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Décret Peillon : le mouvement réformateur néolibéral contre l'école émancipatrice

par Évariste
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Depuis 40 ans, seule la massification a été une bonne mesure. Mais elle n’a pas été portée à son terme. Et, avec le reste des « réformes » scolaires, le mouvement réformateur néolibéral l’a détourné de son idée initiale. Nous ne reviendrons pas sur les modifications des programmes contre l’émancipation et sur les illusions pédagogistes de la lignée des Meyrieu, Prost, Legrand, sacrifiant la nécessaire priorité de l’instruction de qualité partout et pour tous. Tout cela a conduit à détruire la liberté pédagogique des enseignants et même à pervertir la fonction éducative de l’école tout en assurant la croissance des inégalités sociales scolaires (corroborés par toutes les études et dernièrement par la classification PISA). Nous avons déjà largement écrit sur ce point.Avec Nico Hirtt, dans Manière de voir, nous nous apercevons que le but du mouvement réformateur néolibéral pour l’école n’est rien d’autre que de « préparer un vivier de main d’œuvre flexible pour répondre aux besoins des entre prises en travailleurs peu qualifiés ” et de renforcer “la pression vers le bas des salaires ». La formation du futur citoyen pour accroître son autonomie de jugement par la raison est bel et bien enterrée. Nous vous renvoyons sur ces pages lumineuses :
http://www.exacteditions.com/browsePages.do?issue=36723&size=3&pageLabel=66

http://www.exacteditions.com/browsePages.do?issue=36723&size=3&pageLabel=67
http://www.exacteditions.com/browsePages.do?issue=36723&size=3&pageLabel=68

Déjà le mouvement réformateur néolibéral est responsable des plus de 100.000 élèves qui sortent du système scolaire sans qualifications ni diplômes, de l’augmentation des inégalités sociales scolaires, d’un accroissement de la violence à l’école, d’une école à plusieurs vitesses, etc.

Ce nouveau décret Peillon est dans la droite lignée du « mouvement réformateur néolibéral » que nous subissons depuis des décennies. Après la réduction des effectifs enseignants titulaires de la droite, augmentation des emplois précaires dans l’Éducation nationale, l’augmentation du nombre d’enfants par classe, la mise au centre du dispositif scolaire de l’enfant alors que dans une école de l’émancipation, c’est la transmission des savoirs à l’élève qui devrait être au centre du dispositif.

On ne compte plus les études sur le « marché » de l’enseignement que nous procure l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l’Organisation de Coopération et de développement de l’Europe (OCDE). Il en est de l’école comme de la santé et de la protection sociale: il s’agit de privatiser les profits et de socialiser les pertes de la sphère de constitution des libertés (école, protection sociale, services publics) : pour maintenir des hauts profits pour l’oligarchie capitaliste. il s’agit d’organiser une ségrégation spatiale de l’école en privilégiant l’école privée pour « ceux qui peuvent » !

Monsieur Morrison, grand prêtre de l’OCDE, donne d’ailleurs la stratégie à suivre : « Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement à l’école ou à la suppression de telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population » (source : Centre de développement de l’OCDE, Cahiers de politique économique, 2000, n° 13).

Le décret Peillon continue d’utiliser la décentralisation contre l’école émancipatrice.

Petit à petit, l’école, au mépris de la laïcité, s’offre aux appétits des firmes multinationales (les 16 millions de Total pour mettre la main sur le périscolaire par exemple) avant de s’offrir aux différents prosélytismes religieux ou politiques.
Petit à petit, l’Éducation nationale cède sa place aux collectivités locales ce qui bien sûr ne fera qu’accroître les inégalités sociales scolaires suivant que l’on habite dans une commune riche ou pauvre. La rupture de l’égalité territoriale devient la règle.
Petit à petit, la confusion s’installe, à l’intérieur de l’école, entre le périscolaire et l’école proprement dite. Instruction à géométrie variable, éducation à géométrie variable, diminution des horaires d’enseignement et remplacement par des activités périscolaires avec du personnel précaire « moins cher » que les enseignants, quand ce n’est pas le gardiennage dans la cour ou le préau de l’école, voilà l’objectif du « modèle réformateur néolibéral ».
Petit à petit, se prépare la « concurrence libre et non faussée » de tous les établissements entre eux.
Bien évidemment, la pagaille organisée par le gouvernement solférinien avec son décret sur l’école publique ne touche pas l’école catholique privée largement favorisée par le gouvernement solférinien pour les familles qui peuvent payer.
Petit à petit, le secteur privé à but lucratif pour les actionnaires va prendre sa place dans l’ancienne école publique gratuite. Le décret autorise les activités payantes dans l’école, première phase avant l’entrée directe du privé lucratif pour les actionnaires dans l’école.

