Chronique d'Evariste
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Tirer les enseignements politiques des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015

par Évariste
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Ces attentats marqueront l’histoire du combat permanent pour la liberté d’expression, pour la liberté de conscience, pour la laïcité. Nous avons d’abord réagi par un texte paru d’abord dans l’Humanité puis dans ReSPUBLICA. L’émotion suscitée par ce carnage a produit le dimanche 11 janvier 2015 une des plus importantes mobilisations du peuple français. Mais cette réprobation populaire et salutaire n’épuise pas, loin s’en faut, la réflexion nécessaire pour engager une analyse concrète de la situation concrète, phase indispensable pour se poser les questions suivantes : « Que faire ? » et « Comment le faire ? ».
D’autant que si nous louons la mobilisation du 11 janvier 2015 car elle est d’abord une mobilisation populaire de première importance, nous ne pouvons pas nier qu’elle a été l’objet d’une vaste instrumentalisation politico-médiatique par ceux qui entretiennent un environnement propice à de tels actes. Oui, nous avons besoin de mener une analyse indépendante des forces sociales et politiques qui sont responsables de cette situation.
Nous souhaitons donc lancer un appel à une réflexion collective sur la base des points suivants qui sont tous soumis à la délibération démocratique de ceux qui voudront bien s’en saisir.

Point 1. Nous estimons que les solutions ne peuvent être fondées sur un durcissement sécuritaire qui outre son caractère liberticide serait tout aussi inefficace que les durcissements précédents (voir la récente loi de lutte contre le terrorisme entre autres). Elles ne peuvent pas non plus consister à engager des opérations guerrières inefficaces comme l’ont déjà réalisé les pompiers pyromanes qui nous dirigent (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, etc.) car aujourd’hui est pire qu’hier suite à leurs interventions.

Point 2. Nous estimons par contre que nous devons engager des politiques de temps court, de temps moyen et de temps long car on ne sortira pas de cette crise globale par des solutions aussi simplistes que démagogiques. Il nous faudra clarifier et comprendre la complexité des situations. Une fois comprises leurs causes complexes, il faudra admettre que les gouvernements rompent avec les politiques d’austérité pour trouver les financements nécessaires.

Point 3. En ce qui concerne le droit à la sûreté et à la sécurité publique, la déficience et le manque de coordination des services de renseignement français ont été patentes. Il convient donc, pour répondre aux actes du terrorisme islamiste, de centraliser, de développer de façon enfin efficace le renseignement français à un haut niveau technique et analytique, en matériel, en formation, en personnel.
Mais pour assurer le maintien et la promotion de droits nouveaux, il est nécessaire que tout développement du renseignement s’accompagne de dispositifs de contrôle institutionnel et populaire tels que le renseignement ne soit pas utilisé insidieusement, comme par le passé, pour des intérêts politiciens ou pour la restrictions des droits.

Point 4. Plus que jamais, il est impossible d’accepter le caractère criminogène des prisons qui favorise depuis plusieurs années la radicalisation islamiste et tous les embrigadements. Une réflexion de fond en comble est nécessaire sur le traitement des prisonniers durant leur incarcération, dans la préparation à la réintégration dans la société, notamment par des mesures éducatives ayant un prolongement après la sortie, mesures qui nécessitent davantage de personnels.

Point 5. Plus que jamais, nous devons dénoncer le double jeu des néolibéraux dans leur alliance énergétique avec les monarchies pétrolières qui financent le terrorisme islamiste. Notre stratégie doit être celle du double front contre les politiques néolibérales d’une part et contre les intégrismes et communautarismes d’autre part. Voilà pourquoi le combat laïque s’internationalise aujourd’hui.

Point 6. Nous ne pouvons plus accepter d’être sous la coupe de conflits inter-impérialistes favorisant les intégrismes religieux et politiques. Plus que jamais, nous devons œuvrer pour une politique internationale basée sur la paix, la coopération, le développement économique, laïque, social et écologique.

Point 7. C’est le modèle politique néolibéral qui produit des « monstres », qui sont bel et bien de nationalité française. C’est le développement actuel du capitalisme qui discrédite la promesse républicaine d’intégration et de mobilité sociale. L’accroissement des inégalités sociales de toute nature, l’augmentation de la pauvreté et de la misère en France, les attaques contre les droits économiques et sociaux mis en place par le Conseil national de la Résistance, la démolition progressive de l’école, des services publics, de la protection sociale, l’accroissement du travail précaire et du chômage, les discriminations quotidiennement vécues, toutes conséquences de la course au profit capitaliste, ne permettent pas une sortie par le haut de cette crise globale.

Point 8. C’est bien d’un modèle politique alternatif que nous avons besoin. Le modèle que nous préconisons est celui de la République sociale avec ses principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de démocratie, de solidarité, de souveraineté populaire, de droit à sûreté, d’universalité, de développement écologique et social.
Pour cela, des ruptures sont nécessaires notamment avec la politique de l’actuelle Union européenne, fondée sur le dogme de la « concurrence libre et non faussée », et celle de l’actuelle zone Euro. Cela passe par l’affirmation et le développement de la souveraineté populaire.

Point 9. Le combat laïque (dont découlent notamment la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté d’expression, la stricte séparation des églises et de l’Etat) doit être mené contre ses trois adversaires en France. D’abord contre le laïcisme de droite et d’extrême droite qui veut stigmatiser et discriminer les musulmans. Puis, contre le lobby catholique responsable de la croissance des financements communautaristes et des dérogations en fonction des territoires. Enfin, contre la laïcité d’imposture prônée par une partie de la gauche et de l’extrême gauche qui favorise par complaisance les communautarismes et les intégrismes religieux

Point 10. Le rôle de l’éducation est stratégique pour les jeunes d’aujourd’hui et de demain. Or la réaction néolibérale a travaillé à détruire ce qu’il y avait de républicain, bien qu’imparfait, dans l’école héritée de la IIIe République : en réduisant et en émiettant les contenus émancipateurs (histoire, maîtrise de la lecture, de la langue française…), en dévalorisant les apprentissages suivis et méthodiques, en opposant un constructivisme dogmatique aux pédagogies de la transmission, l’école néolibérale plus que jamais laisse démunis les enfants de milieux populaires, sécrétant l’échec scolaire et la désespérance sociale, et ouvrant un champ libre aux entreprises d’endoctrinement.

Point 11. Pour autant, même si l’école publique doit être reconstruite, encore plus républicaine qu’autrefois, si ses enseignants doivent être soutenus face aux pressions de tous ordres, nous ne cesserons de dire qu’on ne peut tout lui demander, car elle est combattue par les forces extérieures représentatives du profit privé (publicité, modèle de consommation facile et plus généralement l’idéologie dominante véhiculée par les médias). Elle doit donc être épaulée et prolongée par une éducation populaire qui touche ceux qui restent absents ou à la marge du débat citoyen.

Point 12. Nous continuerons à dire que la crise globale que nous subissons n’a pas que des causes économiques et sociales. Elle a aussi des causes culturelles. Comme le disait Antonio Gramsci, aucune transformation économique, sociale et politique n’aura lieu si préalablement nous ne gagnons pas la bataille de l’hégémonie culturelle. Voilà pourquoi une grande campagne d’éducation populaire visant à mener cette bataille pour l’hégémonie culturelle sur tous les thèmes ci-dessus s’avère nécessaire et prioritaire sur tout le territoire.

Point 13. Rassembler les forces de la gauche sociale, laïque et républicaine est la première tâche à opérer. Les points qui précèdent doivent être considérés, bien sûr, comme une base de discussion en vue du rassemblement pour mener à bien la campagne notée au point 12.

Charlie Hebdo
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Pour lutter contre le fanatisme, la laïcité plus que jamais nécessaire

par Henri Pena-Ruiz
Auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon, Paris 2014), ancien membre de la Commission Stasi sur la laïcité dans la République

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Paris, Place de la République, nuit du 7 janvier 2015. Des dizaines de bougies vacillent au pied de Marianne. La République est en deuil. Qui pourra dire l’accablement, cette tristesse dans tous les yeux, cette impossibilité de former des paroles qui ne paraissent pas dérisoires ? On prend soudain la mesure du crime. Les fanatiques ont voulu tuer le courage, l’humour critique, l’insolence salutaire, ces audaces de l’art et de la satire qui parlaient vrai et clair.
Et ce alors que la complaisance électoraliste inventait le politiquement correct pour travestir la trahison en réalisme, en expressions confuses, en formules ambiguës. Car enfin confondre l’esprit critique avec la stigmatisation, la culture avec le culte, la fermeté du droit avec la violence arbitraire, c’est brouiller le sens des principes et encourager leurs adversaires. De même réduire la laïcité à l’égalité des religions et non de toutes les convictions, c’est discriminer l’humanisme athée ou agnostique.

Paradoxe. C’est l’humour impertinent qui a tenu lieu de clarté politique, quand trop de responsables se sont livrés à l’incantation de principes qu’ils n’osaient plus défendre concrètement. Chez Cabu, chez Charb, chez Honoré, chez Tignous, chez Wolinsky, héros ordinaires de la clarté comme du courage, la liberté ne s’encombrait pas d’opportunismes ou de silences partisans. Elle jaillissait avec la fraîcheur du regard sans concession, la force d’un absolu dit hâtivement « irresponsable », mais assumé comme tel à rebours des lâchetés intéressées. Oui les dessinateurs de Charlie étaient les « instituteurs du peuple » chers à Victor Hugo. Leurs caricatures géniales surgissaient de la conscience spontanée qui pointe l’inqualifiable et le donne à voir sans autre violence que celle du fanatisme dénoncé. On riait devant le dessin et sa légende, car il visait juste en passant à la limite, mais selon un clin d’œil complice qui n’avait rien de cette violence pointée du doigt.

Ces hommes de culture ne voulaient nullement faire la leçon. Ils incarnaient la liberté vive de l’être humain, cette sorte de langage sans façon qui convoque la pensée dans le sourire provoqué, et produit la conscience émancipée. Ces artistes modestes et tendres n’étaient jamais méchants, mais toujours féroces avec l’inhumanité qu’ils dessinaient sans complexe ni fausse pudeur. Ils dénonçaient l’intolérance et le racisme, la xénophobie et la bêtise meurtrière. Ils s’inscrivent désormais dans la « tradition des opprimés » chère à Walter Benjamin. Ils côtoient Jean Calas et le Chevalier de Labarre, Giordano Bruno et Michel Servet, suppliciés au nom de la religion. Ils sont les héritiers de Voltaire, qui « écrasait l’infâme » dans l’humour du Dictionnaire philosophique, de Diderot qui dénonçait le fanatisme dans La Religieuse, d’Averroès qui invitait à lire le Coran avec distance dans le Discours décisif.

Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinsky n’ont jamais confondu le respect de la liberté de croire, conquis par l’émancipation laïque, et le respect des croyances elles-mêmes. Ils ont su qu’on peut critiquer voire tourner en dérision une religion, quelle qu’elle soit, et que ce geste n’a rien à voir avec la stigmatisation d’une personne en raison de sa religion. Ils ont pratiqué la laïcité par la liberté de leur art, sans l’affubler d’adjectifs qui attestent une réticence hypocrite. Ni ouverte ni fermée, leur laïcité avait l’évidence nette de leurs dessins créateurs. Car ils savaient que l’indépendance des lois communes à l’égard de toute religion est la condition des libertés comme de l’égalité, mais aussi celle d’un cadre commun à tous, capable d’unir sans soumettre. Ils savaient, comme le rappelle Bayle, qu’il n’existe de blasphème que pour ceux qui vénèrent la réalité dite blasphémée. Dans un état de droit laïque nul délit de blasphème n’est légitime.

Ils savaient aussi, et montraient clairement, que les fidèles des religions ne peuvent être confondus avec leurs délinquants. Ni le christianisme avec Torquemada qui envoya au bûcher tant d’« hérétiques » ou avec les poseurs de bombe qui le 23 octobre 1988 firent 14 blessés graves en incendiant le cinéma Saint-Michel qui projetait La dernière tentation du Christ. Ni le judaïsme avec Baruch Goldstein qui le 25 février 1994 abattit à Hébron 29 Palestiniens ou avec Yigal Amir qui assassina Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995 après avoir vu dans un verset de la Bible une incitation au meurtre. Ni l’Islam avec les fous de Dieu qui le 11 septembre 2001 précipitèrent des avions contre les Twin Towers de New York, causant la mort de plus de 3 000 personnes, ou avec les tortionnaires de l’Etat Islamique qui violent les femmes et décapitent des journalistes.

Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinsky nous manquent déjà, d’une absence cruelle qui nous fait mesurer ce qu’ils apportaient à l’humanité rieuse et pensante, à la lucidité collective, à la conscience libre. Et avec eux nous manquent toutes les personnes qui ont subi cette mort aveugle. Si nous voulons être Charlie, vraiment, nous devons bannir toute tentation de transiger sous quelque prétexte que ce soit avec les principes de notre République. Des principes conquis dans le sang et les larmes, à rebours de traditions rétrogrades qui n’épargnèrent aucune culture, aucune région du monde. Liberté, égalité, fraternité. Et laïcité, plus que jamais.

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  • Combat laïque

Restons Charlie ! Abrogeons le délit de blasphème sur tout le territoire de la République

par l'UFAL (Union des FAmilles Laïques)
www.ufal.info
http://www.ufal.org

 

Une pétition à signer ici (communiqué commun de l’UFAL, d’Egale et du CLR).
Pétion blasphème

Huit membres de la rédaction de Charlie-Hebdo et 1 policier chargé de les protéger sont morts pour la liberté d’expression dans un attentat qui a fait 3 autres victimes. En France, cette liberté fondamentale implique le droit de critiquer les religions, et de les tourner en dérision. Ce que les dogmes religieux appellent « blasphème » est relatif aux seuls adeptes d’un culte donné, et ne saurait donc s’appliquer à l’ensemble des citoyens. Le blasphème est non seulement inconnu du droit de la République, mais légitime et autorisé. Seules sont interdites et sanctionnées pénalement les attaques contre les personnes ou les groupes de personnes, quand elles revêtent un caractère diffamatoire, raciste, antisémite, xénophobe, ou discriminatoire.

