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LES RÉFORMES BLANQUER CONTRE L’ÉCOLE DE LA RÉPUBLIQUE – Ie partie

Lorsqu’en 2017 Jean-Michel Blanquer est arrivé à la tête du ministère de l’Éducation nationale, le lycée français avait besoin de réformes profondes pour renforcer sa mission d’instruction et de culture au sein de l’École de la République. Après s’être présenté comme simple porteur du mandat du candidat Macron de simplifier et moderniser le baccalauréat, il a imposé avec brutalité ses « réformes » du lycée, du baccalauréat et des procédures d’admission dans l’enseignement supérieur, qu’il prétend parachever d’ici la fin de l’année 2021. Si le public a assisté à l’effondrement institutionnel de la session 2021 du baccalauréat avec son cortège de dysfonctionnements ubuesques et d’inégalités flagrantes(1)Les syndicats, les associations de professeurs spécialistes, les fédérations de parents d’élèves et les organisations lycéennes ont unanimement dénoncé le naufrage de la session 2021 du bac, l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (APPEP) allant jusqu’à demander l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. http://www.appep.net/bac-2021-une-commission-denquete-parlementaire-simpose/, on peine souvent à saisir l’ampleur des bouleversements et la profondeur de la régression qu’entraîneront les réformes Blanquer. On se limitera ici à proposer quelques repères sur l’état actuel des réformes du lycée général et technologique (2)Le problème social et politique majeur des 110 000 élèves qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification est ignoré comme jamais par l’actuelle politique ministérielle..

La nouveauté principale est, en Première et en Terminale, l’éclatement des classes qui sont des structures pédagogiques et relationnelles stables sur une année scolaire.

Sous la fin des séries, la fin des classes

La disparition des séries ES, L et S de la voie générale est le trait le plus visible de la réforme du lycée. Il s’agissait officiellement de mettre fin à une organisation déséquilibrée du lycée général. Il aurait été possible de réorganiser les séries. Au lieu de cela, la réforme Blanquer a fait exploser l’architecture du lycée général pour lui substituer un système compliqué et inégalitaire de « spécialités ». Les défauts de l’organisation en séries se sont accentués. Dès l’année de Seconde, les élèves doivent choisir leurs spécialités qui les enfermeront de façon plus rigide que du temps des séries de sorte que leurs choix faits à 15 ans détermineront leurs études supérieures. De plus, les élèves sont encore plus nombreux à choisir les mathématiques. Enfin, les concentrations sociologiques se sont reconstituées en fonction du choix des spécialités.

La nouveauté principale est, en Première et en Terminale, l’éclatement des classes qui sont des structures pédagogiques et relationnelles stables sur une année scolaire, au sein desquelles les élèves se retrouvaient pour la majorité de leurs cours. Les conseils de classe rythmaient le travail de l’année au sein desquels siégeaient les délégués de classe. Désormais, les lycéens sont dispersés selon les spécialités et ne se retrouvent au sein d’une même « classe » qu’en français et histoire-géographie en Première, et en philosophie et histoire-géographie en Terminale. Une « classe » peut désormais compter quarante professeurs. Cette disparition programmée des équipes pédagogiques d’une dizaine de professeurs autour du professeur principal, prive les élèves d’un suivi pédagogique cohérent dans un milieu de travail régulier et structurant.

Création par décret estival du « professeur référent »

Pour remédier à la situation chaotique dont il est seul responsable, le ministre a créé le 19 juillet 2021 le « professeur référent de groupe d’élèves » qui assurera la relation entre l’élève et sa famille, la direction de l’établissement, les professeurs de cet élève, la vie scolaire, les services de santé(3)https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043806008. Cet enseignant devra également accompagner l’élève en vue de son orientation après le baccalauréat, se substituant ainsi au conseiller d’orientation psychologue. De leur côté, les élèves seront privés du cadre pédagogique et relationnel protecteur que procure la classe(4)Les ministres de l’Éducation nationale qui se sont succédé ont méthodiquement détruit le métier de conseiller d’orientation. Cette ineptie pédagogique est revendiquée. Lorsqu’il est possible de constituer des classes complètes composées d’élèves qui suivent la même spécialité, les chefs d’établissement dispersent artificiellement les élèves d’une même spécialité en plusieurs classes. Il s’agit officiellement de « ne pas reproduire les séries ». En vérité, l’institution scolaire veut que les élèves soient isolés les uns des autres, mais dépendants de leur professeur référent qui sera aussi isolé qu’eux, en l’absence de véritable équipe pédagogique.

