Chronique d'Evariste
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Ils iront jusqu’au bout ! à moins que…

par Évariste
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Voilà que le gouvernement Valls I lancé en grande fanfare ne tient pas plus de 147 jours. On peut prévoir que Valls II sera encore plus dur pour la classe populaire ouvrière et employée. Pourquoi ? Parce qu’ils iront jusqu’au bout pour défendre les intérêts de la classe dominante.

L’accélération, le durcissement, la diffusion dans tous les pores de la société des politiques néolibérales sont patents. Le 29 mai 2005, la France a dit non au Traité constitutionnel européen (TCE). Qu’à cela ne tienne, les néolibéraux l’ont quand même ratifié d’une manière illégitime par le Traité de Lisbonne, ersatz du TCE. Ils ont aggravé le recul de la démocratie. Le Traité pour la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG), le Mécanisme européen de stabilité (MES), la poursuite des actes de décentralisation anti-démocratique avec l’Acte III, les projets de fédéralisation européenne anti-démocratique sont la réponse de l’oligarchie au choix populaire du 29 mai 2005.

Mais, aujourd’hui, c’est à l’échelle internationale que la politique néolibérale s’accélère.

Le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI), le Partenariat transpacifique pour le commerce et l’investissement, l’Accord sur le commerce et les services (ACS), l’Accord de libre-échange (ALE) Union européenne – Canada, sont en cours de négociation. Tous ces accords, d’après les mandats de négociation, visent à remplacer, pour le règlement des différents entre Etats et firmes multinationales, les tribunaux publics par des structures d’arbitrage privées. Mais aussi à baisser les normes de protection notamment sanitaires, environnementales, écologiques, sociales et autres. Mais encore à mettre en place le libre échange intégral contre le choix des peuples. Enfin à supprimer définitivement la souveraineté populaire.

Face à cela, les organisations dites anti-libérales refusent encore majoritairement de globaliser ces luttes en organisant uniquement des réunions publiques uniquement sur un des aspects de la politique néolibérale sans comprendre que tout ce qui vient d’être dit est un tout cohérent qui ne peut s’expliquer que par la globalisation géopolitique.1

Mais ce n’est pas tout. Différents intellectuels gourous se transforment en conseillers du prince pour proposer à ces derniers les solutions techniques à la crise financière et sociale. Et, bien sûr, autour d’eux, des organisations de toutes tailles, toutes dévouées aux idées de ces conseillers du prince se constituent. Mais vous avez en tête les noms de ces sociologues, économistes, politologues, tous plus ou moins alters, atterrés ou atterrants, qui jouent à qui sera le top model du discours anti-libéral. Tout cela n’a aucun effet sur le rapport des forces économique et politique. Ces Mister Monde (car ce sont des hommes) n’ont pas plus d’effet sur la lutte des classes que les Miss Monde sur l’émancipation des femmes.

Parce que la crise n’est pas uniquement financière et sociale, elle est aussi et surtout une crise culturelle, économique et politique. Si un altercapitalisme radical fut possible et souhaitable en 1944, l’altercapitalisme des alters est aujourd’hui obsolète. La question principale aujourd’hui n’est pas la solution technique prééminente et surplombante que les princes devraient utiliser pour que tout le reste se rétablisse de façon harmonieuse (quasi divine !) selon la stratégie du château de cartes mais bien une alternative globale au capitalisme en terme de modèle politique culturel et économique post-capitaliste. Non de faire table rase, comme le dit faussement l’Internationale, car toute transformation ne pourra se faire que via un processus d’évolution révolutionnaire, après avoir constitué et développé les bases d’appui existantes nécessaires.

Espérer un changement politique via les socialistes solfériniens a autant de chances de réussite que la poursuite des discours altercapitalistes antilibéraux qui ont montré qu’ils ne peuvent qu’échouer.

Par ailleurs, le maintien de la confusion au sein d’EELV n’est que le contrepoint de l’inefficience des « frondeurs socialistes ». La jouissance que l’extrême gauche se procure à elle-même dans son morcellement dogmatique sans fin n’est que le miroir de la grande info de rentrée du PCF : son secrétaire national ira à l’université du PS, quel courage, quelle avancée intellectuelle et pratique !