Or nous rappelons qu’il subsiste encore, dans les départements d’Alsace et la Moselle, un « délit de blasphème », vestige dans le « droit local des cultes » de l’occupation bismarckienne de 1870. Il est toujours prévu et réprimé par l’art. 166 du droit pénal local.

Nous, soussignés, exigeons l’abrogation immédiate, par voie législative, de ce délit de blasphème dérogatoire aux lois de la République, et à jamais lié à la justification prétendue de meurtres barbares.

150114_laLoiCharb_UfalUne telle abrogation ne porterait aucunement atteinte au libre exercice des cultes, puisque celui-ci est garanti partout en France par la Constitution et la loi du 9 décembre 1905. Cet acte hautement symbolique nous paraît un devoir minimal du Parlement et du Gouvernement français, à l’égard de la mémoire des victimes de la liberté d’expression, saluée le 11 janvier par des millions de personnes. Mettre fin à cette dérogation locale potentiellement meurtrière aura en même temps la valeur d’une réaffirmation, pour l’ensemble du territoire, de la portée des libertés républicaines.

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Charlie Hebdo : on n'avait pas attendu qu'il y ait des victimes...

 

Rappelons ici que notre Journal s’est manifesté à de multiples occasions pour Charlie Hebdo et que, en  mars 2012, Charb était parmi les premiers signataires de l’appel lancé par ReSPUBLICA : Pétition : Laïcité sans exceptions.
Voir par exemple, en ordre chronologique descendant :

Le dernier numéro de « Charlie Hebdo » serait une provocation ? Une opération commerciale ? Une débilité, ou au mieux un humour dégénéré ?
Publié le 22 septembre 2012, par Mohand Bakir

Multiplication des atteintes à la liberté d’expression en France : que faire ?
Publié le 3 novembre 2011, par Évariste

Les intégrismes religieux unis contre la liberté d’expression : c’est en France que ça se passe !
Publié le 2 novembre 2011, par l’UFAL (Union des FAmilles Laïques)

En soutien à Charlie Hebdo : deux de ses « Une » détournées
Publié le 2 novembre 2011, par Nicolas Gavrilenko

Charlie Hebdo et création artistique
Publié le 2 novembre 2011, par Alexis Corbière

Sans compter de très nombreux articles en 2006-2007 à l’occasion du « procès des caricatures » et de l’organisation des Rencontres Laïques Internationales de Montreuil, parmi lesquels :

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  • ReSPUBLICA

Charlie-berté : libérons l'information !

par un collectif

Source de l'article

 

Les syndicats de journalistes (SNJ / SNJ-CGT / CFDT-Journalistes), avec leurs fédérations FIJ (internationale) et FEJ (européenne), saluent les quelque quatre millions de citoyens qui ont participé aux marches et rassemblements dimanche à Paris comme dans toute la France, en hommage aux 17 victimes tombées sous les balles des fanatiques, ennemis de la liberté. Nos confrères de Charlie Hebdo ont été touchés par cet énorme sursaut populaire.

Il faut désormais que cessent partout les entraves au droit des journalistes de pouvoir critiquer, moquer, pratiquer l’humour en dégoupillant les mines de crayon. Et d’être plus que jamais le poil à gratter contre tous les intégristes, obscurantistes, ennemis de la liberté d’expression, racistes et xénophobes de tout acabit.

Comment ne pas être interloqués par la présence, dans la marche parisienne, dans le carré des VIP, du président gabonais Ali Bongo; d‘Ahmet Davotoglu, premier ministre de Turquie, l’une des plus grandes prisons de journalistes; de Benjamin Netanyahou, le premier ministre d’Israël alors que 16 journalistes palestiniens ont été tués en 2014 par les forces de sécurité israéliennes ; de Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie d’une Russie qui musèle sa télévision et réprime de nombreux confrères; de son homologue des Émirats Arabes Unis, où l’on peut être emprisonné pour un tweet, cheikh Abdallah ben Zayed Al-Nahyane… Mais encore par celle de Viktor Orban, le premier ministre hongrois, qui a fait main basse sur les médias de son pays. Sans oublier la présence contestable d’autres dirigeants du monde qui n’ont pas la même vision de la liberté que ceux que nous pleurons depuis mercredi. Par exemple en Grèce où Antonis Samaras, le premier ministre, a ordonné la fermeture de la chaîne publique ERT, rouverte depuis sur décision du Conseil d’État.

Les Charb, Wolinski, Cabu, Honoré, Tignous, Ourrad, Elsa ou Maris n’auraient pas admis qu’on leur impose que ces ennemis de la liberté foulent le pavé parisien et tentent de récupérer l’élan populaire contre la haine et pour la liberté d’informer.
Rappelons qu’en 2014, 118 journalistes et personnels des médias ont trouvé la mort. Et que parmi les premières victimes de l’année 2015 figurent des journalistes yéménites et tunisiens, avant même le massacre de nos confrères de Charlie.

Alors plus que jamais, ensemble avec les citoyens du monde, libérons les médias des chaînes qui les étouffent, et empêchons les lois d’exception et autres « Patriot Acts » qui nuisent gravement aux libertés. En France, le combat contre l’intolérance réside dans l’éducation, l’exercice du sens critique, mais aussi la bonne santé de tous les médias, même les plus libertaires, et les journaux à faibles revenus publicitaires. Aussi faut-il enfin faire vivre le pluralisme de l’information face aux concentrations et poser urgemment et concrètement la question des aides à la presse, afin qu’elles répondent vraiment aux nécessités des citoyens : une information de qualité.

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Depuis 50 ans, le capitalisme s’adapte à sa crise sur le dos de l’école

par Évariste
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Depuis la crise du fordisme, il y a près de 50 ans, le capitalisme français s’est mis petit à petit en ordre de marche pour sortir la France du modèle de la République sociale qui avait été mis en place par le programme du Conseil national de la Résistance : « Les jours heureux ». En quelques décennies, ils ont remis en cause tous les éléments sans exception du modèle mis en place en 1945. D’ailleurs, Denis Kessler, l’un des acteurs majeurs de cette contre révolution néolibérale l’attestait clairement dans la revue Challenges le 4 octobre 2007 : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Ils ont modifié de fond en comble les institutions et les politiques économiques, mais ils ont aussi attaqué frontalement l’ensemble de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, protection sociale).
Voyons dans cette chronique comment ils se sont organisés pour fabriquer l’école néolibérale, en suivant deux voies tout à fait compatibles qui se sont in fine rejointes dans l’école dite « des compétences » qui est une école avec de moins en moins de connaissances.

D’abord, la bourgeoisie a estimé qu’elle devait réduire, sur longue période, les moyens mis dans l’école et les réserver à quelques-uns (reproduction sociale oblige !) parce que ces dépenses pèsent trop sur les profits, mais aussi de conserver le plus longtemps possible une apparence républicaine de pure forme pour masquer l’abandon de la République réelle. Dans cette société du spectacle, il fallait maquiller les véritables raisons de cette politique et construire le discours spectaculaire qui devait à terme justifier le mouvement réformateur néolibéral.Entrent alors en action les idiots utiles du mouvement réformateur néolibéral aux fins d’adapter l’école à ce dernier.
Les adaptateurs au mouvement réformateur néolibéral, ce sont les Prost, Legrand, Meyrieu (bras droit de Claude Allègre) et consorts. Contre la liberté pédagogique, ils ont promu le pédagogisme. Contre la démocratisation, ils ont promu la massification. Soutenus par la nébuleuse des sciences de l’éducation, ils ont développé l’illusion pédagogiste de l’élève constructeur de son propre savoir. Ils ont même tenté de théoriser l’illusion numérique pour y parvenir. La transmission du savoir être a remplacé la transmission des savoirs pour 15 % de la classe d’âge. Ils ont développé l’opposition absurde entre apprendre et comprendre, entre déchiffrer et comprendre, entre règles et abus de pouvoir. Ils ont accepté de continuer l’orientation par l’échec. Ils ont affaissé la mobilité sociale par l’école. Ils ont accepté la ghettoïsation scolaire. Ils ont développé la « tribalisation » de l’échec scolaire. Contre l’instruction pour tous, ils ont développé l’imposture de la discrimination positive. Ils ont développé le mot d’ordre du 80 % de la classe d’âge titulaire du baccalauréat en dévalorisant le bac avec la multiplication des bacs à options dont certains sont des voies de garage pures et simples.

Et pour assurer la reproduction sociale de la bourgeoisie, la massification anti-démocratique a été de pair avec le développement des filières pour les enfants de la bourgeoisie via les options, notamment les langues étrangères, et avec le développement de l’école privée confessionnelle comme futur refuge de l’élitisme bourgeois à côté des établissements des beaux quartiers. L’école à plusieurs vitesses en somme ! À noter qu’aujourd’hui, un élève de l’école privée confessionnelle sous contrat a plus de moyens qu’un élève de l’école publique. Le lobby catholique, autre soutien du mouvement réformateur néolibéral, a réussi son objectif de la « parité financière » des « deux écoles ». Aussi, ce que payent les parents à l’école privée confessionnelle, c’est du plus ! Nous ne sommes plus en République !

Face à ces destructeurs, il ne s’agit pas de promouvoir un républicanisme désuet et élitiste au mauvais sens du terme. L’école selon Jules Ferry était certes républicaine, mais elle reflétait l’état de la société de la fin du XIXe siècle largement paysanne et marquée par l’Eglise. En outre, elle n’ambitionnait pour tous les enfants qu’un niveau scolaire limité (l’accès à l’enseignement secondaire long était très difficile), et les contenus d’enseignement, malgré leur dette à l’égard des Lumières, comportaient aussi une bonne part de bien-pensance conformiste. Nous sommes au XXIe siècle dans une société plus urbaine et plus sécularisée. Nous avons les moyens d’engager la démocratisation de l’école et non une simple massification qui n’améliore rien. Du reste, les républicains qui depuis quarante ans se sont opposés à la politique des « réformateurs » hostiles à l’instruction ne s’y sont pas trompés : c’est à Condorcet qu’ils se sont référés, sachant qu’on y trouve les principes fondamentaux pour penser l’école républicaine.

Aujourd’hui, l’école des connaissances est remplacée par l’école des compétences sans que l’acquisition des connaissances soit une priorité ! S’est engagé, dans le tumulte de la réforme dite des « rythmes scolaires », le début du remplacement, au sein de l’école publique, des enseignants bac +5 par des animateurs BAFA. Il fallait bien « dégraisser le mammouth » ! Mais bien sûr, cette réforme ne s’appliquera pas à l’école privée confessionnelle et pour cause !

Mais si la mobilité sociale de l’école s’est effondrée, il faut rajouter les 130 000 élèves qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme et sans qualification. Pour beaucoup d’entre eux ils sont illettrés. Quelle réussite des politiques éducatives depuis quarante ans !

De nombreuses études ont été produites. En 1997, le rapport de l’inspecteur général Ferrier tirait déjà la sonnette d’alarme : « Selon les années, ce sont entre 21 et 42 % des élèves qui, au début du cycle III (entrée en CE2), paraissent ne pas maîtriser le niveau minimal des compétences dites de base en lecture ou en calcul ou dans les deux domaines. Ils sont entre 21 % et 35 % à l’entrée du collège. » En 2007, Manesse et Cogis ont montré concernant l’orthographe, que les collégiens de 2007 étaient au niveau des CM2 de 1987. Alain Bentolila déclare que 70 % des copies de licence à l’université ont plus de huit fautes d’orthographe par page. 40 % de ces fautes sont de nature grammaticale : accords, morphologie verbale, etc. On sait depuis longtemps que les difficultés en mathématiques sont principalement dues à une difficulté de compréhension des énoncés.

Si les lois scolaires des années 1880 ont lutté victorieusement contre l’analphabétisme et pour l’instruction, c’est grâce à l’alliance de classe entre le mouvement ouvrier et la bourgeoisie montante contre la bourgeoisie rentière, l’Église, la droite cléricale et les monarchistes. Aujourd’hui, le mouvement réformateur néolibéral n’a pas besoin de lutter contre l’illettrisme et le prolétariat n’est pas aujourd’hui en état de force propulsive. Tout le reste n’est que fioriture et débat de salon !

L’école, pierre angulaire de la République, ne peut se déterminer que par rapport à elle. Il n’y a point de salut pour l’école sans une lutte opiniâtre contre le mouvement réformateur néolibéral. Mais même cela n’est pas suffisant. La période n’est plus la même. Car nous pensons qu’il n’y a plus d’alternative au sein du capitalisme1. Le pli historique ouvert par la Renaissance au XVIe siècle semble bien condamné.

Et pour changer de modèle politique, il faut une alliance de classe organisée autour du prolétariat sans lequel il n’y aura pas de force propulsive. Il est nécessaire alors de penser une école qui transmette des connaissances pour former le futur citoyen, pour tenir la promesse de la République sociale2 d’une forte mobilité sociale, d’amener 100 % d’une classe d’âge à un diplôme et une qualification, d’éradiquer l’illettrisme, de n’accepter les différences entre les élèves que par leurs vertus et leurs talents et non par leur appartenance sociologique !

Vous me direz que c’est plus dur ! Vous avez raison ! Mais c’est la seule voie possible !

