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Retraites : il n’y aurait pas d’alternative ?

Comment, souvent, un événement en chasse un autre dans les préoccupations des médias. En l’occurrence, l’importance essentielle pour la vie de nos compatriotes des conditions de départ à la retraite est occultée, momentanément espérons-le, par la déflagration de l’inéligibilité de Marine Le Pen. La rengaine, cent fois, mille fois répétée qu’il n’y aurait pas d’alternative au recul de l’âge égal de départ à la retraite, fleurit dans les propos des experts autoproclamés qui n’ont que l’allongement de l’espérance de vie sans s’interroger sur celle en bonne santé, que le ratio actif/retraité à la bouche. Surtout, il ne faut pas remettre en cause la répartition des richesses créées : c’est tabou.

Des chiffres

Nous sommes assommés de chiffres, de statistiques qui jouent, trop souvent, un rôle de stérilisation de nos volontés de résistance, de nos facultés à penser hors des normes ultralibérales et néoconservatrices. Les chiffres utiles pour comprendre la réalité doivent nous éclairer et non pas boucher l’horizon des possibles.

Coût supplémentaire du retour à 62 ans

Ainsi, la Direction générale du Trésor prévoit un coût de 24,2 Mds € en 2030 si la contre-réforme(1)Une réforme améliore les conditions de vie, une contre-réforme conduit à une régression. était annulée. Le COR(2)Conseil d’orientation des retraites. informe, qu’en moyenne, la baisse entre le dernier salaire perçu et le montant de la pension pour un salarié né en 1962 se traduit par une perte de 23,9 %. Le même COR estime à 24 ans le temps passé en retraite sans préciser si c’est en bonne condition physique et mentale.

Désindexation par rapport à l’inflation

Les données du COR évaluent à 4 Mds € les économies réalisées si les pensions étaient désindexées de 1 % par rapport à l’inflation. Les dévots de la pensée unique ultralibérale passent sous silence une réalité décrite par le COR : la chute du niveau des pensions.  Ainsi, le niveau de vie moyen des retraités est à présent inférieur à celui de la population active. En outre, depuis 2017, les pensions sont à la traîne par rapport à l’inflation : + 19,5 % pour cette dernière, contre + 13,6 %. Ainsi, les retraités ont perdu l’équivalent de 3 mois de pension et 4,5 mois pour ceux qui ont été impactés par l’augmentation de la CSG en 2018. Cela remet en cause le cliché des retraités privilégiés. La grande masse de ceux-ci ne l’est pas. Ces clichés qui dénaturent la réalité n’ont pour objet que de stériliser les luttes potentielles, que d’inciter au renoncement.

Dépenses militaires et dépenses sociales

L’augmentation du budget des armées de 30 Mds € en plus des 15 prévus(3)Loi de programmation militaire jusqu’en 2030. que le contexte international semble justifier représente 1 point du PIB. C’est loin de mettre en danger les finances publiques. De même, abandonner la contre-réforme des retraites nécessiterait un effort de 0,5 point du PIB par, soit 15 Mds €. Pas de quoi fouetter un chat ultralibéral.

Des pistes pour revenir à 62 ans

L’emploi des seniors : 10 Mds €

Le taux d’activité des seniors est singulièrement plus faible en France : 64,3 % comparés aux 68,5 % dans l’UE. Il s’avère que les NER (ni en emploi ni en retraite) entre 55 ans et 61 ans représentent 22 % de cette classe d’âge. Pénibilité des métiers, préjugés de l’ « âgisme », trop couteux, réticences des employeurs expliqueraient ce phénomène.

Un contrat senior expérimental de 5 ans, exempté de cotisation chômage, autorise un patron à se séparer d’un senior de 60 ans embauché dès qu’il pourra faire valoir ses droits à la retraite à taux plein. Nous ne pouvons que nous interroger sur l’opportunité de l’exonération de cotisations chômage. Le gâchis de compétences du fait que les seniors sont poussés vers la sortie est évalué à 10 Mds € de manque de recettes. Il importe de sortir de l’habitude de se séparer des seniors.

Désindexer les grosses retraites : 2,8 Mds €

Sous prétexte que les retraités épargneraient une partie de leur pension, la solution de revaloriser les pensions de 1 % en dessous de l‘inflation apparaît dans les discours. Ce propos généraliste ne tient pas compte des nombreux retraités qui tirent le diable par la queue.

En revanche, il est envisageable de cibler les plus aisés, à savoir les 50 % les plus riches. L’économie s’élèverait à 2,8 Mds €. Une mesure similaire avait été appliquée en 2020 à partir de 2 000 €. Raisonnablement, peut-on considérer que 2 000 € de pension rangeraient parmi les riches ?

Insérer les jeunes dans l’emploi

Le taux de 17,2 % de chômage chez les moins de 25 ans plombe les recettes de la CNAV. 10,5 % des jeunes ne sont ni en emploi ni en formation. Réduire le chômage des jeunes, conjuguer emploi et formation en alternance, envisager de rémunérer les jeunes en études longues avec cotisations sociales à la clé contribueraient, simultanément, à améliorer les comptes sociaux et le nombre de trimestres cotisés des futurs retraités.

