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La loi du 15 mars 2004 entre liberté de conscience et transmission des connaissances – Partie 1

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Table des matières de la Partie 1

GENÈSE ET RAISONS DE LA LOI DU 15 MARS 2004

Les trois « circulaires Zay »

Démasquer les extrêmes-droites et réveiller la gauche identitaire

La « loi Jospin » d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989

L’avis et les décisions du Conseil d’État relatifs à la loi Jospin

Mobilisations laïques

La « commission Stasi » et la loi de 2004

Deux enseignements et un questionnement

La circulaire du ministre de l’Éducation nationale du 10 novembre 2022, « Principes de laïcité à l’école : un plan en 4 axes pour mieux protéger la communauté éducative » fait état d’une inquiétante « montée des phénomènes d’atteintes à la laïcité » à l’écolei.
Ces cas sont repérables non seulement au « port de tenues signifiant une appartenance religieuse » mais aussi à « des comportements ou des propos violents »ii.
La circulaire se réfère à la loi scolaire du 15 mars 2004 qui prévoit que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit »iii. Elle vise tout signe ou vêtement manifestant une intention de revendiquer une appartenance religieuseiv.
Il paraît prématuré de déterminer si cette circulaire de Pap Ndiaye permettra de répondre aux inquiétudes, notamment celles, immédiates, qui ont trait au port d’abayas.
En revanche, occasion nous est donnée de revenir sur les enjeux présents de la loi scolaire du 15 mars 2004. Après avoir rappelé la genèse et les raisons de cette loi (1), on s’attachera à deux questions qui lui sont structurellement attachées : la liberté de conscience (2) et la transmission des connaissances (3)v.

GENÈSE ET RAISONS DE LA LOI DU 15 MARS 2004

Les trois « circulaires Zay »

On ne comprend pas la loi du 15 mars 2004 si on ne considère pas une autre loi : la loi d’orientation et d’éducation du 10 juillet 1989. Jusqu’à « la loi Jospin », le droit d’expression des élèves présentait la double caractéristique de ne pas être encadré par une loi et de permettre à chacun de se référer avec pertinence aux circulaires de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire, qui portaient sur cette questionvi.

Ces circulaires sont au nombre de troisvii. La première, souvent ignorée, date du 1er juillet 1936. Cette omission est d’autant plus préjudiciable pour l’intelligence des deux suivantes que Jean Zay l’a produite moins d’un mois après sa nomination à la tête du ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-artsviii. C’est dire qu’elle devait importer au nouveau ministre. La circulaire porte sur la « neutralité et (la) laïcité de l’enseignement public ». Elle recommande aux recteurs de veiller à ce que « tout port d’insigne » politique soit interdit car « l’ordre et la paix doivent être maintenus à l’intérieur des établissements scolaires ». Il s’agit d’une interdiction libératrice dans la mesure où elle permet de « soustraire » les élèves des « luttes partisanes » qui prévalent dans la sociétéix. La circulaire invite les chefs d’établissement à « procéder dans toute la mesure du possible par persuasion plutôt que par la contrainte »x.

La deuxième circulaire du 31 décembre 1936 confirme la sanctuarisation politique de l’école publique. Elle détaille avec fermeté les raisons qui poussent le ministre à exiger la neutralité politique, « les écoles devant demeurer l’asile inviolable où les querelles des hommes ne rentrent pas ». La règle est impérativement à l’interdiction.

La troisième circulaire du 15 mai 1937 vise cette fois la religion. Il ne s’agit plus seulement de « tenir les établissements scolaires à l’abri des propagandes politiques, mais des « propagandes confessionnelles » également : « L’enseignement public est laïque », écrit Jean Zay, précisant qu’« aucune forme de prosélytisme n’est admise dans les établissements publics ». La neutralité religieuse est présentée comme « allant de soi » dès lors qu’on réclame la neutralité politique, donnant ainsi à penser que la neutralité religieuse est une exigence encore plus impérieuse que la neutralité politique.