 

NDLR – Outre les deux textes suivants du sommaire de ce numéro 770, nous proposons au lecteur soucieux de comparaisons internationales les lectures ci-dessous :

Privatiser l’école en France ? Pas tout à fait une fiction, par Louise Tourret, 5 septembre 2013 : http://www.slate.fr/story/77312/privatiser-ecole-france-pas-tout-fait-une-fiction
Education: la Suède n’en peut plus du tout-privé, par Laurent Mouloud, 21 décembre 2013 : http://www.humanite.fr/education-la-suede-nen-peut-plus-du-tout-prive

 

 

  1. Néolibéralisme et crise de la dette de Michel Zerbato et Bernard Teper, chez 2ème édition (8,5 euros). []
  2. Penser la République sociale pour le XXIe siècle par Pierre Nicolas et Bernard Teper, chez Éric Jamet éditeur (deux tomes 10 euros chacun). []
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L’Ecole et le Capital : deux cents ans de bouleversements et de contradictions

par Nico Hirtt

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Paru dans L’école démocratique n°53, mars 2013.
A l’occasion d’un cours donné récemment à de futurs instituteur et régents, je leur demandai de but en blanc : « à quoi sert donc l’école ? Pourquoi oblige-t-on les enfants à s’asseoir pendant de longues heures chaque jour sur les bancs d’une classe ? » Les réponses fusèrent : « pour former des citoyens responsables », « pour permettre à chacun de prendre sa place dans la société », « pour émanciper », « pour ouvrir l’esprit », « pour offrir aux jeunes la possibilité de choisir leur voie professionnelle en connaissance de cause », « pour assurer l’égalité des chances »…

Ah les braves ! Ils avaient bien étudié leurs leçons ! Au bout de quelques minutes j’arrêtai le déluge. « Tout cela est fort bien, dis-je, mais ce n’est pas du tout ce que je vous demandais ». Déception et étonnement palpables ! Je précisai donc : « La question était : à quoi sert l’école ? et non : à quoi voudriez-vous que serve l’école ? »…

Et de leur expliquer la différence entre attentes, discours et fonctions. Les attentes que nous pouvons avoir par rapport à l’école sont forcément subjectives, influencées par notre expérience, les valeurs que nous privilégions, nos convictions idéologiques, notre position sociale. Les discours que chacun tient sur l’école peuvent être un reflet, plus ou moins fidèle, de ces attentes ; mais ils peuvent aussi dire le contraire, par exemple lorsqu’on a des raisons de camoufler ou de déformer ce que l’on pense vraiment. Enfin, les fonctions de l’école ne disent pas ce que je voudrais que l’école fasse mais ce que l’école fait réellement. Elles sont une donnée objective, indépendante de nos attentes et de nos discours. Pour les dévoiler il nous faut concevoir l’école, non comme une création consciente de quelques hommes, mais comme le produit nécessaire du développement de la société. Un peu comme nos organes — main, jambes, yeux… — et leurs fonctions — saisir, marcher, voir… — apparaissent aujourd’hui comme le produit nécessaire de l’évolution biologique.

C’est donc à une histoire un peu singulière des systèmes éducatifs que je vous convie ici. D’abord parce que les mutations de l’école n’y seront pas expliquées par les lubies de pédagogues ou les ambitions d’hommes politiques, mais par le développement des conditions matérielles qui dictent l’organisation et les contradictions de nos sociétés : les sciences, la technologie et leur impact sur les rapports de production. Deuxièmement, parce qu’à l’encontre de tous les usages en la matière, je ne remonterai pas à l’antiquité. Depuis Athènes et Sparte jusqu’aux Lumières, l’histoire de l’école institutionnalisée, c’est l’histoire de la formation d’élites sociales et politiques. Sauf rares exceptions, ni les esclaves de Rome ni les paysans flamands ou wallons du XVIIIe siècle n’allaient à l’école. Or, c’est à la scolarisation des « enfants du peuple » que je veux m’intéresser. Comprendre son origine et ses mutations, pour mieux appréhender les changements qu’elle traverse aujourd’hui. Cette histoire-là commence avec la Révolution industrielle.

Grandes familles rurales et apprentissage ouvrier : quand socialisation et formation allaient de pair

Avant la Révolution industrielle, la très grande majorité des enfants des classes populaires ne fréquentaient pas l’école. En Belgique, une étude portant sur les années 1779 à 1792 indique que 39% des hommes et 63% des femmes, villes et campagnes confondues, étaient incapables de signer autrement qu’en apposant une croix au bas des actes paroissiaux de mariage ou de baptême [1]. Encore s’agissait-il là d’une situation relativement exceptionnelle en Europe. A la même époque, dans la Haute Vienne (la région de Limoges), seuls 8,2 % des hommes et 5 % des femmes signaient leur acte de mariage. [2]

Cependant, ces enfants des campagnes qui n’allaient pas à l’école ne restaient pas pour autant ignorants. Paradoxalement, le faible niveau de technicité de la production agricole faisait appel à un haut degré de qualification. Il ne suffisait pas de connaître la terre et les saisons, il fallait aussi savoir utiliser et entretenir les nombreux outils que requérait la vie à la ferme, ceux propres à l’activité agricole ainsi que ceux des artisanats, qui constituaient souvent le principal revenu à la saison morte. Dans les régions forestières, l’hiver venu, le paysan se transformait en ouvrier bûcheron payé à la tâche ou en scieur de long. Or, l’affutage des lames, par exemple, nécessitait un savoir-faire difficile, qui se transmettait au fil des générations. D’autres se faisaient charbonniers de bois : ils savaient couper les branches, dresser le fourneau, recouvrir celui-ci de feuilles et de terre, y aménager une cheminée correctement dimensionnée, allumer un feu uniforme et en surveiller la combustion pendant cinq jours et cinq nuits.

Il faut visiter un musée de l’outil ou un musée ethnographique rural pour se convaincre de l’extraordinaire variété de talents et de qualifications que requérait jadis l’artisanat des campagnes. Dans les caricatures de la presse urbaine, le sabot du paysan a longtemps symbolisé l’ignorance. Mais on ferait bien de se souvenir que le sabotier fut un jour l’artisan le plus en vue du village. Son savoir-faire requérait la maîtrise d’innombrables outils et des connaissances variées. Après avoir choisi l’arbre qui convenait et l’avoir débité en billes, il fallait le façonner à sec à la hache, à l’herminette puis au paroir ; on entreprenait ensuite de creuser le sabot avec des tarières et des cuillers afin de l’adapter petit à petit au pied ; on achevait le travail avec le boutoir, la rouanne et la rogne à talon. Pour la seule région du Limousin, on a relevé ainsi plus de cent seize petits métiers et artisanats, souvent saisonniers, donc exercés par des paysans n’ayant jamais été scolarisés. Leur diversité même témoigne de l’extrême spécialisation des connaissances et savoir-faire qu’ils exigeaient [3].

La formation technique se faisait en famille. C’était souvent de père en fils que l’on devenait agriculteur, berger, tonnelier, charpentier ou couvreur. Parfois, plus rarement, un jeune était placé comme apprenti chez un artisan.

En ville, au contraire, la formation des futurs ouvriers ou compagnons de l’artisanat se réalisait essentiellement par l’apprentissage. Dans certains cas, on exigeait que l’apprenti ait préalablement appris à lire et à écrire, qu’il ait donc été scolarisé. Mais cela ne concernait que les métiers les plus nobles, comme l’imprimerie ou l’orfèvrerie, ceux où les parents devaient débourser des sommes considérables pour placer le jeune en apprentissage. Le plus souvent, c’était au maître qu’il appartenait d’instruire l’enfant, de lui apprendre parfois à lire et à écrire.

La famille rurale de l’Ancien régime, tout comme le noyau familial urbain où était accueilli l’apprenti ne constituaient pas seulement des lieux de formation et d’instruction. Ils comptaient un grand nombre de jeunes et d’adultes de diverses générations, vivant sous le même toit. L’enfant y était intégré dès le plus jeune âge dans le travail agricole, domestique ou artisanal. Cette famille pré-industrielle, qu’elle soit rurale-agricole ou urbaine-artisanale, était tout à la fois une communauté de vie et une unité de production. C’est par le travail à la ferme ou à l’atelier, que les enfants étaient instruits dans les techniques de la production et socialisés par l’apprentissage des règles de base de la vie commune.

Machinisme et aliénation : « ouvrir une école, c’est fermer une prison »

Le passage au machinisme, c’est-à-dire au capitalisme industriel, va radicalement transformer la nature du travail et, partant, la formation des travailleurs. L’ancienne grande famille rurale se trouve désarticulée et remplacée par un petit noyau familial urbain. Et même ce noyau-là se désagrège rapidement avec l’avancée du travail des femmes et des enfants. A l’usine, le vieux paternalisme des patrons des fabriques rurales cède la place à la froide, inégale et éphémère relation contractuelle qui lie le propriétaire des moyens de production et le propriétaire d’une force de travail, le capital et l’ouvrier. La décomposition du travail complexe qu’effectuait jadis un seul ouvrier dans l’atelier ou la manufacture, son remplacement par une multitude d’ouvriers enchaînés aux nouveaux outils de production et chargés de répéter chacun une tâche simple, parcellaire, au rythme imposé par la machine, tout cela implique une formidable déqualification des prolétaires. « En substituant les procédés mécaniques à l’habileté manuelle et à la formation professionnelle coûteuse, en permettant à long terme le remplacement des artisans et des travailleurs du domestic system par la foule des manoeuvres de l’usine moderne, [le machinisme] ouvre vraiment une ère nouvelle dans l’exploitation et la rentabilité du travail humain » [4].

Dans Le Capital, Karl Marx illustre d’un exemple concret, celui des imprimeries londoniennes, comment le machinisme a engendré cette déqualification du travail ouvrier. « [Jadis,] dans les imprimeries anglaises, les apprentis s’élevaient peu à peu, des travaux les plus simples aux travaux les plus complexes. Ils parcouraient plusieurs stages avant d’être des typographes achevés. On exigeait de tous qu’ils sussent lire et écrire. La machine à imprimer a bouleversé tout cela. Elle emploie deux sortes d’ouvriers : un adulte qui la surveille et deux jeunes garçons, âgés, pour la plupart, de onze à dix-sept ans, dont la besogne se borne à étendre sous la machine une feuille de papier et à l’enlever dès qu’elle est imprimée. Ils s’acquittent de cette opération fastidieuse, à Londres notamment, quatorze, quinze et seize heures de suite, pendant quelques jours de la semaine, et souvent trente-six heures consécutives avec deux heures seulement de répit pour le repas et le sommeil. La plupart ne savent pas lire. Ce sont, en général, des créatures informes et tout à fait abruties. (…) Dès qu’ils sont trop âgés (…) on les congédie et ils deviennent autant de recrues du crime. Leur ignorance, leur grossièreté et leur détérioration physique et intellectuelle ont fait échouer les quelques essais tentés pour les occuper ailleurs ». [5]

L’industrialisation capitaliste a ainsi radicalement transformé le rapport entre l’homme et la technique, en asservissant le travailleur à des processus techniques imposés de l’extérieur et inaccessibles. L’industrialisation et le machinisme ont établi une barrière, à la fois sociale et intellectuelle, entre la conception des techniques de production et leur utilisation. Désormais, le prolétaire n’agit plus que sous les impératifs de lois (économiques, techniques, scientifiques…) qui échappent à sa compréhension. Il n ‘impose plus son rythme à la machine, c’est la machine qui lui impose le sien. La non-qualification de l’ouvrier, son ignorance, son abrutissement intellectuel, deviennent la condition même de son « employabilité » dans les nouveaux processus de production.

Marx :« La machine, qui possède le merveilleux pouvoir d ‘abréger le travail et de le rendre plus productif, suscite l ?étiolement de la force de travail en même temps qu ‘elle la suce jusqu ‘à la moelle. (…) Il apparaît même que la sereine lumière de la science ne puisse briller que sur l’arrière-fond de l’ignorance. Toutes nos inventions et tous nos progrès ne paraissent avoir d’autre résultat que de doter de vie et d’intelligence les forces matérielles, et d’abêtir l’homme en le ravalant au niveau d’une force purement physique ». [6]

C’est une double « aliénation » que subit ainsi l’ouvrier de l’ère industrielle. Comme tous les prolétaires avant lui, il doit vendre une partie de soi-même, sa force de travail, pour survivre. Mais cet ouvrier nouveau se trouve également spolié de la maîtrise intellectuelle du processus de production. Il n’est plus qu’un auxiliaire de la machine. Il se trouve soumis au patronat, non seulement parce qu’il ne possède pas de moyens de production, mais parce qu’il ne possède même plus la capacité de maîtriser cette production industrielle nouvelle.

Il est frappant de constater que, dans un premier temps, le machinisme et la révolution industrielle n’induisirent aucunement un développement rapide de l’enseignement scolaire. Les données disponibles pour l’Angleterre, première nation à s’engager dans cette révolution, sont éclairantes. Au milieu du XVIIIe siècle, deux tiers des hommes anglais et 40% des femmes savaient lire. Or, près d’un siècle plus tard, en 1840, on observe que ces taux sont à peu près identiques. Il semble même qu’entre ces deux dates on ait connu d’abord un déclin de l’instruction puis une reprise à partir du début du XIXe siècle. [7]

Parallèlement on observait fort logiquement un recul du mode de formation traditionnel que constituait l’apprentissage. Proportionnellement, de moins en moins d’emplois nécessitaient une véritable qualification et, lorsqu’elle était néanmoins indispensable, elle s’acquérait souvent « sur le tas ». L’apprentissage continuait certes d’exister et il se développa même dans certaines petites occupations comme la fabrication d’instruments. Mais il déclina rapidement dans les métiers conquis par l’industrialisation et le machinisme, comme le travail du fer et le textile. L’apprentissage perdit également son ancien caractère de lieu de socialisation. Désormais il se réduisait, au mieux, à l’acquisition d’un savoir-faire technique rudimentaire, en un temps que les parents du jeune souhaitaient voir aussi court que possible.

Quand, à partir du milieu du XIXe siècle, les sociétés capitalistes en voie rapide d’industrialisation décidèrent enfin d’envoyer massivement les enfants des classes populaires à l’école, ce ne fut donc pas d’abord pour répondre à un besoin de formation technique ou professionnelle. Encore moins par souci de démocratie ou d’émancipation.