Seul Jean-Luc Mélenchon, conscient de l’échec du Front de gauche (et donc du Parti de gauche) aux élections de 20142 tente une modification de sa stratégie. Mais aucune alternative démocratique ne naîtra d’une aventure personnelle, potentiellement autoritaire et vouée à l’échec, ni d’un dénigrement unilatéral des partis, associations et syndicats existants. L’alternative démocratique ne pourra surgir que d’une construction collective. Nous jugerons donc sur pièces une fois que nous connaîtrons les fondamentaux du mouvement pour la VIe République que Jean-Luc Mélenchon nous propose. Mais la VIe République, la révolution citoyenne, le Front du peuple et l’écosocialisme, ne doivent pas rester des idées générales ; ils devront s’incarner dans les pratiques locales hors du système marchand (y compris dans ses initiatives d’éducation populaire !). Sans cela, les « vrais gens normaux », selon notre traduction de la formule de Saül Alinski continueront de regarder comme des bêtes curieuses les militants d’un autre temps. Ces derniers continuant de se lamenter de la difficulté de « faire venir du monde » à leurs réunions sans se poser la question de leur pratique sociale.

En attendant, les néolibéraux poursuivent leur politique criminelle d’enrichissement des plus riches, d’appauvrissement de la majorité du peuple, d’augmentation des inégalités sociales de toutes nature (en matière de salaires, de santé, de transports, de services publics, etc.), de la misère et de la pauvreté, de la destruction progressive des principes républicains issus du programme du CNR, d’une intensification de l’exploitation, de la domination et de l’expropriation.

Pourquoi ? Parce que cette politique leur a permis jusqu’ici de contrecarrer la loi de baisse tendancielle du taux de profit. Voilà pourquoi les solutions techniques sont au mieux sympathiques mais inopérantes. Seule une stratégie qui se pose les questions du pouvoir, du conflit inévitable, et de l’intérêt particulier dans un premier temps pourra atteindre ensuite une volonté générale. Bien évidemment, on commencera à se poser les questions du point de vue de la classe populaire ouvrière et employée, puis des couches moyennes intermédiaires.

Voilà pourquoi il faut en finir avec les jérémiades désabusées, avec l’illusion d’un chef charismatique sauveur du peuple, avec les meetings chauds prélude au froid de la solitude, du fatalisme et de la désespérance,ayons de l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace… Sinon, ils iront jusqu’au bout !

Avec 8 Français sur 10 qui ne croient pas à la politique du gouvernement, il y a besoin de travailler un projet alternatif, et de discuter des actions concrètes pour redonner espoir. Sinon les salariés s’abstiennent dans les luttes, et les citoyens s’abstiennent dans les isoloirs. Au moment même où le Président annonce un plan en faveur des entreprises – 40 milliards d’euros jusqu’en 2017 -, ce que même la droite n’avait pas osé faire, le patronat répond par un bras d’honneur. La France bat tous les records de distribution de dividendes, et même le journal Libération titre « Dividendes, l’indécence ». Ceux qui partagent ce constat doivent passer de la simple prise de position à l’action. Il faut créer les conditions du rassemblement, et il est inutile d’être d’accord sur tout pour actionner quelques leviers essentiels qui redonnent espoir aux classes populaires.

La France n’est pas l’Allemagne ou l’Angleterre. L’ambition de Hollande, Valls et consorts de faire de la gauche socialiste un parti centriste comme le SPD en Allemagne ou le Parti travailliste anglais se heurte à la tradition socialiste française, et à la difficulté de dégager une majorité politique sur cette ligne en France. Hollande et Valls en font l’expérience à leurs dépends. Il est possible de rebâtir une gauche en France, et de construire un rassemblement majoritaire pour une transformation sociale. Comme en 1936, comme en 1944. Car quand le peuple français retrouve l’espoir d’une vie meilleure, il sait soulever les montagnes – et les partis -, et faire des gauches des gauches de gauche. Comme en 1936, comme en 1944.