Démasquer les extrêmes-droites et réveiller la gauche identitaire

Malgré leurs différences de ton et d’objet, ces trois circulaires révèlent une cohérence politique et culturelle. Elles sont imposées par un contexte politique particulièrement violent, marqué notamment par l’effervescence des ligues et les ripostes en retour des jeunesses socialistes et communistes. Elles visent à protéger l’enseignement public et les élèves des volontés d’emprise ou de manipulation émanant des adultes. Elles n’auraient pas été produites si le climat socio-politique n’avait pas été préoccupant.

Cependant, leur portée excède largement le contexte de leur émission. Placée sous l’autorité du principe de laïcité et de neutralité de l’école publique, la règle d’interdiction préconisée vise à faire barrage à ce qui rendrait impossible une œuvre scolaire d’un « puissant intérêt social ».

Les circulaires Zay peuvent aujourd’hui valoir pour la gauche laïque de marqueur contre les extrêmes-droites qui falsifient l’histoire en détournant la laïcité avec une efficacité alarmante.

On voit comment, sur un plan politique et culturel, les circulaires Zay peuvent aujourd’hui valoir pour la gauche laïque de marqueur contre les extrêmes-droites qui falsifient l’histoire en détournant la laïcité avec une efficacité alarmante. L’enjeu est d’importance, les extrêmes-droites parvenant aujourd’hui à s’incruster dans les esprits, au point d’user de la laïcité comme d’une idéologie politique identitaire, anti-universaliste, anti-internationaliste, d’exclusion et de discriminations, absolument opposée aux idéaux et à l’œuvre de Jean Zay.

Ces circulaires importent également face à la droite républicaine et l’extrême-centre macroniste qui se rêvent l’une et l’autre en détenteurs exclusifs de la laïcité, au mépris de l’histoire.

Il s’agit enfin d’interpeller une gauche identitaire qui a tourné le dos à la laïcité scolaire et à la laïcité tout court.

Il s’agit enfin d’interpeller une gauche identitaire qui a tourné le dos à la laïcité scolaire et à la laïcité tout court. S’agissant, par exemple, de la multiplication ces derniers mois des abayas à l’école, la gauche identitaire y voit tantôt un sympathique effet de mode, tantôt un habit culturel traditionnel, exempte de toute stratégie de contournement de la loi et dépourvue d’intention prosélyte de la part des Frères musulmans. La gauche identitaire ne s’étonne même pas de ce que le droit de porter l’abaya à l’école se présente comme une revendication individualiste, alors qu’il est défendu par les Frères musulmans dont la doctrine réactionnaire est violemment anti-individualiste. Réveiller la gauche identitaire de son sommeil dogmatique n’est pas une mince besogne. On préfère ne pas imaginer quelle aurait été la conduite de dirigeants et militants de la gauche identitaire s’ils avaient été les collègues de travail de Samuel Paty lorsqu’avec une tragique lucidité, il multiplia messages et signaux de détresse, avant d’être finalement massacré à proximité de son collège par des fanatiques islamistes.

La « loi Jospin » d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989

On peut maintenant en venir à l’article 10 de la loi Jospinxi qui a rendu la loi de 2004 nécessaire, en rompant avec l’état juridique qui avait prévalu jusqu’alorsxii. En effet, avec la loi Jospin, c’est la loi elle-même qui prévoit que les élèves disposent de « la liberté d’expression ». Cette liberté devenait un « droit » relevant de la catégorie des libertés publiques, valant comme règle tandis que sa limitation représentait l’exception à justifier au cas par casxiii. Aucune circulaire, passée ou à venir, ne pouvait juridiquement contrebalancer cette disposition légale car dans la hiérarchie des normes juridiques, la loi prime indiscutablement la circulaire.

Le ministre Jospin et ses conseillers prirent-ils la mesure de la déstabilisation juridique que la loi allait provoquer ? Toujours est-il qu’aussitôt la loi votée, Jospin saisit pour avis le Conseil d’État afin qu’il détermine si « le port de signes d’appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité »xiv. De son côté, le Conseil d’État ne tarda pas à honorer la commande.