Petit à petit, le rôle des enseignants change. De transmetteur de savoirs, ils deviendront, si nous ne bloquons pas cette évolution, les manageurs au petit pied de la confusion entre activités périscolaires et scolaires.
Alors qu’un sain débat sur l’école faisait rage pendant la Révolution française, nous voilà aujourd’hui empêtrés dans une politique réactionnaire, antisociale et antilaïque de l’école.

Comment un gouvernement qui a mis du personnel supplémentaire dans les écoles a-t-il engendré une pagaille pareille ? Pourquoi ce gouvernement déclare-t-il que la grande majorité des maires, des enseignants et des parents est favorable à ce décret ? On devrait ouvrir un jeu : que ceux qui trouvent, en dehors des militants et sympathisants solfériniens, des partisans de la pagaille organisée par Peillon, gagnent la possibilité de participer à une activité périscolaire dans l’école publique de leur choix !

En fait, on voit bien se profiler le grand avenir promis par les néolibéraux pour l’école : privatisation des secteurs rentables et transfert de l’éducation nationale non rentable à une éducation municipale, moins chère, avec des animateurs à statut précaire non fonctionnaires, soumis au notable local.

L’école obéit à une politique de même nature que les autres services publics et la protection sociale. Et l’on voit bien que la cause de cette politique, ce n’est pas tel ou tel ministre ou telle ou telle organisation, c’est le mouvement réformateur néolibéral lui-même ! Il faut changer de modèle politique. Devra-t-on attendre le prochain krach économique et financier pour réagir ? Ou préparer dès maintenant une alternative nouvelle ?1

Vive la République sociale !

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par ReSPUBLICA

 

Chers amis lectrices et lecteurs,

En cette fin d’année où votre journal s’honore d’avoir sorti 31 numéros depuis le début janvier et sensiblement élargi son audience, nous vous signalons deux nouveautés : d’abord l’introduction d’une “charte rédactionnelle” (voir Qui sommes nous ?) qui donne plus de lisibilité à la ligne de ReSPUBLICA et, nous l’espérons, lui vaudra de nouvelles collaborations ; ensuite, un Agenda permanent plus développé, que vous trouverez au bas de la colonne de droite du site. Cet agenda est réalisé en collaboration avec notre partenaire le Réseau d’Education Populaire et couvre une variété de sujets qui ne sont pas nécessairement dans le champ du journal ; il peut aussi vous donner l’occasion de découvrir en voisinage et proximité des formes d’intervention populaires nouvelles et plus interactives qu’un journal.

La fin d’année est aussi pour certains un temps de générosité, parfois facilitée par l’anticipation des déductions fiscales… C’est pourquoi nous venons à nouveau vous proposer de faire un don à ReSPUBLICA, de préférence en utilisant sur le site le module Paypal (qui permet aussi de procéder à des virements mensuels) : voir les modalités sur http://www.gaucherepublicaine.org/soutenir-et-financer-respublica. Nous serons en mesure de vous adresser un reçu fiscal.

Nous constatons avec plaisir que plusieurs d’entre vous nous soutiennent très régulièrement : nous espérons que vous serrez de plus en plus nombreux à le faire pour nous permettre d’améliorer le journal et de le diversifier. Nous vous suggérons aussi de nous transmettre les coordonnées de personnes que nous pourrions abonner de votre part et, bien sûr, de continuer à réagir par vos commentaires à la Rédaction.

