énergie (ou géothermie profonde) pour la production d’électricité s’est considérablement développée dans le monde. Elle représente actuellement (2010) une puissance électrique installée de 10,9 GWe répartie sur 24 pays, et produit 67,3 TWhe/an d’électricité [14].

À lui seul, le site de Larderello-Travale et ses 255 forages fournit aujourd’hui en permanence de la vapeur d’eau (20 bar, 150 à 270°C) à 28 centrales électriques géothermiques de puissance totale 754 MWe produisant aujourd’hui 4,9 TWhe/an [15] ; de par sa très longue durée d’exploitation et de ses perspectives de développement ultérieur, il constitue un exemple de production soutenable d’électricité géothermique. De même, l’exploitation du gisement exceptionnel de Bouillante en Guadeloupe (France) depuis 1984 permet aux deux centrales électriques de puissance totale 15 MWe d’utiliser l’eau à 250°C d’un réservoir situé entre 300 et 1200m de profondeur pour produire 95 GWhe par an (8  % de la consommation de l’île) et le projet d’une troisième centrale de 20 à 30 MWe est en cours d’exploration [16].

Les potentiels géothermiques directs et EGS théoriques, techniques et économiques des régions productrices principales ont été évalués par de nombreux travaux scientifiques [17]. Si l’énergie stockée dans la croûte terrestre entre 0 et 5 km de profondeur est effectivement gigantesque (environ 1,4.1026 J, soit 39 milliards de TWh), environ 30 % correspondent à des zones à haut gradient. Encore faut-il pouvoir l’exploiter techniquement, écologiquement et économiquement : en ne considérant que les zones à haute température au-delà de 3 à 5 km de profondeur, où le flux géothermique naturel de renouvellement est de l’ordre de 65 mW/m² en moyenne, cela conduit à une évaluation grossière du potentiel mondial théorique exploitable durablement d’environ 10 TWe. (10000 GWe, soit l’équivalent de 10 000 réacteurs nucléaires PWR). La puissance électrique récupérable est évaluée à 200 GWe par les techniques traditionnelles (comme à Larderello ou à Bouillante), à quoi il faudrait ajouter environ 1000 GWe fournis par les techniques EGS. En outre, l’utilisation de la chaleur basse température pour le chauffage seul ou la cogénération permettrait d’ajouter une puissance thermique supplémentaire de 5000 GWth.

Dans les conditions économiques actuelles du marché de l’énergie mondiale, ces potentiels techniques pourraient déboucher à l’horizon 2050 sur des installations économiquement rentables estimées à une puissance électrique totale (EGS comprise) de 140 GWe produisant 1200 TWhe/an, et une puissance thermique de 800 GWth.

Les prospectives les plus récentes [18] sur l’utilisation soutenable de la géothermie soulignent l’importance des modes d’exploitation des gisements pour permettre aux générations futures de bénéficier en permanence de cette ressource renouvelable et de contribuer à la lutte contre le changement climatique : accroissement par étapes de la puissance produite jusqu’au régime permanent limite de renouvellement énergétique (équilibre entre soutirage d’eau et recharge naturelle en système ouvert ; gestion de la propagation du front froid de réinjection en boucle fermée). Ces techniques, valables pour les gisements traditionnels en géothermie haute et moyenne température, sont susceptibles d’évoluer vers une utilisation pérenne de stockage thermique solaire (héliogéothermie) ou de rejets thermiques industriels.

La technologie EGS quant à elle est en cours d’étude expérimentale sur quelques sites mondiaux de référence dont les plus importants sont ceux de Soultz-sous-Forêts dans le Bas-Rhin (France) depuis 1987 et Groß Schönebeck à 40 km au nord de Berlin (Allemagne) depuis 2006. L’importance du potentiel géothermique qu’elle permettrait d’exploiter est telle qu’il est aujourd’hui indispensable d’en examiner les modalités, la soutenabilité et les risques, au regard des polémiques soulevées par les impacts écologiques et sanitaires de la fracturation hydraulique SGF utilisée pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste.

2. Des cibles géologiques différentes

À la différence de la géothermie traditionnelle qui consiste à utiliser l’eau chaude de réservoirs aqueux poreux calcaires (Dogger, Grande Oolithe, Muschelkalk, etc.) ou gréseux (Buntsandstein) à des profondeurs de quelques centaines de mètres à 2000-3000 m) par le biais de deux ou trois puits de pompage/injection en boucle fermée, les techniques EGS en géothermie profonde visent des strates rocheuses cristallines plus profondes et faillées, situées dans des structures géologiques d’effondrement ou d’origine volcanique, de porosité naturelle inter-cristalline à micro-fissures, dans lesquelles l’eau peut circuler naturellement plus ou moins facilement suivant le degré de concrétion obstruant la porosité (la présence d’eau n’est pas indispensable à la géothermie EGS).

Le gaz de schiste quant à lui (essentiellement constitué de méthane CH4, accompagné d’éthane C2H6, de composés organiques cycliques volatiles, de dioxyde de carbone CO2, etc.) s’est formé à partir des sédiments marins des grands bassins sédimentaires, piégés par enfouissement à l’ère secondaire et soumis à un lent processus de fermentation anaérobie à chaud (80-150°C) sous pression (plusieurs dizaines de bar) in situ dans les couches argileuses compactes enfouies profondément entre 3000 et 10000 m. Le gaz est bloqué dans les micro-pores de la couche schisteuse à laquelle il est physiquement adsorbé, de même que le gaz de houille (également du méthane, couramment appelé « grisou ») est piégé dans les veines étanches de charbon dans lequel il s’est formé au cours de l’ère primaire [19].

La porosité matricielle des schistes à gaz est donc assez faible (0,5 à 5 % ainsi que leur porosité de fracture (2 à 7 % et leur perméabilité est très faible (de 1 nano-darcy ou nD, à 1 micro-darcy ou µD) [20]. Les roches cristallines visées par la géothermie profonde EGS ont quant à elles une porosité moyenne (entre 10 et 20 % selon la nature des réservoirs) et une perméabilité de l’ordre de quelques centaines de µD (grès de Groß Schönebeck) à plusieurs D (Soultz sous-Forêts), du fait de la microfracturation naturelle élevée des gisements [21][22][23].

Dans les deux cas (SGF et EGS), les réservoirs ciblés doivent se trouver isolés au-dessus et en dessous par d’épaisses strates de roches imperméables de porosité et de perméabilité quasi-nulles.

Alors que l’exploitation des gaz de schiste SGF vise des bassins sédimentaires pouvant s’étendre sur des milliers de km² et nécessite le percement de milliers de forages pour fracturer les roches magasins afin d’en extraire le méthane (cf. § suivant) à raison d’un puits tous les 4 km² en moyenne (entre 1,2 et 7 km²) [24], la géothermie profonde EGS se focalise d’abord sur les réservoirs gréseux ou granitiques faillés et micro-fissurés dans des fossés d’effondrement, coïncidant si possible avec une densité suffisante d’utilisateurs (villes, industries) susceptibles de consommer localement l’électricité et la chaleur des installations de cogénération.

Ainsi le site de Soultz-sous-Forêts implique deux cellules granitiques situés à 3,5 km et 5 km de profondeur, épaisses de 400 m à 1 km, et s’étendant sur une vingtaine de km² ; les pieds du triple forage productif (GPK2, GPK3, GPK4) distants seulement de 600 et 650 m produisent une saumure à 180°C et sont raccordés à une centrale électrique de 1,5 MWe [25]. Non loin de là , le site de Landau en Allemagne s’étend sur 25 km² à 3 km de profondeur ; une centrale de cogénération de 3 MWe et 3 MWth y puise de l’eau à 160°C depuis 2007 (avec une période d’arrêt suite à deux microséismes survenus en 2010) [26].

La grande différence entre les accès à ces deux sources d’énergie réside en fait avant tout dans les durées de vie très contrastées des installations :

  • un puits de gaz de schiste SGF extrait l’essentiel du gaz en 6 mois en perdant 63 à 85 % de sa productivité par an, de sorte que la ressource est généralement épuisée au bout d’un à trois ans [27][28][29][30] : ce phénomène caractérisé par une décroissance de production de type exponentiel se traduit par des courbes de décroissance très rapides dès la mise en production du puits (« shale gas decline curve ») spécifiques aux puits de gaz de schiste. Il est dû au travail des contraintes de la roche matricielle expulsant le liquide de fracturation avec le gaz jusqu’à refermeture des micro-fissures produites pendant la fracturation hydraulique, et a fait l’objet de nombreux travaux de modélisation physique et mathématique [31] ;
  • un puits géothermique EGS une fois foré est conçu pour rester productif pendant des décennies (voire des siècles dans le cas d’une gestion soutenable, cf. [18]).

La faible durée de vie des puits de gaz de schiste explique physiquement la course effrénée aux forages observée aux États-Unis : près de 515000 puits étaient productifs en 2011 ; 43000 ont été creusés dans la seule année 2012 [32]. Elle entraîne un déplacement permanent des installations de forage pour tenter de rentabiliser les investissements par puits au moyen de montages financiers basés sur des crédits à court terme. Comme l’explosion du nombre de forages et de la production concomitante de méthane (+3400 % entre 2005 et 2012 aux États-Unis) a provoqué un effondrement de son prix spot de 8 à 3 $ par MBTU (vieille unité de volume de gaz anglo-saxonne encore en vigueur dans ces contrées) entre 2010 et 2012, les sociétés de production tentent par tous les moyens de baisser leurs coûts de production en forant toujours plus de puits sur chaque champ de gaz de schiste à un rythme croissant pour maintenir la production.

On assiste ainsi à la formation d’une bulle spéculative [33] d’autant plus inquiétante pour l’économie mondiale que la production de méthane de schiste stagne aux États-Unis, amenant certains chercheurs à prévoir un « peak-gas » prochain vers 2017 [27] ; les sociétés productrices perdent de plus en plus d’argent en produisant du méthane de schiste [34] et se remboursent en fait de plus en plus sur l’huile et le pétrole de schiste, certaines se retirant même du marché d’exploration des gaz de schiste au bénéfice, semble-t-il, d’une spéculation bancaire et boursière grandissante [35].

Ajoutés aux problèmes environnementaux cumulés aux États-Unis depuis le début des forages des puits de gaz de schiste (voir plus bas), cette baisse de productivité des puits et la stagnation de la production de méthane de schiste a généré des doutes et des remises en cause dès 2011 chez les industriels gaziers [36], jusque dans les publications scientifiques du domaine [37]. Mais c’est à partir de l’année 2012 que de nombreuses études scientifiques indépendantes ont commencé à dresser un bilan écologique plutôt sombre de la ruée vers le gaz de schiste.

Pour en comprendre les enjeux et les comparer à ceux de la géothermie profonde EGS, il convient d’abord de bien connaître les deux technologies mises en oeuvre pour constater que leurs similitudes apparentes recouvrent en fait des caractéristiques très différentes.

3. Fracturation, stimulation : des techniques différentes

3.1. La fracturation hydraulique SGF

Comme l’article précité [37] le précise, « il est préférable de forer des puits horizontaux perpendiculairement aux fractures naturelles pour intersecter autant de fractures que possible », le gaz piégé dans les pores circulant préférentiellement dans ces fractures. Les forages horizontaux sont donc pratiqués massivement une fois que le forage vertical a atteint les couches argilo-schisteuses dures.

Comme ces matrices rocheuses sont particulièrement peu perméables, la circulation du gaz adsorbé est très faible (perméabilité des schistes entre 1 nD et 1 µD), de sorte que sa récupération à la surface du puits n’est possible qu’après fracturation massive de la roche-mère pour ouvrir et connecter les fissures en les écartant jusqu’à briser la contrainte-même de la roche, et éjection massive du gaz par injection d’un mélange de liquides sous des pressions très élevées.

La contrainte verticale de pression des couches visées étant très élevée (environ 265 bar/km) ainsi que la contrainte à la rupture des schistes lithés, la pression en tête de puits à imposer pour fracturer ces roches est généralement comprise entre 360 et 800 bar, c’est à dire environ 360 à 800 fois la pression atmosphérique, selon la profondeur et la nature des schistes visés. La propagation des fractures perpendiculairement au forage horizontal jusqu’aux frontières imperméables et des fractures principales le long des lignes de contrainte a fait l’objet de nombreux modèles permettant de comprendre les mécanismes en jeu et les raisons de la refermeture rapide des fractures ainsi produites [38], obligeant à reconsidérer les anciens modèles hyperboliques qui conduisent à une surestimation générale des réserves de gaz de schiste [39]. C’est ainsi que les réserves de gaz de schiste techniquement récupérable aux États-Unis ont été révisées à la baisse de 42 % en 2012 par l’EIA [40], ce qui d’après le géologue David Hughes [41] correspond à seulement 16 années de réserve seulement pour les États-Unis, même si étonnamment certains auteurs prévoient des durées d’exploitation par puits à productivité réduite au 1/5ème sur vingt ans dans les réservoirs de Marcellus à l’Est des États-Unis [37].