L’avis et les décisions du Conseil d’État relatifs à la loi Jospin

Dans son avis rendu le 27 novembre 1989, le Conseil d’État signale, en effet, compte tenu notamment de la nouvelle loi, que « le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses »xv. Autrement dit : l’exercice de cette liberté peut certes être limité, mais cela devra désormais être apprécié au cas par cas.

Le Conseil d’État sera par la suite fidèle à son avis d’origine lorsqu’il devra trancher des litiges entre les établissements scolaires et les familles. Quand les établissements décidaient d’exclure des élèves sur la base d’un règlement intérieur interdisant le port de signes religieux, il ne pouvait que donner raison aux familles au motif qu’une telle interdiction ne saurait être « générale et absolue »xvi.

Ainsi, le ministère n’avait pas su ou voulu voir qu’il mettait les enseignants et les chefs d’établissement dans une situation intenable, contraints qu’ils étaient de trancher eux-mêmes des situations conflictuelles, tout en étant quasi certains d’être désavoués par le tribunal administratif en cas de recoursxvii. Quant aux tribunaux administratifs, il leur était difficile de « savoir où commençaient les pressions, où commençait le prosélytismexviii. La loi de 1989 a constitué un obstacle insurmontable pour « mettre un terme aux tensions et aux problèmes »xix.

Mobilisations laïques

La fragilisation du droit de la laïcité et de l’école ne fut pas le seul effet de la loi Jospin. Une forte mobilisation intellectuelle, politique et culturelle s’est vite exprimée contre ce que Bernard Teper nomme une « alliance de fer » nouée entre « les forces néolibérales » et « les forces communautaristes et intégristes » xx. Teper insiste sur la rupture introduite par l’article 10 de la loi Jospin avec les circulaires Zayxxi. Désormais, écrit-il, « la liberté des élèves est la même dans l’enceinte scolaire que celle des enfants à l’extérieur », traduisant exactement ce que les juristes formuleront dans leur langage peu accessible au commun des Mortels. B. Teper mentionne la mobilisation du Grand Orient de France (GODF), organisateur le 21 octobre 1989 d’un « banquet républicain » rassemblant 1 500 personnes, qui rencontra un écho médiatique.

Le Monde du 24 octobre rend effectivement compte de protestations contre une « remise en question » de l’école publique, dans un contexte de « montée des intégrismes ». Il relate la récusation d’une loi qui offre aux musulmans traditionalistes « le droit de marquer symboliquement l’espace de la classe », les protestataires craignant que la salle de classe devienne « le champ clos où les communautés religieuses entreraient en compétition ». Pour les républicains mobilisés, on court le risque d’une dissolution de « l’espace laïque de l’école », seul à même d’établir entre les élèves une « essentielle égalité » par la mise en retrait des « différences collectives ».

Deux semaines plus tard, parut dans Le Nouvel Observateur une tribune signée de cinq intellectuels sous le titre « Foulard islamique : Profs, ne capitulons pas ! »xxii. Cette tribune se présentait comme une réponse aux propos cyniques du ministre Jospin qui ridiculisaient les chefs d’établissement dans un style technocratique sûr de lui-même. Les auteurs de la tribune citent les mots du ministre : « Lionel Jospin a déclaré que les chefs d’établissement doivent ‘établir un dialogue avec les parents et les enfants concernés pour les convaincre de renoncer à ces manifestations’ (le port des signes religieux) mais que si ces discussions échouaient, ‘l’enfant – dont la scolarité est prioritaire – doit être accueilli dans l’établissement public’ ». Les auteurs de la tribune soulignent avec une saine virulence que le fait de négocier en prévenant qu’on va céder «porte un nom : capituler ».

Aujourd’hui d’une brûlante actualité, cette tribune de 1989 défend une école « vouée au libre examen, liée à l’essor des connaissances et confiante dans la seule lumière naturelle des hommes (…), conçue comme un « lieu d’émancipation » qui « s’efforce d’installer un espace où l’autorité se fonde sur l’expérience et la raison ». Elle conteste un « droit à la différence » qui méconnaît le « droit d’être différent de sa différence ». Elle pointe un sophisme du ministre : « ‘Accueillir tous les enfants’, dites-vous. Oui, mais cela n’a jamais signifié faire entrer à l’école, avec eux la religion de leurs parents, telle quelle ». Ainsi la tribune lançait-elle un cri d’alerte qui pouvait sembler à ce moment-là alarmiste, alors qu’il apparaît aujourd’hui prémonitoire.