A bientôt. Avec nos amitiés militantes

La Rédaction de ReSPUBLICA

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Prostitution : après le vote de la loi, ne pas baisser la garde

par Monique Vézinet
Présidente UFAL Ile-de-France, Réseau Education Populaire

 

Après des réflexions préalables à la discussion de la loi publiées  dans RSspublica - non sans réserves d’une partie de la Rédaction - relatives à la pénalisation des clients,  le législateur a tranché et nous souhaitions mentionner sous forme de courtes citations l’article de Esther Jeffreys et Huarya Llanque (Attac) ainsi que de Christiane Marty (Fondation Copernic) intitulé ” Prostitution : n’occultons pas l’essentiel” (publié dans Politis le 28 novembre 2013, sous copyright) :

Les auteures concluent que si la loi a le mérite de supprimer le délit de racolage et de réaffirmer la volonté abolitionniste du pays, il ne faut pas s’attendre à un effet magique compte tenu de la nécessité d’éradiquer la traite “pour agir au niveau européen pour une véritable politique d’accueil des migrant(e)s, pour la suppression des paradis fiscaux, etc.”

Au prix d’une véritable remise en cause des idées acquises, il faut souhaiter que la prise en compte du marché maffieux développé depuis une trentaine d’années en Occident progresse dans les esprits et ait définitivement raison de la vision traditionnelle sinon folklorique de la prostitution de jadis.1 Il faut surtout souhaiter que les moyens répressifs soient accompagnés de la mise en place des moyens d’investigation (et de coopération internationale) nécessaires du côté des forces de police d’une part, des moyens de choix d’une autre mode de vie pour les intéressé(e)s  par les services sociaux d’autre part.

La pénalisation du client dont j’ai tenté avec Emmanuelle Barbaras de fonder la justification à l’occasion d’un précédent texte, n’est à cet égard que l’un des moyens d’action dont il faudra évaluer l’efficacité mais dont on remarquera qu’il a été fortement repris par des catégories jeunes (voir http.les jeunespourlabolition.fr ou http://effrontees.wordpress.com) et de nouveaux mouvements masculins anti-machisme.

  1. A cet égard, l”analyse de Lilian Mathieu dans les Actes de la recherche en sciences sociales (n°198, juin 2013) - ne se satisfait pas de l’imputation des méfaits à la seule traite et, se basant sur les nuisances attribués au racolage visible - conclut à une “lecture individualisante, rapportant la conduite de de personnages singuliers (proxénètes, clients) responsables de leurs actes et qu’il est dès lors du devoir de l’Etat de punir”  mais pointe qu’il conviendrait davantage d’y voir le “jeu de facteurs structurels tels qu’une féminisation de la pauvreté et des migrations”. []
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A propos du livre « Enquête sur les créationnismes. Réseaux, stratégies et objectifs politiques »

par ReSPUBLICA

 

Bonjour,

En 2008, le journal ReSPUBLICA a publié une recension de Monique Vézinet (UFAL) consacrée aux livre Les créationnismes. Une menace pour la société française ? (Syllepse, 2008) que j’ai coécrit avec Cyrille Baudouin.

Nous étions très heureux de cette diffusion car notre travail s’inscrit pleinement dans les luttes que mène ReSPUBLICA, en particulier en ce concerne la laïcité et l’enseignement.

Nous n’avons pas cessé de travailler sur le sujet et je me permets de vous informer que nous avons publié chez Belin un nouveau livre plus conséquent et beaucoup plus complet intitulé Enquête sur les créationnismes. Réseaux, stratégies et objectifs politiques. Vous trouverez plus d’informations ci-dessous. Toutes les recensions dont l’ouvrage a fait l’objet depuis sa parution ainsi que l’introduction et la table des matières sont disponibles sur la page www.tazius.fr/les-creationnismes/.

Je signale d’ailleurs que Catherine Kintzler dont les articles sont régulièrement mis en avant par Respublica a publié cet été sur son blog Mezetulle une recension de l’ouvrage :

Olivier Brosseau

12 nov. 2013

olivier.brosseau@tazius.fr

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Rétrospective et exposition Pasolini à la Cinémathèque

par Stéphan Krezinski

 

 En collaboration avec l’association 0 de Conduite

La Cinémathèque Française rend hommage à Pier Paolo Pasolini, trente-huit ans après son assassinat sur la plage d’Ostie, près de Rome, assassinat crapuleux selon la version officielle de l’époque. Pasolini aurait été tué par un des jeunes hommes du sous-prolétariat qui l’attiraient. Mais son assassinat aurait pu être prémédité et Pasolini victime d’un traquenard monté par des membres d’un groupe de néo-fascistes haïssant, au moins autant que la bourgeoisie italienne, Pasolini et son œuvre, homme et œuvre qui déplaisaient aussi singulièrement à la gauche, y compris le parti communiste dont il fut exclu dans les années 50, parce qu’il était homosexuel et surtout, parce qu’il ne s’en cachait pas.