Contrairement aux affirmations non référencées du rapport Lenoir-Bataille [42], les techniques sismiques les plus récentes (« microseismic monitoring »), qui ne sont utilisées aujourd’hui que dans 2 % des forages de gaz de schiste pour des raisons de coût, si elles permettent de suivre l’évolution des fractures pendant les étapes de fracturation hydraulique [43], ne permettent pas de les contrôler mais d’obtenir des images reconstituées des fractures a posteriori pour vérifier l’efficacité de la fracturation et orienter les forages suivants vers des zones possiblement plus productives. Cependant la forte variabilité géologique des couches de schistes, particulièrement élevée dans les zones faillées, limite fortement la prévisibilité de l’efficacité des fracturations ultérieures, avec ou sans « microseismic monitoring ».

Ce suivi microsismique de la fracturation SGF a toutefois permis de montrer que les microséismes survenus en 2011 au cours de certains forages dans les schistes près de Blackpool au Royaume-Uni (magnitude 1,5 et 2,3) [44] et dans l’Oklahoma aux États-Unis (43 secousses en 24 h, de magnitude 1 à 2,8) [45] étaient dus à la fracturation hydraulique et permis de révéler l’existence de failles préexistantes non décelées au préalable. L’analyse des microséismes de longue durée pendant la facturation hydraulique des schistes montre que des fractures naturelles peuvent être ainsi réactivées lorsque les forages les traversent et que des glissements peuvent se produire pendant 10 à 100 s et se poursuivre après l’arrêt des pompes d’injection [46], entraînant un accroissement de productivité du puits de gaz. La connaissance de la complexité des fractures naturelles dans les réservoirs de gaz de schiste, si elle rend la gestion des forages plus difficile, devrait aussi pouvoir mettre fin aux évaluations erronées des réserves de gaz [47]. Ainsi, l’ « exploration » des schistes par simple forage ne permet pas d’évaluer le potentiel réel en gaz de schiste ; c’est bien la fracturation hydraulique et le suivi microsismique seuls qui aboutissent à une estimation réaliste de la productivité d’un gisement de gaz de schiste.

Quand les forages atteignent des failles naturelles, les risques de microséismes d’amplitude pouvant atteindre 3,1 deviennent élevés au moment de la fracturation hydraulique, et le risque de propagation des liquides et des gaz le long des failles et des fractures ouvertes se pose.

Si les investigations menées sur les puits existants ont montré jusqu’à présent une étendue de ces fractures pouvant atteindre 600 m environ [48], la plus grande crainte pourrait venir des failles naturelles impactées par la fracturation hydraulique qui pourraient offrir des excursions de gaz et des liquides de fracturation jusqu’à la surface, selon la profondeur des réservoirs schisteux et l’extension verticale de ces failles.

Les modélisations numériques les plus récentes qui tentent de rendre compte de ce processus indiquent effectivement la possibilité d’induire des ruptures sur plus de 100 m avec des microséismes de magnitudes d’ordre 2, mais la sensibilité aux hypothèses des modèles (coefficients de frottement après rupture, surfaces de faille concernées, perméabilité de failles, rapport et orientation des contraintes, longueur de faille, débits d’injection, gradient thermique, etc.) révèle la complexité des phénomènes, la forte variabilité des conséquences du procédé de fracturation pouvant conduire suivant les cas à de brusques ruptures sismiques ou à des glissements a-sismiques. Ainsi une étude numérique récente de Berkeley [49], après avoir montré qu’une rupture de faille peut se propager en dehors des réservoirs de schiste en cas d’injection constante contrôlée, se termine par un appel à la prudence : « sur le terrain, il pourrait être difficile de prévoir l’amplitude appropriée de la surpression et, par conséquent, il faudrait prendre des précautions en utilisant un suivi continu de la sismicité induite dès le début de l’injection pour détecter toute fracturation galopante le long de failles. »

En outre, il a été constaté que les microséismes induits par la fracturation peuvent déformer et fissurer les coffrages des puits en béton [44], ce qui peut générer ou accroître les fuites de gaz et de liquides de fracturation dans les nappes phréatiques avoisinant ou dans l’environnement.

La question fondamentale de l’enjeu économique se pose donc inévitablement au vu des risques écologiques très débattus et contestés que présente la fracturation SGF, que ce soit en exploration ou en exploitation des gaz de schistes.

3.2. La stimulation hydraulique géothermique EGS

Dans le cas de la géothermie profonde, il ne s’agit pas de créer des fractures mais de rouvrir les nombreuses fissures naturelles de la roche magasin qui ont été plus ou moins occultées par les sécrétions sédimentaires. Les roches elles-mêmes (granites, grès) sont généralement beaucoup plus perméables que les schistes à gaz, et une circulation naturelle permanente de saumures s’y déroule sous l’effet du gradient thermique parfois élevés. Il s’ensuit que les pressions d’injection des liquides de stimulation sont nettement plus faibles, comprises généralement entre 80 et 150 bars, comme l’a montré le projet européen de Soultz-sous-Forêts (voir plus bas), site connu pour son gradient géothermique particulièrement élevé de 100°C par kilomètre de profondeur. Comme nous le verrons plus loin, certaines stimulations à près de 300 bar (Bâle, Groß Schönebeck) ont également été réalisées.

Initié en 1986 par une équipe scientifique franco-allemande [25], le projet de Soultz a donné lieu entre 1987 et 1991 à deux premiers forages exploratoires GPK-1 et EPS-1 à faible profondeur (2000 m), mais la température atteinte n’étant que de 140°C au lieu des 200°C attendus, GPK-1 a été prolongé à 3600 m et accompagné d’un troisième forage GPK-2 à 3880 m entre 1991 et 1998 ; la distance de 450 m entre les pieds de GPK-1 et GPK-2 a permis de conduire avec succès les tests de circulation entre les deux puits pendant quatre mois dans le réservoir supérieur de granite fracturé. Ils y ont révélé la présence d’une circulation naturelle de saumures acides (pH ~ 5) de haute salinité (100 g/L) dans une zone très étendue de fractures interconnectées de grande densité et de faible impédance hydraulique à comportement quasi-turbulent. Pour atteindre la température souhaitée de 200°C, il a été décidé de percer ensuite deux autres puits GPK-3 et GPK-4 jusqu’au réservoir granitique inférieur à 5000 m de profondeur entre 1999 et 2004, les pieds des trois puits GPK-2-3-4 étant alignés dans la direction de la contrainte maximale principale horizontale et du réseau de fractures, et distants de 600 et 650m pour favoriser la production géothermique ultérieure. L’analyse du gradient thermique dénote l’existence de trois zones : une zone de conduction thermique à fort gradient (110°C/km) depuis la surface jusqu’à 1000 m de profondeur ; une zone de circulation convective de faible gradient (5°C/km) entre 1000 et 3300 m dans les grès et granites du Trias ; une zone de conduction à gradient moyen (30°C/km) dans le socle granitique du Paléozoïque, dont les failles et fissures sont peu connectées.

Pour augmenter la faible perméabilité de cette zone et celle des granites supérieurs, plusieurs stimulations hydrauliques ont d’abord été menées : la productivité du puits GPK-1 a été multipliée par 15 entre 2,8 et 3,6 km en élargissant les fissures existantes de quelques mm à quelques cm ; celle des puits GPK-2 et GPK-4 entre 4,5 et 5 km a été multipliée par 20 ; celle du puits GPK-3, déjà élevée, n’a été multipliée que par 1,5.

L’injection de l’eau sous des pressions maximales inférieurs à 150 bar en tête de puits a généré une micro-sismicité importante [50] qui a permis de préciser la structure des réservoirs et l’étendue du système de failles, non observable par les techniques sismiques classiques. Cependant, l’amplitude de certains événements sismiques a souligné l’impact de l’injection de larges volumes d’eau dans les failles préexistantes : la stimulation hydraulique du puits GPK-2 en 2000 a produit 627 événements de magnitude supérieure à 1, dont 75 supérieurs à 1,8 ; 26 supérieurs à 2 avec un maximum à 2,6. De la même manière, la stimulation hydraulique du puits GPK-3 a produit 250 événements de magnitude supérieure à 1, 43 supérieurs à 1,8, le maximum à 2,9 étant survenu 2 jours après la fin de la stimulation. Celle du puits GPK-4 n’a induit que 17 événements supérieurs à 1, le maximum atteignant 2,6. Bien que ressentis en surface, ces événements n’ont pas engendré de dommages du fait des fréquences prédominantes élevées (90 Hz).

L’analyse de cette micro-sismicité [50][51] a montré que l’injection de grands volumes d’eau dans les grandes failles existantes, en les élargissant et en diminuant les contraintes préalables des failles, a déclenché leur glissement plus ou moins long, à des vitesses limitées par leur rugosité, en relation avec l’hétérogénéité du rapport des contraintes verticales sur les contraintes principales horizontales qui contrôle le glissement global des plans de fractures. L’évolution du nuage spatial des événements micro-sismiques dépend étroitement du taux d’injection d’eau.

Une étude internationale sur la micro-sismicité induite par l’EGS [52] fait l’inventaire des micro-séismes et de leurs caractéristiques survenus dans le monde et tente d’en analyser les grandes causes. L’injection de grands volumes d’eau semble en être une des causes les plus communes. Le séisme de 5,3 survenu en 1967 sur le site de Rocky Mountain Arsenal (Colorado, USA) est ainsi clairement relié aux quantités phénoménales d’eau injectées pendant quatre années à raison de 30 millions de litres par mois ! L’étude propose différents mécanismes communs possibles liés à l’injection d’eau : l’augmentation de la pression de liquide dans les porosités entraînant la diminution des tensions de cisaillement et facilitant les glissements de fissures ; la baisse de température due à l’injection d’eau froide entraînant une contraction des roches ; les changements de volumes des roches à l’injection et au soutirage d’eau ; les altérations chimiques des surfaces de fractures (mais cette dernière hypothèse ne semble pas confirmée par les stimulations chimiques pratiquées depuis). Le micro-séisme de magnitude 3,4 du 2 décembre 2006 à Bâle (Suisse) est survenu après injection de 12000 m3 d’eau sous 296 bar par rampes de 62,5 L/s et s’est traduit par une accélération locale de 0,05 g, suffisante pour causer des dommages aux bâtiments et stopper net les opérations et le projet lui-même ; l’analyse complète de l’événement [53] suggère un changement brusque et uniforme de l’état de contrainte de failles conjuguées de grandes surfaces parallèles aux contraintes principales horizontales, et non une rupture locale de cohésion de failles par augmentation de pression des pores.

Les tests des puits GPK-2-3-4 de Soultz-sous-Forêts après stimulation hydraulique ayant montré la bonne communication entre puits et des productivités-injectivités homogènes entre 0,2 et 0,4 L/(s.bar), il a été décidé d’accroître ces performances en pratiquant des stimulations chimiques par injection de solutions acides pour dissoudre les concrétions de carbonates et autres solides solubles remplissant encore les fissures. Conduites entre 2003 et 2007, elles ont permis d’accroître encore les productivités des puits GPK-2-3-4 d’un facteur 1,25 pour GPK-2 ; 1,15 pour GPK-3 et 2,5 pour GPK-4 [54].

Cette technique pratiquée depuis plus d’un siècle dans l’industrie pétrolière et depuis une trentaine d’années en géothermie varie selon la nature pétrographique des réservoirs visés ; pour les grès, on injecte généralement un mélange d’acide chlorhydrique HCl (dissolution des sécrétions calcaires, dolomites, calcites) et fluorhydrique HF (dissolution des argiles et silices) selon une procédure spécifiquement établie pour prévenir la précipitation solide de fluorine CaF: prébalayage à l’acide chlorhydrique seul, injection du mélange RMA (regular mud acid à 12 % HCl – 3 % HF), rinçage à l’eau ou par un mélange HCl, KCl, NH4Cl. Pour éviter la précipitation de produits d’attaque acide secondaires et tertiaires dans les grès alumino-silicatés par le RMA, on peut générer l’acide HF in situ dans le réservoir par différents composés ou additionner des agents chélatants des ions Fe, Ca, Mg, Al comme le NTA (acide nitrile triacétique) [55].

Une première stimulation acide en deux étapes (30 L/s d’HCl 0,09 % puis 0,18 %) a été opérée sur les puits GPK-2 et GPK-3 en 2003, avec pour effet immédiat une augmentation d’injectivité à 0,5 L/(s.bar). Le puits GPK-4 a été stimulé chimiquement par HCl 0,2 %, RMA puis NTA entre 2005 et 2006 jusqu’à une productivité de 0,3 L/(s.bar) ; l’injection de NTA dissous dans la soude a montré son efficacité pour nettoyer le puits des débris de forage et des dépôts hydrothermiques. Ces résultats ont largement confirmé les simulations numériques très précises basées sur les modèles de couplage thermique, hydraulique et chimique de circulation dans le réservoir fracturé [56], en particulier les phénomènes de dissolution-précipitation des carbonates (accroissement de 30  % de la porosité du réservoir au puits d’injection, accompagnée d’une diminution de 5  % au puits de production ; influence critique de la relation porosité-perméabilité).