Droits de succession : 9 Mds €

C’est un des tabous qu’il faudrait lever. Seule une volonté politique de justice fiscale permettrait de lever les appréhensions légitimes à ce sujet. L’actif des successions est évalué à 430 Mds €. Le Conseil d’analyse économique (CAE) décrit l’évolution depuis 1970 : la fraction de la fortune héritée de 35 % est passée à 60 %.

Cela indique une évolution négative au détriment des revenus du travail et au profit de la rente. Cependant, des inégalités criantes apparaissent : les 1 % les plus riches, par personne, bénéficient de 4,2 millions d’€ nets d’impôts, les 0,1 % de 13 millions, soit 180 fois le montant moyen des successions. Le CAE évalue à 9 Mds € les recettes supplémentaires issues d’une taxation des catégories les plus élevées pécuniairement parlant.

Insertion des moins qualifiés : 500 millions d’€

Désindustrialisation massive, déclassement social des jeunes diplômés conduisent à l’effondrement de l’emploi des jeunes ayant quitté l’école à la fin du collège. Ces derniers travaillent 600 h/an contre 1400 h/an pour les diplômés du supérieur. Parvenir à 1400 h/an conduirait à distribuer 4 Mds € de salaires en plus, soit 500 millions d’€ de recettes sociales supplémentaires.

Revenir sur les exonérations patronales abusives

Cette pratique initiée depuis 1993 obère les comptes sociaux. En 2023, le poids négatif pour les finances publiques s’élève à 75 Mds €. Il serait juste et opportun, socialement et économiquement, de réduire drastiquement ces exonérations pour augmenter les recettes des cotisations sociales.

Comme l’avertit la Cour des comptes, « le recours croissant aux compléments de salaires exonérés de cotisations sociales minore la progression des recettes de la Sécurité sociale ».

Aménager les 10 % d’abattement des retraités aisés

C’est, avec la taxation des successions, un autre tabou à lever. Cet abattement fiscal de 10 % avait été introduit pour éviter l’accroissement de la pression fiscale la 1ère année de retraite. Il ne s’agit pas de revenir sur cette mesure, mais elle ne se justifie pas pour les retraités les plus aisés. Des études indiquent une rentrée supplémentaire pour les caisses à partir de 2 000 € mensuel pour un célibataire.

Encore une fois, ce seuil de 2 000 € correspond-il au point de départ de la catégorie riche ?

Une volonté d’opposer actifs et retraités en culpabilisant ces derniers

La musique selon laquelle les retraités devraient avoir honte de leur niveau de vie qui, pourtant, est équivalent en moyenne à celui des actifs, qui ont vu leur revenu se réduire par la désindexation par rapport aux salaires, par la désindexation de fait et officieuse par rapport à l’inflation et pas la hausse de la CSG. Vincent Vicard du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, loin du catastrophisme ambiant, explique que la situation française est soutenable. Il s’appuie sur des aspects complémentaires :

Là où le bât blesse, c’est sur la production industrielle qu’il faudrait revitaliser. Pour cela, comme pour l’ensemble de l’Union européenne, comme pour les États-Unis, notre pays ne forme pas assez de techniciens, d’ingénieurs, de scientifiques. Il est temps d’attirer nos jeunes vers ces filières sans quoi, la souveraineté industrielle indispensable relève du vœu pieux.

Pour un retour à l’équilibre : un choix politique

Elvire Guillaud et Erick Staëlen(4)Propos recueillis par Matthieu Leirilz, paru dans le n° 223 de la revue syndicale de la FSU. exposent les trois leviers pour rétablir l’équilibre du système des retraites : augmenter l’âge légal de départ à la retraite, choix auquel nous nous opposons, augmenter le nombre d’années requises pour bénéficier d’une retraite à taux plein, augmenter le taux de cotisation retraite. La formule suivante est également présentée :

Taux de cotisation x nombre d’actifs cotisants x salaire moyen = nombre de retraités x pension moyenne. L’équilibre peut se réaliser en acceptant certaines années des déficits et d’autres années des réserves.

Maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans avec maintien du taux de remplacement par rapport à son dernier salaire et le nombre de trimestres le permettant relève d’un choix politique. Passer de 13,4 % du PIB à plus en fonction de la mise en œuvre des pistes exposées ci-dessus est encore une fois un choix politique.

Tout cela permet d’exclure le piège de la capitalisation qui a la faveur du président du Medef et du Premier ministre. Le système par répartition est un système de solidarité collective alors que le système par capitalisation s’appuie sur la capacité de chacun à constituer sa retraite personnelle. Selon sa situation de fortune, la capitalisation assure ou non une bonne retraite. Gardons à l’esprit qu’en 2008, les États-Uniens retraités se sont vus acculer à la misère et obliger de reprendre un travail du fait d’une baisse de leur pension de 30 à 70 %. Un temps écarté, le piège de la capitalisation revient sur le devant de la scène publique.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Une réforme améliore les conditions de vie, une contre-réforme conduit à une régression.
2 Conseil d’orientation des retraites.
3 Loi de programmation militaire jusqu’en 2030.
4 Propos recueillis par Matthieu Leirilz, paru dans le n° 223 de la revue syndicale de la FSU.
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