Sous les « spécialités », la guerre de tous contre tous

Sous couvert de préparer les lycéens à l’enseignement supérieur, les réformes Blanquer désorganisent le lycée, en conformité à un individualisme concurrentiel dont les élèves les plus fragiles feront les frais. Jusqu’à présent, les séries ES, L et S étaient en concurrence. Il en était de même des options à l’intérieur de chacune d’elles. Mais l’organisation en séries jouait un rôle amortisseur des concurrences et protecteur de la pluralité de l’offre. Désormais, la lutte des spécialités est le moteur des relations entre les lycées et entre les professeurs. Cette guerre sera d’autant plus rude qu’elle se livrera sur fond de réductions budgétaires, de contraintes de locaux et de faisabilité des emplois de temps. La fermeture d’un « groupe de spécialité » dégrade les conditions d’étude des élèves qui ont choisi cette spécialité, affecte les conditions de travail des professeurs concernés et peut entraîner la suppression d’un poste dans la discipline de la spécialité. Cette guerre qui taira son nom, polluera la relation pédagogique des professeurs avec leurs propres élèves, placés vis-à-vis de leurs professeurs en situation de clients à séduire, lorsqu’ils auront à choisir en Seconde leurs spécialités puis, en Première, quand ils devront « renoncer » à l’une des trois en vue de la Terminale. Elle sera d’autant plus sophistiquée qu’elle s’alimentera de la mise en scène du « Grand oral ».

Un « Grand oral » pour parler avec succès de ce qu’on ignore

Vitrine de la réforme du bac, l’épreuve de « Grand oral » se déroule en fin de Terminale (5)https://www.education.gouv.fr/bo/20/Special2/MENE2002780N.htm. La propagande tapageuse du ministre n’a pas mentionné que cette épreuve faisait disparaître l’épreuve orale de « travaux personnels encadrés » qui était passée en fin de Première et reposait sur des travaux disciplinaires. Le « Grand oral » est une épreuve oratoire et comportementale très contraignante dans sa forme et dépourvue de véritable contenu disciplinaire (6)http://www.appep.net/un-%e2%80%89grand-oral%e2%80%89-redhibitoire-des-reformes-a-abandonner/. Il est en conséquence inapproprié à un examen national de fin d’études secondaires car le lycée devrait plutôt former les élèves à une véritable oralité, en leur apprenant à exposer de vive voix les connaissances assurées qu’ils se sont appropriées.

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Cette épreuve est conçue notamment sur le modèle de l’entretien d’embauche, au cours duquel le candidat s’attache à faire croire qu’il dispose de « compétences » conformes aux attentes de l’employeur. Elle peut également servir à devenir un youtubeur manipulateur, plutôt qu’un citoyen capable de partager oralement ses connaissances. Il est d’ailleurs prévu que le jury comporte parmi ses membres un « naïf » qui pourra, par exemple, interroger et évaluer en mathématiques alors qu’il enseigne l’histoire-géographie, et inversement. En amont, un professeur aura la charge d’entraîner l’élève à cette épreuve. Davantage coach qu’enseignant, il devra, le cas échéant, flatter le narcissisme autoentrepreneur de son élève. En cas de déficience des professeurs, les familles aisées feront appel à des officines privées qui se sont déjà positionnées pour préparer les candidats à cette pantalonnade. Cette imposture aux ramifications multiples se déploiera sur fond d’une prétendue préparation des lycéens aux études supérieures, autour de « Parcoursup ».