En 2007 enfin, les puits GPK-3 et GPK-4 ont été traités par injection à 50 L/s de quelques centaines de m3 de mélanges acides chimiquement retardés pour hautes températures (OCA-HT à base d’acides citrique, fluorhydrique, borofluorique et de chlorure d’ammonium) pour dissoudre les dépôts solides résiduels et augmenter l’interconnectivité des trois puits, avec un succès très limité [55].

Ainsi, l’ensemble des tests scientifiques sur les trois puits de Soultz-sous-Forêts a montré qu’une combinaison de stimulations hydrauliques à pression modérées, sans arrêts brusques, et de stimulations chimiques ajustées permet de créer un système de production électrique par géothermie profonde en limitant les risques microsismiques à des amplitudes non sensibles à la surface.

Après vérification de leur bonne communication, le puits de soutirage GPK-2 (175 à 185°C) et de réinjection GPK-3 (70°C) fonctionnant en boucle fermée avec un débit de 35 L/s ont été reliés avec succès à une turbine à cycle de Rankine organique fonctionnant à l’isobutane à 13000 tr/min, connectée depuis 2008 à une génératrice asynchrone de puissance de 1,5 MWe tournant à 1500 tr/min [57][25].

Le projet prévoit de connecter les trois puits (voire les quatre) pour fournir 5 MWe pour une puissance thermique de 50 MWth (100 L/s à 185°C), le reliquat pouvant servir à un chauffage urbain en cogénération (CHP ou combined heat and power)

Il faut cependant savoir que seul le projet scientifique EGS de Groß Schönebeck [58] a pratiqué une forme de fracturation hydraulique particulière par injection cyclique d’eau et de sable sous très haute pression (500-684 bar pendant 4 h) dans le socle volcanique profond imperméable (4300 m, 150°C) pour élargir une fissure jusqu’à 200 m de longueur, 90 m de largeur et 17 mm d’épaisseur . L’intérêt de cette expérience était double : obtenir la mise en communication (réussie) avec les fissures déjà élargies par injection de gels à billes solides dans les grès situés juste au-dessus ; parvenir à contrôler la propagation et la longueur de la fissure du socle volcanique dans la direction de contrainte horizontale maximale pendant les phases de haut débit d’eau injectée, et son épaisseur finale pendant les phases de faible débit (opération parfaitement réussie). Un autre intérêt apparaît également à la lecture du rapport : la mesure in situ de la contrainte verticale et des contraintes horizontales principales minimale et maximale a permis de vérifier l’absence de tendance au glissement (confirmée par l’absence totale de microséisme pendant les deux forages expérimentaux instrumentés) et de guider l’un des forages dans la direction de plus faible contrainte principale, le second étant strictement vertical.

Il est par ailleurs intéressant de noter que la partie de ces deux forages située plus haut dans les couches gréseuses a fait l’objet de stimulations hydrauliques par injection de gels de soutènement (microbilles hautement résistantes sans enrobage puis enrobées de résine pour éviter la fermeture de la fissure ouverte sous pression de 370 bar), permettant de quintupler la perméabilité du grès [23]. Au total, 30 % de la circulation se fait dans le socle volcanique, le reste se faisant dans le grès au-dessus. Les deux puits devraient être connectés prochainement à une centrale de cogénération.

Une modélisation numérique récente de Berkeley [59] a montré qu’il pourrait être plus efficace de connecter le puits d’injection à des dizaines de micro-forages profonds permettant de drainer un volume de réservoir plus étendu et donc d’accroître l’extraction de chaleur (de 23 % sur le système de Soultz), de réduire le risque d’écoulement préférentiel et de diminution prématurée de température, et d’assurer une meilleure durabilité du projet. L’impact des failles sur l’efficacité d’échange thermique n’est en effet pas négligeable car elles peuvent court-circuiter thermiquement et hydrauliquement le réservoir en favorisant l’effet de canalisation préférentiel de l’écoulement entre puits, comme l’ont récemment montré les chercheurs de l’EOST (Ecole et Observatoire des Sciences de la Terre) et de l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg [60].

4. Des impacts environnementaux

très différents

Comme le paragraphe précédent le montre, la stimulation hydraulique et chimique EGS en géothermie profonde ne recourt qu’à des injections d’eau de courte durée sous pressions modérées (< 150 bar dans le granite à Soultz, 296 bar dans le granite à Bâle ; 370 bar dans le grès à Groß Schönebeck), éventuellement additionnée d’inhibiteurs de corrosion pour la stimulation hydraulique et de mélanges acido-basiques classiques pour la stimulation chimique, pendant des essais de courtes durées ; la fracturation hydraulique avec sable sous 684 bar dans les roches volcaniques profondes à Groß Schönebeck est un cas à part (étude scientifique limitée en roches volcaniques).

Les risques environnementaux des techniques EGS sont donc à peu près nuls, y compris les risques radioactifs : la radioactivité naturelle des saumures remontées à Soultz est de l’ordre de 20 à 30 Bq/kg en radium et radon, 50 en thorium 227 et 96 en potassium 40 ; celles de Bruchsal sont du même ordre de grandeur [61]. L’entartrage des échangeurs côté froid (injection) par dépôts de sulfates de baryum, strontium, radium est suivie par l’ASN ; bien que faible, il pourrait engendrer une irradiation externe (11 µSv/h au contact des échangeurs côté froid mesuré à Soultz ; la radioactivité naturelle en France est de l’ordre de 0,27 µSv/h) et doit par conséquent être pris en compte dans la radioprotection des employés. Il devrait cependant pouvoir être évité par injection d’inhibiteurs de dépôts (actuellement à l’étude), la saumure géothermale circulant en boucle fermée entre le puits de soutirage chaud et le puits d’injection froid. Par ailleurs, aucune accumulation de radionucléides par dépôt n’a été observée à Bruchsal.

En revanche, l’exploration et l’exploitation des gaz de schistes présente des impacts environnementaux réels et sérieux, bien documentés, qui ont donné lieu à d’intenses polémiques dans les médias et dans les revues scientifiques. Ces impacts sont liés d’une part à la technique de fracturation hydraulique SGF, d’autre part à l’exploitation des gaz de schiste eux-mêmes, et concernent tant la gestion des liquides de fracturation, la pollution des nappes phréatiques, la pollution de l’air par émissions de vapeurs et liquides toxiques que les émissions de méthane dans l’atmosphère.

4.1. La gestion de l’eau difficile et risquée de la fracturation hydraulique SGF

Comme nous l’avons vu plus haut (§ 4.1), la technique SGF nécessite d’injecter de très grandes quantités de liquides de fracturation à très hautes pressions pouvant atteindre 1000 atm [62]. L’exploitation des champs de gaz de schiste aux États-Unis depuis les années 80 permet un recul suffisant pour analyser statistiquement les problèmes posés par la gestion de l’eau dans les différents gisements nord-américains et d’extrapoler la situation dans les pays très densément peuplés du continent européen.

Il apparaît que les fracturations hydrauliques employées dans l’ensemble des réservoirs nord-américains consomment en moyenne entre 7500 et 38000 m3 d’eau par forage horizontal de gaz de schiste [63], prélevés localement ou plus couramment acheminés par camions et stockés sur place dans de grands réservoirs pour être injectés pendant plusieurs semaines (jusqu’à 30 fracturations par puits) sous forme d’une boue de fracturation contenant 90 à 95 % d’eau et un très grand nombre d’additifs chimiques dont la plupart sont connus comme cancérigènes, mutagènes, tératogènes, perturbateurs endocriniens, polluants atmosphériques divers [64], contrairement aux affirmations lénifiantes du rapport Lenoir et Bataille [10] : hydrocarbures aliphatiques et aromatiques polycycliques (benzène, naphtalène, toluène, xylène, etc.), éthers-glycols, pesticides, formaldéhyde, formamides, fluorocarbones, surfactants, etc.

La consommation d’eau cumulée des puits à raison de 0,25 puits par km² et 16 forages horizontaux par puits (un puits horizontal consomme 4 à 8 fois plus qu’un puits vertical) peut atteindre ainsi plus de 150000 m3 à fournir en quelques semaines, ce qui peut conduire à une concurrence problématique avec les usages domestiques, industriels et agricoles, particulièrement en cas de sécheresse, et à de sérieux problèmes environnementaux [63][65]. Ainsi la disponibilité en eau de surface dans les rivières principales du bassin de Susquehanna aux États-Unis s’avère insuffisante au regard du forage de centaines de puits par an, et la consommation d’eau prévisible dans le bassin de New York City, auquel s’oppose le gouverneur actuel, représenterait mille fois l’extension du stockage prévu pour maintenir la sécurité d’approvisionnement future de la ville, et jusqu’à 500 tonnes par jour d’additifs chimiques de fracturation [66].

30 à 70 % de la boue de fracturation (slurry) retourne à la surface pendant les opérations selon les réservoirs, accompagnée des saumures initialement présentes dans le réservoir de schiste fortement chargées en hydrocarbures aliphatiques et aromatiques liquides et gazeux (dont le méthane), en sels minéraux divers, en métaux lourds (baryum, plomb, arsenic, etc.) et en radionucléides (voir plus loin).

Actuellement, ces boues de remontée de forage (mud) et de fracturation hydraulique sont stockées sur place, et l’essentiel est réinjecté dans des puits d’enfouissement en couches profondes situées loin des puits de forage de schiste avec tous les risques sismiques qu’induisent ces injections massives, le reste étant rarement retraité et filtré (selon les puits et les industriels, car le coût est très élevé) pour être relargué dans les rivières à proximité ; des études sont en cours d’expérimentation en Pennsylvanie pour réutiliser une partie des eaux de remontée (reuse) pour les fracturations hydrauliques suivantes.

La consommation de surface, les déboisements, les circulations permanentes de poids lourds pour alimenter en eau, en sable (voir plus loin), en produits chimiques plus ou moins dangereux, ou pour évacuer les eaux contaminées ; les installations de stockage des boues de fracturation et des eaux usées (waste water) constitue la marque et le revers de l’exploitation des gaz de schistes, avec son mitage (fragmentation) caractéristique des paysages dans les grands réservoirs nord-américains en cours d’exploitation depuis deux à trois décennies : on a ainsi pu compter jusqu’à 3,5 puits par km², chaque puits occupant en moyenne 2,8 ha et requérant de 900 à 1300 voyages de poids-lourds (jusqu’à 6600 pour les puits horizontaux multiples), générant des dommages importants aux accès routiers [66][67].

4.2. Une pollution de l’air et des nappes phréatiques avérée liée aux forages de gaz de schiste

Les études indépendantes effectuées aux États-Unis révèlent l’ampleur des pollutions directes dans l’air et de l’eau liées aux forages et fracturations hydrauliques, à tel point que l’étude du Queens College de l’Université de New York se conclut par une demande d’interdiction de tout forage de gaz de schiste dans tout le périmètre du bassin aquifère de New York et de toutes les grandes villes, à une augmentation du nombre d’inspecteurs de protection de l’environnement, un recyclage obligatoire d’au moins 90 % des boues de gaz de schiste et une interdiction de la ventilation et du brûlage des gaz de puits [66].

Le stockage in-situ dans des grands réservoirs de toutes les boues de forage, de fracturation et de remontée émet en effet des quantités importantes de substances chimiques volatiles toxiques ainsi que pollutions induites secondaires (ozone, etc.), dont les effets sur la santé ont été largement démontrés dans le Colorado, au Texas et au Wyoming : irritations oculaires, maux de tête, symptômes asthmatiques, leucémies enfantines aiguës, myélomes, cancers, etc. Il faut savoir qu’à la suite des travaux de recherche les plus récents, les expositions prolongées aux très faibles doses de mélanges de substances toxiques sont aujourd’hui considérées comme potentiellement plus dangereuses pour la santé humaine et animale que les expositions plus courtes à des concentrations plus élevées [67].

Une étude récente très détaillée de l’Université du Colorado [68] en donne une revue exhaustive ; elle reprend toutes les données collectées dans le comté de Garfield entre février 2008 et novembre 2010, ainsi que les mesures de pollution aérienne en cours pour déterminer les indices de risques de cancer et de maladies chroniques et sous-chroniques dans la population en fonction de la distance aux puits de gaz de schiste, en utilisant la méthodologie standard de l’EPA (agence de protection de l’environnement des États-Unis).

Il en ressort que les personnes résidant à moins de 0,5 mile (805 m) ont effectivement plus de risques de cancer (1,7 fois) et de maladies chroniques (2,5 fois) et subchroniques (25 fois) que les autres.

Une autre atteinte à l’environnement est liée à la dégradation de la qualité des eaux de surface (cours d’eau), du fait des fuites lors des opérations de forage, de fracturation, de transports de boues d’une part ; et de la contamination des nappes phréatiques par les boues de fracturation du fait des fuites de puits et des probables migrations des gaz (et dans une moindre mesure des liquides) depuis les couches de schiste profondes le long de failles existantes ou de fractures créées par SGF.