La véritable raison était à chercher dans cette superbe phrase de Victor Hugo : « Ouvrir une école c’est fermer une prison ». L’aliénation intellectuelle du prolétariat, la perte brutale des repères culturels pour une population arrachée de la vie rurale et plongée dans la misère urbaine, la désagrégation des lieux traditionnel d’éducation et de socialisation,… tout cela avait fini par provoquer un abrutissement moral des classes populaires. Dans les grandes entités urbaines, où le contrôle social et clérical était moins contraignant qu’à la campagne, où les tentations étaient nombreuses, où, surtout, l’exploitation, la misère et les inégalités sociales criantes tendaient à légitimer tout moyen de grappiller un peu de bonheur, une partie du prolétariat s’enfonça dans le vice, l’alcoolisme, la violence, la criminalité, la prostitution. Ce faisant, la classe ouvrière ne faisait que refléter la brutalité qu’elle subissait au travail et dans ses conditions de vie, mais elle devint aussi une menace pour « l’ordre public ».

A défaut de vouloir s’attaquer aux causes réelles de cette déchéance, à savoir les conditions de vie sordides et l’exploitation éhontée de la classe ouvrière, la bourgeoisie du XIXe siècle envisagea de résoudre le problème par l’éducation. « L’éducation est la meilleure branche de la police sociale », déclarait John Wade en 1835, « parce qu’elle s’attaque aux principaux germes du crime de l’envie et de l’ignorance (…) Lâcher un enfant non éduqué dans la vie ne vaut guère mieux que de lâcher un chien enragé ou une bête sauvage dans la rue ». [8] Quant au Belge Edouard Ducpétiaux, il estimait que « le degré d’instruction d’un pays représente toujours d’une manière plus ou moins exacte l’état de sa moralité ». [9]

Socialiser et éduquer les enfants du peuple : telle fut, historiquement, la première fonction de la scolarisation de masse. Qu’y enseignait-on ? De la morale et de la religion, lire et écrire, calculer, le système des poids et mesures. C’est tout. Pas d’histoire, de sciences naturelles ou de géographie. « Lire écrire compter, voilà ce qu’il faut apprendre », déclarait Adolphe Thiers, « quant au reste, cela est superflu. Il faut bien se garder surtout d’aborder à l’école les doctrines sociales, qui doivent être imposées aux masses. » [10].

L’école est née, non parce que le capitalisme triomphant avait besoin de travailleurs instruits, mais précisément pour la raison contraire : parce qu’il avait besoin d’ouvriers non qualifiés et dociles.

Guerres et révoltes autour des conglomérats industriels : l’école au service de la patrie

Aux yeux de beaucoup de progressistes français, Jules Ferry passe encore, de nos jours, pour le brillant fondateur de l’école laïque et républicaine. Mais quelles furent ses motivations ? Ecoutons-le : « Si cet état de choses [l’emprise cléricale sur l’école] se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871 ». [11] C’est en effet après avoir vécu la débâcle des troupes françaises en 1870 et après avoir participé à l’écrasement sanglant de la Commune de Paris que Ferry fonda l’école républicaine en vue, disait-il, de « maintenir une certaine morale d’État, certaines doctrines d’État qui importent à sa conservation ».

Au même moment, le roi des Belges, Leopold II, plaidait la cause de l’enseignement obligatoire en ces termes : « L’enseignement donné aux frais de l’État aura pour mission, à tous les degrés, d’inspirer aux jeunes générations l’amour et le respect des principes sur lesquels reposent nos libres institutions. »

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la mission d’éducation de l’école prit ainsi un contenu de plus en plus marqué sur le plan idéologique. L’origine profonde de ces changements doit être cherchée dans de puissantes avancées technologiques. Avant la césure des années 1870-1880, nous étions dans l’époque d’une industrialisation fondée sur la vapeur, le fer et le coton. « Au delà, c’est l’économie de la chimie, de l’électricité, de l’acier et de l’aluminium, du téléphone et de l’automobile » (Broder 1993 p 59).

Les nouveaux procédés de la sidérurgie et de la chimie nécessitent des installations industrielles gigantesques. La production et la productivité explosent : un haut fourneau Thyssen du début du XXe siècle produit en une trentaine d’heures ce qu’un haut fourneau silésien produisait en une année cent ans plus tôt [12]. Le phénomène de concentration est général. De 1866 à 1896, malgré l’extraordinaire croissance de la production, le nombre des établissements métallurgiques en Europe est tombé de 1.786 à seulement 171 unités. Dans la même période, le nombre des établissements textiles a diminué de 75%. Mais alors que le nombre des entreprises diminue, leur production et leurs effectifs gonflent démesurément. Les entreprises métallurgiques françaises du groupe Schneider employaient 2.500 personnes en 1845, 6.000 en 1860, 10.000 en 1870. [13]

Voilà qui finit par donner une dangereuse consistance au « spectre » qui, depuis plusieurs décennies, hantait la vieille Europe : une classe ouvrière nombreuse, disciplinée par l’industrie, de mieux en mieux organisée, et qui se dotait d’une idéologie dangereuse pour le pouvoir : le socialisme. La Commune de Paris avait déjà résonné comme un coup de tonnerre. Mais entre 1880 et 1910 les partis socialistes révolutionnaires voient grandir sans arrêt leurs effectifs (et leurs voix, là où ils sont autorisés à se présenter aux suffrages).

A cette menace interne vint rapidement s’ajouter une menace extérieure : la concentration industrielle des années 1870 à 1914, a fait entrer le capitalisme dans l’ère des grandes puissances impérialistes. A l’aube du XXe siècle, l’économiste allemand Rudolf Hilferding, écrivait : « La nécessité d’une politique expansionniste révolutionne la vision du monde de la bourgeoisie, qui cesse d’être pacifiste et humaniste. Les vieux libre-échangistes croyaient que la liberté du commerce était non seulement le meilleur des systèmes économiques, mais aussi le début d’une ère de paix. Mais le capital financier a abandonné cette croyance depuis longtemps. Il n’a aucune confiance dans l’harmonie des intérêts capitalistes ; il ne sait que trop bien que la compétition est devenue une question de lutte de pouvoir politique. L’idéal de paix a perdu de son lustre et en lieu et place de l’idéal humaniste nous voyons l’émergence d’une glorification de la grandeur et du pouvoir de l’Etat ». [14]

Il ne suffisait plus, dans ces conditions, que l’école apprenne à lire, à écrire et à respecter les préceptes moraux ou religieux. Désormais, elle devait enseigner l’amour de la patrie et des institutions. L’histoire, la géographie font donc leur entrée dans les programmes. En Allemagne, l’empereur Guillaume II, aux prises avec la montée des forces socialistes décrivait en ces termes comment il voyait les nouvelles missions de l’enseignement obligatoire : « Voilà longtemps que me préoccupe l’idée d’utiliser l’Ecole, dans chacune de ses subdivisions, en vue de contrecarrer la propagation des idées socialistes et communistes. L’Ecole devra en tout premier lieu jeter les bases d’une saine conception des relations publiques et des relations sociales, en instillant la crainte de Dieu et l’amour de la patrie ». [15]

En France, le républicain radical Paul Bert, membre de l’Académie des sciences, célèbre pour ses travaux sur la physiologie de la plongée sous-marine, mais également pour ses thèses racistes, se fend en 1883 d’un manuel pratique portant sur « L’instruction civique à l’école (notions fondamentales) ». « Il faut », écrit-il dans l’introduction de cet ouvrage destiné à éclairer les « Hussards noirs » de la République, « que l’amour de la France ne soit pas pour (l’enfant) une formule abstraite, imposée à sa mémoire comme un dogme de religion, mais qu’il en comprenne les motifs, qu’il en apprécie la grandeur et les conséquences nécessaires. Car c’est en l’aimant et en raisonnant cet amour qu’il apprendra à se donner tout à elle, et, accomplissant jusqu’au bout son devoir de citoyen, à se dévouer, s’il le faut, soit pour le salut de la Patrie, soit pour la défense des principes dont le triomphe a fait de lui un homme libre et un citoyen. Ainsi sera réellement fondée l’Education nationale » (Bert, p6)

Les charniers de 14-18 portent devant l’Histoire le témoignage de l’efficacité dramatique qu’eut l’école dans sa nouvelle fonction, celle d’un appareil idéologique d’Etat.

La méritocratie, enfant de l’automobile et de l’électricité : sélectionner et former l’élite ouvrière

Alors qu’elle avait été, au XIXe siècle, un appareil de socialisation et un appareil idéologique au service de l’Etat, l’école du peuple se transforma progressivement, au cours du siècle suivant, en instrument de sélection et de formation au service direct de l’économie.

Dès avant la première guerre mondiale, les progrès des technologies industrielles, la croissance des administrations publiques et le développement des emplois commerciaux firent renaître une demande de main d’œuvre davantage qualifiée. Certes, pour la majorité des travailleurs, une socialisation de base suffisait toujours ; mais un nombre croissant d’entre eux devaient désormais acquérir un savoir-faire spécialisé : mécaniciens, électriciens, dactylos, opérateurs de TSF…

Cela pourrait surprendre. N’est-on pas justement en plein « fordisme », qui fut sans doute la forme la plus poussée de découpage parcellaire des tâches ouvrières et donc de déqualification ouvrière ? Certes, mais la production n’est pas tout. Dans son Histoire du travail et des travailleurs, Lefranc nous rappelle qu’en 1948, sur 315.000 travailleurs de l’industrie automobile en France, 110.000 seulement sont actifs dans la production, 25.000 fabriquent des accessoires, 30.000 sont carrossiers et 150.000 sont employés dans les entreprises de réparation (dont deux tiers sont des entreprises artisanales). [16] Or, le réparateur automobile ou le travailleur d’une entreprise d’installation électrique doivent maîtriser intellectuellement les technologies sur lesquelles ils travaillent.

« Dans l’entre-deux-guerres » écrivent Thévenin et Compagnon, « l’enseignement technique va connaître un essor remarquable. (…) Le réglage et l’utilisation des machines, le contrôle et la finition des produits, réclament des ouvriers à la fois habiles manuellement et sachant manipuler des instruments de mesure précis, lire des croquis et des gammes d’usinage conçus par les bureaux d’études… » [17]

La demande était telle qu’un retour aux vieilles formes de l’apprentissage traditionnel n’aurait pu suffire. D’ailleurs, les exigences théoriques de ces nouvelles qualifications ne pouvaient se satisfaire d’une formation exclusivement pratique. Le système éducatif s’ouvrit alors à des sections « modernes », techniques ou professionnelles. On y recruta la « crème » des fils et des filles de la classe ouvrière, afin d’en faire les ouvriers spécialisés, les techniciens, les employés et les fonctionnaires que réclamait la société. Ce fut l’ère de la « promotion sociale » par l’école.

Entre les deux guerres mondiales, l’école devint ainsi un instrument essentiel dans la production des forces de travail qualifiées. Mais également dans leur sélection et leur hiérarchisation, sur une base méritocratique.

Les robots des Trente glorieuses : l’illusion des chances égales

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le capitalisme connaît une période de croissance économique extraordinaire. Elle est bien entendu le résultat des reconstructions d’après-guerre ainsi que du progrès social arraché par une classe ouvrière qui sort politiquement renforcée de ces quatre années de conflit. Mais elle résulte également d’innovations technologiques lourdes et de long terme – électrification des chemins de fer, infrastructures portuaires et aéroportuaires, autoroutes, nucléaire, téléphonie, pétrochimie. L’emploi non qualifié est en recul constant par suite de la mécanisation de l’agriculture et de l’automatisation croissante des tâches répétitives en industrie. Ces emplois perdus sont largement compensés par la dynamique de croissance : on crée des postes d’employés dans l’administration et dans les services, le développement technologique exige des ouvriers toujours plus qualifiés pour la construction navale, l’aéronautique, l’énergie…

Ainsi, en Belgique, l’agriculture perd 52% de ses emplois salariés entre 1953 et 1972. Les charbonnages (-78%) et les carrières (-39%) suivent le même mouvement. Mais ces pertes sont largement compensées par la sidérurgie (+10%), la chimie (+36%), l’électronique et l’électrotechnique (+99%), l’imprimerie (+39%), les banques (+131%), les garages (+130%), les administrations publiques (+39%).

Le succès économique et l’évolution de la structure du marché du travail exigeaient donc d’élever le niveau général de formation des travailleurs. Et il fallait aller vite. Dans l’urgence, ce qui avait été, jadis, l’école secondaire de l’élite, à savoir l’enseignement général des athénées et des lycées, ouvrit ses portes — du moins celles de ses premières années — aux enfants d’extraction populaire.

L’époque est propice à un généreux discours sur la démocratisation de l’enseignement. Pour Leo Collard, ministre belge de l’Education en 1957, « il s’agit de faire en sorte que l’enfant du peuple, au sortir de la voie unique de l’école primaire, trouve un milieu scolaire tel qu’il puisse y poursuivre sans contrainte et sans embarras d’aucune sorte n’importe quelle section d’études qu’il trouve conforme à ses goûts et à en changer éventuellement sans grande difficulté » [18]. En France, le Plan Langevin-Wallon proclame dès 1946 qu’il faut en finir avec la méritocratie : « l’enseignement doit offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la Nation. » [Plan Langevin-Wallon, 1946].

Mais ces rêves ne résisteront pas à la réalité. Certes, on cessera « d’éloigner du peuple les plus doués » en les sélectionnant en fin de primaire. Mais cette sélection, il faudra alors l’effectuer plus tard. C’est-à-dire à l’intérieur même de l’enseignement secondaire. Cela signifiera la mise en place d’une sélection négative, d’une sélection basée sur l’échec scolaire. On n’oriente plus vers l’enseignement qualifiant les « meilleurs éléments » des classes populaires, mais « les moins bons élèves » de l’enseignement général.

Or, par un miracle pédagogique remarquable, cette sélection continue d’être une sélection basée sur l’origine sociale. La sociologie — Bourdieu, Passeron — découvre soudain que l’école est devenue — au même titre que l’héritage et le mariage — une instance de la reproduction, d’une génération à l’autre, des inégalités sociales.