« Parcoursup », le grand robot qui n’a rien amélioré

La plateforme numérique « Parcoursup » est l’actuel mode d’admission dans l’enseignement supérieur français voulu par Jean-Michel Blanquer(7)https://eduscol.education.fr/2236/parcoursup-l-orientation-du-lycee-vers-l-enseignement-superieur. Il remplace le système « Admission Post-Bac », qui était très perfectible. Parcoursup n’aggrave ni n’améliore l’état déplorable de l’Université française. Il est autant compliqué, anxiogène, opaque et injuste que le dispositif auquel il se substitue. Il était censé assurer une transparence des critères d’admission dans le Supérieur et éviter le tirage au sort dans les formations en tension. En réalité, ces formations n’ont guère les moyens humains de discriminer les candidats et leurs algorithmes qui assurent le classement des candidats sont opaques. Le ministre avait également promis que, grâce aux réformes du bac et du lycée, les notes obtenues par les candidats à l’examen entreront en ligne de compte dans les critères d’admission dans les formations supérieures. Il n’en a rien été car il est impossible pour les formations supérieures d’intégrer, sauf à la marge, le résultat final du bac parmi les critères d’admission dans l’enseignement supérieur. Sur cette question majeure, le mensonge aura été total.

… et qui embauche les 15-18 ans

Une fois dissipé, à l’épreuve des faits, l’enfumage de la communication ministérielle sur une prétendue amélioration des procédures d’admission dans l’enseignement supérieur, on pourrait imaginer qu’avec Parcoursup, l’articulation du lycée et de l’enseignement supérieur n’est aujourd’hui ni meilleure ni pire qu’auparavant. La réalité est plus sombre. Les bouleversements du bac et du lycée modifient sensiblement la façon dont les lycéens prépareront leur entrée dans l’enseignement supérieur. Désormais, tout élève est prévenu dès son entrée en Seconde que son avenir dans l’enseignement supérieur sera dirigé par le grand robot Parcoursup. L’élève est formaté de telle sorte que sa préoccupation majeure n’est pas de s’instruire et de se cultiver mais de « bien choisir ses spécialités » en vue de son dossier Parcoursup, le grand maître. L’individualisme calculateur et consumériste de l’élève est construit par l’institution scolaire selon la logique du néo-libéralisme contemporain. Le lycée considère pratiquement les élèves comme des individus promoteurs de leurs propres qualités personnelles dans un marché du travail impitoyablement compétitif.

L’individualisme calculateur et consumériste de l’élève est construit par l’institution scolaire selon la logique du néo-libéralisme contemporain.

Le dossier Parcoursup de l’élève comporte les notes obtenues en cours d’année de Première et de Terminale et à l’issue des épreuves anticipées de français. Il contient également divers documents d’accompagnement parmi lesquels une « lettre de motivation » pour chacun des vœux, conçue sur le modèle d’une lettre de demande d’embauche (8)https://cache.media.eduscol.education.fr/file/parcoursup_2019/53/8/FE_LETTRE_DE_MOTIVATION_MOTIVE_1068538.pdf. Il s’agit pour l’élève de s’ajuster habilement aux attentes de la formation. Il est recommandé d’y faire figurer des éléments biographiques flatteurs d’où on reconnaîtra l’origine socio-culturelle de l’élève. Il revient au professeur principal et au professeur référent de Terminale, transformés en conseillers pour l’emploi de jeunes de dix-sept ans, de participer à la rédaction de ladite lettre. Ils habituent ainsi les élèves à considérer que leurs qualités personnelles sont équivalentes à un capital monnayable puisqu’ils sont, dès le lycée, vendeurs de « compétences » conformes à l’impératif d’adaptabilité. Mais ni l’élève, ni sa famille ni son professeur référent, ne sauront si la lettre de motivation aura été lue par un humain, ou si le classement de l’élève résulte du seul algorithme de la formation. L’essentiel, pour le ministère, est que tous aient été conditionnés à rédiger l’équivalent d’une demande d’embauche dans le contexte du néo-libéralisme contemporain.