  1. Pire, certaines d’entre elles par coquetterie mondialiste néo-moderniste anglicisent tous les acronymes de façon que le peuple qui parle sa propre langue maternelle (pour la France, rappelons que la langue maternelle est le français et non l’anglais !) ne comprenne pas. Ils utilisent TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) et non PTCI, TISA (Trade in Services Agreement) et non ACS, CETA (pour Comprehensive Economic and Trade Agreement) et non ALE. []
  2. Voir les chroniques d’Evariste dans ReSPUBLICA depuis le 25 mai 2014 / http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/25-mai-2014-desastre-des-gauches-en-france-que-faire-%E2%80%8B/81862
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/progression-de-lautre-gauche-en-europe-et-regression-du-front-de-gauche-en-france-pourquoi/6182641
    http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/aux-7-peches-capitaux-de-lautre-gauche-francaise-opposons-7-pistes-demancipation/736042
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Combat féministe
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Quel féminisme dans les luttes sociales d'aujourd'hui ?

par Zohra Ramdane

 

Pourquoi les mouvements féministes ont-ils aujourd’hui moins d’audience chez les femmes ? Dans les années 1960-1970, les mouvements féministes ont eu un impact croissant, obligeant même les pouvoirs publics à légiférer et les représentants de la classe ouvrière à oublier les priorités natalistes qui furent les leurs avant-guerre. Une majorité de femmes, de toutes les couches sociales, se sentaient concernées par la bataille de la contraception et du droit à l’IVG.

L’idée d’articuler la lutte des classes (les femmes ouvrières et employées sont aussi des ouvriers et employés comme les autres, et une femme cadre est dans la plus grande partie de sa vie d’abord un cadre avant d’être une femme) et la lutte anti-domination (contre le sexisme, machisme et autres ) cherche sa voie depuis les débuts du socialisme. Quand Alexandra Kollontaï mettait en avant cette articulation, la réponse de la direction bolchevique fut : « d’abord la révolution , et pour ce que tu demandes, on verra après ». Et bien sûr, on n’a rien vu. Voilà pourquoi, il faut faire les deux en même temps, même si la lutte des classes est déterminante.1

Une fois acquis l’essentiel des droits sur le corps et la reproduction (en droit en France du moins, et de façon qui reste fragile), le mouvement féministe a développé dans les années 90 la parité comme revendication prééminente et surplombante. Or cela ne concerne à court terme que les intérêts des femmes des professions intellectuelles et les cadres. Les femmes de la classe ouvrière et employée, elles, savent que la parité, si elle augmente le nombre de femmes dans les institutions, se fait sans profit pour leur classe. Prenons-en un premier exemple.