Crises et TIC’s : l’école marchande, au service des marchés

Depuis la fin des années 1980, avec l’entrée du capitalisme mondial dans l’ère de la globalisation et des cycles de crises à répétition, les demandes du monde économique par rapport au système d’enseignement connaissent de nouvelles mutations. L’école est sommée de changer, afin de mieux s’adapter aux attentes des employeurs.

Trois éléments essentiels marquent cette rupture, déjà souvent analysée dans ces colonnes et que je me contente donc de résumer brièvement ici. [19]

Premièrement, la mondialisation a induit une compétition entre les Etats pour attirer les investisseurs, donc pour diminuer la charge fiscale sur les capitaux, les revenus mobiliers, les hauts salaires et les bénéfices des entreprises. Ainsi, les marges de manoeuvre budgétaires de l’Etat diminuent, ce qui soumet les politiques d’enseignement à une forte contrainte d’austérité.

Deuxièmement, le glissement des emplois de l’industrie vers les services ainsi que le développement technologique induisent, dans les économies « avancées », une polarisation du marché du travail. « Les plus fortes créations d’emplois doivent être attendues, d’une part, dans les postes de management et les emplois professionnels et techniques de très haut niveau, mais, d’autre part, également dans les emplois du secteur des services exigeant une qualification moyenne ou faible ». [20]

Enfin, troisièmement, l’instabilité économique ainsi que le rythme effréné de l’innovation technologique, mais surtout le caractère anarchique de l’économie capitaliste, rendent impossible toute politique prévisionnelle en matière de formation et de qualification.

Dans ce contexte, la majorité des employeurs sont moins demandeurs de qualifications précises et pointues que d’une vague « employablité », que doivent garantir les « compétences de bases » et la flexibilité des travailleurs. Nous avons déjà vu précédemment comment l’OCDE et son enquête PISA servent précisément à pousser les systèmes éducatifs sur cette voie. Nous comprenons mieux aussi, dans ce cadre, l’engouement officiel pour la conception éducative [21] fondée sur l’ « approche par les compétences ».

Pour illustrer cette exigence de flexibilité, considérons par exemple l’employé de bureau « moderne ». Sur son PC, il doit pouvoir utiliser un traitement de texte, une boîte mail, un tableur type Excel, une base de données et un logiciel de dessin, il doit pouvoir répondre au téléphone en deux ou trois langues, il doit avoir une voiture pour faire une course urgente pour son patron, il doit être disponible en soirée et le week-end… Bref, on attend de lui qu’il fasse le travail (ou une partie du travail) effectué jadis par une sténo-dactylo, un opérateur télex, une téléphoniste, un graphiste, un chauffeur, une secrétaire diplômée… et qu’il soit disponible comme un cadre supérieur. Mais sans en avoir ni la qualification des premiers, ni le salaire du second.

Cette mise en adéquation de l’enseignement avec les attentes des employeurs constitue l’une des formes de la « marchandisation » de l’école, à savoir sa mise au service des marchés. Ce mouvement englobe de multiples aspects : la privatisation marchande de l’enseignement, l’investissement privé dans des activités de soutien scolaire, la mise en concurrence des établissements, leur gestion managériale sur le mode de l’entreprise privée, la conquête de l’école par les annonceurs publicitaires et autres spécialistes du marketing, etc…

Capitalisme et éducation : une relation pétrie de contradictions

Sous l’effet complexe du développement des techniques de production — vapeur, machine, électricité, chimie, mécanique, électronique, automatisation, robotique, informatique, communication — les fonctions de l’enseignement ont évolué : éduquer et socialiser l’enfant, lui inculquer l’amour de la patrie et des institutions en place, sélectionner et former la main d’oeuvre spécialisée dont les entreprises ont besoin, assurer la reproduction des classes sociales d’une génération à l’autre, assurer les compétences de base qui doivent constituer le socle de qualification commun à tous les travailleurs, préparer le consommateur à l’utilisation des nouveaux produits, devenir enfin un vecteur du commerce et un secteur d’investissement lucratif.

Pour simplifier, nous avons présenté chacune de ces fonctions comme apparaissant à une époque donnée. L’image est sans doute un peu caricaturale. Il est plus exact de considérer que toutes ces missions sont présentes conjointement depuis qu’existe l’école de masse, donc depuis le 19ème siècle, mais leur importance relative a changé au fil du temps : ce qui était l’aspect principal de l’école à une époque donnée, devient secondaire à une autre époque.

Une autre nuance s’impose. L’école dont nous avons parlé est le système éducatif conçu pour l’instruction, l’éducation et la formation des enfants du peuple, les enfants du prolétariat, cette classe d’hommes qui font vivre le capitalisme en lui vendant leur force de travail. Mais à côté de cette école-là, il en est une autre. Celle chargée de former les élites sociales, les futurs dirigeants des entreprises et de l’Etat. Or, lorsque nous disons que cette deuxième école est « à côté » de la première, il faut l’entendre de façon purement théorique. En réalité, il arrive fréquemment que ces deux systèmes d’enseignement s’entremêlent durant un certain temps ou en certains lieux. Même si, par le jeu de la ségrégation sociale entre les établissements scolaires, par la mécanique complexe des réseaux et des filières, les classes sociales et les destins sociaux restent clairement séparés, il arrive néanmoins que riches et pauvres, classes moyennes et classes populaires, classes moyennes et classes bourgeoises, se retrouvent sur les mêmes bancs d’école.

Troisième nuance : on pourrait retenir l’impression, de cet historique trop succinct, que les besoins du système — donc de ses classes dirigeantes — seraient uniformes. Or, le capital et le patronat sont multiples. Leur soif commune de profit génère autant d’opposition et de concurrence entre eux que d’unité à combattre et dominer le monde du travail.

Tout cela ne manque pas de susciter des contradictions, qui furent souvent au coeur des débats éducatifs.

Il y a, par exemple, contradiction entre les conceptions qui prévalent pour l’éducation de l’élite et celle du peuple. « L’école bourgeoise, disait Anatole Lounatcharski, est tiraillée entre l’idéal de l’individualiste chez lequel poussent des crocs de fauve, et l’idéal de l’homme discipliné, alias esclave, et elle ne peut pas s’en dépêtrer » [22]. Comment concilier dans un même système d’enseignement, l’éducation aux valeurs fondamentales que réclame la bourgeoisie pour ses propres enfants — liberté individuelle, assurance et réussite personnelle — avec la nécessité d’inculquer aux futurs travailleurs des valeurs comme la discipline de travail, l’obéissance, la modestie dans les aspirations sociales ?

Il peut également y avoir contradiction entre les intérêts économiques et les besoins politiques. Comment accorder suffisamment d’importance à l’éducation idéologique et à la socialisation du citoyen, si nécessaires à la survie politique du système, alors que cela devra se faire au détriment de la qualification professionnelle, si vitale pour la compétitivité ? Et comment amener tous les travailleurs à un haut niveau de savoir et de technicité tout en reproduisant une stricte hiérarchie au sein même de la main d’oeuvre ?

Contradiction encore entre les besoins à court terme et à long terme : faut-il favoriser l’exploitabilité immédiate de la main-d’oeuvre ou son adaptabilité ?

Les intérêts collectifs de la classe possédante peuvent parfois être opposés aux intérêts particuliers des familles qui la composent : la bourgeoisie belge contemporaine peut fort bien souhaiter collectivement une meilleure école pour les enfants des classes populaires (parce qu’elle en a besoin en termes de formation de la main d’oeuvre et de paix sociale), mais aucune famille bourgeoise particulière n’est prête à en faire les frais par l’abandon des privilèges dont elle jouit sur le marché scolaire.

Surtout pas trop d’instruction !

Pourtant, bien plus encore que de tous ces tiraillements entre les diverses fonctions du système éducatif bourgeois, il faut prendre conscience de ce que d’autres besoins importants, d’autres intérêts vitaux des classes dominantes, s’opposent diamétralement aux progrès de la scolarisation.

Si le capitalisme a besoin que son système d’enseignement lui fournisse les travailleurs et les citoyens adaptés à son économie, il n’est pas prêt pour autant à ce que ce soit au prix de dépenses excessives. Investir dans l’éducation ? D’accord, mais juste ce qu’il faut !

Le frein au développement du système éducatif peut également participer d’une volonté politique visant à limiter strictement le rôle de l’Etat. La bourgeoisie a besoin d’un appareil d’Etat pour asseoir et protéger sa domination ainsi que pour réguler la société sur le plan économique, social et politique. Mais elle a surtout besoin d’espaces de liberté pour y développer son commerce et son industrie. Voici en quels termes le Belge De Brouckère s’opposait, en 1859, à l’instruction obligatoire : « Si vous obligez le père de famille à envoyer dès le matin son enfant à l’école, vous ne pouvez pas l’obliger à l’y envoyer à jeun ; vous devez tout au moins lui assurer un morceau de pain ; avant qu’on puisse exercer l’intelligence, il faut commencer par nourrir le corps. Or, ce serait là du socialisme, du communisme, dont je ne veux à aucun point de vue. » [23]

Et puis, la peur de manquer de main d’oeuvre peut aussi faire craindre l’excès d’instruction. Tant que l’enfant fréquente l’école, il n’est pas disponible sur la marché du travail. Cette vérité toute simple fut, dans la majorité des pays capitalistes modernes, le frein principal à l’introduction de l’enseignement primaire obligatoire au XIXe siècle. Le capitalisme en expansion réclamait des enfants pour ses fabriques et ses mines. Il n’en fallut pas plus, en Belgique notamment, pour que les portes des écoles leur restent fermées pendant longtemps.

Mais surtout, aux yeux des classes dirigeantes, l’excès d’enseignement et de savoir peuvent représenter des dangers pour l’ordre établi. La scolarisation ne va-t-elle pas faire naître, dans le chef des travailleurs, des « aspirations inconsidérées » ?

En 1816, le clairvoyant ministre français Guizot estimait que « l’ignorance rend le peuple turbulent et féroce, elle en fait un instrument à la disposition des factieux empressées à se servir de cet instrument terrible. (…) Alors se manifestent, dans les classes inférieures, ce dégoût de leur situation, cette soif de changement, cette avidité déréglée que rien ne peut plus ni contenir ni satisfaire » [24] Mais trente ans plus tard, après la révolution de 1848, Adolphe Thiers, le futur massacreur de la Commune, rétorquait que [ce sont] « les ouvriers les plus instruits et qui gagnent le plus qui sont tout à la fois et les plus déréglés dans les moeurs et les plus dangereux pour la paix publique » [25].

En Belgique, Charles Woeste, le président du parti catholique, partageait les mêmes craintes en 1908, quand il intervint à la Chambre pour tenter encore de s’opposer à l’inéluctable enseignement obligatoire : « Nous voulons préserver l’intelligence et l’âme de nos enfants de la contagion des mauvaises doctrines ; nous avons peur de leur empoisonnement » [26]. Et quand Guillaume II voulut moderniser le système scolaire allemand, des conseillers l’avertirent : « Votre majesté, vous risquez de commettre une énorme erreur. Des écoles professionnelles sortiraient sans doute de meilleurs spécialistes mais de bien plus mauvais sujets de la couronne » [27].

De tout temps, la bourgeoisie a ainsi cherché à limiter l’accès de la classe ouvrière à l’enseignement, parce que, comme le dit si bien Bernard Charlot, « la qualification donne force à l’ouvrier pour revendiquer sur le salaire et les conditions de travail et nourrit les aspirations sociales et politiques de la classe ouvrière » [28].

Cette dernière contradiction prend une forme spécifique s’agissant de la formation technique des futurs travailleurs.

Dès le milieu du XIXe siècle, de nombreux auteurs tels Karl Marx annoncèrent que l’ère du machinisme et de la grande industrie allait entrainer un besoin en main d’oeuvre beaucoup plus polyvalente. D’un point de vue strictement technique et économique, il serait de l’intérêt des industriels de disposer de travailleurs ayant une vue d’ensemble sur les processus de production, sur leur intégration dans la production globale, capables de réagir aux situations imprévues avec l’intelligence nécessaire.

Depuis le début du XIXe siècle, les technologies de la production ont connu un développement extraordinaire. Parfois ces progrès ont entraîné de nouveaux besoins en matière de qualifications de masse — dans l’électricité et la mécanique aux années 1900 à 1940 ou dans l’électronique à l’époque des Trente Glorieuses. Parfois, au contraire, ils ont tendu davantage à induire une déqualification du travail — avec le machinisme au début du XIXe siècle ou avec les technologies de l’information et de la communication aujourd’hui. Il peut donc arriver, selon les époques, les lieux, les secteurs, que le capitalisme lui-même exprime le souhait d’une formation technique plus développée.

Mais jamais il ne s’est engagé sur la voie d ?un véritable enseignement polytechnique, qu’il juge inutile et dangereux.

Inutile parce que les besoins à court terme en formation technique ont toujours été des besoins en main d’oeuvre spécialisée (électriciens, mécaniciens, électroniciens…). A long terme le capitalisme pourrait sans doute trouver son intérêt dans une formation polytechnique, mais l’essence même du capitalisme est de n’envisager des décisions qu’à l’horizon des perspectives de rendement à court terme.

Une formation polytechnique est également fondamentalement dangereuse pour le système : elle ouvre à la compréhension du monde, parce qu’elle éclaire l’influence des évolutions techniques sur les évolutions de la société ; elle sensibilise les jeunes, développe leur sens critique, leur capacité de comprendre l’environnement technologique et les révolutions économiques et sociales dont il est potentiellement porteur.

C’est pourquoi, malgré quelques timides tentatives d’introduction de cours de technologie pour tous, le rapport scolaire à la technique a été souvent réduit à la maîtrise passive des outils et confiné dans les filières de relégation. L’acte productif se trouve stigmatisé comme « vulgaire », réservé à ceux qui n’auront pas réussi dans les filières réputées « nobles ». Seules quelques élites universitaires ont droit à une formation de type « polytechnique », qui reste essentiellement théorique, mais qui permet aux futurs dirigeants de jeter un regard d ?ensemble sur les processus de production. Ils s’en servent pour assurer leur domination de classe.