Pressions en miroir et aberration du calendrier

Cette focalisation disproportionnée autour du dossier Parcoursup de l’élève s’accompagne d’une redoutable pression sur l’élève afin qu’il « se battre pour obtenir de bonnes notes, surtout en spécialités », au détriment d’études sereines et libres. À la pression exercée sur l’élève consommateur de bonnes notes, correspond, en miroir, celle qui est exercée sur le professeur, réduit au rôle distributeur de bonnes notes « pour ne pas gâcher l’avenir de son élève ». Il appartient au professeur d’avantager son élève dans la compétition qui l’oppose aux autres élèves. Organisatrice de concurrences déloyales et d’injustices flagrantes, l’Éducation nationale renonce à ménager aux lycéens la meilleure formation possible, en les conditionnant à ignorer que l’essentiel dans l’instruction est, comme le voulait Ferdinand Buisson, de progresser en dehors de tout esprit compétitif et de toute étroitesse utilitariste (9)« La note invite l’enfant à se comparer non pas à son camarade, mais à lui-même, à se demander, non s’il a fait mieux qu’un autre, mais s’il a fait mieux aujourd’hui qu’hier, cette semaine que la semaine dernière », Ferdinand Buisson, « Discours à l’École alsacienne » (28 juillet 1887), Éducation et République, introduction de Pierre Hayat, Kimé, 2003, pp. 86-87..

Ce dispositif fonctionnera sur fond d’une aberration calendaire. Il est prévu qu’en Terminale, les épreuves de spécialités aient lieu au printemps. Elles auront donc lieu trop tard pour être intégrées au dossier Parcoursup, et trop tôt au regard de l’année scolaire. Une fois les épreuves de spécialités passées, la plupart des élèves seront, de fait, en vacances, puisqu’ils n’auront plus qu’à passer le « Grand oral » et la philosophie, qui compteront pour moins de 20 % dans le baccalauréat(10)Le bac général est réussi par 97% des candidats et le bac technologique par 94% des candidats. Les deux tiers des lauréats obtiennent une mention. A partir d’avril, il sera donc impossible dans la plupart des classes de Terminale des établissements publics de maintenir une atmosphère de travail. Mais, pour des raisons d’ordre public, les personnels de l’enseignement public auront à « combattre l’absentéisme et le décrochage ». Après avoir continument conditionné les lycéens à un utilitarisme étroit, on leur demandera les trois derniers mois de Terminale de venir en cours et d’y travailler sérieusement, par pur amour de l’instruction. Les premières victimes de cette carence institutionnelle et des désordres prévisibles qui en résulteront, seront les élèves les plus faibles et les plus fragiles, et tous ceux qui attendent beaucoup de l’École de la République.. Sous couvert de transformer l’année de Terminale en année charnière entre le lycée et le Supérieur, on prive les lycéens d’une dernière année scolaire complète. Ce serait anecdotique, au regard du désastre général, si Jean-Michel Blanquer ne s’apprêtait pas à transformer le baccalauréat en diplôme local intégralement obtenu en contrôle continu.

Quelle pression du contrôle continu sur les notes ?