Une équipe de chercheurs de l’Université du Maryland s’est penchée sur ces points très débattus et contestés par les pétroliers et ont réalisé une étude statistique de large échelle sur l’effet des gaz de schiste sur la qualité de l’eau dans le réservoir de Marcellus qui recouvre la Pennsylvanie, l’État et la ville de New York [69]. Par régression, ils ont pu établir les impacts mesurables des activités liées aux gaz de schiste sur les puits d’eau potable, en particulier un accroissement de la concentration des ions chlorures de 10-11 % par unité de densité d’installations de traitement des boues, et une augmentation de 5 % de concentration des solides en suspension par unité de densité de puits de schiste. Les chlorures proviennent des grandes quantités de saumures remontées avec les boues de fracturation et rejetées dans l’environnement autour de installations de traitement, tandis que les solides en suspension présents dans les boues de forage, de fracturation et de remontées des réservoirs à des concentrations très élevées (800 à 300000 mg/L) pourraient provenir directement des puits eux-mêmes en fonctionnement.

4.3. Des fuites de méthane problématiques dans les puits de gaz de schiste

Les preuves de possibles phénomènes de migration des gaz et liquides depuis les couches de schistes jusqu’aux nappes phréatiques semblent s’accumuler aux États-Unis et doivent être examinées en détail, avec en arrière plan, la question essentielle des rejets de méthane, puissant gaz à effet de serre, qui pourrait remettre en cause l’intérêt-même des gaz de schiste comme substitut vertueux au charbon dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Les premiers soupçons sont apparus quand une équipe de Duke University à Durham (Caroline du Nord, U.S.A.) a établi la présence de méthane dans l’eau potable en concentration croissant avec la proximité des puits de gaz de schiste, jusqu’à des valeurs très élevées de 64 mgCH4/L potentiellement explosives [70], bien montrée dans le film célèbre Gasland de Josh Fox (2010). Cette étude très sérieuse et documentée portant sur 68 puits d’eau de particuliers dans le nord-est de la Pennsylvanie et de l’État de New York met en outre en évidence l’origine thermogénique du méthane retrouvé dans l’eau courante près des puits de gaz – c’est à dire sa provenance des réservoirs de schiste profond, et non d’une éventuelle formation en surface par origine biogénique (fermentation anaérobie) – grâce au marquage isotopique en carbone 13, deutérium autres isotopes : l’écart isotopique standard δ13C [71], de l’ordre de -37 près des puits de gaz – signe une provenance thermogénique profonde – alors que ses valeurs dans les régions loin des puits de gaz comprises entre -50 et -75 sont caractéristiques d’une origine biogénique en surface. Parmi les mécanismes possibles expliquant ces concentrations élevées de méthane provenant des schistes, les auteurs privilégient la migration du méthane à travers les fractures existantes élargies ou créées par la fracturation hydraulique dans les schistes, évoquant le système de fractures étendues dans ces réservoirs et le réseau de fractures secondaires dans les aquifères supérieurs, reliés par des failles majeures par lesquelles le méthane de schiste pourrait fuir sous l’effet des très fortes surpressions pendant la fracturation depuis de nombreuses années.

Bien que contestés par une autre équipe de la même Université (!) dans une courte lettre dans les PNAS [72], critiquant la non-randomisation des données et proposant les fuites de puits mal cimentés et des fuites naturelles comme source possible de la présence de méthane dans l’eau potable, la méthodologie et les hypothèses de l’étude sont confirmées par les auteurs dans une réponse assez convaincante [73], utilisant un des travaux référencés dans [72] comme preuve à l’appui. D’autres contestations beaucoup plus arbitraires [74] entraînent une réponse tout aussi argumentée des auteurs [75].

Ceux-ci produisent par la suite deux autres études qui permettent d’approfondir la connaissance de ces mécanismes et de confirmer non seulement l’origine profonde du méthane mais son probable passage à travers des failles naturelles élargies ou créées par la fracturation hydraulique plutôt que par les fuites de puits.

La première [76], non contestée à ce jour, met clairement en évidence des chemins de communication naturelle entre les réservoirs de schistes profonds et les nappes phréatiques supérieures à partir des mesures des rapports isotopiques de plusieurs éléments chimiques (87Sr/86Sr, 2H/1H, 18O/16O, 228Ra/226Ra) et de salinité en chlorures effectuées dans 426 échantillons d’aquifères supérieurs et de 83 échantillons de saumures de schistes des Appalaches du Nord, loin des puits de gaz de schiste. Ils concluent que « ces zones pourraient présenter de grands risques de contamination par le développement des gaz de schiste du fait d’un réseau préexistant de chemins de passage transformationnels qui a augmenté la connectivité hydraulique aux formations géologiques plus profondes ».

Dans la seconde étude toute récente du mois de juillet 2013 [77], conduite sur 141 puits d’eau dans le plateau des Appalaches, ils confirment statistiquement l’augmentation de concentration de méthane, mais aussi d’éthane et de propane (gaz non biogéniques) à moins d’1 km des puits de gaz de schiste dans des rapports élevées (6 fois pour le méthane, 23 fois pour l’éthane, 10 fois pour le propane) et apportent des preuves encore plus solides de l’origine thermogénique dans les réservoirs de schiste de ces gaz par leurs écarts isotopiques en carbone 13 et deutérium, les rapports d’hydrocarbures CH4/C2H6 et CH4/C3H8 et les rapports 4He/CH4. Ces résultats tendent à confirmer l’hypothèse d’une fuite, non par les puits mal cimentés ou fissurés, mais par les réseaux de failles reliant les aquifères supérieurs aux couches de schistes, déjà étudiés par d’autres travaux antérieurs [78][79].

En outre, l’évaluation des fuites importantes de méthane dans l’industrie des gaz de schiste a été fortement révisée à la hausse dès 2010 par l’EPA (agence de protection de l’environnement des États-Unis) qui les a estimées à 2,4 % de la production totale de méthane aux États-Unis [80], doublant ainsi leur propre estimation précédente.

Ces estimations ont été revues à la hausse par l’équipe de Howarth de l’Université de Cornell qui a évalué la totalité des fuites de méthane de schiste dans une fourchette de 3,6 à 7,9 %, contre 1,7 à 6,0 % pour le gaz conventionnel [81]. Dans cette étude, les auteurs montrent que les fuites se produisent principalement pendant la fracturation et le perçage des bouchons de puits. Ils calculent l’effet de serre résultant de ces fuites et montrent que sur l’ensemble du cycle de vie, l’empreinte de l’exploitation des gaz de schiste sur le réchauffement climatique serait 20 % plus élevée que celle du charbon sur 20 ans et comparable sur 100 ans.

Il faut savoir en effet que le méthane est un gaz à effet de serre plus puissant que le dioxyde de carbone lui-même du fait de ses propres modes d’absorption infrarouge (vibration-rotation des liaisons C-H) et de son interaction physico-chimique avec la vapeur atmosphérique et l’ozone. Le GIEC, dans son dernier rapport [82] a évalué son pouvoir de réchauffement global (PRG ou GWP en anglais) à 72 fois celui du CO2 sur 20 ans et 25 sur 100 ans, du fait de la durée de vie plus courte du méthane dans l’atmosphère oxydé en CO2 avec une constante de temps de 12 ans . L’amélioration des calculs de forçage radiatif en tenant compte des interactions du méthane avec les aérosols, récemment publiée par la NASA avec l’Université de Columbia [83], conduit à une valeur plus élevée du PRG (GWP) du méthane estimé à 105 sur 20 ans et 33 sur 100 ans, chiffres utilisés par l’équipe de Cornell [81].

Une autre équipe de Cornell cependant conteste leur calcul [84] et conclut que l’empreinte des gaz de schiste se situe entre la moitié et le tiers seulement de celle du charbon, mais elle ne retient que la valeur à 100 ans et ne tient pas compte des utilisations du gaz aux États-Unis (30 % seulement du gaz est utilisé pour la production électrique dans les centrales à gaz), ce que ne manque pas de leur rappeler l’équipe de Howarth dans leur réponse approfondie [85].

Les estimations statistiques de Howarth et al. sont largement confirmées par une nouvelle étude expérimentale menée par l’équipe de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) dirigée par Gabrielle Pétron de l’université de Boulder (Colorado) [86] qui mesure entre 2,3 à 7,7 % de fuites de méthane de schiste pendant le forage et la production et dans le brûlage des émissions d’alcanes par les cuves de stockage dans le nord-est du Colorado. Les auteurs précisent par ailleurs que ces estimations sont certainement sous-estimées car elles ne tiennent pas compte des fuites supplémentaires dans les transports (conduites, camions) du gaz et sa conversion (liquéfaction, combustion, centrales) dans tout son cycle de vie. Contestée dans la même revue par un chercheur pour leurs hypothèses de composition des gaz ventilés [87], l’équipe maintient ses calculs en se basant sur la qualité élevée des mesures effectuées et présente de nouvelles précisions sur les estimations d’émissions par brûlage [88].

Des chercheurs du MIT de leur côté [89] évaluent les fuites totales de méthane de gaz de schiste à 3,6 % des émissions totales de méthane de schiste aux États-Unis à partir des données de 4000 puits horizontaux forés en 2010 et considèrent qu’elles ne sont pas dues à la fracturation proprement dite mais à la ventilation des puits pendant les opérations avant raccordement, et pourraient être largement diminuée d’un facteur 4,5 par brûlage. Cependant, comme le souligne J. Tollefson dans [90], « la capture et le stockage des gaz qui sont ventilés pendant le précédé de fracturation est possible, mais l’industrie dit que ces mesures sont trop coûteuses pour être adoptées ».

Tandis que des chercheurs de l’Université Carnegie Mellon de Pittsburgh évaluent les fuites de gaz de schiste par puits à 5500 t d’équivalent CO2 dans le réservoir de Marcellus (soit 11 % de plus de gaz à effet de serre que pour le gaz conventionnel) et estime l’ensemble des émissions de gaz de schiste de 20 à 50 % plus faible que celles du charbon pour la production électrique [91], Alvarez et al. de la Fondation de défense de l’environnement, des Universités de Princeton et de Duke, de l’Institut de Technologie de Rochester [92] utilisent une méthode précise d’intégration de l’effet de serre des gaz sur toute leur vie et montrent que le remplacement de l’essence ou du diesel par le gaz de schiste pour les véhicules serait contre-productive et provoquerait un forçage radiatif supérieur pendant 80 et 280 ans respectivement en adoptant un taux de fuite modéré de 3,0 % ; le remplacement du charbon par le gaz de schiste pour la production électrique serait immédiatement positif sur le forçage radiatif tant que le taux de fuite reste inférieur à 3,2 % avec des centrales modernes, mais deviendrait négatif au-dessus et le bénéfice ne pourrait pas survenir avant plusieurs décennies, voire jamais selon le taux de fuite des gaz de schiste, la durée de vie des centrales et leur rythme de remplacement.

Cette étude est par ailleurs confirmée par Benjamin Dessus dans son étude récente des Cahiers de Global Chance [93] qui prévoit que « si les fuites de méthane totales atteignent 5 % les cycles combinés à gaz naturel ne présentent plus aucun avantage d’émission de GES par rapport à des centrales classiques ».

4.4. Un risque radioactif élevé dans les exploitations de gaz de schiste

Les couches de schistes et de charbon sont connues pour être fortement radioactives, et la combustion du charbon est effectivement une source importante d’émissions radioactives. C’est donc sans surprise que l’on mesure une radioactivité importante dans les boues de remontées des forages de gaz de schiste. Un article récent du Département de protection de l’environnement de New York [94] relate des mesures de radioactivité α, β et γ entre 538 à 4551 Bq/L dans trois échantillons, avec des concentrations de radium 226 (émetteur alpha) entre 91 et 593 Bq/L ; il considère que la manipulation et l’entreposage des boues de production des puits radioactives pose à l’évidence un problème de santé public et que « il serait nécessaire que des précautions soient prises pendant les opérations », en particulier dans les usines de traitement des boues où les personnels devraient être équipés de dosimètres et les filtres envoyés dans les centres de déchets nucléaires. En comparaison, les limites de concentration états-uniennes en radium 226 dans les rejets d’effluents aqueux et dans les eaux potables sont de 2,22 Bq/L et 0,56 Bq/L.

4.5. Une consommation de sable ahurissante lors de la fracturation SGF

L’explosion de la production de gaz de schiste aux États-Unis s’est accompagnée d’un accroissement considérable de la quantité de sable utilisé comme agent de soutènement dans les boues de fracturation pour maintenir ouvertes les fractures réalisées sous haute pression ; évaluée à 7 millions de tonnes en 2009, elle a atteint 28 millions de tonnes en 2011, ce qui pose un problème évident d’approvisionnement en sable non seulement aux États-Unis mais dans le monde et aggravera la pression sur ce matériau naturel dans les décennies à venir si les gaz de schiste viennent à se développer [93].