Et voilà pourquoi, « la classe bourgeoise n’a pas les moyens ni l’envie d’offrir au peuple une éducation véritable » (Karl Marx). [29]

Notes

[1Bruneel, Claude. L’Ecole primaire en Belgique depuis le moyen âge, Catalogue de l’exposition. Bruxelles : CGER, 1986

[2Guibert, Louis. L’instruction primaire en Limousin sous l’ancien régime. Limoges : Ducourtieux, 1888, p. 38

[3Robert Guinot, Métiers et petits métiers d’autrefois en Limousin. Lucien Souny, 1998

[4Rioux, Jean-Pierre. La Révolution Industrielle. Paris : Ed. du Seuil, 1971.

[5Marx, Le Capital

[6Marx, K., Discours prononcé lors de la commémoration de l’anniversaire de l’organe chartiste People’s Paper, 19 avril 1856, in Werke, 12.

[7More, Charles. Understanding the Industrial Revolution. Routledge, 2000.

[8Wade, John. History of the Middle and Working Classes. Wilson, 1835, p 496

[9Edouard Ducpétiaux, Des progrès et de l’état actuel de la réforme pénitentiaire et des institutions préventives aux Etats-Unis, en France, en Suisse en Angleterre et en Belgique (Bruxelles : Hauman, Cattoir et cie, 1837), Tome 3, p 82

[10Terral, Hervé. Les Savoirs Du Maître. Editions L’Harmattan, 1998

[11Cité par Foucambert, 1986

[12Hilferding, Rudolf. Das Finanzkapital ; Eine Studie Über Die Jüngste Entwicklung Des Kapitalismus. Frankfurt : Europäische Verlagsanstalt, 1968.

[13Dupeux, G., 1976. French society, 1789-1970, Taylor & Francis

[14Brewer, Anthony. Marxist Theories of Imperialism. Routledge, 1990.

[15Erlaß Kaiser Wilhelms II. vom 1.5.1889, in : Verhandlungen über Fragen des höheren Unterrichts. Berlin, 4.-17. Dezember 1890. Im Auftrage des Ministers der geistlichen, Unterrichts- und Medizinal- Angelegenheiten, Berlin 1891, S. 3-5.

[16Lefranc, G., 1957. Histoire du travail et des travailleurs, Paris : Flammarion.

[17Compagnon, B. & Thévenin, A., 1995. L’école et la société française, Editions Complexe

[18Collard L., Un programme d’éducation nationale démocratique, cité par Van Haecht A., L’enseignement rénové, de l’origine à l’éclipse, Editions de l’ULB, Bruxelles, 1985, p. 172.

[19Pour une analyse globale de la marchandisation de l’enseignement, on lira notamment Nico Hirtt, Les nouveaux maîtres de l’école, ed. Aden, Bruxelles 2005. Pour une critique de la conquête commerciale de l’école, on lira Nico Hirtt et Bernard Legros, L’école et la peste publicitaire, éditions Aden, Bruxelles, 2007.

[20Sels, L. et al., 2006. Inzetten op competentieontwikkeling. Discussietekst gericht op de ontwikkeling van een Competentieagenda

[21Nous disons « conception éducative » et non « pédagogie » parce que la plupart des défenseurs de l’APC eux-mêmes se défendent d’être les porte-paroles d’une pédagogie. Et en effet, l’APC ne dit nullement comment il convient d’enseigner mais apporte une réponse à la question « que faut-il enseigner ? ».

[22Lounatcharski A., De l’école de classe, in A propos de l’éducation, Editions du Progrès, Moscou, 1984.

[23Cité par De Clerck K., Momenten uit de geschiedenis van het Belgisch onderwijs, De Sikkel, Antwerpen, 1975 p. 32.

[24Guizot, F., 1816. Essai sur l’histoire et sur l’état actuel de l’instruction publique en France, Paris : Maradan

[25Cité par Cogniot, G., 1948. La question scolaire en 1848 et la loi Falloux, Éditions Hier et aujourd’hui

[26De Clerck, op. cit. p 86

[27Cité par Lounatcharski, op. cit., p. 40

[28Charlot B., L’Ecole en mutation, Payot, Paris, 1987, p. 64.

[29Marx K., Travail salarié et Capital (manuscrit annexe) ; in Marx et Engels, Critique de l’éducation et de l’enseignement, Maspero, Paris, 1976.

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La privatisation de l’école aux États-Unis : une attaque contre la classe ouvrière

par Journal Lutte de Classe

Source de l'article

 

Paru dans Lutte de Classe n° 133, février 2011 (traduction de larges extraits d’un article de Class Struggle,  trimestriel édité par Spark).

Aux États-Unis, l’école publique est en butte à des attaques accompagnées d’une débauche de propagande.
Fin septembre [2010], un documentaire sur le système scolaire américain intitulé En attendant Superman est sorti accompagné d’une grosse publicité, plus qu’il n’en est réservé habituellement aux
documentaires. Il a été couvert par l’ensemble des principaux médias. Le réalisateur et la distribution ont eu droit à un traitement de stars, rien moins que deux épisodes de l’émission d’Oprah Winfrey et plusieurs émissions d’actualités de NBC.
En attendant Superman, Oprah, le New York Times et NBC racontent tous la même histoire : les écoles publiques sont en crise, elles ne parviennent pas à éduquer les enfants et c’est leur propre faute, celle des enseignants et de leurs syndicats, qui protègent les mauvais enseignants avec un système de titularisation empêchant de les licencier. Ils sont tous d’accord pour réclamer les mêmes « réformes » : l’augmentation du nombre « d’écoles à charte » qui sont privées et le transfert au profit de ces dernières de plus en plus d’argent public et des rares ressources disponibles, le démantèlement des syndicats d’enseignants et des conventions collectives, et l’abandon des diplômes requis pour enseigner dans les districts scolaires urbains. Mais, simultanément et paradoxalement, ils réclament aussi qu’une plus grande prétendue « responsabilité » soit exigée des enseignants.
Ils sont rejoints en cela par le président Barack Obama et son ministre de l’Éducation, Arne Duncan, qui ont fait de ces exigences la pièce maîtresse de leur programme intitulé Course vers le sommet et des allocations de crédits qui lui sont liées. Les assemblées législatives des États et les conseils scolaires des villes du pays reprennent ces exigences à leur compte, adoptent des lois conformes à la législation Course vers le sommet et la politique pour les appliquer.

La véritable crise : les écoles de la classe ouvrière dépouillées de leurs crédits

Toutes ces critiques ont raison sur un point : il y a une crise dans les écoles publiques. Une statistique saisissante permet de le constater : 23 % de la population adulte des États-Unis est illettrée. Plus de 30 % des élèves qui entrent dans le secondaire ne terminent jamais leur scolarité, sans compter ceux qui n’y entrent jamais. Et parmi ceux qui l’achèvent et continuent dans les collèges universitaires (universités de premier cycle, souvent techniques), près de la moitié doivent prendre des cours de rattrapage pour être au niveau qu’ils auraient dû atteindre à la sortie de l’école secondaire !
À une époque où l’éducation de base est nécessaire simplement pour vivre dans la société, c’est une catastrophe. Mais la catastrophe ne s’applique pas de la même façon à tout le monde. Elle affecte principalement les districts scolaires ouvriers et pauvres, reflet d’un système de classe qui produit systématiquement une inégalité de financement entre les écoles publiques au service des riches et celles au service de la classe ouvrière et des pauvres. Ce financement inégal a créé un gouffre de qualité entre les écoles fréquentées par les différentes couches sociales.
Les écoles publiques des États-Unis sont organisées et financées en grande partie au niveau local ; leur principale source de financement provient majoritairement des impôts fonciers locaux, qui peuvent, bien sûr, varier considérablement en fonction de la valeur des propriétés dans une localité particulière. Les villes et villages au taux de pauvreté élevé ont des valeurs foncières beaucoup plus faibles que les banlieues des riches et de la classe moyenne, de sorte que les districts scolaires des zones riches auront toujours beaucoup plus d’argent à consacrer à leurs élèves que ceux des régions pauvres, quel que soit le niveau de taxation que les habitants des régions pauvres décident de s’appliquer (et régulièrement ils votent des impôts à un taux beaucoup plus élevé que les habitants des zones riches). En moyenne, aux États-Unis, les districts scolaires qui dépensent le plus consacrent trois fois plus d’argent par élève que ceux qui dépensent le moins. Même dans les États qui prétendent à un financement égalitaire, de grandes disparités demeurent, parce que les États attribuent des sommes inégales aux différents districts. Par exemple, dans le Michigan, la part du financement de l’État par élève en 2009 variait fortement, de 12 443 dollars dans la banlieue chic de Bloomfield Hills à un peu plus de 7 000 dollars, le minimum, dans les districts ouvriers et ruraux. Et cette inégalité de financement des États s’ajoute aux inégalités des financements locaux.
La disparité de financement a un impact direct sur la qualité de l’enseignement offert dans chaque district scolaire. Les districts riches ont tout ce qu’ils peuvent souhaiter, des salles de travaux pratiques ultramodernes, des salles informatiques et des bibliothèques, sans oublier les théâtres et les studios d’enregistrement, tandis que de nombreux districts plus pauvres parviennent à peine à maintenir debout des bâtiments centenaires. Les districts riches payent leurs enseignants beaucoup plus, en moyenne, que les pauvres. Le salaire moyen actuel des enseignants aux États-Unis est de 41 000 dollars par an ; dans le comté de Montgomery, le plus riche district du Maryland, le salaire moyen des enseignants a atteint 67 000 dollars, soit plus de 60 % de plus. En outre, les districts riches peuvent embaucher plus d’enseignants, et offrir un taux d’encadrement des élèves bien supérieur à celui des districts pauvres.
Ces inégalités de salaire et de conditions de travail des enseignants impliquent souvent une forte disparité dans leurs qualifications. Pour être embauché dans les districts les plus riches, un enseignant a besoin d’une bonne dose d’expérience et d’un diplôme émanant d’une école de formation des enseignants réputée, tandis qu’à New York, par exemple, près de la moitié des enseignants n’ont même pas un diplôme d’enseignement, ni même une formation dans la matière qu’ils enseignent. Très souvent, dans les écoles urbaines, les cours de mathématiques et de sciences sont donnés par une succession d’enseignants remplaçants, en l’absence d’enseignant régulier, pendant l’année entière. Inutile de dire que les élèves n’auront pratiquement rien appris en classe cette année-là.
Donc, oui, il y a un problème grave dans les écoles publiques, avant tout parce que les enfants des riches reçoivent toujours une meilleure éducation, avec plus de ressources, que les enfants de la classe ouvrière, en particulier de ses couches les plus pauvres.
Ceux qui plaident pour « la réforme scolaire » prétendent que l’argent n’a pas d’importance. Mais les riches, dont les enfants vont dans les meilleures écoles, savent que ce n’est pas vrai. C’est pourquoi leurs écoles reçoivent tellement plus de crédits.
La solution aux problèmes de l’inégalité scolaire est franchement évidente. Quiconque chercherait
vraiment à construire un système donnant à chaque enfant la meilleure éducation possible commencerait par égaliser les financements, de sorte que tous les districts reçoivent autant de crédits que les plus riches.
Ce ne serait qu’un début, pourtant. Les enfants issus d’un milieu pauvre ont déjà, dès le début de leur scolarité, un gros handicap par rapport à ceux qui sont issus d’un milieu privilégié, qui, en contact avec la culture et la littérature chez leurs parents, savent généralement déjà lire et compter quand ils entrent à l’école. C’est exactement pour répondre à cela qu’ont été créés les programmes d’aide préscolaire appelés Head Start, afin de réduire le handicap des élèves pauvres avant même leur entrée à l’école, en apprenant à lire aux jeunes enfants, en très petits groupes, en travaillant individuellement avec chacun. Des études ont montré que Head Start a eu un effet significatif et a diminué les écarts de performance pour les premières années. Mais dès les années quatre-vingt, le financement de Head Start, comme celui de nombreux autres programmes sociaux, a été progressivement réduit. Et aujourd’hui il ne s’agit plus du même Head Start, puisque de plus en plus de programmes locaux sont gérés, par des intérêts privés et des organisations religieuses, comme de simples garderies, sans éducateurs professionnels.
Quiconque cherche à donner à tous les enfants une éducation de qualité devrait fournir des ressources aux districts pauvres et ouvriers, pour donner aux écoles des enfants de la classe ouvrière, en particulier de ses couches les plus pauvres, PLUS de crédits qu’aux écoles de riches.

Le gouvernement et les riches organisent la privatisation

Mais c’est tout le contraire qui s’est passé : au cours des vingt dernières années, en réponse à une crise économique croissante, l’écart est devenu de plus en plus grand, car l’argent public a été retiré des écoles publiques de la classe ouvrière, ainsi que d’autres institutions. Les gouvernements, à tous les niveaux, ont donné plus d’argent aux riches et aux entreprises pour renforcer leurs profits dans une économie stagnante.

Le premier volet de ce transfert a été opéré grâce à une série de modifications législatives visant à donner aux entreprises privées l’argent destiné à l’éducation : par la privatisation des écoles publiques ou tout simplement leur fermeture.

En 1996, Lehman Brothers (la défunte banque) a organisé une conférence pour discuter des possibilités d’investissement dans l’enseignement public. Elle a publié un rapport dans lequel elle déclarait : « En 1996 le secteur de l’éducation peut remplacer celui de la santé comme secteur industriel prioritaire. » Mary Tanner, directeur général de Lehman Brothers à l’époque, a déclaré : « L’éducation aujourd’hui, comme la santé il y a vingt ans, est un vaste secteur, très localisé, mûr pour le changement. L’émergence des HMO (systèmes de gestion de soins) et des sociétés de gestion hospitalière a créé d’énormes opportunités pour les investisseurs. Nous pensons que le même schéma se produit dans l’éducation. » Plusieurs conférences d’investisseurs ont été organisées par les banques, la même année, toutes dans le même but.