La plupart des auteurs et réalisateurs n’ont, pour nous, d’autre visage que leur œuvre, à l’exception de quelques grands comiques, acteurs de leur oeuvre : Chaplin, Keaton, Tati. Mais quand on voit un film, lit un texte de Pasolini, son visage, son corps sont tout de suite là, présents à notre esprit. Il s’est donné deux fois un rôle dans ses films, un rôle de créateur rêvant son œuvre, bien sûr : une sorte de  Giotto dans « Le Décaméron » et Chaucer dans « Les Contes de Canterbury ». Dans « Enquête sur la Sexualité » Pasolini est aussi l’intervieweur, filmé plein cadre, droit sur ses jambes devant les gens qu’il interroge, micro  et torse en avant, offert au monde, prêt à en recevoir l’amour ou la haine, le plus souvent la haine, mais restant toujours ouvert, sans protection, comme s’offrant en sacrifice si c’est ce qu’on réclamait de lui (« Je me sens comme un nègre qu’on veut lyncher » disait-il).

De son vivant, Pasolini était considéré comme un brillant et brouillon trublion : poète original qui écrivait dans son dialecte frioulan qu’il affectionnait, de même qu’il était attaché à toutes les cultures « minoritaires », locales, mais aussi aux cultures populaires, entendues comme la torsion, la réinterprétation de la culture dominante par les déclassés (le blues, par exemple, est en musique l’illustration parfaite des deux : culture minoritaire d’une classe par essence populaire : les esclaves noirs. Le blues jouit d’une postérité inégalable allant du jazz au hip hop en passant par la soul, le funk, le rock et le reggae. Ces musiques étaient à l’origine une atteinte au bon goût vulgaire - la variété - ou cultivé - le classique et surtout l’opéra - de la classe dominante. Mais ces musiques contestataires ont été récupérées par le mal moderne : le consumérisme dont Pasolini a, le premier et le plus radicalement, exprimé qu’il était le nouveau visage d’un fascisme rampant et mou) ; Pasolini était aussi considéré comme un essayiste original, mais inconséquent, se réclamant de Marx et de Dieu, mais s’affirmant non croyant et non militant, et donc irrécupérable par l’orthodoxie communiste ou catholique. La critique des années 50 traita avec condescendance ses romans sur des « déchets » marginalisés de la société, « Les Ragazzi » et « Une Vie Violente », où Pasolini se roulait dans la fange d’un parlé populaire qui rompait avec la « belle » littérature, ce qui lui valut un succès populaire de scandale car déjà, son écriture était taxée d’obscène, comme plus tard, ses films.

Pasolini n’a jamais été un maudit, qui aurait été incompris de la critique ou inconnu du grand public. « Accattone », « Mamma Roma », « L’Evangile selon Saint Mathieu, « Théorème », « Le Décaméron », « Les Contes de Canterbury », « Les Mille et Une Nuits » et - malgré une sortie limitée à quelques salles dans plusieurs pays, par crainte d’attentats fascistes - « Salo », ont été de vrais ou de grands succès populaires, avec, certes, parfois, une aura douteuse de scandale : faire « l’éloge » d’un maquereau puis d’une prostituée, présenter un Christ « communiste », mais surtout introduire la sexualité et la nudité dans les cinq derniers films cités qui défrayèrent la chronique, cela pouvait, devait faire scandale. Le renom d’un réalisateur « sérieux » devenait pour certains un alibi culturel permettant d’aller se rincer l’œil à une époque, le début des années 70, où le cinéma porno envahissait les écrans. Avec le recul du temps, les films de Pasolini se voient pour eux-mêmes, et ont laissé loin derrière eux les autres films, très datés et complaisants, qui ont prétendu faire du porno chic.