5. Transition énergétique : les gaz de schiste sont-ils nécessaires, inutiles ou néfastes ?

Au vu des résultats présentés ci-dessus, il apparaît donc qu’une exploitation des gaz de schiste propre et écologique évoquée par Arnaud Montebourg et l’OPECST relève davantage du vœu pieux ou de la position de principe idéologique que de la réalité ou même d’une quelconque tendance réaliste. L’accumulation des problèmes écologiques, la course aux forages, les risques de spéculation financière jettent une première ombre sur les vertus innombrables et irrésistibles dont certains voudraient affubler cette industrie.

En eux-mêmes, les problèmes écologiques très importants posés par l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste semblent d’une acuité et d’une gravité tels qu’un moratoire devrait être imposé immédiatement en France et dans toute l’Europe.

Par ailleurs, l’impact des fuites de gaz de schiste sur le réchauffement climatique semble constituer davantage un problème qu’une réponse dans la transition énergétique que le monde doit amorcer dès maintenant, tant le bilan des gaz de schiste sur les émissions de gaz à effet de serre est serré, voire négatif, même face au charbon.

Dès lors, le risque est grand que les investissements gigantesques engloutis dans un hypothétique développement des gaz de schiste en France et en Europe n’obèrent lourdement les investissements indispensables, massifs et urgents que nos pays doivent consacrer dès aujourd’hui aux énergies renouvelables, aux économies d’énergies, à l’efficacité énergétique, aux transports collectifs, au stockage de la chaleur et de l’électricité, au développement des réseaux électriques, de chaleur et de gaz intelligents, et aux différentes technologies prometteuses de cogénération/stockage parmi lesquelles la géothermie profonde EGS présente de nombreux atouts.

Encore une fois, les lobbies pétroliers poussent leurs pions et manipulent des élus incompétents et des populations sujettes au chômage pour récupérer la manne publique et spéculer dans les forages de gaz de schiste et, il faut le savoir, dans des forages d’enfouissement du CO2 totalement inutiles et coûteux. En faisant miroiter un bilan énergétique prétendument positif des gaz de schiste, ils parviennent même à rallier à leurs intérêts des responsables d’agences comme l’IRENA (agence internationale des énergies renouvelables) dont le directeur général Adnan Amin va jusqu’à déclarer que « à bas coût, le gas de schiste peut contribuer à créer un système hybride » et à affirmer sans fard que « l’attention portée aux émissions de carbone va croissant. Le gaz, qui est bien plus propre [que le charbon], constituera donc le carburant privilégié, à ces coûts, pour la production d’énergie » [95]. Quant à Cédric Philibert, ancien journaliste et conseiller actuel de l’ADEME international, pourtant a priori peu suspect de sympathies pour les lobbies pétroliers ou nucléaires, il n’hésite pas à prétendre que « la solution est donc de taxer le carbone du gaz de schiste » et que « cette problématique [de l’impact négatif des gaz de schiste sur l’effet de serre] n’existe pas si on envisage une substitution des énergies fossiles par des gaz et huiles de schiste, et non une addition », prétendant même que « le gaz de schiste est plutôt un atout pour diminuer les émissions de CO2 : en substituant le charbon par ce gaz domestique, les États-Unis ont réduit globalement leurs émissions autant que l’Europe » et friser le ridicule en affirmant à propos des rejets de boues de fracturation de gaz de schiste : « il n’y a là rien de très différent des traitements usuels dans les stations d’épuration » [94]! M. Philibert a-t-il lu les très nombreux documents produits par les scientifiques américains indépendants et les rapports pourtant très officiels des agences américaines dont j’ai tenté de donner un aperçu dans les pages précédentes ?

Non seulement l’exploitation des gaz de schiste n’aidera pas à la transition énergétique vers une société débarrassée du nucléaire et des énergies fossiles sans peser sur le réchauffement climatique, mais elle risque fort d’aggraver celui-ci, de générer des dommages écologiques irréversibles et de freiner dramatiquement l’essor des énergies renouvelables et la mise en place d’une politique vertueuse et efficace de planification énergétique vers un monde soutenable. C’est une illusion d’y croire et ce serait une grave erreur de le permettre.

Août 2013

Références bibliographiques

[1] http://www.legazdeschiste.fr/debat-et-reglementation/15042013,l-interdiction-de-la-fracturation-hydraulique-est-elle-anticonstitutionnelle-,583.html

[2] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024361355&dateTexte=&categorieLien=id %C3 %98

[3] http://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-fracturation-hydraulique-recours-qpc-conseil-etat-18276.php4

[4] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/decisions/2013346qpc/2013346qpc_CE.pdf

[5] Appel des PDG des 98 des plus importantes sociétés françaises, Journal Du Dimanche, 28 octobre 2012.

On y lit notamment, dans la rubrique Environnement-Energie : « 1) Il faut se donner les moyens d’explorer et d’exploiter nos ressources nationales comme les gaz de schiste. 2) Rester pragmatique dans la mise en œuvre de la transition énergétique, qu’il s’agisse de réduire nos émissions de CO2 ou notre exposition à la production d’électricité d’origine nucléaire. »

http://www.lejdd.fr/Economie/Actualite/Exclusif-JDD-L-appel-des-PDG-des-98-plus-importantes-societes-francaises-571884

[6] Le Monde, 17 mai 2013, entretien avec Jean-Louis Shilansky, président de l’Union des Industries Pétrolières « La France doit-elle autoriser l’exploitation des gaz de schiste ? » dans lequel il assène : « Si on exploitait les gaz de schiste en France, cela permettrait en tout cas d’améliorer notre balance commerciale et de créer des dizaines de milliers d’emplois. Combien exactement, c’est difficile à dire tant qu’on ne connaît pas précisément la ressource » (on appréciera la contradiction), et « Aussi, il faut commencer par autoriser l’exploration en France. En théorie, cela peut se faire d’abord sans fracturation hydraulique. (…) De toute façon, pour pouvoir tester la commercialité et l’importance des réserves, il faudra fracturer ».

[7] Le Monde, 15 juin 2013, entretien avec «  Anonio Tajani : L’euro est trop fort pour notre industrie » au cours duquel il affirme : « Il faut, pour permettre une baisse des prix, réaliser le marché unique de l’énergie. Nous devons également réfléchir à l’exploitation du gaz de schiste, l’utilisation de cette énergie ayant permis aux Américains de réduire les coûts de production et de nouer des accords commerciaux avec d’autres pays, comme la Turquie. Je n’ai pas d’avis, je ne suis ni pour ni contre . En revanche, avant de prendre une décision, je suis favorable au lancement d’études et sondages pour évaluer les conséquences écologiques ».

[8] Le Monde, 17 février 2012, entretien avec G. Mestrallet « Privilégier les énergies renouvelables pénaliserait notre compétitivité » dans lequel il dit qu’ « il ne faut négliger aucune ressource. (Question de J-M. Bezat : Comme les gaz de schiste?) Oui. Il faut donner le temps à la science et aux techniques de progresser. Et, pour qu’il n’y ait aucune contestation, que l’État, et lui seul, fixe le cadre technique de l’extraction de ces gaz. Mais il faudra rouvrir ce doissier ».

[9] Compte-rendu de la Commission des affaires économiques n°100, 9 juillet 2013, 18h30.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-eco/12-13/c1213100.asp#P5_178

On lira en particulier notamment les propos d’Arnaud Montebourg suivants : « Nous devons parvenir à régler le problème de la pollution des sous-sols, laquelle est scandaleuse aux États-Unis de l’avis même d’élus américains et d’organisations non gouvernementales, et à capter la rente que représenterait l’exploitation des gaz de schiste pour notre économie en l’affectant, pour la main droite, à l’industrie française dont la compétitivité a besoin d’être renforcée et, pour la main gauche, au financement des énergies renouvelables que nous aurons du mal à financer avec l’ampleur que nous appelons tous de nos vœux. Pour ce faire, nous avons besoin selon moi – c’est un point de vue personnel qui n’engage pas le Gouvernement, je propose simplement une idée, comme les ministres peuvent le faire – d’une compagnie publique nationale exploitant les gaz de schiste, captant la rente, la partageant avec les territoires, permettant d’affecter les industries au plus près, contribuant à faire baisser le coût de l’énergie et, donc, assurant le financement de la mutation énergétique dans notre pays en nous libérant notamment des hydrocarbures.

Sur le plan des principes, l’utilisation du gaz et donc l’extraction supplémentaire d’hydrocarbures est-elle problématique ? Puisque nous les importons, autant les exploiter, ce sera toujours cela de gagner ! J’ai noté que tous les scénarios d’alternative au nucléaire préconisent l’augmentation de l’usage du gaz car, de toutes les énergies thermiques, elle est la moins productrice de CO2.

La résolution de l’ensemble de ces problèmes nous permettrait sans doute de sortir de notre difficile équation énergétique dont les termes sont : nucléaire, énergies renouvelables
– que les Allemands et les Espagnols ont le plus grand mal à financer –, refus des gaz de schiste. Il faut desserrer l’étau, réfléchir à tout cela de façon apaisée, dépassionnée et en veillant à respecter l’environnement car la pollution des sous-sols constitue un vrai problème. La difficulté, en effet, n’est pas tant « fracturation hydraulique ou non » que « pollution ou non », « contrôle des usages ou pas ». Si nous disposons d’une compagnie nationale travaillant sous le contrôle du Parlement et du Gouvernement, nous aurons de meilleures chances que si nous confions cette activité à l’industrie pétrolière, comme aux Etats-Unis. Voilà la position du redressement productif sur ce sujet ! Je peux me tromper, je suis prêt à en parler mais cela mérite selon moi un débat à tête reposée dans le respect des opinions des uns et des autres, avec tous ceux qui forment l’opinion du pays et vous en faites éminemment partie
 ». On notera également que le ministre ramène le débat aux écologistes seuls : «  Pourquoi ne parviendrais-je pas à convaincre les écologistes ? La position que je défends sur l’exploration des gaz de schiste est raisonnable et je suis persuadé que, très bientôt, les nouvelles technologies permettront d’extraire ces gaz-là de manière écologique, sans pollution aucune. Si nous y parvenons, nous gagnerons et la France sera à l’avant-garde sur un plan mondial. Pourquoi ne pourrait-on pas convaincre des écologistes raisonnables ? Ils le sont d’ailleurs majoritairement… Ils le sont tous ! ». Les atteintes à l’environnement et les problèmes écologiques ne concerneraient-ils que les écologistes encartés non l’ensemble des partis politiques et des français ? Cette vision surannée opposant écologie et économie a-t-elle encore cours au PS ?

http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-eco/12-13/c1213100.asp#P5_178

[10] Rapport d’étape sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, J-C. Lenoir et C.Bataille, OPECST, 5 juin 2013.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-oecst/rapport_detape_fracturation_hydraulique2013_06.pdf

On y lira que, contrairement à leur cahier des charges portant sur les alternatives à la fracturation hydraulique, les rapporteurs n’hésitent pas à plaider pour cette technique en minimisant tous ses impacts (toxicité des produits, fuites des puits, consommation d’eau) et en avançant des contre-vérités (« les produits indispensables au procédé de fracturation sont tous non toxiques.(…) Les autres produits – biocides, surfactant, acides, inhibiteurs de corrosion et de dépôt – ne sont pas indispensables. (…) Aucun apport d’eau n’est nécessaire pendant la période de production (environ 10 ans) ») ; à passer sous silence les publications dérangeantes sur les atteintes à l’environnement aux États-Unis, et à biaiser les données en France (« La technique de la fracturation hydraulique a été utilisée de façon répétée en France au cours des dernières décennies, sans qu’aucun dommage n’ait été signalé. Elle aurait été utilisée à au moins 45 reprises. »), les opérations en question n’ayant jamais concerné que du pétrole sans recours à la technique de fracking spécifique au gaz de schiste.

On lira à ce sujet l’article de Audrey Garric dans Le Monde du 8 juin 2013, accessible ici :

http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/08/gaz-de-schiste-des-fracturations-hydrauliques-ont-elles-eu-lieu-en-france_3426081_3244.html

[11] ibidem, page 43 : « La fracturation hydraulique est utilisée en géothermie. Le principe général est le même que pour l’exploitation d’hydrocarbures. Il s’agit d’augmenter la perméabilité de la roche en la fissurant pour faire circuler l’eau nécessaire à la mise en place de la boucle géothermale ». On voit là encore les méthodes utilisées par C. Bataille et J-C. Lenoir pour conforter leurs choix idéologiques productivistes : affirmations grossières, confusions de vocabulaire scientifique, partialité, occultation de données.