Les écoles étaient déjà une source de profits. Elles étaient déjà obligées d’acheter des services et des fournitures sur le marché à des entreprises de ménage, de distributeurs automatiques de boissons et de snack et à des éditeurs de manuels scolaires, qui tous ont fait et continuent de faire de gros profits. Au moment de la conférence organisée par Lehman Brothers, 25 % de toutes les dépenses scolaires publiques allaient aux entreprises privées.

Mais à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, les investisseurs privés ont jeté leur dévolu sur quelque chose de beaucoup plus gros : les écoles elles-mêmes. En regardant l’éducation des enfants du pays, ils ont vu le signe du dollar. Les principaux investisseurs, comme Lehman Brothers, JPMorgan et Fidelity Investments, ont manifesté leur intérêt et commencé à travailler pour que cela devienne réalité. Les politiciens n’ont été que trop heureux de leur rendre service.

En 1994, sous l’administration Clinton, le Congrès avait déjà adopté la « loi sur l’amélioration des écoles américaines » qui avait fourni le prétexte à la privatisation sous forme d’écoles à charte, des écoles qui reçoivent de l’argent public, mais ne sont pas gérées par les conseils d’éducation qui les financent ni responsables devant eux.

Le Congrès a poursuivi en 1997 avec la « loi sur l’extension des écoles à Charte », qui a augmenté les crédits pour ces écoles et a même été utilisée comme moyen de chantage, promettant des fonds supplémentaires aux États à condition qu’ils encouragent les écoles à charte. Cela a donné un élan à la privatisation des écoles publiques des districts pauvres et ouvriers.

Les États ont rapidement autorisé les écoles à charte : au début de l’année scolaire 1996-97, 23 États avaient déjà adopté de telles autorisations. Trois ans plus tard, ce nombre avait grimpé à 34. Malgré toute cette pression, en 2000, il n’y avait que 1 000 écoles à charte dans l’ensemble du pays, fréquentées par 250 000 enfants seulement sur une population d’âge scolaire de 64 millions. La première réaction des parents lorsque les écoles à charte ont été lancées a été moins qu’enthousiaste.

À Detroit, par exemple, un des premiers endroits où les écoles à charte ont été fortement promues, certains parents ont retiré leurs enfants des écoles publiques et les ont inscrits dans les écoles à charte, puis les en ont retirés très vite, dès qu’ils ont découvert la pagaille qui y régnait.

Les fondations interviennent

Le « mouvement » des écoles à charte avait besoin qu’on vienne à sa rescousse pour continuer. Et cela s’est fait sous la forme de fondations « philanthropiques ». Depuis 2000, plusieurs grandes fondations dirigées par des gens très riches se sont focalisées sur la réorganisation des écoles publiques et la création d’écoles à charte. Elles ont utilisé leur argent de plusieurs façons : pour financer la propagande pour les écoles à charte, en subventionner quelques-unes avec assez d’argent pour qu’elles servent de modèles, et faire des dons aux districts scolaires, pour les pousser à mettre en place des écoles à charte.

Les plus importantes de ces fondations sont la fondation de la famille Walton, créée par Sam Walton, le fondateur de Wal-Mart, la fondation Bill et Melinda Gates et la fondation d’Eli et Edythe Broad.

Il est difficile d’imaginer que ces trois magnats avaient le bien-être des enfants à coeur quand ils ont fait irruption sur la scène de l’éducation. Wal-Mart est tristement célèbre pour payer des salaires misérables à ses employés, ne pas leur fournir de couverture médicale et laisser Medicaid, l’assurance médicale pour les pauvres, les prendre en charge, eux et leurs enfants. Aux États-Unis Bill Gates engage beaucoup de travailleurs indépendants (free lance) et, à l’étranger, il s’enrichit grâce à des salaires de famine. Quant à Eli Broad, il a gagné ses milliards dans l’immobilier puis élargi son activité à l’assurance-vie et à d’autres tractations financières, avant de vendre son entreprise à AIG en 1999.

Non, ils ne font pas cela pour les enfants, mais dans le but de récupérer les milliards de dollars du financement de l’éducation publique qui vont aux grandes entreprises sous forme de subventions, allégements fiscaux et dons purs et simples.

Comme le dit un commentateur, « ce qui se passe aujourd’hui dans les grands districts urbains a été soigneusement orchestré par des philanthropes vautours ». Et quels vautours ! Tous ont fait une campagne agressive en faveur des écoles à charte ; et ce qu’ils appellent la responsabilisation des enseignants et la rémunération au mérite revient à se débarrasser des syndicats d’enseignants, à réduire les salaires et à licencier les enseignants à volonté. Pour influencer les districts scolaires urbains au niveau local, Eli Broad a créé l’école Broad de formation des directeurs. Cette école de formation a formé des entrepreneurs, et non des éducateurs, à devenir directeurs, proviseurs et membres des conseils scolaires des districts scolaires urbains du pays. Depuis 2002, environ 130 « étudiants » ont obtenu leur diplôme de l’école Broad et trouvé des postes dans 33 villes de 25 États et du District de Columbia (Michelle Rhee, ancienne directrice des écoles publiques du district de Columbia, star du film En attendant Superman, n’est pas sortie de chez Broad, mais est une grande amie de Broad et s’entretient régulièrement avec lui).

En 2009, Broad a déclaré publiquement à New York : « Nous ne savons rien de la façon d’enseigner ou des programmes de lecture. Mais ce que nous connaissons, c’est la gestion et la gouvernance. » Broad se vante ouvertement que l’éducation elle-même n’est pas importante.

L’essentiel… c’est le résultat financier.

Le gouvernement fédéral a travaillé en étroite collaboration avec les fondations. Sous George W. Bush en 2001, la loi No Child Left Behind (Pas un enfant laissé sur le côté) a intensifié les attaques contre les écoles publiques et augmenté la pression en faveur de la privatisation. Elle a établi un mécanisme pour forcer à la création de davantage d’écoles à charte. Entre autres choses, elle a exigé que toutes les écoles recevant des fonds fédéraux démontrent des « progrès annuels adéquats » dans les résultats aux tests des élèves, sous peine de suppression des crédits. (Ces « progrès » n’ont rien à voir avec une véritable éducation ou une vraie réussite des élèves, mais se fondent uniquement sur des tests très limités de mathématiques et de lecture.) Si une école n’a pas fait de « progrès » pendant trois années consécutives, elle est contrainte de se réorganiser d’une façon ou d’une autre, y compris en fermant puis en ouvrant à nouveau, mais comme école à charte ou encore en ayant recours aux services d’une entreprise privée de gestion d’école. Enfin, on a exigé que toutes les écoles recevant des fonds fédéraux parviennent à « 100 % de compétence » en 2014 sous peine d’être fermées et privatisées.

Les objectifs étaient si évidemment inatteignables que certains districts et même des États entiers ont rapidement trouvé des moyens de déjouer le système. L’État de l’Illinois, par exemple, a abaissé sa définition de la « compétence » à 20 % de réussite aux tests, ce que les réponses au hasard des élèves permettent statistiquement d’atteindre ! (C’est ainsi que les écoles publiques de Chicago ont fait la preuve de leurs « progrès », sous Arne Duncan.)

La Course au sommet de Barack Obama est la continuation de la politique de Bush, avec des objectifs encore plus draconiens, si toutefois c’est possible. Arne Duncan, maintenant ministre de l’Éducation de Barack Obama, a rempli son ministère de gens liés à la Fondation Gates et à la Fondation Broad. (Une analyse de l’Associated Press dit, en plaisantant : « Le véritable ministre de l’Éducation, c’est Bill Gates ».)

Les États qui voulaient concourir pour une partie des 4,3 milliards de dollars de crédits du ministère de l’Éducation devaient faire une demande montrant qu’ils avaient ouvert plus d’écoles à charte, qu’ils avaient remis en cause la titularisation des enseignants et lié la rémunération des professeurs à la performance des élèves aux tests normalisés. S’ils ne l’avaient pas fait, ils étaient automatiquement exclus du bénéfice des crédits. Mais les États devaient faire voter ces changements avant de savoir si les crédits leur seraient accordés, et beaucoup ont appris qu’ils ne recevraient rien après avoir procédé aux changements exigés : une carotte minuscule, combinée à un très gros bâton.

À la suite de ces attaques constantes et de manipulations cyniques des gouvernements et des riches fondations, les écoles à charte ont englouti une part importante du système scolaire public de la classe ouvrière. En 2008, douze districts scolaires ont vu au moins 20 % des élèves des écoles publiques s’inscrire dans les écoles à charte, ce qui signifie qu’une partie importante de leurs crédits est partie en même temps dans les écoles à charte. Près d’un tiers des écoles de Washington DC, de Dayton dans l’Ohio et de Southfield dans le Michigan sont des écoles à charte. À la Nouvelle- Orléans, où les responsables ont utilisé les destructions de l’ouragan Katrina comme excuse pour réorganiser le district scolaire, on est passé à plus de 55 % d’écoles à charte. Selon les Detroitnews, Detroit a maintenant 79 écoles à charte où sont inscrits 44 375 élèves, plus de la moitié de ceux qui sont actuellement inscrits dans les écoles publiques, et drainant 336 millions de dollars de l’État.

En 2010, plus de 1,4 million d’élèves étaient inscrits dans plus de 4 600 écoles à charte dans le pays. Ce n’est pas encore beaucoup. Mais ces écoles sont concentrées dans les districts populaires. Face aux exigences du gouvernement, les districts riches ont eu tendance à refuser les crédits fédéraux, parce qu’ils savent combien les exigences du Pas un enfant laissé de côté et de la Course vers le sommet sont dangereuses et à quel point la plupart des écoles à charte sont de qualité inférieure. En outre, les districts riches peuvent se permettre de ne pas céder au chantage.

Les écoles à charte : un désastre pour les enfants

Si les écoles à charte donnaient aux élèves une éducation de meilleure qualité, comme annoncé, on
pourrait débattre. En fait, l’éducation dans les districts les plus durement touchés a empiré, et elle ne
pouvait qu’empirer, aussi bien dans les écoles publiques que dans les écoles à charte qui les
remplacent.
Malgré les quelques écoles modèles, mises en place avec force dollars des fondations, toutes les
études bien faites montrent que, globalement, les écoles à charte n’ont pas de meilleurs résultats ou
font pire que les écoles des mêmes quartiers, même selon les normes minimales établies par la loi
du Pas un enfant laissé sur le côté, c’est-à-dire les résultats aux tests normalisés. L’étude la plus
complète à ce jour, du Centre pour la recherche sur les résultats scolaires de l’Université de
Stanford, a révélé que seulement 17 % des écoles à charte ont obtenu des résultats supérieurs à ceux
des écoles publiques proches, tandis que 37 % en avaient de pires. Les écoles à charte de qualité
inférieure sont donc deux fois plus nombreuses que celles qui sont meilleures que les écoles
publiques. En d’autres termes, si les parents retiraient leurs enfants de l’école publique pour les
inscrire dans une école à charte, ils courraient deux fois plus de risques que leurs enfants reçoivent
une plus mauvaise éducation que de chances qu’ils en reçoivent une meilleure.
Les écoles à charte absorbent aussi les ressources publiques. Tout enfant qui quitte l’école publique
pour une école à charte emporte avec lui le financement public, ce qui signifie une fuite de
ressources hors des écoles publiques, donc une plus grande difficulté pour elles à maintenir leur
niveau et plus encore à s’améliorer.
Les écoles à charte gaspillent également les ressources destinées à l’enseignement à travers leur
propre fonctionnement. Leur décentralisation entraîne beaucoup d’inutiles duplications des tâches,
dans la création des programmes, la structure de la paie, la commande des manuels et autres
matériels. Toutes ces duplications entraînent des coûts administratifs beaucoup plus élevés, qui
viennent en déduction des financements publics par élève et ne sont donc pas utilisés pour
l’enseignement. L’organisation des écoles à charte est une perte de ressources pour tous, même pour
les écoles à charte elles-mêmes, même pour celles qui sont à but non lucratif.
La question des écoles à charte est tranchée. Mis à part quelques-unes qui ont obtenu des ressources
supplémentaires et servent de vitrines, elles ne font pas mieux que les écoles publiques, et souvent
pire, bien pire parfois, dans l’éducation des élèves. Si l’objectif de tous ces « réformateurs » au sein
du gouvernement était vraiment d’améliorer la qualité de l’éducation des enfants du pays, ils
mettraient immédiatement un terme au financement des écoles à charte et reverseraient ces fonds, et
plus encore, aux écoles publiques auxquelles ils ont été volés.

Les entreprises tirent profit des écoles à charte

Les politiciens et les experts préfèrent au contraire continuer à se lancer à toute vitesse dans la
multiplication d’écoles à charte, et pour une raison importante.
La décentralisation des écoles à charte est exactement ce qui les rend si attrayantes pour les
fondations et les entreprises qui sont derrière. Dans les grands districts scolaires urbains, c’est une
administration unique qui contrôle les cordons de la bourse. Les écoles à charte suppriment ce
contrôle et ouvrent les fonds à une foule innombrable de fournisseurs de services (maintenance,
comptabilité, services alimentaires), anciennement gérés directement par les districts eux-mêmes.
Sans oublier les grandes chaînes d’éditeurs de manuels, qui peuvent désormais conclure des accords
plus rentables avec de nombreuses écoles différentes, au lieu de traiter avec des conseils
d’éducation centralisés, qui ont la possibilité de fixer des limites à ce qu’ils paieront. Par ailleurs,
avec autant d’écoles différentes, la transparence financière est quasi impossible.
Et enfin, la promotion des écoles à charte donne la possibilité aux entreprises d’intervenir et de
s’enrichir directement avec l’éducation en gérant les écoles. Mais pour que les entreprises fassent
un bénéfice important, supérieur aux frais de gestion des écoles, elles doivent réduire les coûts :
c’est-à-dire fournir aux élèves le moins de services possible, payer moins d’enseignants avec moins
d’argent pour faire plus de travail, de jeunes enseignants submergés par la charge de travail qui
partent au bout de deux ans, sans qu’une continuité puisse jamais s’établir. C’est exactement ce
qu’on constate dans la plupart des écoles à charte.
Et ce n’est pas tout, les écoles à charte peuvent être fondées par pratiquement n’importe qui, ce qui
signifie que beaucoup d’entre elles ont été fondées par de vrais escrocs espérant faire de l’argent
rapide. Les lois sur les écoles à charte ont permis à toutes sortes d’entrepreneurs véreux d’installer
des « écoles » dans d’anciens entrepôts et magasins et de gagner des millions dans un très court laps
de temps, pour fermer un an ou deux après, laissant les élèves en plan. Certains « escrocs » sont de
très grandes entreprises : en 2004, la plus grande société d’écoles à charte de Californie, la
California Academy Charter, a fait faillite, fermé 60 écoles et abandonné plus de 6 000 élèves sans
école juste au début de l’année scolaire. Mais pas avant que le fondateur de la société n’ait reçu 100
millions de dollars de l’État !

