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Démocratie et fausses informations

Représentation de la Justice tenant le glaive et la balance, les yeux bandées sur fond de drapeau de l'Europe

À l’heure des réseaux sociaux, la diffusion de fausses informations ou de fake news ne relève plus des pouvoirs ou organes d’influences de certains médias. Tout un chacun dispose des moyens informatiques pour en être la source ou le vecteur. Le processus électoral ne peut qu’être faussé, biaisé. Il est du rôle des citoyens et citoyennes de se méfier et de vérifier l’exactitude des sources, de distinguer les faits qui sont objectifs des interprétations qui sont subjectives. Plusieurs textes de l’UE, qui met en place une sorte de ministère de la Vérité, ne sont pas là pour rassurer tous ceux qui sont attachés à la liberté d’expression.

Les rumeurs, sources de manipulations des individus dans l’Histoire

Philippe le Bel (XIVe siècle) : il accuse les Templiers d’hérésie et d’occultisme, ce qui, à l’époque de la toute-puissance de l’Église catholique, valait condamnation à mort. Tout cela pour supprimer une puissance concurrente du roi et récupérer leur immense fortune.

Henri III (XVIe siècle) : il est accusé de « bougrerie » (homosexualité) par ses ennemis, regroupés autour du duc de Guise, sans doute car il est jugé trop pusillanime à l’égard des protestants.

Mazarin, sous la Fronde (1648-1653) : il est accusé de vendre la France aux Espagnols, d’avoir des mœurs corrompues et de vouloir rétablir l’Inquisition par ces nobles qui s’opposent à la montée en puissance du pouvoir royal.

Marie-Antoinette, en 1785 : la reine est accusée d’avoir souhaité offrir un bijou de haute valeur, alors qu’elle n’y est pour rien. Si la volonté de limiter le pouvoir absolu de droit divin est légitime, cela doit-il se réaliser à l’aide de fausses informations ?

Le sommet de la désinformation historique, en France, apparaît avec le Puy du Fou :

Autre période propice à l’effacement : l’ère stalinienne et soviétique

Avec Orwell et 1984, est mis en évidence que celui qui contrôle le passé et manipule les faits historiques contrôle l’avenir et les pensées du présent. Pour cela, il faut gérer les archives : effacer des faits et en inventer d’autres, effacer des pensées notamment jugées subversives.

L’actualité moins proche, proche ou immédiate ne manque pas de fake news

Sous-estimation des effets pervers des réseaux sociaux

À côté de l’aspect positif des réseaux sociaux, qui permettent une liberté d’expression hors des canaux officiels et des médias classiques souvent aux mains de quelques oligarques multimilliardaires, les effets délétères pour la liberté elle-même ont été sous-estimés et mal encadrés. La loi de 1881 sur la presse a tenté de conditionner cette liberté : « La publication ou la reproduction de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers… sera punie d’un emprisonnement… et d’une amende… ou de l’une de ces deux peines ».

De même, la liberté du journaliste est préservée par la même loi, amendée en 2016 : « Tout journaliste, au sens du 1° du I de l’article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté » (2)https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/2021-01-04/..

Cette loi a été utilisée, notamment durant les guerres, pour condamner des annonces factuelles de défaites sous prétexte de ne pas nuire au moral des troupes et des populations.
Si la presse se doit de ne pas publier de fausses nouvelles sous peine de sanctions, les réseaux sociaux profitent d’une zone grise. Les grands réseaux sociaux se prévalent de n’être que de simples diffuseurs et non des producteurs de nouvelles. Autre problème récurrent, c’est l’accès quasi impossible aux algorithmes qui assignent à résidence des groupes particuliers idéologiques ou religieux qui limitent l’autonomie de jugement.

La définition de la « fausse nouvelle », qui peut émaner de personnes malintentionnées comme de celles persuadées de leur propre vérité, s’est élargie. Elle est passée d’une information qui remettait en cause le pouvoir à la simple désinformation ou mésinformation non intentionnelle, ou à la déformation de la réalité.