La « commission Stasi » et la loi de 2004

C’est au terme de quinze années de troubles et de mobilisations émanant notamment des associations laïques comme l’Union des Familles Laïques (UFAL) et de chefs d’établissementxxiii, que fut mise en place le 3 juillet 2003 par le président Chirac une commission indépendante chargée de mener une « réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République »xxiv. La présidence de la commission fut confiée au Médiateur de la République Bernard Stasi Ce dernier rendit son rapport le 11 décembre 2003. Composée de personnes aux convictions opposées sur la question du voile, la commission vota finalement à l’unanimité moins une abstention pour une loi d’interdictionxxv. Les auditions avaient en effet révélé le sentiment d’abandon d’enseignants, de chefs d’établissement, d’infirmières et de médecins – leur « détresse » faisant écho aux souffrances et aux injustices de la société elle-mêmexxvi.

Trois mois après la préconisation de la commission Stasi, fut votée la « nécessaire » loi scolaire de 2004. Seule une autre loi pouvait faire équilibre avec la loi du 10 juillet 1989 en encadrant le droit des élèves en matière d’expression religieuse. Le Conseil d’État fut à nouveau sollicité pour avis, « la question posée (étant cette fois) de savoir : est-ce que la loi proposée (…) est conforme à la Constitution et à nos engagements internationaux ? La réponse a été ‘Oui’. »xxvii

Deux enseignements et un questionnement

Si la loi Jospin a accompli un déplorable basculement juridique de la laïcité scolaire, la loi de 2004 a effectué un second et salutaire basculement en sens inverse. Par ce renversement de perspective, la loi de 2004 a remis sur ses pieds la laïcité scolaire. La portée de cette loi, qui n’aurait pas vu le jour sans les interventions d’intellectuels et d’associations laïques et féministes, excède largement son expression juridiquexxviii.

Aujourd’hui comme hier, il est artificiel de dissocier les combats pour l’école laïque et ceux qui sont menés contre la précarité du travail et la souffrance au travail, pour les services publics, la justice sociale et les droits sociaux.

Dans cette affaire, la question de la laïcité scolaire n’est pas apparue comme une question sectorielle, comme un domaine parmi d’autres de la laïcité, mais comme une question qui procède directement du principe de laïcité. Cela confirme que la laïcité scolaire peut être déclinée comme un élément constitutif, ou comme une articulation structurelle, du principe général de laïcité, – qu’elle est en conséquence l’affaire de l’ensemble de la société. Non seulement la protection de l’école devient impossible si elle n’est pas voulue par la société, mais l’école – « qui ne peut pas tout » – transporte inévitablement les misères et les violences sociales. Aujourd’hui comme hier, il est artificiel de dissocier les combats pour l’école laïque et ceux qui sont menés contre la précarité du travail et la souffrance au travail, pour les services publics, la justice sociale et les droits sociaux.

Enfin, s’il revient aux laïques d’expliquer inlassablement la signification émancipatrice de la loi du 15 mars 2004, on ne saurait nier la réalité présente d’un lycée soumis à la loi du plus fort. Que reste-t-il de l’école émancipatrice dans un lycée où la plate-forme Parcoursup règne en maître, imposant aux élèves de se faire demandeurs d’emploi, vendeurs de leur force de travail ? Quel sens y a-t-il à vouloir préserver « l’espace instable de la classe » dans les lycées où les classes ont disparu sous l’effet des réformes Blanquer et du zèle de proviseurs obsédés de complaire à leur hiérarchie ? L’ultralibéralisme autoritaire du macronisme fut au cœur des réformes Blanquer, responsables de la dégradation sensible du lycée avec une efficace brutalité qui a sidéré enseignants et « amis de l’école laïque ». L’actuel projet ultralibéral de territorialisation de l’Éducation nationale accélèrera inéluctablement la « privatisation rampante » de l’école publique et aggravera les inégalités socio-culturelles. Tous les défenseurs de l’école laïque et républicaine ne seraient-ils pas inspirés de reconnaître lucidement cette situation et d’en tirer quelques conséquences 