Les femmes et la politique de la ville

La dernière étude de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) en porte témoignage. Malgré la parité, qui ne résout pas l’injustice faite aux femmes, la ville et les politiques de la ville sont tout simplement genrées. Une femme sur trois éprouve un sentiment d’insécurité dans son quartier, contre une femme sur cinq en centre ville. Selon l’enquête annuelle réalisée par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France auprès de 10 500 femmes (ce qui n’est pas rien !), la peur fait partie du vécu de 69 % des Franciliennes, « au moins de temps en temps » le soir.
Le géographe Yves Raibaud note un contrôle social masculin au bas des tours des banlieues populaires. La présence masculine est statique : trottoirs, bas d’immeubles et cafés2 et occupe la grande majorité de l’espace public alors que les femmes ne font que s’y déplacer.
Marie-Christine Holm, ethnologue-urbaniste, a montré lors d’une étude réalisée en 2012 dans le quartier du Grand parc, au nord de Bordeaux, que quel que soit le groupe de femmes (lycéennes et étudiantes, femmes précaires et isolées, seniors), toutes avaient dans la tête une carte mentale des rues à éviter.
Or, les financements publics ont renforcé le caractère genré de la ville. La parité n’empêche pas que les financements de la politique de la ville favorisent les hommes (terrains de pétanque, terrains de football, circuits de skate, studios de répétition de musique, terrains de sport, etc.) 75 % des budgets publics servent à financer les loisirs des garçons, a ainsi constaté Y. Raibaud, renforçant la présence des hommes dans l’espace public.
Pire encore, la classe populaire ouvrière et employée ne représenterait pas plus de 5% des maires ruraux (principalement des hommes d’ailleurs !) alors que la proportion des ouvriers et des employés est plus forte en milieu rural et périurbain qu’en centre ville ou en banlieue. Les ouvriers et les employés sont déjà exclus de la vie politique des grandes villes. Que dire alors des ouvrières, des employées ?
Il faut lire Julian Mischi, sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique pour s’en convaincre. Si 55 % de la population active sont des ouvriers et des employés, combien sont membres d’un conseil municipal ? Pire encore pour les ouvrières et les employées ! Bien sûr, le recul des réseaux associatifs, d’éducation populaire et d’organisations ouvrières là où habite de plus en plus cette population n’est pas pour rien dans ce recul. La technicisation, la professionalisation de la vie politique, et les actes I, II, et III de la décentralisation sont aussi responsables de l’accroissement des professions de cadres ou intellectuelles dans les municipalités. De plus la stagnation des politiques de la petite enfance a été un accélérateur de l’éradication des femmes ouvrières et employées des municipalités. Et ce phénomène s’est amplifié dans les trente dernières années.

Les inégalités salariales, amplifiées par la retraite

On sait que les différences de salaires entre hommes et femmes s’expliquent en partie par le temps partiel, très souvent subi, et en partie par le fait que les femmes sont surreprésentées dans les emplois moins qualifiés, le solde (6 à 11 %) résultant de la pure et simple discrimination3. Alors que la loi de mars 2006 prévoyant la négociation annuelle de mesures de résorption des écarts n’est même pas appliquée, la loi pour l’égalité « réelle » adoptée le 27 juillet dernier, prise dans le carcan de l’accord national interprofessionnel du 13 janvier 2013 et de la politique austéritaire, s’abstient de toute mesure concrète (mis à part l’éventuelle privation de marché publics à titre de sanction pour les entreprises) : aux partenaires sociaux de parvenir à des accords.
Quand on sait que le secteur des services à la personne rassemble massivement des femmes non qualifiées et des professions faiblement syndiquées, on imagine bien le chemin à parcourir. Or, comme le notent les chercheuses réunies par Ch. Marty, dans l’ouvrage cité, passer du principe « à travail égal, salaire égal » au principe  « à travail de valeur égale, salaire égal » permettrait de lutter contre « la discrimination systémique des emplois traditionnelllement ou majoritairement féminins ». La loi d’équité salariale adoptée par le Québec en 1996 donne l’exemple d’une méthodologie comparative basée sur les conditions de travail, les qualifications et les compétences
Dans la même optique, il serait urgent de résorber les 38 % d’écart entre hommes et femmes en termes de retraite pour les retraites à égalité de qualification malgré la majoration de la durée d’assurance (MDA) retenue pour la naissance et l’éducation d’enfants ! Malgré une mobilisation forte qui fut aussi le fait des femmes, la loi sur les retraites de 2010 a pénalisé plus fortement celles-ci, tant du point de vue du recul de l’âge légal de la retraite que de celui du de l’âge du départ à taux plein. En préparation de la prochaine loi sur les retraites, le rapport remis par la députée (PS) Yannick Moreau en juin 2013 évoque une « remise à plat des avantages familiaux », à effet redistributif, qui ne pourra être que cosmétique si elle ne s’attaque pas à la source des inégalités salariales.

Eh bien voilà un sujet concret sur lequel nous aurons à revenir et dont les mouvements féministes vont pouvoir s’emparer afin de renouer avec la prise en compte de l’intérêt des ouvrières, des employées et femmes des couches moyennes intermédiaires dans leur vraie vie !