La critique de l’époque n’est pas non plus passée à côté des films de Pasolini, mais hormis quelques admirateurs et les nombreux détracteurs habituels au service de l’ordre établi, pour qui tout artiste est nécessairement un ennemi (car il ne se « consomme » pas), la plupart des critiques étaient plutôt nuancés, non qu’ils estimaient dans l’œuvre de Pasolini les qualités et les défauts, mais parce qu’ils ne le considéraient pas vraiment comme un cinéaste (ou pas comme un « vrai » cinéaste) mais plutôt comme un penseur imprévisible, s’essayant au cinéma avec conviction, poésie et maladresse (ne respectant pas la « grammaire », la rhétorique habituelle du cinéma qu’il ne dominait pas, disait-on).

L’approche rugueuse, frontale de Pasolini a contribué à façonner ce statut où une certaine condescendance se mêlait à une gêne admirative de la part de la critique. Le style de Pasolini est constitué de parti pris antagonistes. Il est pictural ; Pasolini connaît parfaitement et se réclame d’une certaine peinture italienne : Giotto pour la profondeur psychologique dont il revêt ses personnages, Masaccio pour son sens tragique de la composition monumentale, Piero della Francesca pour l’organisation de l’espace, et Le Caravage pour ses compositions insolites où des petites frappes  - déjà « pasoliniennes » - posent pour être l’assassin ou l’ange, qui cohabitent en eux. Mais son style est aussi documentaire ; Pasolini aime capter l’immédiateté de ce qu’il a devant lui et choisit la plupart de ses acteurs dans la vie même, sur les lieux mêmes où il tourne. La forme de ses films est à la fois « élaborée » ; ses images évoquent souvent  les compositions d’Eisenstein, surtout les films d’époque pour lesquels Pasolini a dessiné des costumes aussi peu historiques que ceux du génie russe, mais qui semblent tout aussi « authentiques ». Mais cette forme est parfois aussi triviale, avec des plans tremblés, parfois flous et désaxés par rapport aux lignes de force de la scène. Ce style hétéroclite produit un cinéma paradoxal : sophistiqué et « tiers-mondiste ».

Laurent Terzieff, (acteur dans « Médée », mais aussi dans « Les Garçons » de Bolognini et « Ostia » de Sergio Citti, dont Pasolini avait écrit les scénarios, comme il a écrit d’autres très beaux films de Bolognini « Le Bel Antonio » et « C’est arrivé à Rome » présentés lors de cette rétrospective à la Cinémathèque) a peut-être défini avec le plus de justesse le style si particulier de Pasolini. Il notait que Pasolini tournait avec deux caméras : une caméra faisait le cadrage « officiel », travaillé, pictural, du plan. Et tandis que cette caméra tournait, Pasolini, avec une petite caméra à l’épaule, filmait en « contrebande », dans un coin du décor, au débotté, prenant au vol des plans qu’ensuite il montait « cut », avec les plans officiels. Ce décalage, cette rupture esthétique au sein d’une continuité spatiale et narrative crée une déstabilisation de notre regard, habitué au lissé, au fini de la plupart des films. C’est ce mélange de styles, de modes opératoires si opposés qui a choqué ou décontenancé à l’époque. C’était simplement trop neuf, trop perturbant, et il était tentant de faire de Pasolini un expérimentateur maladroit et touchant.

A présent que les esthétiques novatrices de la « Nouvelle Vague » du « Cinema Novo » du « Dogme », sont bien intégrées à nos habitudes visuelles, le cinéma de Pasolini, toujours aussi perturbant, nous apparaît dans toute sa nouveauté, toute sa beauté. Si Pasolini est un excellent romancier, un poète sensible et un essayiste hors pair, c’est justement dans ses films, qui semblaient pourtant une simple extension de son domaine d’activité privilégié, l’écriture, que Pasolini affirme son génie.