A suivre.

ihttps://www.education.gouv.fr/principes-de-laicite-l-ecole-un-plan-en-4-axes-pour-mieux-proteger-la-communaute-educative-343405
On peut se demander si l’usage du pluriel s’agissant du « principe de laïcité » n’est pas susceptible de miner avec une discrète efficacité le principe de laïcité.
Le Bulletin officiel de l’Éducation nationale intitule la circulaire « Plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires ». https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo42/MENG2232014C.htm

ii Cette circulaire est d’autant plus préoccupante que, par souci de se préserver, les enseignants sont enclins à l’autocensure et que de nombreux chefs d’établissement ne remontent pas les cas qui leur sont signalés quand ils ne refusent pas purement et simplement de les voir. Sur le sujet, on se reportera à la contribution de Michel Gonnet, « Laïcité et neutralité du fonctionnaire », à l’ouvrage collectif dirigé par Paul Devin La laïcité à l’école. Pour un apaisement nécessaire, qui montre qu’aujourd’hui, les inspecteurs et personnels de direction qui enfreignent la neutralité laïque « pour servir avec un zèle immodéré le pouvoir en place font (…) l’objet d’une promotion ». Voir https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/la-laicite-a-lecole-pour-un-apaisement-necessaire-lecture-dun-livre-de-la-fsu/7429107
Ce phénomène d’autocensure, déjà observé par les membres de la commission Stasi il y a vingt ans, s’est amplifié sous le ministère Blanquer. Rien n’indique qu’il en sera autrement avec le nouveau ministre, même si celui-ci n’a heureusement ni la brutalité, ni le mépris non dissimulé à l’égard des professeurs et de leurs représentants que son prédécesseur. Assurément, il se trouve encore des chefs d’établissement assez courageux et rigoureux pour protéger les professeurs et leur établissement, allant ainsi à l’encontre de leur intérêt. Mais aucune institution ne saurait reposer durablement sur des personnalités exemplaires qu’elle marginalise méthodiquement. Une politique républicaine devrait plutôt promouvoir les chefs d’établissement qui rompent avec le « pas de vague ». Il s’agirait aussi pour les familles et pour l’ensemble de la société de soutenir ces chefs d’établissement-là.

iii Contrairement à ce que l’on croit parfois, la loi n’interdit pas le signe religieux comme tel, mais le port de signes ou tenues ostensibles, c’est-à-dire qui font reconnaître immédiatement une appartenance religieuse. La loi prévoit également que « la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire (soit) précédée d’un dialogue avec l’élève ». La loi est codifiée à article L. 141-5-1 du code de l’éducation.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977/

iv La circulaire du ministre Pap Ndiaye assure que « la loi du 15 mars 2004 encadrant, par application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles est très claire. Outre les vêtements et signes religieux, elle interdit le port de tenues qui, par intention, ont clairement un objectif de signifier ou revendiquer l’appartenance ou à faire du prosélytisme religieux ».
Ces indications effectivement « très claires » ne sont pas apportées par la loi qui tient en deux phrases, mais par la circulaire d’application du 18 mai 2004 qui a suivi immédiatement sa promulgation. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000252465
Contrairement à ce que l’on croit souvent, cette circulaire ne restreint pas l’interdiction au voile islamique, à la kippa et la croix d’une dimension excessive. Elle laisse ouverte la possibilité d’interdire tout autre signe ou toute autre tenue tendant à contourner la loi : « Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. La loi est rédigée de manière à pouvoir s’appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes, voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi. » Ainsi, la mise en discussion du port d’abayas est conforme à la lettre et l’esprit de la loi de 2004 et de sa première circulaire d’application.

v « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République »
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043982767

vi La loi Jospin n’a pas modifié l’état du droit relatif aux enseignants, tenus à l’instar de tous les agents publics à l’obligation de se conformer au principe de neutralité religieuse, constamment confirmée et consolidée depuis la loi Goblet de 1886. Nous ne pouvons dans les limites de cette étude revenir sur les problèmes que soulève la neutralité enseignante qui ne saurait, comme le disait Buisson, « être poussée à l’absurde » en imposant à l’enseignant le silence sur ce qu’il doit transmettre.

vii Voir les trois circulaires en intégralité : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-culture/respublica-histoire/document-les-trois-circulaires-jean-zay-de-1936-37/7432751

viii Il y aurait lieu de montrer que ces circulaires sont celles d’un ministre dont l’œuvre scolaire, éducative et culturelle fut immense. Mais cela dépasse largement l’objet de notre étude. Voir, par exemple, https://www.lesamisdejeanzay.fr/qui-sommes-nous

ix Ce n’est pas tant l’insigne comme tel qui importe mais l’effet qu’il produit au sein de l’école. On retrouvera la même idée dans la loi de 2004.

x On retrouvera la même exigence, essentielle s’agissant de la laïcité scolaire, dans la seconde des deux phrases de la loi de 2004.

xi https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977/

xii « Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. »
On notera que cet article 10 de la loi Jospin prend appui sur le « principe de neutralité ». Cette mention ne concerne pas les personnels, leur situation étant traitée à un autre « titre » de la loi. Reste la neutralité des enseignements et des programmes. Mais cette obligation faite aux élèves de respecter les enseignements épuise-t-elle les ressources du « respect du principe de neutralité » par les élèves ? N’eût-il pas été concevable, par exemple, de demander aux élèves de respecter la neutralité du lieu scolaire, eux qui sont désormais considérés comme « membres de la communauté scolaire » ? L’école étant considérée comme un « lieu de vie », pourquoi exclure a priori les élèves du principe de neutralité applicable à la vie scolaire : à la vie à l’école et de l’école ?
Le principe de neutralité pourrait effectivement valoir pour les élèves aussi, autrement que pour leurs professeurs, comme cadre auto-constitutif de l’espace scolaire. Pourquoi n’avoir pas eu l’ambition d’impliquer les élèves dans la neutralité scolaire et ainsi de les présumer capables de la comprendre et de la faire vivre ? N’eût-il pas été judicieux de la part des politiques et des juristes d’impulser une réflexion sur la neutralité scolaire, dans ses tensions fécondes ?
Ce questionnement dépasse le cadre du présent article, mais il ne semble pas déplacé de le formuler. La neutralité est en effet un élément constitutif de la laïcité scolaire, sous réserve de considérer, à la suite de Ferdinand Buisson, qu’on est neutre parce que laïque plutôt que l’inverse, de sorte que l’essence de la neutralité n’est pas neutre.

xiii Du fait de la loi Jospin, la liberté d’expression des élèves appartient au domaine des libertés individuelles fondamentales « face auquel le règlement ne peut rien faire : c’est la loi qui peut poser les fondements d’une interdiction », Rémy Schwartz, « Du Palais-Royal à la Commission Stasi », entretien, Droit et société, 2008 /1 (n°68), p. 227. Ce fut chose faite avec la loi de 2004.
https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2008-1-page-225.htm

xiv Le ministre n’a pas consulté le Conseil d’État sur la liberté d’expression politique mais sur la seule liberté d’expression religieuse.

xvhttp://affairesjuridiques.aphp.fr/textes/avis-n-346-893-du-conseil-detat-27111989-port-du-foulard-islamique/
« Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et de la vie collective des établissements. Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement. »

xvi Voir, par exemple, le conflit au collège Jean-Jaurès de Montfermeil.

www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/1992-11-02/130394

xvii À propos de la loi Jospin, Rémy Schwartz, Conseiller d’État et Rapporteur Général de la Commission pour l’application du principe de laïcité dans la République, estime que « c’est encore une de ces lois qui a été votée sans que l’on songe à ses conséquences », Droit et société, 2008 /1 (n°68), p. 228.

xviii Ibid., p. 226.