Jean-Michel Blanquer a instrumentalisé la crise sanitaire pour durcir et accélérer sa réforme. À compter de la session 2022 du baccalauréat, la part du « contrôle continu » sera à nouveau étendue, pour valoir 60 % du baccalauréat(11)Le bac général est réussi par 97% des candidats et le bac technologique par 94 % des candidats. Les deux tiers des lauréats obtiennent une mention. A partir d’avril, il sera donc impossible dans la plupart des classes de Terminale des établissements publics de maintenir une atmosphère de travail. Mais, pour des raisons d’ordre public, les personnels de l’enseignement public auront à « combattre l’absentéisme et le décrochage ». Après avoir continument conditionné les lycéens à un utilitarisme étroit, on leur demandera les trois derniers mois de Terminale de venir en cours et d’y travailler sérieusement, par pur amour de l’instruction. Les premières victimes de cette carence institutionnelle et des désordres prévisibles qui en résulteront, seront les élèves les plus faibles et les plus fragiles, et tous ceux qui attendent beaucoup de l’École de la République.. La pression sur les notes ne concernera donc pas seulement les spécialités, qui sont passées en examen, mais également les disciplines relevant du contrôle continu. Cela signifie concrètement que les lycéens de Première et de Terminale seront intégralement soumis à la double logique du résultat et de la concurrence. L’élève est conditionné à se désintéresser de toute connaissance ne répondant pas à cette double logique.

Sauf exceptions, la pression sur les notes s’exerce jusqu’à présent seulement à la hausse…

Sauf exceptions, la pression sur les notes s’exerce jusqu’à présent seulement à la hausse, les professeurs étant priés par les élèves, les familles, les proviseurs, les inspecteurs, parfois par leurs collègues, de ne pas « pénaliser les élèves ». Cependant, on s’achemine dès cette année scolaire vers un dispositif plus retors et plus systématique. Un professeur qui notera « comme il faut » ne sera plus nécessairement un distributeur de bonnes notes. Dans certains cas, les pressions s’exerceront à la baisse, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la qualité des travaux des élèves ni avec l’intensité de leurs efforts, mais avec la politique administrative de l’académie. Un des critères du classement des lycées est en effet le différentiel entre les notes du contrôle continu et celles de l’examen. Il peut donc être intéressant pour un proviseur ou des familles d’imposer, sous couvert du projet d’établissement, une notation sévère pour que le lycée ait bonne réputation. Mais qu’elle soit sévère ou laxiste, la notation attendue ne correspond pas à des critères intellectuels et pédagogiques, et dessaisit l’enseignant de sa responsabilité professionnelle. L’enjeu est la « gestion des flux d’élèves » dans le cadre d’une hiérarchisation technocratique des lycées au sein d’une même académie, dans le cadre de la politique ministérielle du moment(12)L’autonomie des établissements est largement fictive. Les « projets d’établissement » se conforment aux oukases de technocrates qui s’appuient sur le classement annuel des lycées. Ces classements sont « dynamiques » au sens où ils correspondent à la façon dont, d’une année sur l’autre, chaque lycée a réalisé les objectifs qu’on attend de lui. Un établissement mal classé ne sera pas nécessairement puni l’année suivante par des réductions budgétaires sévères ou par l’affectation d’un proviseur incapable. Il peut au contraire bénéficier d’une augmentation de moyens financiers et humains, pour des raisons d’ordre public, par exemple. Mais cela se fait alors au détriment d’autres lycées qui ont été bien classés pour avoir dépassé les « objectifs » qui leur avaient été assignés. Il arrive, par exemple, qu’un « lycée poubelle remonte la pente » en quelques années, suite à un volontarisme académique. Il bénéficie alors d’un bon classement. Mais patatras ! l’année suivante, le voilà déplumé de ses options porteuses, d’une secrétaire qui « faisait tout », de son assistante sociale, de son proviseur remarquable, d’excellents assistants d’éducation, de ses effectifs allégés, d’objectifs réalisables, etc., au profit du lycée voisin qui, entretemps, est devenu « ingérable », ou d’un lycée plus contestataire que d’autres. Ces manipulations déconcertantes ne résultent donc pas des seules contraintes budgétaires, ni même du seul mauvais état général des lycées. Elles reposent également sur un modèle idéologique et politique antirépublicain de « gestion des flux humains », plutôt que sur des préoccupations éducatives..