  1. Pour une réflexion sur la « dialectique entre luttes pour des réformes immédiates, participation aux mobilisations et lutte politique et idéologique révolutionnaire », en vue de la reconstruction du mouvement féministe, voir le texte de Nicole-Edith Thevenin déjà publié par ReSPUBLICA ]
  2. A Aubervilliers un collectif de femmes s’est mis en place pour oser occcuper, visiblement et en groupe, certains cafés ! []
  3. Attac/Fondation Copernic, Le féminisme pour changer la société, Christiane Marty Coord., Syllepse, 2013. []
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"Essais pour une culture du futur", par André Tosel

par Pierre Hayat

 

André Tosel, Essais pour une culture du futur, Editions du Croquant/ Espaces Marx, 2014, 8 €

Le dernier ouvrage d’André Tosel ne prétend pas remplacer les études spécialisées sur la mondialisation capitaliste. Il propose une analyse claire et ramassée à tous ceux qui ne renoncent pas au projet d’émancipation et de solidarité quand la logique de la privatisation « fait la loi aux lois du droit public ».

 Tosel rend compte du fonctionnement du nouveau « système monde » constitué autour d’une caste transnationale qui a construit l’infrastructure de la mondialisation capitaliste (Banque mondiale, Fonds monétaire international, agences de notation) et développé un système mafieux structurel (paradis fiscaux, rémunérations hors normes des directions, diktats des actionnaires).

L’ouvrage montre comment ce système global s’est installé dans les États devenus agents stratégiques de cette gouvernance privée, dépourvue de légitimité démocratique et dispensée de responsabilité civique. Sous le matraquage de la « réforme de l’État », il faut comprendre que les États sont sommés de se conformer aux impératifs d’une dérégulation généralisée. Ils se vident de leur légitimité sociale en opérant une refonte du droit du travail hostile aux travailleurs et en démantelant les systèmes de protection sociale et de retraite. Ils imposent une fiscalité favorable au capital au prétexte de compétitivité. Une catastrophe comme l’ouragan Katrina fut l’occasion d’un racket de la manne publique par les banques et les entreprises privées.

S’est ainsi constituée une nouvelle classe dominante, « dénationalisée sans être vraiment cosmopolitique », corrélative à l’apparition d’une « nouvelle classe de subalternes » (salariés endettés, précaires, chômeurs, migrants, personnes souffrant d’insécurité sociale et de relégation urbaine). Lucide, Tosel observe que « la disproportion entre les deux classes a pris des proportions énormes ».

Ce système de domination se légitime  par une conception du monde, que Tosel nomme « imaginaire néo-libéral », qui réduit la liberté à la liberté privée d’entreprendre et d’accumuler sans fin des profits financiers. Selon cette idéologie, le Monde est Concurrence, Affaire et Commerce, et le droit d’exister n’appartient vraiment qu’aux gagnants. Les individus sont appelés à devenir managers d’eux-mêmes et à se transformer sans cesse pour ne pas être lâchés par un monde impitoyablement compétitif. André Tosel montre comment cette idéologie du capitalisme contemporain capture à son profit la « plasticité humaine », c’est-à-dire la capacité des hommes à se transformer en transformant leurs conditions d’existence. Ainsi, demande-t-on aux salariés de s’auto-évaluer et, le cas échéant, d’intérioriser la nécessité de leur licenciement dès lors qu’ils constatent eux-mêmes qu’ils ne sont plus performants.

Ce système destructeur de démocratie et d’humanité engendre deux types d’oppositions. Le « conflit identitaire, d’abord, se réclame d’une communauté traditionnelle d’appartenance et oppose un « nous » exclusif à un «eux » potentiellement ennemis. À l’inverse, le « conflit social » vise le partage d’un monde commun à partir de luttes pour une vie plus sûre, un travail allégé et une puissance de parole accrue. L’analyse du conflit de ces deux conflits est l’une des meilleures de cet ouvrage. Tout au long des trois essais qui composent son livre, André Tosel élabore des concepts qui aident le citoyen commun et le militant ordinaire à comprendre un monde stupéfiant, et à penser rationnellement les conditions de l’émancipation personnelle et collective.

Une bonne bibliographie clôt ce livre d’éducation populaire.