[12] Gaz et huile de schiste, gaz de houille et géothermie de grande profondeur par fracturation hydro-chimique MÊME COMBAT (article confus et non signé sur le site de Vigilance Périgord) :

http://www.vigilance-perigord.net/cariboost_files/GDS_20_26_20g_C3_A9othermie_20profonde_2C_20m_C3_AAme_20combat_20Robert_20PILLI.pdf

On peut y lire des arguments particulièrement confus sur le plan scientifique, à la limite de la paranoïa complotiste : « Un nouveau permis de géothermie profonde en val de Drôme vient d’être attribué à la Sté Fonroche ! Ce qui est curieux c’est que ce nouveau permis recoupe partiellement deux zones de permis de gaz de schiste précédemment abrogés et rejetés !? A vérifier pour les autres demandes en cours qui fleurissent subitement sur de nombreux territoires !? Permis signé Montebourg évidement et lorsqu’on regarde de plus près les documents fournis par le pétitionnaire pas avare d’explications, on constate qu’ils veulent forer jusqu’au socle à -5000 et en puits déviés !? Cela signifie en clair qu’ils vont traverser toutes les couches sédimentaires qui intéressaient à l’origine des foreurs gaziers sur ces mêmes champs d’exploration !! cerise sur le gâteau la Sté pas avare d’explications dans sa notice de présentation, précise clairement qu’elle ne sait rien de structure géologique, ni de la porosité de la roche (grès) dans laquelle devrait circuler le fluide géothermique !! (…) Ne serait ce pas là une idée machiavélique de préparer une exploration sous couvert d’une recherche noble d’une ressource énergétique « PROPRE et PERENNE » qui dans l’inconscient des citoyens est plus acceptable que les hydrocarbure !? De plus si nous nous oposons de front à cette exploration, il leur sera facile ( pétroliers, experts et élus associés ) de nous traiter de terroristes et ils ne s’en priveront pas !! Il faut donc dès maintenant lever le voile sur les conséquences d’une solution ayant les mêmes causes et les mêmes effets que tous autres forages profond sans aucune possibilité de contenir, réparer, contrôler et même vraisemblablement de s’en apercevoir, d’un quelconque dégât à ces profondeurs ( on rappelle que la T° comprise entre 200 et 350°C à ces profondeurs et que la pression énorme en font un réacteur chimique d’une puissance phénoménale) » (sic!) « Nous nous opposons donc à cette technologie aussi dangereuse à terme que les forages d’hydrocarbures (…) ».

Pour information, la société française Fonroche, basée à Agen, a pour vocation le développement des énergies renouvelables (principalement solaire et biogaz) et veut développer la géothermie profonde en France. Elle a investi 2,5 millions d’euros dans ses travaux de recherche menés par son équipe d’une quinzaine d’ingénieurs de Fonroche-Géothermie basée à Pau, en synergie avec l’Université de Pau, les Mines Paristech, l’Ensegid de Bordeaux et le BRGM ; 27 millions d’euros dans son propre appareil de forage pour éviter la fracturation hydaulique ; 82 millions d’euros dans le projet Fongéosec de production d’électricité géothermique à Pau ; et promet d’investir 400 millions d’euros dans la géothermie dans les prochaines années [Les Echos, n° 21199, 6 juin 2012].

On ne peut que se féliciter de ce retour de la France dans la géothermie.

Fort heureusement, d’autres associations effectuent un travail d’information plus rigoureux, à l’instar de Gaz de schiste Provence :

http://gazdeschistesprovence.wordpress.com/2013/06/04/fracturation-hydraulique-geothermie-et-exploitation-petroliere-ne-sont-pas-comparables/

ou de Stop-gaz :

http://www.stop-gaz.fr/dossiers/geologie-techniques/121-fracturation-en-geothermie-profonde

[13] 100 years of geothermal power production, J.W. Lund, GHC Bulletin (2004) 11-19.

[14] Direct utilization of geothermal energy 2010 worldwide review, Geothermics 40 (2010) 159-240.

[15] Geothermal power generation in Italy2005-2009 update report, Cappetti et al., Proceedings of the World Geothermal Congress 2010, Bali, Indonesia, 25-29 April 2010.

[16] France – Country update, F. Boissier, A. Desplan, P. Laplaige, Proceedings of the World Geothermal Congress 2010, Bali, Indonesia, 25-29 April 2010.

[17] Geothermal power generation in the world 2005-2010 update report, R. Bertrani, Geothermics 41 (2012) 1-29.

[18] Sustainable geothermal utilisation – Case histories ; definitions ; research issues and modelling, G. Axelsson, Geothermics 39 (2010) 283-291.

[19] Géologie de la matière organique, F. Baudin, N. Tribovillard, J. Trichet (2007), Vuibert.

[20] Porosity and permeability of Eastern Devonian gas shale, D.J. Soeder, Society of Petroleum Engineers, Ins. Gas Technology, SPE Formation Evaluation (1988) 116-124.

[21] Caractérisation et modélisation des écoulements fluides en milieu fissuré. Relation avec les altérations hydrothermales et quantification des paléocontraintes, J. Sausse, thèse de l’Université Poincarré, Nancy, 20 octobre 1998.

[22] Influence of water-rock interactions on fracture permeability of the deep reservoir at Soultz-sous-Forêts, France, L. André, V. Rabemanana, F.D. Vuataz, Geothermics 35 (2006) 507-531.

[23] Hydraulic stimulation of a deep sandstone reservoir to develop an Enhanced Geothermal System : Laboratory and field experiments, G. Zimmermann, A. Reinicke, Geothermics 39 (2010) 70-77.

[24] Proper evaluation or shale gaz reservoirs leads to a more effective hydraulic-fracture stimulation, D. Kundert, M. Mullen, 2009 SPE Rocky Mountain Petroleum Technology Conference, Denver, CO, SPE 123586.

[25] Contribution of the exploration of deep crystalline fractured reservoir of Soultz to the knowledge of enhanced geothermal systems (EGS), A. Genter, K. Evans, N. Cuenot, D. Fritsch, B. Sanjuan, Comptes Rendus Geoscience 342 (2010) 502-516.

[26] http://www.lgb-rlp.de/1621.html

[27] Source : Drill Info Desktop/HPDI current through May, 2012 (cité dans Drill Baby Drill. Can unconventional fuels usher in a new era of abundance ? J.D. Hughes, Post Carbon Institute, feb 2013).

[28] Reservoir engineering for unconventional gas reservoirs : what do we have to consider ?, C.R. Clarkson, J.L. Jenson, SPE 145080 (2011).

[29] 2010 Institutional Investor and Analyst Meeting, Chesapeake Energy, Oklahoma City, October 13, 2010.

[30] A review of regional and global ressources estimates of unconventional gas, C. McGlade, J. Speirs, S. Sorrell, UK Energy Research Center (2012)

[31] Hybrid rate-decline models for the analysis of production performance in unconventional reservoirs, D. Ilk, S.M. Currie, D. Symmons, J.A. Rushing, T.A. Blasingame, SPE 135616 (2010).

[32] Source : US Energy Information Administration.

http://www.eia.gov/dnav/ng/ng_prod_shalegas_s1_a.htm

[33] Le mirage du gaz de schiste, Thomas Porcher, ISBN : 978-2-31500-466-9, Max Milo Éditions (2013).

[34] Déclaration de Rex Tillerson, PDG d’ExxonMobil au Council on Foreign Relations (27 juin 2012) : “What I can tell you is the cost to supply is not $2.50. We are all losing our shirts today. You know, we’re making no money. It’s all in the red.”

http://www.cfr.org/north-america/new-north-american-energy-paradigm-reshaping-future/p28630

[35] Shale and Wall Street : was the decline in natural gas prices ochestrated ?, D. Rogers, Energy Policy Forum (2013).

[36] http://petroleumtruthreport.blogspot.fr/2009/10/facts-are-stubborn-things.html

[37] A critical evaluation of unconventional gas recovery from the Marcellus shale, Northeastern United States, D.S. Lee, J.D. Herman, D. Elsworth, H.T. Kim, H.S. Lee, KSCE Journal of Civil Engineering 15(4) (2011) 679-687.

Les chercheurs concluent : « (…) significant challenges exist in effectively and economically recovering the gas. These challenges relate first to locating and assessing the resource, accessing it effectively through drilling and stimulation and producing the gas for as complete a recovery as is possible. Stimulation is the principal issue influencing the economic viability of gas production from the Marcellus and hydraulic fracturing costs typically account for the remaining 50 % of well costs. Improved methods of stimulation are necessary to improve gas yields and to reduce the environmental impacts of both consumptive water use and the subsequent problems of safe disposal of fracwater waste. »

[38] Numerical simulation of complex fracture growth during tight reservoir stimulation by hydraulic fracturing, M. Mofazzal Hossein, M. K. Rahman, Journal of Petroleum Science and Engineering 60 (2008) 86-104.

[39]Production data analysis of unconventional gas wells: Review of theory and best practices, C.R. Clarkson, International Journal of Coal Geology 109-110 (2013) 101-146.

[40] Annual Energy Outlook 2012, US Energy Information Administration.

http://www.eia.gov/forecasts/archive/aeo12/

Extrait : « In the longer term, production growth tapers off as high initial production rates of new wells in “sweet spots” are offset by declining rates of existing wells, and as drilling activity moves into less-productive areas. As a result, in the later stages of a play’s resource development, maintaining a stable production rate requires a significant increase in drilling. »

[41] Drill Baby Drill. Can unconventional fuels usher in a new era of abundance ? J.D. Hughes, Post Carbon Institute, feb 2013).

http://www.postcarbon.org/person/36208-david-hughes

[42] réf [10] page 50 : « les progrès techniques réalisés permettent d’optimiser le placement des fracturations et ainsi de minimiser la quantité d’eau nécessaire pour la récupération d’une quantité donnée d’hydrocarbures (…) Pendant les opérations, les techniques de micro-sismique permettent de mesurer l’extension des fractures en temps réel. ». Cette affirmation approximative et inopportunément optimiste est contredite dans l’annexe du rapport (compte rendu de la réunion du comité scientifique du 23 mai 2013) par Mme Catherine Truffert, Directrice de Recherche au BRGM : « On ne peut déterminer les volumes d’hydrocarbures disponibles qu’après avoir réalisé des opérations de fracturation hydraulique ou, éventuellement, utilisé des techniques alternatives. En Pologne, les premières évaluations américaines se sont avérées erronées : le retour n’est pas à la hauteur de ce qui était espéré. Le gaz est particulièrement piégé dans la roche mère. Néanmoins, la qualité de ce qui est produit (condensats) vient compenser en partie le déficit de quantité. La sismique réflexion, quels que soient ses progrès récents, ne permet pas de quantifier la ressource. Vous le constatez d’ailleurs dans votre document de travail. Des opérations de fracturation sont nécessaires ; il ne s’agit pas forcément de fracturation hydraulique même s’il faut bien constater qu’aujourd’hui, c’est la seule technique efficace. »

[43] Shale gas revolution, T. Alexander et al., Oilfield Review Autumn 2011, 23(3) (2011) 40-57.

[44] Geomechanical study of Bowland shale seismicity, C.J. De Pater, S. Baish, Cuadrilla Ressources Ltd, UK, Synthesis report (2011).

[45] Examination of possibly induced seismicity from hydraulic fracturing in the Eola Fiel, Garvin County, Oklahoma, A. Holland, Oklahoma Geological Survey Open-file Reoport OF1-2011 (2011).

[46] Long-period, long-duration seismic events during hydraulic fracture stimulation of a shale gas reservoir, I. Das, M. D. Zoback, The Leading Edge (2011) 778-786.

[47] A critical view of current state of reservoir modeling of shale assets, S.D. Mohaghegh, SPE 165713 (2013).

[48] Hydraulic fracture-height growth : real data, K. Fischer, N. Warpinski,SPE 145949.

[49] Modeling of fault reactivation and induced seismicity during hydraulic fracturing of shale-gas reservoirs, J. Rutqvist, A.P. Rinaldi, F. Cappa, G.J. Moridis, Journal of Petroleum Science and Engineering 107 (2013) 31-44.

[50] Analysis of the microseismicity induced by fluid injections at the EGS site of Soultz-sous-Fores (Alsace, France) : implications for the characterization of th geothermal reservoir properties, N. Cuenot, C. Dorbath, L. Dorbath, Pure and Applied Geophysics 165(5) (2008) 797-828.

[51] 3D model of fracture zones at Soultz-sous-Forêts based on geological data, image logs, induced microseismicity and vertical seismic profiles, J. Sausse, C. Dezayes, L. Dorbath, A. Genter, J. Place, Comptes Rendus Geoscience 342 (2010) 531-545.

[52] Induced seismicity associated with Enhanced Geothermal Systems, E. L. Maje, R. Baria, M. Stark, S. Oates, J. Boomer, B.Smith, H. Asanuma, Geothermics 36 (2007) 185-222.

[53] Characteristics of large-magnitude microseismic events recorded during and after stimulation of a geothermal reservoir at Basel, Switzerland, Y. Mujuhira, H. Asanuma, H. Niitsuma, M. O. Häring, Geothermics 45 (2013) 1-17.

[54] Developping the ability to model acid-rock interactions and mineral dissolution during RMA stimulation tes performes at the Soultz-sous-Forêts EGS site, France, S. Portier, F-D. Vuataz, Comtes Rendus Geoscience 342 (2010) 668-675.

