Objectifs généreux de la loi ?
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Cela décrit parfaitement l’hypocrisie du ministre et de sa loi. Celle-ci vise à contrôler et réguler le marché de l’éducation. On sent déjà l’esbrouffe avec l’usage du terme « marché ». L’éducation doit-elle intégrer le marché, faire l’objet de profits, s’y soumettre ?
Présenter comme instrument pour remettre de l’ordre sur toutes les offres éducatives, notamment privées à but lucratif, cette loi devrait être la bienvenue.
Une loi qui favorise le privé et la financiarisation de l’enseignement supérieur
Les propos du ministre Philippe Baptiste montrent clairement les intentions régressives : « Le but du jeu n’est absolument pas de restreindre les libertés ou de taper sur l’enseignement supérieur privé, qu’il soit lucratif ou non. Le but du jeu, au contraire, c’est que ces formations et ces établissements se développent ».
C’est ainsi que ce projet prévoit des procédures de reconnaissance par l’État des formations supérieures développées par les établissements privés. Parcoursup deviendra un outil accordant un label officiel à cet enseignement privé.
Monopole public de la collation des diplômes
Jusque-là, la collation des grades et des titres professionnels relevait du monopole public afin de garantir la qualité et l’équité. Avec ce projet, les prérogatives du privé rejoignent celles du public.
L’autonomie des universités en sortira renforcée, accentuant l’éloignement avec la nécessaire harmonisation de la qualité des diplômes et des titres, quels que soient le lieu de résidence et l’université sur tout le territoire national.
Le texte
Le préambule du texte(1)https://www.vie-publique.fr/loi/299713-reguler-lenseignement-superieur-prive-derives-projet-de-loi-baptiste. est donc contredit par les propos du ministre. Dans une prose alléchante, il est affirmé : « Face à l’essor rapide du secteur privé de l’enseignement supérieur, le projet de loi prévoit de l’encadrer pour garantir la qualité des formations et mieux protéger les étudiants et les apprentis. Cet essor s’est en effet accompagné de dérives de la part de certains établissements. Des mesures sur l’enseignement supérieur public complètent le texte ».
Sous prétexte d’y remédier, c’est une fuite en avant vers la privatisation et la financiarisation de l’enseignement supérieur.
Les dérives du secteur privé supérieur
Le rapport officiel(2)https://www.vie-publique.fr/en-bref/293824-enseignement-prive-superieur-lucratif-un-secteur-mal-connu. cible les principales dérives du secteur à but lucratif :
- pratiques commerciales trompeuses :
- mentions non vérifiables sur les taux de réussite ou l’employabilité ;
- utilisation illégale des termes licence, master ou doctorat ;
- vente de formations ne disposant pas du droit de délivrer un diplôme…
- informations incomplètes ou ambiguës au moment de la pré-contractualisation ;
- clauses déséquilibrées pour les étudiants dans les contrats :
- modification unilatérale des prix ;
- possibilité de rupture discrétionnaire du contrat uniquement pour l’établissement ;
- interdiction pour le consommateur d’utiliser son droit de rétractation dans un contrat conclu en ligne…
- écoles « fantômes » (par exemple afin de vendre à de jeunes étrangers une inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, pièce indispensable pour la délivrance d’un visa étudiant).
Le rapport note que « le secteur privé à but lucratif connaît un essor considérable, jusqu’à regrouper la moitié des étudiants du secteur privé, soit plus d’un étudiant sur dix. De 2010 à 2022, les inscriptions d’étudiants dans le secteur privé ont augmenté de 72 %, contre 11 % dans le public… ».
Ces écoles trouvent leurs sources de financement sur la base de frais de scolarité très élevés, ainsi que sur les fonds publics de l’apprentissage depuis 2018. Or, ces derniers font défaut à la formation professionnelle publique, y compris sur la base de l’alternance temps d’école et temps d’apprentissage sur les lieux de travail.
Priorité au financement de l’enseignement supérieur public par la puissance publique
Qu’il y ait une nécessité de réglementer la jungle de l’enseignement supérieur privé, c’est une évidence. Pour autant, cela ne doit pas être l’occasion de favoriser le privé aux dépens du public.
Il ne s’agit pas de nier la crise de notre enseignement au regard des évaluations internationales. Pour y remédier, il faut agir sur tout le système éducatif public en commençant par le primaire, qui doit construire un socle commun solide de bon niveau, puis sur le secondaire et le supérieur, afin que ce dernier accueille des étudiants aux compétences suffisantes ayant acquis une base solide. Cela nécessite des moyens humains et matériels. Des élèves du primaire ayant de bonnes bases que les enseignants, malgré des moyens insuffisants, s’efforcent d’édifier, faciliteront le travail pédagogique de construction et de transmission des connaissances aux niveaux supérieurs.
Il importe également de sortir du séparatisme scolaire qui fait que l’école publique accueille, en proportion de la population, plus d’élèves à l’IPS (indice de positionnement social) moins élevé que les écoles privées. Ces dernières refusent les élèves qui n’ont pas le « bon profil » social et économique.
Promesse d’égalité républicaine
La promesse d’égalité de notre République exige de tout mettre en œuvre pour élever le niveau général, intellectuel et culturel de toutes et tous. Cette promesse d’égalité républicaine exige de mettre fin cet égalitarisme qui conduit à l’abaissement généralisé du niveau intellectuel et culturel notamment.
Cela exige également de mettre fin à la précarisation généralisée, économique et sociale, aboutissement de décennies de politiques économiques ultralibérales.
L’enseignement doit s’affranchir des pratiques mercantilistes. L’éducation ne doit pas être une marchandise source de profit ; elle ne doit pas être destinée à satisfaire les appétits des détenteurs de capitaux et des actionnaires.