Dès son premier film, « Accattone », Pasolini à la fois néophyte et homme mûr de quarante ans, casse le moule du cinéma. Il rompt avec le néo-réalisme dont il s’annonçait comme le continuateur. La photo surexposée, blanche, du film, ses amples mouvements de caméra et la musique de Bach, font littéralement décoller son personnage du décor des faubourgs romains, et larguent les amarres du réalisme (notamment avec des rêves qui sont comme la vie, et la vie de son personnage - merveilleusement incarné dans l’accablement nonchalant de Franco Citti - comme un rêve dont la signification lui échappe. Pasolini avait, d’ailleurs, le projet d’adapter « La Vie est un Songe » de Calderon). « Accattone » est un film au présent et d’une présence qui confine au sacré, un sacré qui semble pourtant l’émanation de la situation glauque, sordide diront certains, dans laquelle se débattent les personnages. C’est avec « Fat City » de John Huston (film qui a beaucoup d’affinités avec celui-ci), le film le plus existentiel du cinéma. Définir l’existence, c’est répondre à trois questions : le sens de l’existence (pourquoi est-on ici ?) ; les conditions d’existence (est-ce ainsi que les hommes vivent ?) ; et le but de l’existence (qu’est-ce qu’on fait  maintenant qu’on est là ?). Le Pasolini et le Huston sont les plus terribles réponses que le cinéma ait apportés à ces questions. L’esthétique y est consubstantielle au regard et le regard à la morale des deux cinéastes.

Le regard de Pasolini est si particulier, si propre à sa personne que ce qu’il filme semble être filmé, perçu, donné à voir pour la première fois. Pasolini a le regard d’un nouveau-né émerveillé et étonné par ce que son regard découvre, mais un nouveau-né conscient, lucide, qui sait que la violence est là, tapie dans la beauté du monde, immanente à cette beauté, et aussi qu’elle est en lui. La Rochefoucauld affirmait : « Nul ne mérite d’être loué de bonté s’il n’a pas la force d’être méchant : toute autre bonté n’est le plus souvent qu’une paresse ou une impuissance de la volonté ». Pasolini pouvait être loué pour sa bonté car mieux que quiconque il connaissait ses propres gouffres. Ses traits sont durs, granitiques, mais son regard est bon. Il nous scrute et nous jauge d’un seul coup d’œil, avec tendresse et ironie.

« Accattone » se termine par un pastiche bouleversant de drôlerie (le « supplice » qu’est la puanteur des pieds d’un des deux voleurs qui entoure Accattone)  de la  crucifixion du Christ, qui hantera toute son œuvre : l’enfant de « Mamma Roma » meurt crucifié sur un lit de douleurs ; le figurant de « La Ricotta » meurt d’indigestion sur la croix à la droite de l’acteur qui joue le Christ dans un film ; et chacun de ses films mythologiques « Œdipe Roi », « Médée » et « Carnet de Notes pour une Orestie Africaine » finit sur un martyr. Pasolini lui-même finira par se faire rouler dessus par une voiture, comme Franco Citti dans « Accattone ». Son œuvre, et « Salo » ne faillit pas à la règle, tourne autour du corps supplicié du Christ, l’homme à la conscience douloureuse par excellence. Pasolini a frontalement traité de cette figure dans son « Evangile Selon Saint-Mathieu », un de ses films les plus « beaux », nous donnant le sentiment d’être dans un documentaire eisensteinien tourné à l’époque, tant il est juste. Mais c’est aussi son film le plus « sage », car Pasolini y respecte le texte et la lettre du Nouveau Testament. Il est bien plus aigu, à l’aise et provocant, quand il traite indirectement de l’histoire de son modèle. Dans « Accattone », « La Ricotta » et bien sûr dans « Théorème » démonstration parfaite, inéluctable, oui : mathématique, de la révélation christique, révélation qui est aussi bien une grâce qu’une malédiction pour la famille visitée. D’ailleurs certains ont vu dans le personnage du « visiteur », un avatar du diable (oh, oui, vraiment « parfait », ce film !).