Cette pratique nuisible au débat démocratique n’est pas l’apanage des seuls réseaux sociaux, mais ils l’amplifient. L’arrivée de « l’Intelligence Artificielle », ou plus exactement le traitement automatique des données ne fait que compliquer le recul nécessaire pour ne pas être manipulé. Très certainement, l’école devrait se saisir de cette problématique pour que les élèves ne soient pas dupés.

Une directive européenne potentiellement liberticide

Dans le but officiel de « renforcer l’indépendance, la transparence et le pluralisme des médias dans l’Union européenne. Ce texte impose notamment la publication de la liste des propriétaires de médias, interdit la surveillance des journalistes et protège la liberté éditoriale face aux ingérences politiques ou économiques »(3)https://www.touteleurope.eu/societe/qu-est-ce-que-l-acte-europeen-sur-la-liberte-des-medias-european-media-freedom-act/., l’Union européenne a créé le « European Media Freedom Act » entré en vigueur le 7 mai 2024. Il s’agit d’un système centralisé de contrôle de l’information qui pourrait aboutir à l’inverse du but affiché. Comme chacun le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Cette loi, de fait, met en place un organe supranational de gestion des médias. Cet organe sera en lien étroit avec les régulateurs nationaux. Les articles controversés de cette loi qui font craindre la mise en œuvre d’un « ministère de la vérité » façon 1984 de Georges Orwell sont les articles 4 ainsi que, dans le chapitre 3, les articles 7 et 13.

Article 4 : il contient une liste des interdictions censées protéger les journalistes(4)https://blogs.mediapart.fr/remy-nuno-griffais/blog/090825/la-loi-europeenne-sur-la-liberte-des-medias-protection-ou-controle-0.. Il « établit le principe de protection des sources journalistiques, interdisant en théorie le recours aux logiciels espions ou aux arrestations pour contraindre les journalistes à révéler leurs informateurs. Cette disposition répond à une préoccupation légitime face aux pressions croissantes exercées sur les journalistes d’investigation dans plusieurs États membres ».

Chapitre 3, articles 7 et 13 : une sorte de « liberté surveillée et institutionnelle » est instaurée avec un système de fichage assurant « un contrôle administratif renforcé ». À cet effet, le Comité européen pour les services de médias est institué. Ce Comité pourra mettre en œuvre des dérogations à toutes ces interdictions. Pour cela, il faut réunir trois conditions : une « raison impérieuse d’intérêt général », la proportionnalité, et une autorisation judiciaire ou émanant « d’une autorité décisionnelle indépendante et impartiale ». De plus sont prévus des cas « exceptionnels et urgents » qui permettent d’agir sans autorisation préalable et de demander une validation après coup.

Un risque d’arbitraire élevé

Nous assistons à une harmonisation vers le bas en légitimant des contrôles qui n’existaient que dans les pays dits illibéraux(5)https://blogs.mediapart.fr/remy-nuno-griffais/blog/090825/la-loi-europeenne-sur-la-liberte-des-medias-protection-ou-controle-0. Il semble bien que c’est l’obsession sécuritaire qui tend à l’emporter sur la liberté d’expression.

D’autres pistes existent pour préserver la liberté d’expression

« L’éducation aux médias, la transparence des algorithmes de recommandation, le soutien économique aux médias indépendants sans contrepartie éditoriale, et des mécanismes de fact-checking décentralisés plutôt qu’une régulation centralisée » sont des pistes que cette loi européenne laisse de côté. Ces pistes peuvent assurer et la garantie de contrer les fausses nouvelles efficacement et la liberté de pensée et de publier. Les meilleurs garde-fous sont encore ceux que se construisent les individus par l’usage de la raison universelle. Seule l’éducation dans un cadre laïque est à même d’aider à prendre conscience de ce qui aliène notre pensée, des déterminismes notamment algorithmiques qui limitent notre libre arbitre.

Dans l’Ethique, Spinoza y insiste à juste raison : « Les hommes se croient libres pour la seule cause qu’ils sont conscients de leurs actions et [dans le même temps] ils sont ignorants des causes par où ils sont déterminés ».

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