Évaluation tous azimuts vs enseignement scolaire

Tout en soumettant les élèves à un régime d’évaluation anxiogène, incohérent et inégalitaire, le ministre prétend éteindre l’incendie qu’il a déclenché. En réalité, il provoquera un deuxième incendie. Au prétexte de rassurer les élèves sur l’évaluation des professeurs, le ministère prépare un lourd dispositif technocratique de surveillance des notes(13)Id.. Il est en effet prévu que le Conseil d’Administration des lycées, au sein duquel siègent des élus et toutes sortes de personnalités locales, contrôlera les notes des professeurs sur la base du projet d’établissement. Cette mise sous tutelle locale s’accompagnera d’une prolifération de critères généraux d’évaluation et de notation, qui systématiseront ceux qui ont déjà été produits et qui ignorent généralement les réalités du terrain(14)https://cache.media.eduscol.education.fr/file/parcoursup_2019/53/8/FE_LETTRE_DE_MOTIVATION_MOTIVE_1068538.pdf.

L’élément le plus nouveau est l’instauration parmi les professeurs eux-mêmes d’un maillage compliqué de surveillance de l’évaluation des élèves.

L’élément le plus nouveau est l’instauration parmi les professeurs eux-mêmes d’un maillage compliqué de surveillance de l’évaluation des élèves. Le ministre a créé pour ce faire au sein du corps enseignant, une structure hiérarchique constituée de professeurs « déchargés de temps d’enseignement pour un temps dédié aux missions d’aide à l’inspection »(15) https://www.education.gouv.fr/grenelle-de-l-education-12-engagements-pour-renforcer-le-service-public-de-l-education-323387. Ces nouveaux petits-chefs pourront animer diverses réunions et commissions qui procèderont à « l’harmonisation » des notes des professeurs d’un même lycée. Chaque lycée, qui est officiellement évalué par le ministère (16)https://www.education.gouv.fr/recherche-ival, devra fonctionner en interne sous le régime de l’évaluation tous azimuts. Ce contrôle généralisé s’exercera sur fond d’un brouillage des repères indispensables à l’enseignement scolaire. Seront mélangées les notes formatives, dont la fonction principale est de favoriser les progrès de l’élève, les notes sommatives qui déterminent un niveau en cours de formation, et les notes certificatives, proprement institutionnelles, dont dépend la délivrance d’un diplôme reconnu. Il reviendra au professeur de tenter de réduire les effets délétères de ces désordres programmés. Il aura à palabrer interminablement sur la façon dont il évalue ses élèves et ceux de ses collègues. Il évaluera également la manière dont ses collègues évaluent les élèves, et devra en retour s’ajuster à la façon dont ses collègues et le Conseil d’Administration l’auront évalué.

A suivre…

IIe partie : à lire dans le prochain numéro

L’enjeu de la disparition du baccalauréat dans le droit du travail

Un métier méthodiquement saccagé

Une autocensure en hausse exponentielle

Quels « pouvoirs » des chefs d’établissement ?

Pouvoir des « PERDIR » vs « We can »