Au terme de ce qu’il a appelé « La Trilogie de la Vie », Pasolini nous a donné avec « Les Mille et Une Nuits » une vision émerveillée et merveilleuse d’un Orient médiéval dont l’imagerie ne repose pas sur l’habituelle convention du cinéma Hollywoodien, Indien ou Egyptien, mais sur une approche documentaire actuelle des pays Arabes et Orientaux. Cette vision, relayée par ses acteurs pris sur place ou dans le vivier des faubourgs romains, nous donnait le sentiment que notre Moyen Age occidental, depuis longtemps révolu, perdurait encore dans le mode de vie de ces pays (les deux films précédents tirés de Boccace et Chaucer semblaient une tentative volontariste de garder la mémoire, coûte que coûte, de ce monde médiéval occidental, où le péché était relatif alors qu’à présent, il n’y a plus de péché : juste, une jouissance triste). Existe-t-il un autre film où les acteurs amateurs qu’on y croise nous gratifient si abondamment  de la plus belle expression d’humanité qui soit : le sourire ? Ces sourires sont des vrais sourires, pas des crispations du visage, des sourires qui se donnent, qui partagent, qui échangent avec nous. Ils participent à la beauté des corps pasoliniens, beauté tout à fait inhabituelle, atypique dans un cinéma de plus en plus formaté. Pasolini filmait en direct la beauté d’un monde situé à notre porte, mais dont il pressentait, avec une mélancolie déjà perceptible, la disparition. Ce monde sera, est déjà, contaminé par l’Occident (cet Occident étant la culture américaine, mais tout aussi bien la culture Russe ou Chinoise, la culture du rendement. « Dans les eaux glacées du calcul égoïste » en disait Marx), par le consumérisme, qui prendra le visage du tourisme et de la « modernité ».

Après cette vision extatique d’un monde d’harmonie possible, où la violence s’intègre à la beauté du tout, Pasolini enchaîne sur cette vision géométrique, glacée, terrifiante du pouvoir fasciste qu’est « Salo ou les 120 Journées de Sodome ». Certains verront, non sans raison, dans « Salo » l’envers du décor des « Mille et une Nuits », l’imaginaire sensuel de ce dernier se muant en fascisme contemporain : la société de consommation, avec ses corps-objets : achetés, torturés, consommés. Mais le film traite aussi du fascisme historique de la République de Salo proclamée en 1943, après la chute de Mussolini, que Pasolini confronte à l’œuvre de Sade qui, lucidement, inexorablement, sans ciller, décortique les rouages du Pouvoir, dont le but final est le pouvoir absolu sur l’autre. Ce qui dérange chez Sade c’est que chacun y est potentiellement le bourreau qu’il dépeint car c’est la pente naturelle de l’homme de devenir un tortionnaire. Mais c’est aussi la pente relationnelle de l’homme d’être un animal éthique et compassionnel. Si chacun est potentiellement le salaud que dépeint Sade, chacun en devenant conscient de cela peut se choisir un autre destin (voir la citation de la Rochefoucault ci-dessus) et devenir responsable de lui, responsable vis-à-vis des autres, et responsable du monde. Pasolini ne dit pas autre chose dans son film. Celui-ci est une épreuve, un choc, un film limite et à la limite, donc dangereux (il peut en traumatiser certains), mais il est toujours du bon côté de cette limite. La représentation des actes perpétrés par les tortionnaires de Salo y est théâtralisée, ritualisée, et d’un réalisme qui met mal à l’aise. Cette œuvre ne peut être vue que seul, car elle s’adresse à chacun d’entre nous, individuellement, à un moment de notre vie (il faut être prêt pour voir, supporter ce film) et en fait, elle est salubre. Nous sortons changés de l’épreuve qu’est le film, et certainement meilleurs, plus lucides sur le monde et sur nous-mêmes, car Pasolini nous met à la bonne distance ce que pourrait avoir de fascinant le rituel fasciste qui se déploie ici, et qui est le fantasme de ce que chacun porte de plus néfaste en lui.

Pasolini est mort juste avant la sortie de ce film, et cette mort résonne à jamais en nous dans la vision de ce film ultime dans les deux acceptions du terme. Dès sa mort et avec ce film, Pasolini est apparu clairement pour ce qu’il a toujours été : une figure majeure, unique de l’art et de la pensée du XXe siècle. Depuis, son œuvre a un rayonnement de plus en plus large, à mesure que Pasolini manque de plus en plus à notre monde. J’étais un adolescent quand j’ai appris sa mort. Je le connaissais par réputation. J’avais vu à la télévision plusieurs fois à Noël ou à Pâques son « Evangile », et je venais de découvrir « la Trilogie de la Vie » qui était ressortie cet été-là. Les deux premiers films m’avaient dérangé et troublé. « Les Mille et Une Nuits » m’avait simplement rendu heureux pendant plusieurs jours. Je connaissais mal en fait Pasolini. Mais en apprenant son assassinat j’ai pleuré, car je sentais que cet homme était beau, vivant, entier. Mais j’ai pleuré aussi parce que, jusque-là, malgré la violence et l’injustice de toute société, je pensais qu’un esprit aussi libre que le sien pouvait tout de même s’exprimer aux yeux de tous. Et je me rendais compte qu’il n’en était rien ; que quelque chose était pourri dans notre société dite démocratique. C’était il y a trente-huit ans. Et trente-huit ans plus tard, je le pleure encore.