[55] Chemical stimulation techniques for geothemal wells : experiments on the three-well EGS system at Soultz-sour-Forêts, France, S. Portier, F-D Vuataz, P. Nami, B. Sanjuan, A. Gérard, Geothermics 38 (2009) 349-359.

[56] Influence of water-rock interactions on fracture permeability of ther deep reservoir at Soultz-sous-Forêts, France, L. André, V. Rabemanana, F-D. Vuataz, Geothermics 35 (2006) 507-531

[57] The European EGS project at Soultz-sous-Forêts: From extensive exploration to power production, N. Cuenot , J.-P. Faucher, D. Fritsch, A. Genter, D. Szablinski, Power and Energy Society General Meeting – Conversion and delivery of electrical energy in the 21st Century, IEEE Conference, 2008.

[58] Cyclic waterfrac stimulation to develop an Enhanced Geothermal System (EGS) – Conceptual design and experimental results, G. Zimmermann, I. Moeck, G. Blöcher, Geothermics 39 (2010) 59-69.

[59] Microhole arrays for improved heat mining from enhaced geothermal systems, S. Finsterle, Y. Zhang, L. Pan, P. Dobson, K. Oglesby, Geothermics 47 (2013) 104-115.

[60] Fracture roughness and thermal exchange : A case study at Soultz-sous-Forêts, A. Neuville, R. Tousaint, J. Schmittbuhl, Comptes Rendus Geoscience 342 (2010) 616-625.

[61] Impact of natural radionuclides on geothermal exploitation in Upper Rhine Graben, L. Eggeling, A. Genter, T. Kölbel, W. Münch, Geothermics 47 (2013) 80-88.

[62] Reply to Davies : hydraulic fracturing remains a possible mechanism for observed methane contamination of drinking water, R.B. Jackson, S.G. Osborn, A. Vengosh, N.R. Warner, PNAS 108(43) (2011) E872

[63] Natural gas plays in the Marcellus shale :challenges and potential opportunities, D.M. Kargbo, R.G. Wilhelm, D.J. Campbell, Environmental Science and Technology 44 (2010) 5679-5684

[64] Chemical used in hydraulic fracturing, H.A. Waxman ; E.J. Markey, D. DeGette, United States House of Representatives Commitee on Energy and Commerce, avril 2011

http://democrats.energycommerce.house.gov/sites/default/files/documents/Hydraulic-Fracturing-Chemicals-2011-4-18.pdf

Les auteurs concluent : « entre 2005 et 2009, les 14 principales sociétés de fracturation hydraulique aux États-Unis ont utilisé plus de 2500 produits de fracturation hydraulique contenant 750 composés. Plus de 650 de ces produits contenaient des molécules chimiques avérées ou possiblement cancérigènes pour l’homme, réglementés par l’Acte de protection de l’eau potable ou comptabilisés comme polluants aériens dangereux. »

[65] A critical evaluation of unconventional gas recovery from the Marcellus shale, Northeastern United States, D.S. Lee, J.D. Herman, D. Elsworth, H.T. Kim, H.S. Lee, KSCE Journal of Civil Engineering 15(4) (2011) 679-687

[66] Science-based decision-making on complex issues : Marcellus shale gas hydrofracking and New York City water supply, T.T. Eaton, Science of the Total Environment 461-462 (2013) 158-169

[67] Final impact assessment report : impact assessment of natural gas production in the New York City watershed, Hazen & Sawyer Report commissioned by the New York City Department of Environmental Protection, 2009

http://www.nyc.gov/html/dep/pdf/natural_gas_drilling/12_23_2009_final_assessment_report.pdf

[68] Human heath risk assessment of air emissions from development of unconventional natural gas ressources, L.M. McKenzie, R.Z. Witter, L.S. Newman, J.L. Adgate, Science of the Total Environment 42 (2012) 79-87

[69] Shale gas development impacts on surface water quality in Pennsylvania, S.M. Olmstead, L.A. Muehlenbachs, J-S. Shih, Z. Chu, A.J. Krupnick, PNAS 110(13) (2013) 4962-4967

[70] Methane contamination of drinking water accompanying gas-well drilling and hydraulic fracturing, S.G. Osborn, A. Vengosh, N.R. Warner, R.B. Jackson, PNAS 108(20) (2011) 8172-8176

[71] Paléoclimats. L’enregistrement des variations climatiques, J-F. Deconinck, Société Géologique de France, Vuibert (2006)

[72] Methane contamination of drinking water caused by hydraulic fracturing remains unproven, R.J. Davies, PNAS 108(43) (2011) E871

[73] Reply to Davies : Hydraulic fracturing remains a possible mechanism for observed methane contamination of drinking water, R.B. Jackson, S.G. Osborn, A. Vengosh, N.R. Warner, PNAS 108(43) (2011) E872

[74] Hydraulic fracturing not responsible for methane migration, S.C. Schon, PNAS 108(37) (2011) E664

[75] Reply to Saba and Orzechowski and Schon : methane contamination of drinking water accomanying gas-well drilling and hydraulic fracturing, S.G. Osborn, A. Vengosh, N.R. Warner, R.B. Jackson, PNAS 108(37) (2011) E665-E666

[76] Geochemical evidence for possible natural migration of Marcellus Formation brine to shallow aquifers in Pennsylvania, N.R. Warner, E.B. Jackson, T.H. Darrah, S.G. Osborn, A. Down, K. Zhao, A. White, A. Vengosh, PNAS 109(30) (2012) 11961-11966

[77] Increased stray gas abundance in a subset of drinking water wells near Marcellus shale gas extraction, R.B. Jackson, A. Vengosh, T.H. Darrah, N.R. Warner, A. Down, R.J. Poreda, S.G. Osborn, K. Zhao, J.D. Karr, PNAS 110(28) (2013) 11250-11255

[78] Potential contaminant pathways from hydraulically fractured shale to aquifers, T. Myers, Ground Water 50(6) (2012) 872-882

[79] Alleghenian regional diagenesis : A response to the migration of modified metamorphic fluids derived from beneath the Blue Ridge-Piedmont thrust sheet, A. Scheld, C. McCabe, I. Montanez, P. Fullagar, J. Valley, Journal of Geology 100(3) (1992) 339-352

[80] Greenhouse gas emissions reporting from petroleum and natural gas industry. Background technical support document, EPA (2010)

www.epa.gov/ghgreporting/documents/pdf/2010/Subpart-W_TSD.pdf

[81] Methane and the greenhouse-gas footprint of natural gas from shale formations. A letter, R.W. Howarth, R. Santoro, A. Ingraffea, Climatic Change 106 (2011) 679-690

[82] http://www.ipcc.ch/publications_and_data/ar4/wg1/en/ch2s2-10-2.html

[83] Improved attribution of climate forcing to emissions, D.T. Shindell, G. Faluvegi, D.M. Koch, G.A. Schmidt, N. Unger, S.E. Bauer, Science 326 (2009) 716-718

[84] A commentary on « The greenhouse-gas footprint of natural gas in shale formations » by R.W. Howarth,R. Santoro, A. Ingraffea, L.M. Cathles III, L. Brown, M. Taam, A. Hunter, Climatic Change 113 (2012) 525-535

[85] Venting and leaking of methane from shale gas development : response to Cathles et al., R.W. Howarth, R. Santoro, A. Ingraffea, Climatic Change 113 (2012) 537-549

[86] Hydrocarbon emissions characterization in the Colorado Front Range : A pilot study, G. Pétron et al., Journal of Geophysical Research : Atmospheres 117 (2012) D04304

[87] Comment on « Hydrocarbon emissions characterization in the Colorado Front Range : A pilot study » by Gabrielle Pétron et al., M.A. Levi, Journal of Geophysical Research : Atmospheres 117 (2012) D21

[88] reply to comment on « Hydrocarbon emissions characterization in the Colorado Front Range : A pilot study » by Michael A. Levi, G. Pétron et al., Journal of Geophysical Research : Atmospheres 118 (2012) 236-242

[89] Shale gas production : potentioal versus actual greenhouse gas emissions, F. O’Sullivan, S. Paltsev, Environmental Research Letter 7 (2012) 044030

[90] Air sampling reveals high emissions from gas field, J. Tollefson, Nature 482 (2012) 139-140

[91] Life cycle greenhouse gas emissions of Marcellus shale gaz, M. Jiang et al., Environmental Research Letter 6 (2011) 034014

[92] Greater focus needed on methane leakage from natural gas infrastructure, R.A. Alvarez et al., PNAS 109(17) (2012) 6435-6440

[93] Que penser de l’affaire des gaz de schiste ?, B. Dessus, Les cahiers de Global Chance 33 (2013) 90-100

[94] Marcellus shale potential public health concern, New York State Department of Health, 2009

http://s3.amazonaws.com/propublica/assets/natural_gas/nysdoh_marcellus_concerns_090721.pdf

[95] Gaz de schiste et renouvelables. Un tandem possible ? J. Talpin, Le Journal des Energies Renouvelables 216 (2013) 44-47

 

 

Politique de l'emploi
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Emplois d'avenir : une mesure insuffisante et des missions locales sous tension

par Philippe Labbé
Docteur en sociologie, ethnologue
Chercheur associé Université Rennes 2

 

Dans la panoplie des dispositifs de la politique de l’emploi, on trouve depuis quelques mois deux nouvelles mesures, les « emplois d’avenir » et les « contrats de génération ». La seconde – un appariement entre un junior et un senior - n’en est qu’à son tout début alors que la première – un emploi de un à trois ans plutôt fléché sur le secteur non-marchand - semble peiner à atteindre sa vitesse de croisière. L’une et l’autre mesures participent d’une conception intelligente : d’une part pour les contrats de génération, la transmission intergénérationnelle ; d’autre part pour les emplois d’avenir, l’équité puisqu’ils sont réservés à des jeunes peu ou pas diplômés. Pour ces derniers, la filiation avec les « emplois jeunes » est patente si ce n’est, précisément, cette caractéristique au bénéfice de jeunes moins dotés scolairement ainsi qu’une vigilance sur la formation : il ne s’agit pas de reproduire le syndrome du « CES (contrat emploi solidarité) à la photocopieuse », c’est-à-dire le pseudo-salarié quasi-surnuméraire à qui incombait les tâches répétitives, occupationnelles, inintéressantes pour les « vrais » salariés. Il faut également remarquer que les emplois d’avenir rompent avec une conception économique étroite dont le Graal est exclusivement l’entreprise du secteur marchand en reconnaissant aux autres économies, publique et sociale, un rôle dans la production de richesses et, subséquemment, une capacité à employer et professionnaliser des salariés. L’étude longitudinale des politiques de l’emploi, une cinquantaine d’années, révèle d’ailleurs qu’un marqueur des gouvernements de gauche a toujours été ce couple « économie non marchande – formation » », avec l’idée d’utilité sociale, alors que celui des gouvernements de droite, depuis les « plans Barre » des années soixante-dix, est la diminution du coût du travail via les exonérations… ce qui a fait entrer dans les têtes de tous, employeurs en premier lieu, qu’un jeune « vaut » moins qu’un adulte, qu’il est une dépense, pas un investissement. L’option de l’économie non marchande n’est cependant pas exempte de risques, singulièrement en sortie de mesure : beaucoup d’associations ne disposent pas d’une autonomie financière suffisante pour pérenniser les emplois aidés et, compte-tenu d’une très faible porosité, la transition vers l’économie marchande se révèle difficile.

S’agissant des emplois d’avenir, les missions locales sont au feu, en front-line. Créées en 1982 à partir d’une commande de Pierre Mauroy, elles constituent aujourd’hui le premier réseau en charge de l’insertion des jeunes : plus d’1,3 million « 16-25 ans » y sont reçus chaque année par 11 000 professionnels pour être accompagnés dans leur parcours, leur maillage territorial avec 3 500 lieux d’accueil étant plus dense que celui de Pôle Emploi et garantissant une offre de proximité, une accessibilité pour des jeunes parfois isolés dans des quartiers d’excentricité spatiale et sociale ou dans des zones rurales reculées. Depuis la loi de cohésion sociale de 2005 et son article 13, elles ont la responsabilité de la mise en œuvre d’un nouveau droit-créance, le droit à l’accompagnement.

Dès lors, avec une telle organisation et également avec un tel actif historique constitué, on peut se demander pourquoi les emplois d’avenir peinent à prendre leur vitesse de croisière. Tentons, à coup sûr incomplètement avec la contingence d’une simple contribution, d’apporter quelques explications.
Les premières ont à voir avec les contextes territoriaux, les secondes avec les jeunes, les dernières avec les missions locales elles-mêmes.

