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Penser pour l’après-7 mars 2023 les débats indispensables à mener !

L’analyse des remontées département par département que nous avons pu consulter et les différentes cartes interactives (du type  https://stop64ans.gogocarto.fr/) montrent que le 7 mars 2023 a connu la plus forte mobilisation sociale française depuis le tournant néolibéral du troisième gouvernement Mauroy en 1983. Nous nous risquons à un chiffrage crédible de 2,5 à 3 millions de manifestants, sans compter ceux qui ont développé des actions de blocages des flux ici et là. Il convient donc d’analyser et de débattre sérieusement de ce réel pour ensuite voir ce qu’il faudrait améliorer en termes de ligne stratégique pour pouvoir déterminer nos tâches locales et générales.

La mobilisation la plus notoire a été celle du privé et particulièrement de l’industrie privée. Mais dans ces secteurs, les revendications ne s’arrêtent pas à la question des retraites. Par exemple, dans l’agroalimentaire, la liaison se fait avec les conditions de travail et les salaires. Dans l’automobile, avec l’emploi et les salaires. Dans la métallurgie, avec une revendication contre la nouvelle convention collective qui doit démarrer en 2024. Cela a même bougé chez Amazon.

En ce qui concerne la jeunesse, la mobilisation a surtout été celle de la jeunesse ouvrière et employée et des couches moyennes précarisées.

En termes de territoires, si la mobilisation a augmenté dans les villes centres, ce sont bien les zones périphériques et rurales qui ont donné de grands surplus dans les manifestations des petites et moyennes villes de province. À noter que c’est dans ces zones que le mouvement des gilets jaunes s’était le plus largement développé.

Les fédérations mines-énergie (EDF, IEG, etc.) ont lancé des actions depuis le 2 mars 2023 avec mises en sobriété énergétique, mises à l’arrêt et opérations Robin des bois.

Dans l’industrie chimique (dont les raffineries), 2/3 de grévistes et blocage des sorties de toutes les raffineries depuis le 6 mars au soir. Des reconductibles ont été lancées à la SNCF, RATP, Céramique, Ports et docks, etc. Les opérations de blocage des flux ont été prises ici et là sans aucun dispositif centralisé.
L’intersyndicale a ensuite décidé de remettre le couvert le samedi 11 mars et prévoit déjà une mobilisation le jour de la réunion de la commission mixte paritaire, probablement le mercredi 15 mars. L’intersyndicale se réunira le soir du 15 mars pour proposer une suite au mouvement social.

Reste que le vote final à l’Assemblée nationale, sur les résultats de la commission paritaire, n’est pas acquis pour Macron et que le Conseil constitutionnel a des possibilités d’intervention tant l’extrême centre macroniste a instrumentalisé la Constitution de façon peu orthodoxe !

L’ombre portée du mouvement social des retraites peut donc nous réserver des surprises. Puissent le Rassemblement national et l’union des droites ne pas triompher in fine ! Voilà pourquoi il faut continuer le mouvement social, mais en même temps développer des débats stratégiques.

Éléments de ligne stratégique à mettre en débat

Ce qui vient d’être indiqué devrait suffire à pousser les militants et les citoyens mobilisés à engager de nombreux débats pour améliorer notre ligne stratégique. Sans faire de liste exhaustive, on peut esquisser les contenus prioritaires à mettre en discussion.

Si l’intersyndicale unie a été un facteur positif de la mobilisation dont il faut se louer, le manque de centralité de la lutte et surtout le manque de lien dialectique entre cette centralité et les responsables locaux ont limité la possibilité d’une lutte de masse généralisée.

Le manque de centralité de la lutte et surtout le manque de lien dialectique entre cette centralité et les responsables locaux ont limité la possibilité d’une lutte de masse généralisée.

Ce mouvement a posé la question de la restructuration et de la recomposition du syndicalisme afin de n’avoir que le nombre nécessaire d’organisations syndicales correspondant à de fortes divergences stratégiques, et non cette prolifération d’organisations dans laquelle l’hétérogénéité de chacune d’entre elles se surajoute aux différences entre organisations.

Autre sujet surgi dans cette séquence, la sous-estimation de la radicalisation de l’extrême centre macroniste. Tout simplement parce que le dispositif Macron n’a pas été analysé comme cela devrait être. Nous sommes dans la troisième phase du capitalisme néolibéral : développement du capital fictif de la spéculation financière – à partir de 1983 pour la France –, passages en force depuis la crise de 2008 et maintenant le tournant géopolitique que certains appellent la néoféodalisation du monde. Tout cela parce que la radicalisation des classes possédantes devient indispensable pour que ces dernières maintiennent le taux de profit du capitalisme actuel dans lequel elles ont le pouvoir. D’où, par exemple, la vraie raison du projet de réforme des retraites de l’extrême centre : il s’agit d’allonger la durée du travail et de baisser salaires directs, socialisés et pensions de retraite.