Le Nouveau Management Public à l’Éducation nationale

Des corps d’inspection vassalisés

Blanquer, vingt-trois ans après Allègre

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Les syndicats, les associations de professeurs spécialistes, les fédérations de parents d’élèves et les organisations lycéennes ont unanimement dénoncé le naufrage de la session 2021 du bac, l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (APPEP) allant jusqu’à demander l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. http://www.appep.net/bac-2021-une-commission-denquete-parlementaire-simpose/
2 Le problème social et politique majeur des 110 000 élèves qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification est ignoré comme jamais par l’actuelle politique ministérielle.
3 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043806008
4 Les ministres de l’Éducation nationale qui se sont succédé ont méthodiquement détruit le métier de conseiller d’orientation
5 https://www.education.gouv.fr/bo/20/Special2/MENE2002780N.htm
6 http://www.appep.net/un-%e2%80%89grand-oral%e2%80%89-redhibitoire-des-reformes-a-abandonner/
7 https://eduscol.education.fr/2236/parcoursup-l-orientation-du-lycee-vers-l-enseignement-superieur
8, 14 https://cache.media.eduscol.education.fr/file/parcoursup_2019/53/8/FE_LETTRE_DE_MOTIVATION_MOTIVE_1068538.pdf
9 « La note invite l’enfant à se comparer non pas à son camarade, mais à lui-même, à se demander, non s’il a fait mieux qu’un autre, mais s’il a fait mieux aujourd’hui qu’hier, cette semaine que la semaine dernière », Ferdinand Buisson, « Discours à l’École alsacienne » (28 juillet 1887), Éducation et République, introduction de Pierre Hayat, Kimé, 2003, pp. 86-87.
10 Le bac général est réussi par 97% des candidats et le bac technologique par 94% des candidats. Les deux tiers des lauréats obtiennent une mention. A partir d’avril, il sera donc impossible dans la plupart des classes de Terminale des établissements publics de maintenir une atmosphère de travail. Mais, pour des raisons d’ordre public, les personnels de l’enseignement public auront à « combattre l’absentéisme et le décrochage ». Après avoir continument conditionné les lycéens à un utilitarisme étroit, on leur demandera les trois derniers mois de Terminale de venir en cours et d’y travailler sérieusement, par pur amour de l’instruction. Les premières victimes de cette carence institutionnelle et des désordres prévisibles qui en résulteront, seront les élèves les plus faibles et les plus fragiles, et tous ceux qui attendent beaucoup de l’École de la République.
11 Le bac général est réussi par 97% des candidats et le bac technologique par 94 % des candidats. Les deux tiers des lauréats obtiennent une mention. A partir d’avril, il sera donc impossible dans la plupart des classes de Terminale des établissements publics de maintenir une atmosphère de travail. Mais, pour des raisons d’ordre public, les personnels de l’enseignement public auront à « combattre l’absentéisme et le décrochage ». Après avoir continument conditionné les lycéens à un utilitarisme étroit, on leur demandera les trois derniers mois de Terminale de venir en cours et d’y travailler sérieusement, par pur amour de l’instruction. Les premières victimes de cette carence institutionnelle et des désordres prévisibles qui en résulteront, seront les élèves les plus faibles et les plus fragiles, et tous ceux qui attendent beaucoup de l’École de la République.
12 L’autonomie des établissements est largement fictive. Les « projets d’établissement » se conforment aux oukases de technocrates qui s’appuient sur le classement annuel des lycées. Ces classements sont « dynamiques » au sens où ils correspondent à la façon dont, d’une année sur l’autre, chaque lycée a réalisé les objectifs qu’on attend de lui. Un établissement mal classé ne sera pas nécessairement puni l’année suivante par des réductions budgétaires sévères ou par l’affectation d’un proviseur incapable. Il peut au contraire bénéficier d’une augmentation de moyens financiers et humains, pour des raisons d’ordre public, par exemple. Mais cela se fait alors au détriment d’autres lycées qui ont été bien classés pour avoir dépassé les « objectifs » qui leur avaient été assignés. Il arrive, par exemple, qu’un « lycée poubelle remonte la pente » en quelques années, suite à un volontarisme académique. Il bénéficie alors d’un bon classement. Mais patatras ! l’année suivante, le voilà déplumé de ses options porteuses, d’une secrétaire qui « faisait tout », de son assistante sociale, de son proviseur remarquable, d’excellents assistants d’éducation, de ses effectifs allégés, d’objectifs réalisables, etc., au profit du lycée voisin qui, entretemps, est devenu « ingérable », ou d’un lycée plus contestataire que d’autres. Ces manipulations déconcertantes ne résultent donc pas des seules contraintes budgétaires, ni même du seul mauvais état général des lycées. Elles reposent également sur un modèle idéologique et politique antirépublicain de « gestion des flux humains », plutôt que sur des préoccupations éducatives.
13 Id.
15 https://www.education.gouv.fr/grenelle-de-l-education-12-engagements-pour-renforcer-le-service-public-de-l-education-323387
16 https://www.education.gouv.fr/recherche-ival
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