Les contextes territoriaux

Ainsi, lorsque Le Monde du 30 mai 2013 publie une carte de France avec les taux de contrats d’emplois d’avenir signés, les départements étant classés de « moins de 7% » à « 30% ou plus » de leurs objectifs (en fait ceux de l’État), ces résultats ne peuvent être compris sans négliger pour le volet de l’économie publique l’adhésion ou non des collectivités à la mesure : si préfets et sous-préfets ne ménagent pas leur peine pour la promotion des emplois d’avenir, l’adhésion des exécutifs locaux est évidemment variable selon leur proximité avec cette politique d’un gouvernement… de gauche, exception faite de la tentation clientéliste : 2014 sera l’année des élections municipales et l’embauche de jeunes en emploi d’avenir sera une aubaine. Le fait est banal, on l’a connu pour d’autres mesures. Ajoutons à ce facteur idéologique les caractéristiques de richesse des collectivités, institutions et territoires : toutes choses ne sont pas égales par ailleurs et créer des emplois publics ou parapublics dans des territoires atones ou – rares – encore dynamiques n’offre évidemment pas les mêmes opportunités. Ainsi les résultats bruts n’ont aucune signification dès lors qu’ils ne sont pas corrélés aux données de contexte.

La problématique des jeunes eux-mêmes

Rappelons, à ce propos, que la pression quantitativiste et l’obligation de résultat imposées aux missions locales, plus généralement à tout le secteur social, négligent deux paramètres aussi essentiels qu’exogènes : ces dernières ne créent pas d’emplois, tout au plus changent-elles l’ordre dans la file d’attente des demandeurs d’emploi, pas plus que ce sont elles qui décident d’aller ou non travailler. Nous l’avons dit à moult reprises : l’obligation de résultat est, dans le champ du social et dans la relation interpersonnelle, un non-sens théorique alors que la culture du résultat est une obligation déontologique… qui, d’ailleurs, ne constitue pas un problème puisque, en trente ans, jamais nous n’avons rencontré un professionnel qui ne cherche pas à être efficace, utile.

La perspective des jeunes est complexe, tout d’abord parce que cette généralisation est sans doute abusive mais, surtout, parce que se produit sous nos yeux une mutation de fond dans le rapport à la valeur travail. Bien entendu, la grande majorité des jeunes demandeurs d’emploi cherche à travailler mais, faisant de nécessité vertu, ceux-ci ont secondarisé la valeur travail : une grande enquête de la JOC (2011, 6 028 jeunes « 15-30 ans ») démontre que « faire une belle carrière professionnelle » n’arrive qu’en cinquième rang des aspirations des jeunes (« réussir sa vie »), bien après « avoir de bons amis », « disposer de temps libre », etc. Que fait-on de cela ? Et que fait-on de la chimère, queue de comète des Trente Glorieuses, du CDI, de la carrière ? Poursuit-on sur la lancée d’un projet professionnel robuste, stable, linéaire, sanctionné par « l’accès à l’emploi durable »… pire, par l’oxymore de « l’accès rapide à l’emploi durable » alors que les faits têtus disent « accès lent à l’emploi précaire » ? Faute de grives, c’est-à-dire d’emplois de qualité, de plus en plus de jeunes mangent des merles, petits boulots dont le seul intérêt – non négligeable toutefois – est instrumental (la « thune »), économie de la débrouille sur la crête de l’économie de la magouille, centrage sur le présent et l’immédiat, le projet devenant abstrait, stratégie de contournement des « intermédiaires » traditionnel au bénéfice du Bon Coin… Ainsi naît le nouvel acronyme « NEET » (Neither employed nor in education or training), 17 % des « 15-29 ans », au sujet desquels Le Monde du 1er juin 2013 titrait : « Ces 900 000 jeunes inactifs découragés de tout. Résignés, écrasés par le sentiment de l’échec assuré, ils n’étudient pas et ne cherchent pas pour autant du travail. » Presque un jeune sur cinq… et, compte-tenu des usagers des missions locales ainsi que du public ciblé par les emplois d’avenir, une proportion bien plus importante parmi celles et ceux susceptibles d’être bénéficiaires de cette mesure.

L’embolie des missions locales

Alors que nombre d’entre elles fêtent leurs trente ans, force est de constater que, malgré ces décennies, la stabilité que l’on attendrait, a fortiori avec leur institutionnalisation, n’est pas leur caractéristique première. Les rapports parlementaires et des grands corps se succèdent et, à vrai dire, il y a peu d’exemples d’organisations autant surévaluées comme si, alors que personne ne conteste leur mission (« un impératif national », répète-t-on à l’envi), une défiance permanente justifiait qu’on les ausculte à répétition, toujours avec le critère d’efficience (alors qu’elles coûtent peu) et toujours en termes exclusifs de résultats.

Or que se passe-t-il pour ces missions locales ? Elles mettent en œuvre les politiques publiques de l’emploi et de la formation et tentent, ersatz de leur identité historique, de glisser dans ce travail un peu d’humanité et d’intelligence systémique en prenant en compte des dimensions dites abusivement « périphériques » de l’insertion telles que le logement, la santé, la citoyenneté (comme si disposer d’un toit, ne pas être malade ou jouir de ses droits était accessoire, secondaire !). Mais les politiques publiques s’empilent, les nouvelles ultra-prioritaires, justifiées par l’urgence de la crise mais également par le risque de la sanction des urnes, ne remplaçant pas les anciennes toujours prioritaires : ANI, PPAE, CIVIS, emplois d’avenir, contrat de génération. Et, de soixante jeunes accompagnés par conseiller-ère, on en arrive à deux cents, trois cents… dans un marché du travail asymétrique en récession où, tout simplement, il n’y a plus d’offres et où le nombre de jeunes demandeurs d’emploi augmente. Ajoutons à cette embolie, cerise sur le gâteau, des financements stagnants (« à moyens constants ») ne prenant même pas en compte le « GTV » (glissement technicité-vieillesse) : concrètement, il faut toujours en faire plus sans reconnaissance salariale, ni perspective de mobilité professionnelle… de quoi éroder les plus vaillants, celles et ceux qui, y croyant, ont encore dans leurs yeux l’étincelle – vacillante – de l’engagement.

Contrairement à l’idée reçue, les missions locales sont dociles, sans doute trop. Nul doute qu’elles s’investissent dans la réussite des emplois d’avenir et qu’elles parviendront globalement au succès de cette mesure. Toutefois celle-ci n’est qu’une « mesure » - un objectif de 100 000 emplois alors que, chaque année, 120 000 jeunes arrivent sans diplôme ni qualification sur le marché du travail : sous le tapis, sont glissés les enjeux majeurs tels que, par exemple, le partage du travail, l’emploi de qualité (question désormais presque indécente : « on prend ce qu’on a… »)… Là encore, du temps, donc des moyens. Ce qui n’est plus une tentation mais qui est une habitude, côté financeurs, est de distiller ces moyens au coup-par-coup : syndrome du « plan de relance », appels à projets, part variable… toujours dans l’urgence… une urgence structurelle depuis quarante ans (Les exclus de René Lenoir, 1974) et désormais à 9 sur l’échelle de Richter. Avec, en fond de paysage, l’idéologie de la flexibilité : sécuriser les financements reviendrait à encourager le confort et un moindre investissement des professionnels.

Quelques réflexions pour finir

On aimerait, juste pour voir, « pour du beurre » mais au titre de la cohérence et de l’exemplarité, limiter les salaires, primes, émoluments et multiples avantages des décideurs à un an, renégociables au vu de leurs résultats. Au lieu de cela et, à l’inverse, sans surtout se presser ni vouloir changer quoi que ce soit, on voit les édiles rallonger le temps de leurs privilèges, on entend un ministre reconnaître benoîtement avoir perçu mensuellement 10 000 euros en liquide, on lit que, selon le président de l’Assemblée nationale, la transparence serait une « politique de la pureté [qui] conduit tout droit à Robespierre et à Saint-Just »… Là également, on perçoit une urgence… qui n’est pas celle de répondre à l’urgence sociale des cinq millions de chômeurs, de la paupérisation et des inégalités : elle est celle, jusqu’à inévitablement basculer dans le précipice où est tapie la bête immonde, de la cupidité à laquelle l’illusionnisme rhétorique ajoute l’indécence. Le 4 août est dans moins de deux mois.

Laïcité
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Est-il exact que le HCI recommande « l'interdiction du voile à l'université » ?

par Catherine Kintzler
Auteur de "Qu'est-ce que la laïcité", publié chez Vrin, 2007.
http://www.mezetulle.net

Source de l'article

 

En ce début août, la presse se délecte de la communication d’un avis du Haut Conseil à l’Intégration examinant la question de la laïcité dans les établissements publics d’enseignement supérieur français. Parmi douze mesures, celui-ci préconiserait l’interdiction du port du voile islamique à l’université. Qu’en est-il au juste ?
D’où émane cette communication1 ? A l’heure où  j’écris ces lignes (6 août), aucun lien ne permet de télécharger le texte définitif de l’avis in extenso afin de se faire une idée exacte de son contenu2. On ne le trouve pas davantage sur le site même du HCI, dont le secrétaire général Benoît Normand précise qu’il ne devait être rendu public qu’à la fin de l’année.
Mais voilà : ça fuite ! Et la fuite laisse penser que ces têtes brûlées de la mission laïcité du HCI recommandent l’interdiction du voile à l’université ! Bonne occase pour les médias d’agiter un chiffon rouge, mais aussi pour l’Observatoire de la laïcité mis en place récemment de prendre ses distances : non non, la question n’est pas à l’ordre du jour des travaux de cet organisme… J’ai bien peur d’avoir compris :  c’est plutôt le repli vers une laïcité adjectivée (« apaisée » pour ne pas dire agenouillée) qui serait à l’ordre du jour !
Les plus honnêtes néanmoins se donnent la peine de fournir la citation par où un scandale si opportun devrait arriver. Il se trouve que la préconisation recommande précisément d’interdire « dans les salles de cours, lieux et situations d’enseignement et de recherche des établissements publics d’enseignement supérieur, les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ».
Nuances de taille. La recommandation porte strictement sur les situations de travail effectif (enseignement et recherche), et ne concerne nullement comme certains le laissent croire les campus ou très vaguement « l’université » en général. Par ailleurs, il n’est pas question de tel ou tel signe en particulier. Cela n’empêche pas Ouest-France, entre autres, de traduire en enchaînant directement (pour ceux qui savent trop bien lire) :  « Autrement dit, l’interdiction du port du voile à l’université ». Ben voyons… pourquoi s’encombrer de détails ?

Pourquoi je soutiens la proposition telle qu’elle est formulée ci-dessus

En 2008, bien avant d’être sollicitée par Alain Seksig (qui a présidé les travaux de la mission laïcité du HCI) pour participer aux réflexions qui ont mené à la rédaction de cet avis, j’avais écrit un article sur le sujet. J’y développais des arguments qui me semblent toujours valides sur les différences entre les établissements publics scolaires et les établissements publics d’enseignement supérieur, arguments qui excluent la transposition telle quelle de la loi de 2004 (interdiction des signes religieux dans les établissements primaires et secondaires) aux établissements du supérieur. Mais j’écrivais aussi, à la fin de ce texte : « Plus particulièrement à l’université, il n’est pas tolérable que, au nom de la liberté d’opinion, le contenu même de l’enseignement - qui est libre et dont tout étudiant peut librement se détourner - soit refusé, infléchi ou remis en question pour être mis sous tutelle. »

Or ma participation aux travaux du groupe de réflexion autour de la mission laïcité du HCI m’a fait connaître des témoignages très alarmants sur la déstabilisation de plus en plus fréquente du travail universitaire par des groupes militants. Dans des cas plus nombreux qu’on ne le croit, la liberté d’affichage - parfaitement reconnue sur l’ensemble des espaces universitaires - est retournée en obstacle contre la liberté même de l’enseignement et de la recherche pendant les cours et séminaires, en présence des enseignants-chercheurs dont le travail est gravement perturbé. Il n’est pas tolérable que des étudiants s’opposent directement à l’étude et à la recherche et tentent d’y imposer une tutelle intellectuelle. Si un enseignement ou un secteur de la recherche leur déplaît, ils peuvent librement s’en désintéresser, ils peuvent librement publier leurs critiques et les motifs religieux ou politiques qui les inspirent, mais ils n’ont pas à rendre impossible l’exercice même du travail universitaire.

A l’école et au lycée, l’enseignement doit être laïque ; cet impératif implique qu’il s’agit aussi de protéger les élèves les uns des autres au sein des établissements : la loi de 2004 s’y emploie en s’appliquant à l’ensemble de l’espace et du temps scolaires. A l’université, l’enseignement et la recherche doivent être laïques : cette fois il serait absurde et abusif de vouloir protéger les étudiants les uns des autres (au-delà de la protection ordinaire due à toute personne) ; aussi n’est-il pas question de restreindre la liberté d’affichage sur les campus ou « à l’université » au sens général. En revanche il faut se donner les moyens de protéger l’enseignement, la recherche et l’indépendance de la science eux-mêmes. Voilà pourquoi je soutiens la proposition du HCI : bornée expressément aux situations effectives d’enseignement et de recherche et en présence des enseignants-chercheurs au travail, je la trouve mesurée et adaptée à la situation.

© Catherine Kintzler, 2013

 

  1. Révélée par un article du Monde daté du 5 août 2013. []
  2. Note du 8 août : Le site de l’association Egale a mis une version de travail  du texte en téléchargement dans son éditorial daté du 7 août. []