À noter que le camp du capital est de plus en plus unifié et que ses appareils idéologiques sont de plus en plus efficaces. Et plus cela va, plus le couple extrême centre-Rassemblement national est puissant lors des périodes électorales, la gauche étant divisée face à ce couple lorsqu’elle arrive en troisième position au premier tour… ce qui permet à l’extrême centre de conserver le pouvoir même en période de recul. Et cette division à gauche est accentuée par le soutien de l’extrême centre et d’une partie de la gauche au développement de la religion woke dans les médias et universités françaises. Or la racialisation de la question sociale organisée par les wokes empêche la fédération du peuple, qui ne peut s’effectuer que par une globalisation de tous les combats (sociaux, laïques, démocratiques, féministes, antiracistes, écologiques) sous le primat de la question sociale. Nous voyons bien là que pour contourner ce piège, il faut que la gauche unie arrive en tête d’un premier tour et pour cela constituer le bloc historique populaire dont nous allons reparler ci-dessous.

Ce mouvement social de 2023 a par contre réglé le problème de la direction de la lutte de masse entre organisations politiques et syndicales au profit de ces dernières. La comparaison des mobilisations du 19 janvier dernier avec la marche parisienne de la LFI-NUPES du 21 janvier a définitivement réglé ce point(1)Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/19-janvier-2023-un-tournant-vers-une-nouvelle-sequence-favorable-au-monde-du-travail/7432975. Mais elle a montré que les partis politiques de gauche, dont l’objet devrait plutôt être d’œuvrer à la formation d’un bloc historique populaire gramscien, n’ont que peu travaillé cette question. Car il faut unir la classe populaire ouvrière et employée, mais aussi les couches moyennes prolétarisées et précarisées. Sans oublier la partie de la bourgeoisie intellectuelle qui résiste à la religion woke malgré l’appui que lui apportent les médias dominants et une partie importante de l’université.

Repenser la sphère de constitution des libertés (école, universités, recherche, services publics, Sécurité sociale)

Le mouvement social actuel sur les retraites qui est un pilier de la future sphère de constitution des libertés nous montre que nous devons nous mettre au niveau des enjeux par la formation des militants et des élus (y compris des parlementaires !) et de l’éducation populaire refondée pour tous les citoyens qui le souhaitent.

Dans les dizaines de formations que nous avons animées depuis le début de l’année 2023, à la demande de structures politiques, associatives ou syndicales ou dans des MJC et centres sociaux, ce manque de travail de formation et d’éducation populaire saute aux yeux. Notamment, quand on remarque l’influence de certains éléments de l’hégémonie culturelle bourgeoise sur des militants réputés radicalisés. Sans un effort particulier en ce domaine, l’extension de la lutte de masse restera problématique. Et sans lutte de masse encore plus intense, nous ne serons pas à la hauteur de la radicalisation des « élites » possédantes et de leur actuel extrême centre.

La surmobilisation de la classe ouvrière et employée et des couches moyennes précarisées – en particulier des zones périphériques et rurales – pose le problème de la désertification militante dans ces catégories et territoires. Elle devrait aussi interroger la multiplication des structures politiques groupusculaires qui n’existent que dans les villes centres et leurs banlieues et qui stérilisent de nombreux militants formés qui seraient bien plus efficaces dans une lutte de masse qu’ils ne pratiquent plus.

Remettre au centre démocratie sociale et sens du travail

La gauche politique et syndicale est en retard sur la prise en compte du concept de travail. De ce point de vue, il convient de poursuivre le travail initié par Bruno Trentin à la fin du siècle dernier sur le développement du couple travail et démocratie, sur les nouveaux sens du travail, de la lutte contre le fordisme, le taylorisme, etc. Il nous faut passer d’un mouvement défensif contre une dystopie souhaitée par l’extrême centre et le capital à un mouvement offensif en faveur d’un projet d’émancipation sociale. Cela passe par une unification d’un bloc historique populaire sur un projet politique concret. Et ce projet politique concret demande de reprendre le chemin de refondation du travail à partir de là ou Bruno Trentin l’a amené.

Par ailleurs, il faut de plus en finir avec le principe de la grève par procuration uniquement soutenue par l’opinion publique, car elle n’est plus suffisante face à la radicalisation de la bourgeoisie. Il faut, par une lutte contre l’hégémonie culturelle bourgeoise, créer les conditions d’une grève de masse interprofessionnelle de toutes et tous.

Il faut aussi comprendre que le parlement n’est pas le lieu central de la contestation et que « le bruit et la fureur » de certains députés de gauche ne servent pas les intérêts du grand nombre. Il serait préférable de pratiquer des amendements ciblés et de revenir à la tradition jacobine de fédérer le peuple autour d’un projet démocratique qui ne soit pas qu’un simple programme de mesures.

Nous restons à la disposition de ceux qui voudront en débattre dans les différents points de l’hexagone et des outre-mer !

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