L’attaque contre les enseignants

Il n’est pas surprenant d’assister à une campagne pour la privatisation de l’école au moment où le
gouvernement répond à la crise par des coupes dans tous les programmes publics. Mais l’attaque
contre l’éducation ne s’arrête pas à la privatisation. La bourgeoisie et ses politiciens prennent aussi
des mesures pour réduire les fonds publics consacrés à l’éducation, et les récupérer pour le renflouement
des entreprises et les exonérations fiscales.
Les districts ont déjà réduit leurs dépenses pour les bâtiments scolaires qu’ils laissent s’écrouler et
pour d’autres services comme l’entretien régulier des locaux, le ménage ou le personnel infirmier. Il
ne reste plus que les enseignants eux-mêmes, qui forment la plus grosse partie du budget dans un
système scolaire public.
La première attaque contre eux au cours des dernières décennies a consisté simplement à réduire
leur nombre en fermant des écoles, en regroupant les programmes et en supprimant des postes, à
mettre plus d’élèves dans moins de classes encadrées par moins d’enseignants. Mais aujourd’hui,
l’attaque frappe toute la profession.
La propagande des fondations, des politiciens et des experts, y compris celle d’Oprah et En
attendant Superman, propage l’idée que les problèmes des écoles publiques sont imputables à de
mauvais enseignants.
Ils prétendent que les enseignants sont irresponsables parce qu’ils sont titulaires, ce qui rend
impossible leur renvoi par les administrateurs. Le fait qu’il s’agit d’un mensonge flagrant
n’empêche pas les propagandistes de le répéter. « Titulaire » ne signifie pas « emploi à vie », cela
signifie que l’enseignant a droit à une procédure régulière avant d’être renvoyé. En fait, toutes les
tentatives de suppression de la titularisation des enseignants se sont révélées être des tentatives de
licenciement sans motif des enseignants les mieux payés et les plus expérimentés, pour les
remplacer par des enseignants inexpérimentés et beaucoup moins bien rémunérés. C’est ce que
« responsabilité » signifie vraiment pour des « philanthropes vautours ».
Par ailleurs, des gens comme Broad et Gates répandent l’idée ridicule que les enseignants des
districts scolaires en difficulté n’ont pas besoin d’être formés ou d’avoir de l’expérience et ils
appellent à la suppression des exigences de diplôme professionnel dans ces districts. Les
gestionnaires sortant de l’école Broad prétendent que n’importe qui peut enseigner, à condition
d’être assez enthousiaste, ce qui n’est rien d’autre qu’une justification pour verser à peine plus que
le salaire minimum à des jeunes à peine sortis de l’Université. Le remplacement des enseignants
mieux rémunérés, plus expérimentés et mieux formés par de jeunes enseignants payés à peine plus
que le taux minimum et rapidement remplacés à leur tour, c’est la façon dont les vautours espèrent
réduire encore plus les budgets d’éducation et dégager encore plus d’argent public pour les
entreprises privées.

Detroit : l’image de l’avenir du pays

Dans les districts scolaires urbains du pays, tels des chevaux de Troie, des administrateurs, formés
par la Fondation Broad, arrivent (nommés par les maires et les gouverneurs) et ont des pouvoirs
extraordinaires pour détruire et démanteler les écoles publiques, ne laissant aux familles d’autre
choix que d’envoyer leurs enfants dans des écoles à charte. Quand ces administrateurs quittent les
districts scolaires, le mal est fait, l’éducation publique est démantelée.
Les écoles publiques de Detroit ont subi cette attaque beaucoup plus tôt que la plupart des autres
districts scolaires. En 1999, Engler, le gouverneur de l’époque, et les assemblées législatives de
l’État du Michigan ont imposé des lois privant le district de Detroit de son pouvoir de contrôle et
l’ont donné au gouverneur et au maire de Detroit. Ils ont nommé un nouveau conseil scolaire qui a
ensuite créé la première grande série d’écoles à charte et qui s’est avéré être ouvertement corrompu.
Ce conseil scolaire nommé a déclenché une tempête de protestations parmi les parents et la
population, qui a conduit à un référendum concernant toute la ville pour rétablir un conseil scolaire
élu en 2005.
Le conseil scolaire élu a commencé à mettre un frein aux écoles à charte, allant même jusqu’à
refuser un « cadeau » de 200 millions de dollars du « philanthrope vautour » local Bob Thompson,
qui insistait pour que l’argent aille à la construction de quinze nouvelles écoles à charte dans la
ville.
Presque immédiatement, le conseil scolaire élu a été critiqué par le gouverneur démocrate Jennifer
Granholm et d’autres fonctionnaires, ainsi que par la Fondation Skillman (un autre groupe
philanthrope vautour) et par des hommes d’affaires comme Dave Bing, qui allait devenir plus tard
maire de Detroit.
Au début de 2009, Granholm a de nouveau usurpé le contrôle local de la circonscription en
nommant Robert Bobb, qui se trouve être diplômé de l’école Broad, directeur financier
extraordinaire des écoles publiques de Detroit. Non seulement il est diplômé de l’école Broad, mais
il reçoit plus de 140 000 dollars de la Fondation Broad (et d’autres fondations), en plus de son
salaire annuel de 250 000 dollars dans le secteur public (un juge vient de décider qu’il n’y avait pas
conflit d’intérêts. Pas étonnant, puisque le juge et Bobb servent tous deux les mêmes intérêts !)
Bobb a été nommé sous prétexte de résorber un déficit budgétaire abyssal, qui s’élevait à près de
220 millions de dollars à l’époque. Curieusement, cependant, le déficit n’a fait que grimper avec lui
à au moins 332 millions. En outre, selon la Chronique du Michigan, Bobb a obtenu 443 millions de
dollars de prêts pour le système scolaire de l’État du Michigan, qui ne sont pas encore inclus dans le
déficit officiel.
Il a plombé tout le district scolaire avec des emprunts à taux variable, comme ces emprunts
immobiliers qui ont mis de si nombreux propriétaires en difficulté. Cela lui a permis de prétendre
dans un premier temps qu’il avait diminué la dette du district. Mais ensuite les taux d’intérêt ont
tellement grimpé que, cette année, tous les fonds alloués par l’État au district seront consacrés à
payer les intérêts des prêts. Grâce à ce type de prêts, les banques d’investissement n’ont même pas à
prendre les écoles en charge pour faire d’énormes bénéfices avec elles.
Ce gonflement de la dette lui donne une excuse pour démanteler le district. Il a fermé des dizaines
d’écoles au cours des deux dernières années, laissant des élèves du primaire privés d’école de
quartier dans une zone de deux kilomètres autour de leur maison. Cette situation a obligé des
milliers de parents soit à conduire leurs enfants dans des écoles publiques très éloignées, soit à les
envoyer dans les seules écoles restées proches, les écoles à charte récemment ouvertes dans leurs
quartiers, parfois dans les bâtiments mêmes qui avaient abrité les écoles publiques.
La fermeture des écoles de quartier, c’est tout le contraire de ce qu’on ferait si on voulait améliorer
la qualité des écoles. Certaines des écoles de quartier fermées par Bobb étaient depuis longtemps au
coeur de la vie de la population environnante (la Miller School, fermée par Bobb il y a deux ans,
attire encore à ses réunions annuelles des centaines d’anciens élèves, qui campent à l’extérieur
devant l’école fermée). Fermer les écoles de quartier provoque l’effondrement du système scolaire
public, sans parler de la ville et de ses quartiers.
Bobb a licencié des centaines d’enseignants et autres personnels du district. Il affirme que c’est
nécessaire en raison de la baisse des effectifs, mais si c’était la seule raison, on aurait fermé
beaucoup moins d’écoles. On le constate facilement à l’augmentation de la taille des classes qui,
cette année, frise en moyenne 40 élèves par classe. Cela ne peut que dispenser aux élèves une plus
mauvaise éducation et ne peut que forcer les parents, dans leur désespoir, à chercher d’autres
solutions, comme les écoles à charte (Si l’objectif était une meilleure éducation, toutes les écoles
resteraient ouvertes et tous les enseignants demeureraient, abaissant le ratio professeur-élèves).
Le district a également remplacé depuis longtemps les enseignants expérimentés par des jeunes de
Teach for America, fraîchement sortis de l’Université, qui enseignent pendant deux ans pour un
salaire dérisoire. Ils n’ont ni expérience, ni véritable formation aux techniques pédagogiques, ni
même, souvent, dans les matières qu’ils enseignent. Ces « enseignants » de Teach for America, jetés
dans le grand bain sans savoir nager, changent tous les deux ans. Autrement dit, ils partent juste au
moment où un enseignant commence à maîtriser les choses. Mais cela permet aux administrateurs
de dépenser moins d’argent pour les salaires dès maintenant et d’abaisser le montant « nécessaire »
qui sera affecté au personnel enseignant dans les années suivantes.
Après avoir fermé les écoles, Bobb a commencé à louer puis à vendre les bâtiments directement aux
entreprises d’écoles à charte.
Les parents en colère et la population ont participé de plus en plus nombreux aux réunions du
conseil scolaire pour protester (provoquant l’annulation ou le report de plusieurs réunions). Au
cours des dix-huit mois où Bobb a contrôlé les écoles, l’opinion publique de Detroit est passée d’un
fort soutien à ce qui était considéré comme son approche rationnelle et contre la corruption, à une
forte opposition à ses tentatives de fermer de plus en plus d’écoles. Pour de nombreux parents de
Detroit, la fin de son mandat en février 2011 est attendue avec impatience.
Confronté à cette opposition croissante, Bobb a recours à un chantage pur et simple, usant de la
dette qu’il a créée pour préparer un « choix » entre deux plans de « sauvetage » absolument
épouvantables pour le district et l’État.
Le plan A demande à l’État d’effacer la dette du district, en échange de la réorganisation complète
du district par l’État. Peu de détails concrets ont été révélés, mais le bureau de Bobb a annoncé que
le plan A comprendrait : la prise en charge des écoles par l’État, la suppression de toutes les
exigences de diplôme pour les enseignants de la ville (ce qui aidera le district à faire de
l’enseignement un emploi à bas salaire), l’augmentation du nombre d’écoles à charte, la mise en
place de « cyber écoles » qui permet aux élèves de rester à la maison et « d’aller à l’école » sur
Internet, autrement dit, ne pas aller à l’école du tout.
Selon Bobb, la seule alternative est le plan B qui comporte : la fermeture de 100 écoles de plus au
cours des trois prochaines années, l’augmentation de la taille des classes à 31 élèves aux niveaux K-
3 (les trois premières classes du primaire entre 5 et 8 ans), les années au cours desquelles une
attention individuelle de l’enseignant est la plus nécessaire, la fixation de l’effectif des classes de
lycée à un énorme 62 élèves, la sous-traitance du département financier – et de tout son argent ! – et
d’autres divisions, et la suppression complète du transport d’élèves.
Le plan B, autrement dit, détruirait complètement le district au nom de « l’équilibre budgétaire ».
C’est tellement ridicule qu’il semble que le seul but du plan B soit de forcer les gens à accepter le
plan A, tout aussi destructeur, mais d’une façon plus dissimulée.

Le combat pour un grand programme d’éducation pour tous

L’éducation publique n’existait pas dans ce pays avant que des gens se soient battus en sa faveur,
des mouvements de travailleurs des villes du Nord à la fin des années 1800 et le mouvement de
reconstruction des Blancs pauvres et des esclaves affranchis dans le sud après la guerre de
Sécession. Mais si les riches et leurs alliés au gouvernement sont aujourd’hui prospères, on se dirige
vers une situation à deux vitesses dans les quartiers populaires, où ceux qui ont les moyens vont
quitter les écoles publiques pour les écoles privées et les écoles à charte les mieux dotées par l’État,
tandis que ceux qui n’ont pas les moyens seront abandonnés dans des écoles publiques de qualité
inférieure extrêmement sous-financées et des écoles à charte mal gérées. Le capitalisme, pour
soutirer l’argent des écoles, est prêt à laisser pour compte toute une partie des enfants des classes
populaires dans l’ignorance et la nullité, sans même un semblant d’éducation.
La crise de l’éducation fait partie intégrante de la crise du capitalisme. Aujourd’hui, les capitalistes
n’ont aucun intérêt à investir à long terme dans l’économie productive, de sorte qu’ils n’ont aucun
intérêt à même un minimum d’éducation pour de nombreux enfants d’ouvriers. C’est criminel.
Même simplement sur un plan humain, tous les enfants ont un besoin profond de connaissance et de
culture pour comprendre le monde. Dans un monde libéré de toutes les formes d’exploitation et
d’oppression, une éducation de qualité pour tous serait une priorité essentielle, comme la nourriture,
un toit et des soins.
Les capitalistes ont montré clairement que l’éducation pour tous ne fait pas partie de leur système.
Mais, en luttant pour une société sans exploitation, la classe ouvrière peut en faire une réalité.