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"Problème d’anglicisation à Carrefour" : une réaction à encourager et développer

par la CGT Commerce et Services

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Lors d’une table ronde organisée entre la CGT-Carrefour et la direction de Carrefour, le syndicat a dénoncé l’anglicisation qui a cours actuellement dans l’entreprise. Anglicisation voulant dire utilisation de la langue anglaise à outrance, d’une façon exagérée, une utilisation qui ne devrait pas être, puisque Carrefour est une entreprise française, puisque la langue officielle de notre pays est le français, puisque la langue de travail en France, est le français, puisque notre langue est une grande langue internationale qui, grâce notamment à la Francophonie, est parlée dans le monde entier, puisque la langue du commerce, c’est la langue du client et qu’en France le client parle français.

La CGT a énuméré une longue liste prouvant que l’anglomanie est lourdement présente à Carrefour : enseignes aux noms en anglais (Carrefour Market, Carrefour City, Carrefour On Line, etc. ) ; produits-Carrefour aux noms en anglais (Home, Top Bike, Green Cut, First line, Blue Sky etc.) ; vocabulaire de travail aux noms en anglais (e-learning, cross marchandising, Street-palette, self-scanning, etc.) ; seule langue étrangère accessible dans le cadre du Droit Individuel à la Formation (DIF), l’anglais ; message d’alerte-incendie en bilingue français-anglais dans tous les magasins ; slogan publicitaire en anglais, le fameux “Monday, happy day”, etc.

Devant cette politique manifeste de Carrefour à vouloir s’angliciser, et par de là, à vouloir angliciser ses employés et ses clients, et parce que la CGT considère que la politique du tout-anglais porte atteinte à la démocratie linguistique et porte atteinte, ce faisant, à notre liberté d’apprendre la, ou les langues étrangères de notre choix ; parce que cette politique est discriminatoire à l’égard des langues autres que l’anglais ; parce qu’elle représente une réelle pollution de notre langue, y créant confusion, imprécision, incompréhension, voire du stress ; pour toutes ces raisons, la CGT a demandé à la direction de Carrefour que sa politique anglicisante actuellement en cours dans l’entreprise, cesse.

Elle a demandé pour cela qu’une commission soit créée, une commission chargée de veiller à la qualité de l’emploi de la langue française dans l’entreprise et chargée de veiller au respect des langues, lorsque le volet « langues étrangères » est abordé. La direction a écouté les propositions de la CGT avec une bonne oreille, reste maintenant à voir si concrètement, elle les a bien entendues.

Boulogne-Billancourt, le jeudi 14 novembre 2013

Contacts :
Claudette Montoya, DSN, 06 18 91 90 87
Virginie Cava, DSN, 06 61 44 82 12
Régis Ravat, DS, 07 81 56 84 25

Pétition en ligne :
http://www.petitions24.net/non_a_langlicisation_de_carrefour_de_la_france_et_de_leurope

Agenda

jeudi 19 décembre 2013, 18:00
Moulin du Grand Poulguin quai Botrel à Pont-Aven(29)
 
jeudi 19 décembre 2013, 19:30
Moulin du Monde de la MJC : 12-14 place du Moulin à Vent 91130 Ris-Orangis
 
mercredi 8 janvier 2014, 19:00
Bagnols-sur-Cèze
 
jeudi 16 janvier 2014, 18:00
Café du centre à Pont-Aven(29)
 
samedi 18 janvier 2014, 08:30
A déterminer
 
jeudi 23 janvier 2014, 19:00
Rennes(35)
 
jeudi 30 janvier 2014, 19:00
Nouveaux locaux de la MJC-CS St -Exupèry Avenue de Flandre à Viry(91)