xix Ibid, p. 227. « La loi d’orientation scolaire de 1989 (…) a eu pour effet de faire basculer dans un sens permissif un état de droit qui était incertain, ou du moins qui pouvait conduire à affirmer que le port de signes religieux pouvait être interdit dans les établissements de l’enseignement public », id.

xx Bernard Teper, Plus de liberté pour tous ! Éric Jamet éditeur, pp. 27-30.

xxi Teper rappelle que Jospin était ministre d’État du gouvernement Rocard, sous la présidence de François Mitterrand de sorte que ces trois personnalités socialistes de premier plan sont co-responsables de cette loi. Rocard y était franchement favorable. Mitterrand exposa quant à lui sa position lors d’une interview le 27 janvier 1990, d’une façon d’abord artificieusement alambiquée. Il pencha finalement en faveur de la loi Jospin, le président de la République finissant par déclarer que « la direction générale a été donnée par le ministre, Lionel Jospin, et il a bien fait, il a dit ce que je viens de vous dire ». Le président avait dit qu’en cas de manquement à la laïcité, les établissements devraient se tenir prêts à ménager « quelques mois » ( sic !) de dialogue. https://www.elysee.fr/francois-mitterrand/1990/01/27/interview-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-par-des-lyceens-notamment-sur-leurs-conditions-de-vie-et-de-travail-le-port-du-voile-islamique-limmigration-et-la-democratisation-des-pays-de-lest-orsay-le-samedi-27-janvier-1990

xxii https://wvincent.fr/profs-ne-capitulons-pas/

xxiii A ce moment-là, le syndicat largement majoritaire des chefs d’établissement, le SNPDEN-UNSA, affichait un fort engagement laïque et républicain.

xxiv Rapport au président de la République. Laïcité et République. Commission présidée par Bernard Stasi, La documentation Française, 2004 , p. 5.
https://www.vie-publique.fr/rapport/26626-commission-de-reflexion-sur-application-du-principe-de-laicite

xxv Ibid., p. 151.

xxvi Le rapport de la commission relève qu’« à l’école, le port d’un signe religieux ostensible (…) suffit déjà à troubler la quiétude scolaire. Mais les difficultés rencontrées vont au-delà de cette question excessivement médiatisée. En effet, le cours normal de la scolarité est aussi altéré par des demandes d’absences systématiques un jour de la semaine, ou d’interruption de cours et d’examens pour un motif de prière ou de jeûne. Des comportements contestant l’enseignement de pans entiers du programme d’histoire, ou de sciences de la vie et de la terre, désorganisent l’apprentissage de ces disciplines (…) Des enseignants ou des chefs d’établissement, au seul motif que ce sont des femmes, voient leur autorité contestée par des élèves ou leurs parents. L’accès de tous à l’école est fragilisé par des cas de déscolarisation pour des motifs religieux », ibid., pp. 90-91.

xxvii Droit et société, 2008 /1 (n°68), p. 236. https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2008-1-page-225.htm
Il convient également de mentionner la mission d’information sur la question des signes religieux à l’école présidée par Jean-Louis Debré, qui a préconisé dans son rapport remis le 1er décembre 2003 l’interdiction des signes « visibles » à l’école. https://www.vie-publique.fr/rapport/26482-rapport-fait-au-nom-de-la-mission-dinformation-sur-la-question-du-port
Toutefois, il est apparu que la mention « visible » contreviendrait à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, supérieur dans la hiérarchie des normes juridiques à la loi française. C’est la raison pour laquelle la loi de 2004 a retenu le terme « ostensible » désignant tout signe ou tenue permettant immédiatement d’identifier une appartenance.

xxviii La mobilisation dura les quinze années que dura cette affaire. Voir, par exemple, l’interview de Hanifa Cherifi dans Le Monde daté du 16 décembre 2001 où elle dénonce dans le voile islamique un « piège (…) qui isole et marginalise », par lequel la jeune fille « s’auto-stigmatise » provoquant une « assignation identitaire ». Hanifa Cherifi alertait l’opinion sur le « prosélytisme islamiste (qui) continue ses ravages dans les banlieues », déplorant que les associations laïques soient « très peu soutenues ».

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